Les rangs du pouvoir. Régimes de préséances et bureaucratie d'Etat dans la France des XIXe et XXe...

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Chapitrc 13 LES RANGS DU POUVOIR Régimes de préséances et bureaucratie d'Êtat dans la France des XIXe et XX e siècles Olivier Ihl Étrange classification, celle qui en France rixe l'ordre hi émrchique des positions de pouvoir. Rangée sous une rubrique ulIstère, le "droit des préséances", elle ne suscite qu'une attention dédaigneuse. Comment ne pas juger frivole la question des honneurs u Hachés aux mngs et aux fonctions? Simple notification décomtive, cst- il rétorqué, maniérisme puéril hérité d' un passé que personne n'ose pilis s'abaisser à congédier. Après cinq années d'intenses tractations, un nou veau code relatif aux cérémonies publiques, préséances, honneurs ci vils et militaires a été adopté par décret le 13 septembre 1989. Une rdonte qui a confirmé la mauvaise presse dont jouit en France le régime des préséances. Pour les uns, il viendrait consacrer une "nouvelle hiérarchie des vanités"l. Composé de "règles délicieusement surannées", il aurait pour objet des "susceptibilités froissées" et des "rancoeurs picrocholines"2. Pour d'autres, ce "toilettage" répondait à ull e question insignifiante: "qui passe avant qui et pourquoi ?"3 od cnc ore "comment remettre à leur place les petits culonés qui passent tou jours devant"4. Les auteurs de la réforme ne sont pas étrangers à l. "Protocole : la v. lse des 6t;quel.t es ". Le Fi,a,o. 15 . c:ptanbre 1989. Je tiens il remerder I .cqu"" Chevallier p<>ur u lectu'" d'une pl'Wlièn: v.",ion de ce tu,,". 2. "Les 0'" de la R6puhlique Ile r:av,vent'\ La CTOix. 16 '''Ptemb.., 1989. 3. "1.. R6publique change ';tiquellc", Le Monde , 16 o er,emb", 1989. 4. "Protocole : le p<>id. d ... fonc'ion., 10 clJoc de. amb,'ion . ... Uhiralion, 11 .e ptembno 1'18 9. 233 ,1 .. 1

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Chapitrc 13

LES RANGS DU POUVOIR

Régimes de préséances et bureaucratie d'Êtat dans la France des XIXe et XXe siècles

Olivier Ihl

Étrange classification, celle qui en France rixe l'ordre hiémrchique des positions de pouvoir. Rangée sous une rubrique ulIstère, le "droit des préséances", elle ne suscite qu'une attention dédaigneuse. Comment ne pas juger frivole la question des honneurs uHachés aux mngs et aux fonctions? Simple notification décomtive, cst-il rétorqué, maniérisme puéril hérité d'un passé que personne n'ose pilis s'abaisser à congédier. Après cinq années d'intenses tractations, un nouveau code relatif aux cérémonies publiques, préséances, honneurs ci vils et militaires a été adopté par décret le 13 septembre 1989. Une rdonte qui a confirmé la mauvaise presse dont jouit en France le rég ime des préséances. Pour les uns, il viendrait consacrer une "nouvelle hiérarchie des vanités"l. Composé de "règles délicieusement surannées", il aurait pour objet des "susceptibilités froissées" et des "rancoeurs picrocholines"2. Pour d'autres, ce "toilettage" répondait à ulle question insignifiante: "qui passe avant qui et pourquoi ?"3 od cncore "comment remettre à leur place les petits culonés qui passent toujours devant"4. Les auteurs de la réforme ne sont pas étrangers à

l. "Protocole : la v. lse des 6t;quel.tes". Le Fi,a,o. 15 . c:ptanbre 1989. Je tiens il remerder I.cqu"" Chevallie r p<>ur u lectu'" d'une pl'Wlièn: v.",ion de ce tu,,".

2. "Les 0'" de la R6puhlique Ile r:av,vent'\ La CTOix. 16 '''Ptemb.., 1989. 3. "1.. R6publique change d·';tiquellc", Le Monde , 16 oer,emb", 1989. 4. "Protocole : le p<>id. d ... fonc'ion., 10 clJoc de. amb,'ion . ... Uhiralion, 11 .eptembno

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celte manière de voir. À les écouter, il n'y aurait en la matière que ~règles de politesse", "apprentissage de bonnes manières", moyen ingénieux d'éviter "incidents et bousculades"5.

Peut-on réellement se contenter d'une telle lecture ? La réglementation des préséances recouvre un phénomène plus essentiel qu'on ne le dit, peut-être même plus important qu'on ne le croit. Au XVIIe siècle. le juriste Jean Domat en a énoncé le principe cardinal. L'utilité des préséances tiendrait à la rationalisation de l'incertitude: "II est de l'ordre public de la société que rien n'y soit en désordre. et c'en serait un qui serait suivi de plusieurs inconvénients. si les membres qui le composent n'avaient pas leurs places réglées et qu'en chaque occasion du concours de plusieurs personnes, soit pour des séances. soit pour des marches ou autrement, il fallut confondre les rangs. ou faire perdre le temps de ceux qui devraient ranger les pcrso!1nes, à régler ce qui serait dans l'incertilude"6. Prévenir le désordre, arbitrer les ambitions. solisfaire le souci de distinction: tels sont les principaux traits de ce qui fonne a lors un rite d'incorporation au pouvoi r monarchique 7• Hommage rendu à la fidélité. le prolOCole consacre les dignités: celles de la lignée et de la bravoure. Suspendu aux caprices de la grace royale, il vient stimuler un marché de la faveur où le roi est à la fois juge ct parties.

Avec la Révolution française. en revanche. l'ordre des préséances s'autonomise. Appuyé sur la règle de droit. il se spécialise pour ne plus concerner que les positions publiques d'autorité. Ce faisant, la notion d'étiquette rompt avec la logique patrimoniale d'Ancien Régime. Elle prend désormais un tout autre visage. Son but n'cst plus seulement de renforcer le pouvoir d'un homme ou de conforter les privilèges de 13 naissance mais de mettre en forme un ~style d'autorité bureaucratique", Un mode de coereition susceptible de favoriser un type impersonnel de contrOle sur et entre les divers corps de fonctionnaires. On l'aura compris : ce que raconte la codification des préséances. c'est la transformation d'une administration palrimoniale en une bureaucratie de fonctionn.1ires.

S. J. Oondouin. "l,.o rtr'}nnc du pltllocolc". f.I~8"rds ..... ' r"",,,,,Ii". 156, df<;e;nb,.., 1989. 6. Droi' publi(;, Pari., r:.dilion Rm.~, 1829,1. IX, 3. Domal, apob . voir .uigno! le premi.r

l'In8 .u cle ... ~. dlvi ... i! les loIques en huil ordres: le. milillli,.., • • le. min;'t,..,. et ~~ 'lue le Prince h<HlOre d.nl .on conK il. lei magil tl'l'" et off",;e .. jll<!iciaires, les officie .. des f",'ncet, lei p,,,,,onnes profus",,! 1 ... cienee, ct lu. a rt. lib.!l'Iu~, le. commerçants, l~s "",vrie ... et .rti ... ",. les eulliv.leurs et 1 ... bergers.

7. Sur ce point, vuir l'ouvl'lilc injoSltment m~connu d'Alfred Franklin, LA ciyiJjr~. N riq"'/I •. /" mo,le . le bo~ 10~ du XIIIe"" X1Xe s,·ù/e. Poori., E. Paul. 1908.

S. Sur l'Impo /laf1Çc dtll ran8' cl de. di,linction, ao XVIIe .~ç\e. on con"oh ..... IÇI lravau1 de H. Bltlcher, Le ,,,n, ~, Nn"qudl. '0""' l'Ancitn R~gi"'t. Paris, F. Alean, 1934; N. Eli •• , L" 6ocil,~ de COIO" Pari . , Clim.nn UV!' 1975 c, plus récemment J. Reve!. "La cnur", dan. P. No", (dir.), Lei li'l« rI~ ",~moirc, vol. n ,Lu F'''/lCe. \l'me 2. TmdiliOM. Pari., G.mmlru, 1992. p.129-193.

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Pour Max Weber, on le sait, les caractéristiques de la hureaucratie sont au nombre de trois : la présence de droits et obligations attachés à la. fonction el non à la personne; l'existence d'une hiérarchie organisée par des règles impersonnelles, écrites et légales ; la mise en oeuvre de compétences tec hniques et juridic tionnelles9. Conçu comme un processus de rationalisation autant que comme une structure d'autorité, ce modèle répond à des exigences d'efficacité. Il se manifeste, comme l'a bien vu Roben Merton. par un double impératif: une régularité de comportement e t un fort degré de confonnité aux actions prescriteslO• Mais par quels moyens matériels de gcstiOfl s'est-il imposé? Scion quelles procédures de mobilisation et de régulation? L'une de ces logiques a précisément été la mise en rangs de. .. positions d'autorité_ CeUe-ci s'est opérée grâce au monopole légal que se sont arrogés les pouvoirs publics sur les "prérogat ives d'honneur", aussi bien les droits à la préséance que les honneurs civi ls ct militaires ou les distinctions honorifiques. Je ne m'attacherai ici qu'à la première de ces marques distinctives: celle qui, en magnifiant la hiérarchie des fonctions d'autorité, orchestre un formidable développement de l'''esprit de corps".

En jetant les bases d'une polarisation en différents échelons, places, classes. rangs, les préséances rendent visiblçs la structure du pouvoir. Du même coup, elles favorisent un sens de la distinclion qui joue comme un puissant moyen de contrôle. La mise en rangs de la hureaucratie mais au delà ceUe des pouvoirs publics sert donc plus que de parure au politique: elle en fail voir et vivre J'é loquente majesté. C e.,>t la raison pour laquelle la réglementation des préséances me parait cruciale si l'on veut comprendre sur quelles dynamiques s'est construite ta bureaucratie d 'État. Trois d'entre e lles retiendront particulièremellt ,'attention:

_ le passage d 'un État-personne à un État conçu comme la I)COpr iété collective d'un être collectif : c'est l'his toire de la dépersonnalisation de l'appareil administratif

_ le développement d'une loyauté professionnelle imposée par des contraimcs d'un genre 1l000VeaU, des incitations formelles capables de sanctionner tou te confusion des rôles: c'est la constitution d'un ('Ihos bureaucratique

- enfm l'intégration des différents segments administratifs à un schéma institutionnel défini par réféccnce à un centre exerçant une emprise absolue. Or, fait intéressant: celte centralité s'cst cOnSLrUile. en France, comme une position de surplomb. dans une hauteur, mieux ulle "grandeur" productrice de dépendance et de m41jcslé.

9. M. Wel>t::r. É~o""mie ~l Soci"~, P.ris, l'Ion, 1971, p. 226. 10. R.K. M.rton, Éléme,,1,t M lh~od~ ~r de mJlhode sociotoglqut , Vori., Plon. 1965,

l ' . 196.

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UN PRIVILÈGE D'ÉTAT

Le protocole a depuis longtemps mauvaise réputation. Le XVIIIe siècle, plus que d'autres, en a raillé les faux-se mblants. "Farfadet capricieux" aux yeux d'un Mercier, cette police de J'étiquette serail une maîtresse exigeante, celle d'une société d'ordres, obnubilée par les distinctions en tout genre ll , Responsable pour Duclos d'une "fierté de dupes", clle serait l'expression du hasard el non du mérite. Aussi, réglant les devoirs extérieurs des "hommes d'Étal", cc carrousel des honneurs passe pour celui du déshonneur. C'est l'opinion de François de Neufchateau: réservée aux dignités de cour. la préséance sc révèle indigne des peI"SOnncs qui CIl reconduisent le cérémonial car ce spectacle n'csi autre que celui de leur orgueil et de leur servilité. Convaincus de la nocivité du protocole monarchique . les révolutionnaires n'ont pas hésité à en supprimer la plus grande part, notamment l'étiquette du Palais ct le cérémonial diplomatique. À leurs yeult, il ne pouvait y avoir pire manifestation de la tyrannie du trOne que ce commerce débridé des places et des manières. Non seulement parce qu'il contredisait la revendication d'une égalité formelle entre les hommesl2 mais parce qu'il était devenu inutile dès lors que la noblesse n'eltis tait plus 13 . La préséance administrative devait . elle. être conservée mais sur des bases largement renouvelées.

Une ostentation légale et rationnelle

Soumise à l'ac tion des assemblées, dépourvue d'attribution réglementaire, l'administration avait pour les révolutionnaires une vocation particulière: chasser le spectre d'un exécutif despolique. Le résultat fut spectaculaire. La confusion des pouvoirs entre corps administratifs et judiciaires, l'indépendance des administrateurs détenteurs de leurs Moffices", l'enchevetrement des règle." et fonctions:

Il. Il rallail. comme ."''<IUe Dufon <k o.cvcmy. IIflC mise ouinc...., pour mi\lle 1'f1iqueue : pour l'enlrfc dll comlc <k K. unitz, il dQI commander ~di . habiu de l"'l'fe plonn& SUr 101i1e. les ... iUes. dot plon& du plus Brand rnodMe .\lfe dc. valu rouget! plonn60 '" .. Bou",o&"e en a'lent, dCI cbpeooua ~oonnes galonn60 en r"!_ en manille ~ point. d'Esp"p>e~ un ~rier immenM pour le SuiaR. Le c:aparaçon de . .. cheyaua hama,. en CUir de R .... 'e. I,,,de. cl rvNttes en soie lui cou ... it di. mille li"Ie'~, Lu i"jroducl~UTS des "",,,.,~otk .. r, lW-l 900. Pari_, F~lia Ak&rl, 1901. p. 60. . •

12. SUI C~ """ntimentali .m~ ~~i .. ile", Ynir D. J. Denby. S~nu",~(1/(l1 NO,r(""f o.M/1Ie $tH:ial O,J., i~ F,of\C~ 1760-M2O, 1994, Cambridge, CIltrIbriJge Universily PreN. p. 139 "'1.

13. Rl pp<llnnJ que depuis 1789 1. nobleue comme ordle n'. Jlmli . lepl"'. 1:­Re$lau",linn, comme l'. montr~ Adeline Dlum.rd. inyentc", de nouveaux nnbl Cl. 1. Monorcl\\e de JuiUet el ln deux empire. de nouv.I Ull;t!U. Lo noblesse, cUe. a". ;1 e.a5~ d'uioler ou nc . u .... init, lU mieu •• que oou. II formc d"'une diatinclion honorifique anlchl. l un ~om" ("Noblcue et .rioto<",'ie en l ' rance au XIX • • i~Ie". lAs ""bk:rs~l ~uropün,." 0" XIX' "icI.. Pon.. &ole r",,,,,ai, e de Rnm., 19&8).

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lout ceci ne fut bientôt plus qu'un souvenir. À leur place. une institution nouvelle que les Constituants comme les Conventionnels voulaient uniforme sur tout le territoire nalional 14 • Il s'agissait d'instituer une structure d'autorité distincte des relations d'ascendance sociale, notamment du clergé e t de la noblesse d'épée . Pour autant, l'image très négative de l'Administration propagée sous la Révolution n'incitait guère à accroître sa puissance d'action, Présenté comme l'ennemi du Législateur. le pouvoir des bureaux allait être encadré, confiné, surveillé. Jusqu'au Directoire. il fut combattu au Ilom d'une définition intransigeante des libertés civiques. D'où les réticences à le pourvoir de signes de majesté. Le souci de rationaliser l'appareil d'État ne déboucha, en matière d'honneurs publics, que sur une série de lelttes embryonnaires.

Le premier d'entre eux est la loi du 30 décembre 1789 : les administrations de département ct de district. les corps munic ipaux s'y voient reconnaître. lors des cérémonies publiques organisées sur leur terri toire. la préséance sur les officiers ou les corps civils ct militaires. Mani~re de lier la légitimité du pouvoir central au prestige de circonscriptions décentralisées. L'instruction du 20 août 1790 fixe. clic. la hiérarchie des autorités administratives: elle donne la préséance à l'administration départementale sur celle du district et à cette dernière sur l'administration municipale. Enfin, la loi du 20 avril 1790 règle les rangs entre les autorités municipales: le maire, puis les officiers municipaux. ensuite le procureur de la commune ct ses substituts. les greffiers e lles trésoriers. Que conclure d'un tel système sillOn qu'il Lire sa cohérence de la nature des focmes d 'autorité que ses prescriptions rassemblent et hiérarchisent tout li. la fois. Si l'administration en occupe le sommet. c'est comme l'explique Aeurigeon, parce que son pouvoir s 'étend sur tous les citoyens et que son action s'avère indépendante de leur volonté. De sorte que "veillant constamment sur tous et pour tous". l'administration jouit de la préséance absolue. Vient ensuite le pouvoir judiciaire dont les fonctions passent pour "éventuelles" car elles peuvent être annulées par le recours des particuliers. Enfin, le pouvoir militaire fenne le ban : subordonné ault autorités civiles. il est réputé ne "commander qu'aux mi litaires"lS. Mais celte structure pyrJ.JTlidale ne dispose pas pour autant d'autonomie organique ou fonctionnelle. Affaiblie. éclatée. e lle demeure entravée, d'un côté par la légitimilé des mandaiS é lectomux, de l'aulte par la liberté des com munautés territoriales.

14. Cent conception de la fonclion .dmlnl ll"'ti~c Se relrouve dan. l'in~lruclinn du S janvier 1790 : "L'ÉIII c Ol WI. 1 ... Mp"ncmcnll ne l unl que de< . ections du même 10UI. une adminisl",tion unifonne doit donc le. cnlb", .. er tous dl n. un régime ""mmun", ATC~ivtl parl~m~nla;ru, tome Il, p. 203.

IS. Cotk odmi,unro.lif, \.orne 2. 3ème Pl rtie, Pa ria, VllIde, 1806, p. lOIS.

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Au bout de quelques années cependant. une reprise en main s'opère , Le Consulat. puis l'Empire s'attellent à faire de l'administration un appareil à la fois centralisé et assujetti à des règles communes. L'obéissance devient alors le maître mot pour un système administratif qui se définit comme "l'agence des communications réciproques entre la volonté publique ct les intérêts particuliers" . Par cette formule. Rocderer fixait un nouvel horizon au pouvoir bureaucraLique, celui de "procurer l'action" : "Instruction. impulsion. direction. inspection, surveillance, sanction des proposiLions utiles. contrôle des actes suspects. censure, réfonnation. redressement . punition , voilà les fonctions que suppose cette partie de l'administration que l'on peut appeler procuraLion d'actionnl6• Une Ilche qui impliquait d'encadrer les conduites par des procédures nouvelles. C'est le sens du réaménagement napoléonien du code des préséances.

Un dressage institutionnel

Déterminer les rangs des fonctionnaires, fixer la marche et le placement des autorités dans les cérémonies publiques. subordonner les corps les uns aux autres: n'était-cc pas réaliser le projet panoptique qui est au fondement de la centralisation bureaucratique. celui de "pouvoir embmsser d'un coup d'ocil tous les rouages de la machine, en suivre tous les ressorts, précipiter l'acLion des uns, ralentir celle des autres, faire en sorte en un mot que toutes les parties du tout soient sans cesse en harmonie les uncs avec les autres"17 ? L'augmentation du nombre des agents 18 et surtout le nouveau statut conféré aux employés et commis, autrefois librement salariés par leurs chefs et dorénavan t placés sous 1;1 mainmise des assemblées. offraienl, il est vrai. de nouvelles opportunités. Élllliséc, la gestion du personnel administratif rendait possible l'avènement de la figure moderne du fonctionnaire lll , Celle-ci .se réalisa dans la haute fonction publique par un amalgame entre les élites d'Ancien Régime et la nouvelle noblesse d'Empire. Le développement des grands corps administratifs pennîl de rallier à l'Empereur les restes de l'aristocratie comme les forces SOCÎales confortées par la Révolution ell donnanl le jour ~ une véritab le bureaocraLie d'État.

16. ILrd,ivu P''''f~ltn/(''·~s. J60 llce du 18 plu.in.e on Vlll, 2è",e .~ri~, l, p. 170. 17. flourige<>n. C"d~ ad",,-,,,'lIr,, /;/, to",. l, "f' c;, .. ! . ,. 18. A ce prop,,", ~oir C. II . Chu~h, R~"o l"/I"" 'u, R~d Tap~. The French M;'';J1eri,,1

8"reaucrllC}' 1770-/850, o~rord, Clorendon Preu, 1981, p. 85 . q. Ill. A.-M. P.laull, '"la orilin ... !'\\volulion n.imr d. Jo fonction publique : de ]".lnplo}'~.u

{ondionn. i,.", Re.ut hillorlql'fl <k ilroi, fro""lis ~/ ilranla, 1986. nOlommeol p. )89 .q.

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Tableau 1 : Prendre rang et messidor an XII (13 juillet

Avec rang individuel :

t ° Les princes français 2° Les grands dignitaiI-es JO Les cardinaux 4° Les ministres 5° Les grands officiers de l'Empire 6° Les sénateurs dans leur

sé nalorie 7° Les conseillers d~tat en

mission 8° Les grands officiers de la

Légion d'honneur 9° Les généraux de division dans

l'arrondissement de leur commandement

10° Les premiers présidenls des cours d'appel

11 ° Les archevêques 12° Le président du collège

é lectoral du département IJo Les préfels

14° Les présidents des cours de justice criminelle

15° Les généraux de brigade commandant un département

16° Les évêques 17° Les commissaires généraux de

police 18° Le président du collège

é lectoral d 'arrondissement 19° Les sous-préfets

20° Les présidents des tribunaux de première instllnce

21 ° Le président du tribunal de commerce

22° Les maires

23° Les commandanls d'annes

24° Les présidents de consistoire

séance li Paris selon le décret de ]804)

Avec rang de corps:

1° Le Sénal 2° Le Conseil d'État JO Le corps légis lati f 4° Le tribunat 5° La cour de clISsation 6° Les membres des cours d'appel

7<> Les orficicrs de l'étaHnajor de division

8° Les mcmbres des cours c rimin e lle s

9° Lcs conscils de préfecture

10° Les membres des lribunaux dc prcmière in sta nce

11 0 Le corps municipal 12° Les officiers de l'élut-major de

la place 13° Les membres du tribunal de

co mmer ce 14° Le~ jugcs de pHU

15° Les commissaires de police

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Mais pour s'attacher la fidélité de cet ensemble hétéroclite. il restait à proposer une rémunération appropriée. Un salaire qui ne coûta rien à l'Élal mais que lui seul put dispenser : les gratifications d'honneur. D'où le rétablissement des titres nobiliaires20• D'où aussi le fasle retrouvé des costumes ou la création de la Ugion d'Honneur. D'où. enfin ct surtout. la fixation d'une distinction statutaire liée aux modes"lle répartition des corps dans l'espace public : les préséances civiles et militaircs21•

Le principe général du décret de messidor est de lier les places d'honneur à l'étendue du territoire sur lequel s'exercent les attributions bureaucratiques. D'où un véritable tableau synoptique des positions de pouvoir. un "ordre de préséances H où il est aisé de constater le rôle prééminent des instilutions militaires. religieuses et policières. Ainsi. aucun rang n'cst accordé aux mandataires élus. ni au~ recteurs. Le préfet. lui-même, pourtant agent direct de l'État, est relégué derrière les généraux de division ou les présidents des cours d'appel. Passons du contenu à la structure de cette ambitieuse classification. Deux divisions "organisent : d'un côté les rangs individuels, ceux des hauts fonctionnaires et à leur suite les chefs des corps civils et militaires; de l'autre . les rangs des corps de l' État et des pouvoirs publics : ces derniers emboîtent le pas de la dernière personne à qui a été reconnue une préséance individuelle et n'ont rang et séance qu'aux cérémonies où l'Empereur les a s~cialement convoqués. Les hiérarchies à l'intérieur de ces corps sont détemlinécs par les dispositions organiques de chaque service22 • À signaler qu'en aucun cas le rang attribué à un corps n'appartient individuellement aux membres qui le composent. Le jeu des distinc tions honorifiques est purement fonctionnel. Et si le corps ou le fonctionnaire. auteur de l'invit::ttion, conserve sa pl::tCc habituelk!, les personnes exerçant par intérim ou en l'absence du titulaire, soit un

20. LlimpcfCU' cherçha ~ meure 15011 pn:>r" k, Ctlnnaissanœs de Mme de Genlis 1 propol de •• ru::;~ ........ ~os de la Cour. En khanse de 5011 aide pour n! .. blir l'Eti<plene dans 50n pn:>pre entourlSc, il lu, orrrii U/lf pcnsion fi un logemenl ~ l..o hibiiolh&J.uc de rArsenal. Mme de Genl i •• De rfspri, dll "iqWIIf. M rOncÏfnN cour f i M' wsales du mollde tU Cf umps, (publit par E. Que.nflJ, Renne.. CaiUihe. URS. p. Vil.

21. Pour Talle1 .. nd. "e n·.1 P" "",lcm""l 01..,. Ic • ....,poot& de • ..,uvcrli"" onlre "01. que la n6c_ill d'un dfftnonial fin ct n!Jlllif' se faisail "'nlir. ç'<$I "dan. t""" ceux <pli 1'6tablîssml enlre ici difl"t....,l .. Clalle. d"ommc fi de dignil& donlla oocillo! le """'?M<'. Du Ibnoi~.S" d'l gatdo aonl W1 lribut I\ku .. irc el. il 1'(>5\ igalrme nl d'en us ianer la me'u", n.~ pr6cllion". I..eUre de Talleyrand au «Imle d'Uauleriv" le 8 oclobre 1806. Cilo! da .... Lu i~'roducl.,.rl d"lImbIlSllldc . "p. cil .• p. 2.

22. M. Blocx (di r.). Dierio"",,;,. df l'Adminis"",;on /rafIÇaise. PlriS, Sorger I.cvrauH, 1856, p. 1362. De nombreu..,. r6clamatlon. l ·tJcv~renl conlre Cc di~p<>lilif. À la lribune de la Chambre dei dipulo!l tn UI6, un tlu in.i.l. lOIr l'inconv~nien l d'i50ler le. chef. de. grlndl ""''P" du reslC de leura membr~, , '·N'est·~e pli.! J'un del premierS principes dans Wlc mon. rt:hio que les CO'P" .onl touI, quo let individWl ne oon l rion 1 ( ... ) J>cnse-t-on qu'un p,..,mier pm.iden l se fuI .~p.n! de ... compagnie, le fut C,," à ... place , ill"" ,., qu'l I. lêle de sc. ml !$i. lntt. 1" Lf M oniltur. 1816. p. 769. Flire RI' rch" les cb~f. de corps lia tête de leurunilE """,,,t.' en croire certlin., donn~[,lu. de dignil~ el de PORI"" lU d~ploieRle,,1 d ... autorilé< publiques. Cel. lurail notamment tvil de devoir mtler, dlns ces fresques en moovo:tnent que foml,nl 1"" cortège,.. les fonClions el les ÇQ,lumea 1 •• plu. di.paral"'.

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commandement soit une fonction. ne jouissent pas, sauf pour le chef de l'État. du droit de préséance attribué à la fonction. Le Con~il d'État, insti tution administrative et juridietionncUe. est là pour y veiller.

On le constate: la déférence due à l'autorité rejaillit sous la fonne d'une multitude de relations hiérarchiques. À la fois anonymes e t fonctionnelles, indépendantes et parfaitement orchestrées, celles-ci délimitent les relations de subordination consignées par le code des préséances. Désormais . la chaîne d'exéc ution pouvait. selon l'expression du ministre de l'Intérieur Chaptal . "descendre sans interruption du ministre à l'administré ct transmettre la loi et les ordres du gouvernement jusqu'aux dernières ramifications de l'ordre social avec la rapidité du fluide électrique".

UNE NOMENCLATURE DE LA DÉFÉRENCE

Avec le décret du 24 messidor an XlI, le eode des préséances devient le fondement d'une véritable "science de l'ordre"23. Classer, marquer, distinguer, subordonner. récompenser: autant de procédures par lesquelles s'institue un système emboîté de commandement. Opération politique donc puisque ces mécanismes, en encadrant les conduites par la production de statuts ct de règlements. encouragent la professio nnalisation des se rvices de l'État. Les agents de l'administration sont dorénavant soumis à la discipline d'une idéologie bu reaucratique : celle par laquelle s'étab lit un lien strict de subordination entre les différentes autorités civiles e t militaires. Opération doublement pol it ique. po urrait-on ajouter. tant ce formalisme. en même temps qu'il favorise la dép::ttrimonialisation des modes de domination traditionnels, renforce le mouvement d'étatisation de la société. Tout au long du XIXe siècle. le nombre des unités administratives va se multiplier sans que soit mi se à mal leur intégration fonctionnelle. La raison en est simple : chacune d'elles pourra exprimer sa position en se référant désormais à la géométrie d'un cérémonial d'État.

23. L'upre ... ion est de A;Ogtl.~ JuUien. c h~v"ier de S~ iol-Lo~i. CI. de 1. Ugion d'honn""., 'Iui, .o 1818, n!d 'ge un Euo, Sf'r 1 Qfdr~ C"M"U,j d;J1IS l .... dmil'lJs'~~"o~ publique «1 dOM lu ({,;elleu (Pari., Baudouin, p. 40) Fuci""'; p. r les proc6dh n1~ean'que, d .. m •. nur.çtu~. l e re~endiqulnt d ... lMologuu el de a .con. ce 10U.-lI1spcçleur l UI Revu .. loun. n., t app liquer au t,.vlil d ... bure.u. Ja (onnul ... gfnIT.Ic. i,:,"pi~o. de 1'. lg~bre ct nOI.,,~~en t ~u c.kul ,lirrtrcntiü Son bul ? CI ... er CI conlrôler 1 ... 0Ilv ,l& de ch.que "'SlneOI adm,nlitrauf Srlce , Un<: mithode "qui . br<:gc le trav.il . uquel eUe pn!aide".

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Une géométrie solennelle

QueUe plus belle marque d'honneur que de disposer d'une place enviée dans la pompe des cortèges et des cérémonies? Une telle prérogative tient lieu de véritable récompense: non pas les deniers d'une rétribution matérielle. non pas la grâce d'un méri LC personnel mais un tarif de comparaison. Une échelle de mesure où chacun peut choisir le te rme le plu s flatt eur. Pour cela. tout un système d' indexation est mi s au point. Si Mie rang" indique la place que les représentants du pouvoir occupent panni les autorités et fonctionnaires du même ordre, du même ministère ou du même corps, "la préséance". elle, fixe la place respective des fonctionnaires et des corps d'ordre différents. Il s'agit, dans ce dernier cas. du droit de prendre place au devant de quelqu'un. de le précéder dans une hiérarchie protocolaire. Une place d'honneur qui ouvre des droits: la cérémonie ne commence que lorsque l'autorité occupant la première place a pris séance; ceUe autorité se retire la première ; avant 1816, c'est chez e lle que sont convoqués les autres fonctionnaires qui s'installent el se reti rent dans l'ordre prévu par les préséances. De cet ordre hiérarchique découlen t aussi le mode des invitations. le lieu de réunion, 1:1 place dans la marche. l'emplacement dans l'église ou à table. le régime des visites ...

Chaque occasion solennelle en apporte l'expérience : l'emplacement innue directement sur la considération dont jouÎssentles "pouvoirs publics". Celui qui occupe un rang supérieur do it occuper une position considérée com me plus honorable car plus en vue. D'où la supériorité du côté droit sur le côté gauche. Un privilège de position variable selon que l'on est assis ou debout. que l'on marche sur une file les uns à la suite des autres ou au contraire les uns à côté des autres. Dans trois places juxtaposées. la place d'honneur est celle du milieu, la seconde celle de droite, la troisième. celle de gauche. les autres se classant selon la distance de la place d'honneur en aJlcmant de droite à gauche. À tablc. ce sont les places situées en face de 1:1 première qui correspondent aux places d'honneur, Dans la signature de textes officiels. la place d'honneur eSlla première en haut et à droite.

Dans tous les cas. la valeur attribuée détenn inc une s\J'ucturation de l'espace calquée sur les relations de subordination. Une géométrie solennelle dont le tracé doit lOujows être préservé. Conformément aux indications du ministère de la Justice en date du 29 mai 1838. lorsqu'un fonctionnaire ayant r..ang individuel ne s'est pas rendu à une invitation. sa place reste vide. Dans les cérémonies publiques, qu'elles soient civ iles ou re li gieuses, les autorités représentant l' État ce ntral (minis\J'es, conse illers d'État) ou qui leur sonl assimilées (cardinaux. grands officiers de la UgiOll d'honneur) se placent au cent rc du local: en leur abscnce, cet emplacement est, là encore, réservé. Lorsqu'il s'agit

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d'une cérémonie religieuse. les personnalités les plus importantes se rejoignent dans le choeur. ct à défaut d'espace, dans la nef mais toujows dans l'ordre protocolaire. D'ailleurs. le nombre de stalles retenues est précisé pour les présidents des cours et tribunaux, les procureurs ct les principaux officiers de l'état·major de la division et de la place, l'officier supérieur de gendarmerie. le doyen e t les membres du conseil de préfecturc24. On s'en rend compte, une nouvelle fois: la médiation spatiale s'avère fondamentale. En inscrivant les s ignes hiérarchiques dans la matérialité d'un jeu d'espace. c'cst tout un ordre social qui est donné à voir. toute une représentation du pouvoir qui s'impose.

Ostentation réglée, l'ordre des préséances est également un formidable instrument de surveillance. Courbant des générations entières au devoir de révérence, il organise "l'apprentissage d'une servitude volontaire". Le décret organique du 24 messidor an XII en dresse l'architecture. La correspondance hiérarchique fixée entre les grades e t les fonctions établit un mode ingénieux de discipline. Un principe de surveillance qui entraîne ct suppose une subordination du Ixmvoir surveillé au pouvoir surveillant2s . C'est salls doute la force du protocole: attacher à la relation de subordination ceux qui l'exercent autant que ceux qui lui obéissent. Toussaint en a décrit le mécanisme principaJ : "il y a dans chaque ordre de fonctions une hiérarchie de grades qui partent tous d'un centre commun ; unis par ,des liens étroits ct subordonnés les uns aux autres. tous les membres de celle hiécarchie se classent naturellement entre eux d'après la place qu'ils y occupent ; celui Qui commande marche avant celui qui reçoit les ordres, le supérieur avanl l'inférieur"26. Dès lors. lout était prêt pour la mise en place d ' un e u.dminis tration verticalisée . hiérarchisée et professionmilisée , ulle adminis\J'ation où chaque agent a llai t s'asservir soi ~même dans le but d'asservir ses subordonnés.

Opération d'inculcation, procédure de structuration du monde soc ial. le di spositif protocolaire institue. enfin , une relation d'interdépendance : celle qui lie les fonctionnaires c t dignilaires du ré.s ime au tout d'une communauté étatique. Cc n'est pas un hasard si l'Etat détient le monopole légal de ces marques distinctives. Depuis l'ordonnance du 10 juillet 1816, les mesures de toute nature ayant le caractère d'un hommage public relèvent du pouvoir central. Chef de bureau au ministère de l1ntérieur. Léon Morgand en rappelle la règle au début de la m e République: "Le droit de décemer des témoignages de

24. Sur CCI di'po,itions ' p"' iolM. voir !'Mjclc "Prhéan= des lutulilh publiqu es" rtdig~ p.r l'ayo"", et I nCIcn .uditeu, au Cons.,il d'Et. t, Ch.rI .. T .. nch. nt d .... M, Slock (di,.), /)icrioMWiu .... op. ci' .. p. 1362.

25 . J. B.rtMl~mr' L~ ,6fe dl' p"u"oi, uÜu.if du= I~s Ripubliqws mO<krMs. PlriS, Gi. rd et Briè.." 1906, p. 4 8.

26. G. ToullUin" Code d~s prùJtlMtl tl du MII/IeU'S ci.ils, mililtlins. ma,ili",u, II"CCluiasliqw. CI f .. ~~b,u. Po ris. Libtairie militaire J. Du"",i~. 1845, p. 10.

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reconnaissance publique est un attribut essentiel de 1'É1Itt. Nul ne peut se substituer à lui et n'a qualité pour parler en son nom~21. Autant dire que l'ordre protocolaire est juridiquement protégé. L'État en garantil la valeur en meuant ses bénéficiaires à l'abri de toute dévaluation comme de toute remise en causc. Reste qu'une fois consignée par un décret. l'architecture des préséances n'est pas figée. Elle continue de faire l'objet d'interprétations qui sont autant de tematives. individuelles ou collectives, de reappropnalion.

Conquérir une place d'honneur

L'his toire des corps de l'élItt abonde en conflits de préséances. Pour en rendre compte. les considérations psychologiques ont toujours élé pri vilégiées, Et d'abord par les intéressés eux-mêmes, L'~explication" qu'avance Andréani, chef de division à la préfecture dc.~ Alpes Maritimes, l'illustre, Pour lui, cene question loucherait "de trop près à la vanité humaine pour être examinée et résolue à la satisfaction de tous"28. Si les blessures narcissiques ont leur importance, je voudrui insister ici sur des raisons proprement sociologiques. Après tout. I c~ réactions du psychisme individuel. pour aveuglantes qu'elles soient, onl aussi une origine sociale. Elles ont leur ressort dans des principes de classement qui s'imposent à la conscience individuelle.

Une décision récente le fait voir clairement. Le 20 septembre 1995, un décret est venu améliorer le rang protocolaire des magistrJts dans les cérémonies officielles. Réclamé à corps et à cri depuis ln réfonne de 1989, ce nouveau lexte consacre la notion d '~auloril é

judiciaire~ en la faisant figurer en toutes le ltres au l3e mll g du protocole républicain29• La modification a son importance: grâce Il eUe. les chefs des cours d'appel passent. à Paris. de la 12e à la ge place, les magislr.llS de la Cour de Cassation gagnent deux rangs (du 15e au l3e), les chefs de la cour d'appel remontent de la 30C à la 26C place. ceux du tribuna1. relégués derrière k! gouverneur de la Banque de France ou le Directeur général de la Caisse des DépôtS, conquièrent, eux, cinq places (35e contre 4QC). En province aussi, le changement est notable. Les présidents ct proc ureurs des tribunaux de grande instance, rétrogradés au 22e f'J.Ilg derrière la totalité des élus du département e t de

. 27. L. Morgand, Dt l Iwmma,cl publjcs d&.rnb par I~~ a>rp~ atlminislr<llifs "u aU/ru, Panl , Berser LeV"Ull, 1884, p. 4. Sur ce poinl, voir I Ulii D. de M. ilhol. Cath c/ficid ,lu clrb .. "nilll, Plru, Lib .. irio ~p6c i ole. 1894. pAO.

28. C,,1k du honllt-u,," <lu prls~anct~. Nin, 1893. p. 10. C"U I le oenS de la fonnule cle lui"" Simon: "I.e plUlocole tient le monde enli.r .. ngf dan . .. """,eU. l'or ordm de pmoh nc ... . ~Iquo mot, chique gellle, chlquo emplleement peUl êt ... une occa.ion de confllt •. t.e protocole ve,Ue .ur toul cela; il .. liofl il ~ 10000Ies o,."nu",·pmpra" , lA P. ri. Mars. mail,) m." 1896.

29. lA Monde du 21 "'ptembre 1995.

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la région. les anciens combattants, les dignitaires de la Légion d'honneur et les membres du corps préfectoral, gagnent neuf rangsJO•

!--C nouveau d&:ret prend également en eompte les rivalités entre justice Judiciaire et justice administrative: tandis que la réciprocité des visites est rétablie, les chefs de juridiction ne sont plus derrière mais aux côtés des présidents de tribunal administratif et de cours administratives d'appel. Ainsi. en donnant un meilleur rang aux juges, malgré l'opposition résolue du Conseil d'État. le gouvernement a donné satisfaction à de pressantes revendications. "Les magistr,:lIs ne sont pas royalement payés. au moins qu'ils aient leur place" : la fonnule du représentant de l'Union syndicale des magistrats est révé latrice. Con forter le rang de la justice dans l'échelle des soixante-trois corps de l'État. c'est l'élever en dignité. Cest lui accorder une rétribution symbolique, une gratification d'autant plus appréciée qu'elle intervienl .. près des désillusions sur le budge t, le s tatut du parquet ou l'indépendance du corps. Le sens du pouvoir hiérarchique doit donc être considéré non ~ partir d'un quelconque "besoin" de déférence ou d'ordre mais à partir des signes qui le désignent, ceux précisément que tentent de s'arroger les différents corps dans leurs rivalités incessantes.

Autre précaution méthodologique. On a pu &:rire que "sans le protocole. toutes les réceptions offic ielles, toutes les occasions de rencontre entre personnalités politiques, culturelles. économiques et tous ceux qui "en sont" et qui "s'y croient" scraientl'OCC3sion de joutes incessantesH)I. Or, l'histoire des différends protocolaires incite plutôt à .';culOnir l'inverse. C'est parce qu'il existe des règles de préséances que des litiges sans fin s'organisent, notamment pour détcrminer la prééminence de leI ou tel corps. Le contre-exemple des États-Unis est éclairant. Nul con nit dans ce cas : le protocole n'y ex iste pas. Aucun ordre arrêté de préséances lors des cérémonies publiques: les deux réceptions mensuelles du président à La Maison Blanche s'e ffectuent sans invitation , ni faste quelconque32. Le président de la République et les fonc tionnaires civils ne disposent pas de costume officiel. Même

JO. te d~laumtenl ~n! pl r le déc"'l dt 19119, "ollnunrnl du roil dei rangs auignb 'u~ n<lUVUUJ. ven ... !tl ... n!! . ..,nl':'~ ~I curnphm, memb~5 .del C,!", ilb ~Onomj!llH:5 el "",,;IU~ , ,lu Con.~,1 Su~nwr de Aud,ov u;uel ou de la Com",,",,,,, nl ll.ml le Informal ,que el Libertk . tic.) au,t lt~ pc~u con:""" une humililtioro : : U.dmini l.trU ion et.m mili.tl i"" nOul pUII irnl on .... ~ nez. C'fto,1 un "'gne d"" tempo, la JuoItce devena,1 un • • ""oe public lU même litn: que d'oul~ ..,,,,icœ de l'ÉII~ . din:ction. ae l'É<ju;pmtcnt ou de l'Agricuhu .... NDUI n'~; "". pl .. que ,le "" ,~",bI. .. gnme-pop,er"" (C. Pemolel, prhident de l'Union . yndiçale du magil l",lI ) Mnne n!o.cl~on du SJ~ic~1 de la Magist .. tu ... .I"'r la ttouo::he de F. Sott.l, Incien I U\:w.I;!UI : "Not re . " IOnIE en IVln rns un coup . Lo rsque Je demlIlda, . I Ul pol;cie .. de dU~ ... r un pn!venu un .. med; ml lin, il "1 I V. il jamai. d'dfec1.ifl. Le pmel, lui, obten. il ç. qu'il voula;1 pour la COurse cydil le clu coin". ibùa,ion. 14 .ocpltmh ... I99S.

) 1. l'. Lo.coumes , ""I.e protocole ou cont",enl . ·~p. rgn er la IIOHI OS ... ", AUIr~m~nr, 2 f~vrier 199 1, "la polil ... es", p. 119.

32. O'n~ l'admiration dOl< n!publicoi n. françl i. part;. vi l iler le NoU>'uu· Monclc. Comme le di\ l'un d'eul : -U, point d'enseignes de .., ,,,ilude, polnl d·lpk, de chlln", de d~co .. lion,. il ."frit que tOUI soi l noble el dfcent"·. An. Éliquenc, Lt ,rand LoraUlI~ du XIX~ liùl~ Plri l IK66· f879, p. IOS8. ' ,

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les correspondances administratives ne sont pas astreintes à la formule protocolaire. Dès lors, il faut s'en convaincre: ce qui a naturalisé ln nécessité des préséances. ce n'est pas un énigmatique souci de "paix", d'Mordre" ou de "clarté"n. Ces! plutôt l'action des différents corps pour marquer el protéger leur position au sein de la hiérarchie adminiSlralivc34.

La préséance ne se contente pas d'exprimer l'importance de teUe ou telle [onction : clic la constitue. El. de fail. cette imponance n'est souvent pas autre chose que la solennité à laquelle la préséance nous permet de croire. D'où, au XIXe siècle, 5e nombre de désaccords sur l'interprétation du décret de messidor: ks agents qui imposcnt la leur fixent du même coup les bonncurs auxquels ils peuvent prétendre. Les dossiers d'archives du département de l'Isère en offrent d'ailleurs un aperçu éloquent. Avant l'avènement de la me République, trois groupes, au moins, sont à la pointe de cc type de conflit: le corps préfectoral, les maires ct les professions judiciaires.

Le corps prt[eclOral.

La place du préfet est marquée avant celle des fonctionnaires dont l'au torité s'exerce comme la sienne dans l'étendue d'un déparlement. C'est ainsi qu'il marche sur le même rang que les présidents des cours d'assise. les maréchaux de camp, les évêques. el à leur droite. Cependant, le pouvoir civil reste subordonné au pouvoir militaire: le préfet prend séance dans les cérémonies publiques à gauche. en face du général commandant la division. Une situation propre à l'Empire pu isque sous la Révolution, le décrel du 14 messidor an IX leur accordail la droite y compris face aux autorités militaires. Même siluation pour les sous-préfets. Alors que la Révolution leur avait fourni une place spécifique3s• l'Empire les priva de toute prérogalive d'honneur. Au sous-préfet de Vienne qui se plaignait de ne j)ls avoir assez ~d'égards". le ministre de l'Intérieur répliqua en janvier 1806 : ~ I 'arlicle 14 du titre 25 défend à tout fonctionnaire public d'exiger d'autres honneurs que ceux qui leur soni attribués par cc

. 33. P<:Iur u~e ill ..... lnLlion n!cente de cel'e Iooc.u",. J . Sc,"",. M(l~1 p,(lliqu~ du p,o'ocol~, V"ry·lc..·FnnÇo". LA"I uebuoe. 1965 •• p. 14 C". ou M. Pfrico.rd. Oui4 du protocol." /"u.r",~ tin m(JIT".1 <Lu 'lus I«".wc, l'_ri •• Ed. du Moni'eur, 19S9. p. 16.

34. A. P. Oaml esl amm~ par ce1te id~. qu'i] ",vendique même, lU<"«lu'i] "",scmble d_na un mlm. v,!hme "les "'sles Inc,,,,,n •• e. """veU .. 'lue clu.que officier ou fonctionnai", mimai", a le Clut ,n.t~l , connlit",". H.uu~iI dn dispos,tiolU relatives aIL"< IwM~urs <" prÜ'oflul mi ikli"'.' q"i on' ",,,J'pi I~ dkr~t ''''plTial du U nJ~ .. sidor (Jn XII. P. ri., Libniri. mililai ... J. Dun..,n., 1853. p. 6.

~S. ~, • .'.icl. 47. ~ •. la loi du 18 Omnin.l an li tlablil que wul fonclionn.i", • • • .-çanl uno lulonl6 e,vlle ou mlll •• ,,.,, de m&". que lou. membre d'un corps formant une au. ori '6 on' droil l une plaeo di,tinclo 10" des ctn!mnniu publique •. La préfets ct ,0U5·prHet5, 1 •• ml i_ le. mc~b",. du Trlb~n.l Civil, le lieulenant de gendarmerie ou 1 .. command.nta d. 1.0 8~nle nIIUonolc peu ven. JOUir d. ceUe dis'inc'ion.

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règlcment"36. Un avertissement en forme de désaveu, Car cc à quoi s'expose dès lors le fonctionnaire. c'est à perdre la face. Comme à Saint Marcellin où une inimitié personnelle l'oppose au ministre du culte. Refusant toute concertation. le curé sc contente de convoquer le sous­préfet, avec les autres fonctionnaires, pour le jour et l'heure qu'il a choisis. Au grand dam du soos-préfet31•

La situation des auditeurs -en mission~ du Conseil d'État est encore plus significative. Non contents d'être placés juste après les secrétaires généraux de prefecture dans J'ordre des préséances (décret du 1 ju in 1811). ils ont tenté de mellre à profit la confiance toute particulière que l'Empereur plaçait en eux. N'hésitant pas à les appeler "ses hommes de confianceR

, Napoléon, on le sait, en fit un emploi important: dans l'administration des Ponts et Chaussées, dans les Douanes, à l'Enregistrement et à la direction générale de la conscription mais aussi dans les polders de Hollande ou, au delà des Alpes, dans les I)rovinces annexées à la France. Utilisés, soit en qualité de sous-préfet. soit comme attachés à des Conseils de préfecture. ces fonctionnaires avaient une haute idtc de l'influence que pouvait avoir sur leur position leur qualité d'Audileur38. Croyant y trouver un titre de prééminence sur les sous-préfets ordinaires. ils en prirent prétexte pour revendiquer une place à part dans le cérémonial d'Étut. Ou pour ne pas se servir dans leurs correspondances avec les préfet') des fonnules de déférence que t'usage ct les convenances leur faisaient pourtant un devoir d'employer. De sorte que, ministre de l'Intérieur. le comte Montalivet dut intelvenir I)ar une vigoureuse circulaire datée du 21 mai 1812: "un sous-préfet 4uel qu'il soil n'a dans l'Administration d'autre rang que celui de sous­l>féfet, tous entre eux sont égaux et si l'on pouvait y établir quelque différence elle serait en faveur des plus anciens~)\l. Estime personnelle. lignée. litre, mérite: désormais. ces ~qualilés~ n'avaient plus de prise. Nul ne pouvail occuper une autre place que celle assignée par son corps üaPJXll1enance.

36. AD b~r. 54 M 1. !.d.", du 30 janvier l8Ofi. 31. AD IK '" 54 M 1. Let!", _u p~fCI du 13 novembre ISI6. 38. CeUe "'quê •• !cnll il de ü",r pani d'une analogie avec II . itullion dCl con.eiUuI d-e •• •

"." mi,"ion"' ~ui. eux. IYlien. rang ct O<!ance di",ctemenl aprà les mini .. ", •• les g",ndl omei .... lM. 11'.mpi,., ct 1 •• '~~lleU,. d .... leur obtl!Qn. . L'Ernp"rcur IVIl! ",trne p" .. onnellemen. ni1!' , ~,e Ica pn!fett corue,Hen d'État p",nnent d·.bord rang do con .. iUer d·É .... Un. ", .. ure .boh. l>or l'OrrJoolllncC du 28 novembre 1828. Rappclon. au •• i que !co MC",1 du 7 avril lS11 portail ' 150. le nomb", de ccs luditcu ... n!plni. en trois cll' .C" Parmi eux. 188 di~ "en •• rvice ..nlm"ire" 611icnl oltach~. au. minist~,.". ou Ou Conlcil d'êtal tandlf que 162 fUll'nt no,run~. ."u' ·pn!fctl ou I u_chli •. , UI préfe.:'ur.,. Sur COlI " 8enl$ du Con"dl d'Etal, voir Lo<:~. Qu.lquu ,." ... IUr 1. COlI.ull d Etol ~on.s,dlTi dont UJ rapporlS "VIle lu ,y'l~n .. de flOIT' ri, inJ' n >nt/i'/dion,..l, Paria, 1S31, p. JO "'1.

3\1. AD r.~"'. 54 M 1.

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Les maires.

Dans l'ordre de préséances, le maire occupe un rang individuel. Il marche après Je président du tribunal de commerce e t avant le commandant de place. Lorsqu'il remplit les fonctions du ministère public, il siège à la droite du juge de paix; dans le conseil de fabrique, en revanche, il s iège à la gauche et le curé à la droite du président. Dernière indkatk>n : il préside toutes les cérémonies qui concernent au premier chef la commune40. Toutefois, l'affirmation du pouvoir municipa1lout au long du XIXe siècle a très vile rendu insupportable ce carcan. D'innombrables conflits en ont résulté, au premier chef, avec les curés ct desservants. A Chaix, ayant convoqué en chaire et sans concertation préalable les autorités civiles pour une cérémonie religieuse, le ministre du culte susc ita le mécontentement de la municipalité; au point que le préfet dut intervenir pour rétablir le calme dans la commune"l. La rivalité concerne aussi les officiers de la Grande armée. Le maire d'une autre commune de l'Isère refusera de paraître dans les cérémonies publiques à la suite d'un différent avec le général de brigade. Lors de la cérémonie du Te Deum chanté pour la prise de Dantzig, l'officier prétendait avoir le pas sur lui quoiqu'i l ne fut pas le commandant du département : il ne faisait qu'accompagner le lieutenant en qua1ité de major général de la 5è Légion. 11 faudra que le ministre de l'Intérieur s'interpose pour que le maire entre dans ses droits: la préséance ne pouvait être donnée aux grades militaires mais seulement aux fonctions militaires locales exercées en qualité de titulaire42.

Les professions judiciaires.

Jusqu'en 1789. les COlllS de judicature ont bénéfic ié d'un droit de préséance sur les autres fonctionnaires civils et militaires. Un privilège dont elles fu rent dépouillé avec l'Assemblée constituante. Les corps judiciaires n'ont pas été mieux traités par le décret de messidor puisque relégués dans les profondeurs du tableau des honneurs. De sorte que

40. Sur le p .. :u""le municipal , ~o;, Id. Ou'l ... nel, LoiR "' .. niâl' .. l~s ~, di"';oN>lJ;,' WUUtiâpol, ' '''01, /JJIninisrr,,'if el de ""lia. Iomc 2, Pari.., o,ez 1·I" leUr, I U~, p. 432.

41 . AD lù", S4 Id 1. Leu", du mal", au prtret du 19 octobre 1812. 42. AD latre S4 Id l , Let lre du minillre-de r"ufrieu.r lU pd fet du 4 sep!emb", 1W6. A

propos d" mode de rfunÎon. il s·cot flcv6 darulla commune: de Belurepaire, en octobre 11116, un incident rh~llteu,. Pou, annoncer lU public l'lIU\ivc ..... ire de la mon de Mlric·Antoinclle. l'uuge vOkllail Que l'II"Ifo",.,.I;oo soit proplS&: lIOn de clisoe. lU coin dei !\ICI l<>Cllutwnf.,. ; 1. nid de ~ ijlc tronllll\cniit ~glkm",,!I'&Y i s pu vole d'affoche lU de~on' de II h.Ue. Un pmc6d6 jug6 "ind6::en'" pa, p lu.ieurs memb,..,. du con'cil de la commune. de l'hoapice, d. Il fobrique, plr les officie .. et milillo;"" demi-.old~ ou en rel",ile. n. u igelien l dho",.,. i. dei ni. Ind ividucla çommuniQu~1 PiT leU re. D'o~ une TelUfinition de. rêglc. dc l'i nvitation : individuelle ~r lei fonctianna;Te5 de 10 commune. ccll.·ci deva il ~'" .n';onc~c par lambou, paur tout.,. 1 ... uI .... P"....., ..... (officiers cl p.niculiero).

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sous la Restauration, de nombreuses protestations s'élevèrent pour que les magistrats aient une place plus enviable. Ainsi, des procureurs généraux près les cours royales, N'ayant point droit à un rang ou à des honneurs personnels, ils multiplièrent les philippiques contre l'autorité mililaire, notamment en matière de rég ime de visites. Exemple parmi d'autres: la corporation des avoués. Lorsque le tribunal de première instance prend rang. il n'est pas accompagné des avocats ct des" avoués. les greffiers comme les huissiers font partie intégrante de ce corps mais parce qu'ils servent d'escorte au sortir de l'église lorsque le Tribunal se met en cortège, derrière le maire ct avant le consei l municipal. Cependant, l'usage s'est répandu que les membres du barreau ct de la corporation des avoués occupent la queue de cortège, cela en vertu d'un texte qui. avant l'an XII , les autorisait à s'intercaler dans les cérémon ies avec un rang déterminé. C'est au no m de cet usage qu'à Saint-Marcellin, avocats et avoués sc risquent en 1861 à accompagllCf le Tribunal. décalant d'autanl le conseil municipal. Avec les réactions d'émoi que l'on peut imaginer"3.

Lorsqu'il s'agit de se faire voir Cl de sc faire valoir, l'ingéniosité de certaines professions ne connaît aucune limite. Pour tourner les dispositions peu favorables du décret de messidor, le juge de paix de la Côte Saint André proposa de créer deux lignes : à droite. le maire et ses adjoints; à gauche. le juge de paix et ses suppléants. Une manière de se placer au même rang que les édiles locaux. Mais le stratagème fut dénoncé par le préfet. Non seulemeutl'ordre des préséances n'admettait pas les suppléants du juge de paix mais les autorités étaient tenues de fonner le cortège sur une seule ligne. Et, nul ne pouva it se soustraire à la hiérarchie qu'imposait la logique des préséances44 . 11 va de soi que ces exemplcs mériteraient d'être réévalués à la lumière d'une enquête systématique. En attendant. ils ont un mérite: faire voir combien les connits d'honneur s'attachent à tous les aspects des relations de face à face_ Tocqueville l'a noté: s'il n'y a rien au premier abord qui semble moins important que la forme ex térieure des actions humaines. en même temps il n'y a rien à quoi les hommes all:lchenl plus de prix4~, En ces années où les conseillers de préfecture revendiquent encore de porter l'arme, où les autorités se réunissent au domici le du fonctionnaire qui a la préséance avant de sc rendre à l'église46 , la fonn ule n'a jamais é té plus vraie.

43. Pour le pr~ct "edtc prétention tel;1 illldmi .. ibl~. Lu huiue Tf 1 10 rigueu r. mlis les av»uéo n'ont dro;1 l . ... un ""'g. Cc n·est [>II une p .. l ie du Tribullll", AD lsère 54 M 1. Let!", au ....... ·pdffl do S.int-Marcellin du 12 10QI ISGI.

44. AD II~"', S4 M l , Lettre du prHel'u mini.!", de ]"]ntüi~ur du 27 moi 180g. 45. A. 0. Toc:qu~"iUe , D~ la di",,,,,,,"'·c ." tt",jriq"e, ""ri., O.llim. nt, 1961 , IOm~ 2, p. III

CI XlV. 46. Sur ce r~tour des p",ti,!ue. arl.loc .. li'!u .. dans 1. Frsnce pott_ révolutionna ire,

Il Higgs. Noblcs . ,i,,". tl,is'QC''''u en F,a/lCc apùR 1<1 R~vol",;o" 1800·1870. ' ':o.ril . Uan. Uvi. 1990.

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Page 10: Les rangs du pouvoir. Régimes de préséances et bureaucratie d'Etat dans la France des XIXe et XXe siècles

Agissant simultanément sur les personnes, les choses et les actions, les préséances forment une technique de gouvernement à part entière. Elles relèvent d'un art de l'assujettissement mais sans omettre de prendre en compte la subjectivité. Guizot s'en fit l'écho sous la Restauration: "il est vain, écrit-il, de prétendre régir la société par des forces extérieures à ses forces , par des machines établies à sa surface mais qui n'ont point de racines dans ses entJailles et n'y puisent point le principe de leur mouvement"47. L'ordre des préséances fut l'un de ces moyens. Il doona le jour à ce qu'on peut appeler un "art hiérarchique des positions de pouvoir". Si la distinction en forme le ressort fondamental , le droit administratif en cons titue le vocabu laire privilégié. Ne l'oublions pas : dans la prem ière moitié du XIXC siècle. le droit public se conçoit comme une science48. Pour les publicistes. les lois administratives ont un cOle précis: déterminer les rapports des personnes avec l'État. "L'art de l'administration a pour but d'empêcher, dira Bonnin, que la chaîne de ces rapports ne vienne à se rompre. e l que les règles qui en ci mentent l'harmonie ne soient enfreinles"49. Dès Jors, renforcer l'éclat des corps constitués c'est résoudre un problème crucial: c'est attacher chaque fonclionnaire à un point de vue à partir duquel il s'anéantit pour ne plus exister qu'à travers son action au servicc de l'ÉtatSo • En somme, gar.mtir l'autorité de la hiérarchie en conjuguant son effi cacité à celle de l'administra lion dans ses rappons avec l'universalité des c itoyens,

LA GRANDEUR DE L'ÉTAT

Outre la différenciation de l'appareil d'État e t la consolidation d 'un tthos bureaucratique, la "science protocolaire" remplit une autre fonction primordiale. Les lo is sur lesquelles s'appuie l'ordre des préséances. mais plus largement les honrtCurs que confère nt emplois et dignités. les principes de distinction e t de correspondance établis entre les grades: toutes ces mises en fonne contribuent à objecliver la

47. f . Guizot, Du "'OJMS d~ l0 ri.u"",,,, ~nr ~I d'opposilio" dans l'itat <lClri .. 1 tk la Franc., Paris, l'Iognem:, 1821, p. 130.

48. Le. pagu du juriste et pl mph.l~tlire J.-M. Connenin . ont panni 1", plu • ."thouaiast ... A l'en croi~, ill"8i",it l' "d'une ,cience v~rit.ble et compl~te" , Droil adm;"i$lr"Ii/, l'Ioril , Pagtlerte-Tho~l, JS40, p. XUII .

49. C.-J. Bonnin, p,j,.cipel d'adm,'"istrali'M publiqlUl, Pl riA, R.n.~dière , 1812, p. XV. Voi r IU~li , quelquu I nnk. plui tl ,d, LA. M.""", I, Cours d'"d",i",'slrlJ/;OI' ,b.irale, Ducoars d'Ori"'rlW" 1. j /NIl/840, 1840, Plri>, Iml,'rimerie l'andouckc, p. 13.

50. Fl ut·1l le "'ppete, ,ee n'clt p" J'individu qu, jouit de cene faveur moi. 1. fonction qu'il occupe. Sur Ce poin t, J. Saumur, Fl t., ., cI,lmo";.s. HOMea,s mUita;ru. l{onU UrI civil,. R~ueil tUS dk'tlJl.d~ul"I,u el ù'$lruclions '.I"Ii/1 aux cirlmoniu tI mu: ho""e .. n, Pari" Limollea, Il.C. LavllUelle, 1895, p. ]2.

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grandeur de J'État. Le protocole donne le cadre et trace les limites d'une organisation verticale des positions de pouvoir. Il distingue les "hommes en possession d'État- t qu'ils soient fonctionnaires ou représentants élus, soit les uns des autres, soit des simples particuliers. les désignant par là-même au respect statutaire. D'où l'importance des références qui légitiment cette vcrticalisation des positions de pouvoir.

La république dans son protocole

Les signes de majesté diffèrent selon le schéma institutionnel dans lequel s'inscrit l'ordre des préséances. C'est a insi que lors de la rév ision du protocole de 1907. en ple ine période de république triomphante. la hiérarchie des préséances civiles et militaires changea profondément de cootenu5 l . Dans le rappon qu'il adressa au président de la République, Georges Clémenceau rappelle les axes principaux de celte réforme: substituer au principe général de territoriali té celui. I,roprement politique, de l'ampleur des attributions exercées ; prendre acte des transfonnalions opérées par la Séparation de l'Église et de l'État en 1905 en n'accordant plus de rang protocolaire aux personnalités religieuses; supprimer les dignités qui "constituaient l'apanage du sa ng, de la fortune ou d'une classe" ; proscrire les honneurs dont "l'apparat et le formalisme" étaient jugés "inconciliables avec la simplicité du régime républicain" ; donner la prééminence aux honneurs civils sur ceux militaires; réserver les ran gs les plus éminents aux autorités élues sur celles nomméesSl. Voilà pour l'économie générale du décret. Mais ces conventions ne sont pas propriété d'essence de la République. Elles furent édictées à la fave ur de toute une série de conflits et de stratégies pour défendre ou promouvoir. inventer ou imposer de nouveaux privilèges de posiûon.

Les procès-verbaux des séances de la commiss ion in te rministérielle chargée de la rédaction de ce protocole en

5 1. Avant '1"" ce <1&""1 ne auit ldopl~, plUlieu .. modiflCltion. ~t.ient d~j' interven .... ,la ... 1'0.-.1", des honneurs ct des pré..!anoc es. La pllll imporUn~ c~t lieu loIS de l'incident , cn 1 H76, d.,. obMqu .. de Hlicien David. L'officier c01J\lJ\f.ndanl le ~uchcmcnt .'tI.it retiré avec: OC" tR>Upco< lorsqu' ilapprit 'l.ue l'ente=mm t ..,,,, il purement civi l. D'OÏl une: interpellation' la (ltambre q .. i d~cidl le minlSlère , p ..... nlcr un projd de loi . ur 1ft hoooeura mililli re •. De: Marcère. mini.l'" de l' lnU;rieuc. dûl pouc le r. ire pU,ler ' 0 o;I/;lIOlidlri..,. de 11 droite c\~ri".lc:. U jumbo a10", dan. ]e piège de la p-uche qui vol. un ordre du jour motiv~ lu, la "Iibert~ de ~orlScien~t el l 'tgo.]il~ deVint la 10'". Oblig~ de d6ni",ionner, il fui ,tml]ld par lulU Simon le 11 dkcmbn: 1816, Le prob]bn~ IC"," frnalemenl ~a1~ par un dlçret du 0 novembre J883 lU. le oc rvice dCl pla"", , 1 ... troup" ne le ",,,denl plul qu'l la mlioon mortuaire; ell .. portent ]es . n"ea au mom~~1 o~ le c0'P' ""t enk:v~ et le ret;renl ~. que le co"~.e est pl"~ clf lei IroUpes on ann .. ne doivent p]UI figurer don. le. c~r~moniCl re!igieU8C1. Autre mod ifiel tion : le dk",t d" 24 m.,.,idor an Xli Icco rda il une escorte d'honneur . u~ archcv~quCl et lu~ hlquu. enlrant IKtu r ]1 prem!~", foia _u .iège de leur archC\lhh~ ou de leu' to<ëeh&. Cene d i'pooilion fut .h,u8~e pif MercI le 2a octobre 1883 de ",~me que ICI pOl t"" d'honneur au~ portes du .n::hv&ch& el ~vêch60.

52. J.O., Loi. et décrets . 16S, 2a juin 1901, p. 4274.

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lémoigncllln , Les luites de classement y apparaissent au grand jour. Elles consÎstent pour les représentan ts des différents corps i'l maintenir l'écart. la distance, le rang. cn un mot "les relalÎons ordinales" qui définissent la hiérarch ie des pouvoirs publics. Exemple : le président de la Commission, le conseiller d'État Vel-Durand, intervint pour que son corps de rattachement ne soit pas distingué du Parlement : "le Conseil d'État collabore à l'oeuvre législative. il ne peut cl ne doit sous aucun prétexte être séparé du Parlement" . Ou encore pour que le numéro 7 des rangs individuels soil réservé au vice-président du Conseil d'État bien qu'il n'ai! que le tille de vice-président : "la vice-présidence qu'il exerce d'une façon presque pcnnanenle du Conseil en lan l qu'assemblée politique e l administrative sc double en eeret de la présidence effective et qui n'appartient qu'à lui du Conseil siégeant en Contentieux c'est-à­dire comme plus haute juridiction de l'ÉtatN

, L'un ct l'autre souhaits seront adoptés, Le Conseil d'Étal obtiendra le 3e rang à ti tre de corps et même le je à titre individuel du fa il de la disparition des rangs personnels des cardinaux comme des maréchaux el amirauxS4, Mais d'autres corps eurent moins de chances, Ainsi le Conseil Supérieur de l'Instruc tion Publique : en dépit des rés istances véhémentes de M, Bayel. Directeur de l'Enseignement Supérieur, il perdi ltrois rangs , dépassé par le Conseil Supérieur de la guerre, celu i de la marine ct l'Institut de France, Autre antagonisme: dans la séance du 24 mars 1903, une lutte farouche mit face à face les défenseurs des conseils de préfecture e l ceux des conseils d'uni versité, Après un âpre débal el un vote serré, la préséance tant convoitée revint au conseil de préfecture, Pour un temps seulement: après réexamen du Conseil d'État. en séance de contentieux, le conseil d'université finit par conquérir le 9C rang dans les départements, Je conseil de préfecture devant se contenter de la 13e place,

Au tOlal, la grande perdanlC de ce vasle remaniement fut l'année, Anaché à l'Éta t-major, le lieutenant-colonel Verrier, eut beau menacer : "l'armée est nationale ct cUe répond de la conservation du territoire, Il

~J , Celle comon iuÎon , 'es l "";unie d~ fé~,ieT .. dtçembre I!KIJ, Ell e r~un i . .. îl dei 'q",!senlanlS du Sén. l, de la Chambre d~. M I"'IU , du Co<uc il dÉla i, de 10 IVande ch.nec!!e ri. de 1. Ugion db onneu. cl de ci"'que: mini ' lère. Un d<>cumen ' de plu.;eu .. cc nl. inu de P' , c, prde ' ",,,e de "" d~li boll'Ot iolU : Rlpuh/i'i"" fr"","'s~. MiAi. .. Ju th ,'/n/lrieur, HOMeurs ~, l'rJÜQIIUS, Melun, Imprimerie . dm in i" "'ttv e, 1906,

.'>4, Qucl'JU<" moIS dt. rappd ici , lA forme primiti .... " du dbo ... 1 de meu i,lo r donl Ja onin ute Ci l dlpock .u~ Archive. n. ' ion. l" corn!",n . de, . """""Ii ..... de Ja .... in de l 'Empe~r (AF 1 V 769), Indiea!.ioo p.uieuoe puisqu'elle r. it voi r 1"010 furenl leo . rbilra ge. ,u,,!uet. il pmctda , ln ill . len,,:n1 l' .. t icle 1 du Iii'" 10 ptivoy. it q~ e CO,,"il d'Éli.' en corp' . era" -i ' 00' épnil tra ;Ié comme: le sm. ! en co'l"'-' V. nide fUI . upp rimé l'" r J'Empereur : Je Conocil d';'lal viend"" , ~. le Sm. 1 m.il '''''. nl la Cbamboe It~î Jl .tivc (!.co Moni/eur, l ~ dk .tnbre 1808), JXVeIIU 10111 Il monarcl1ie de Juillel un lribunal admlRi$l"lif '" un _ il ro"",,)t . tif deo miniSln:I , ce corp. va ~, .. d« en prenant séance . prb les œ ux ch. mbrco, Le ro'l'" d iplom'I ique '" les m.rkh.u~ de f .. ...,., Arr« 1352, il , etlOUYe 1. I""j ,i~m . plu:, . prh le Sén. 1 cl le COrpll léliSbti f, l.co d ~c rcl .le jUin 1907 confirm ... Cc ,allg .~ . n' que cdui de 19' 8 n'inle rcale e Conse l! Con'Iilulionnel rai .. ~ l 1 n""'~'U "",uler le Consei l d'Ëlal dot ... l'ordre <leo ""'8" de ro<pf,

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, ' ' d' n ordre trOp éloigné dans le serait à craindre que 1 aUrtbui~~~ co~me une sorte de déchéance", ~1 classement nouveau ne fut cons

l é é al Mourlan membre du Conseil

eu beau appeler à l a ,resc~usse e g , ~ r u le ne' juge que par ce qu' i~ de l'Ordre de la Légion d Honneur , Le ~ée la considération qui lUI voit. il faul non seulement conserver/~" Rien n'y fil. L'institution est due mais augmenter s~n pres I~~nce comme sur les honneurs militaire devait subir. en, m~li~re ?e P ' st a insi qu'au no m de la publics , des reculs s~gn~h,~attfSPr3e~ pri t le pas sur les ofliciers consécration du poUVOlf CIVI .' f Ct dramatisé à J'extrême par le général généraux_ Un renversement q UI u Mourlan :

" " les officiers généraux doivent "Si la CornlnlS$lon d,~id;l~ qu~ rdre le rang qu' ils occupenl

subir une déchéaoce, q~ Ils ol~è'"l P' dO" qu'elle infligera il un , depUIS un SI c e, Je ,

sans contestat ion ~ 11. 1 Chambre des députés qUI onl démenti au chef de l' lat, au Séln,' t~ B nt leur IlffcclÎon : elle se

Of té 11. l'armée eur es lm ... '" Il toujo urs manl cs . , souci de 10 sécurité du pays, c c mcttrait en co tl trlld l c li~n ovccdlC 1 rcu VCS qu'elle a données de méconnaÎlfllil les servIces r~n uS'II" P',ut pas dirc à l'mm6e en qui

t à la RÂnubltque, ne son dévouemen ~I' , e descendre des généraux comme le pays a confiance qu on va f lut,' 1 t uJO' urd'hui, L'armée esl la

'

0 ° t leran, qUIs on a , s' ils ne m n lalen pas 1 dO ° u" Elle ne demande nen, , l faut pas 3 Imm ' force de la nation, 1 ne , à ' des populations toule la elle désire seulement conserver VIS , VIS Ce n'est pas une question considération indispensable à son ,achOll" le" de petite politique mais une questIOn nallOna '

, d t affrontement tenait à la L'un des , enjeux l,n~voués ec e\ec:écret de messidor , les préfets

définition du régun,c des ,V ~SltC~, te:r arrivée, aux lieutenants généraux donnaient la p~emtè~ vLSlte ; -à-dire aux commandants d'armée et de des deux premières c1as.~s, ces~ ts des divisions territoria les , Ils corps d'armée , et aux comm a an échaux de camp remplissant les recevaient, à y mverse, cclI~cs ,m~le préfet qui reçoit la visite des mêmes fonc lJons, Après l , c es " me il a droit au salut des

°1" De plus en URl or • ' autorités ml ItalreS, 'de L s des fêtes et cérémonies militaires ct marins de tous gra s, or mandée par un officier

t d'honneur com publiques , un e escor e

d 't À t'évidence, l'allégeance de l'arm~e ne

l'accompagne et ,le recon UI , 1 d'éclat non plus que la suprématie de pouvait être mantfestée avec P us r d~tat élait parvenue au sommet l'autorité préfectorale, La bureaucra le à Gabriel Hanoteaux ' à défaut de sa puissance, C~a n'éc~al~~~~~~ration lui se~blai t d6~rmais en d'être ~ I' âme de la r'Jnce, 1 exactement encore l'armature ; une former "le squelette ou P us, é r déterminant touS les mécan ique compliquée., asttqu ~ , ~t~~' de la vic, ct sans laquelle mouvements du corps, fmsant tous cs g

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d'ailleurs. la vie de la société ne serail apparemment qu'une tortueuse , impuissance"$S, :

Un autre enseignement peut êlre retiré de cette révision protocolaire. cette fois plus général. Ainsi redéfini, J'ordre des préséances abolissait la singularité au profit de l'abstraction du concept. Dans le décret de messidor an Il, une place d'honneur était réservée aux grands dignitaires (le. grand électeur, ('archichancclier de l'Empire. l'archichancelier d'Étal, le con nétable) comme aux princes de sang el

.aux officiers détenteurs de leur charge. Autrement dit, le procès de classification s'établissait encore sur la singularité d'un être ou d'un nom propre. Dorénavant, les signes traditionnels de la distinction sociale se difféœncient du protocole d'Étal. Ils sc détachent de l'inventaire légal cl standardisé. anonyme ct uniformisé, des positions d'autorité. Transfonnation fondarnellta1e, celle finaJement d'une société de l'honneur en une bureaucratie des honneurs.

En 1907, les préséances fixent un impératif un iversel de confonnité. Ce qui entraîne une dissociation entre protocole et étiquette: si l'un régill'espace public, l'autre sc cantonne au domaine privé. C'est celte séparation que les élites traditionnelles vont juger inacceptable. Car pour elles J'étiquette renvoie à une morale publique. Incorporée aux gestes de tous les jours56, elle se compose d'une foule de prescriptions qu'il convient de maîtriser sous peine d'êlre déclassé pour "manque d'usage". Un mode de vie dont l'existence justifie el le partage de la société ct la domination de celte classe imbue de manières qu'est la noblesse. On imagine dès lors les réactions provoquées par le "relâchement" des moeurs. Pour la comtesse de Tramar. "le rastaquouérisme" étrutlié à cette redéfinition des rapports entre public et privé, 11 s'infiltrait "par les portes complaisantes qui trouvaient channant. original celte ignorance des convenances, ce manque absolu de correction poussant la candeur jusqu'à excuser la plus grande inrraclÎon"S7,

55. G. Honoteoux, Ou cItoU d',,~ ClUri/U, l'lori • . T. l.l.ondi~r, 1902, p. 270. 56. "Eliqueuo il Ille bturiu ",icll SMie'Y tIr""" ,,'aund ,'/Self III " pral.ClilM "l";'UI

offe"ces lM " Iow" cU/Wl1 louell. il ,',,, sclli.ld ","!rUI th. in/rusio" 0/ III. impe'li"""I. Ih. impropu a"d lho vu/ra,. " , .... 'd "80i/ll1 Iho,~ ablusc p."O/ll wh" ha.;III Il.ilhu ,,,1.111 1/0, delic"c~ "",uld N cOII,i/IU.'1y rhrus/Ôn, 11Io1/II,I.u imo rite s<xi." of """ /0 w/tom Ihti, prtsenc. m'enl (J'Dm Iht diff~'./ICC 0/ fullnt and habil) N offt/ll;.t ~,.J .""n i"<"I'Porlabl.~, Anonym~. l1ifllS on Etique". ~nd lire US"f.u 0/ Sod.'Y, LorodO"el, L<mgmo.ll, 1839, p. 12.

57. L'irique". IttOnda;'w. U,,,,., de a sad/II .....ur", da", ""'Us /cl CÎrcOMlallcu rie la vit . ",",.;.. V. Hn.rd, 1905, p. 527.

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Tableau 2 : Observation comparée des listes de préséances Individuelles pour Paris lors des trois dernières rérormes du protocole républicain (voir page précédente)

Pour faciliter la cOffi!,araison CHIre ces trois décret., celui de 1989 ft été ampmé des rangs de corps (n 11 et 12 : 1cs députés et sénateurs). Il faul uvoir en effet que ce texle pré .~nte La caractéristique, contrairement aUX deux précédenu, de fondre en un même tableau lei rangs individuels et les rangs de corps. De plus, seuls les 20 premiers rangs des listes de préséances prévues pour Paris 0111 été retenus dans chaque cas. Mises côte à côtel, ces listes sufJ"hent à faire apparaître des changemenu notables depuis le début du si~cle :

:Ie passage d'une république parlementaire à une république où prédomine l'exécullf (voir la préséance accordée au premier ministre sur les présidents de chambres depuh 1958);

-le recul des fonction s militaires: de tmi s en 1907, elles passent à deux en 1958 el une en 1989 (le chef d'état-major des années qui -fait intéressant- est précédé par le médiateur de la R~ublilue) ;

- la marginalisatJon re ative de l:t "présidence du comeil municipal de Paris". c'est-à-din: du maire de la capitale. passée de la lOe place à la 1ge aujourd'hui (interrogé sur la position qui lui élalt réservée. Jacques Chirac a r.roteslé en ne trouvant ~pas normaJ que le main: de Pari. soil situé dam ccs conditions' Libération du 17 septembre 1989);

- le déclassement sensible des pré. idenls de tribunaux ~L de COUrt d'appel dépass6~ par tles institutions nouvelle. (médiateur de la République, Conseil ~COnOmJque et social, chancelier de l 'ordre de la Libération) comme par les détenteurs d'anciennes fonctions ex~cutiveJ (ancienJ présidents de la République. anciens mininres et présidents de Conseil).

La. persistance du code des préséanc.,., au-delà dei changements de régime. rend ~n. tout cas vaine l'affirmatÎon positiviste de la fin du Xlxe ti~c1e lelon laquelle [a poI.Ulque oc rapprocherait de la SCIence en s'éloignal)! du c~rémO/liaJ. Un siècle plus tard, l'émulaliOCl tles préséances sert toujours à manifester ct conforter la hiérarchie tles posÎtioos tle pouvoir.

Avec le régime de Vichy, les réprouvés des moeurs bourgeoises et républicaines purent mener un ultime combat. Les préséances étaient invitées. en effet. à incaOler un nouveau schéma institutionnel: celui de la Révolution nationale. À redevenir une morale de l'honneur, e'est­à-dire une étiquette pleine et entière. Analysant la crise de la société française comme "un empiétement de plus en plus total du réflexe de classe sur la morale de l'ordre" .• comme le produit d'une "conscience émasculée par un régime de relâchement systématique", Gabriel Marcel en appela à une "enthousiaste immolation de soi pour le salut d'une communauté" : "Le moment est peut être favorable dans le redressement national que le Maréchal a défini à remetlre si l'on peut dire l'honneur en honneur et à lui restituer cette fonction publique qu'il exerça pendant plusieurs siècles dans les divers ordres de la société française jusque dans les grdnds corps de l'État et dans les principes mêmes de notre politique"58. Si la paierie ne fut pas ccstaurée, comme

58. B. d·AsLO'S. {A morale de Mrre honneur, préfoce de G. Marcel. École oaLionale de. cadres d·Uriage. 1942. p. VU.

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le souhaitaient certains membres de l'Action française, la différenciation de l'appareil d'État fut contestée,

"Nous, Philippe Pétain, Maréchal de France, chef de l'État, décrétons ... " : une formule quasi royale fut d'abord réutilisée JXlur tégiférer59. Preuve qu'avec Pétain, la hiérarchie bureaucratique cessait d'êi.re l'expression d'un souverain désincarné. Le protocole s'objectivait li nouveau dans un corps. Il s'énonçait sous le principe d'une commu nauté organique. Organique et confessionnelle, comme le montre ensuite le rétablissement du serment politique. En vertu de l'acte constitutionnel nO 10 de 1941, les militaires, magistrats et I"onctionnaires civils devaient jurer directement fidélité au Chef de l'État. Le fonctionnaire n'était donc pas officiellement consacré par la 1[omination mais par le serment. De quoi s'agissait-il? D'un gage que prenait le souverain sur les fonclionnaires, celui que leur fidélité pouvait seule garantir: un avenir éternellement à l'image du présent.

Le serment mettait en scène une certitude: le temps n'est pas ti lle histoire ouverte mais un ordre que plus rien ne viendra déranger. Sur quoi était-il fondé? Sur un garant suprême assez puissant pour imposer la crainte du châtiment en cas de transgression. C'est ceUe llI ystique de l'honneur que proposait de réhabiliter les tentants d'un r hristian isme maréchaliste. Pour Albert Bessières, en 1940 "ce qui Uleurt et doit mourir c'est la quiétude aveugle et prétent ieuse de ces hommes qui prétendaient bâtir une société viable avec quelques grands llIots dont ils jouaient comme d'osselets: impératif catégorique, morale IIIdépendante, sans législateur, sans obligation, ni sanction". Le christianL"me. el Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, le réamrmera dans sa préface, se proposaiL lui d'être une école d'honneur. Son renouveau devait permettre une "refonte de l'âme françaisc"60. Le retour doms le protocole des personnalités religieuses, la prÎm<.luté retrouvée des autorités nommées, notamment des membres du Conseil national, rentrée en préséance des chefs de la Ugion française des Combattants : le schéma institutionnel proposé par Viehy modil1ait donc radicalement 1cs règles du jeu protocolaire. Il rétablissait un lien de dépendance, à la rois personnel el confessionnel. un lien contraire aux technologies de mise à distance par lesquelles s'éta it fondée l'autonomie de la hurcaucrntie d'État61 .

59. R. l':t~ton. ta FrallCt d~ Vichy {940 ·1944. Pl riS. S~uil. 1973. P 186. 60. A. S ..... ihts. Rh()lutiofl spirituelle. préface de M8r Salièg • • arch.v ê~ue de Toulouse.

l'",i •• Sper. 1941. p. 17. Voir ~u •• i A. Sa int_Cloir. ,-"honneur. V"ILuT~ Idllwr,ves. Paris. 1942. l' t8.

61. Ce souci d. oonfonnit~ poliLique av~iL l'''u •• ~ l"Empirc eL 1. mon.rchie " utili ser td,. l''~ement 10 dn .. ". turgie du .en".nt : en «plernhr. 1814 1.0 fonnut • .ot.it .. J. jure eL je promets "­Il,eu de sard.r obti .. ance el fidéliL~ au ROI. de o·.voir aucuoe intcUigcnc~, dc "· ... i .• ter à aucun •• m ... il de n'enLTe(~nir I llCune 1i8ue qui soit c""LNire • son IUlorité el ce dans mon Mpart emenL "" a illeu ..... i j·apprend. qu'il "" L",me quelque chose l ""0 préjudice. je le fer.li conn~îLre .u Kn i·· ; en octobre 1820 "Je jure firlélité 'U Roi ob6s .. nce li J. 0. .. 10 tuoSliLUlionnelle el aux t " i, du Roy.ume··. en 'OnL 1830 "Je jure fiMliLé .u Roi des Franç-a is. obéissance à la charte

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Page 14: Les rangs du pouvoir. Régimes de préséances et bureaucratie d'Etat dans la France des XIXe et XXe siècles

Reste que le cha.ngement dc contenu ne doit pas cacher une continuité structurale. En 1940, la. dignité d'État apparaît toujours comme une distinction collective défendue avec l'âpreté de l'intérêt personnel. De plus. sa puissance dépend autant de ceux. à qui elle s'applique que du jugement de ceux qui en sont privés et aux dépens de qui ses bénéficiaires l'exercent. À ce double titre, la préséance participe encore du système de reconnaissance né avec la centralisation napoléonienne. Et de fait, ce que révèle l'exemple vichyssois. c 'est surtout la force d'un impératif: toute institution se doit de produire des systèmes de classification propres à modeler l'action de ses membres. Si la préséaoce en est en France l'un des principaux, c'est que sous son action. chaque représentant de l'Étal a un rang marqué dans la hiérarchie générale des fonctions. un rang d'où il tire sa considération ct son autorité62. Sans doute est-<:e la raison pour laquelle Je protocole paraît tourné vers un versant secret du pouvoir. Parce qu'il donne une fonne publique à un rapport de force et qu'en retour celui-ci y puise une représentation elle· même gage de puissance.

La majesté présidentielle

On ne dira jamais assez combien cette structuration verticale de l'appareil d'État pèse sur nos manières d'cxpérimenter la relation à J'autorité. Songeons au rôle lenu par le président de la République lors des cérémonies publiques. Il fonnc le coeur de la mise en scène. Le protocole lui assure même d'nppanûtre comme le pôle autour duquel sont ordonnées e t figurées toutes les hiérarchies administratives e t politiques6). Une position au sommet qui en fait une figure dominante et ex.térieure. Surplombant la pyramide des préséances, la fonction présidentielle manifeste la subordination du pouvoir administratif au pouvoir politique. Comme si son existence dont l'autonomie fait l'absolu contribuait à entretenir une muelle coercition à tous les

OCJnilituti(JfIMlle et lUX loi. du ROylume" : ~n I vril un "Je ju", obOi ..... ncc • 1. ColISlitution ri fi~litt .u Prtsident" : en janvier ]BS) "l e jUft: o~issancc ) la Conliitution el fidtlilt , l'Empe",ur". A .i,naler '{u ·en U48 COmme ~n octobre 1870, l·.v~n.m ellt d·un n'lime n'publicoill COII"C", ]"'boliuon du l ennent polili'l"".

62, O. TOII"";nt l'ua it oœerv' dh le milieu du XIX •• ibcko : """,uo ) qui o<>nt conti& 1", pouvoir1 publ kt. empruntent leur fo",", non moin ... 1·&:lot 'lui 1 .. environne 'lU') l'.ulOnlt qlll leur 1 t~ çOnfifo", Cod, du pTÜ~~"t:U .... op. ~i, .. p. Ill .

6). Un I niele du d6c"'t de juin ]<)07. repri. en ]958 et presque inl~gra]e",.n' en 1989, .~çOrde lU p~l id.nl de 10 Ripubliqlle de. honnCUr1 co.lquf •• ur ceu, ",conn..- .utr.fols l l"Empe",ur. Sur le plln civil. Ict p~(et. ellOU.·p~fell. 1. n:çoivent lon;qu'i1 "" d!place en VMlnt ) JI "'nc:ontre l Il limite du dlplncment ou de l'i rrondissement. Lor1~ue le P~lldenl entre d~ chique commune. J .. cluche. lonnenl l 1. volée (disr"ilion ""ppnm~e en 1989). Puil, Jor1 dei r6cel;'tionl 0,s"nis6u l l'Mto! de prHeclure, i C$I frtvu 9,u'il Il:çuive don. l'ord ...

r"otoallitre \Q~ lu coq>' c:onolitu!. du d6plrtement. Lo ... qu il 1 ~JOumt dan. une cOmlnul'lO,

es I morill!. qui rQnt reçu le " Iuent l IOn départ. De plu., le. honneurs mililli,e. ""mme de, p~ro8"livCl d'elCOrte lui IOnt r~ler\'f •.

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l\:helons du pouvoir. Plus encore: à ouvrir une créance à laquelle seule tics marques ostentatoires d'allégeance pouvaient répondre64. .'

De ce principe de verticalité, les voyages des c.hefs de 1 Etat proposent inlassablement le spectacle. Rarement ~tudlés pour eux­mêmes. ils sont pourtant à l'orig ine d'un singulier process~s de légitimation. Ce que développent ces déplacements rituels 1 Un~ Image \Ie grandeur et de faste. Ce qu'ils mettent en scène ? L'?~ tont~ ~ns pareille censée envelopper la JX:rsonne ~ême du ~hef d~ I.E.tat. SI bien \lue ceUe mécanique speclacul:ure entretient pluslcurs ~Imlbt~~ a~ec ta cérémonie de l'entrée royale. À la manière du conVOI rempli d objets d'art, de chevaux ou de pages emmené par Mazarin pour 3CCompa~er le Roi-Soleil, l'étalage de la munificence n'y est qu'une démonstratJ~n du pouvoir. Une occasion de le manifester et de le mesurer. F3 ls~nt d~couvrir le visage de l'instilution, c'est-à-dire l'insti tuti?n falt~ homme, le voyage consacre la hj~rarchie des préséanc~s. Mieux: Il l'expose aux yeux de tous, en obligeant chacun à f3lre hommage publiquement de son infériorité. Manière là aussi d'accout~mer les c itoyens à la majesté du pouvoir et donc de prendre acte de la différence entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent.

Le crédit de l'institution présidenticlle doil beaucoup à de telles man ifestations. Comme si pour s'exercer, le pouvoir devait d'abord êLre perçu dans une position de hauteur. Lalouette en a~ait f~t a~tref~is une Ill:lxime de l'art de "bien administrer" : "Un supéneur n est JamaIs plus grand que quand il élève ses inférieurs"~s. Assur~ment, les dép lacements officiels offrent celle oppor.tumté au ,préslde.n~ de la République. Les honneurs dont il est gratlfié',dcPUIS. les VISites de corps, prises d'armes, escortes, saluts et salves d artl~lene, les m.arques lie déférence que suscite sa fonction: tout cela COI~tn~ue .à en faue une véritable ~fontaine d'honneursH

• sinon même une IIlst] tu tlon sacrée. au sens que donnait Durkheim à ce tenn&'.

64. De ce poinl de ~ue, il ocrail iniE ..... '" d·~tudier Il d~monie de .p~~tion dct ~oeuI 1", Ço~ conoti\uN l U préoiden t de II R~pobliqu. Iu~ d~ chaque p~mlu JlnVler. La m,.e en ~ù"e de cel le rencontre, ]es aUueuliana prononc6eo. l'o!",e de. prll e. de pirole : loul y <=<J<lCOtln • draper la fil"'" prbidentielle d'un ŒIl' "no pareIl

6.5 tU_MS d~ administTo/ion pra'iq ..... Pan., 1812. p. 8. . 66: O·. iUeu r1. pendanl lon8tcmP" celle ronn. de mljOl~ 1''''1 IccQmpagnk do prot.ochana

1""diquCl tout ) rlll Ap6cifi'j.ue •. S. personne n'lLont plu. enlou~c, "'-'mille ceU.e ~u roI ou de l'em pereur d·un culte religIeux ou Il:vêtu d'un ehlrlsme propre 1 le rendre ,nvtoll,ble. du riispooi tian. If",l"" ont ~t6 p~vuc. poo' le prollger conlre l'OU I",!e. C·ctt ce qu·~tlbbt, ~u.' le lomoin de la pre ... , 1. lo i dC$ 27 et 29 juillet 1849. repri'. el dhe <l1'p~e ~ar cdl. du 29 Jud]et 1 SU en int.rdi .. nt les injures el 1 .. difTl mu io". , CCII ce que r .. 1 I~'" dons le çode pt""1 1".r\ i~le 86, n!tlbli le 10 juin 18S3. en ~primantl.,. off~ClI la mlJeillt .du chef d • . l 'tat. L. LonQt. Du atl"'llUs offerrS(Ull~s diri,üs ~o,,'r~ !~ pr"rJ~nl tk 1" IUp~bilquc CI les c"oJ~ns m...,I1is <fUIr mlJndlJl jleclif. Thhe de doctont, f'llns. A. ROUlSCou. 1910, p. 40.

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Une souveraineté ambulatoire; l'exemple duvoyage du président Sadi Carnot, à Limoges en 1888.

Le mercredi 25 février 1888, à 15 h 55, le uain présidentiel arrive en gare des Bénédictins, 11 Limoges, salué par un coup de canon tiré du remblai des Coutures ; le signal du début des festivités était donné, Prenant place dans un landau a\lel~ li deull: magnifiques chevaux, le président est accueilli par une foule considérable, Situé li la tête d'un cortège composé d'une vingtaine de voitures qu'occupent ses conseillers e t ministres, il fait le tour de la ville sous les applaudissements et l'air répété de la Marseillaise. Sur tout le parcours, les troupes de la garnison forment une haie d'honneur tandis que le cortège lui-même est précédé pnr un piquet de gendannes à cheval et fermé par un escadron de dragons, LI,.'S édifices publics mais aussi nombre de demeures de particuliers sont recouverts de drapeaux comme d'objets décoratifs en l'honneur du président. La snlve réglementaire de lOI coups de canon est exécutée pendant que les rues arborent des mâts de couleurs, des arcs de triomphe 3U chiffre de la République, des trophées, des o rinammes et autres rampes de gaz pour les illuminations nocturnes. Le coeur de celte toile d'araignée de signes el de couleurs ? La prérecture, alors décorée d'immenses drapeaux tricolores. C'est là que le Président se fait présenter les maires du dépnrtement ainsi que les corps constitués, Une occasion de réaffirmer avec éclat le rang occupé par ces derniers dans la hiérarchie des pouvoirs. Le face li face permet de les distinguer !lU double sens du tenne : a la fois de les récompenser -par l'honneur d'une poignée de main ou un geste d'attention- et de visuali~cr les différences enlrc services ou dcsrés hiérarchiques. Les apparences dont s'entoure le chef de l'Etat renforcent cette impression: vêtu de ses habits protocolai res. il jXlr\l! en sautoir le grand cordon et la plaque en diamants de l'ordre de la Légion d'honneur. Le prestige des "invités" ressort grandi d'un te l déploiement de fastcs. Mais moins peut-êIJe que celui du chef de l'État, voire de la bureaucratie d'État qu'il domine de sa hauteur, car­parmi les postures aUlI:quelles invitent les symboles de la verticalité la plus manifeste, et sans doute, la plus escomptée est ce lle qui consiste alors 11. prendre acte d'une jXlsition de subordonné.

Comment continuer à soutenir que le protocole ne recouvre qu'une procédure anecdotique? La "science protocolaire" imprime ses caractéristiques à l'ensemble des manifestations où se trouve impliquée la figure de la souveraineté. Instrument de la grandeur de l'État, ellc assure l'unification symbolique de l'appareil buretJ.ucratique. Moyen d'intégration, elle objective la puissance respective des pouvoirs "en possession d'État". Ce qui engendre ct pc~tue un véritable "esprit de

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,

,

,

,

, "C'est là probablement le secret des préséances : dispenser des (;~r:s' d'encouragement en répartissant des prérogatives d'honnc~rs. Ce ~aisanl, une telle géométrie solennelle met au jour la plus, sub~lle des fonnes de pouvoir, celle qui honore les hommes du seul r3l1 qu elle esl

honorée par eu".

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