Les promesses

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www.cnrs.fr/70ans N° 237 OCTOBRE 2009 ENQUÊTE Les promesses tenues des nanos

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www.cnrs.fr/70ans

N° 237 OCTOBRE 2009

ENquêTE

Les promesses tenues des nanos

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sommaireLe journal du CNRS

1 place Aristide-Briand92195 Meudon Cedex Téléphone : 01 45 07 53 75Télécopie : 01 45 07 56 68Mél. : [email protected] journal en ligne :www2.cnrs.fr/presse/journal/CNRS (siège)3 rue Michel-Ange75794 Paris Cedex 16

Directeurde la publication :Arnold MigusDirectricede la rédaction :Marie-Hélène BeauvaisDirecteur adjoint de la rédaction :Fabrice Impériali

Rédacteur en chef adjoint :Matthieu RavaudChefs de rubrique :Fabrice DemarthonCharline Zeitoun

Rédactrice :Anne LoutrelAssistante de la rédaction et fabrication :Laurence WinterOnt participé à ce numéro :Stéphanie ArcKheira BettayebCéline BévierreJean-Philippe BralyNadia DakiCaroline DangleantSebastián Escalón Matthieu HautemulleCamille LamotteSéverine Lemaire-DuparcqVahé Ter MinassianPhilippe Testard-VaillantFrançoise Tristani

Secrétaires de rédaction :Olivia DejeanAnne-Solweig GremilletConception graphique :Céline HeinIconographe :Marie GandoisCouverture :Andy Smith pour le journal duCNRS ; F. SemondPhotogravure :Scoop CommunicationImpression :Imprimerie Didier Mary6 route de la Ferté-sous-Jouarre77440 Mary-sur-MarneISSN 0994-7647AIP 0001309Dépôt légal : à parutionPhotos CNRS disponibles à :[email protected]://phototheque.cnrs.fr/

La reproduction intégrale ou partielledes textes et des illustrations doit faire obligatoirement l’objet d’unedemande auprès de la rédaction.

SOMMAIRE 3

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

VIE DES LABOS P. 6.> REPORTAGETrente bougies sur un plateau> ACTUALITÉS P. 8Les derniers résultats de la recherche > MISSION P. 12Des alpinistes à l’assaut d’une terre inconnue

INNOVATION P. 14 Hydrogène : une énergiedurable pour l’avenirEntretien avec Dominique Bernal

PAROLE D’EXPERT P. 16 La dépression en mal de thérapiesEntretien avec Xavier Briffault

JEUNES CHERCHEURS P. 17Croque l’élevage à pleines dentsPortrait de Marie Balasse

L’ENQUÊTE P. 18.

Les promessestenuesDES NANOSZOOM P. 28.

Lumière sur l’autochrome

RENCONTRE AVEC P. 31.Comme un romanPortrait d’Antoine Billot

IN SITU P. 32Il y a 70 ans naissait le CNRSEntretien avec André Kaspi,directeur du Comité pour l’histoiredu CNRS

HORIZON P. 36> ILS ONT CHOISI LA FRANCE ET LE CNRSLe chimiste qui venait du froidPortrait de Vladimir Solozhenko> GROUPEMENT DE RECHERCHEEUROPÉENLes mécanos du numérique

GUIDE P. 38Le point sur les livres, les expos…IN SITU > Il y a 70 ans naissait le CNRS, p. 32

VIE DES LABOS > Trente bougies sur un plateau, p. 6

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ZOOM >Lumière sur l’autochrome, p. 28

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ÉCLATS4

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

Le satellite Planck, lancéen mai, a livré un premierrelevé du ciel, une étroitebande qui s’étire tel unruban sur toute la voûtecéleste, avec une qualitéexcellente des données.Cette mission européennedoit mesurer lerayonnement cosmiquefossile, la plus anciennelumière émise dansl’Univers tel qu’il était380000ans après le

Big Bang. Le satellite vafournir une cartographiecomplète du ciel avec uneprécision sans précédentdes hétérogénéités detempérature et depolarisation durayonnement cosmiquefossile, grâce àl’instrument français HighFrequency Instrument. Leslaboratoires du CNRS, àl’Insu comme à l’IN2P3,ont joué un rôle crucial

dans sa conception, sondéveloppement et sa miseen place. Les relevéscomplets de Planck sontattendus à l’horizon 2012.> www2.cnrs.fr/presse/communique/1674.htm

Très attendue, la mission scientifique Tara alevé l’ancre le 5 septembre à Lorient. Cetteexpédition de trois ans en bateau, sur tousles océans du monde, et dans laquelle leCNRS est très impliqué – tant dans l’apporten matériel que dans la mise à dispositionde scientifiques –, a pour objectif premierd’explorer le monde des micro-organismesqui composent le plancton. La biodiversitéde cet écosystème est en effet aussi variéeque largement méconnue. Les échantillonsseront envoyés lors des escales auxnombreux laboratoires partenaires. À la clésans doute, la découverte de nombreusesnouvelles espèces. Des instrumentspermettront aussi de collectertempérature, salinité, pH et densité de labiomasse dans l’eau de mer, flux decarbone de la surface vers le fond desocéans. Car l’autre objectif de Tara est demieux comprendre les interactions entreocéans et climat. La vie marine,aujourd’hui menacée par le réchauffementclimatique et la pollution, va-t-elle survivreà ces bouleversements? Ou bien allons-

nous vers une transformation de la vieocéanique? Grâce à une étude globale de l’environnement marin, la premièreréalisée avec les technologiesd’aujourd’hui, Tara devrait apporter de précieuses réponses.> En ligne

http://oceans.taraexpeditions.orgwww.cnrs.fr/cnrs-images/tara-oceans/

> À lire« Un tour du monde pour la vie marine »,Le journal du CNRS, n° 234-235, p. 24.

Ô L’ÉVÈNEMENT

Tara a levé l’ancre !

… et pour les systèmes d’information du CNRSLe 1er septembre dernier, Jean-Marc Voltini a été nommé à la tête de la Direction des systèmes d’information (DSI) du CNRS où il succède à François Étienne.Précédemment associé à GIC Consulting, cet ancien directeur des systèmesd’information chez Eiffage aura pour missionde définir et mettre en œuvre les systèmesd’information destinés au pilotage et à la gestion des différentes activités de l’établissement. Les grandes orientationsdu chantier système d’information du CNRSpour 2009-2013 ont été approuvées en octobre 2008 en conseil d’administration.Elles concernent à la fois les ressourceshumaines, la gestion des laboratoires, les relations partenariales avec d’autresorganismes de recherche, les aspects de finances, de comptabilité et de gestion. La DSI du CNRS compte 120 agents répartissur deux sites, à Meudon et à Toulouse.

Michel Habib encharge des sciencesinformatiquesMichel Habib a été nommé chargéde mission auprès d’Arnold Migus,directeur général du CNRS, pour la mise en place du futurInstitut des sciences informatiqueset de leurs interactions (INS2I), le dixième Institut du CNRS. Eneffet, l’actuel Institut des sciences et technologies de l’information et de l’ingénierie (INST2I) donneranaissance sous peu à l’Institut des sciences de l’ingénierie et des systèmes (Insis) et à l’INS2I.La principale mission de MichelHabib est d’en définir les contours.Un appel à candidature pour la direction de l’INS2I est lancé en parallèle. Diplômé de l’ENS deCachan et docteur en informatique,ce spécialiste d’algorithmiquecombinatoire a été directeur

du départementinformatique del’Ecole des Mines,puis directeur de Sup TélécomBretagne. En 2000, ilavait pris la directiondu Laboratoired’informatique de

robotique et de microélectroniquede Montpellier (CNRS / UniversitéMontpellier-II) avant de prendre en2005 celle du Laboratoired’informatique algorithmique :fondement et applications (CNRS /Université Paris-VII).

Un nouveau directeur pour la recherche et l’innovation…Ronan Stephan est le nouveau directeur général pour la recherche et l’innovation (DGRI) au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. RonanStephan avait dirigé la Délégation aux entreprises du CNRS et Fist, sa filiale de valorisation, de 2003 à 2005. Il succède à Gilles Bloch.

Ô LE SUCCÈS SCIENTIFIQUE

Planck : un premier relevé très prometteur

Dans ce premier relevé dePlanck, le « ruban » en faussescouleurs, la température croît du bleu au rouge. Il a étésuperposé à une vue optique de la voûte céleste.

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Tara, à Lorient, lors de son départ.

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Ce mois d’octobre 2009 le CNRS forge son avenir et celuid’une grande partie de la recherche française avec son nou-veau décret organique qui formalise les orientations défi-nies dans son plan stratégique « Horizon 2020 », et avecla signature de son contrat d’objectifs 2009-2013 avec l’État.

Cet avenir, pour se construire, doit s’appuyer sur les racines et les valeursdu CNRS. Ce 19 octobre, il y aura précisément 70 ans, l’État créait, pardécret, le Centre national de la recherche scientifique, « organisme publicdoté de la personnalité civile et de l’autonomie financière ». Ce décret, cou-ronnait une décennie d’efforts, inspirés et déterminés, du Prix Nobelde physique Jean Perrin, père fondateur de l’organisme. Le CNRSsuccédait au CNRSA, Centre national de la recherche scientifiqueappliquée, créé un an auparavant par la loi du 11 juillet 1938 sur l’or-ganisation de la nation en temps de guerre; celle-ci stipulait que le minis-tère de l’Éducation nationale devait préparer la mobilisation scienti-fique. Notre organisme se voyait ainsi désigné comme le garant d’uneambition nationale pour la science. Dans le même temps, il se trou-vait engagé dans un élan collectif en faveur de la défense de la liberté,une valeur que Jean Perrin plaçait au faîte des idéaux de la commu-nauté scientifique : « Il n’est pas de science possible où la pensée n’est paslibre », venait-il de déclarer en annonçant la naissance du CNRS.Cette ambition et cet élan n’ont, depuis 70 ans, jamais cessé. Passé ladouloureuse épreuve de la guerre, la recherche scientifique s’est enga-gée sur un nouveau front, celui de la connaissance. Le CNRS y aapporté une contribution déterminante, au point que l’on serait bienen peine d’énumérer toutes les avancées scientifiques qui, à toutes lesépoques et jusqu’à aujourd’hui, ont vu le jour dans ses laboratoires.Parmi ces avancées audacieuses, citons notamment les travaux demagnétisme et de magnéto-optique d’Aimé Cotton, les premièresexpériences de chimie solaire de Félix Trombe, le rôle pilote du Centredans l’émergence de la génétique en France, avec Philippe L’Héritier

ou Georges Teissier, ou dans celle de la chimie des substances natu-relles, avec Pierre Potier. Rendons hommage aux illustres travauxd’Irène et de Frédéric Joliot-Curie, de Louis Néel, de Boris Ephrussiet, plus près de nous, de Nicole Le Douarin et saluons aussi les recher-ches récentes de l’économiste Jean Tirole, du généticien Jean Weissenbach, du physicien Serge Haroche, nos derniers médaillés d’ordu CNRS, ou des récents Prix Nobel, Luc Montagnier, Albert Fert et

Claude Cohen-Tannoudji. Il faudrait surtout ne pas oublier le rôle de toutes celles et tous ceux, chercheurs, ingé-nieurs, techniciens et personnels admi-nistratifs, qui ont contribué à ces avan-cées décisives. « S’il révélait un seul grandsavant, notre effort à tous serait payé plusqu’au centuple », aimait à répéter JeanPerrin en défendant la création du Centre. Qui se risquerait aujourd’hui àdire que le pari n’a pas été gagné? Et, s’il

l’a été, c’est essentiellement grâce aux liens que le CNRS est parvenuà tisser, non seulement avec d’autres établissements, mais aussi entreles disciplines qu’il fédère.Aux grandes avancées scientifiques s’en ajoutent d’autres, tout aussifondamentales. Laboratoire d’expérience pour les idées nouvelles, leCNRS a souvent été le fer de lance de grandes évolutions en matièred’organisation et d’administration de la recherche. Précurseur, il l’aété en France, avec la mise en place de ses premières administrationsdéléguées, dix ans avant que notre pays adopte ses grandes lois dedécentralisation. Très récemment, avec les contrats de service, leCNRS a été le premier organisme à souhaiter un engagement réci-proque sur la qualité des services entre le laboratoire et sa tutelle. Dansle cadre de l’autonomie des universités, ce contrat a inspiré le cahierdes charges élaboré en commun avec celles-ci ; cahier des charges quedoit respecter tout établissement qui souhaite bénéficier de la délé-gation globale de gestion financière des laboratoires. Précurseur, ill’a aussi été en Europe avec notamment ses outils structurants à unmoment où la coopération scientifique entre les pays du continentétait encore à ses tout premiers balbutiements. Précurseur, le CNRSl’a enfin été dans le monde : notons, par exemple, que sa politiqued’unités mixtes, plébiscitée par les universités, inspire désormaisdes grands pays telle la Chine. Rappelons enfin que le CNRS a conçude toutes pièces une structure moderne de transfert des résultats,l’Agence nationale de valorisation de la recherche (Anvar), treize ansavant les États-Unis.De tels exemples pourraient être multipliés à l’envi. Ils scandent l’his-toire de notre organisme qui est devenu un acteur incontournable dela recherche nationale et internationale mais aussi de la société qui,de plus en plus, lui demande de répondre à ses besoins et à ceux dela planète. Ce sont autant d’enjeux pour les 70 prochaines années, pourle CNRS et ses personnels d’aujourd’hui et de demain.

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éditoeditoCatherine BréchignacPrésidente du CNRS

Arnold MigusDirecteur général du CNRS

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Le CNRS, 70 ans d’avancées scientifiques

et l’avenir devant lui

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Remontant des parois à pic depuis un petitvillage des Hautes-Alpes situé en contrebas,l’hélicoptère s’élève d’un coup au-dessus dubord du précipice. Apparaît soudain, sous lesoleil matinal, une immense plateforme natu-

relle où poussent, au milieu des pierres et des pla-ques de neige, quelques rares herbes, mousses et spé-cimens protégés d’Ambrosia helvétique. Visibles aupremier plan, six immenses antennes sont pointées versle ciel. Nous sommes à cent kilomètres de Grenoble,sur un plateau désertique balayé par les vents, où estinstallé à 2550 mètres d’altitude l’interféromètre du pla-teau de Bure, l’un des deux observatoires de l’Institutde radioastronomie millimétrique (Iram). C’est en1979 que l’institut a été créé par le CNRS et la SociétéMax-Planck pour le développement de la science(MPG), en Allemagne, auxquels s’est joint en 1990l’Institut géographique national espagnol. Basé àGrenoble, l’Iram possède également, dans la SierraNevada, en Espagne, à 2 850 mètres d’altitude sur lePico Veleta, un télescope de trente mètres. L’établis-sement, où travaillent 130 personnes, est spécialisédans l’observation de l’espace dans une partie nonvisible du spectre lumineux : celle des ondes milli-métriques. Interféromètre et télescope peuvent ainsiétudier des phénomènes imperceptibles pour les ins-truments optiques.

HAUT LIEU SOUS HAUTE SURVEILLANCELes six antennes de quinze mètres de diamètre chacuneforment un seul et même instrument. Leur gigan-tisme est souligné par la présence de minusculessilhouettes se déplaçant à leurs pieds. Derrière elles,à deux ou trois cents mètres de là, l’énorme hangar danslequel les mécaniciens procèdent à l’entretien et auxréparations de ces machines de titans semble, luiaussi, démesuré au regard des bâtiments d’habitationqui y sont accolés. Au loin, enfin, sur fond de pay-sage des Écrins, on distingue les premiers pylônes del’ancien téléphérique. C’est là que, coup sur coup, en juillet et en décembre1999, deux terribles accidents se soldèrent par la mortde vingt-cinq personnes. Cette tragédie, vécue commeun traumatisme par la population de la vallée et l’ins-titut, a été à l’origine d’un renforcement considérabledes procédures de sécurité qui rythment la vie ici.Outre qu’elles prévoient désormais la présence toutau long de l’année d’un infirmier-anesthésiste pou-vant joindre à tout moment l’hôpital de Gap, celles-ciréglementent les « sorties pour intervention », pour des

réparations par exemple, et obligent les sept membresdu personnel présents 1 à être en permanence reliésentre eux par radio. En attendant la fin de la construction du nouveau télé-phérique en 2010, les visites sont elles aussistrictement encadrées : les candidats à unséjour à l’Observatoire doivent être munisd’un « certificat médical de séjour en alti-tude ». Et, à moins qu’ils n’aient la chanced’effectuer le trajet par la voie des airs, ne peu-vent s’y rendre et en repartir qu’en 4x4, enchasse-neige puis à pied, qu’accompagnéspar un guide de haute montagne, au coursde « rotations », organisées ou non en fonc-tion des conditions météo, plusieurs fois parsemaine, depuis la station de ski deSuper Dévoluy. Et à cette loi d’airain nulle

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Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

ASTRONOMIE

Perché à plus de 2 500 mètres d’altitude,l’observatoire de l’Institut de radioastronomiemillimétrique scrute l’Univers invisible à l’œil.Visite de ce temple de l’astronomie pour fêterle trentième anniversaire de l’Institut.

exception : la veille, un 3 août, le directeur de l’Iram enpersonne, Pierre Cox, n’a pas été autorisé à monterpour cause de tempête de neige. Il a dû faire demi-tour et rentrer à Grenoble !

FRANCE ET ESPAGNE, MAIN DANS LA MAINMalgré ces difficultés, l’interféromètre fonctionne pour-tant tous les jours de l’année et les activités sur le plateaune cessent jamais. C’est qu’à l’Iram, le jeu en vaut réel-lement la chandelle. Jeunes étoiles enfouies dans des nua-ges denses, molécules interstellaires parfois inconnuessur Terre, poussières cosmiques ou formations stellai-res dans des galaxies des confins de l’Univers… Lesphénomènes observables dans le domaine millimétri-que sont légion. Les astronomes cherchent ainsi à enri-chir leurs connaissances sur le cycle de la matière inter-stellaire depuis le moment où elle s’agrège au sein desnuages de gaz et de poussières pour former des étoilesjusqu’à celui où elle est rejetée dans l’espace lorsque cesastres arrivent en fin de vie. Et cela d’autant plus faci-lement à l’Iram que le laboratoire dispose sur ses deuxsites de moyens complémentaires. En effet, si l’obser-vatoire du Pico Veleta est adapté à l’étude de zones éten-dues du ciel, celui du plateau de Bure, est, lui, conçu pourobserver les détails d’objets célestes.Dans la salle de contrôle, Sascha Trippe, astronomede service, montre la « liste des projets hebdomadaires »,un tableau d’une trentaine de lignes concentrant l’es-sentiel des informations sur les observations sélec-tionnées cette semaine par le comité de programme de

l’institut. Cette journée, SaschaTrippe a décidé de la consacrer« à scruter une source cosmiqueintense découverte il y a huit jourspar le satellite américain Glast ».En l’occurrence un « sursautgamma », l’une de ces mysté-rieuses bouffées d’énergievenues du fond de l’espace, auxorigines encore controversées.Très tôt ce matin, l’astronome adonc demandé à l’opérateur,Emmanuel Salgado, de pointerles énormes antennes, que l’onaperçoit par les fenêtres, verscette source lointaine, située à

plus de cinq milliards d’années-lumière de la Terre.Opérant en réseau selon une technique appelée « inter-férométrie », ces six antennes peuvent en effet combinerleurs signaux. Cela permet aux astronomes d’obtenir

des images atteignant une résolution équivalente àcelle d’un télescope dont le diamètre correspondrait àl’écart maximum entre les antennes. Soit, expliquePierre Cox au bout d’une longue allée bétonnée surlaquelle sont installés des rails destinés au déplace-ment de ces dispositifs : « jusqu’à 760 mètres ! » Dequoi réaliser des vues détaillées d’une pièce de un cen-time à cinq kilomètres !

PLUIE DE RÉSULTATS Les instruments de l’Iram –qui reçoit plus de cinq centsdemandes d’observations par an – ont ainsi été à l’ori-gine de plusieurs découvertes majeures au cours deleur histoire trentenaire. Plus d’un tiers des 140 molé-cules interstellaires répertoriées à ce jour y ont été iden-tifiées, comme le propylène ou l’aminoacétonitrile. Leurprésence dans les galaxies les plus jeunes y a égalementété établie. C’est là aussi que fut observé en avril dernierl’évènement cosmique le plus lointain que l’on connaisse :un sursaut gamma situé à 13 milliards d’années-lumièrede notre planète ! Enfin, l’institut est réputé pour sacapacité à détecter des « disques circumstellaires », desamas de matière qui orbitent autours d’étoiles jeunes etdans lesquels se forment les planètes.L’explication de ce succès doit d’ailleurs beaucoup aucentre de Grenoble où les scientifiques conçoivent etdéveloppent les instruments dédiés à l’observationdes ondes millimétriques. Ici, tandis que des ingé-nieurs comme Marc Torres mettent la dernière mainà des « corrélateurs » qui traiteront demain en tempsréel les signaux recueillis par l’interféromètre du pla-teau de Bure, d’autres, à l’instar de Dominique Billon-Pierron, de Bastien Lefranc et de Jean-Yves Chenu,conçoivent dans une salle blanche et dans des ateliersremplis de toutes sortes de machines sophistiquées,les « jonctions supraconductrices » et les « systèmesde réception » (qui fonctionneront à – 269 °C, prochedu zéro absolu) des antennes. Et pas seulement pourdes besoins internes. Les compétences des équipesgrenobloises sont en effet reconnues dans le mondeentier. L’Iram s’est ainsi engagé à fournir des « récep-teurs » au consortium international Alma, chargé dela construction d’ici à 2014 d’un interféromètre géantconstitué de 64antennes, à 5 100 mètres d’altitude, surle site chilien de Llano de Chajnantor. Cela dans l’at-tente de la finalisation de Noema (Northern ExtendedMillimeter Array), un vaste projet de doublement desantennes du plateau de Bure. Et une véritable cure dejouvence qui permettra aux chercheurs de l’Iram desonder l’Univers avec encore plus d’acuité.

Vahé Ter Minassian1. Trois équipes constituées chacune de deux opérateurs, deux mécaniciens, un technicien-électronicien, un cuisinier et un infirmier se relaient chaque semaine.

CONTACTÔ Pierre CoxInstitut de radioastronomie millimétrique, [email protected]

Trente bougies sur un plateauUn opérateur à l’intérieur d’une antenne. Vue du miroirsecondaire et de la valléevoisine, la combe de Mai.

L’interféromètre de Bure estconstitué de six antennes de15 mètres de diamètre chacune.

Les spécialistes procèdent ici dans le hangar (au fond, ci-dessus) à l’entretien et auxréparations d’une antenne.

Dans la salle de contrôle, deuxopérateurs se relaient 24 heuressur 24 pour diriger les antennesvers les astres ayant fait l’objetd’une demande d’observation.

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Pour fabriquernotamment les systèmes de réception des antennes, les chercheursdisposent dans leur centrede Grenoble d’unesalle blanche et de plusieursateliers.

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MÉDECINE

Creutzfeldt-Jakob est bien un agent double

Milieu des années 1990 :apparition d’une nouvellevariante de la maladie de

Creutzfeldt-Jakob, sans doute causéepar une contamination par l’agent dela maladie de la vache folle. Liée àl’accumulation d’une forme anor-male d’un prion, molécule produitenaturellement chez l’humain, quientraîne la dégénérescence des neu-rones, elle a fait à ce jour plus de180 victimes dans le monde, dont 23en France 1.Jusqu’ici, on suspectait cette patho-logie apparue dans l’Hexagone et auRoyaume-Uni de provenir du mêmeagent dans les deux pays… mais sansque cela ne soit jamais montré. Destravaux récemment publiés 2 ontenfin permis d’apporter des preu-ves à ces soupçons. En comparant lesdonnées cliniques de patients desdeux côtés de la Manche, StéphaneHaïk et Jean-Philippe Brandel, neu-rologues au Centre de recherche del’institut du cerveau et de la moelleépinière (CRICM)3 de la Salpêtrière,

et leurs collègues britanniques del’unité nationale de surveillance dela maladie de Creutzfeldt-Jakob ontmontré que Britanniques et Françaissont bien touchés par la même mala-die, probablement provoquée par lamême souche de prion de carcas-ses bovines britanniques.Pour cela, l’équipe a étudié les 23 casfrançais ainsi que les 162 cas anglais.« Notre étude consistait en une com-paraison des données cliniques despatients (leurs symptômes, les résul-tats de leur IRM, etc.), une analyse

du gène codant pour la protéine prion,une étude des lésions cérébrales et uneanalyse fine des propriétés biochimiquesde la protéine prion pathologique »,précise Stéphane Haïk. La conclu-sion : les patients britanniques etfrançais présentaient bien des don-nées cliniques, épidémiologiques,biochimiques et génétiques simi-laires. Cette proximité suggère qu’ilsont été infectés par la même souchede prion. Ce résultat pourrait se voirconfirmé, et même étendu à l’Eu-rope, par une autre recherche menéeactuellement à partir d’extraits delésions contenant la souche impli-quée, prélevés chez les patients desdifférents pays européens touchés.Quoi qu’il en soit, l’étude franco-britannique a aussi confirmé unautre point. Tous les patients étu-diés, et donc touchés par la maladie,

présentent une portion identiquedu codon 129, fragment de gènecodant pour la protéine prion. Pourle moment, il est impossible desavoir si un profil génétique pour cecodon pourrait protéger totalementde la maladie ou seulement allongerla durée d’incubation. Dans ce der-nier cas, le nombre de malades pour-rait se révéler plus élevé que prévudans les années à venir.

Kheira Bettayeb

1. La nouvelle variante s’attaque à des personnes plus jeunes que les formes classiques de la maladie (29 ans en moyenne, contre 65 ans).2. Annals of Neurology, mars 2009, vol. 65,n° 3, pp. 233-235.3. Centre CNRS / Inserm / Université Paris-VI.

catégorie large comme un animal, par rapport àla recherche d’une catégorie plus fine comme unchien ou un oiseau. D’où la conclusion que notresystème visuel construit d’abord une représen-tation grossière avant de pouvoir la détailler. « Ilest plus logique que notre système visuel catégorisegrossièrement dans un premier temps car au départil “voit” juste une image rudimentaire et floue de lascène. Alors, il n’a pas eu le temps de traiter beau-coup d’informations visuelles », termine MichèleFabre-Thorpe.

Kheira Bettayeb

1. Étude publiée en ligne, le 17 juin 2009 sur www.plosone.org, jornal en libre accès à comité de lecture international.2. Centre CNRS / Université Toulouse-III.

Un passant jette un mouchoir usagépar terre, à deux pas d’une poubelle.Dans un bus, un passager tonitrue

sans vergogne au téléphone. Vont-ils êtrealpagués par ceux qui assistent à la scène ?Sans doute si elle se déroule en Espagne.Mais c’est moins probable si elle a lieu auxÉtats-Unis ou en Grande-Bretagne, selonMarkus Brauer, chercheur CNRS au Labo-ratoire de psychologie sociale et cognitive(Lapsco) 1 qui a comparé les réactions deshabitants de huit pays occidentaux 2 face à46 comportements incivils comme s’in-cruster dans une file d’attente, taguer unmur, uriner dans la rue, ou encore volerun magazine 3. Son but ? Comprendre pourquoi certainsexpriment leur désapprobation face à cesincartades, et d’autres pas. Le chercheur aainsi établi qu’au Portugal, en Espagne ouen Italie, pays définis comme « collectivis-tes » 4, les habitants seraient enclins à repro-cher son comportement au malotru plusqu’en Grande-Bretagne ou aux États-Unis,pays « individualistes », comme notre Hexa-gone, mais de manière moins prononcée.« Dans les cultures “collectivistes”, les individusse perçoivent comme plus dépendants les uns desautres. Ils ont le sentiment que tout ce quiconcerne la communauté fait partie intégrantede leur identité propre », explique-t-il. Cette enquête conforte une hypothèse qu’ila précédemment formulée : une personneprotestera d’autant plus contre l’auteur d’uneincivilité sociale qu’elle se sent personnel-lement affectée. « Tout dépend donc de lafaçon dont l’individu se définit lui-même »,

conclut le chercheur.« Pour certains, le “soi”s’arrête à la porte deleur appartement. Tan-dis que pour d’autres, ilinclut leur quartier, leparc, voire la ville. »Pour ces derniers, chaque incivilité, notam-ment celles qui dégradent leur environne-ment, sera perçue comme une attaque per-sonnelle. Et leur réaction, même si elles’exprime par une remarque courtoise, s’ap-parente psychologiquement à de l’auto-défense. Conclusion : pour lutter contre cesactes ordinaires de vandalisme, rien de telque de se sentir… partout chez soi !

Stéphanie Arc

1. Laboratoire CNRS / Université Clermont-Ferrand-II.2. Mille quarante-huit répondants provenant desÉtats-Unis, d’Angleterre, d’Allemagne, de Belgique,de France, d’Italie, d’Espagne, du Portugal.3. L’étude menée avec Nadine Chaurand, de l’université Pierre-Mendès-France de Grenoble, a été publiée en ligne (avant impression) en juin 2009 dans la revue European Journal of Social Psychology, n° 38, pp. 1689-1715.4. Pour distinguer les pays collectivistes et individualistes, les chercheurs ont utilisé un indicateur qui reflète le degré moyend’intégration d’un individu aux différents groupes qui constituent la société (famille proche,famille éloignée, etc.). Pour en savoir plus :http://www.geert-hofstede.com/geert_hofstede_resources.shtml

CONTACTSCentre de recherche de l’institut du cerveau et de la moelle épinièrede la Salpêtrière, Paris

Ô Stéphane Haï[email protected]

Ô Jean-Philippe [email protected]

CONTACTÔ Markus BrauerLaboratoire de psychologie sociale et cognitive, [email protected]

VIEDESLABOS Actualités

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

COGNITION

Notre œil voit d’abord en gros

Lorsque l’on voit un être vivant ou un objet, lereconnaît-on d’abord finement en tant quechien, voiture ou table pour ensuite le met-

tre dans une catégorie plus large – animal, véhi-cule, meuble – ou inversement? Depuis 1976 etles travaux de la psychologue américaine EleanorRosch, il était admis qu’un objet était d’abordcatégorisé au niveau de base comme « chien »,« voiture » ou « table » avant qu’un concept plusabstrait « animal », « véhicule » ou « meuble » nepuisse se former. Cette capacité d’abstraction étaitmême considérée comme spécifique de l’hu-main, l’animal n’ayant pas accès à ce type deconcept. Or, surprise, dans une étude récemmentpubliée 1 des chercheurs du Centre de recherchecerveau et cognition (Cerco) 2, à Toulouse, ontmontré qu’en fait… c’est l’inverse ! « Nos donnéesmontrent que celles de 1976 ont été trop vite généra-lisées au système visuel », souligne Michèle Fabre-Thorpe, directrice du Cerco et co-auteur de l’étude.C’est que les résultats de l’équipe d’Eleanor Roschet de ceux qui les ont reproduits ensuite ont étéobtenus lors de tests où des volontaires devaient

désigner des objets par leur nom. Orces expériences où l’accès au voca-bulaire, et donc au système du lan-gage, était crucial pouvaient mas-quer le fonctionnement du seulsystème visuel.Les chercheurs du CNRS ont placédix-huit volontaires dans des condi-tions où ils devaient, non pas répon-dre oralement, mais réagir le plusvite possible avec le doigt en relâ-chant un bouton quand ils voyaientune image contenant la cible qu’onleur demandait de chercher (unchien, un oiseau, un animal, etc.).Les images n’étaient affichées quependant 26millisecondes (ms) pourles encourager à agir encore plusvite, le seuil de perception deshumains étant de près de 25 ms.Résultat ? Les volontaires ont été en moyenneplus rapides d’une quarantaine de millisecondesà relâcher le bouton lors de la recherche d’une

CONTACTÔ Michèle Fabre-ThorpeCentre de recherche cerveau et cognition(Cerco), [email protected]

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PSYCHOLOGIE SOCIALE

Tour du monde de l’impolitesseBRÈVE

Nouvelle moléculecontre le VIHUne molécule pourrait faire progresser les futures thérapies anti-sida. Développéepar des chercheurs de deux universités et de trois organismes 1, elle est capable debloquer l’entrée du virus du sida (VIH) dansles cellules. Jusqu’à présent, la plupart des traitements disponibles empêchent la réplication du virus dans l’organisme,sans l’éradiquer, et en occasionnant de lourds effets secondaires. La nouvellestratégie des chercheurs, dont les travauxont été récemment mis en ligne dans la revue Nature Chemical Biology, permetdonc d’agir plus en amont. Elle consiste en l’alliance d’un mime de la molécule CD4,récepteur cellulaire reconnu par le VIH, et d’une molécule d’héparane sulfate, un sucre complexe présent à la surface des cellules. Ce composé, appelé CD4-HS, a été synthétisé. Il inhibe l’entrée virale. Surdes cellules en culture, son activité est trèsélevée. Prochaine étape : les tests in vivo.1. Il s’agit du CNRS, du CEA, de l’Institut Pasteur, del’université Joseph Fourier et de l’université Paris-Sud-XI.

> www2.cnrs.fr/presse/communique/1666.htm

Selon MarkusBrauer, les voisinsde ce bavardintempestif réagirontplus souvent si la scène se passeen Espagne qu’enAllemagne.

Expérience menée pour savoir si notre œilperçoit en premier un chien ou un animal.Les volontaires devaient relâcher très vitele bouton s’ils voyaient un chien.

Les victimes anglaises et françaises de la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakobprésentent des lésionscérébrales similaires.

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cité. L’histoire raconte qu’un Romain du nom deQuentin se serait rendu jusqu’en Gaule pour prê-cher le christianisme durant la seconde moitié duIIIe siècle. Mais un préfet romain l’aurait fait arrê-ter à Amiens. Quentin aurait été exécuté et soncorps jeté dans la Somme. Un demi-siècle plustard, Eusébie, une dame romaine aveugle, auraitmiraculeusement retrouvé la vue alors que ladépouille du martyr rejaillissait du fleuve. Danssa gratitude, Eusébie aurait alors fait édifier àQuentin une première et humble chapelle. C’està cet endroit précis qu’aurait été fondée la ville deSaint-Quentin… autour des IVe ou Ve siècles, donc.En cette période de transition entre Antiquité etMoyen Âge, le christianisme commençait seule-ment à émerger en Gaule. Mais déjà au ve sièclele rayonnement du saint était tel que la chapelle

est devenue un lieu d’inhu-mation puis de pèlerinage.Et l’archéologue de conti-nuer : « Notre découverte estune preuve supplémentaire dela christianisation précoce duNord de la Gaule. »L’année 2010 verra sedérouler la dernière cam-pagne de fouilles. ChristianSapin reconnaît avoir la sen-sation qu’il reste encore deséléments à découvrir dansce site certes restreint maistrès dense. À l’avenir, cetterelecture de l’histoire de lacité picarde pourra encou-rager d’autres fouilles pourétudier, par exemple, ledéveloppement des pre-miers habitats médiévauxdans la ville.

Caroline Dangléant

1. Le Cem d’Auxerre dépend de l’unité « Archéologie, terre,histoire, sociétés » (Artehis,CNRS / Université de Bourgogne/ Ministère de la Culture et de la Communication).

Fondée surl’emplacement dutombeau de SaintQuentin, la basiliquedu même nom estl’une des plus grandesconstructionsgothiques de France.

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ÉLECTRONIQUE

Les performances des mémoires de nos outils technologiqueslaissent parfois à désirer. Électroniciens et chercheurs en matériaux se sont penchés sur cet épineux problème.Et ont récemment trouvé des solutions prometteuses.

Au secours des mémoires qui flanchent

Avec l’essor des téléphones portables, desbaladeurs numériques et autres appareilsnomades, l’industrie électronique estconfrontée à un incroyable défi : mettre

au point des mémoires informatiques non vola-tiles – c’est-à-dire capables de conserver les don-nées quand l’appareil est éteint –, qui soient à lafois solides, fiables et faiblement consommatricesd’énergie ! Or ce casse-tête pourrait avoir trouvéun début de solution grâce aux travaux de scien-tifiques français et britanniques. L’équipe d’AgnèsBarthélémy, de l’Unité mixte de physique CNRS-Thalès 1, s’est intéressée à une technologie encorepeu connue du grand public : celle des mémoi-res dites ferroélectriques, réputées notammentpour leur rapidité. Elles souffraient d’un handi-cap majeur : l’information qu’elles contiennent dis-paraît lorsqu’on la lit. Banco : les chercheurs sesont affranchis de cet obstacle 2 qui limitait cetype de mémoire au secteur des jeux vidéo. Le principe? Les données sont contenues dans unmatériau ferroélectrique : à l’intérieur de celui-ci,les charges ont la propriété d’être polarisées, c’est-à-dire organisées pour former des dipôles dirigésdans un même sens, un peu à la manière de peti-tes boussoles indiquant toutes le nord. Commecette polarisation peut-être inversée localement parl’application d’un champ électrique extérieur etqu’elle perdure ensuite, les physiciens ont ainsiimaginé d’utiliser ces solides pour stocker de l’in-formation en associant aux orientations « haut »et « bas » les valeurs « 0 » et « 1 » de l’informati-que binaire. Problème: pour identifier la « valeur »du dipôle, les électroniciens n’avaient jusqu’icid’autres choix que d’appliquer un second champ

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Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

électrique. Ce qui, explique Manuel Bibes, chargéde recherche au CNRS, « revient à modifier, une foissur deux, son état et donc à faire disparaître les don-nées au fur et à mesure qu’on les lit ! »Agnès Barthélémy, Manuel Bibes et leurs collè-gues sont les premiers à avoir découvert une solu-tion alternative. Pour y parvenir, l’équipe a procédéen trois temps. En premier lieu, elle a produitde minces couches de un à deux millionièmes demillimètre d’épaisseur d’un matériau appelé tita-

nate de baryum dont (et c’est une découverte ensoi) elle avait établi au préalable la ferroélectricitéà température ambiante. Dans la seconde phase,elle a disposé ces échantillons entre une élec-trode et la pointe d’un microscope à force ato-mique3. Avant, enfin, d’y faire circuler du courantpar « effet tunnel ». Ce curieux phénomène quan-tique – qui permet à un électron de traverser unmatériau isolant dès lors que son épaisseur estréduite à quelques atomes – a été astucieuse-ment mis à profit par ces chercheurs pour iden-tifier l’état de polarisation du titanate de baryum…sans le modifier ! Et donc pour lire les donnéescryptées dans cette mémoire ferroélectrique en évi-tant de les détruire. Cette avancée majeure pour-rait se traduire un jour par la présence de ce typede mémoire dans nos appareils de poche.

Vahé Ter Minassian

1. Unité associée à l’université Paris-XI.2. Nature, n° 460 (7251), du 2 juillet 2009, pp. 81-84.3. L’utilisation d’un microscope à force atomique permetl’étude des surfaces de matériaux.

CONTACTÔ Manuel BibesUnité mixte de physique CNRS/Thalès, [email protected]

ARCHÉOLOGIE

Alors que l’on pensait que la refondation de la ville de Saint-Quentin remontait au VIIe siècle, la découverte de deux sarcophages du Ve siècle sous la basiliquebouleverse les connaissances.

Une bien vieille renaissance!

Contre toute attente, au moins 200 bougiespeuvent être ajoutées au gâteau d’anni-versaire de la ville de Saint-Quentin. Cenouvel « âge » est attesté par la découverte

de deux sarcophages du Ve siècle, sous la basili-que de la capitale picarde. Une découverte scien-tifique doublement importante, puisque ces sar-cophages font partie des plus anciens trouvésdans le Nord de la Gaule !Certains textes laissaient entendre que la vieavait redémarré à Saint-Quentin autour du VIIe siè-cle, 400 ans après la destruction de la cité anti-que d’Augusta Viromanduorum située au mêmeemplacement. « Aujourd’hui, nous avons la preuveindiscutable que Saint-Quentin reprit vie au moinsdeux siècles plus tôt », assure Christian Sapin,directeur du Centre d’études médiévales (Cem) 1

d’Auxerre et responsable des campagnes de fouil-les menées sous la basilique depuis cinq ansavec l’aide du ministère de la Culture et de laCommunication, et des collectivités. Durant cescinq campagnes, l’équipe découvre 6 ou 7 étagesde sols successivement foulés par les fidèles venus

se recueillir sur la tombe de Quentin, un Romainchrétien venu évangéliser la région, exécuté etdevenu martyr. « Des hommes et des femmes ont sou-haité se faire enterrer auprès de la tombe de saintQuentin, et ce sont eux, en un sens, qui sont à l’ori-gine de la renaissance médiévale de l’ancienne citéantique », explique Christian Sapin. Pour estimer l’ancienneté des niveaux, les scien-tifiques datent au carbone 14 des matériauxorganiques comme le bois, des ossements oudu charbon trouvés à proximité. Ils usent de lamême technique avec la douzaine de sarcophagesretrouvés sur ce site. Parmi celles découvertes enjuin dernier, deux sépultures se sont donc avéréesplus anciennes que prévu : elles datent du Ve siè-cle. Encore plus loin dans le sol et dans le temps,une structure en bois autour d’une fosse vide aété confectionnée au IVe siè-cle. Il pourrait s’agir du pre-mier emplacement de latombe de Quentin. Mais audépart, l’endroit n’était cer-tainement qu’un lieu depèlerinage. Selon les archéo-logues, on peut raisonna-blement penser que Saint-Quentin, en tant que ville,date du Ve siècle.Surprise : la nouvelle data-tion concorde avec la légendequi auréole la fondation de la

Lophelia pertusa, un corail d’eau froide très répandu en Europe, vers l’an 2100, à cause de l’acidification des océans. Cela pourrait menacer l’existence des récifs d’eaux froides,selon des travaux publiés dans la revue Biogeosciences par une équipe du Laboratoired’océanographie de Villefranche. > www2.cnrs.fr/presse/communique/1660.htm

C’est la perte devitesse de croissanceque devrait subir

LE CHIFFRE

5500%%Le sarcophage deSaint Quentin creusésans doute auIXe siècle dans unecolonne antique enmarbre est conservédans la cryptecarolingienne.Ci-contre, sous unemosaïque trouvéeau XIXe siècle, un sarcophage du Ve siècle vientd’être dégagé.

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Dans la grande famille des mémoires informatiques, il y ad’une part les mémoires « volatiles », comme les Ram desordinateurs par exemple, qui stockent les données tant

qu’elles sont alimentées enélectricité. Et d’autre part lesmémoires « non volatiles », qui lesconservent après l’extinction desappareils. Bien que leur usage soitlargement répandu, ces dernierscomposants présentent desinconvénients aux yeux desindustriels. Une technologie commecelle des « disques durs » est, eneffet, bon marché et fiable. Mais ellen’est pas adaptée à toutes lesapplications en raison de sa fragilité.Quant aux systèmes « flashs » quiéquipent les clés USB, les baladeursnumériques et les téléphonesportables, ils ont l’avantage de larobustesse. Par contre, ilsconsomment beaucoup d’énergie aucours des phases de lecture etd’écriture et leur durée de vie est

limitée. D’importants efforts de recherche etdéveloppement sont donc actuellement menés à travers lemonde pour tenter de découvrir d’autres solutions.

UNE GRANDE FAMILLE

Les chercheurs ont réussi à observerles domaines de polarisationsopposées (carrés concentriquesverts et violets) de cet échantillonsans les modifier !

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CONTACTÔ Christian SapinCentre d’études médiévales (CEM), [email protected]

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les montagnes et reboucheles crevasses. C’est pourcette raison que j’ai choiside m’intéresser aux arbres,les seuls à ressortir de lacouverture neigeuse, et en particulier au hêtre sub-antarctique, Nothofagus pumilio. » La chercheuse va étudier les facteurs qui limi-tent la croissance des hêtres à partir d’une cer-taine altitude. Car même si ce genre originairede l’hémisphère Sud est bien adapté aux condi-tions rigoureuses, il y a une limite en altitudequ’il ne peut dépasser. « Des recherches effectuéesen Nouvelle-Zélande sur d’autres espèces voisines dehêtres montrent que sa limite altitudinale n’est passeulement d’ordre climatique : s’il ne s’agissait quedes températures, la forêt de hêtres pourrait mon-ter plus haut. » Les chercheurs néo-zélandaisont mis en évidence une sorte de barrière invi-sible que les hêtres ne peuvent dépasser. Quelle est donc la vraie nature de cette fron-tière? La chercheuse tentera de tester deux hypo-thèses. D’une part, la disponibilité des nutri-

ments dans le sol. Si, au-delà d’une certainealtitude, l’arbre ne trouve plus à sa dispositionassez de phosphore et d’azote, il ne pourra passe développer. L’autre hypothèse, complémen-taire, concerne la diversité microbienne des sols.Pour se nourrir, les arbres sont soumis à l’acti-vité des bactéries et des champignons du solqui recyclent les nutriments. La frontière desarbres pourrait être due à des différences dansla quantité et les espèces de micro-organismesprésents dans les sols forestiers.Sandra Lavorel ne participera pas à la traverséede la cordillère de Darwin avec l’équipe d’alpi-nistes. En revanche, elle fera plusieurs incur-sions vers les sommets à partir du bateau, leNueva Galicia, qui servira de base logistique.Lors de ses expéditions, elle posera des camps deravitaillement pour les alpinistes et collectera,aux endroits où la neige le permet, des échan-tillons du sol et de feuilles. Ces échantillonsseront ensuite analysés par un laboratoire chilien2

avec lequel le Laboratoire d’écologie alpine col-labore depuis plusieurs années.

L’un des aspects fonda-mentaux de cette recher-che est qu’elle s’effectuedans un terrain vierge.« Lorsque nous effectuonsdes recherches dans lesAlpes, par exemple, noussavons que nous travail-lons dans des terrains quiont été défrichés, coloni-sés, utilisés pour l’agri-culture tout au long del’histoire. En revanche, enPatagonie, il n’y a aucuneinterférence humaine :toutes les caractéristiquesphysiologiques des espèces

sont en rapport direct avec les conditions climati-ques. » L’expédition promet donc de belles obser-vations sur l’évolution et l’adaptation des espè-ces aux climats les plus rudes. Observationsprécieuses à l’heure où le changement climati-que touche de plein fouet les régions suban-tarctiques. Nul ne doute que Darwin lui-mêmen’aurait pas manqué l’occasion d’explorer la cor-dillère qui porte son nom !

Sebastián Escalón

1. Laboratoire CNRS / Université Grenoble-I / UniversitéChambéry.2. Instituto de Ecología y Biodiversidad, UniversidadCatólica de Chile.

Podospora anserina se développeessentiellement par reproductionsexuée grâce à sesfructifications : ces excroissancesen formes de poires poiluesmesurent quelque 0,75 mm.

Après quelques décennies d’agricultureintensive, les recherches pour purger nossols des nombreuses substances d’origine

industrielle vont bon train. Une solution pro-metteuse nous vient aujourd’hui… d’un banalchampignon filamenteux, Podospora anserina.Fruit d’une collaboration entre trois laboratoires 1

associés au CNRS, une étude publiée en mai 2

prouve que Podospora anserina est en effet capa-ble de « digérer » des molécules polluantes en lesmodifiant chimiquement grâce à une de ses enzy-mes. Résultat : là où une autre espèce vivanteaurait succombé, le champignon assimile le pol-luant et le transforme en un autre composé nonnocif. Et le milieu s’en trouve assaini.L’idée a germé lors de la rencontre de deux cher-cheurs. Philippe Silar 3 explique à son confrèreJean-Marie Dupret 4 à quel point les champi-gnons représentent un incroyable réservoir d’en-zymes aux propriétés étonnantes. Les scientifi-ques décident alors de tester la résistance deplusieurs espèces de moisissures à une classemajeure de polluants, les amines aromatiques.Deux d’entre elles survivent, ce qui signifie queces champignons possèdent les enzymes leurpermettant de mettre hors d’état de nuire cescomposés aromatiques. Entre les deux rescapées,les scientifiques choisissent de concentrer leursefforts sur Podospora anserina, déjà bien connuedes laboratoires. À partir de ce champignon, lesbiochimistes identifient, clonent et purifient uneenzyme impliquée dans ces mécanismes derésistance, qu’ils nomment PaNAT2. Reste àdéfinir précisément son rôle. Pour cela, et grâceà la parfaite connaissance du génome de ce cham-pignon, l’équipe de Philippe Silar fabrique dessouches mutées pour lesquelles le gène de l’en-

zyme PaNAT2 est inactivé. Et lesmettent à l’épreuve d’un dérivé de

pesticide trouvé dans certaines ter-res agricoles, la 3,4-dichloroaniline

(3,4-DCA). Lors de ces tests réalisés enmilieu liquide, environ 45 % du polluant

est dégradée par la souche normale de Podos-pora anserina au bout de trois jours, contre seu-

lement 5 % par la souche mutée du champi-gnon ! « Ces résultats sans ambigüité prouvent quela voie enzymatique de PaNAT2 est bien impliquée

dans la capacité de ce champignon à senourrir de certaines molécules aroma-tiques » assure Jean-Marie Dupret.L’étape suivante va s’avérer tout aussiconcluante. Afin de simuler uneexpérience de remédiation, autre-ment dit de décontamination du sol,

les chercheurs ajoutent 0,5 g de champignon tou-tes les 24 h à un mélange de terre et de 3,4-DCA. Au bout de trois jours, ils y plantent desgraines de laitue, une plante choisie pour sasensibilité connue au 3,4 DCA. Mais même avecune concentration extrême de polluant, la saladegerme sans problème. Une preuve irréfutable del’action assainissante de Podospora anserina. Quidispose d’un autre atout non négligeable entant que candidat à la restauration de l’équilibredes sols : son mode de multiplication. En effet,il se développe essentiellement par reproductionsexuée. Pour éviter une prolifération incontrô-lable, il suffit d’inoculer des souches non com-patibles sexuellement dans le milieu et le cham-pignon disparaît au bout de quelque temps.Mais avant d’imaginer des tests sur un champentier, l’équipe de chercheurs doit encore éclair-cir quelques points : comment produire ce cham-pignon en grande quantité ? Est-il préférable del’enfouir ou suffit-il de le déposer à la surface dela terre ? Etc. Après ces études préliminaires,les scientifiques envisageront un partenariatpour tester la méthode en grandeur nature.

Caroline Dangléant1. Unité de biologie fonctionnelle et adaptative (UniversitéParis-VII), Institut de génétique et microbiologie (CNRS /Université Paris-XI), « Interfaces, traitements, organisationet dynamique des systèmes » (CNRS / Université Paris-VII).2. Édition en ligne de la revue Journal of Biological Chemistry.3. Chercheur à l’Institut de génétique et microbiologie,professeur de l’université Paris-VII.4. Directeur de l’unité de biologie fonctionnelle et adaptativede l’université Paris-VII.

Un champignon qui mange la pollution

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Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

ENVIRONNEMENT

ÉCOLOGIE

Un groupe d’explorateurs, dont fait partie une chercheuse du CNRS,va fouler l’une des dernières terres vierges du globe, en Patagonie.

Des alpinistes à l’assaut d’une terre inconnue

L ’esprit des grands explorateurs, Darwin,Humboldt ou Bougainville, anime l’expé-dition française qui, fin septembre, est par-tie à la conquête de l’une des dernières

régions inexplorées du monde, la cordillère deDarwin, à l’extrême Sud de la Patagonie. Les par-ticipants ? On y trouve des alpinistes, des scien-tifiques, des photographes, mais aussi un cinéasteet un écrivain. Comme à l’âge d’or de l’explorationdu monde, toutes les dimensions de la décou-verte seront au rendez-vous dans cette expédi-tion de six semaines baptisée, avec à propos, « Unrêve de Darwin ». « À l’origine du projet, il y a ungroupe de guides de haute montagne qui voulaientmonter une expédition dans une région inexplorée duglobe. Assez vite, leur regard s’est porté sur la cordil-lère de Darwin. Même si certains sommets côtiers decette chaîne ont été abordés, jamais personne n’atenté de la traverser dans toute sa longueur », raconteSandra Lavorel, directrice de recherche du CNRSau Laboratoire d’écologie alpine (Leca) 1 deGrenoble et membre de l’équipée.« Yvan Estienne, le leader de l’expédition, voulaitajouter à l’expédition une composante scientifique.Voilà pourquoi il m’en a parlé. » Et ce n’est pas auhasard que Sandra Lavorel a été contactée : elleest passionnée d’alpinisme… et spécialiste des éco-systèmes des régions aux climats extrêmes. Pourune fois, ce sont les caractéristiques de l’expédi-tion qui ont déterminé le choix de la rechercheet des expériences à réaliser : « C’est l’inverse dela démarche habituelle », admet volontiers la cher-cheuse. « Les alpinistes voulaient partir au début duprintemps austral, lorsque la neige recouvre encore

CONTACTÔ Jean-Marie DupretLaboratoire « Réponses moléculaires etcellulaires aux xénobiotiques », unité BFA, [email protected]

CONTACTÔ Sandra LavorelLaboratoire d’écologie alpine de Grenoble (Leca), [email protected]

Mission VIEDESLABOS

En Patagonie, le tempspeut changer violemmentet les vents dépasser les 200 km/h. Voilà lesconditions que SandraLavorel affrontera pourmener ses observationssur les écosystèmes.L’équipe effectuera une traversée de 100 km à travers cols, sommets et glaciers inconnus.

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BRÈVE

Une mandibuletrès parlanteUne partie de mandibule humaine,appartenant à un jeune individu et estimée1 à 500000 ans environ, a étérécemment découverte dans la carrièreThomas 1, à Casablanca, par une équipefranco-marocaine2 d’archéologuescodirigée par Jean-Paul Raynal, du laboratoire « De la Préhistoire à l’actuel : culture, environnement et anthropologie » (Pacea)3. Ce sont les seuls restes d’enfant de cettepériode trouvés au Maghreb. En 1969, la carrière avait déjà livré la moitiéd’une mandibule, puis des dents, et, en 2008, une mandibule complèted’adulte, des fragments crâniens et des vertèbres. Vu la morphologie de l’ensemble de ces fossiles, les chercheurs les attribuent à Homorhodesiensis, immédiatement antérieurà Homo sapiens, l’homme moderne. Ces découvertes poussent donc à revoirl’ancienneté de rhodesiensis,jusqu’alors évaluée à 300000 ansenviron. Et elles indiquent l’existenced’une population de ce type précisd’Homo clairement établie dans larégion il y a un demi million d’années.Le site marocain se révèle aussifondamental pour évaluer l’éventuellecontribution des hominidés nord-africains aux premierspeuplements d’Europe du Sud. Enfin, il s’agit du plus ancien témoignage de ces humains déjà tout proches de devenir des hommes modernes.> Contact : J.-P. Raynal, [email protected]

1. Elle a été trouvée dans le même niveausédimentaire et à proximité d’une dent datée par résonance de spin électronique.2. Avec l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine.3. Laboratoire CNRS / Université Bordeaux-I /Ministère de la Culture et de la Communication.

Morceau de mandibule d’enfant, trouvée en mai au Maroc, et vieille de 500000 ans.

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Page 8: Les promesses

Quels marchés le programme « Horizonhydrogène énergie » (H2E), lancé fin 2008,cible-t-il?Dominique Bernal : H2E a pour but la com-mercialisation à grande échelle de piles à com-bustibles (PAC 2) dans les secteurs qui ont besoind’électricité sans fil, pour lesquels les solutionsactuelles sont peu adaptées (batteries à autono-mie trop limitée, groupes électrogènes bruyants,polluants, peu fiables…). Ce sont par exempleles flottes captives 3 de chariots élévateurs, devéhicules administratifs et de transport collectifurbain. Nous ciblons également la fournitured’électricité de secours pour les sites sensibles(hôpitaux, bases de données informatiques…) etpour les sites isolés telles les antennes de télé-communications non raccordées au réseau élec-trique. Enfin, nous travaillons au développementde PAC en tant que source d’électricité portablepour les pompiers, le Samu, le secteur de l’évé-nementiel... Pour y parvenir, le programme fédèreune vingtaine de partenaires 4 autour d’AirLiquide, parmi lesquels le CNRS figure en bonneplace (lire l’encadré). D’une durée de sept ans,H2E dispose d’un budget de près de 190 mil-lions d’euros dont 67,6 d’aides apportées parl’établissement public Oséo. Une fois cetteétape franchie, la filière sera prête pourl’émergence de l’« hydrogène-éner-gie » dans le secteur automobile,prévue pour 2015.

Quels sont les verrous à lever?D.B. : Pour rentrer dans une phase d’industria-lisation des PAC, il faut encore améliorer leur per-formance, leur fiabilité et réduire leur coût de pro-duction. Créée en 2001 et spécialisée dans lafabrication de PAC, notre filiale Axane a déjàbien avancé sur ces différents points. Ainsi, unede ses PAC est parvenue à alimenter une antennerelais de téléphonie mobile durant 10 000 heu-res en continu. En outre, ses travaux ont permisde réduire leur coût de fabrication par dix, pouraboutir à une fourchette de 5000 à 10000 euros

par kilowatt. Sur cette thématique, plusieurs pis-tes d’amélioration sont explorées par H2E. Pourle cœur de la pile, nos travaux s’orientent parexemple sur la diminution de la quantité de pla-tine, et la recherche de nouveaux matériaux pourles plaques bipolaires 5.

Les recherches se concentrent aussi sur lestechnologies de stockage de l’hydrogène...D.B. : Tout à fait. L’objectif est de mettre aupoint des bouteilles et réservoirs à forte densitéde stockage qui allient résistance, sécurité, légè-

reté et ergonomie. Ainsi, nousmisons sur le stockage sousforme gazeuse à haute pres-sion (350 à 700bars), supportépar des matériaux compositesen fibre de carbone. Enfin,nous allons développer les tech-nologies permettant de pro-duire de l’hydrogène par élec-trolyse, à partir d’électricitéd’origine éolienne et photo-voltaïque. À l’heure actuelle,l’hydrogène est majoritaire-ment obtenu par transforma-tion du gaz naturel. Mais déjà,si l’on regarde l’ensemble ducycle de vie, la propulsion devéhicules par une PAC permetde diviser jusqu’à un facteurdeux les émissions de CO2 parrapport aux carburants pétro-liers. Face à la raréfaction desressources fossiles annoncée, àl’essor de la demande énergé-tique et au réchauffement cli-matique, l’hydrogène-énergieest donc vraiment une des solu-tions pour l’avenir.

Le programme H2E a-t-ild’autres objectifs?D.B. : Le programme contri-buera aussi à l’adaptation dela réglementation sur l’hydro-gène pour encadrer ces appli-cations énergétiques. À partir

des résultats des travaux qui seront menés, lesautorités définiront les normes en matière desécurité d’utilisation. Sur ce point, le programme

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INNOVATION 15

L a guerre chimique qui fait rage entreorganismes marins pourrait sauver desvies humaines. C’est l’espoir des parte-

naires, dont le CNRS, du projet Pharmasea quivient d’être labellisé par le pôle de compétiti-vité Mer Bretagne. Son ambition : s’attaquerà la maladie d’Alzheimer à l’aide de molécu-les d’origine marine. En particulier en déve-loppant un nouveau modèle d’étude de lamaladie sur la souris et en recherchant untraitement.Les membres de Pharmasea – deux PME etquatre centres de recherche académiques 1 –ne partent évidemment pas de zéro. Le porteurdu projet n’est autre que la jeune entrepriseManRos Therapeutics 2, cofondée en 2007par le biologiste Laurent Meijer, du labora-toire « Phosphorylation de protéines et patho-logies humaines » 3 de la Station biologique deRoscoff, et Hervé Galons, chimiste à l’uni-versité Paris-V. L’équipe CNRS de LaurentMeijer étudie depuis plusieurs années les ver-tus antitumorales ou antineurodégénérativesde molécules sécrétées par les éponges et lesascidies, des invertébrés marins, pour éloi-gner leurs prédateurs. Chez l’humain, cesmolécules sont susceptibles d’agir sur les pro-téines kinases, capitales dans la vie et la mortdes cellules. Ces recherches ont mené à ladécouverte de la roscovitine, une moléculeaujourd’hui brevetée par le CNRS et testéeen phase clinique contre le glaucome, cettepathologie oculaire pouvant conduire à laperte de la vue, et deux types de cancers. C’est justement pour donner un coup de fouetaux travaux sur ces molécules que LaurentMeijer, associé à Hervé Galons, a créé ManRosTherapeutics 4. Une petite société qui entendtriompher avec « vitesse et souplesse », commele précise Laurent Meijer, des obstacles admi-nistratifs et financiers liés à la recherche phar-maceutique. Pour l’instant, ManRos Thera-peutics teste quatre familles de molécules

marines en phase pré-clinique (sur des enzymes,des cellules ou des ani-maux) contre la maladied’Alzheimer donc, maisaussi contre les cancers,les leucémies et la poly-kystose rénale. Ensuite viendront –peut-être–les essais sur l’humain.La société, qui compte huit employés (biolo-gistes ou chimistes), a acquis les licences d’ex-ploitation de ces molécules auprès du CNRSqui, propriétaire des brevets, profitera despossibles « retombées ». « Le but, à ManRos, cen’est pas de gagner de l’argent. Le vrai bonheur,c’est de trouver de nouveaux traitements », expli-cite Laurent Meijer. Et l’ambition est affir-mée. ManRos Therapeutics espère se déve-lopper des deux côtés de l’Atlantique, commele laisse deviner son nom : « Man » pourManhattan et « Ros » pour Roscoff. L’im-plantation aux États-Unis (où se trouvent denombreux investisseurs), au même titre queles distinctions et les articles de presse– ManRos figure parmi les 100 start-up « lesplus prometteuses » de France dans un récentmagazine économique 5 – devrait faciliter laquête de financements. Notamment pour desprojets ambitieux comme Pharmasea.

Mathieu Hautemulle

1. ManRos Therapeutics / C.RIS Pharma / CNRS /université Rennes-I / université Paris-V / CEA. 2. www.manros-therapeutics.com3. Unité de service et de recherche CNRS.4. Laurent Meijer a saisi l’opportunité, offerte auxchercheurs du CNRS par la loi Allègre sur l’innovationet la recherche, de consacrer à l’économie 20% de sontemps de travail.5. Capital, août 2009.

14

s’attelle d’ailleurs au développement de techno-logies sûres, notamment pour les dispositifs deconnexion des bouteilles d’hydrogène. Enfin,H2E mettra en place des démonstrations gran-deur nature et des actions pédagogiques afin defamiliariser le plus large public avec ce nouveauvecteur d’énergie propre.

Propos recueillis par Jean-Philippe Braly

1. Air Liquide est le leader mondial des gaz pour l’industrie,la santé et l’environnement. La société produit7 milliards de m3 d’hydrogène par an, contribuant pour1,2 milliard d’euros à son chiffre d’affaires.2. Dispositif électrochimique qui transforme directementen électricité l’énergie contenue dans la moléculed’hydrogène. La PAC ne rejette que de l’eau, sans aucuneémission de CO2.3. Une flotte est dite captive lorsque les véhicules qui lacomposent s’approvisionnent en carburant, en énergie,dans un lieu qui lui est propre et non dans des stationspubliques. 4. Parmi eux : Axane, Hélion, Composites Aquitaine,Vicarb, Imphy Alloys, des PME, l’Institut de soudure, leCEA, l’Ineris et le CNRS.5. Les plaques bipolaires assurent la conduction desélectrons.

PROGRAMME

INNOVATION Entretien

Air Liquide1 pilote depuis fin 2008 le programme « Horizon hydrogène énergie »auquel participe le CNRS. Objectif : développer et commercialiser les premièresapplications de l’énergie provenant de l’hydrogène. Dominique Bernal, directeur destechnologies avancées du groupe, expose les défis à relever.

BRÈVE

Les 5 et 6novembreprochains, chercheurset industriels seretrouveront à Orléanspour partager leurssavoirs concernant le verre, ce matériau si présent au quotidienet en perpétuelleévolution. Lors desjournées Verre 2009,organisées par l’Unionpour la science et latechnologie verrières,les professionnelséchangeront ainsiautour destechnologies utiliséespar l’industrie, et desavancées récentes surla physique des verres.Par exemple sur laconnaissance de la

structure du matériauen dessous del’échellenanométrique, sur lesvitrocéramiques, ouencore sur les verresdits exotiques.Autres sujets abordés,les défis scientifiquespour des applicationscomme la vitrificationdes déchetsnucléaires.Le CNRS est partenairede cet évènement, auxcôtés d’acteurs de larecherche (CEA,université d’Orléans,etc.), et d’industriels(Saint-Gobain,Baccarat, etc.).

> Pour en savoir plus :http://verre2009.cnrs-orleans.fr/

Deux journéespour le verre

CONTACTÔ Laurent MeijerStation biologique de [email protected]

L’éponge axinelle,source potentiellede moléculesbioactives, dansson milieu naturelen Bretagne.

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Un remède venu du fond des mersALZHEIMER

Avec huit laboratoires impliqués1, le CNRS est l’un despartenaires majeurs du programme H2E. À titre d’exemple, leLaboratoire d’énergétique et de mécanique théorique etappliquée (Lemta2) travaillera à l’amélioration de la partieactive des piles à combustibles (PAC) : « Notre unité varecevoir un million d’euros de l’Etat pour apporter auprogramme son expertise dans la conception,l’instrumentation et l’analyse du fonctionnement des PAC,précise Olivier Lottin, chercheur au Lemta. Nos travauxpourraient générer le dépôt de brevets. En outre, cepartenariat nous permet d’entrer en contact avec lesindustriels internationaux à la pointe du domaine. »Deux autres laboratoires impliquant le CNRS travaillentaussi sur les PAC, trois sur les matériaux composites pour le stockage de l’hydrogène et deux sur les aspects liés à la sécurité d’utilisation. Plus généralement, Air Liquide et le CNRS ont plus d’une cinquantaine de

collaborations en cours dans le cadre d’un partenariatconclu en 2002.

J-P. B.

1. Institut pluridisciplinaire de recherche sur l’environnement et les matériaux ; Laboratoire de mécanique physique ; Laboratoire de mécanique

et de physique des matériaux ; Laboratoire d’étudesthermiques ; Laboratoire d’énergétique et de mécanique

théorique et appliquée ; Laboratoire d’électrochimie et de physicochimie des matériaux et des interfaces ;

Laboratoire matériaux organiques à propriétés spécifiques ;Laboratoire de combustion et de détonique.2. Laboratoire CNRS, Nancy Université.

Contact : Olivier Lottin, [email protected]

LE CNRS MOBILISÉ CONTACTÔ Dominique BernalAir [email protected]

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

Fauteuil médicaliséfonctionnant avec une pile à combustibleet de l’hydrogène.

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Hydrogène : une énergie durable pour l’avenir

Page 9: Les promesses

la différence entre un psychologue et un psychiatre 3. Ensuite, en raison desreprésentations qu’elles ont sur la dépression :certes, 85 % d’enquêtés la considèrent biencomme une maladie. Mais pour un tiers des répondants – qui lui prêtent des causesbiologiques – elle se soigne avant tout parantidépresseurs. Seulement un quart desrépondants – qui la considèrent plutôt liée à des causes psycho-sociales – privilégieraientla psychothérapie. Enfin, moins d’un quartpensent qu’on peut s’en sortir tout seul.

En quoi cette enquête peut-elle faire évoluer la situation?X.B. : Nous avons, grâce à cette consultation etnotamment à son volet sur les représentationsde la population sur la dépression, conçu lapremière campagne française d’informationsur le thème 4 en novembre 2007. Un livretgrand public met ainsi l’accent sur l’efficacitéde la psychothérapie. Par ailleurs, notre travail montre qu’il faut adapter les « soins » à chaque individu, en instaurant

des stratégies thérapeutiques médico-psychologiques bien sûr, mais aussi sociales,notamment sur le terrainprofessionnel. Et tenter,en amont, d’améliorer lesconditions de vie, d’éducation,de travail ou de parentalité,pour faire en sorte que

la dépression ne se déclenche pas. Car mieux vaut prévenir que (tenter de) guérir…

Propos recueillis par Stéphanie Arc

1. Centre CNRS / Inserm / Université Paris-V.2. Xavier Briffault a codirigé, avec Béatrice Lamboy, de l’Inpes, l’enquête menée de 2005 à 2008 sur6 500 personnes qui a donné lieu à l’ouvrage intitulé La dépression en France : enquête Anadep 2005, éd. Inpes, coll. Études santé.3. Le premier possède une formation universitairespécialisée en psychologie (niveau bac + 5), le second est un médecin spécialisé.4. www.info-depression.fr.

La plus grande enquête menée au sein de la population 2 et dédiée à la dépression en France vient d’être publiée par l’Institutnational de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes). Ce trouble est-il très répandu? Xavier Briffault : Oui, puisque selon notreétude, près de 18 % des Français ont présenté,au cours de leur vie, un « épisode dépressifmajeur » (EDM), sévère pour 50 % d’entreeux. Chaque année, environ 2 millions de Français connaissent un tel épisode. Et il ne s’agit pas d’« un coup de blues ». La « dépression », telle qu’elle est définie dansnotre enquête, se traduit soit par une tristesseet un désespoir profonds, soit par une pertetotale d’intérêt et de plaisir. Et au minimumpar quatre des symptômes suivants : fatigue extrême, ralentissementpsychomoteur, perte ou prise de poidsimportantes, insomnies récurrentes, penséesmorbides, idées suicidaires… Le tout durant au moins deux semaines, tous les jours, toute la journée. Elle entraîne aussi uneperturbation des activités habituelles ou bienune souffrance cliniquement significative.Cela dit, il n’y a pas d’épidémie de dépressionen France : ces chiffres n’ont guère variédepuis vingt ans, et s’avèrent sensiblement les mêmes dans tous les pays occidentaux.

Quelles sont les personnes les plus touchées?X.B. : Tout le monde, à tout âge, peut êtreconcerné par un épisode dépressif… Mais il est vrai que les femmes sont deux foisplus souvent touchées que les hommes. Ladépression est en effet liée à certains facteursde risques : le fait d’avoir eu des parents en conflit, humiliants, peu aimants, ou encoreincestueux, d’avoir été victime d’agressionsexuelle ou de violence physique et morale,

d’avoir rencontré des difficultés d’accès aux études, de connaître le chômage ou la précarité professionnelle, la dépendancefinancière ou d’avoir à charge d’élever un grand nombre d’enfants. Or plus souventque les hommes, les femmes sont exposées à nombre de ces risques. Elles seront donc23 % à vivre un EDM au cours de leur vie,contre 12 % des hommes.

Ces Français et Françaises qui souffrent de dépression ont-ils recours aux soins?X.B. : Assez peu, et souvent pas de la façon laplus adéquate… Ainsi, un tiers de ceux qui ont vécu un épisode dépressif n’ontjamais consulté de professionnel« pour raison de santé mentale ».Ce sont les femmes ainsi que lespersonnes plus diplômées, decatégories sociales plus élevées,qui y ont davantage recours. Parmiceux qui consultent, 31 % vontuniquement voir un généraliste.Quant aux traitements, ce sont les médicaments (antidépresseurs, somnifères, anxiolytiques…)qui l’emportent (52 % des cas) face à la psychothérapie (26 %). Or, selon les recommandations internationales, celle-ci devrait être un traitement de base,particulièrement pour les dépressions peusévères. C’est ainsi davantage le cas dansd’autres pays européens tels que les Pays-Bas,où la psychothérapie est mieux valorisée.

Pourquoi cette réticence à aller voir un « psy »?X.B. : D’abord, parce qu’une large majorité de personnes pensent qu’une thérapie s’avèrelongue et coûteuse. Et elles ont du mal à savoirqui fait quoi… La moitié des personnesinterrogées déclare ne pas connaître

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

Xavier Briffault, chercheur en sociologie et épidémiologie de la santé mentaleau Centre de recherche « Psychotropes, santé mentale, société » (Cesames) 1

La dépressionen mal de thérapies

PAROLED’EXPERT16

CONTACTÔ Xavier BriffaultCentre de recherche « Psychotropes, santé mentale, société » (Cesames), [email protected]

«Il n’y a pasd’épidémie de dépression en France.»

ont modulé le système biologique avec des choixzootechniques. » En d’autres termes, elle veutdistinguer, dans le processus d’évolution des animaux domestiques, ce qui relève de l’environnement ou du facteur humain.Comment cette jeune femme de 36 ans est-elledevenue une spécialiste reconnue de l’élevagepréhistorique ? Après des études d’archéologie,Marie s’initie à l’archéozoologie et passe un doctorat en sciences de la Terre à l’université Paris-VI où elle apprend

les techniques d’analyse isotopique des restes osseux. Depuis, elle conjugue

les deux disciplines. « Mes recherchesrelèvent des sciences humaines et sociales,

mes méthodes des sciences de la Terre »,précise-t-elle. Elle entre au CNRS en2001 et applique ses connaissancestechniques aux problèmesarchéozoologiques. Elle y excelle,

à tel point qu’elle reçoit dès 2005la médaille de bronze du CNRS.Très vite, elle se spécialise dans

l’étude des pratiques d’élevageau Néolithique. Les élevages

européens du XXIe siècle résultentde savoir-faire plurimillénaires.

Le mouton, la chèvre, le bœuf et le porc ont été domestiqués

vers 8 500 av. J.-C. dans les montagnesanatoliennes, dans l’actuelle Turquie. La

plupart des populations animalesdomestiques européennes

du Néolithique descendent de ces premières lignées.Mais leur diffusion hors de leur niche écologiquenaturelle implique parfoisdes modifications de leurcomportement alimentaireet reproductif. Ce sont ces modifications que lascientifique veut décrypter.

Mâchoires récentes de petits cochonscorses voisinant une caisse de dentsde bovins vieilles de 8 000 ans… Il règne dans le bureau de Marie

Balasse un joyeux désordre. Et pas le moindresigne extérieur de richesse. Pourtant, la jeunechercheuse du laboratoire « Archéozoologie,archéobotanique : sociétés, pratiques etenvironnements » 1, à Paris, a gagné l’annéedernière une bourse européenne de près de900 000 euros destinée à financer son projetsur cinq ans 2. La voici à la tête d’une équipe de huit personnes avec des crédits à gérer, desmissions et des salaires à prévoir, des résultatsà publier et des comptes à rendre tous les18 mois. Son projet ? Étudier les techniquesd’élevage des sociétés préhistoriques. Plusprécisément, elle souhaite « évaluer lescontraintes environnementales et physiologiques de l’élevage en Europe et déterminer dansquelle mesureles éleveurs duNéolithique 3

JEUNESCHERCHEURS 17

Comment retrouver les conditions de vied’animaux disparus depuis si longtemps ? À côté des méthodes d’ostéologie classique, il existe un témoin décisif : les dents. « Unedent de chèvre, même vieille de 9000 ans, détientdes informations précieuses », explique-t-elle.L’émail dentaire garde en effet en mémoire la période de croissance de l’animal, depuis la saison de sa naissance jusqu’à ses phases de lactation ou de transhumance, en passantpar ses stress nutritionnels. Encore faut-ilsavoir le faire parler. Cette enquête reposenotamment sur des analyses isotopiques trèsfines et un matériel de pointe, que la récentebourse a permis au MNHN d’acquérir.Aujourd’hui, le projet de Marie Balasse et deson équipe, baptisé Sianhe, comporte troisvolets. D’abord l’étude de la gestion alimentairedes troupeaux du VIIe au IIIe millénaire avantnotre ère : les isotopes stables du carbonerévèlent la nature de la nourriture, terrestre ou marine. Parmi les animaux examinés, les étonnants moutons de l’archipel des Orcades, au Nord de l’Écosse. Nourrisexclusivement d’algues – qu’ils vont parfoischercher à la nage–, ces moutons présententdes adaptations physiologiques qui entraventaujourd’hui leur retour sur des pâturesterrestres. Une piste du projet est d’étudier, en comparant des dents fossiles et des donnéesactuelles, l’ancienneté de ces adaptations, peut-être liée à celle de cette pratique. Les chercheurs s’intéresseront en deuxièmelieu au contrôle de la reproduction et à lasaisonnalité des naissances au Néolithique.Pour cela, ils analyseront cette fois les isotopesstables de l’oxygène dans des restes dentairesde moutons, bovins et cochons issus dedifférents sites européens. Enfin, ils étudieront,grâce aux isotopes stables de l’azote, la durée de lactation chez les bovins au Néolithiquemoyen, essentiellement dans le sud de laFrance et en Roumanie. On le voit, le projet deMarie Balasse recèle une multitude de facettes.Un challenge qu’elle aborde avec sérénité.

Françoise TristaniÔ Retrouvez les « Talents » du CNRS surwww.cnrs.fr/fr/recherche/prix.htm

1. Laboratoire CNRS / Muséum national d’histoirenaturelle.2. La bourse Starting Independent Investigator Grants, lancée par le Conseil européen de la recherche (ERC),récompense 300 jeunes chercheurs européens sélectionnésparmi plus de 9 000 candidatures.3. Le Néolithique est apparu à des époques différentes selon les endroits : il y a environ 9 000 ans au Moyen-Orient, il y a 3 000 ans en Amérique du Nord.

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

Marie BalasseCroque l’élevage à pleines dents

CONTACTÔ Marie BalasseLaboratoire « Archéozoologie, archéobotanique :sociétés, pratiques et environnements », [email protected]

« Mes recherchesrelèvent des scienceshumaines et sociales,mes méthodes dessciences de la Terre. »

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Page 10: Les promesses

Elles courent, elles courent, lesnanosciences et les nanotechno-logies, au point de s’imposeraujourd’hui parmi les domainesprioritaires de la recherche et de

l’innovation en Europe, aux États-Unis et enAsie. Et comme un pan de plus en plus majeurde l’économie planétaire. Estimé actuellementà 100 milliards d’euros, le marché internatio-nal des nanos, prévoient les analystes, devraitfranchir la barre des 1 700 milliards d’euros en2014 et représenter 15% de la production manu-facturière mondiale ! Le temps des débuts incer-tains semble loin, quand le physicien améri-cain Richard Feynman affirmait en 1959, dansune conférence provocatrice, que l’on pourraitécrire toute l’Encyclopaedia Britannica dans unetête d’épingle et résumait sa vision de l’aveniren une formule prophétique : « There is plentyof room at the bottom » 1. Après s’être développées dans les labos, lesnanos n’en finissent pas d’étonner et font déjàlargement partie de la vie courante, qu’il s’agissede la nanoélectronique omniprésente dans l’in-formatique, de l’encapsulation de médicamentsdans des nanoparticules ou des nanodispositifs

pour l’analyse et le diagnostic médical. Sansoublier les revêtements nanostructurés à base denitrure de titane pour augmenter la durée devie des outils de coupe, la nanofiltration deseaux usées, les nanocristaux d’argent dans lespansements pour constituer une barrière anti-microbienne, les nanoparticules inorganiquesintégrées comme additifs dans les peinturespour accroître leur résistance à l’abrasion, lesnanocatalyseurs, les emballages nanocomposi-tes et tutti quanti. « Dans cette course à la minia-turisation, l’électronique était sans doute la disciplinela plus à la pointe il y a cinq ans, commente Jean-Michel Lourtioz, directeur de l’Institut d’élec-tronique fondamentale (IEF) 2. Aujourd’hui, lesrecherches mariant les micro- et nanotechnologiesà la biologie et à la médecine suscitent une moti-vation comparable, et contribuent à des progrès trèsimportants dans ces deux domaines. »

CE QUE CACHE LE TOUT NANOMais au fait, de quoi parle-t-on, au juste ? Lesnanosciences « visent à l’exploration des proprié-tés physiques, chimiques et mécaniques nouvelles quemanifeste la matière à l’échelle du milliardième demètre, et les nanotechnologies à leur mise en

L’ENQUÊTE18 L’ENQUÊTE 19

Il y a tout juste quatre ans, Le journal du CNRS consacrait sa une à l’essor fulgurantdes nanosciences et des nanotechnologies qui, cela ne faisait guère de doute,allaient révolutionner de nombreux domaines dont la médecine et l’électronique.Alors qu’en est-il aujourd’hui? Les applications sont-elles au rendez-vous? Dans quels domaines? Y a-t-il eu des échecs? Quels sont les nouveaux défis pour la recherche? Comment s’est positionnée la France dans ce secteur à la croissance exponentielle? Pour le lancement ce mois-ci du grand débat sur les nanotechnologies organisé par la Commission nationale du débat public(CNDP), nous avons voulu dresser un bilan d’étape. Verdict : les nanossemblent bel et bien tenir leurs promesses… Dossier réalisé par Philippe Testard-VaillantLES PROMESSES TENUES

DES NANOS

Couverture du Journaldu CNRS d’octobre2005. Quatre ansaprès, où en sont les nanos?

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009 Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

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Les nanotechnologies font déjà partie de la viecourante. Les nanotubes de carbone, par exemple,sont employés pour réaliserdes clubs et des balles de golf ou des cadres de vélo. Mais les nanos sont aussi présentes dans des produitscosmétiques (crèmes solaires, anti-vieillissement…), les pneumatiques,l’électronique, les peintureset les vernis, les systèmesantibactériens de certainslave-linge…

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Page 11: Les promesses

le dépôt de brevets. Or, sans une réaction d’envergure,face à de nouveaux entrants redoutablement per-formants (Taïwan, Corée du Sud, Singapour, Israël,Russie…), nous serons progressivement distancésdu peloton des nations qui ambitionnent de jouer unrôle de premier plan, au niveau mondial, dans l’ex-ploitation économique des nanotechnologies. » D’où le lancement, en mai dernier, du planNano-Innov. Doté dès cette année d’un budgetde 70 millions d’euros géré par l’Agence natio-

nale de la recherche (ANR) et déjà garanti pour2010, ce programme repose sur la création detrois grands centres d’intégration technologiquesà Saclay, en région parisienne, Toulouse etGrenoble. « Ces trois pôles complémentaires vontpermettre, pour la première fois dans ce domaine-clé, d’associer intimement recherche scientifique etdéveloppement industriel », insiste Pierre Guillon,directeur de l’Institut des sciences et technolo-gies de l’information et de l’ingénierie (INST2I).

L’objectif n’est pas du tout d’arrêter de faire desnanosciences, mais de « sensibiliser un certainnombre d’équipes académiques de très haut niveauaux aspects applicatifs de leurs travaux », ren-chérit Alain Costes. À terme, chaque centred’intégration disposera d’équipements mutua-lisés couvrant tout le spectre des nanotechno-logies, et se trouvera ainsi dans les meilleuresconditions pour travailler main dans la mainavec l’industrie.

LA FRANCE, PLUS NANOSCIENCESQUE NANOTECHNOLOGIELa place de la France dans la compétition inter-nationale très agressive que se livrent les prin-cipaux acteurs du secteur ? Avec quelque3500 publications sur le thème par an, l’Hexagonedécroche une très honorable cinquième placederrière les États-Unis, le Japon, la Chine etl’Allemagne. Du côté de la recherche technolo-

gique, l’élève tricolore occupe en revanche unrang bien plus modeste (moins de 2 % des bre-vets mondiaux). Dans ce domaine, « notre paysfigure dans la catégorie des tours d’ivoire, dit AlainCostes, du Laboratoire d’analyse et d’architec-ture des systèmes (Laas) du CNRS. Cela signifieque nous avons des difficultés à transformer les résul-tats de notre recherche scientifique en innovationstechniques porteuses de croissance économique, via

Déjà, une dizaine denanomédicaments, concernantnotamment le traitement du cancer(Endorem, Caelyx, Doxil…) et de mycoses profondes(Ambisome), sont sur le marché. Ces nanoparticules soixante-dix foisplus petites qu’un globule rouge et biodégradables peuvent délivrerleurs principes actifs à un organe, un tissu ou une cellule malade. Celles de première génération sont reconnues par l’organismecomme des corps étrangers et doncéliminées via le foie. Elles s’avèrentdonc très utiles, mais uniquement pour les pathologies hépatiques. La deuxième génération, dite furtiveparce que recouverte de polymèreshydrophiles et flexibles la rendantinvisible au système immunitaire, a pu étendre les indications.Séjournant beaucoup plus longtemps dans la circulation sanguine générale, ces nanovecteurs peuvent traiter d’autrespathologies comme les maladiesdégénératives cérébrales.

L’heure est aux vecteurs de troisième génération. Leur avantage? « On peutéquiper ces nanotransporteursde “têtes chercheuses »(vitamines, hormones,anticorps, peptides…) qui vont reconnaître de manière

sélective les cellules pathologiques cibles »,se félicite Patrick Couvreur, directeur dulaboratoire « Physicochimie, pharmacotechnie,biopharmacie »1. Autre avantage de cesmissiles hyperminiaturisés : en y intégrant des nanoparticules métalliques, la libération du médicament, au lieu d’intervenir de manièrepassive, au fil du temps, peut être activée à volonté par des ultrasons ou par chauffageradiofréquence. Une autre application des nanovecteurssemble très prometteuse. Il ne s’agirait plus de délivrer aux cellules des substancesmédicamenteuses mais des portions d’ADN.« Remplacer entièrement un gène défectueuxou absent reste toujours extrêmementproblématique, dit Patrick Couvreur.En revanche, les nanovecteurs pourrontacheminer de petits fragments d’acidesnucléiques afin d’inhiber l’expression d’un gène cancéreux ou viral. »

1. Laboratoire CNRS / Université Paris-XI.

Ô Patrick [email protected]

L’ENQUÊTE20 L’ENQUÊTE 21

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009 Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

œuvre dans toutes sortes de produits finauxcommercialisables », rappelle Claude Weisbuch,du Laboratoire de Physique de la matièrecondensée (PMC) 3. Pour créer du nano, il existedeux recettes : il y a d’abord l’approche des-cendante qui consiste à réduire de manière pro-gressive la taille des objets pour pénétrer infine dans la zone se situant en dessous de100 nm. Et l’approche inverse qui consiste àmanipuler la matière atome par atome pourconstruire des nano-objets. Pour les « puristes »comme Christian Joachim, du Centre d’élabo-ration des matériaux et d’études structurales(Cemes) du CNRS, les nanotechnologies selimitent d’ailleurs à cette dernière voie : « Leurdéfinition est devenue beaucoup trop élastique et95 % de ce qui se dit nano relève de l’abus de lan-gage. » Aux experts de vider cette querelle… Toujours est-il que, s’agissant des constructionsatome par atome ou des expériences avec uneseule molécule, les prouesses se sont multi-pliées en cinq ans grâce aux microscopes à effettunnel (STM) et à force atomique (AFM)4. « Trèsrécemment, s’enthousiasme Christian Joachim,des chercheurs du centre de recherche d’IBMResearch à Zurich sont parvenus à cartographierles liaisons chimiques à l’intérieur même d’unemolécule de pentacène. » Un peu comme uneradio permet de voir à l’intérieur du corpshumain. Les avancées les plus fascinantesconcernent toutefois la mécanique. « Noussavons fabriquer des molécules-moteurs, desmolécules-engrenages, des molécules-brouettes, etc.,dont les dimensions font 1 à 2 nanomètres. Il y amême en ce moment un petit concours sur la pla-nète pour construire la première molécule-voitureéquipée de quatre roues et d’un moteur ! Personnene peut dire à quelles applications pourraient ser-vir ces molécules-machines. Mais ces travaux nousapprennent déjà les règles de conception de machi-neries ou de circuits dans une seule molécule. »

Les liposomes, des vésicules dequelques dizaines àquelques centainesde nanomètres,constituentd’excellentsnanovecteurs de médicaments.

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DES MÉDICAMENTSde précision

Incubation denanomédicamentsavec des cellulescancéreuses de souris. L’objectif de cette rechercheest la découverted'un nouveaumédicamentanticancéreux.

Nul besoin d’une boule de cristal pour prédire que les diodesélectroluminescentes (LED), à base de matériaux semi-conducteurs,essentiellement le nitrure de gallium,s’apprêtent à envahir notre quotidien.C’est déjà fait. Pas un mois ne passe sans que des ingénieurs ne leur trouventune nouvelle utilité dans les téléviseurs et les télécommandes, les automobiles ou les téléphones portables, pour l’éclairage public ou domestique…« On cherche actuellement à y incorporerdes nanocristaux au lieu des couches“classiques” convertissant le bleu en jaune comme dans les tubesfluorescents (les néons) », explique Jean-Yves Duboz, directeur du Centre de recherche sur l’hétéroépitaxie et ses applications (CRHEA) du CNRS. En effet, ces nanocristaux, quand ils sonttraversés par des électrons (un courantélectrique), émettent des photons (de la lumière). Seulement, les photonsémis peuvent, selon leur taille, êtresource de différentes couleurs.

« Pour obtenir un éclairage blanc, on“mélange” astucieusement des photonsrouges, bleus et verts, ce qui suppose decoupler trois LED, dit Jean-Yves Duboz.Pour notre part, nous essayons de mettreau point des LED n’utilisant qu’un seulcristal capable d’émettre directementtoutes les couleurs. Pour cela, nous y insérons des éléments nanométriques,des espèces de “grumeaux” de taillevariée émettant qui du bleu, qui du vert,qui du rouge…, et produisant, à eux tous,de la lumièreblanche. C’est la solution idéale sur le papier. Même,si pour le moment,nos LED manquentde puissance. »

Les cristauxphotoniquespourraient permettrebientôt d’améliorerl’efficacité des LED.

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LES NANOLUMIÈRESbrillent de mille feux

Quid du rendement des systèmesactuels? Franchement satisfaisant. Les LED blanches commercialisées à ce jour affichent une efficacitélumineuse de 100 lumens 1 par watt(lm/W), contre 60 à 80 lm/W pour les lampes à fluorescence et 16 lm/Wpour les ampoules à incandescence.« Des prototypes frisent les 200 lm/W,poursuit Jean-Yves Duboz. Toutefois, les LED sont très efficaces quand elles fonctionnent sous faible courant.Mais aux plus forts courants qu’il faudraitpour assurer l’éclairage public et industriel à coût réduit, leur efficacitéchute encore un peu (75 lm/W). » Faire appel aux cristaux photoniques (des espèces de cages à lumièreconstituées d’un agencement périodiquede nanostructures et fonctionnant grosso modo comme les panneauxcatadioptriques installés le long des routes) pourrait « améliorer la directionnalité des LED, autrement dit, les empêcher de cracher

de la lumière dans toutes les directions »,renchérit Henri Benisty,du Laboratoire Charles-Fabry de l’Institut d’optique(LCFIO) 2.

1. Le lumen est l’unité de mesure du flux lumineux.2. Unité CNRS / Université Paris-XI.

Ô Jean-Yves [email protected]

Ô Henri [email protected]

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Observation à l’aide d’un microscopeélectronique à balayage de micro-disquesde nitrured’aluminium et de gallium, unsemi-conducteurutilisé pourfabriquer des LED.

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L’ENQUÊTE22 L’ENQUÊTE 23

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009 Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

Le CNRS est un des grands acteurs de ceplan. Il faut dire qu’avec environ 170 labora-toires et près de 2 000 chercheurs impliqués,les nanos font incontestablement partie despriorités scientifiques depuis plusieurs années.Et la nouvelle organisation – prévue par leContrat d’objectifs 2009-2013 du CNRS avecl’État – vient d’en apporter une nouvelle preuve.Au centre de celle-ci, figurent en effet troisgrands Pôles interdisciplinaires, dont un bap-tisé… « Origine et maîtrise de la matière, Nano-sciences, Nanotechnologies ».

L’ÉTHIQUE EN QUESTIONMais tout en nourrissant de grands espoirs, tantses champs d’application sont vastes, l’infini-ment petit suscite en retour des craintes. « Lesnanos véhiculent leur lot de peurs, reconnaît RobertPlana, du Laas. Leur avènement intervient dans uncontexte global de contestation de la science et de latechnologie. S’il convient d’explorer les incertitudeset les risques associés aux nanotechnologies ainsi queles effets sur la société, il importe également de ne pasagiter le chiffon rouge en criant : Alerte ! Alerte !avec une naïveté scientifique confondante. »

Parmi les polémiques, explique Claude Weis-buch, « certains affirment que l’on ne voit pas lesobjets des nanotechnologies et que l’on peut êtreexposé sans le savoir ». Le plus souvent, en fait,ces objets ne seront pas accessibles sous leurforme nanométrique, mais dans un matériau-système à l’échelle humaine, bien visible,comme par exemple un circuit intégré. Parcontre, les nanotechnologies permettront d’ac-céder à « des moyens qui poseront sans doute desproblèmes accrus en matière de protection des liber-tés individuelles et collectives, en facilitant destechniques déjà présentes : fichage génétique desindividus, fichage informatique, surveillance desdéplacements… ».Reste une question-clé : la fabrication massivede matériaux nanostructurés par l’humain peut-elle faire craindre une invasion de nanoparti-cules non contrôlées, certaines néfastes pour lasanté, dans notre environnement ? Parmi lespréoccupations sociétales liées à la flambée desnanotechnologies, « ce problème est certainementle plus médiatisé, constate d’abord StéphanieLacour, du Centre d’études sur la coopération juri-dique internationale (Cécoji) 5. Un lien direct a été

établi, dès le départ, entre les nanotechnologies et lesprécédents de l’amiante et des biotechnologies, en par-ticulier des OGM » qui ont profondément mar-qué le public. Or, jusqu’à ces derniers mois, « iln’existait aucun texte juridique spécifique applica-ble aux nanotechnologies, ni en France ni au niveaueuropéen, indique notre juriste. Les choses sonten train de bouger. En mars et avril 2009, leParlement européen a adopté deux résolutions surla présence des nanomatériaux dans les produitscosmétiques et dans les aliments. Et la Loi Grenelle,dont l’article 42 cible les risques liés aux nanopar-ticules, a été promulguée le 3août dernier. »Surtout, une nouvelle discipline prend sonessor : la nanotoxicologie, vouée à qualifier etquantifier la dangerosité des nanomatériaux.« Il existe aujourd’hui près de 2 000 articles sur latoxicité des nanoparticules, contre à peine une cin-quantaine il y a cinq ans, se félicite Éric Gaffet,du Groupe de recherche sur les nanomaté-riaux 6. Mais le manque de toxicologues et d’éco-toxicologues travaillant sur le sujet, tant au niveaunational qu’international, se fait cruellement res-sentir. La difficulté vient de ce qu’un gramme denanoparticules de TiO2 [dioxyde de titane],

Biocapteurs et biopuces font des sautsde géant et figurent parmi les pistes les plus dynamiques des nanobiotechnologies. Les premiers,encore au stade du prototype, « servent à détecter une “espèce biologique”particulière (ADN, protéines, virus…),par exemple dans un système trèscomplexe comme une goutte de sang, dit Anne-Marie Gué, du Laboratoired’analyse et d’architecture des systèmes(Laas). Les possibilités ouvertes par lesnanotechnologies sont très riches : onpeut utiliser, par exemple, des nanofils oudes nanopoutres en silicium sur lesquels

on dépose un appât (des brins d’ADN,des anticorps…) pour sélectionner lamolécule que l’on veut pêcher ». Lorsquela « cible » se fixe sur une micropoutreultra-sensible, cette dernière se met à vibrer d’une manière qui va signer la « capture » de la molécule recherchée,le reste du système se chargeant de l’analyser. « À l’Institut d’électroniquefondamentale (IEF) 1, nous développonsun nano-biocapteur original : chacunedes poutres est creusée d’un canalinterne pour permettre la circulation du fluide biologique. La poutre elle-mêmen’est donc pas plongée dans le fluide,intervient Jean-Michel Lourtioz. Grâce à cette astuce, les variations d’amplitudeou de fréquence de vibration sont plusfacilement détectées. »Qu’en est-il des biopuces, déjà utiliséesdans quelques laboratoires médicaux?Au lieu d’identifier une seule moléculedans un échantillon biologique, « le butest de réaliser un très grand nombred’opérations à la fois », dit Anne-MarieGué. Pour cela, les biopuces sont

composées d’un support solide (verre,plastique, silicium) couvert de plotsminuscules sur lesquels on dépose des molécules d’ADN, des protéines oudes groupements chimiques qui pourrontcapturer de manière spécifique l’ADN ou l’ARN complémentaire (puces à ADN),ou des protéines (puces à protéines).« Une puce à ADN permet d’analysersimultanément de quelques dizaines à plusieurs milliers de séquences d’ADNdifférentes afin de détecter, par exemple,la présence d’un virus ou la signatured’une pathologie ».Contrairement au biocapteur, la lecture du signal, pour le moment, n’est généralement pas intégrée dans la biopuce, mais effectuée par uneinstrumentation extérieure. « Biopuces et nanobiocapteurs trouvent là un pointde convergence très prometteur par lapossibilité d’insérer, au niveau de chacundes plots, un biocapteur, commenteAnne-Marie Gué. Mais l’ambition des nanobiotechnologies ne s’arrête paslà et pose le défi d’intégrer sur de toutespetites surfaces des procédés d’analysecomplets. Biocapteurs et biopucesdeviennent alors des “laboratoires sur puce”. » Dans ces laboratoires surpuce pourraient même être intégrés deslasers, faits à partir des nanostructuressemiconductrices de la famille du nitrurede gallium (GaN) et de l’oxyde de zinc(ZnO), en vogue au Centre de recherchesur l’hétéroépitaxie et ses applications(CRHEA). « Nous testons la faisabilitéd’un nanolaser à base de nanofils de GaN émettant dans l’ultraviolet, ditJesús Zúñiga Pérez. D’une centaine denanomètres de largeur, ce laser, intégré à un laboratoire sur puce, servirait à exciter des molécules organiques dans un échantillon biologique »et à analyser la composition desditesmolécules. Mais pour parvenir à mettreau point ces laboratoires de poche, il faudra maîtriser les fluides dans desvolumes inférieurs au nanolitre ainsi quela manipulation des espèces biologiquesjusqu’au niveau de la cellule unique.

1. Unité CNRS / Université Paris-XI.

Ô Anne-Marie Gué[email protected]

Ô Jean-Michel [email protected]

Ô Jesús Zúñiga Pé[email protected]

En matière de nanophotonique (l’étude du comportement de la lumière à l’échelle du nanomètre), un sujetstimule de façon exemplairel’imagination des chercheurs :la plasmonique, domaine où la lumière surfe à la surface des métaux grâce aux électrons libres de ces derniers. C’est unepetite révolution qu’a été la découverte, en 1998, parThomas Ebbesen, aujourd’huidirecteur de l’Institut de science et d’ingénierie supramoléculaire (Isis)1

d’un phénomène très inattendu baptisé« transmission optique extraordinaire » ou « tamis à photons ». « Un tamis à photons est un réseau de trous percés dans une surface métalliquenanostructurée, régulièrement espacéset présentant un diamètre de 100 ou200 nm, donc bien inférieur à la longueurd’onde de la lumière visible, dit HenriBenisty, du LCFIO. Or, quand on éclairecette surface, la quantité de lumière qui en sort est plus importante que cellequi frappe les trous. Même la lumière

qui tombe à côté des trous est ainsi canalisée de l’autre côté de l’échantillon. »Des propriétés hors normes que les chercheurs tentent de mettre à profit pour peaufiner la manipulationnanoscopique de la lumière. « On a l’espoir de provoquer des modificationsultra-localisées, bien plus concentréesque celles que permet un laser, en lithographie, en biologie, par exempledans les compartiments d’une cellule, ou encore pour l’écriture d’informationsdans les disques durs », poursuit HenriBenisty. Enfin, la plasmonique pourraitaméliorer le rendement des cellules

photovoltaïques en captant mieux la lumière pour la transformerefficacement dans des matériauxnanostructurés.S’agissant destélécommunications,l’utilisation desphotons continue sur sa lancée pourdes liaisons de plusen plus courtes dans les composants.

Rien n’empêche d’envisager que des connexions optiques remplacentprochainement les connexionsélectroniques jusque dans les circuits.« Densifiées comme elles le sontaujourd’hui, ces dernières posent des problèmes de parasitage et de consommation, dit Henri Benisty.Des architectures contrôléesnanométriquement sont à l’étude pour exploiter l’optique à l’intérieur d’une puce et transporter les fluxd’information les plus massifs ou les plus gourmands en énergie. »1. Institut CNRS / Université de Strasbourg.

Ô Henri Benisty, [email protected]

Avec lesnanobiotechnologies,les technologies de nanofabricationsont directementexploitées, pour développer des outils utiles à la biologie ou à la médecine,comme ici desbiopuces.

Structurenanophotoniquepermettantl’aiguillage des informationsoptiques (ici deuxcanaux portés par deux longueursd’onde proche). Ce type de systèmepourrait intégrer un jour les pucesélectroniques.

Cette biopucepermet d’analyserdes milliers de séquences d’ADNou de protéines.

Un labo sur une TÊTE D’ÉPINGLE

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Impossible de dresser la liste exhaustive de tous les nanomatériaux objets de recherches ou déjà présentsdans la vie courante. À tout seigneur, touthonneur : les nanotubes de carbone, découvertsen 1991 et devenus des figures emblématiquesdes nanosciences. Présentant l’aspect de cylindres creux dont la surface est formée par un ou plusieurs feuillets de carbone enrouléssur eux-mêmes, ces nanomatériaux se distinguent, entre autres, par leurs propriétésmécaniques – ils sont cent fois plus résistantsque l’acier et six fois plus légers, acceptent degrandes déformations en flexion et en torsion – et leurs qualités exceptionnelles pour la conduction électrique. Les nanotubes de carbone, employésaujourd’hui dans de nombreux objetscomme les raquettes de tennis, les cadres de vélos, les carrosseriesde Formule 1, « poursuiventhardiment leur bonhomme de chemin

(7000 publications et 2500 brevets dans le mondeen 2008), dit Pascale Launois, du Laboratoire de physique des solides (LPS) 1 à Orsay. Un pointqui nous intéresse, au laboratoire, est l’arrivéeassez récente des nanohybrides : il s’agit de nanotubes à l’intérieur desquels on insère des molécules diverses pour essayer de modulerà volonté leurs propriétés mécaniques ouélectroniques ». La cavité cylindrique de certainsnanotubes, ceux constitués d’une seule paroi,permet d’y synthétiser des chaînes moléculairesqui n’existent nulle part ailleurs. Par exemple,

« les pea pods, ainsi appelés à causede leur ressemblance avec descosses de petits pois, sont formés de chaînes périodiques de molécules de fullerène C60 2

dans des nanotubes. Or les fullerènesou d’autres molécules, ainsiconfinées à l’échelle nanométrique,possèdent des propriétés physiquesinédites. Cela reste prospectif, maison peut envisager des applications entermes de filtration, de désalinisationde l’eau de mer ou de stockage des déchets radioactifs ».

1. Laboratoire CNRS / Université Paris-XI.2. Le fullerène C60 est la forme la plus courantede la molécule ; il contient 60 atomes decarbone organisés en une structure semblableà celle d’un ballon de football.

Ô Pascale Launois, [email protected]

L’ENQUÊTE24 L’ENQUÊTE 25

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009 Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

l’avantage d’être rapides et de conserverl’information sans apport d’énergie ».Électronique quantique, spintronique…Une troisième électronique pourrait bien émerger grâce aux nanosciences :l’électronique plastique. GeorgesHadziioannou, du Laboratoire de chimiedes polymères organiques (LCPO) 5,planche ainsi sur les polymèressemiconducteurs, des matériaux à basede carbone présentant des propriétéssimilaires à celles du silicium. À la clé :des écrans d’affichage souples de grandesurface et des cellules photovoltaïquespliables. « L’électronique plastique n’apas l’ambition de détrôner l’électroniqueclassique mais de la compléter, dit-il. Lespolymères semiconducteurs présententl’énorme avantage d’être flexibles, d’où,par exemple, la possibilité de les glisserdans des habits. Surtout, ils sont plusfaciles à produire, donc moins chers, que les circuits intégrés traditionnels. »

1. Cette taille est en fait celle de la « grille », l’unedes trois électrodes qui constituent un transistor.2. Les électrons peuvent être considérés comme de petits aimants, dont l’orientation est définie par le spin. 3. Découverte par Albert Fert, Prix Nobel dephysique. Lire Le journal du CNRS, n° 215, article« En avant la spintronique »www2.cnrs.fr/presse/journal/3681.htm4. Unité CNRS / Thalès associée à l’université Paris-XI.5. Laboratoire CNRS / Université Bordeaux-I.

Ô Henri Mariette, [email protected]

Ô Frédéric Nguyen Van [email protected]

Ô Georges Hadziioannou, [email protected]

Ô Jean-Michel [email protected]

l’heure, ces systèmes électroniques dits« quantiques » en sont à leurs prémices. Autre champ très actif : l’électronique de spin, ou spintronique. Alors quel’électronique traditionnelle utiliseuniquement la charge électrique de l’électron pour propager des signaux à l’intérieur d’un réseau de transistors,cette discipline fait appel aux propriétésmagnétiques des électrons. Un effetphysique déjà mis à profit pour stockerl’information dans les disques durs des ordinateurs et des serveurs. Désireux d’approfondir leurstravaux, les chercheurs rêventd’exploiterl’orientation du spin desélectrons 2

pour leur fairemémoriser de l’informationdans des circuits combinantélectronique et magnétisme.Plus concrètement, la spintronique « a donnénaissance à plein d’autresnouveaux effets physiques en

dehors de la célèbre magnétorésistancegéante 3, dit Frédéric Nguyen Van Dau,directeur de l’Unité mixte de physiqueCNRS / Thalès 4. Certains phénomènes,comme le “transfert de spin”, permettentmême d’envisager des mémoiresfonctionnant sans que l’on ait besoind’appliquer localement le champmagnétique pour les écrire, commeaujourd’hui. Cette technique devraitfaciliter le développement de la filière desmémoires dites MRAM qui présentent

Certaines équipes fourmillent d’imagination pour exploiter le pouvoir dépolluant des nanoparticules d’oxydes métalliques (fer, titane, cérium, aluminium…), histoire de traiter les eaux usées ou d’assainir des solscontaminés. « Une surface enduite d’un nanofilmd’oxyde de titane, lorsqu’elle est exposée à la lumière du soleil, rend inactifs les polluantsorganiques (pesticides) et les micro-organismespotentiellement pathogènes (bactéries, virus)contenus dans l’eau. Cette technique reste toutefois marginale et n’est exploitée que pour le traitement d’effluents hébergeant un nombre limité d’espèces polluantes »,explique Jean-Yves Bottero, chercheur au Centre

européen de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement (Cerege) 1. Un autre procédé consiste à fabriquer des membranes céramiques à base de nanoparticules d’oxy-hydroxyde de fer (les ferroxanes) pour la nanofiltration d’effluentsliquides pollués. Une « chimie verte » porteused’espoirs, en particulier pour les pays en voie de développement où l’eau est souvent impropreà la consommation. Même si ces travaux n’ont pas encore franchi le seuil des labos.

1. Unité CNRS / IRD / Université de Provence / UniversitéPaul-Cézanne / Collège de France.

Ô Jean-Yves Bottero, [email protected]

Ô Jérôme Rose, [email protected]

Année après année, la finesse descircuits intégrés n’en finit plus de battredes records. La voilà qui affichedésormais en production quelque 45 nm 1,contre 90 nm en 2004, l’objectif visé par l’industrie du silicium étant dedescendre à 15, voire 10 nm. L’intérêt?Plus les éléments de base des circuits– les transistors – sont petits, plus on peuten mettre sur une puce. Et plus on gagneen puissance de calcul.Alors pour pousser les circuits auxconfins de la miniaturisation, les équipes« défrichent toutes sortes de pistes,comme l’utilisation de transistors à basede nanotubes de carbone ou de nanofilsde silicium, ou encore à base degraphène, un cristal composé d’atomesde carbone » dit Jean-Marie Lourtioz,directeur de l’Institut d’électroniquefondamentale. Les experts ès nanosciences tentent aussi de développer des structures à l’échelleatomique ou moléculaire. « Utiliser un et un seul atome ou une et une seulemolécule comme brique électroniqueélémentaire et disposer ainsi d’un modede traitement de l’information nettementplus rapide est la voie ultime », dit HenriMariette, responsable d’une équipe CEA-CNRS à l’Institut Néel du CNRS. Pour

Les nanos voient L’AVENIR EN VERT

Les « peapods », à base de nanotubesde carbone,forment une famillede nouveauxmatériaux dont lesapplications sontaussi prometteusesque variées.

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Vue intérieuremontrant les supportssur lesquels sont fabriquées ces nanostructures.

Les transistors à nanotube de carbone uniquedeviennent de plusen plus performants.La montée enfréquence de cesdispositifs augmenteleur capacité detraitement.

Exemple de nanostructures à basede copolymères servantà concevoir des cellulesphotovoltaïques.

Machine sous ultra-vide permettantd’élaborer desnanostructures à basede semi-conducteurs(puits, fils et boîtesquantiques).

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Un microscope à fluorescencepermet de suivrele déplacement demolécules au seinde cellules.

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Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009 Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

par exemple, peut contenir jusqu’à dix millionsde milliards de nanoparticules qui n’ont pas toutesla même taille, la même réactivité chimique, lamême stabilité dans le temps. » Caractériser ladistribution de chaque paramètre (taille, forme,persistance dans les tissus…) dans un échantillondemeure un casse-tête, puisque « tout type denanoparticule présente une toxicité potentielle spé-cifique dépendant de son cycle de vie, poursuit lemême chercheur. Il faudrait cinquante ans,estime-t-on, pour tester, avec les moyens humainset techniques actuels, la toxicité de toutes les nano-particules déjà commercialisées. » Mais peut-on d’ores et déjà assurer que les nano-matériaux constituent une réelle menace sani-taire? Rien ne permet de l’affirmer, ni le contraired’ailleurs. « Les nanomatériaux doivent être consi-dérés comme potentiellement dangereux, ainsi quel’indique le rapport de l’Agence française de sécuritésanitaire de l’environnement et du travail paru enjuin 2008 7, résume Éric Gaffet. Des tests de toxi-cité pratiqués sur des modèles animaux et cellulai-res montrent une dangerosité spécifique de certainsnanomatériaux et le franchissement de certainesbarrières biologiques. Mais il est pour l’instant trèsdifficile d’extrapoler ces résultats à l’homme. »Sait-on se protéger des nanoparticules, lorsquecelles-ci se retrouvent sous forme d’aérosols? L’ef-ficacité des systèmes actuels, celle, notamment,des filtres à fibres disposés dans les systèmes deventilation ou les masques respiratoires queportent les opérateurs, est globalement satis-faisante. Les filtres les plus performants par-viennent à capturer plus de 99,99 % des parti-cules de 4 nm. Les particules entre 100 et500 nm, elles, sont moins faciles à piéger, ce qui

dément l’idée très répandue selon laquelle seul« l’effet tamis » 8 conditionne l’efficacité des fil-tres. Mais les progrès sont là : « En utilisant desfiltres à fibres chargées électriquement et en jouantainsi sur les effets électrostatiques pour modifier latrajectoire des particules et favoriser leur capture, onparvient déjà à neutraliser entre 95 % et 99 % desgrosses nanoparticules », dit Dominique Thomas,du Laboratoire des sciences du génie chimique(LSGC) du CNRS.Dernier point : les scientifiques réfléchissent-ils assez à l’impact éthique et sociétal de leursrecherches ? Pas vraiment, au goût de la phi-losophe et historienne des sciences Berna-dette Bensaude-Vincent, du comité d’éthiquedu CNRS (Comets). « Les chercheurs françaisreconnaissent la nécessité d’évaluer la toxicitééventuelle des nanotechnologies, dit-elle. Mais laplupart d’entre eux éprouvent encore des réticen-ces à parler de la façon dont elles pourraient chan-ger nos comportements sur le long terme. » Et deregretter qu’aucun lieu, « sauf dans quelqueslaboratoires, ne soit à la disposition des chercheurspour qu’ils puissent y faire état de leurs ques-tionnements, de leurs états d’âme, de leurs dou-tes ». Favoriser le dialogue direct entre lesscientifiques et le public est une autre néces-sité, plaide Jacques Bordé, du Comets. « Celasuppose une formation des chercheurs afin queceux-ci apprennent à regarder leur recherche, età en parler, autrement que sous l’unique angledu défi scientifique, mais aussi sous l’angle desenjeux éthiques pour notre monde. Réfléchir surla finalité des nanotechnologies ne diminue enrien la créativité des équipes. La nanoéthique peutmême la stimuler. »

1. « Il y a plein de place en bas. »2 Unité CNRS / Université Paris-XI.3. Unité CNRS / École polytechnique.4. Le microscope à effet tunnel utilise une aiguillemétallique ultrafine que l’on promène à une distance de quelques atomes seulement de la surface à étudier. Les atomes présents à la surface de l'échantillon sont ainsirepérés, révélés sur l’écran de l'appareil et peuvent êtremanipulés. Alors que le microscope à force atomiquefonctionne selon le même principe, mais sert à explorer les échantillons non conducteurs, en particulier, la matièrebiologique.5. Unité CNRS / Université de Poitiers.6. Groupe de recherche faisant partie de l’Institut de recherche sur les archéomatériaux (CNRS / Université de technologie de Belfort-Montbéliard / UniversitéBordeaux-III / Université d’Orléans).7. Le rapport intitulé Nanomatériaux et sécurité au travailest disponible en ligne sur le site de la Documentationfrançaise.8. On parle d’effet tamis, lorsque la taille d’une particuleest supérieure à celle des pores l’empêchant ainsi de lestraverser.

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À LIRE> Les nanotechnologies, deDominique Vinck, coll. « Idéesreçues », éd. Cavalier bleu, 2009

> Nanosciences, La révolutioninvisible, de Christian Joachim et Laurence Plévert,éd. Du Seuil, 2008

> Nanomonde, Des nanosciences auxnanotechnologies, de RogerMoret, CNRS Éditions, 2006

> Bio-nano-éthiques?Perspectives critiques sur les bionanotechnologies,de Vanessa Nurock, RaphaëlLarrère et Bernadette

Bensaude-Vincent, éd. Vuibert,2008

> Les nanosciences : Tome 3, Nanobiotechnologies et nanobiologie, de MarcelLahmani, Patrick Boisseau,Philippe Houdy, éd. Belin, 2007

> Les nanosciences : Tome 2,Nanomatériaux et nanochimiede Marcel Lahmani, CatherineBréchignac et Philippe Houdy,éd. Belin, 2006

EN LIGNE> Nanotechnologies et santé un dossier de la collectionSagascience du CNRS

www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosnano/accueil.htm

À VOIR> Nanosciences,Nanotechnologies (2008,160 min) de Hervé Colombani,Marcel Dalaise, Alain Monclinet François Tisseyre, produit par CNRS Images –http://videotheque.cnrs.fr/index.php?urlaction=doc&id_doc=1909

Contact : Véronique Goret(Ventes), CNRS Images –Vidéothèque Tél. : 01 45 07 59 69– [email protected]

POUR EN SAVOIR PLUS

CONTACTSÔ Bernadette [email protected]

Ô Jacques Bordé, [email protected]

Ô Alain Costes, [email protected]

Ô Éric Gaffet, [email protected]

Ô Pierre Guillon, [email protected]

Ô Christian [email protected]

Ô Stéphanie Lacour, [email protected]

Ô Jean-Michel [email protected]

Ô Robert Plana, [email protected]

Ô Dominique [email protected]

Ô Claude [email protected]

La solution absolue contre la pollutionautomobile, la pile à combustible (PAC)utilisant de l’hydrogène pur, donc negénérant aucun rejet, finira-t-elle par voir lejour en partie grâce aux nanotechnologies?Les chercheurs ont de quoi se frotter les mains s’agissant, entre autres, de la manière de stocker le gaz qui prétendà la succession des énergies fossiles. Lerecours à des matériaux poreux représente

sans aucun doute lasolution la plus fiable etla plus économique. Celapermettrait d’une part de confiner l’hydrogène,d’autre part de lerelarguer facilement pour

qu’il se combine avec l’oxygène de l’air,phénomène indispensable à la productiond’électricité alimentant le moteurfonctionnant avec la PAC. Parmi cesmatériaux, les nanoformes de carbone(c’est-à-dire toutes les structures decarbone), « du fait de leur faible masse etde leur grande capacité d’adsorption,s’avèrent de très sérieux candidats, ditMarie-Louise Saboungi, directrice duCentre de recherche sur la matière divisée (CRMD)1. En ce moment,les travaux se concentrent sur lesnanocornets de carbone découverts dans les années 1990. Il s’agit de matériauxde deux à trois nanomètres de longueur quis’agrègent pour former des structures en

forme de dahlia de 80 à 100 nanomètresde diamètre. Ils présentent desinteractions avec l’hydrogène beaucoupplus fortes que les nanotubes de carbone.Ces minuscules cornets piègent donc plus facilement l’hydrogène que leurscousins ». Et ce n’est pas tout. Alors que les nanotubes de carbone exigentd’être stockés à des températures basses(inférieures à – 200 °C), les nanocornetsretiennent la plupart de l’hydrogèneadsorbé jusqu’à des températures del’ordre de 20 °C. Problème : leur coût defabrication relativement élevé à ce jour… 1. Unité CNRS / Université d’Orléans.

Ô Marie-Louise Saboungi, [email protected]

Des nanos pour STOCKER L’ÉNERGIE

De toutes les nanoparticules sorties de la manche des physicochimistes au cours de ces dernières années, les nanocristaux semiconducteurs (ou« boîtes quantiques ») sont les préféréesdes biologistes. Ces objets se composentde quelques centaines à quelquesdizaines de milliers d’atomes arrangésselon un ordre cristallin, et leur taille estgénéralement comprise entre 2 et 8 nm. Ils peuvent servir de sondes capablesd’explorer et visualiser des processusbiologiques à l’échelle d’un petit nombrede molécules. Pour l’instant l’exploit n’estpossible que dans des cellules en culturemais à terme les chercheurs se prennentà rêver d’une utilisation in vivo.

La ruse? Arrimer ces boîtes quantiques à des molécules biologiques telles que des protéines (enzymes, anticorps) ou des acides nucléiques (ADN, ARN).Puis, les exciter avec de la lumière (un laser, par exemple). Elles deviennentalors fluorescentes, et l’on peut choisirleur longueur d’onde d’émission en jouantsur leur taille (plus les nanoparticules sont petites, plus l’émission est décalée vers le bleu), donc distinguer un processusbiologique d’un autre. « Cesnanoparticules agissent en fait comme de minuscules ampoules que l’on peutsuivre à la trace au microscope, plusieursdizaines de minutes d’affilée, expliqueMaxime Dahan, du Laboratoire Kastler-

Brossel (LKB) 1. Elles nous renseignent en temps réel sur le mouvement et laposition des acteurs biologiques auxquelselles sont couplées. Ces techniquesd’imagerie à l’échelle d’une nanoparticuleindividuelle, à peine émergentes il y a cinqans, se sont largement perfectionnéesdepuis et trouvent des applications de plus en plus nombreuses. Elles nous permettent de “regarder” non plusseulement la membrane, mais aussi ce qui se passe à l’intérieur de la cellule,une région jusqu’ici très difficile d’accès.À terme, en attachant des sondes de différentes couleurs à différentesprotéines, il sera possible d’enregistrersimultanément le mouvement de tous ces acteurs, d’étudier leurs interactions in vivo » et de mieux appréhender la complexité des mécanismes intimes des organismes vivants. Rendre l’imagerie biologique ultrasensible,identifier des tumeurs les plus petites, à l’échelle de la centaine de milliers de cellules plutôt que du milliard, aider les chirurgiens à localiser, pendant uneintervention, des lésions métastatiquesdifficiles à identifier : l’avenir de ce type de nanoparticules semble tout tracé.

1 Unité CNRS / École normale supérieure / UniversitéPierre-et-Marie-Curie.

Ô Maxime [email protected]

Les nanocornets,des structures enforme de dahlia,promettent d’être de bons candidatspour le stockage de l’hydrogène.

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Bientôt, le monde entier sera fou de couleur, etLumière en sera responsable. » Telle était l’in-tuition du photographe américain AlfredStieglitz, lors de la commercialisation de la

plaque autochrome en 1907. Le succès fut bien aurendez-vous pour le premier procédé industriel dephotographie en couleurs. Et pour les frèresLumière, qui en vendront des millions en plusieursdécennies. Pour mieux comprendre toutes les facet-tes de ce produit, deux chercheurs ont décidé de leressusciter, plusieurs dizaines d’années après lafin de sa production.Bertrand Lavédrine et Jean-Paul Gandolfo sontdonc partis sur les traces des Lumière. Respecti-vement directeur du Centre de recherche sur laconservation des collections 1 et professeur à l’Écolenationale supérieure Louis-Lumière, ils ont recrééles étapes de fabrication de l’autochrome. D’abordla sélection de minuscules grains de fécule de pom-mes de terre, leur teinture en violet, vert ou orange,leur mélange. Puis, sur une plaque de verre vernie,

le saupoudrage de millions de ces grains et de noirde carbone pour combler les interstices. Enfin lelaminage – le pressage de la plaque – et un secondvernissage. La dernière étape est la plus difficile àrecréer à la main sur de petites plaques, dans laquasi-obscurité du laboratoire. La pose d’une émul-sion noir et blanc au gélatino-bromure d’argent,substance sensible à la lumière, ultime couche del’autochrome, est en effet particulièrement délicate.Le dispositif repose en fait sur la « synthèse additive »des couleurs, principe qui permet de recréer tou-tes les nuances colorées à partir de seulement troiscouleurs (rouge, vert et bleu) et qui sera égalementmis à profit pour les écrans de télévision. Dansl’autochrome, la couche photosensible est impres-sionnée par les rayons lumineux, préalablementfiltrés par les grains de fécule teints. Après la prisede vue et le développement, les grains d’argent decette couche vont masquer plus ou moins certainesfécules colorées. « Celles-ci étant extrêmement fines,l’œil ne peut les discerner. Et il se crée alors dans l’œil

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

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PHOTOGRAPHIE

Lumière surl’autochromeLa famille Lumière n’a pas innové que dans le cinéma. Dans la photographie aussi, ses inventions ont compté. À l’aube du XXe siècle, elle commercialise la plaqueautochrome, premier procédé industriel de photographie en couleurs, à base de… fécule de pommes de terre. Deux chercheurs viennent d’apporter un éclairage sur ceproduit conçu non sans mal et longtemps protégé par le secret.

1 Autoportrait autochromed’Édouard Blanc, ingénieurchimiste aux usines Lumière de Monplaisir (Lyon), vers 1907.

2 Auguste et Louis Lumière,inventeurs et industriels, en 1895.

3 4 5 6 7 Plusieursétapes de la reconstitution d’une autochrome : séchage puis tri de la fécule, solutionscolorantes pour la teinture,saupoudrage de noir de carbone et enduction du second vernis.

8 9 Essais d’autochromes, vers 1902-1905, avec plaquenégative (8) et plaque positive (9),au laboratoire de Louis Lumière.

10 Une presse destinée au « laminage » – l’écrasement des grains – a été restaurée et classée monument historique.

11 Fécules laminées. LouisLumière découvrit l’intérêt du « laminage » accidentellement,en rayant d’un ongle le réseau defécules. Résultat : une meilleuretransparence.

12 Schéma d’une plaqueautochrome. « On expose par ledos la plaque ainsi préparée, ondéveloppe et on inverse l’imagequi présente alors, partransparence, les couleurs del’original photographié »,expliquait Louis Lumière en 1904.

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un mélange optique des différentes couleurs defécule… d’où résulte la palette de couleurs de l’auto-chrome », précise Bertrand Lavédrine.L’image apparaissait en visionnant le positif trans-parent dans un appareil, ou en le projetant commeune diapositive. Simple, en apparence. Mais il aquand même fallu sept ans à la puissante sociétéfamiliale Lumière, spécialisée dans la photo et lecinéma, pour passer du principe de l’autochrome(formulé en premier par le Français LouisDucos du Hauron) à sa réalisation indus-trielle. Le choix de la fécule par exem-ple, grande spécificité de l’invention, anécessité des mois de réflexion. Lesgrains de pommes de terre ont été pré-férés à ceux de riz, qui s’imprègnentmoins bien des colorants.Bertrand Lavédrine et Jean-PaulGandolfo ont bataillé pendant desannées, eux aussi. Pour faire toute lalumière sur ces autochromes, ils n’enont pas seulement testé la fabrication.Comme ils le racontent dans L’autochrome Lumière,ils ont aussi interrogé les enfants de témoins del’époque, décortiqué des cahiers de laboratoire,analysé les colorants d’anciennes plaques. Et étu-dié une presse de laminage, que les Lumière, sansdoute pour en garder l’exclusivité, n’avaient pasbrevetée. Le laminage – une phase capitale qui, enécrasant les grains les uns contre les autres, aug-mente la transparence de leur réseau– était bien évo-

qué dans un brevet, mais de façon éva-sive. Dans l’ignorance, les concurrentsrestaient donc à distance. Il le fallait : àla lisière des XIXe et XX e siècles, la pho-tographie, dont l’invention fut annon-cée en 1839, est en effervescence. Denombreuses expérimentations portentsur la couleur, défi principal, problèmeprioritaire. Les recherches se sont accé-lérées avec les progrès de la science surla reconstitution des couleurs et lesphénomènes lumineux.

Avec l’autochrome, la photographieprend enfin des couleurs. Maistout n’est pas si rose. Le procédés’avère fragile, la production d’uncliché autochrome difficile. Le

temps de pose, de l’ordre de laseconde, exclut presque l’instantanéité.

Malgré cela et leur prix élevé, en trente ans, desmillions de plaques autochromes, dont le verre seraremplacé par un support souple en 1931, sont ache-tées dans le monde. Ce n’est qu’au milieu des années1950 que l’invention tombera en désuétude : l’usineLumière cesse la fabrication de ses films Alticolor,descendants directs de la plaque autochrome. Uneplaque que nous pouvons désormais mieux conser-ver, car nous la connaissons mieux.

Mathieu Hautemulle

Ô Pour en savoir plusLes auteurs ont aussi contribué au site : www.autochromes.culture.frDans le dossier Sagascience « Art et Sciences » :www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosart/decouv/indexFLASH.htmlÀ voir : Les autochromes Lumière, réalisé par François Tisseyre,CNRS Images, 2005http://videotheque.cnrs.fr/index.php?urlaction=doc&id_doc=1787

1. Centre CNRS / ministère de la Culture et de lacommunication / Muséum national d’histoire naturelle.

13 Paris, 1918. L’auteur, AugusteLéon, a travaillé pour les Archivesde la planète, vaste témoignagephoto- et cinématographique del’époque, fondées par le banquierAlbert Kahn. Aujourd’hui, le muséeAlbert-Kahn conserve quelque72 000 autochromes.

14 Des enfants dans le rôle depetits soldats. Autochrome deLéon Gimpel, collaborateur depresse, en 1915.

15 Sur cette autochromed’Édouard Blanc (1908), champs etforêt contrastent avec lescoquelicots.

16 Gabriel Doublier, responsabled’une usine à Paris, pose devantles machines destinées aumélange des fécules, en 1931.

17 18 19 Fécule de pomme deterre non triée (17), triée et teintée(18) et fécule de riz non triée (19).

CONTACTÔ Bertrand LavédrineCentre de recherche sur la conservation descollections, [email protected]

L’autochromeLumièreSecret d’atelier et défis industriels

Par Bertrand Lavédrine et Jean-Paul Gandolfo, avec la participation de Christine Capderou et Ronan Guinée.Éd. du Comité des travaux historiques et scientifiques, coll.Archéologie et histoire de l’art, mars 2009, 400 p., 23 x 26 cm.

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Antoine Billot, professeur d’économiemathématique au sein du laboratoire« Paris Jourdan sciences économi-ques » 1 à l’université Paris-II, membre

junior de l’Institut universitaire de France, etaccessoirement Médaille de bronze du CNRS,existe-t-il vraiment ? À quelques heures à peinedu rendez-vous fixé à son bureau de l’universitéPanthéon-Assas, la question a de quoi laisserperplexe. Certes, au téléphone, une voix mascu-line a bien accepté l’entretien. Mais au fil despages consultées sur Google, point d’AntoineBillot ! Ou plutôt si. Un étrange homonyme, écri-vain, auteur de nombreux romans traduits enhébreu, grec et italien, colonise sans vergogne les10 premières pages du moteur de recherche.Pour retrouver la piste du chercheur, il faut se ren-dre sur le site de Paris-II. Et là, surprise ! Sur lapage « enseignant » s’étale à nouveau la photo del’écrivain cannibale de Google. Une tête d’éter-nel étudiant à la BHL, avec sa chevelure mi-longue, un brin romantique. Car c’est bien notrechercheur. Un étrange Dr Jekyll et Mister Hyde,économiste le jour et romancier la nuit. Mais qu’allait donc faire ce passionné de littéra-ture en économie ? Mystère… Même cet expertde la « théorie de la décision et de l’incertain » n’ensait trop rien. Sous le feu des questions, il prendsa machine à remonter le temps. Et se souvientd’un jeune bachelier « bon en maths et en philo »,s’intéressant surtout à la politique. Persuadé quel’économie y mène. « En réalité, j’étais totalementignorant de ce qu’était la science économique, admet-il en riant. D’ailleurs, je n’ai pas compris grand-chosedurant mes deux premières années de fac. » Le vraidéclic se produit en maîtrise d’économétrie, endécouvrant La théorie de la Valeur, de GérardDebreu, ouvrage publié en 1959 et référenceabsolue des années 1970. « Ça m’a fasciné ! Ildisait des choses fondamentales sur le marché, surles comportements des agents économiques – consom-mateurs, entreprises, etc. » Plus précisément, cettethéorie démontre que la libre concurrence per-met d’obtenir l’équilibre simultané de l’offre etde la demande sur tous les marchés. Le jeune étu-

diant fait sa thèse en introduisant dans cettepure abstraction un soupçon de mathématique :« La théorie de Debreu n’analyse le comportementque d’une frange de gens ultra-rationnels alors quela réalité économique me semblait beaucoup plusnuancée. C’était cela pour moi le nouveau défi en éco-nomie : réconcilier la rigueur de l’abstraction et le foi-sonnement du réel. » Antoine Billot adapte doncun outil mathématique – la théorie des sous-ensembles flous – afin de capturer l’hétérogénéitéet l’imprécision des comportements. Sa thèse,soutenue en 1988, est immédiatement publiéechez un éditeur américain. Et l’étudiant reçoit lamédaille de bronze du CNRS en 1989. Antoine Billot explore ensuite les nouveaux modè-les mathématiques naissants dans le paysageéconomique. De la théorie de la décision à celledes « jeux coopératifs », en passant par la « théo-rie de l’espérance d’utilité », il développe sans relâ-che des outils pour analyser, par exemple, l’in-certitude liée aux croyances individuelles desacteurs économiques. Parallèlement, il s’en-thousiasme pour la jeune neuro-économie. « Onplace des personnes dans un IRM et on observe lesmouvements dans leur cerveau au moment où ilsprennent une décision. Par exemple, cela permet desavoir si, à l’intérieur du cerveau, la notion de ris-que est localisée au même endroit que la notion de

RENCONTREAVEC 31

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

gain. Si ce n’est pas le cas, il n’y a plus de raison objec-tive de les réunir dans un même axiome économi-que. La neuro-économie laisse la porte ouverte àtant de nouveaux types de modélisation ! »Mais pas assez cependant pour nourrir le besoinde gymnastique intellectuelle de ce boulimiquede travail. Celui qui avoue aimer se retrouverloin de ses bases parisiennes lorsqu’il enseigneen Suède, en Israël, aux États-Unis ou en Italie,a finalement trouvé une autre échappatoire àson quotidien d’économiste. Une vie de roman.Les siens… Depuis 2003, année de sa rencontreavec le psychanalyste et écrivain Jean-BertrandPontalis, Antoine Billot publie un livre tous lesdeux ans. Roman, récit autobiographique ou arti-cles psychanalytiques, l’économiste s’essaie àtout. Il prend un malin plaisir à réhabiliter lepauvre Charles Bovary, mari d’Emma, qui devientsous sa plume un cynique manipulateur. Ouimagine la rencontre de Ludwig Wittgensteinavec Adolf Hitler, adolescents, à Linz, dans Ledésarroi de l’élève Wittgenstein. Les critiques litté-raires l’encensent. Antoine Billot récidive en2008 avec La conjecture de Syracuse, un romanrelatant l’affrontement de deux mathématicienssur fond de guerre d’Algérie. Son prochain« sujet » ? « Musset, répond-il l’air gourmand.C’est un torturé pour qui tout est vain. Pas un sim-ple romantique, hein. Mais un véritable passionné,un passionné mélancolique. »

Camille Lamotte

1. Unité CNRS / EHESS, Paris / École normale supérieure,Paris / École nationale des Ponts et Chaussées, Paris.

Antoine Billot

Comme un roman

Économiste

CONTACTÔ Antoine BillotParis Jourdan Sciences économiquesAntoine Billot, [email protected]

“C’était cela pour moile nouveau défi enéconomie : réconcilier la rigueur de l’abstractionet le foisonnement du réel. ”

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l’acoustique mais aussi la sécurité et la santé.L’exposition a été présentée en avant-premièresur le campus CNRS de Gif-sur-Yvette dans lecadre des Journées européennes du patrimoineles 19 et 20 septembre derniers. Elle est au siègedu CNRS à Paris depuis le 1er octobre. Puis elleentamera un tour de France via Lyon, Strasbourg,Caen, Poitiers, Nancy… où elle sera présentéedans des centres de culture scientifique, des col-lèges, des lycées, des universités, des campusCNRS et des collectivités locales. Dernière étapeprévue : Bordeaux dans le cadre du festival Ciné-mascience du 1er au 6 décembre.

En quoi le numéro d’octobre de La revue pourl’histoire du CNRS est-il spécial?A.K. : Ce numéro, qui coïncide aussi avec les dixans de la revue, est exceptionnel à plus d’un titre.Sur la forme tout d’abord, il passe d’un formatmagazine traditionnel A4 à un format A3 avecun traitement de l’information qui s’apparenteà celui d’un quotidien national. Photos, des-sins de presse et vulgarisation y tiennent ainsiune place importante pour en faire un numéroparticulièrement attrayant et facile à lire. Sur lefond, il décrit la très grande diversité des recher-ches menées au CNRS via de nombreux témoi-gnages de chercheurs qui exposent en touteliberté ce que le Centre leur a apporté. Par leurintermédiaire, le lecteur découvre les choix desociété effectués par le CNRS et son engagementdans les débats de son époque : environne-ment, développement durable, santé, rôle desexperts, importance de la recherche fonda-mentale, sciences humaines, communication...Jeux mathématiques et mots croisés scien-tifiques en font même un numéro ludique !Nous l’avons tiré à 47 000 exemplaires pourune diffusion à l’ensemble des personnels duCNRS. Il sera également disponible au colloque,au festival Cinémascience de Bordeaux, auxRencontres « Science et citoyens » de Poitierset sur l’ensemble des manifestations prévues le19 octobre.

D’autres évènements sont doncprogrammés?A.K. : Ce jour-là, des évènementsseront en effet organisés dans lescentres du CNRS sur tout le terri-toire. Ils prendront la forme d’ani-mations sur les lieux de vie, tels les restaurantsadministratifs. Menu, décoration et objets sou-venirs seront aux couleurs des 70 ans. L’objectifest de créer davantage de lien entre les person-nels qui travaillent parfois sur des sujets trèsdivers, et de renforcer le sentiment d’apparte-nance à un seul et même grand centre de recher-che pluridisciplinaire. Le calendrier des mani-festations est disponible sur un site internet crééspécialement pour l’anniversaire à l’adressewww.cnrs.fr/70ans. On y trouve aussi toutes lesinformations nécessaires sur le colloque : pro-gramme, biographie des intervenants, bulletinsd’inscription… et des extraits vidéo seront mis enligne fin octobre. Par ailleurs, on peut y télé-charger le numéro spécial de La revue pour l’his-toire du CNRS avec quelques articles enregis-trés en audio pour les malvoyants, et y consulterdes extraits phares du livre de Denis Guthleben.Le site propose également une visite virtuelle de

l’exposition de photos et le calendrier de sa tour-née en France. Enfin, huit cahiers photo et un filmillustrant l’histoire du CNRS, ainsi que des filmsanciens, seront à la disposition des internautes.Bref, tout le nécessaire pour fêter dignementl’évènement !

Propos recueillis par Jean-Philippe Braly

Ô En lignewww.cnrs.fr/70ans

1. Lire « Le CNRS a 70 ans », Le journal du CNRS, n° 236,septembre 2009.2. La Big Science est un terme employé pour qualifierl’évolution qui s’est produite après la deuxième guerremondiale dans les pays industrialisés, avec la mise en placede projets scientifiques importants, liés à de très grandsinstruments nationaux ou internationaux.

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Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

ANNIVERSAIRE

Il y a 70 ans naissait le CNRS

devrait s’intensifier, la forme des laboratoireschanger, la télérecherche pourrait se dévelop-per… Tous ces thèmes seront abordés de manièretrès vivante autour de tables rondes auxquellesparticiperont des historiens, et plus générale-ment des chercheurs, ingénieurs et techniciensqui travaillent dans les disciplines dures, leshumanités et les métiers de l’administration. Ilsnous feront partager leur passion, véritablemoteur de leurs activités de recherche. Mais cettejournée ne sera pas qu’un évènement interne.Issus de la sphère scientifique, politique et média-tique, plusieurs intervenants extérieurs au CNRSapporteront également leur contribution. Ouvertà tous, ce colloque sera retransmis en direct surwww.cnrs.fr. À cette occasion, un livre spéciale-ment écrit pour cet anniversaire sera présenté 1.

De quoi traite cet ouvrage?A.K. : Intitulé Histoire du CNRS de 1939 à nos

jours, Une ambition nationale pour lascience, il retrace les évènements

qui ont marqué le centre derecherche durant ses soixante-dix années d’existence. Le livreaborde ainsi tout un pan de

l’histoire de la science fran-çaise et, ce faisant, de

l’histoire contempo-raine. Car les per-

sonnels du CNRSn’ont jamais vécudans une tourd’ivoire, hierpas plus qu’au-jourd’hui ! Ilsont participé à la mobilisation

pour la seconde guerre mondiale, subi les affresde l’occupation nazie, rebâti à la Libération… Aufil des pages, on découvre ainsi à quel point l’his-toire du Centre est intimement liée à la conjonc-ture politique : importance accordée par le géné-ral de Gaulle à la recherche scientifique,réorganisation de la recherche publique sousFrançois Mitterrand… On y apprend aussi com-ment le CNRS s’est investi dans la gestion des ins-truments de la « Big Science » 2 avec la créationd’instituts nationaux, a mis en place des pro-grammes interdisciplinaires pour mieux répon-dre aux demandes sociétales, a multiplié les par-tenariats, valorisé ses découvertes, appris de seséchecs… Écrit par l’historien Denis Guthleben,attaché scientifique au Comité pour l’histoire duCNRS, cet ouvrage passionnant fait apparaître leCNRS tel qu’il est et a toujours été : un labora-toire du mouvement perpétuel où recherche etpolitique de la recherche n’ont jamais cessé d’êtreremises sur la paillasse.

Autre évènement, une exposition de photositinérante et étonnante, par la période del’histoire du CNRS qu’elle retrace… A.K. : Il s’agit en effet d’une période assez mécon-nue : sa « préhistoire » ! Quarante et un clichéstotalement inédits de l’entre-deux-guerres consti-tueront cette exposition nommée « Quoi de neufdans le passé? ». Extraits des trésors enfouis dansles sous-sols de la photothèque du CNRS, ils pré-sentent les inventions des personnels de l’Officenational des recherches scientifiques et des inven-tions de Meudon, les lointains ancêtres des cher-cheurs du CNRS. Sorte de Moulinsart francilien,ce lieu ressemblait plus à un concours Lépinepermanent qu’à un centre « high-tech » pourchercheurs de pointe ! Le public découvrira ainsides photos d’inventions des années 1920 et 1930,

qui nous paraissent aujourd’hui aussi bien uti-les, que parfois farfelues ou cocasses : simula-teur de vol, taxi anti-écrasement, voiture élec-

trique, ailes battantes pour décoller verticalement,mur d’isolation phonique, clignotant à câbles,

radeau à hélice, lave-vaisselle rudi-mentaire, casque acoustique pourmalentendants…! Au total sept thé-matiques sont couvertes : du déve-

loppement durable à la vie quotidienne,en passant par l’optique, les matériaux,

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Paris présente la météoDu 20 au 25 octobre, Paris accueille le 6e forum international de la météo. Côté grand publictout d’abord, chacun pourra participer, au fil des cinq secteurs thématiques (météo, climat,environnement, énergies, espace), à des expériences, des animations et jeux interactifs ouencore s’exercer à la présentation d’un bulletin météo comme à la télévision. Mais le forumest aussi un évènement scientifique de premier ordre, avec le colloque « La ville face auchangement climatique » qui se tiendra le vendredi 23 octobre, et au cours duquel plusieurschercheurs du CNRS interviendront. L’organisme, avec son Institut national des sciences del’Univers (Insu), est d’ailleurs partenaire du forum international organisé par la Sociétémétéorologique de France (SMF). > Pour en savoir plus : www.smf.asso.fr/fim09.html

L’exposition « Quoi de neuf dansle passé » est accessible en lignepour une visite virtuelle.

Un numéro spécial de La revue pour l’histoiredu CNRS va paraître pourcélébrer l’occasion.

L’ouvrage « Histoire duCNRS de 1939 à nos jours »,(éd. Armand Collin), pourtout savoir sur l’organisme.

CONTACTÔ André KaspiComité pour l’histoire du CNRS, [email protected]

Au cœur des célébrations des 70 ans du CNRS,un grand colloque aura lieu à Paris le 19 octobreprochain. Quels seront les thèmes abordés lorsde cette rencontre ouverte à tous?André Kaspi : Placé sous le haut patronage duprésident de l’Assemblée nationale, le colloque« La recherche, une passion, des métiers :construire l’avenir » sera l’évènement phare desfestivités. Son objectif est de présenter la manièredont les métiers de la recherche ont évolué au fildes années, et l’horizon vers lequel ils s’oriententpour l’avenir. En effet, on n’était pas chercheurau bon vieux temps du savant Jean Perrin, fon-dateur du CNRS, comme on l’est aujourd’hui, nicomme on le sera demain ! Les instruments sesont beaucoup modifiés, la recherche s’est inter-nationalisée, le dialogue avec la société s’estaccru, de nouvelles thématiques émergent, lesméthodes de travail se transforment… Et dans lesannées à venir, la globalisation de la recherche

Le 19 octobre, le CNRS soufflera ses soixante-dix bougies. Pour l’occasion, le Comité pour l’histoiredu CNRS a concocté un programme à la hauteur de l’évènement : colloque, parution d’un livre,exposition de photos, numéro spécial de La revue pour l’histoire du CNRS… Le président du Comité, André Kaspi, lève le voile sur les festivités.

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répandre sur le terrain aplani ;et enfin apporter du sol des« coussouls » voisins et le répan-dre sur le terrain afin, toujours,d’introduire des graines, des bul-bes et rhizomes d’espèces step-piques. Ces travaux seront finan-cés par CDC Biodiversité, leCNRS et la région Paca.Après la phase de restauration,suivra une phase de gestion surtrente ans de cet espace qui serain fine rendu aux moutons. « Avecce projet, on a là un vrai lien entrerecherche fondamentale et rechercheappliquée. Y participer nous per-met d’étudier les espèces de la steppesur un modèle expérimental gran-deur nature, insiste ThierryDutoit. Jamais je n’aurais rêvéd’une telle occasion ! »Mais, cette expérience devraitaussi mener à une nouvelle pra-tique écologique en France : « lacompensation écologique par l’of-fre ». Car depuis la loi de 1976relative à la protection de lanature, les opérateurs doivent

prouver qu’ils ont tout fait pour réduire les dégâtsoccasionnés par leur activité industrielle, et sipossible « compenser » leur action sur l’envi-ronnement. Pour ce dernier devoir, il pourraleur être proposé d’acheter des « unités de com-pensation » de la plaine de Crau, équivalentes àcelles qu’ils vont faire disparaître. Une pratiquedissuasive : à 35 000 euros l’hectare, les pro-moteurs de projets pourraient être tentés demoins détruire la nature…

Kheira Bettayeb

1. Institut CNRS / IRD / universités Aix-Marseille-I et -III /université Avignon.

Pour retrouver la végétationinitiale de ce sol, de la terredes steppes voisines y seraépandue.

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

MRCT

Créée en 2000, unique en son genre, la Mission des ressources etcompétences technologiques (MRCT) du CNRS mène des actionstransversales autour des technologies. Ses objectifs : fédérer lescommunautés qui les utilisent et favoriser le partage de savoir-faire.

Les technologies en partage

Du technicien au chercheur en passant parl’ingénieur, quelles que soient les disci-plines et les thématiques de recherche,tous sont confrontés un jour ou l’autre

à des outils ou des savoirs technologiques. Pourfavoriser leur maîtrise par le plus grand nombre,la Mission des ressources et compétences tech-nologiques (MRCT) du CNRS coordonne l’in-ventaire des technologies et des savoir-faire quileur sont associés, au sein – pour l’essentiel – del’établissement. Et en facilite la diffusion dans leslaboratoires. Pour ce faire, la Mission soutient des réseauxde compétences technologiques. « Aujourd’hui,nous comptons 17 réseaux nationaux et une tren-taine de relais régionaux qui assurent une veilletechnologique dans leur domaine de compétence, pré-cise Michel Cathelinaud, responsable adjoint dela MRCT pour les affaires technologiques. Entout, 500 laboratoires sont concernés, ce qui repré-sente 6000 agents. » Des exemples de réseaux exis-tants ? Nous pouvons citer le réseau des méca-niciens qui, avec ses 1 000 membres, regroupe300 laboratoires, ou le dernier-né, le réseau desmicroscopies à champs proches qui compte pourle moment 150 membres. Chaque réseau, à tra-vers son groupe de travail, recense les outils etméthodes utilisés et partage les expertises et

expériences acquises au cours de séminaires.D’autre part, des documents technologiques sontconçus et publiés pour mieux transmettre lesconnaissances.Autre facette de ces réseaux, celle plus étonnantede laboratoires virtuels de recherche. En effet, desprojets de recherche ont déjà été lancés, la thé-matique devant être obligatoirement et par défi-nition technologique. Par exemple, le réseau« Hautes pressions », dans le cadre du pôle decompétitivité mondial Lyonbiopôle, vient de lan-cer le projet Hyperbar. Son but : la mise au pointd’un nouveau procédé industriel d’inactivationphysique de bactéries et de virus pour la fabri-cation de vaccins. « C’est l’exemple parfait d’unréseau expert identifié comme un laboratoire. Cer-tains réseaux proposent des projets ANR ou desgroupements de recherche. D’autres vont jusqu’àdes dépôts de brevets. Cela illustre l’importance dela mise en relation des différents acteurs et surtoutl’émulsion que cela engendre », ajoute MichelCathelinaud.« Nos actions sont transversales et bénéficient àl’ensemble des disciplines scientifi-ques, poursuit-il. Notre objectif estde faire profiter les membres desréseaux des avancées technologiqueset de mutualiser les moyens autour

d’équipements ou de projets d’intérêt général. »C’est dans cette optique que la MRCT com-mandite des actions nationales de formationréservées prioritairement au personnel du CNRS.« Le nombre de réseaux croît et les actions de for-mations deviennent plus ambitieuses, expliqueFrancine Bizot, responsable adjointe de la MRCT.Depuis 2004, 150 actions ont été financées par ladirection des ressources humaines du CNRS aubénéfice de 5 000 stagiaires. » Cette année aurontdonc lieu, parmi la trentaine de formations pro-grammées, la Journée thématique 2009 desmicroscopies à sonde locale, l’Atelier de forma-tion sur la microélectrode à cavité ou encore lesJournées nationales des cristaux pour l’optique.En plus de ces formations, de nombreux forums,ateliers et séminaires sont organisés. « Les réseauxsont très actifs. Ceux qui les animent sont des volon-taires. Certes, rejoindre un réseau s’ajoute à l’acti-vité professionnelle, mais l’engouement est réel. » Entémoignent les nombreux lauréats des médailleset Cristals du CNRS impliqués dans le pilotagedes réseaux.Et Michel Cathelinaud de rappeler « qu’il n’y a quele CNRS capable de telles activités transversales etcomplémentaires car toutes les disciplines y sontreprésentées. La MRCT est unique au niveau natio-nal et international ». Actuellement, de nouveauxréseaux concernant la métrologie ou encore le cal-cul scientifique sont en construction. Et certai-

nes réflexions sont menées pourdes projets à visée internatio-nale, notamment le réseau surles technologies des plasmasfroids qui approfondit ses échan-ges avec le Québec. Plus large-ment, dans le cadre du plan stra-tégique « Horizon 2020 » duCNRS, la MRCT a précisérécemment plusieurs pistes àexplorer : les relations internesau réseau, les liens entre lesréseaux et les industriels ouencore le développement desrelations européennes et inter-nationales.

Nadia Daki

Ô Pour en savoir plushttp://www.mrct.cnrs.fr

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Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

ÉCOLOGIE

Près de Fos-sur-Mer, des chercheurs du CNRS participent à la restauration d’une ancienne steppe quiavait été remplacée, il y a trente ans, par un verger industriel de 357 ha. Une opération d’envergure…qui pourrait aussi déboucher sur un nouveau comportement des industriels.

Un écosystème reprend ses droits

On connaissait les restaurateurs detableaux, qui redonnent aux peinturesanciennes leur éclat d’antan. Voici à pré-sent les restaurateurs d’écosystèmes…

méditerranéens, pour être exact. Dans la plainede Crau, près de Fos-sur-Mer, dans les Bouches-du-Rhône, plusieurs acteurs, dont les chercheursde l’Institut méditerranéen d’écologie et de paléo-écologie (Imep)1, travaillent en effet d’arrache-piedpour restaurer un paysage naturel de 357 hectaresqui avait été remplacé par un verger industrieldans les années 1980. « C’est le plus grand chan-tier de ce type en France! », souligne Thierry Dutoit,professeur d’université et chercheur à l’Imep.Bénéficiant de dix millions d’euros sur trenteans, le projet a été lancé par CDC Biodiversité,une filiale de la Caisse des dépôts. Outre le CNRS,il implique aussi le ministère de l’Écologie, del’énergie, du développement durable et de lamer, des collectivités territoriales, des universi-tés, des centres de recherche, des associations deprotection de la nature, des usagers locaux.Concrètement, il vise à réhabiliter un écosys-tème tout à fait unique qui avait été remplacé parle verger industriel : le « coussoul », une terre néede l’interaction millénaire entre le climat médi-terranéen, des sols pauvres et les troupeaux demoutons, formant ainsi la seule steppe arided’Europe de l’Ouest. Un terrain écologiquementtrès important, puisqu’il constitue le seul habi-tat possible pour certaines espèces, tels les oiseauxayant besoin de milieux pierreux ouverts, commel’outarde canepetière ou le ganga cata. Tout a commencé en 2008 quand CDC Biodi-versité a acquis les 357 hectares d’anciens vergers.« Nous avons été très rapidement contactés par laCDC car à l’origine nous travaillions sur les espè-ces steppiques ; nous tentions notamment de savoirpourquoi il y a tant d’espèces dans ces commu-nautés végétales : 70 espèces de végétaux à fleurspar mètre carré… », précise Thierry Dutoit. Lapremière phase de l’opération a duré de janvierà septembre 2009. Elle a consisté à réhabiliterune fonction de l’écosystème, celle d’accueillir desoiseaux. Pour ce faire, il a fallu retirer les200 000 pêchers et les 100 000 peupliers quiconstituaient le verger industriel ; ainsi que les1000 kilomètres de tuyaux en PVC du réseau d’ir-rigation. Puis arbres et PVC ont été broyés etrecyclés. Ensuite il a fallu aplanir le terrain recou-vert de buttes pour en faire un sol de steppe,c’est-à-dire un terrain plat. « Nous sommes inter-

venus ici pour dire à quelle profondeur il fallait limi-ter l’aplanissement des buttes, faire respecter les lisiè-res avec la végétation steppique qui a survécu autouren bordure du verger, ou encore définir les périodesd’activité des bulldozers en fonction du cycle de viedes oiseaux. Il ne fallait pas de travaux lors de la nidi-fication, par exemple », raconte Thierry Dutoit.La prochaine étape doit commencer en octobre :à présent, il s’agit de restaurer expérimentalementla végétation steppique initiale du site faite de che-veux d’ange, de thym, et de bien d’autres espè-ces. Les biologistes du CNRS ont pensé procéderen plusieurs étapes : tout d’abord, semer, sur leterrain réhabilité, des espèces végétales dites« nurses », favorables à la présence des fourmisqui véhiculent les graines de végétation steppi-que des « coussouls » voisins ; ensuite, faire un« transfert de foin », c’est-à-dire prélever desgraines de terrains steppiques voisins et les

CONTACTÔ Thierry DutoitInstitut méditerranéen d’écologie et depaléoécologie, [email protected]

CONTACTÔ Gérard LelièvreDirecteur de la Mission des ressources etcompétences technologiques (MRCT), [email protected]

INSITU INSITU

1. Réseau de technologie des hautes pressions / HP2. Réseau des technologies femtoseconde / Lasur3. Réseau des Cristaux massifs, micro- nano-

structures et dispositifs pour l’optique / CMDO+4. Réseau des technologies et procédés de

croissance cristalline / Cristech5. Réseau « Optique et photonique » / ROP6. Réseau des plasmas froids / PF7. Réseau « Nanorgasol » 8. Réseau des utilisateurs de la microélectrode à

cavité / Umec9. Réseau des technologies du vide / RTVIDE10. Réseau des mécaniciens / RDM11. Réseau des électroniciens 12. Réseaux d’administrateurs systèmes et réseaux /

Resinfo13. Réseau des professionnels de l’information

scientifique / Renatis

14. Réseau « Qualité en recherche » / QeR15. Réseau des centres communs de microscopie /

RCCM16. Réseau « Microscopie photonique de

fluorescence multidimensionnelle » / MFM17. Réseau « Champs proches »

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LES 17 RÉSEAUX DE LA MRCT

La MRCT, permet de fédérerdes communautés autour dessavoir-faire technologiques.Ci-dessous, une presse multi-enclume pour les recherchesmenées à hautes pressions.

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certain sur l’environnement atmosphérique et lapollution sonore des transports aériens. Autresphénomènes étudiés : la traînée visqueuse, cetteforce de résistance exercée par l’air sur le véhi-cule en mouvement. « Nous tentons de prédire etde réduire cette dernière ainsi que les décollementsd’écoulements près des parois des véhicules qui sontaussi générateurs de tourbillons », explique PatrickBontoux. Une tâche complexe, mais le jeu envaut la chandelle : la réduction de ces effets (enjouant sur la géométrie du véhicule) entraîneune économie du carburant nécessaire à l’avan-cée du véhicule. Ce sont ainsi six ouvrages, près de 200 publi-cations et une quinzaine de colloques qui ont étéorganisés depuis 2004. Pour l’heure, le GDRE« Mécanique des fluides numérique » a déjàcontribué à une meilleure compréhension desmécanismes physiques ainsi qu’à l’améliora-tion des techniques et des modèles utilisésaujourd’hui dans l’industrie. Ces avancées repo-sent sur des liens tissés un à un avec divers

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

HORIZON Ils ont choisi la France et le CNRS36

Il vient d’URSS, un pays « qui n’existe plus ».Mais dans son bureau pourtant austère del’université Paris-XIII à Villetaneuse, où unetour d’ordinateur le dispute à une bibliothè-

que à moitié vide, aucune place pour le spleen.La pièce est bien à l’image du bonhomme: spar-tiate. Car depuis 30 ans, Vladimir Solozhenko,directeur de recherche au CNRS et spécialiste desmatériaux sous très hautes pressions et tempé-ratures ne fait strictement que cela, en véritablepassionné. Seule faille émotionnelle cependant,ses premières années d’études au départementde chimie de l’université de Moscou, la « meilleured’Union soviétique ». Vladimir Solozhenko, plu-tôt avare de sentimentalisme, en parle volon-tiers, avec bonheur et nostalgie. « J’ai commencémes recherches très jeune, à l’âge de 20 ans, et publiémon premier article deux ans plus tard. J’en étaisle seul auteur. On était très libre, on pouvait suivrenos propres idées. Après ma soutenance de thèse en1984, je suis parti à l’Institut des matières ultra-dures de l’Académie des sciences d’Ukraine, à Kiev.L’industrie de coupe et d’usinage cherchait des appli-cations pour remplacer le diamant. C’est devenul’objet principal de mes recherches. »

Car dans cet univers impitoyable, le diamantnaturel n’est plus éternel depuis longtemps. Lesuper-abrasif, considéré comme le matériau leplus dur au monde, montre en effet des limitesune fois soumis à de fortes températures lors dela coupe : par exemple, il n’est pas stable et réa-git chimiquement avec des matériaux ferreux.Devant la nécessité d’une nouvelle générationde matériaux ultradurs, Vladimir Solozhenko sepenche sur un matériau moins dur que le diamantmais plus résistant à la chaleur et à l’oxydation,le nitrure de bore cubique (c-BN). Il le mélangeavec du carbone pour obtenir un matériau à la foisstable chimiquement et plus dur que le c-BN : lecarbonitrure de bore cubique. Mais pour effectuerune synthèse au niveau atomique, il faut exposerle « mélange » des éléments à une très hautetempérature et à une très haute pression. Or à Kiev,les moyens techniques sont limités. Un intenseprogramme international de recherche se metdonc en place. Vladimir Solozhenko passe la moi-tié de son temps loin de Kiev. D’abord au synch-rotron de Hambourg, puis en France à Paris,Bordeaux et à l’European Synchrotron RadiationFacility (ERSF) de Grenoble1. Ou encore aux États-

Unis. Grâce aux images par rayonsX obtenues ausynchrotron de Grenoble, les chercheurs contrô-lent en temps réel comment réagit la structure del’échantillon. Et à 2 000 °C, pour une pression250 000 fois supérieure à celle de l’atmosphère,ils obtiennent enfin, en 2001, le matériau le plusdur aujourd’hui connu, après le diamant. Maisentre-temps, le monde de Vladimir Solozhenkovole en éclats. En 1991, l’URSS n’est plus. Lechercheur, qui travaillait à Kiev, devient de faitautomatiquement citoyen d’Ukraine. Alors quel’économie du pays s’effondre et que nombre decollègues lâchent leurs recherches pour survivre,Vladimir continue grâce à ses collaborations exté-rieures. Mais le maintien du labo tient à un fil.Il décide de postuler en France. « Le CNRS est viteapparu comme la meilleure option. Avec l’appui deBrigitte Bacroix et Jean-Pierre Petitet, nous avonsmonté une structure de recherches au Laboratoiredes propriétés mécaniques et thermodynamiques desmatériaux du CNRS en 2003. Et grâce aux fonds del’ANR, nous avons pu nous équiper et faire rapide-ment des avancées importantes. Ainsi, l’installationd’une presse dite “multi-enclume” a permis d’attein-dre les plus hautes pressions accessibles de nos jourssur des volumes macroscopiques de matériaux. »Plus ascète que jamais, Vladimir fait du labo sanouvelle patrie. « Je ne suis pas sûr d’avoir un jourcroisé un Français autre que scientifique, avoue-t-iltimidement. D’ailleurs, je ne parle pas votre langue. »Ses yeux d’apatride vacillent un moment. « Maisici, je suis redevenu ce que je préférais, un employé auservice de l’État. J’aime servir un pays. »

Camille Lamotte

1. L’ESRF est une des plus intenses sources de rayon X au monde. Dix-neuf pays participent à son financement et à son fonctionnement.

CONTACTÔ Vladimir SolozhenkoLaboratoire des propriétés mécaniques etthermodynamiques des matériaux, [email protected]

BRÈVES

Le Conseil européen de la recherche (ERC) a dévoilé la liste des 219 lauréats, sur 2503 candidats,du 2e appel à projets pour les bourses « jeuneschercheurs ». En tout, 26 travaillent dans desorganismes français, dont 9 chargés de recherche au CNRS : 6 en sciences de la vie, 2 en sciencesphysiques et ingénierie, et 1 en sciences humaines et sociales. La France est le 2e pays, derrière le Royaume Uni, et au premier rang en sciences de la vie. Le prochain appel à projets se clôt entre finoctobre et début décembre selon les disciplines.> Pour en savoir plus : http://erc.europa.eu

Bourses européennesDeux laboratoires internationaux associésont été créés à la rentrée. Le premier, intitulé« Matériaux inorganiques fonctionnels »,renforce une collaboration vieille de vingt ans entre des équipes rennaises,notamment du Laboratoire « Scienceschimiques de Rennes » 1, et chiliennes. Il s’agit de poursuivre les recherches sur les matériaux dits actifs pour des domainesaussi variés que l’optique, l’énergie, le transport et le stockage de l’information. Le LIA franco-maghrébin de mathématiques

et de leurs interactions, lui, a été fondé entre le CNRS, l’École polytechnique et lesuniversités de Nice-Sophia-Antipolis, de Pauet des Pays-de-l’Adour, de Clermont-Ferrand,d’une part, et plusieurs organismes d’Algérie,du Maroc et de Tunisie d’autre part.Ensemble, les partenaires favoriseront les projets de recherche en mathématiquesen multipliant leurs collaborations et enparticipant à la formation des doctorants.1. Laboratoire CNRS / Université Rennes-I / École nationalesupérieure de chimie de Rennes / Insa Rennes.

Création de deux nouveaux LIA

Groupement de recherche européen HORIZON 37

Aucune erreur d’aiguillage ni incidenttechnique à signaler. Depuis une ving-taine d’années, Français et Allemandsdu CNRS et de la Deutsche For-

schungsgemeinschaft (DFG) pilotent avec brioun programme de recherche innovant en dyna-mique des fluides. Leur objectif? La réduction desphénomènes de turbulence dans les transportsaériens et terrestres. Il s’agit d’appréhender trèsfinement les phénomènes de turbulence der-rière les moteurs d’avion et les voitures, et deréduire les perturbations sonores qui en résultent,notamment dans les jets des turboréacteursd’avions civils. À la clé : un meilleur aérodyna-misme et une consommation allégée de carbu-rant, pour les avions comme pour les voitures.De programmes d’échange bilatéraux en projetscommuns pour aboutir à la création du Groupe-ment de recherche européen (GDRE) « Mécani-que des fluides numérique » pour la périodeactuelle 2004-2011, les deux pays n’ont cessédepuis la fin des années 1980 de coordonner lesefforts des deux communautés autour de thé-matiques toujours plus ciblées. Vingt ans plustard, ce sont dix-neuf équipes portées par quatorzelaboratoires français et allemands 1 qui partici-pent à ce programme de haut vol pour un bud-get global estimé à 2,5 millions d’euros par an,financé d’un côté par le CNRS, le ministère de laRecherche et l’Onera, de l’autre par la DFG.« Cette initiative associe étroitement les connais-sances en mécanique des fluides et acoustique, enmodélisation et en calcul haute performance »,confie Patrick Bontoux, directeur du Laboratoirede Mécanique, modélisation et procédés propres(M2P2) 2, à Marseille. L’une des approches scien-tifiques les plus prometteuses est la simulation desgrandes échelles (SGE). Cette sorte de maillagenumérique permet de simuler les plus gros tour-billons, qui sont les plus énergétiques, tout enmodélisant les plus petits, qui passaient à traversles mailles du calcul. Le GDRE doit ce savoir-faire notamment à la mise en œuvre de puissancesde calcul importantes dans les centres nationaux3

et à l’acquisition récente par le CNRS des super-calculateurs vectoriel NEC SX8 et IBM Blue Gene.Ce dernier, au 9e rang mondial, dégage une puis-sance de calcul équivalente à plus de 15000 ordi-nateurs portables de dernière génération.La SGE permet ainsi d’isoler et d’étudier desphénomènes particuliers comme les jets à lasortie de moteurs d’avion, qui ont un impact

organismes et sociétés comme Dassault Aviation,Snecma, Rolls Royce, MTU, Airbus, Renault,le CEA, le Cnes, la DGA, EDF et l’Onera.Au-delà, l’objectif est de « faire de la simulationnumérique un langage commun au niveau euro-péen ». Des discussions sont en cours pour unélargissement du GDRE après 2011. Le nouveaupartenariat Prace (« Partnership for AdvancedComputing in Europe ») propose de structurerles moyens de calcul à l’échelle européenne surplusieurs centres internationaux.

Séverine Lemaire-Duparcq

1. Parmi les laboratoires participants, on peut citer : côté français, les LEA de Poitiers, LMFA de Lyon, M2P2 de Marseille, LMF de Nantes, LEGI et LJK de Grenoble,IMFT de Toulouse, LJAD de Nice, LIMSI et, côté allemand,le RWTH de Aachen, TU de Berlin, Darmstadt, Munich,Dresde, ainsi que les universités de Stuttgart, Karlsruhe,Hamburg et Erlangen.2. CNRS / Universités Aix-Marseille-I, II et III / CentraleMarseille.3. Institut du développement et des ressources en informatique scientifique (Idris), Centre informatiquenational de l’enseignement supérieur (Cines), centre de calcul recherche et technologie (CCRT).

La France et l’Allemagne sont associées dans un programme derecherche innovant en dynamique des fluides. L’objectif? Réduire lesphénomènes de turbulence dans les transports aériens et terrestres.

MÉCANIQUE DES FLUIDES

Les mécanos du numériqueVladimir Solozhenko

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CONTACTÔ Patrick BontouxLaboratoire de Mécanique, modélisation et procédés propres (M2P2), [email protected]

Les chercheurs du GDRE« Mécanique des fluidesnumérique » étudient les phénomènes de turbulencedans les transports. En haut,modélisation derrière un moteurd’avion et ci-contre autour d’unevoiture (figurée en gris).

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GUIDE 39

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

GUIDE Livres38

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

Ce début de XXIe siècle voit se mondialiser lesmigrations, phénomène qui a triplé d’impor-tance en quarante ans et qui constitue laseconde épopée migratoire de l’âge moderneaprès la grande période des années 1880-1930.Consultante pour la Commission européenne,le Conseil de l’Europe et le Haut Commissariataux réfugiés, l’auteure analyse ici causes etconséquences de ce flux humain qui pose avecacuité la question du « vivre ensemble », des risques environnementaux,de la gouvernance mondiale et, in fine, de la reconnaissance d’un droit àla mobilité comme droit fondamental de l’homme.

Catherine Wihtol de Wenden, éd. Puf,septembre 2009, 272 p. – 26 €

Dans cet essai issu de vos travauxsur la perception et l’action, vousdites y « oser une théorie de la sim-plexité » : en quoi consiste ce nou-veau concept?Il faut distinguer simplexité et sim-plicité. Dans toutes les activitéshumaines, scientifiques ou sociales,nous sommes à la fois émerveilléset écrasés par la complexité. D’oùl’élaboration de « théories de la com-plexité » – et de multiples tentativespour simplifier qui conduisent, autantdans l’étude du vivant que dans cellede la vie sociale, à une caricature. Orla biologie, la physiologie, et les neu-rosciences ont établi l’existence deprocessus élégants, rapides, effica-ces pour l’interaction du vivant avecle monde. Ces processus ne sont pas« simples » mais élaborent des « solu-tions », des comportements rapides,fiables, qui tiennent compte de l’ex-

périence passée et qui anticipent surles conséquences futures de l’ac-tion. Ils sont simplexes, comme le fild’Ariane. Ces solutions exigent par-fois un « détour » – elles ont un prix –,mais donnent l’apparence d’unegrande facilité. J’ai esquissé à partird’un terme utilisé dans d’autrescontextes comme la géologie, lesmathématiques, le design ou l’ingé-nierie, une « théorie de la simplexité »afin de rendre compte de ce qui est,à mon avis, l’une des propriétés lesplus originales du vivant.

Quelques exemples de ces proces-sus simplexes?Ils existent à différents niveaux del’organisation du vivant. Par exem-ple, le très petit nombre de « motifs »qui sont utilisés dans les construc-tions moléculaires de protéines, lasélection et le filtrage neuronal par

l’attention, ou encore les « lois deminimum d’énergie » utilisées par lecerveau pour contrôler muscles etarticulations dans le comportementmoteur. On retrouve ces processussimplexes dans les fonctions cogni-tives les plus élevées : la spéciali-sation des systèmes de mémoires etla multiplication des mécanismesneuronaux dans le traitement de l’es-pace (imaginer ou se rappeler un tra-jet), le rôle de l’inhibition, la relationentre raison et émotion. Et, à unniveau symbolique et culturel, le rôledu geste comme solution simplexe(et non simple) pour communiquerdes sentiments par exemple. Ce livre porte, aussi, sur la questionde l’Umwelt, le fait que chaqueespèce ne vit que dans « son »monde. Or, l’originalité du cerveauhumain est d’être un créateur demondes. Les « détours » des pro-cessus simplexes correspondentaussi à cette inventivité du cerveauet de l’esprit humain, aux frontièresde ce que les neuropsychologuesappellent la « pensée magique » qui

crée des mondes « possibles ». C’estpourquoi ce livre se termine par unbouquet d’extensions du concept àdes domaines aussi divers que l’uti-lisation du dessin par les écrivains, laconfiguration d’un coin de rue, l’in-clinaison d’un toit ou la géométried’un jardin.

Vous semblez avoir voulu avec l’éla-boration de ce concept répondre àune interrogation inquiète del’homme face à son monde?Oui, nous sortons d’un siècle dominépar le verbe et la norme où a triom-phé l’esprit de géométrie contre l’es-prit de finesse et qui a oublié, au pro-fit d’une raison désincarnée, ce quej’appelle l’homme sensible, larichesse de l’« écoumène » 1, le rôlede l’émotion. J’ai suggéré des pis-tes pour reconstruire notre identitémise à mal par l’extraordinaire com-plexité du monde, notre écartèlemententre le local et le global, l’accélé-ration du temps vécu. Tout cela enremettant au centre la notion d’acte,puisque je suis un physiologiste.

Propos recueillis par A.L.

1. Écoumène : concept forgé par AugustinBerque pour décrire les lieux de vie enéchappant à la seule description factuelle dela géographie, de l’économie et en réinsérantle vécu de l’homme sensible.

Membre de l’Académie des sciences, Alain Berthoz est professeur au Col-lège de France, où il est directeur adjoint du Laboratoire de physiologie dela perception et de l’action (LPPA, CNRS / Collège de France).

3 questions à…

Le point de départ : l’analyse d’un corpus de textes de gran-des entreprises et la mise en perspective historique destrois formes de mobilisation de l’éthique par le systèmecapitaliste – éthique protestante à la naissance du capita-lisme rationnel moderne, éthique progressiste dans la phasede rationalisation du travail industriel au XIXe siècle et actuelleéthique économique des firmes. L’auteur analyse ici avec briola singularité d’une mobilisation dans laquelle l’éthique estinstrumentalisée car produite par les acteurs économiques

pour des finalités économiques. Résultat : une inquiétante érosion des valeurs.Alors, une question se pose : le capitalisme ne serait-il pas en lui-même l’une dessources de démoralisation de la société?

Anne Salmon, CNRS Éditions, septembre 2009, 264 p.– 25 €

La combinaison de deux phénomènes du capitalisme actuel(puissance de la finance devenue force planétaire et entrée deséconomies industrielles dans l’ère de la « société de la connais-sance » grâce aux nouvelles technologies), devait être « pro-fitable à tous ». La crise récente a démenti cette vision. Cet essaiprésente un capitalisme loin des analyses dominantes. Acca-parant connaissances et ressources financières au profit d’une même minorité depays et d’acteurs, il engendre un appauvrissement des connaissances et de leur dif-fusion. Les auteurs explorent ici les conditions d’une possible alternative.

Le savoir et la financeLiaisons dangereuses au cœur ducapitalisme contemporainDominique Plihon et El Mouhoub Mouhoud, éd. LaDécouverte, coll. « Cahiers libres », septembre 2009,240 p. – 18 €

Après Trois leçons sur la société post-industrielle, toujours avec un grand talent devulgarisateur et une grande érudition, Daniel Cohen montre ici comment l’économiefaçonne la société au fil du temps et sur toute la planète. Pour ce faire, il dresse une

véritable fresque, de l’Empire romain aux traders deWall Street, des sociétés agraires du XIXe siècle aurègne des services immatériels de notre époque.Des questions lancinantes en filigrane : commentl’Occident, qui a arraché une part de l’humanité aurègne de la faim et de la misère, a-t-il pu finir sacourse dans le suicide collectif des deux guerresmondiales? Quel est le poison, « le vice caché, quia anéanti l’Europe? » et « les tragédies européennespourraient-elles se répéter, en Asie ou ailleurs? ».Une histoire de l’humanité où l’on voit les disparitésde toutes sortes ne faire que stimuler le capitalisme.

La prospérité du viceUne introduction (inquiète) à l’économieDaniel Cohen, éd. Albin Michel, septembre 2009, 288 p. – 19 €

Éd. Odile Jacob, septembre 2009, 220 p. – 23 €

Alain Berthoz La simplexité

Superbement illustré avec plus de200 documents inédits provenant desarchives de l’armée, cet ouvragedécrypte, de la Révolution française ànos jours, un mythe républicain fran-çais – celui du « héros mort pour lapatrie », avec son cortège de récits et delégendes sur les « gueules cassées » –et l’évolution de ce mythe vers un « zéromort ». Que représentent ces rites sacri-ficiels à l’heure de la mondialisation et de l’intégration euro-péenne et quelle place auront-ils dans l’avenir?

Gilles Boetsch et Éric Deroo (dir.), CNRS Éditions,coll. « Corps », septembre 2009, 240 p. – 35 €

Faisant partie des parutions de l’automne célébrant le 70e anniversaire de lamort de Freud, ce Dictionnaire comble une lacune : il n’existait, en effet,

aucun travail sur l’ensemble des œuvres psychanalyti-ques et post-freudiennes. Et, dans un moment où la psy-chanalyse est contestée ou concurrencée par les théra-pies comportementales et cognitives, cet ouvrage montrecombien il est utile de ne pas remplacer les textes par un« bottin de symptômes ».À travers l’étude de 340 œuvres (quelque 140 textes deFreud, livres et articles fondateurs et quelque 200 écritspost-freudiens), l’auteur restitue dans ce monumentalouvrage la substance des textes de la psychanalyse.

Paul-Laurent Assoun, éd. Puf, septembre 2009, 1488 p. – 39 €

Le sacrifice du soldat

En 1997, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougosla-vie (TPIY) formulait à la fois juridiquement (« crime », « vic-

time ») et philosophiquement (« enattaquant l’homme, est niée l’hu-manité »), la spécificité du crimecontre l’humanité, notion déjà ins-crite dans le statut du Tribunal deNuremberg mais restée inexploitéejuridiquement. Cet ouvrage fait lepoint sur cette dénomination pénale,en explore la richesse, les ambiguï-tés et les développements proba-bles dans les années qui viennent.

Mireille Delmas-Marty, Isabelle Fouchard, EmanuelaFronza et Laurent Neyret, éd. Puf, coll. « Que sais-je? », septembre 2009, 128 p. – 9 €

Dictionnaire des œuvrespsychanalytiques

Moraliser le capitalisme?

Entreprise originale et inédite que cette réunion des leçonsinaugurales du Collège de France portant sur le MoyenÂge et la Renaissance en un seul volume. Trente et unechaires sont représentées (certaines totalement oubliées)occupées par des noms illustres –Jules Michelet, Focil-lon, Chastel, Duby, Étienne Gilson… Un passionnant ensem-ble où l’on assiste, non seulement au développementmoderne des sciences historiques mais à la naissance dela philologie et de l’histoire de l’art en France. L’évolutiond’une vie intellectuelle à travers la discontinuité des pres-tigieuses leçons dont le choix ne présente qu’un impératif :« accompagner la recherche en train de se faire ».

Textes rassemblés par Pierre Toubert et Michel Zinkavec la collaboration d’Odile Bombard, éd. Fayard,juin 2009, 672 p. – 32 €

Moyen Âge et Renaissanceau Collège de France

Le crime contre l’humanité

La globalisation humaine

Page 21: Les promesses

Jean-ClaudeGall, éd.L’Harmattan,coll. « Biologie,écologie,agronomie »,août 2009,174 p. – 16,50 €

GUIDE Livres40

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

LES JUIFS AMÉRICAINSAndré Kaspi, éd. Seuil, coll. « PointsHistoire », septembre 2009, 320 p. – 9€

INQUIÉTANTE ÉTRANGETÉLaurent Danon-Boileau, éd. Puf, coll.« Monographies et débats depsychanalyse », août 2009, 216 p. – 21€

LA MÉTAPSYCHOLOGIE DE FREUDExposé critiqueAlain Delrieu, éd. Economica, coll.« Psychanalyse et pratiques sociales »,juillet 2009, 232 p. – 29€

AU CŒUR DU FONDAMENTALISMEEnzo Bianchi et Gilles Kepel, éd. Bayard,octobre 2009, 70 p. – 13€

SOCIOLOGIE DES PROFESSIONSFlorent Champy, éd. Puf, coll. « Quadriges– Manuel », septembre 2009, 240 p. – 15€

L’HOMME ET LA MORTL’invention de la sépulture durant laPréhistoireAnne-Marie Tillier, CNRS Éditions, coll.« Le passé recomposé », septembre 2009,168 p. – 12€

LA FIN DES BÊTESUne ethnographie de la mise à mort desanimauxCatherine Rémy, éd. Economica, coll.« Études sociologiques », 210 p. – 25€

29 NOTIONS POUR SAVOURER ETFAIRE SAVOURER LA SCIENCEPierre Léna, Yves Quéré et BéatriceSalviat, éd. Le Pommier, coll. « ÉducationLa main à la pâte », septembre 2009,500 p. – 29€

CES PRÉJUGÉS QUI NOUSENCOMBRENTGilles Dowek, éd. Le Pommier, coll« Manifestes », septembre 2009, 108 p.– 10€

Retrouvez les publications de CNRS Éditionssur le site : www.cnrseditions.fr

AUTRES PARUTIONS

Prenant en compte les récentes extensions du mot « handicap » (perted’autonomie en raison de l’âge, victimes de crises économiques…), Eth-nologie française consacre l’un de ses « Dossiers » à l’analyse des mul-tiples discours actuels pour « parler » du ou des « handicap(s) », confron-ter les attitudes des familles à celles des professionnels et relier textesde lois et expériences concrètes en montrant les nombreux écarts sur-venant entre normes et représentations.

Coord. André Rauch, Ethnologie française, 2009 / 3 – Juillet,éd. Puf, 196 p. – 22 €

Quatre ans ont passé depuis la loi du 11 février 2005« pour l’égalité des droits et des chances, la parti-cipation et la citoyenneté des personnes handica-pées ». Mais les enfants comme les adultes handi-

capés ont toujours des difficultés d’accès à l’écoleet à l’emploi. Un état des lieux pour une question quientre dans une ère nouvelle : celle de la citoyennetédémocratique.

Autrement capablesÉcole, emploi, société : pour l’inclusion des handicapésÉric Plaisance, éd. Autrement, coll. « Mutations », septembre 2009, 208 p. – 20 €

Des premièresbactéries à l’hommeL’histoire de nos origines

Les premières for-mes de vie sontapparues sur laTerre il y a presque quatre milliards d’an-nées. Ce sont des organismes micros-copiques : les bactéries. Une chaîneininterrompue d’espèces vivantes lesrelie à l’émergence de l’homme il y aquelques millions d’années à peine.Parce que la diversité de la biosphère etla place qu’y occupe l’homme ne sontintelligibles qu’à la lumière des trans-formations advenues au fil de cesdurées géologiques, l’auteur, géologueet paléontologue, retrace l’histoire del’Univers à partir de ces bactéries fos-siles pour parvenir jusqu’à nous, « abou-tissement provisoire de cette histoireinachevée ».

Sur le thème « que donne à voir la musique,que donne à entendre l’œil? », ce numéro encouleurs de Terrain propose un ensemblede variations illustrées montrant comment levisuel et le sonore musical peuvent conver-ger en de multiples modalités : de Messiaenet Scriabine à Paul Klee en passant par les

chants des Itcha du Bénin qui« font voir une montagne », lesexpériences de musiciens tra-vaillant en duo avec leur ordina-teur ou les trajectoires sur le sol des instru-mentistes défilant au carnaval de Tarabucoen Bolivie.

Terrain, n° 53, septembre 2009, éd. ministère de la Culture et de lacommunication / MSH, septembre 2009, 176 p. – 16 €

Voir la musique

Bien que le politique s’empare aujourd’hui du sujet, raresétaient les recherches faisant foi sur les violences à l’école élé-mentaire, cette zone d’ombre se doublant, de plus, d’un pointaveugle : celui des écoliers. À partir d’une enquête de victi-mation et de violence auto déclarée menée dans le Nordauprès de 2000 élèves par des entretiens et des observationsde terrain, l’auteure montre le poids des variables socio-éco-nomiques et met en évidence l’importance capitale du climatscolaire sur la variation du phénomène de violence selon lesécoles. Des données surprenantes pour l’esquisse de pre-miers contours de la violence en milieu scolaire.

Cécile Carra. Éd. Puf, coll. « Éducation et société »,septembre 2009, 192 p. – 19 €

Violences à l’école élémentaireL’expérience des élèves et desenseignants

HandicapsEntre discrimination et intégration

Ces deux musées présentent pour la première fois enOccident des collections uniques sur l’art bouddhi-que. Le musée Guimet réunit des pièces prêtées pardes temples et des monastères du royaume duBhoutan où le tantrisme est la religion offi-cielle. Des Thangkas (tissus peints ou bro-dés), des sculptures métalliques, des objetsliturgiques du VIIIe s. au XIXe s., et des vidéos surla danse rituelle dépeignent l’histoire du pays.À Nice, des œuvres sauvées de la destruc-tion massive des temples mongols qui eutlieu en 1928 illustrent l’art bouddhique enMongolie et au Tibet, entre le XVe s. et leXVIIIe s. Où l’on apprend comment les lamasdevinrent les dirigeants du Tibet et com-ment les Mongols se convertirent.

GUIDE 41

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

EXPOSITIONS Rubrique réalisée par Céline Bévierre

Faire tenir un château de sable sur une plagerelève pour vous de l’exploit ? Vous serez sur-pris de découvrir les différentes utilisationsde la terre en tant que matériau de construc-tion, depuis la Grande Muraille de Chinejusqu’aux réalisations les plus récentes.Matière la plus répandue dans le monde,employée dans les premières cités décou-vertes en ancienne Mésopotamie, la terrecrue revient aujourd’hui sur le devant de lascène pour ses propriétés économiques etécologiques. Des expériences et des mani-pulations ludiques aident à comprendre les potentialités de la matière granu-laire. Après une approche géologique et physique, les usages architecturauxet artistiques du matériau sont mis en valeur avec le « Sensitive wall ». Cetespace multimédia interactif dévoile la beauté et la diversité architecturales deshabitations et des constructions en terre. Pour compléter, le « Jardin desœuvres » expose des créations de deux artistes contemporains.

Du 6 octobre 2009 à juin 2010, Cité dessciences, Paris (XIXe).Tél. : 01 40 05 70 00– www.cite-sciences.fr

Au pays du Dragon :arts sacrés du BhoutanDu 7 octobre 2009 au 25 janvier 2010, Musée GuimetParis (XVIe).Tél. : 01 56 52 53 00 –www.guimet.fr

ET AUSSI

TAPIS ET TEXTILES DU NIL À L’EUPHRATEDu 23 octobre 2009 au 28 février 2010, Musée Bargoin, Clermont-Ferrand (63).Tél. : 04 73 42 69 70.

Quels liens y a-t-il entre letextile et… la chimie, lamécanique, le génie civilou la médecine ? À Saint-Étienne et Bourgoin-Jallieu,des films, des expérienceset des objets du quotidiendémontrent les différentesapplications des textilesdans les secteurs indus-triels. L’accent est mis sur

les perspectives environnementales et les textiles du futur, del’« ordinateur prêt-à-porter » aux nanotextiles.À Clermont-Ferrand, des productions textiles de populationssédentaires et nomades provenant de l’oasis de Siwa, du désertdu Sinaï à l’Euphrate, des ateliers d’Alep ou de Damas révèlentcette fois les secrets d’un savoir-faire et des coutumes tribales.

Textiles techniques, matériaux du 21e siècleDu 15 octobre 2009 au 16 mars 2010, musées d’Art et d’industrie de Saint-Étienne et musée de Bourgoin-Jallieu (38).Tél. : 04 77 49 73 00 / 04 74 93 00 54.

Homme ou animal? Dès le début du parcours, le visiteur se retrouve face à des portraitsde grands singes qui jettent le trouble. Sculptures, photographies, modules interactifs etjeux dévoilent peu à peu les comportements et les mœurs des gorilles auxquels le visi-teur se voit directement comparé. Un deuxième espace, « Sur les traces de l’homme »,décrit les différentes théories développées au cours de l’histoire et leurs limites pour ten-ter d’éclaircir le mystère de l’humanité.

Espèce d’humainJusqu’au 14 mars 2010, Forum départemental des sciences de Villeneuve d’Ascq(59).Tél. : 03 20 10 36 36 – www.forumdepartementaldessciences.fr

MÉTÉORITES ET ASTÉROÏDES Jusqu’au 14 janvier 2010, Collection desminéraux de l’université Pierre-et-Marie-Curie, Paris (Ve). Tél. : 01 44 27 52 88Vous rêvez d’un voyage sur Mars ou sur laLune ? La Collection vous offre un avant-goûten vous invitant à toucher des fragmentsissus de météorites de la planète rouge, de

notre satellite et de diversastéroïdes. Vous découvrirez

notamment comment lesscientifiques exploitentles informations tiréesde ces pierres tombées

du ciel.

L’ÂME DU VIN CHANTE DANS LESBOUTEILLESJusqu’au 20 octobre 2010, musée d’Aquitaine,Bordeaux (33). Tél. : 05 56 01 52 00– www.bordeaux.frCette exposition dont l’intitulé reprend uncélèbre vers de Charles Baudelaire retraceavec poésie l’histoire du vin à travers sescontenants, de l’Antiquité à nos jours enOccident. Amphores, barriques, bouteilles,orfèvreries, calices… Les récipientsinforment sur l’évolution du contrôle, duservice, du commerce et des pratiquesculturelles liés au vin. Une exposition à visitersans modération !

ET AUSSI

Textile lumineux notamment tisséde fibres optiques.

Ma Terre première : pour construire demain

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Statue mongole de ladéesse Shyama Tara ouTara verte.

ET AUSSI

TRÉSORS DU BOUDDHISME AU PAYS DE GENGIS KHANJusqu’au 15 novembre 2009, Musée des arts asiatiques,Nice (06).Tél. : 04 92 29 37 00 – www.arts-asiatiques.com ©

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Page 22: Les promesses

GUIDE42

Le journal du CNRS n° 237 octobre 2009

EN LIGNE

C’est un site original que vient de met-tre en ligne le groupe de recherchesur l’histoire du droit des colonies dulaboratoire « Dynamique du droit »(CNRS / Université Montpellier-I). Sonthème ? Les « colonisations juridi-ques » ou l’histoire du droit dans cer-tains pays, étudié sous l’angle colo-nial. Conçu pour tous, des chercheurs aux simples curieux, ce siteparticulièrement bien agencé et riche en informations présente de nombreuxouvrages et articles ainsi que l’actualité sur les recherches en cours. Cer-taines rubriques attirent l’attention comme les « Pépites des colonies », pagequi regroupe des dessins satiriques ou encore des extraits du Code noir,première réglementation de l’esclavage.

www.histoiredroitcolonies.fr

EN LIGNE

Histoire du droit des colonies

Claude Hagège, professeur au Collège de France où il occupe la chaire inti-tulée « Théorie linguistique », médaillé d’or du CNRS en 1995, connaît une cin-quantaine de langues et a publié plus d’une dizaine d’ouvrages. Dans Lecombat entre l’écrivain et sa langue, ce grand linguiste nous emmène à larecherche des mots. En citant des extraits de Mallarmé ou de Racine, et enprenant des exemples de la langue d’esperantoou du langage oral courant, Claude Hagègemontre comment l’écrivain ou le poète bousculel’ordre des mots, leur classification, leur his-toire, et mène une recherche pour exprimer leplus justement possible ses émotions.

Collection à voix haute, éditions Gallimard, septembre 2009, 15 €.

La Mission pour la place des femmes au CNRS et l’association Femmes& Sciences organisent une journée de conférences et tables rondes sur laquestion de la valorisation des carrières des femmes en entreprise et dansla recherche publique. Le phénomène du « plafond de verre » qui empêcheles femmes d’atteindre les postes les plus élevés sera mis en avant en rap-pelant ses manifestations et ses conditions d’apparition.

Le 10 octobre 2009, université Paris-VI. Inscription gratuite etobligatoire – www.cnrs.fr/mdpf

COLLOQUE

Carrières des femmes en entrepriseset dans la recherche publiqueQuelles solutions pour les valoriser?

Les fouilles archéologiques effectuées sur le site deShillourokambos, de 1991 à 2004, ont apporté des élé-ments précieux sur les origines de Chypre. Unereconstitution du plus ancien village néolithique del’île a pu être reproduite en images de synthèse.

FILM

CD

Shillourokambos,les origines deChypre

Cette conférence d’Agnès Guillot, chercheuse à l’Institut des systèmesintelligents et robotiques (Isir, CNRS / Université Paris-VI) est accessible àpartir de 10 ans. Il y sera question de robots, d’« animats » ou encore de l’in-telligence artificielle qu’il est nécessaire de développer pour que ces ani-maux robotiques ou leurs pendants virtuels puissent se mouvoir, et mêmeinteragir avec les humains. Venez découvrir comment la science-fictions’invite dans la réalité grâce à la recherche.

Conférence. Samedi 10 octobre 2009, Nouveau Théâtre de Montreuil(93).Tél. : 01 48 70 48 90 – www.nouveau-theatre-montreuil.com

JEUNESSE

Un zoo robotique pour le futur?

L’ÉVÈNEMENT

Du 8 au 11 octobre 2009, Blois (41).Tél. :02 54 56 09 50 – www.rdv-histoire.com

Une nouvelle fois, vous avez rendez-vous avecl’Histoire. Et plus particulièrement cette annéeavec celle du corps humain. De nombreuxdébats et conférences animés par des person-nalités du monde scientifique, dont plusieurs duCNRS, aborderont ce sujet relativement neufen histoire, sous tous les angles : de l’alimenta-tion à la sexualité, en passant par le sport, lamaladie, la naissance, le travail, la souffrance ouencore la beauté. 25000 personnes sont atten-dues durant ces quatre jours où se tiendrontégalement un grand salon du livre d’histoire, uncycle de films et d’autres évènements.

Le combat entre l’écrivain et sa langue, par Claude Hagège

12e Rendez-vous de l’HistoireLe corps dans tous ses états

De Jean Guilaine (2009, 52 min), coproduit parPassé simple et CNRS Images. Prix 20 € / 45 €

(usage privé / institutionnel).Pour commander : http://videotheque.cnrs.frRenseignements : [email protected] / 01 45 07 59 69.

DR

Micro-dinosUn origami digne d’un fan de Jurassic Park qui se serait piqué de reproduire la longue marche des dinosaures? Il ne s’agit pourtant ni de papier, ni de mastodontes des temps anciens. Ces microstructures desemiconducteur à base de phosphure d’indium, prises sur le vif par Jean-LouisLeclercq, de l’Institut des nanotechnologies de Lyon 1 sont, en temps normal,destinées à confiner la lumière. Elles devraient former des « ponts » de 100 à 200micromètres de longueur pour seulement 10 micromètres de largeur.Celles-ci, cependant, ont eu un petit accident. Il arrive, en effet, que l’un des ancrages du pont cède et que ce dernier s’enroule sur lui-même, prenant alors une forme étrange. Cette image a obtenu le premier prix du concours de photographies organisé en juillet dernier lors du colloque du Laboratoireinternational associé en nanotechnologies et nanosystèmes (LIA-LN2) quiréunit l’Institut des nanotechnologies de Lyon, le Laboratoire des technologiesde la microélectronique 2 de Grenoble et deux laboratoires canadiens, leCentre d’excellence en génie de l’information de l’université de Sherbrooke etle Laboratoire de micro- et nanofabrication à l’Institut national de la recherchescientifique (Canada). F. D.1. Institut Insa Lyon / École Centrale de Lyon / Université Lyon-I.2. Laboratoire CNRS / Université Grenoble-I / Institut polytechnique de Grenoble.

ÉTONNANTES IMAGES

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