LES RAPPORTS D'ANALOGIE ENTRE PHILOSOPHIE ET ALCHIMIE MÉDIÉVALES

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    LES RAPPORTS D'ANALOGIEENTRE PHILOSOPHIE ET ALCHIMIE MDIVALES

    Il est admis depuis longtemps que l'alchimie fonde sa thorie sur les grands sys-tnies philosophiques grecs. Martin Plessner a tudi la cosmologie pr-socratique dela Turba philosophorum 1 et pour Jhir, flOUSdisposons de l'tude magistrale dePaul Kraus 2, Pour le Moyen ge, cependant, le classement et l'analyse des doc-trines philosophiques servant de base thorique l'activit transmutatoire restent faire .Ni pour l'Antiquit, ni a fortiori pour le Mo yen ge , la nature du rapport entrealchimie et philosophie n'a fait l'objet de recherches autres que ponctuelles.Pou rtant, l 'examen de ce rapp ort reprsente un lment indispensable dans l'analysedes textes alchimiques, car il permet de dgager les raisons pour lesquelles leurs au-teurs ont eu recours aux diffrents systmes philosophiques, leurs intentions et la fi-nalit des arguments.En ce qui concerne l'tude de la rhtorique des textes alchimiques, l'attentions'est porte presque exclusivement sur les stratgies d'occultation, notamment cellesvisant cacher les matires utiliser et qui consistent en des substitutions demots 4 .C'est avant tout dans cette perspective que Martin Plcssncr envisage le rap-port entre philosophie et alchimie dans la Turba philosophorum, en y dcelant unetendance cacher des doctrines alchimiques dans la doxog raphie, ce qui permet decomprendre les discours de faon purement cosmographique 1 .Toutefois, le rapportentre cosmologie et doctrines alchimiques relverait galement d'une tentative de d-duire cette dernire de la science de la nature, selon la tradition grecque 1 5 .Sans doute,dans ce docum ent prcis, existe-t-il un lien troit entre justification philosophique et

    1. Vorsokratische Philosophie und griechische Aichemie in arahiscli-lazei,jischer Ueberlieferung.Studien inText u'ui inhal: der Turbo philosophorum. Wiesbaden. 1975.2. .Jhir 11m Flayyn. Co ntribution l'histoire des uie,r ,cienxfiques dan s l'islam. JJbirez la sciencegrecque, Le Caire. 1942. rd.. Paris, 1986.3. Cf. Claude Gagnon, Chiara Crisciani. Alchimie et philosophie au Moyen ge: Perspectives etproblmes, Montral, 1980.4. Les Decknamen. Cf. Robert HuIleux, Les Textes alchimiques. Typologie des sources du MoyenAge occidental, faxe. 32. Brepols, 1979, pp. 34-35.5. Vorsokraiische Philosophie, p. 44: 'dedenfalls ist aber die Tendcnz semer Ttigkeit (celle del'auteur) bereits erkennhar: alchemistische Lehren in der Doxographie su verstecken, was errnglicht.seine Red en rein kosniographisch su verstehen.6. Ibid.. p. 92 .

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    44ARBARA OBRISTstratgies d'occultation, mais ce lien ne reprsente pas une constante dans l'histoirede l'alchimie.

    Les pages qui Suivent se proposent d'examiner la nature des rapports entre phi-losophie et alchimie dans son volution au cours du Moyen ge. Pour tablir cesrapports, l'analogie constitue le moyen privilgi. Depuis l'analogie proportionnellejusqu' la similitude la plus vague, une vaste gamme de possibilits logiques et rh-toriques est exploite dans les textes alchimiques mdivaux 7.Dans la premire phase d'expansion de l'alchimie, les rapports d'analogie sonttablis dans le but de dvelopper la thorie d'un domaine particulier et nouveau, parrfrence une thorie physique gnrale. Ils sont instrumentaux dans l'effort deconfrer un statut scientifique l'alchimie en ce qu'ils permettent d'infrer des don-nes partir de domaines sinon tablis, du moins reconnus comme valables, et quiservent de m odles thoriques.Mais par la suite ces rapports d'analogie furent soumis un examen critique, la lumire des constats d'insuccs. Les rapports entre les thories philosophiques g-nrales et celles de la formation naturelle des mtaux, ainsi que celles de leur trans-formation artificielle, changent alors de nature dans la mesure o ils servent nonplus le dessein d'ancrer l'alchimie dans un cadre philosophique reconnu, mais celuide la dissimulation.Dans l'tat actuel de la recherche sur l'alchimie mdivale, il n'est gure pas-sible d'tablir une grille chronologique prcise pour situer les tapes de cette volu-tion. La premire phase d'expansion de l'alchimie, qui se caractrise par un effort deconstituer cette nouvelle discipine en science et de l'intgrer dans le cadre institu-tionnel universitaire, n'est que de courte dure. Elle s'tend approximativement jus-qu'au troisime quart du XIUC sicle. Le passage la seconde phase se fait progressi-vement, vers la fin du Xill e sicle. Malheureusement, peu de textes alchimiques por-tent une date, et si des analyses comme celle de William Newman sur la Summaperfectionis permettent dornavant de situer ce document, un immense travail de d-pouillement reste faire. L'analyse des textes alchimiques sur la base des doctrinesphilosophiques adopts ou rejets - par exemple la thorie des species de RogerBacon, pour ne mentionner qu'un exemple parmi tant d'autres - permettrait de faireun grand pas en avant dans l'tablissement de repres chronologiques.

    Premire phaseLe rapport entre alchimie et philosophie mdivales implique celui entrears etscienria. Dans la premire phase d'volution de l'alchimie, il se prsente commesuit: introduite en Occident au XIi r sicle 8 , la fois comme scientia et comme ars,

    l'alchimie comporte aussi bien une thorie de la formation et de la transformationdes mtaux que des directives pratiques et des recettes visant l'obtention de mtaux7. Sur l'extrme diversit des procds rhtoriques dans les textes scientifiques modernes. cf .W . H. Lcachcrdale, The R ote cf Ana!ogv, Mode! a,id Meta 1 ,hor in Science, Amsterdam - Oxford. 1974.8. Morienus, De compositione alchemie. traduit LIC l'arabe par Robert de Chester en 1144. d. ettrad. Lee Stavenhagen, A T estament cf Alchernv. Hanover, New Ham pshire. 1974.

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    LES RAPPORTS D'ANALOGIE ENTRE PHILOSOPHIE ET ALCHIMIE MDIVALES5prcieux 9 .Mais ce n'est qu'au XIIIe sicle qu'elle se rpand et qu'une littrature al-chimique occidentale se dveloppe. Les thories de la formation naturelle des m-taux, de mme que celles concernan t leur transformation artificielle, sont alors discu-tes dans le nouveau cadre scolastique de l'Universit. En tant qu'artisanat, elleconnat un rapide essor dan s le m ilieu urbain.Des premiers tmoignages sur cette activit artisanale en Occident, en particulierde ceux de Michel Scot et de Vincent de Beauvais, dans le deuxime quart du xiiiesicle, il ressort qu'elle est considre comme un art de transformation tout court.Elle opre des transformations dans des matires provenant du rgne non seulem entminral, mais galement vgtal et animal, au moyen de la distillation 10 .Les alchi-mistes se profilent ainsi en tant que spcialistes d'un large spectre de produits: ilsimitent des mtaux prcieux 1 1 ,aussi bien que des pierres, 1 2 tandis qu'aux pharma-ciens (apothicaires) et m decins, ils livrent des p roduits de distillation 1 3 .L'intgration de l'alchimie dans l'enseignement universitaire est assure dans lamesure o son statut scientifique est tabli dans les classifications des sciences re-prises aux Arabes; elle y est considre com me une discipline appartenant la phy-sique 14 au m m e titre que la mdec ine. En consquen ce, la thorie de la forma tiondes mtaux tablie par Avicenne, ainsi que celle de leur transformation artificielle -elle est possible si les mtaux sont rduits la matire premire font partie del'enseignement des Mtorologiques d'Aristote 16 .e texte aristotlicien desMtorologiques et celui d'Avicenne ava ient t runis par leur traducteur Alfred deSareshel autour de 120017Le mme cadre institutionnel universitaire qui favorise les liens entre alchimieet philosophie aristotlicienne renforce celui entre alchimie et mdecine, car l'tudede la mde cine est prcde par celle des unes, lesquelles sont structures par le cor-pus d'crits aristotliciens 18D'autre part, l'effort de dvelopper la thorie des

    9. R. Stecle, '.Practical Chcmistry in the 12th Century.. Isis, 12(1929). pp. 10-46. J. Ruska, DasBuch der Alaune und Saize, Berlin, 1935. W. Ganzenmiiller. Eine alchemistischc Handschrift aus derzweiten H1fte des 12. Jahrhunderts.' . Sud.hoffs Archiv, 39(1955), pp. 43-53.10. Vincent de Beauvais, Speculum doctrinale. XI. 132 (version rdige vers 1259). Douai, 1624.IL. Michel Scot. Liber parricularis. (aprs 1228), cit dans Ch. H. Haskins, Studies in the HLrtoriiofMediaevai Science, Cambridge, Mass., rd., 1927, p. 295.

    12. Albert le Grand, Minralogie, 1. 3. 2; d. A. Borgnet, Opera omnia, vol. V, Paris, 1890; trad.D. Wyckoff. Albertus Magnus, Book on Minerais, Oxford, 1967.13. Vincent de Bcauvais. Speculum doctrinale, XI. 105; Speculum naturale, VII. 95.14. Pour le Xile sicle, Dominicus Gundissalinus. De divisione phiiosophiae, d. L. Baur (Beitr8gesur Geschichte der Philosophie des Mittelalters), 4 (1903), p. 20. Pour le XIII 5 , Vincent de Beauvais,Speculum natu raie, VII, 6, Speculum doctrinale, XI, 105.15. d. E.J. 1lolniyard, D.C. Mandeville, De congelatione e: coriglutinatione lapidum, Pans, 1927,

    p. 5 5 .16. Dans les manuscrits de l'ancienne traduction des Mtorologiques, le texte d'Avicenneconstitue le dernier chapitre. Pour la littrature sur ce sujet, cf. B. Obrist, Constantine of P,sa. The Book

    of ilie Secrets of Aiche,.ny, Leiden, etc., 1990, pp. 24-26. Le Liber secretorum alchimie, de 1257,semble tre parmi les premiers documents tmoignant d'un tel enseignement.17. J. K. Ouc, Alfred ofSareshel's Com,nentarv on tIre 'Metheora' o! Aristoile, Studien und Textezut Geistesgeschichtc des Mittelaliers, 19. Leiden - New York - Copenhagen - Cologne. 1988.18. P. Kibre, Nancy Siraisi, The Institutional Settiisg: The Universities, dans Science in theMiddle Ages, D.C. Lindhcrg d.. Chicago. 1978, pp. 133-136; Nancy G. Siraisi. Arts and Sciences aiPadua. The 'Studiu,n' ofPadua before 1350. Pontifical Institute of Mediaeval Studies, Studies and

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    46ARBARA OBRISTmtaux ne se poursuit pas seulement dans le cadre de la philosophie d'Aristote, maisgalement par rapport la thorie mdicale. Tandis qu'Aristote procure le cadre cos-mologique gnral pour l'explication de la gnration des corps et pour leur fabrica-tion artificielle, la mdecine procure le modle du rapport entre principes cosmolo-giques et constituants spcifiques des corps, les quatre humeurs. Ce rapport y avaitt tabli ds l'Antiquit grecque, mais pour l'alchimie, le pas correspondant ne s'ac-complit que beaucoup plus tard, dans le monde musulman.

    Si la philosophie aristotlicienne nouvellement introduite dans l'Occident latinest labore en fonction des exigences de la socit du xlne sicle, il en est de mmepour les thories alchimiques reprises aux Arabes. L'essentiel de cet effort se pour-suit dans le cadre des commentaires sur Aristote. Albert le Grand est le premier intel-lectuel ne pas seulement commenter Aristote mais crire une srie complte decommentaires sur l'oeuvre du Stagirite. Et l o les contemporains ressentent unelacune chez le Philosophe: dans le domaine de la gologie et de la minralogie,Albert y supple par une oeuvre qui ne perdra son autorit qu'au XVI' sicle, laMinralogie. Elle constitue une rponse aux besoins thoriques d'une poque d'in-tense expansion conomique, et o l'ampleur de l'exploitation minire est sans pr-cdent.

    Comme, en tant qu'artisanat, l'alchimie se trouve en plein essor, elle cherche dvelopper des thories qui soient aptes rendre compte des multiples problmes quisurgissent. Par rapport d'autres branches artisanales, comme celle des forgerons parexemple, et qui ne cherchent nullement se pourvoir d'une dimension scientifique,elle occupe une place part. Ds le dbut, l'interaction entre scientia et ars y esttroite, et l'apprentissage de l'alchimie est un apprentissage livresque. De ce fait, lerapport entre art et science alchimiques peut tre notamment mis en parallle aveccelui qui caractrise la mdecine, mais aussi l'astrologie, les trois disciplines ayanten commun de disposer d'une thorie, donc d'tre enseignes l'universit 19, enmme temps qu'elles poursuivent des buts opratoires. Les incidences sociales sontcependant trs diverses. L'alchimie s'avre un tel point problmatique que son sta-tut scientifique finit par tre mis en question.La base thorique dont dispose l'Occident du Mll e sicle pour dvelopper uneminralogie et une science alchimique est donc constitue d'une part par la philoso-phie naturelle d'Aristote et de l'autre par les thories arabes des mtaux. Aristotelimite la discussion de la formation des corps mtalliques au niveau cosmologiquegnral en expliquant leur gense par la seule interaction entre les quatre lments travers leurs qualits respectives. Les Arabes en revanche posent le mercure et lesoufre comme constituants spcifiques des mtaux 20 . Cette thorie avait t labore

    Tests, 25, Toronto. 1973, pp. 109 sqq. Taddeo Alderoni and his Pupils. Two Generations of ItalianMedicul Learning, Princeton, 1981, pp. 151 sqq.19 . Sur le rle de l'astrologie [universit, cf. Siraisi. Arts and Sciences, pp. 77 sqq.; TaddeoAlderotti. pp. 14 7 sqq.20. Parmi les premiers documents sur ce sujet parvenus en Occident figure le Liber de secretisnature e: occultis rerum cousis ah Apollonio ,rans1aru. dfaut d'une dition du texte latin (trad. en1143), cf. la traduction de l'Arabe par U. Weisser, Dus Buch uher dos Geheirnnis der Sclibpfungvon Pseudo-Apollonius von Tvana. Berlin, New York, 1980, III. 3-5 (pp. 106-109). Pour le Xill esicleprvaut la formulation de la thorie duc Avicenne.

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    LES RAPPORTS D'ANALOGIE ENTRE PHILOSOPHIE ET ALCHIMIE MDIVALES7en fonction des exigences d'un artisanat: il fallait poser des constituants sur lesquelsl'alchimiste pouvait agir. En fait, deux modles thoriques eurent cours d'abord dansla civilisation Arabe et ensuite en Occident, le premier tant directement issu descosmologies antiques, le second reposant plutt sur leurs laborations arabes. Lepremier postule la possibilit de combiner les quatre lments ou qualits lmen-taires, le second le m ercure et le soufre, pour reproduire de nouveaux m taux. Si l'ar-tisan opre sur la base du premier modle, il isole par distillation ce qui est censtre les quatre lm ents ou qu alits lmentaires et les compo se nouveau selon desproportions voulues. Dans le second cas, il opre avec le soufre, ou l'arsenic, et lemercure. Dans la plupart des textes, les deux voies ne sont pas seulement relies,ma is se confond ent dans la mesure o les constituants du soufre et du mercure res-tent toujours les qualits lmentaires et que toutes les manipulations se ramnenten dernier lieu au schm a des quatre lments, que cela concerne le corps hum ain oules mtaux.Pour dvelopper une minralogie et une science alchimique propres, la tcheprincipale laquelle furent confronts les O ccidentaux con sistait rsoudre les pro-blmes que p osait la thorie du soufre-mercure par rappo rt aux principes de la phy-sique aristotlicienne. D ans cet effort, la m thode ana logique joua un rle central etles niveaux suivants taient relis entre eux:- le niveau artisanal, celui de l'operatio. reprsent, dans les textes, par les re-cettes;- le niveau de l'ars, de la practica, qui tablit le rapport entre principes tho-riques et opration;- celui de la science particulire du domaine des mtaux, la thorie de la forma-tion naturelle de m taux, et celle de leur transform ation artificielle;enfin le niveau philosophique et cosmologique gnral 21.Ces rapports d'analogie sont bass sur un double prsuppos: I) En tant quesubdivision de la physique, la science des mtaux app lique les mm es schme s d'ex-plication que celle-ci. 2) En vertu de l'analogie entre processus naturels et procdsde l'industrie humaine qu'tablit Aristote - les deux fonctionnent selon les mmeslois de causalit - l 'art alchimique me t en oeu vre les thories sur la formation natu-relle des mtaux.Afin de relier la thorie du soufre et du mercure la philosophie aristotlicienne,Albert le Grand suit la mthode analogique pratique par Aristote lui-mme dansl'tablissement de ses thories physiques. De faon gnrale, Aristote explique lesprocessus naturels rgis par les quatre causes, matrielle, formelle, efficiente etfinale, au m oyen d'analogies provenan t du dom aine de l'artifice hum ain 22, Les deuxdom aines sont soumis aux m mes lois de causalit, la seule diffrence entre produitsde la nature et produits de l'art rsidant dans le fait que les premiers comportent leur

    21. Cf. galement B. Obrist. ' Cosmology and Alchemy in an illusirated I3th Century alchemicalTract Constantine of Pisa, "The Book of the secrets of Alchemy", dans I di.rcor.si dei corpi(Micrologus, I), Brcpols, 1993.22 . J.-M. Le Blond, Logique et mthode ch ez Aristote. Ezude sur la recherche des principes dansla phvoque aristotlicienne, Paris. 1939. pp. 326 sqq. G. E. R. Lloyd. Polarjtv and Analogy, Two Typeso! Argumentation in Early Greek Thoughz, Cambridge, 1966, pp. 285 sqq.

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    48ARBARA OBRISTpropre principe de mou vemen t, donc de gnration, tandis que les seconds ne sontpas en possession de ce principe intrinsque: il est appliqu de l'extrieur, par l'ar-tiste 23Plus particulirement, pou r dvelopper ses tho ries sur la gnration et la matu-ration animale naturelle, Aristote se rfre systmatiquement la cuisson des ali-ments. La raison en est que le principe de mouvem ent intrinsque est reconduit unesource de chaleur; celui responsable de la formation et de la croissance du foetusanimal provient de la chaleur contenue dans le sernen parental 24 Le cuisinier, pro-cdant de la mme faon que la nature, applique de l'extrieur une certaine dose dechaleur, pendant un temps do nn, pour atteindre tel ou tel rsultat. Dans les Mto-rologiques, Aristote justifie ses frquents recours l'industrie humaine par l'affir-mation qu' il n'existe pas de terme particulier pour dsigner chaque espce d'ach-vement concernant les matires dtermines par la chaleur et le froid naturels 25,Albert, en essayant d'tablir la thorie de la formation d es pierres et mtaux, estconfront au mm e type de problme. Il reprend donc le rapport entre maturation na-turelle animale et maturation artificielle qu'tablit Aristote et l'applique aux mtaux.Cette transposition analogique est possible du fait que la thorie du soufre et du mer-cure implique la chaleur com me source de gnration et de dveloppemen t des m-taux: le mercure est froid et humide, le soufre chaud et sec. Le premier constitue lacause matrielle, le second la cause formelle ou efficiente 26 . Mais la thorie dusoufre et du m ercure amn e con tredire Aristote sur deux points essentiels. Le pre-mier concerne la nature des pierres et mtaux, le second le principe de leur forma-tion. Sous l'impact de la cosmologie noplatonicienne, dans laquelle la source dechaleur et de m ouvem ent est attribue l'activit d'une m e, on arrive logiquement confrer aux mtaux une nature anime. Or, la suite d'Aristote, Albert pose lesminraux com me (les corps inanims. Le second problme est que, selon Aristote, laformation des mtaux est due l'action du froid, et non pas de la chaleur 27 .Albertdiscute ces thories opposes, tout en rejetant celle du froid 28 cependant que, dansles textes alchimiques proprement parler, elles sont souvent simplement juxtapo-ses. La solidification par le froid est alors expose au moyen d'exemples com me laglace, drivs d'Aristote 25 . Dans les Mtorologiques, Aristote explique parl'exemple de la rose ou de la gele blanche la solidification des exhalaisons vapo-reuses desquelles sont forms les mtaux 30 .En fait, dans le quatrime livre, lesmtaux et la glace sont classs dans la mme catgorie de substances: ils ont encomm un d'tre solidifis par le manque de chaleur et d'tre fondus parte chaud31 .

    23 . De la gnration des animaux. 734b 22 sqq. (A. L. Peck, d. trans., Aristotie, Generation ofAnimais, repr. Cambridge, etc., 1990 ).24 . ibid.. 743a 29.25. 380a 8 380h 29; 38 lb 16 (d.. trad. P. Louis, Paris, 1982),26. Constantin de Pise. Liber secretorum alchimie, d. Obrist. p. 68. 14 . 16. La distribution descauses varie selon que l 'on pose, mis part l'action de s lments, une cause cleste ou non.27. Sur la confusion cre par Aristote, qui attribue au froid la fois la passivit et l'activit, cf.S. Sambursky. Pkvsic.s ojthe Swic,s, rd. Princeton, 1987, p. 3.28 . De m rieralihus, III. I. 5.29. Constantin de Pisc, Liber .secrerorum alchimie. d. O hrist. p. 89. 28-32.30 . III. 6 (378a 26-30).31 . ibid., IV. 8 (385a 30).

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    LES RAPPORTS D'ANALOGIE ENTR E PHILOSOPHIE ET ALCHIMIE MDIVALES9Pour Albert le Grand, les mtaux sont donc forms par l'action de la chaleur,sans pour autant tre des corps anims. A u cours d'une longue rfutation des thories

    selon lesquelles le principe d e croissance des pierres et mtaux proviendrait de l'acti-vit vivifiante d'une me 3 2 ,Albert constate, dans des term es emprun ts Aristote,le manque de mots appropris pour dsigner ce principe, en conclut la ncessitd'utiliser des similitudes et tablit une analogie entre la formation du foetus et celledes p ierres (et m taux). Il reporte donc l'analogie aristotlicienne entre la formationdu foetus et la cuisson des aliments sur les mtaux et leur cuisson alchimique. La vertu minrale est une certaine vertu efficiente commune aux pierres,aux mtaux et ce qui est intermdiaire entre eux [ ... ] Et comme nous nedisposons pas de mots propres pour dsigner cette vertu, nous sommesobligs d'expliquer cette vertu au m oyen de sim ilitudes. N ous affirmo ns doncque, de mme que pntre dans la semence animale - un rsidu de lanourriture - une force formatrice animale provenant d es rcipients sminaux,qui forme et produit l'animal, et qui est dans la semence de la mme faonque l'est l'artisan dans ]'artefact qu'il produit par son art, de mme, dans lamatire approprie [la formation] des pierres se trouve u ne vertu forman t etproduisant des pierres, et qui les amne la forme de telle ou telle pierre

    Ensuite, l 'adoption de la thorie du soufre et du m ercure contraint Albert op-rer des remaniements dans la hirarchie des tres. Pour faire ces subdivisions, ilemp loie la m me mthod e analogique que pratique Aristote dans la classification desfonctions animales 3 4 . Elle consiste tirer des conclusions sur la fonction des or-ganes animaux par l'tablissement de rapports d'analogie entre des espces d'ani-maux appartenant des genres diffrents. Par exemple, si certains animaux ont unpoum on, dautres non, ces derniers possderont un au tre organe qui leur tiendra lieude poumon . Si pour Albert les principes des mtaux sont le soufre et le mercure,les mtaux se d istinguent des pierres et, pour tablir la diffrence entre pierres et m-taux, il a recours au mod le biologique et mdical des quatre humeurs com posant lecorps animal- Tand is que les pierres sont dfinies comm e des produits imm diats del 'action rciproque des lments et que, d e ce fait, leur constitution est dclare tre plus simple que celle des mtaux 36, ceux-ci, de par la prsence du soufre, du

    32 . De mineralibus, I. 1.4-6.33 . Ibid., I. I. 5: Virtus enim mineratis quaedam communis virtus est efficiens et Lapides et me-talla, et ea quae surit media inter haec 1 . . . 1 . Et quia propria nomm a huius virtutis non habemu s, ideo persimilia oportet declarare quse sit illa virlus. Dicamus igiur quod sicul in semine animalis quod est su-perfluum nutri menti. descendit a v&sis seminariis vis formativa animalis, quac format et efficit animal,et est in semine per modum ilium quo artifex est in artificiato quod facit per artem: sic est etiam in ma-teria aptata iapidibus virtus formans et efficiens lapides et producens ad formani lapidis iiuius vel il-lius .34. Cf. A. L. Peck, cd. trans., Aristotie, Generation of Animais. repr. Cambridge. etc.. 1990,p. lxviii; Lloyd, p. 365; Jules Vuillemin. De la logique d la thologie. Cinq Etudes sur Aristote, Paris.1967. p. 17 sqq. Pour des observations plus gnrales, Mark Turner, iCategoties and Analogies. dansAnalogical Reaavning. Perspectives of Artificial Intelligence. Cognitive Science and Philosophy.Dordrecht - Roslon Londres, 1989, pp. 3-24.35. L'exemple (De partibus aai,nalium, 645b sqq.) est donn par V uillemin. 1967, p. 18.36 . De mineralihus. I. I.

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    50ARBARA OBRISTmercure et peut-tre d'autres substances, prsentent des sim ilitudes avec les corpsanimaux plutt qu'avec les pierres:

    de m me que d ans le corps animal il faut d'abord un juste mlange des hu-meu rs dans la matire, de mm e il faut, avant qu'un m lange des formes m-talliques ne puisse avoir lieu, que le soufre et le mercure, peut-tre aussi dusel, de l'orpiment et quelques autres substances, soient purifisOn note, dans ce passage, un glissement du niveau de la description du proces-sus naturel celui de la transmutation artificielle. Il est d la contraction dephrases de la source arabe sur laquelle Albert s'appuie: le trait pseudo-avicennienDe anima in arre38.L'analogie animale permet donc de diffrencier les mtaux des pierres, et cela l'intrieur de la classe des commixta, qui contient en principe les corps qui sont desmlanges simples d'lments. Les animaux appartiennent la classe des composita.Ce qui est hum eurs pour les mem bres de cette classe est soufre et mercure pour lesmtaux. Seulement, pour tablir ce rapport d'analogie, Albert saute la catgorie durgne vgtal, des complexionata, qui se place entre celui des minraux et des ani-maux. Dans le commentaire sur la Physique d'Aristote, il dote les plantes d'uneconstitution quasi-humorale Si l'analogie entre soufre/ mercure et h umeurs est instrumentale dans l'labora-

    tion de la thorie de la composition des mtaux, le modle du sang menstruel secoagulant en u n foetus sous l'action de la sem ence sert assigner les rles respectifsau soufre et au m ercure dans leur gnration: La spculation p rocde du gnral aux lm ents particuliers, ainsi qu'il a tdtermin au dbut de la Physique. Do nc, en parlant des mtaux en particu-lier, nous traitons d'abord de ce qui constitue en quelque sorte les universelsdes m taux, tels le pre et la m re, les auteurs alchimiques en parlent ainsi defaon mtaphorique. Car le soufre est, pour ainsi dire, comme le pre et lemercure, comme la mre. Ou, pour parler d'une manire plus approprie, dansla constitution des mtaux, le soufre est comme la substance de la semencepaternelle et le mercure comme le sang menstruel qui se coagule en la sub-stance de l'embryon 40 ,

    Outre les raisons indiques pour lesquelles l'analogie animale acquiert unegrande importance dans l'laboration de la minralogie mdivale, elle permet de37 . Albert te Grand, De mineralibus. III. I. 1 : [... J quemadmodum in animalium corporibuspraecedere humorum temperantiam oporet in materia. ita ante formas meiallorum contemperantiasoporset praeexistere suiphurus et argenhi vivi. et depurationem istoruin, et forte salis et auripigmenti et

    aluminis et quorumdam aliorum.38 . Imprim partiellement, sous le titre de Deeiara:io lapi cils ph'sfri f lvicennaefihio sua Ahoali.dans T,'ia:rum chemicu,n, Strasbourg, 1659, vol. 4, pp. 875-882: cf. pp. 877-878 .39 . IL 2. I (Opera omnia. A. Borgnet d.. Paris. 1890 . vol. 3).4 0. De rninerahhus, IV. tract. unie. 1: Dicentes igitur in speciali de metallis, tangemus primo dehis quac quasi universalia metallorum suri sicut pater et mater, sicut dicuni nietaphorice loquentesauctores alchimiae suiphur enim est quasi pater, et argensum vivum mater, quod convenientius dicitursi suiphur dicatur esse in conirnixtione nietallorum quasi substantia seminis paterni, et argentum vivumsicul mcnstruum quod coagulatur in substantiam emhryonum

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    LES RAPPORTS D'ANALOGIE ENTRE PHILOSOPHIE ET ALCHIMIE MDIVALES1poser un principe crucial pour la justification de la transmutation artificielle des m-taux, celui de l'unicit de leur espce. C'est en effet chose entendue dans la civilisa-tion aussi bien musulmane que chrtienne, que l'homme n'est pas en mesure detransformer une espce en une autre. Il s'agit donc d'tablir une thorie de la trans-mutation des mtaux qui respecte ce principe. L'analogie animale intervient en cequ'elle permet de rendre com pte des raisons pour lesquelles les mtaux diffrent entreeux, bien qu 'ils fassent partie d'une seule esp ce.L encore, Aristote fournit la base thorique. Les alchimistes s'appuient sur savision tlologique des processus naturels pour expliquer que tous les mtaux nesont pas de l'or. La nature ayant toujours pour but la perfection la forme spci-fique d'un tre -' elle tend produire de l'or. Et, si tous les mtaux ne sont pas del'or, c'est que le processus de maturation n'a pas atteint son terme. L'imperfectiondes m taux est alors explique par l'insuffisance de l'action formatrice de la chaleur,tout comme c'est le cas pour le foetus malform ou avort. Les mtaux impursne sont pas cuits point: ils souffrent de molinsin:

    S'il est vrai ce qu'ils disent, il n'y sans aucun doute qu'une seule espce demtaux, et les autres ne sont pas cuits point, et ils sont comme un foetusavort de la nature, qui n'a pas atteint la forme propre 41.Pour A ristote, et sa suite pour A lbert le G rand, les analogies entre art et nature

    servent prioritairement expliquer le fonctionneme nt de la nature. Au contraire, l'ar-tisan alchimiste qui essaie de se forger une thorie prend pour m odle analogique ladescription aristotlicienne de la nature. Plus particulirement, la possibilit d'imiterla nature repose sur le processus de cuisson qu'Aristote pose com me identique pourla nature et pour l'art. La cuisson naturelle est dfinie comme l'action mene sonterme par la chaleur naturelle et intrinsque sur les qualits passives opposes [ ... ] lacoction accomplie, la chose est acheve et elle est devenue ce qu'elle doit tre 42.Et, au terme d'une longue explication de la coction naturelle par l'analogie des di-verses sortes de cuisson alimentaire, Aristote conclut qu'il existe don c un rtissageet une cuisson par bullition qui sont produits artificiellement. Mais les mmesmodes de coction se rencontrent galement, d'une faon gnrale, nous l'avons dit,dans la nature. Les modifications sont les mmes, sans qu'elles reoivent de nomspcial. Car l'art imite la nature, puisque mme la digestion des aliments dans lecorps ressemble une cuisson par bullitionCes prsupposs philosophiques aristotliciens permettent non seulement dethoriser l'imitation de la nature par l'artiste, mais galement l'intervention correc-trice de l'art dans le processus naturel. Au Xilleicle, les apprciations du rle del'art varient: les uns posent, comme le fait Aristote, que l'art est infrieur la na-ture 4 4 : les autres, que l'art est plus puissant que la nature et capable de la

    4 1. Ibid.. III. 1. 7: Si enim est verum quod hi dicunt, absque dubio non erit nisi una .speciesmetallorum, et sua sunt molinsim passa ab illo, et sicut abortivi foetus naturae. qui speciei figuramproprie nondum acceperunt.4 2. Mtorologiques, 379a 18.4 3. Ibid., 381b4(trad. P. Louis); Le Blond, Logique e: mthode chezAristote. p. 330.44. Cf. Avicenne. De congela:ione e: congluzinatione lapidum, d. Holmyard, Mandeville. p. 53;Constantin, Liber de secretorum alchimie, d. Obrist, p. 70. 25-27 , etc.

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    52 ARBARA OBRISTsurpasser 45. M ais d'une m anire ou d'une autre, l'alchimiste pallie les dficiences dela nature en appliquant la juste dose de chaleur, ainsi que la juste dure dans lacuisson des mtaux; de la sorte, il atteint un quilibre des qualits lmentairescorrespondant celui de l'or. Par cette activit correctrice vis--vis de la proportiondes qualits lmentaires, il s'approche du md ecin:

    Les alchimistes expriments oprent comme le font les mdecins expri-ments. Car les mdecins exprimen ts purgent les matires corrompues oufacilement corruptibles au moyen de mdecines purgatives et induisent lasant qui est le but de l'intention du m decin 46.L'alchimiste opre ainsi sur la hase du modle biologique en reprenant ah ovo,

    pour ainsi dire, la formation du corps m tallique et projette la matire correspon-dant la semence, le soufre, dans le mercure, qui est mis en parallle avec la ma-trice. Sont ensuite tablis des parallles entre les stades naturels de la formation dufoetus et les cuissons alchimiques, suivant le Liber trium verborum de K halid47.Dans la premire phase d u dveloppem ent de l'alchimie, l 'laboration de sa tho-rie se fait dans les limites de la philosophie aristotlicienne de la nature. Toute unesrie de textes alchimiques spcialiss partagent l'optique d'Albert le Grand, tels leDe perfecro magisrerio du pseudo-Aristote, qui place l'alchimie sous la mtorolo-

    gie, et le De practica lapiclis philosoph ici. qui a galement circul sous le nomd'Aristote 4 8 . Dans le Correctorium, Richard l'Anglais dclare que l'art alchimiquerepose sur des p rincipes naturels (principia naruralia), que l'tude de la philosoph ieet ncessaire pour connatre ces principes-l et qu'elle permet d'viter l'alchimisted'accder la pratique tel un ne allant SOfl foin, c'est--dire sans com prhensionaucune 4 9 .Le Speculum alchimie attribu R oger Bacon tient le mm e type de dis-cours concernant les principes naturels 50 .Le statut auquel aspire l'alchimie est celui d'une science dont la mthode estl'induction fonde sur l'observation de faits particuliers et la dduction partir deprincipes universels, l'ensemb le tant bas sur les concepts et le langage prcis d'unsavoir transmis l'universit, qui est public et circule au niveau europen. Nousnous trouvons aux antipodes de tout ce qui caractrise une science occulte.Cependant, par suite des constats d'chec dans la production de l'or, les rapportsentre thorie et pratique furent remis en cause. Les philosophes universitaires ne per-svrent pas dans leur effort d'laboration d'une minralogie - l'exploitation mi-nire chute avec la crise qui s'amorce ds la fin du Xllle sicle - et de transforma-tion artificielle des mtaux. De leur ct, les auteurs des textes spcialiss dans lesquestions alchimiques tentrent d e rarticuler les rapports entre thorie et p ratique, en

    45 . Roger Bacon. De secre:i.r operibus artis et naturae, et de nullitate muiue, dans Fr. RogcriBacon Opus terti!rnr, d. Londres. 1859. p. 523.46 . Albert le Grand. De mineralibus, M. L 9.4 7 . Theatrunt chemicum, vol. 5, pp. 186-190 .4 8. Verae alchentjae art isque rnetallicae, cura aen,naza, doctrina.... Ble, 1561. pp. 188-224Pour le second. Arti. aur,ferae quant chemiant rocant. vol. I. Ble. 1593. pp. 361 sqq.4 9. Verae alchemiae.... pp. 207-221; Theatrum chernicum, II. pp. 385-406.50. Theatrum chernicum, Il, pp. 377-385.

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    LES RAPPORTS D'ANALOGIE ENTRE PHILOSOPHIE ET ALCHIMIE MDIVALES3partie en con tinuant se rfrer au cadre p hilosophique aristotlicien, qu'ils tendentet transforment notamment au moyen de conceptions stociennes de pneuma, en par-tic en attribuant une importance accrue d'autres modles cosmologiques grecs,com me celui des prsocratiques que transmet la Turba philosophorum. Mais, ce qui,dornavant, caractrise plus particulirement u ne p artie des crits alchimiques, c'estqu'ils se rfrent des hases pistmologiques diffrentes de celles en vigueur dans laphilosophie naturelle.O utre le fait que les alchimistes ne russirent pas tenir leurs prom esses quant la possibilit de fabriquer un or artificiel durable, des facteurs d'ordre plus gnral ontcontribu la crise dans le rapport entre tho rie et pratique. L'un d'entre eux rsidecertainement dans le fait que l'artisanat alchimique rpond une multitude de de-mandes et a, en ce sens, particulirement bien fonctionn (en comparaison avecd'autres domaines artisanaux, le nombre de recettes est lev et vari). Ds lors, onpeut supposer un excdent de donnes exprim entales par rapport aux thories dispo-nibles, qui fait paratre au grand jour l'arbitraire du rapport entre principes univer-saux et phnomnes particuliers. L'alchimie prsenterait donc un cas exemplaire dece qui pose problm e d'une m anire plus gnrale dans la science md ivale: le fossentre dm onstrations rationnelles et faits d'exprience.Com men t, dans ces conditions, apprhender et expliquer les faits d'observation,qui apparemment se soustraient la connaissance rationnelle et ne peuvent treramens des causes et principes universels? Une voie possible consiste adopterun po int de vue empiriste, com me c'est le cas pour la pharmacologie de la premiremo iti du X ill e sicle 51, et qui est vise par Richard l'Anglais quand il parle d'nes.Une seconde voie consiste se rfrer des mod es de connaissance diffrents, commeceux fonds sur l'intuition et la rvlation 5 2.Le problme qui se pose alors est de savoir quel statut attribuer aux causes, ouvertus, occultes, c'est--dire aux facteurs responsables de phnomnes qui ne peuven ttre ramens l'interaction manifeste des lments. Dans les textes de Thomasd'Aquin, d'Albert le Grand et de Roger Bacon consacrs ce problme, ces causessont en gnral considres comme des causes naturelles (y compris les causesclestes, c'est--dire les vertus mises par les astres) ou prrer-naturelles si ellesSont excep tionnelles 53. Mais il reste que toutes naturelles qu'elles soient, les vertusoccultes se soustraient en principe une exp lication dans le cadre aristotlicien de lascience 5 4 .De ce fait, le terrain est prpar pour leur attribuer un statut diffrent. Ceschangements peuvent tre observs dans les textes de la seconde phase dudveloppement de l'alchimie au Moyen ge.

    .51. Michael R. Mc Vaugh. Arnaldi de Villanova Opera ,nedica oninia Il. Aphorismi de gradibus,Granada, Barcelona, 1975, cf. 'introduction; Joie Agrimi, Chiara Crisciani, Edocere ,nedicos.Medicina scola,r:ica nei secoli XI!I . KV. Naples, 1988.52. Pour une discussion approfondie de ces problmes. cf . Joie Agrimi et Chiari Crisciani, 'Peruna ricerca su 'experimentum - experimenta': riflessione epistemologica e tradizione medica (secoliXIII-xv), dans Presenza dcl lessico grecs e latino nelle lingue conternporanee, Universita degli studi diMaccrata. Maccrata. 1990, pp. 9-49.53 . Thomas d'Aquin, De operationihus oeculiis narurae (Opera omnia, XLIII). Rome, 1976.54. Sur ce problme. cf. Keith Hutchinson. What happencd to Occuil Qualities in the ScientificRcvolulion7, Isis, 73(1982), pp. 233-253.

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    543ARBARA OI3RISTDs lors que sont admises comme valables des mthodes de connaissance fon-des sur l'intuition et la rvlation, le statut de la science alchimique elle-mmechange. S'amorce ainsi un m ouvement en direction de la conception "classique" del 'alchimie, celle d 'une science occulte, qui a pou r objet des vertus occultes dont laconnaissa nce ne procde qu'en partie de la mthode rationnelle. Et du fait de se posercomm e le dpositaire d'un savoir rvl, donc d'un sa voir qui n'est pas le rsultat duseul effort intellectuel huma in, elle dduit la nce ssit de l'occulter.Le b esoin d 'occultation de la part de l 'alchimie s'explique a vant tout par le sta-tut ambigu qu'elle occupe dans la socit du m oment o il devient patent que son orn'quivaut pas l'or vritable. C'es t la raison pour laquelle ses stratgies d 'occulta-tion ne se limitent pas aux m atires util iser dan s le but de sauvega rder le mono-pole de la fabrication d'un certain nombre de p roduits, mais s'tenden t ses thoriesmme, ainsi qu' leur rapport la pratique. En somme, il s'agit de camoufler unchec permanent. Au X[VC sicle, alchimiste et charlatan sont devenu syno-nyme s. Les doutes q uant la scien tificit de ce tte discipline, c'est--dire quant lavalidit de se s bases thoriques, lui valent de ne pa s russir durablemen t acqurir lestatut d'une d iscipline universitaire au mme titre que la mde cine, par exemple.

    Seconde phaseDans les textes alchimiques, la crise que connat le rapport entre thorie et pra-tique se rpercute d'abord dans une critique des rapports d'analogie tablis pralable-ment entre le cadre cosmologique aristotlicien et l 'alchimie; y sont mis en causesoit la n ature des relations ana logiques, soit les terme s de s relations. Ce type demise en question, ainsi que les tentatives de rponse correspondantes, se situent enprincipe aux confins de la science naturelle.La critique des relations vise les classifications qui reposen t sur des rapports d'a-nalogie, et soulvent le problme de la dlimitation des catgories. Le Lumen lumi-num, attribu Arnaud de Villeneuve, et souvent cit au XIVC sicle, peut servir

    d'exemple privilgi. Les insuccs dans la transmutation y sont expliqus par lenon-respect des frontires entre les rgnes minraux, vgtaux et animaux, c'est--dire par la confusion de rapports d'analogie avec d es rappo rts d'identit. Du m mecoup est rejet l'un des termes de l'analogie, le modle thorique d'origine jbirienneselon lequel les quatre lmen ts peuven t tre extraits par distil lation de toute sub -stance, qu'elle soit d'origine animale, vgtale ou minrale. D'aprs l'auteur duLumen luminum, i l importe de s'en tenir au rgne minral parce qu'une esp ce ap-partenan t celui-ci ne peu t tre produite sur la ba se de m atires provenan t d'uneautre. En outre, les quatre lmen ts n'existant qu' l 'tat de virtualit, i l est vain decroire pouvoir les identifier aux produits de distillation "s.

    55. Theatrurn chemkum, U!, p. 128: Scias charissime, quod in omni re crcata sub cacto suntquatuor elementa, non visu, scsi virtute. Unde nostri philosophi sub velamine scientiae ekmentorum,islam scicntiam tradiderunt: et opera sunt aliqui ad literam intelligentes, ex sanguine, capillos. OVLS,urina cl alus, ut ex iltis primo extraheruni quatuor clementa, et cum cix opus perficerent. scparando perdistillationem a praedictis primo aquam claram I . . . ] et breviter nihil inveniunt t...]. Et causa errorumillorum est, quia in indehita materia operati sunt: quia certum eu quod non generatur ex homme nisi

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    LES RAPPORTS D'ANALOGIE ENTRE PHILOSOPHIE ET ALCHIMIE MD IVALES5Pour viter la confusion entre catgories et pour contrer le modle jbirien, estalors raffirme la thorie de la continuit des espces 5 6 :'homme ne peut engendrer

    que l'homme, le cheval le cheval. De mme, seul le principe des mtaux, le mer-cure, peut tre la base du processus de gnration des m taux 57.Le rgne anim al continue donc constituer le dom aine privilgi pour procurerles analogies servant dm ontrer que les mtaux sont gnrs selon le principe dessemblables. De toute vidence, le m odle de la croissance anim ale s'avre le plus ef-ficace par rapport aux besoins des alchimistes: il permet non seulement d'affirmerl'unicit de l'espce des mtaux, mais encore de rendre compte de l'ensemble desopration artificielles.Les alchimistes cherchrent galement des modles dans d'autres domaines,comme celui de l'optique. Mais les analogies qu'ils en drivrent eurent nettementmoins de succs. Dans le De corporibus supercoelestihus par exemple, l'auteurs'appuie sur le De multiplicatione specieruni de Roger Bacon pour expliquer queseul le mercure est le principe des mtaux: tout agent naturel produit cc qui lui estsemblable, comm e lorsque les rayons du soleil produisent du feu par rfraction da nsune boule de cristal 58.D ans l'ensemble, la prolifration des m odles susceptibles de rendre compte dela transmutation alchimique caractrise les textes qui peuvent tre dats avec quelquecertitude de la fin du XlIlc sicle. Plutt que de soumettre une vritable critique lesmodles thoriques gnraux qui posent problm e - exception faite de celui de Jbir-' on leur en superpose d'autres. Le mme principe vaut pour les matiresutilises: la thorie des constituants matriels des mtaux, le soufre et le mercure,n'est jamais mise en question. la multiplication des modles thoriques cor-respond c elle des propositions pour les matires u tiliser.En dernier lieu, on ne rsout pas les problmes, mais on tente de surmonter leblocage pistmologique en ramenant les insuccs dans l'opration alchimique laquestion de l'incomprhen sion par les lecteurs des textes alchimiques. L e corrlat decette position consiste imputer une volont d'occultation aux auteurs. LeSpeculum alchimie par exemple, attribu Roger Bacon, dconseille, tout commele fait l'auteur du Lumen luminum, l'utilisation de substances autres que minrales etavertit le lecteur que si les philosophes ont parl de substances animales et vg-tales, ce n'tait que par similitude et p ar approxim ation .Dans le Lumen lumi-nuin, la science des lments est dclare n'tre qu'une couvetlure 60. Le modlecosmologique aristotlicien de hase celui de la transmutation des lments l'undans l'autre -, de mme que celui de Jhir, qui en constitue une application directe,homo, et ex equo nisi cquus. Cutri igitur ista materialia sunt a natura metallorum penitus aliena,impossibile est ex cis fieri gencrationein in metallis. quia non generantur nisi ex suis spermatibus [.1.Dictum est autem sperma metalinrum mercunius.56 . Pour ce principe dans la nature, et qui, ,dans un sens. vaut tgalernent pour l'art, cf.Mtaph ysique. 10 34a 21-10 34b 8. Pour sont application au xitie sicle. cf. Bert Hansen, Science andMagie , dans Science in lite Middle Ages. d. Fi C. Lindberg, Chicago, 1978, pp. 491-492.57. Arnaud de Villeneuve. lumen !u,n j num. Tlteatrum chem icum, III, p. 128.58. Thearrum chernicum, III. p. 268.59. Ibid.. If, pp. 377 . 385; cf. p. 379. Hortulanus. Rosorius minor, ibid.. p. 406.60.lhid., 111. p. 128.

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    56ARBARA OBRISTne se rvent plus infrer des donn es nouve lles ci expliquer le fonctionneme nt del 'art alchimique, mais finissent par remplir une fonction d'occultation.Le fait que les termes an alogiques devienne nt des mtaphores don t la fonctionconsiste dissimuler l'objet vritable du discours 6 1 , est caractristique de l'alchimiedans sa seconde phase de dveloppement, face laquelle la premire n'apparat quecomme un trs court prlude.L'autre tentative de rponse aux d ifficults pistmologiques es t en troit rapportavec la reconnaissance de l'alchimie comme science rvle et des modes de connais-sance correspondants. Elle consiste se doter d'un cadre cosmologique incluant lafois la sphre de la nature et la sphre de la surnature, ou du divin.Ce choix rpond ava nt tout au be soin accru de justifier la permane nce d es pro-

    duits. Or ce qui est permanent ou inchangeab le ne relve pas de la nature, qui est pardfinition la sphre du mouvement et du changement. Les arguments tirs de lascience de la nature sont donc jugs insuffisants pour dfendre le bien-fond des butsde l'activit alchimique. En plus, les dmon strations des sciences d e la na ture n'ontqu'un statut de probabilit 62. Mais l 'alchimie aspire se fonder sur des principesthoriques certains. La production de l'immuable et de l'inchangeable qu'elle vise estalors considre comme ne relevant pas uniquement de la nature, ni de la science dela nature, mais galement de la surnalure. Et, en accord avec ce choix, l'alchimie re-prend s on com pte un type de discours que la thologie applique au s urnaturel, ouau miraculeux. Dans ce dom aine, la certitude n 'est pas atteinte au moyen d e la m-thode rationne lle des scien ces de la na ture, mais par un acte de soum ission - de foi- une vrit d'origine divine rvle aux hommes. Dans l'Occident du X!IlCsicle, cette vrit concerne l'incarnation de D ieu et la rsurrection du Christ-hommeau terme de sa pa ssion, que l'acte eucharistique actualise toujours nouvea u.Le nou veau statut de l 'alchimie est expos da ns la Margarita preriosa novella(1330 /1340 ) du mdecin Petrus Bonus de Ferrare 6 3 .Celui-ci y explique que l'alchi-mie est en partie naturelle, en partie divine, ou au-dessus de la nature (supranaturarn), Est naturel tout ce qui concerne la projection de la pierre sur un mtalimparfait, de so rte qu'elle en fasse de l'or. Quant la gnration de la pierre, elle esten partie naturelle et en partie divine. La pierre produite par sublimation et aumoyen de l 'esprit est manifeste et relve du n aturel, car cette germination n 'estrien d'autre que la rduction (l'une chose se qu'elle ava it toujours t. En revanche ,la fixation de l'me et de l'esprit, rendant cette chose permane nte, relve du divin.Elle se fait au moyen d'une pierre occulte qui ne peut tre apprhende par les sens,mais seulement par l'intellect travers l'inspiration, ou la rvlation divine, oul 'enseignem ent du savant 64,La pierre occulte tant un don de dieu , Bonu s l'appe lle lapis divinus occul-rus. Et comme l'action de la pierre ne peut tre suffisam men t explique par la raison

    61. Par exemple. Jean dc Rupcscissa, De cort.s,clerario,ie quinlae esse,tuae. Rilc, 1597. p. 17.62. Voir par exemple, la prsentation de la Sum,na philosophiae (ca 1260-1270) par tienneGilson, Ij Philosophie mdivale, d., Paris, 1962, p. 494.63. Chiara Crisciani. Preziosa mar,Lar1za ,tove!la. Pietro Bono (la Ferrara. Florence, 1976 (pourune introduction et traduction italienne). Thearrum ehemicum. V. pp. 507.713.64. Theatrurn chemicum. vol. V. p. 580.

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    LES RAPPORTS D'ANALOGIE ENTRE PHILOSOPHIE' FT ALCHIMIE MDIVALES7naturelle (neque potesi assignari sufficiens ratio naturalis), de mme qu'elle nepeut tre comprise par l'intellect, il importe d'y croire, tout comme c'est le cas pourles choses d ivines miraculeuses, etc 6 5 .Bonus transpose sur l'alchimie un type de discours qu'utilisent les thologiensau sujet du vrai miraculeux: sont en principe considrs comme surnaturels seu-lement d es vnem ents et actes tels que la conce ption virginale et la transsubstantia-tion eucharistique. Les autres miracles sont classs non pas supra naturam, niaisprter naiurarn 6 7 . Mais, d'un autre ct, l'assimilation par les alchimistes du dis-cours sur le surnaturel ne revt pas un caractre aussi scandaleux qu'il y parat deprime abord q uand on garde l 'esprit l 'observation du Pre de Lubac, qui fait remar-quer que la distinction du naturel et du surnaturel tend remplacer, depuis saintThomas, des distinctions analogues entre terrestre et cleste. etc. 6 1 1 .ourBonus, le passage de l'tat du changeable l'inchangeable quivaut un passage dela sphre de la nature celle de la surnature; de ce fait, il relve du miraculeux. Enthologie, les loi-mules sur ce sujet abondent. D es affirmations prop os de la m ortet de la vie ternelle de l'homme, telle celle de Thomas d'Aquin par exemple, quel'homme meurt naturellement, mais qu'il ne peut tre conduit l'immortalit ex-cept d'une faon miraculeuse (nec ad immortalizaiem reduci porest nisi miracu-lose) 6 9 , se prtent bien des transpositions dan s le dom aine de la manipulation desmtaux.

    En accord avec ces dveloppem ents, les forces occultes de la pierre occulte dontne peut rendre com pte la dmarche rationnelle fonde sur la perception sensible, sontrelgues dans le domaine du miraculeux et du divin. Celui-ci est le domaine de lafoi qui se dfinit justemen t com me le fait de croire en la vrit des choses invisibles.Le recours au surnaturel permet donc l'alchimie de justifier sa production d'untat d'imm uabilit et de prennit qui se situe au-del du dom aine naturel rgi par leslois du mouv emen t et du changem ent. Le choix de com biner les discours relatifs lanature et la surnature dtermine le nouveau cadre cosmologique dont se dote l'al-chimie: au niveau cosmologique le plus gnral. le Dieu incarn devient le para-digme de la relation entre nature et surnature. Au niveau des tho ries spcifiques, lesmodles biologiques dont se sert l'alchimie, tels que ceux de la fcondation animaleet de la croissance du foetus, trouvent une prolongation dans l'au-del: si la crois-sance et la vie animale naturelle s'tendent jusqu' la mort, celle de la vie spirituellechrtienne, gage sur le sacrifice du C hrist, permet d'ajouter le thme de la rsurrec-tion et de la vie ternelle.L'application au travail de transmutation alchimique d e ce nouv eau m odle ana-logique incluant la fois la sphre de la nature et celle de la surnature est faite d'unemanire systmatique dans les Exempla alchimiques attribus Arnaud deV illeneuve. La date de cet crit ne peut tre dtermine av ec exactitude; il est cit par

    65. Ibid., pp. 580-583.66 . Henri de Lubac. Surnaturel. Eudes historiques. Paris, 1946, p. 359.67 . ibid., p. 397.68 . ibid., p. 398.69 . Ibid.

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    58ARBARA OI3RISTJean de Rupescissa vers le milieu du XiV e sicle'( ) . L'auteur y affirme que l'art al-chimique peut tre compris sur la base de la venue du Christ (secundum suumadventun potes: comprehendi) car ce dernier est l'exemple de toutes choses (Christus fuit exemplum omnium rerum). Les transformations de la matireprovoqu es par l'alchimiste sont conues par an alogie avec les souffrances du C hristhomme, ainsi qu'avec son ensevelissement. L'tat de permanence que l'alchimisteprtend produire est gag sur le dogm e de la transfiguration, de la rsurrection et de lavie ternelle. Ainsi que l'affirme l'auteur des Exempla; le Christ a souffert sur terreet est mont au ciel d'une manire visible et, de cc fait, il nous est donn, par sonpouvoir et par la grce, de rendre visible l'invisible, ainsi que d'administrer lanature 7 1 ,Par l'autorit biblique des prophtes peut tre prouve la vrit de l'artalchimique, tout comme c'est le cas pour le Christ qu'ils avaient annonc 72 . Lemodle christologique a donc l'immense avantage de prsenter non seulement leprincipe divin, mais une totalit englobant le divin et l'humain, ou le terrestre. Deplus, en moulant ses actions transformatrices sur le modle christologique,l'alchimie peut galement tirer profit de l'autorit de la Bible, laquelle contient lesrvlations d ivines relatives au C hrist.Les rfrences la surnature qu'on observe dans ces textes alchimiques semblentaller l 'encon tre du courant d'opinion gnral prvalant ds la fin du xin5 sicle, etqui tend sparer la philosophie de la nature de la science thologique 7 . En fait, latentative alchimique de raliser un tat de permanence et de perfection l'intrieur dela sphre de la nature s'insre de faon cohrente dans l'ensemble de la pense duXIlle sicle 74 . Ces tendances s'observent dans les domaines de la thologie aussibien que de la philosophie de la nature. Dans celui de la thologie, le quatrimeconcile du Latran, de 12 14, marque u n pas d cisif dans cette direction: y est affirmla prsence relle du Christ dans l'hostie. Par l'acte de transsubstantiation, le prtrechange la substance du pain en corps divin, cependant que, extrieurement, le painreste du pain 1 5 .L'acte de foi consiste donc croire en la prsence invisible du corpsglorieux du Christ car aucune dm onstration rationnelle n'est apte rendre compte decette ralit 76 .

    70 . Robert Hailcux, Les ouvrages alchimiques de Jean de Rupescissa., Histoire littraire de laFrance, XLI, Paris. 1981, pp. 291-284; cf. pp. 266-267.71 . L. Thomdike, AHistorv of Magic and Experimental Science, New York. 1934, vol. III. p. 77 .Venise. Bibliothque nationale Saint Marc. Ms. lai. VI, 214, fol. 164v . 168v (1472), Exe,npla in artephilosophorum. Je dois la transcription de ce texte indit Chiara Crisciani, Universit de Pavie.72 . Arnaud de Villeneuve, De lapide philosophorum, dans Opera, d. 1520. fol. 303v-3v.Thorndike, Histor.,'..., III. pp. 75-76 (traduction d'un passage). Cf. en oulc H. Birkhan, Die aichemis-usche Lehrdichtung des Gratheusfihius philo.sophi in end. V ind. 2372, V ienne, 1992, 2 vol.73 . P. Wilpert. ' ,Roethius von Dacien - Die Autonomie des Philosophen ., Beitrage zwnBerufsbewusst,sein des inittelalterlichen Menschen. d. P. Wilper*, Miscellanea mediaevalia, 3(1964),pp. 135-162.74 . Pour l'laboration des co ncept.s de continuit et de perman ence dans les domaines juridique etpolitique. voir E. Kantorowicz, Les deux corps du roi, trad. 1.-Ph. et N. Genet, Paris, 1989; cf. en parti-culier son analyse des conceptions du temps. pp. 200-213.75, Pour un texte alchimique du XV sicle prsentant la transmutation alchimique sous forme demesse. cf. Nicolas Melchior de Sibia. Processus euh forma mi,ssae (Theatrum chenticuin, Lii, pp. 758-761). R. Halleux, Les Textes alchimiques, pp. 142-143.76. De Lubac, Surnaturel, p. 277.

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    LES RAPPORTS D'ANALOGIE ENTRE PHILOSOPHIE ET ALCHIMIE MDIVALES9Dans le domaine de la philosophie de la nature, l'effort pour rapprocher lessphres de l'immuable et du changeable se traduit par la tentative rie mettre en brche

    la dichotomie aristotlicienne entre le ciel compos d'ther, qui est incorruptible, etla sphre de la nature don t les composants sont soum is la corruption p uisqu'il sontrgis par le mouvement des quatre lments. ce sujet, il est intressant de noterque ce n'est pas seulement l'alchimie qui puise ses arguments analogiques dans lacosmologie, mais que les spculations cosmologiques elles-mmes s'appuient, aumoins dans un cas, sur l'alchimie. Contre Aristote, Robert Grosseteste attribue unecomposition lmentaire aux astres, tout en rservant la constitution thre auxsphres. Cependant, il lui faut sauvegarder la doctrine de leur incorruptibilit s'ilveut viter de toucher la base mm e de la cosm ologie mdivale, qui repose juste-ment sur la sparation aristotlicienne entre ciel ci sphre sublunaire. Dans son Degeneratione stellarum (1217/20-1230), il procde donc la dmonstration del'incorruptibilit des toiles: si la quintessence, inchangeable en elle-mme, devientaltrable en s'abaissant vers les choses infrieures (per hurniliarionem ad inferiora),il devrait tre possible qu' l'inverse, ce qui est compos des quatre lments setransforme en quelque chose d'incorruptible. Par la sublimation, les docteurs enalchimie russissent bien rendre incorruptible ce qui ne l'tait pas auparavant 71 .Tand is que, dans le cas de G rosseteste, le philosophe s'approprie les thories al-chimiques pour son problm e cosm ologique, les alchimistes adopteront par la suite,toujours par voie d'analogie, le modle cosmo logique incluant le cinquim lm entpour justilier leurs prtentions fabriquer un produit capable de stabiliser l'quilibrelmentaire des corps mtalliques ou humains. Ainsi, le texte alchimique intitul Decorporibus supercoe!esri bus reprend l'argumentation de Grosseteste concernant lerapport entre les quatre lments et ta quintessence, mais en sens inverse. Alors quepour Grosseteste, les thories alchimiques servent d'argument analogique l'appuide sa thorie cosmologique, l'auteur anonyme du texte alchimique s'appuie sur lemodle cosmologique que dfend Grossetestc pour dvelopper la thorie des manipu-lations alchim iques visant l'isolation de la quintessence. Dans les deux cas, la sourceest un texte attribu H erms 18.Par la production de substances exem ptes de changem ent et possdant la vertu detransmettre quelque chose de leur inaltrabilit d'autres corps, l'alchimie cherche raliser matriellement un tat de permanence dans les confins de la nature. Demm e, en m decine, les recherches d'un lixir de vie (par exem ple, l 'or potable) s'in-tensifient clans la seconde moiti du Xllle sicle 7 9 . Les deux types de qutes,

    77. Ludwig Baur id., Die philo.sophischen Werke des Roberi Grosseteste, liisehofs von Lincoln(Beitrsge zut Gcschichte der Philosophie des Miutelaltcrs, IX). Mrinster. 1912, P. 36: 41cm supponuntdoctores akhimiae quod in unoquoque corpore naturali cl complexionato inesm quinta esscntia et est si-cul continens 4 elemenra, et secundurn quod est in corporibus, est permutabilis et alterabilis. Cuni ergoquinua essentia. quac est impermutabilis secundum se, sit permutabilis per humiliationem ad inferiora,quare eodem modo eu, quae permutabilia surit scundum se, non possunt fieri incorruptihilia per subli.matlonem. cum maius vit incorruptibite ficri corrupbile, quam corruptibile fieri incorrupmihiIe>?78 . T/reai,'urn ehemicum. III. p. 269.79. A. Paravicini Ragliani. Storia della scienza e stonia della mentalil. Ruggero Bacone,Bonifacio VIII e la teona della prolungalio vitae ',. dans Aspetti della let lerauJru l.atina ne! .recolo Xlii.Atti del primo Convengo internazionale di studi dcll'Associasione per il Medioevo e I'Umanesimolatini. Perugia, Florence, 1985. pp. 243-280.

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    603ARBARA OI3RISTalchimique et mdical, tendent se confondre dans la mesure o mtaux et animauxsont censs tre constitus de qualits lmentaires dont il s'agit de stabiliser lesrapports 80 .

    Le produit que dveloppe l'artisanat alchimique et pharmaceutique, et auquel ilattribue la vertu de prserver ou de rendre inaltrable, est l'alcool, '

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    LES RAPPORTS D'ANALOGIE ENTRE PHILOSOPHIE ET ALCHIMIE MDIVALES1Pour ce faire, il tablit une analogie partir de la relation entre les termes thercleste-quatre lments, ainsi que d'une caractristique commune l'ther et au terme

    recherch, l'incorruptibilit: il imp orte de chercher une cho se qui soit dans le m me rapp ort aux qualitscomposant notre corps que l'est le ciel aux quatre lments. Et les philo-sophes ont appel le ciel quintessence l'gard des quatre lments, car en soile ciel est incorruptible et imm uable et ne peut recevoir des em preintes ext-rieures except sur ordre divin. De la m m e faon se situe la chose que nousrecherchons l'gard des quatre qualits composant notre corps, et qui est laquintessence, incorruptible en elle-mme, non pas chaude et sche avec le feu,ni humide et froide avec l'eau, ni chaude et humide avec l'air, ni froide etsche avec la terre : mais la quintessence vaut pour les contraires ce que vautle ciel incorruptible qui, quand il y a ncessit, pntre quelquefois dans lesqualits humide, ou chaude, ou froide, ou sche. Ce passage constitue la rponse une objection faite par des adversaires, sa-voir que le principe vital se trouve en dehors de la sphre des quatre lments et quepar consquent, les mdecins, oprant dans les contins de celle-ci, ne peuvent y acc-der 8 9 . Pour Rupescissa, il s'agit donc bien d'une contre-partie sublunaire de l'ther,et non p as de la quintessence cleste elle-mme.Que cette substance ne Soit pas d'une composition lmentaire, Rupescissa ledmontre, outre par l'analogie de l'ther aristotlicien, par ce qu'il appelle despreuves ad oculum: elle n'est pas chaude et sche com me le feu, car elle refroidit cequi est chaud, et elle attnue et limine les affections chaudes, et ainsi de suite 90 .R upescissa semble driver la notion d'une contrepartie terrestre de l'ther direc-tement d'Aristote 9 ' qui, dans le domaine de la biologie, tablit une analogie entrel'ther cleste et la chaleur du semen animal, le pneumo. Issue d'un feu autre que lefeu naturel puisqu'elle gnre la vie, elle est une substance physique diffrente desquatre lments et constitue, de cc fait, l'analogon de l'ther cleste et divin:

    Donc la nature propre de toute espce d'me semble participer un corpsqui diffre de ce qu'on appelle les lments et qui est plus divin qu'eux [ ... ] Ily a toujours dans le sperm e ce qu i rend les semences fcond es, c'est--dire cequ'on app elle chaleur. Or cette chaleur n'est ni du feu n i une substance de cegenre, mais le pneuma emmagasin dans le sperme et dans l'cumeux, et la88. Ibid.: oportet rcni quaerere, quae sic se habcat respectu quatuor qualitatum, quibus composi-

    tum est corpus nostrum, sicut se habet caclum respectu quatuor ekrnentorurn. Philosophi aulem voca-verUnt caelum quintam essentiam, respectu quatuor elementoruin, quia in se caelum est incorruptibileet immutabile et non recipiens peregrinas impressiones. nisi tierct iussu Dei. Sic et res quam quaerimusest respectu quatuor qualitatum corporis nostri. quinta essentia, in se incorruptibilis sic facta, non calidasicca cum igrte, nec hutuida frigida cum aqua, nec calida humida cuni acre, nec frigda sicca cumterra: sed est esscnhia quinta. valens ad contraria, sicut cIum incorruptibile. quod, quando necesse est,influit qualitatem hurnidam, aliquando calidain, aliquando frigidam, aliquando siccam. '.89 . Ibid., pp. 15-16.90. De considerauone quinrae essen taie. pp. 17-18.91. Sur les longues an nes d 'tudes philosophiques de R upescissa Toulouse. cf. Halleux, .Lesouvrages alchimiques de Jean de Rupe scissa., pp. 250 -251.

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    62ARBARA OBRISInature inhrente ce pneuma et qui est analogue l'lment astral- C'estpourquoi le feu n'engendre aucun animal f ... ] Au contraire la chaleur solaire ale pouvoir d'engendrer ainsi que la chaleur animale, non seulement celle quise m anifeste par le sperme, m ais s'il se produit quelque autre rsidu naturel, ilne possde pas moins lui aussi un principe vital. 92

    Mais tous les prsupposs philosophiques inclus dans le modle cosmologiqueet biologique aristotlicien ne conviennent pas aux caractristiques et la fonctionqu'attribuent les alchimistes l'eau-de-vie.L'ther cleste aristotlicien assure la prennit du cosmos par le mouvementcirculaire qu'il transmet aux sphres infrieures et, de l, aux lments; de mme, lachaleur sminale est dcrite par Aristote d'abord comm e une source de mouvem entassurant la vie - la continuit - d'un tre anim. Or la substance dont disposentles alchimistes se distingue de l'ther et du pneuma aristotlicien par sa matrialitet par le fait que sa fonction principale est impute ses proprits spcifiques, etnon pas son mouvement. Bien au contraire, la quintessence terrestre est censebloquer le mou vem ent des qualits lm entaires entranant le changem ent, la gnra-tion et corruption, ou l'altration, des corps. R upescissa se proccupe avant tout desfonctions prservatrices de la quintessence (les expressions sont : servare,conservare, perperuare in esse 93 ).en somme de la nature en tant que principe derepos plutt que source de mouvem ent 94.Cette quintessence est le ciel hum ain que cra le trs H aut afin de conserverles quatre qualits du corps humain, tout comme il a cr le ciel pour laconservation de l'univers entier 95.

    Dans ce dernier passage, Rupescissa dduit de la correspondance entre macro- etmicrocosme l'existence d'une quintessence propre la sphre de la nature: s'il y aciel cleste pour le macrocosme, il y a ciel humain pour le microcosme. Cependant.en dernier lieu, cet auteur ne se contente pas de ce type de dm onstration pour prou-ver l'existence d'une quintessence d ans la nature, mais a recou rs la volont d ivine:c'est Dieu qui a confr la nature une vertu, une source de vie, afin que l'hommepuisse l'exploiter au moyen de son art 96Pou r dterminer la nature exacte du rapport entre la substance alcoolique incor-ruptible et le corps corruptible, le modle cosmologique aristotlicien dans son ac-ception stricte est d'une utilit limite. En tant que substance, l'ther aristotlicienest radicalemen t spar de la sphre des lm ents, tandis que la fonction de la quin-tessence terrestre consiste transmettre quelque chose de sa proprit principale, l'in-corruptibilit. ce quoi elle est relie ou mlange. Aussi. Rupescissa ne dcrit-il92. De la gnration des animaux. 736h 30 .sqq. (d., trad.. P. Louis, Paris, 1961, mais nous avonsrtabli le terme "pneuma", que P. Louis traduit par "gaz"). En plus des analyses accompagnant la

    traduction anglaise du texte par A. L. Peck (Cambridge, etc., 1942; 990), cf. son The ConnatePneu m a,. dans E.ssavs in Honor ci! Charles Singer, vol. I, pp. 111-121.93. Ibid.. pp. 12. 17.94. Cf. Aristote. Ph y sique. 192h 14.95 . Ibid.. P. LB.96 . Ibid.. pp. 12. 17.

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    LES RAPPORTS D'ANALOGUE ENTRE PHILOSOPHIE ET ALCHIMIE MDIVALES3pas le rapport dans des termes de propagation de mouvement, mais par rfrence des notion astrologiques impliquant l'ide d'effluves de nature plus ou moins mat-rielle. Ainsi, il modifie le rapport entre ciel et terre scion des conceptions astrolo-giques - comme cela se faisait par ailleurs couramment -, en affirmant que le ciel incorruptible pntre parl)is dans les qualits... . Quand il s'agit de poser unecontrepartie terrestre au soleil, le noyau de l'argumentation repose galement surAristote lui-mme, pour lequel le soleil (et les toiles en gnral) produisent, parleur mouvement circulaire, de la chaleur dans l'air et sur terre, o elle a le pouvoird'engendrer ainsi que la chaleur animale .

    De mme que ce n'est pas par sa seule action que le ciel suprme prserve lemonde et y transmet des effets merveilleux, mais agit par la force du soleil etdes autres toiles, de mme, ce ciel-ci, la quintessence, dsire se pourvoir d'unsoleil merveilleux,,, 98, et ainsi de suite.

    Dans l'ensemble, les modifications que porte Rupescissa aux conceptions cos-mologiques aristotliciennes en posant une quintessence matrielle diffuse dans lanature et en lui attribuant une fonction prservatrice, le rapprochent (les conceptionsstociennes de pncuma, vhicules avant tout par la littrature mdicale galnique 99.Les fonctions de ce type de pneuma, un mlange d'air et de feu, sont multiples, cellequi consiste gnrer la vie et la prserver n'en tant qu'une parmi d'autres. Dansles corps inanims, il confre simplement la cohsion. Surtout, dans les domainesmdical et alchimique, la conception stocienne de pneuma permet de poser desconstituants matriels sur lesquels l'artisan agit. Incidemment, le problme de savoirs'il s'agit de rapports (l'analogie OU d'identit, se pose nouveau. Si, pourRupescissa, le rapport entre l'ther aristotlicien et sa quintessence est avant tout unrapport d'analogie, ceci n'exclut pas, chez d'autres auteurs, des dveloppements dansle sens d'une identit 1w .Dans ce cas, l'ther s'infiltre un peu dans le monde sublu-naire.

    Les ouvrages du XlVesicle sur la quintessence constituent une partie impor-tante du corpus d'crits alchimiques de la fin du Moyen Age. Si chez Rupescissa lemodle cosmologique reste confin dans le cadre de la physique aristotlicienne, lestentatives consistant rendre immanent un principe non destructible comme l'therprparent le chemin pour sa divinisation et se prtent facilement des laborationsthologiques ultrieures.

    97 . De la gnration des animaux. 737a 3. Il est dans la nature du mouvement de produire de lachaleur et le feu (De caelo. 289a 20 . 289a 35).

    98. De con.tiderazione quinrae 5.5v enlias, eh. III p. 18 Et sicut caelum summum non influit solumper se conservationem in mundo et influentias miras, sed per virtutem salis et aliarum stallarum: sic etcaelum istud, quinta essentia vult omari sole mirabili [.1 . Cet aspect mriterait une analyse dtail-le. Cf. R. Huileux. ' Les ouvrages alchimiques de Jean de Rupescissa. p. 253.99. Cf. Taylor, 1953, p- 249. Pour une premire esquisse de la place du stocisme dans la physiquemdivale, mais sans analyse des textes mdicaux, M. Lapidge. The Stoic Inhcrilance . dans AHisforv of Twelfzh Century Phila.rophv, P. Dronke d., Cam bridge, etc.. 1988, pp. 99-112.1 0 0 . Le travail d'identification entre l'ther aristotlicien et le pneuma avait t accompli par lestocisme mm e, en tout cas d'aprs ses d tracteurs et vulgarisateurs. Cf. S. Sambursky, lime Ph y sics ofshe S:oics, pp. 5, 34, 120. David E. Hahin, The O rigin.s of Stoic Co.smologv, Columbus, Ohio, 1977, pp.92 sqq.

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    64ARBARA OBRISTDans l 'ensem ble, les transpositions a nalogiques entre modles cos mologiquesgnraux et alchimie, entre domaines particuliers, biologique et minral, formentune constan te dans les laborations thoriques de la part des alchimistes. Mais la na-ture de ces rapports varie considrab lemen t selon les auteurs et les diffrents genresde textes. De plus, dans une grande partie de la littrature d rivant des textes alchi-miques m ajeurs, ils ne s ont gure explicits ou alors prsents par des raccourcis, desorte qu'il est difficile de percevoir la nature exacte du modle philosophique sous-ja-cent aux a ssertions mtaphoriques.

    Barbant OBRISTCNRS, Strasbourg