Les problèmes politiques en Russie de la mort de Nicolas Ier à l'abdication de Nicolas II

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118/175 Les problèmes politiques en Russie de la mort de Nicolas Ier à l’abdication de Nicolas II Éléments de chronologie - 1) Règne d’Alexandre II : a) Présentation : Arrivé au pouvoir en pleine guerre de Crimée (et donc dans un contexte fort délicat), le tsar Alexandre II lance, dès la fin du conflit, un programme de réformes profondes. En effet, si la défaite face à la Grande-Bretagne et à la France a eu des conséquences diplomatiques limitées, elle a révélé l’archaïsme de l’État russe face à deux puissances moins peuplées et moins étendues mais en train de se moderniser dans un cadre politique d’essence “libérale”. La Russie avait été, en 1815, le grand vainqueur de Napoléon , et le principal pilier de la Sainte Alliance. Quarante ans plus tard, elle apparaissait comme un “colosse aux pieds d’argile”. Dans la tradition de Pierre-le-Grand, Alexandre II s’emploie à moderniser “par le haut” en s’inspirant du modèle occidental. Cela conduit d’abord à la libération des serfs (la construction de l’État absolutiste avait vu, en Russie, l’instauration d’un “néo-servage”), mais aussi à toute une série de mesures qui transforment l’administration locale, la justice, l’enseignement et, plus tard, l’armée. Les changements sont réels, même s’il ne s’agit pas d’abolir le système autocratique, mais de le moderniser pour le consolider. L’application des réformes reste soumise à la volonté du tsar qui peut, selon les circonstances, en restreindre ou en modifier la portée. Alexandre II doit tenir compte des réticences de la noblesse, même si cette dernière, noblesse de service largement créée par l’État absolutiste, n’avait guère de tradition d’indépendance. Le tsar réformateur ne veut pas fragiliser outre mesure ce pilier de l’État en menant une véritable réforme agraire. Par ailleurs, la volonté réformatrice n’exclut pas la répression impitoyable de l’insurrection polonaise de 1863. Les limites manifestes apportées aux réformes poussent vers la rupture une fraction radicalisée de l’intelligentsia : révolte de la nouvelle génération avec le nihilisme des années 60, marche vers le peuple des populistes dans les années 70, dérive terroriste conduisant en 1881 à l’assassinat du tsar. Cette modernisation inachevée maintient la paysannerie dans le cadre pesant de la commune rurale, dont le système redistributif est pourtant idéalisé par nombre de révolutionnaires socialisants. Les terres octroyées à la paysannerie sont nettement insuffisantes pour faire face à une croissance démographique accélérée. On assiste cependant, dans le même temps, à la mise en place d’infrastructures économique qui ont été à l’origine du démarrage industriel : multiplication de voies ferrées, dont le réseau commence à relier les principales régions de la Russie d’Europe ; lent développement d’un système bancaire ; fondation d’établissements pionniers dans la production de charbon et de fer en Ukraine, de pétrole à Bakou. Une politique extérieure active et souvent brillante permet à Alexandre II d’effacer l’humiliation du traité de Paris, en utilisant à l’occasion la force d’un panslavisme auquel adhère une partie de la société : la Russie se pose en libératrice de la Bulgarie et en protectrice des orthodoxes balkaniques, non sans indisposer les autres grandes puissances (cf. le congrès de Berlin). Par ailleurs, la Russie confirme ses positions dans le Caucase, tout en poursuivant sa progression en Asie centrale et en Extrême-Orient, éveillant l’inquiétude d’autres puissances coloniales : la Grande-Bretagne et, nouveau venu, le Japon.

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Les problèmes politiques en Russie de la mort de Nicolas Ier à l’abdication de Nicolas II Éléments de chronologie - 1) Règne d’Alexandre II :

a) Présentation :

Arrivé au pouvoir en pleine guerre de Crimée (et donc dans un contexte fort délicat), le tsar Alexandre II lance, dès la fin du conflit, un programme de réformes profondes. En effet, si la défaite face à la Grande-Bretagne et à la France a eu des conséquences diplomatiques limitées, elle a révélé l’archaïsme de l’État russe face à deux puissances moins peuplées et moins étendues mais en train de se moderniser dans un cadre politique d’essence “libérale”. La Russie avait été, en 1815, le grand vainqueur de Napoléon , et le principal pilier de la Sainte Alliance. Quarante ans plus tard, elle apparaissait comme un “colosse aux pieds d’argile”. Dans la tradition de Pierre-le-Grand, Alexandre II s’emploie à moderniser “par le haut” en s’inspirant du modèle occidental. Cela conduit d’abord à la libération des serfs (la construction de l’État absolutiste avait vu, en Russie, l’instauration d’un “néo-servage”), mais aussi à toute une série de mesures qui transforment l’administration locale, la justice, l’enseignement et, plus tard, l’armée. Les changements sont réels, même s’il ne s’agit pas d’abolir le système autocratique, mais de le moderniser pour le consolider. L’application des réformes reste soumise à la volonté du tsar qui peut, selon les circonstances, en restreindre ou en modifier la portée. Alexandre II doit tenir compte des réticences de la noblesse, même si cette dernière, noblesse de service largement créée par l’État absolutiste, n’avait guère de tradition d’indépendance. Le tsar réformateur ne veut pas fragiliser outre mesure ce pilier de l’État en menant une véritable réforme agraire. Par ailleurs, la volonté réformatrice n’exclut pas la répression impitoyable de l’insurrection polonaise de 1863. Les limites manifestes apportées aux réformes poussent vers la rupture une fraction radicalisée de l’intelligentsia : révolte de la nouvelle génération avec le nihilisme des années 60, marche vers le peuple des populistes dans les années 70, dérive terroriste conduisant en 1881 à l’assassinat du tsar.

Cette modernisation inachevée maintient la paysannerie dans le cadre pesant de la

commune rurale, dont le système redistributif est pourtant idéalisé par nombre de révolutionnaires socialisants. Les terres octroyées à la paysannerie sont nettement insuffisantes pour faire face à une croissance démographique accélérée. On assiste cependant, dans le même temps, à la mise en place d’infrastructures économique qui ont été à l’origine du démarrage industriel : multiplication de voies ferrées, dont le réseau commence à relier les principales régions de la Russie d’Europe ; lent développement d’un système bancaire ; fondation d’établissements pionniers dans la production de charbon et de fer en Ukraine, de pétrole à Bakou.

Une politique extérieure active et souvent brillante permet à Alexandre II d’effacer

l’humiliation du traité de Paris, en utilisant à l’occasion la force d’un panslavisme auquel adhère une partie de la société : la Russie se pose en libératrice de la Bulgarie et en protectrice des orthodoxes balkaniques, non sans indisposer les autres grandes puissances (cf. le congrès de Berlin). Par ailleurs, la Russie confirme ses positions dans le Caucase, tout en poursuivant sa progression en Asie centrale et en Extrême-Orient, éveillant l’inquiétude d’autres puissances coloniales : la Grande-Bretagne et, nouveau venu, le Japon.

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b) Dates :

N.B. : les dates entre parenthèses sont celles du calendrier occidental 1855 18-02 (02-03) Mort du tsar Nicolas 1er. Avènement de son fils Alexandre II. 1855 29-08 (10-09) : en Crimée, assaut final des alliés contre Sébastopol 1855 16 (28) nov. : succès russe dans le Caucase, contre les Turcs. Capitulation de Kars. 1855 (décembre) : pressions autrichiennes sur la Russie en faveur de la paix 1856 : multiplication des soulèvements paysans (80 par an en moyenne, de 1855 à

1861). Léger assouplissement des mesures discriminatoires à l’encontre des Juifs. 1856 18 (30) mars : acte final du Traité de Paris. La Russie perd la Bessarabie

méridionale et doit restituer Kars. La mer Noire est neutralisée, l’intégrité de l’Empire ottoman et l’autonomie des provinces danubiennes garanties collectivement.

1856 30-03 (11-04) Discours du tsar à la noblesse de Moscou : mieux vaut réformer le servage d’en haut qu’affronter une révolte des masses paysannes.

1856 (mai). À Varsovie, discours du tsar à la noblesse polonaise : “Point de rêveries, Messieurs”. Une amnistie permet cependant le retour de plusieurs milliers de Polonais déportés en Sibérie.

1857 : 1°) Début de la publication à Londres du périodique d’opposition Kolokol (“La Cloche”), animé par Alexandre Herzen (1812-1870 : fils naturel d’un noble, fortuné mais socialisant, il quitte définitivement la Russie en 1847 ; d’abord occidentaliste, il se tourne ensuite vers la commune rurale russe, où il voit la possibilité d’une transformation sociale qui ferait l’économie du capitalisme). Audience considérable de ce périodique, en Russie même. 2°) Création de la Société principale des chemins de fer russes. Première vague d’équipement ferroviaire, fondée sur l’appel aux capitaux privés. 3°) Adoption d’un tarif douanier libéral.

1858 : 1°) Succès diplomatiques russes dans les Balkans. 2°) 10e “révision des âmes” : évaluation de la population totale de l’Empire à 75 millions d’habitants (60 millions en Russie d’Europe, dont 55 millions de ruraux). Population de Saint-Pétersbourg : 500 000 habitants. 3°) Libération des paysans des apanages (domaines de la famille impériale)

1858 16 (28) mai : traité d’Aïgoun avec la Chine. Annexion du territoire de l’Amour. 1859 26-08 (07-09) : reddition de l’imam Châmil dans le Caucase. 1860 2 (4) nov. : traité de Pékin avec la Chine. La Russie annexe le territoire de

l’Oussouri. Fondation du port de Vladivostok. 1861 (février) : troubles en Pologne. 1861 16-02 (03-03) Statut des paysans libérés du servage. Il donne la liberté aux 20

millions de serfs des domaines privés (la moitié de la paysannerie), avec de nombreuses restrictions : “dépendance temporaire” vis-à-vis du seigneur jusqu’au rachat (en 49 annuités) des terres concédées aux paysans, dont la surface va très vite s’avérer insuffisante ; soumission au nouveau cadre de la commune rurale (issue du mir ), étroitement contrôlée par l’administration ; maintien d’un système de possession communautaire et de redistributions périodiques des terres.

1861 (avril) : répression du soulèvement de Bezdna, dans la province de Kazan, où les paysans réclament immédiatement la liberté et la terre. Dans les mois qui suivent, multiplication des dénonciations du caractère incomplet de la réforme : cf. les articles de A. Herzen et N. Tchernychevski. Naissance du “nihilisme” dans la jeune génération : textes de D. Pisarev et N. Dobrolioubov, appels à la révolte de N. Chelgounov et M. Mikhaïlov.

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1861 (sept-oct) : agitation étudiante à Kazan, Saint-Pétersbourg et Moscou. 1861 (fin de l’année) : fondation de la société secrète Zemlia i Volia (“Terre et

Liberté”), fédération de cercles révolutionnaires. 1862 : pour la première fois en Russie, organisation et publication d’un budget unifié de

l’État. 1862 (mai). Gigantesques incendies à Saint-Pétersbourg. Le pouvoir les utilise pour

dénoncer les agissements des “nihilistes”. Arrestation de D. Pisarev et N. Tchernychevski. Début du démantèlement de “Terre et Liberté” (qui disparaît en 1864)

1863 10 (22) janv. : déclenchement prématuré de l’insurrection polonaise. Divisés entre Rouges et Blancs, mal soutenus par les paysans, les insurgés (souvent nobles) sont impitoyablement écrasés. La Pologne perd toute autonomie et doit subir une russification aggravée. Les problèmes polonais entraînent un rapprochement entre la Russie et la Prusse.

1863 18 (30) juin : statut libéral des universités. 1864 1er (13) janvier : création des zemstvos , assemblées de district élues par trois

collèges (grands propriétaires fonciers, citadins, paysans), élisant à leur tour une assemblée de province. Les zemstvos ont la gestion (sous la tutelle de l’administration) de la santé publique, de l’instruction locale, des transports régionaux et des aides à la vie économique.

1864 190-02 (02-03) Réforme agraire en Pologne : conditions avantageuses pour les paysans, qui reçoivent la terre sans rachat.

1864 20-11 (02-12) Réforme judiciaire : égalité de tous devant la loi, indépendance et inamovibilité des juges, introduction du jury en matière criminelle, création de juges de paix élus par les zemstvos.

1865 : nouveau code de justice militaire, dans le cadre des réformes menées par D. Milioutine, ministre de la guerre de 1861 à 1881.

1865 (janv.) : l’assemblée de la noblesse de Moscou demande la réunion d’une assemblée de la Terre russe. Refus du tsar.

1865 6 (18) avr. : nouveau statut de la censure, relativement libéral. 1865 (juin) : les Russes prennent Tachkent (Turkestan). 1866 4 (16) avr. : attentat manqué de D. Karakozov contre Alexandre II (acte isolé d’un

membre d’un petit groupe révolutionnaire moscovite). Vague de répression ; arrivée au pouvoir de conservateurs hostiles aux réformes : D. Tolstoï ministre de l’Instruction Publique.

1867 18 (30) mars : vente de l’Alaska aux États-Unis. 1868 : tarif douanier modéré. Rachat par l’ingénieur N. Poutilov de la fonderie d’État

créée en 1801 à Saint-Pétersbourg. 1868 2 (14) mai : les Russes prennent Samarcande. 1869 : 1°) Rencontre à Genève entre M. Bakounine et S. Netchaïev (rédaction du

Catéchisme révolutionnaire ). Netchaïev fonde à Moscou la société secrète “La Vindicte du Peuple”, qui exécute pour trahison l’un de ses membres, l’étudiant Ivanov (cf. Dostoïevski, Les Possédés ). 2°) Publication des Lettres Philosophiques de P. Lavrov. 3°) Publication de La Russie et l’Europe de N. Danilevski. Essor du panslavisme. 3°) Fondation par la Gallois Hugues d’une entreprise métallurgique dans le Donets.

1870 : première grève importante à Saint-Pétersbourg, dans une filature de coton. Constitution à Genève d’une section russe de la Ière Internationale.

1870-1873 : développement d’un cercle populiste à Saint-Pétersbourg (avec S. Perovskaïa et P. Kropotkine)

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1871 (janv.-mars) : conférence de Londres. Succès diplomatique pour la Russie : fin de la neutralisation de la mer Noire.

1871-1872 : lois renforçant l’enseignement des langues anciennes dans le secondaire et limitant l’accès aux universités.

1872 : 1°) Droit donné au ministère de l’Intérieur d’interdire toute publication jugée nuisible. 2°) Aggravation continue des prélèvements sur la paysannerie : de 1861 à 1872, la capitation a augmenté de... 80 %. 3°) Publication en russe du premier volume du Capital de K. Marx (traduction de N. Danielson, autorisée par la censure).

1873 : 1°) Multiplication des groupes populistes. Bakounine : État et anarchie . Lavrov : premier numéro de la revue Vperiod (“En avant”), à Zurich. 2°) Formation de l’Entente des Trois Empereurs (Allemagne, Autriche-Hongrie, Russie).

1874 1er (13) janv. : réforme militaire de D. Milioutine. Service militaire obligatoire pour tous (6 ans, au lieu de 25), appel par tirage au sort d’une partie du contingent, réduction de la durée du service selon les études effectuées.

1874 (printemps-été) : apogée du “mouvement vers le peuple”, lancé par les populistes. Des milliers d’étudiants vont faire de l’agitation dans les campagnes. Échec auprès des paysans, nombreuses arrestations.

1875 : fondation à Odessa, par E. Zaslavski (d’origine noble), de l’éphémère Union des Ouvriers de la Russie méridionale. Publication par Tkatchev de la revue Nabat (“Le Tocsin”) à Genève.

1875 27-04 (07-05) : traité avec le Japon. La Russie obtient l’île de Sakhaline. 1875 (juil.-août) : soulèvement de l’Herzégovine puis de la Bosnie contre la domination

ottomane. Prudence de l’Autriche et de la Russie. 1876 : 1°) Fondation de la nouvelle organisation Zemlia i Volia par les populistes, qui

préconisent dorénavant une action plus proche des aspirations populaires (G. Plekhanov, A. Mikhaïlov, M. Natanson, V. Figner) ; multiplicité des tendances : “émeutiers” dans la lignée de Bakounine (qui meurt le 19 juin/1er juillet), “propagandistes” selon Lavrov, “conspirateurs” à la manière de Tkatchev. 2°) Répression du mouvement national ukrainien naissant. Mesures de russification.

1876 (avril) : soulèvement en Bulgarie, sauvagement réprimé par les Turcs. 1876 (juillet) : guerre de la Serbie contre la Turquie. Défaite, malgré l’afflux de

volontaires russes. 1876 6 (18) déc. : organisation par Zemlia i Volia d’une manifestation de plus de 200

personnes devant Notre-Dame de Kazan à Saint-Pétersbourg (discours de G. Plekhanov).

1877 : en Ukraine, échec d’une insurrection paysanne préparée par le populiste I. Stefanovitch.

1877-1878 : grands procès des populistes. 1877 3 (15) janv. : accord austro-russe sur les Balkans. 1877 12 (24) avril : déclaration de guerre de la Russie à la Turquie. 1877 6 (18) nov. : les Russes prennent Kars (Caucase). 1877 28-11 (10-12) : après une longue résistance, Plevna (Balkans) se rend aux troupes

russes. 1878-1879 : vague de grèves à Saint-Pétersbourg. 1878 8 (20) janv. : les Russes à Andrinople. 1878 19 (31) janv. : armistice russo-turc. 1878 24-01 (05-02) : attentat de Véra Zassoulitch contre le général Trepov, chef de la

police de Saint-Pétersbourg. Acquittée par le jury, elle échappe à la police à l’issue du procès grâce à la complicité de la foule (31 mars/12 avril).

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1878 19-02 (03-03) : traité de San-Stefano entre la Russie et la Turquie. Création d’une Grande Bulgarie autonome, dans le cadre de l’Empire ottoman, mais soumise à l’influence directe de la Russie. Inquiétudes à Vienne et à Londres.

1878 1er (13) juillet : traité de Berlin, signé à la suite d’un congrès où Bismarck a imposé sa médiation entre la Grande-Bretagne, l’Autriche-Hongrie et la Russie. La Grande Bulgarie est réduite et morcelée, l’Autriche reçoit l’administration de la Bosnie-Herzégovine, la Russie conserve la Bessarabie méridionale, Kars et Batoum.

1878 4 (16) août : assassinat par S. Kravtchinski du général Mezentsev, chef de la police politique.

1878 (automne) : devant la multiplication des attentats, le gouvernement du tsar renforce ses moyens répressifs : création de tribunaux révolutionnaires, sentences prononcées par voie administrative.

1878 (fin de l’année) : fondation à Saint-Pétersbourg de l’Union septentrionale des ouvriers russes, entretenant des relations avec Zemlia i Volia .

1879 : développement systématique du terrorisme par certains membres de Zemlia i Volia . Le 9 (21) février, ils assassinent le prince D. Kropotkine, gouverneur de Kharkov. Le 2 (14) avril, a lieu l’attentat manqué de A. Soloviev contre le tsar.

1879 (juin-juillet) : congrès de Zemlia i Volia , rendant manifeste les divergences sur le terrorisme. Elles entraînent la scission entre terroristes (formation du groupe Narodnaïa Volia ou “Volonté du Peuple”, avec A. Mikhaïlov, A. Jeliabov, S. Perovskaïa) et propagandistes (groupe Tchernyï Peredel ou “Partage noir”, avec G. Plekhanov, V. Zassoulitch, P. Axelrod). Ces derniers ont par la suite évolué vers le marxisme.

1879 26-08 (07-09) : condamnation à mort du tsar par le Comité exécutif de Narodnaïa Volia .

1879 19-11 (01-12) : échec d’un attentat contre le train impérial. 1880 : 1°) K. Pobiedonostsev devient procureur du Saint-Synode (jusqu’en 1905). 2°)

Le volume des exportations de céréales s’établit à 40 millions de quintaux (contre 12 en 1860), le réseau ferroviaire est composé de 20 000 km de voies (contre 1 500 en 1865).

1880 5 (17) févr. : nouvel attentat manqué contre le tsar. 1880 12 (24) févr. : création d’une commission exécutive suprême présidée par le

général Loris Melikov, doté des pleins pouvoirs. Politique de la “dictature du coeur” : ouverture vers les libéraux modérés, lutte impitoyable contre les mouvements révolutionnaires.

1881 (janvier) : avance russe dans le pays turkmène. 1881 28-01 (09-02) Projet de réforme de Loris-Melikov : association limitée de

représentants élus des zemstvos et des doumas à l’examen des projets de loi. 1881 1er (13) mars : assassinat par Narodnaïa Volia d’Alexandre II, qui vient de

donner son approbation de principe au projet de Loris-Melikov.

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Les problèmes politiques en Russie de la mort de Nicolas Ier à l’abdication de Nicolas II Un exemple de sujet de dissertation : “Les problèmes politiques en Russie de l’assassinat d’Alexandre II à la veille de la révolution de 1905”

Introduction :

De l’assassinat du tsar Alexandre II (1er mars 1881) à celui du ministre de l’Intérieur Plehve, l’Empire russe est le théâtre, sous la férule d’une autocratie réaffirmée, d’une réaction politique systématique. Cette réaction est d’abord victorieuse du terrorisme, et entraîne le déclin des oppositions socialiste et libérale. Mais, avant même l’avènement de Nicolas II (1894 : suite à la mort prématurée de son père, Alexandre III), la famine de 1891 et une épidémie de choléra réveillent les oppositions dans cet immense Empire à l’économie rurale arriérée (quoique en voie de modernisation et marquée localement par d’importantes concentrations ouvrières). Brochant sur la réaction politique, la crise économique de 1900-1903 rend la situation explosive. D’une crise terroriste à l’autre, c’est la condition politique de la Russie qui semble bloquée : caractère autocratique de l’Etat ? Radicalisme des oppositions ? Tout gravite autour de l’assassinat d’Alexandre II, aussi bien la suite des oppositions que le développement de la réaction.

Le plan le plus adéquat pour traiter le sujet proposé est un plan de type thématique,

organisé en trois parties : 1°) l’assassinat d’Alexandre II, 2°) la politique de réaction, 3°) les oppositions. Il est possible aussi de se contenter de deux parties, l’une sur la politique de réaction (partie comportant un premier développement consacré à l’assassinat d’Alexandre II), l’autre sur les oppositions.

I) L’assassinat d’Alexandre II (1er mars 1881 1 ) :

Parallèlement aux réformes sociales et administratives d’Alexandre II (tsar depuis 1855), réformes qui, telle l’abolition du servage ou l’institution d’assemblées locales, visaient à moderniser la Russie sans remettre en cause fondamentalement le régime autocratique de droit divin, s’était développé un mouvement révolutionnaire et terroriste (cf. l’attentat manqué contre le tsar en 1866 : oeuvre de l’étudiant Karakozov, qui fut pendu). Mais la crise terroriste qui conduisit à l’assassinat du tsar “libérateur” n’éclate qu’après l’échec des “campagnes” populistes. En effet, les jeunes gens de l’intelligentsia révolutionnaire qui se répandent au début dans les années 1870 dans les zones rurales ont été fort mal reçus. En tant que missionnaires laïques, ils avaient fondé leur apostolat sur une vision idéalisée des communautés paysannes traditionnelles (supposées être le modèle d’un socialisme originel proprement russe). Ils découvrent que le tsar, puissamment soutenu par l’Église orthodoxe, reste un personnage vénéré des masses, malgré les déceptions à propos des réformes : il fallait 1 Date du calendrier de l’Église orthodoxe : correspond au 13 mars 1881 dans le calendrier occidental.

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le “déboulonner”, d’autant plus qu’il se voulait “réformateur” et risquait de restreindre les bases objectives de l’agitation révolutionnaire.

A) La crise terroriste, à partir de 1878 :

Le recours alors décidé à la violence et à la “terreur” (d’où le qualificatif de “jacobin”

que les révolutionnaires russes se donnent alors) s’inspire directement de ses apologistes : Bakounine (qui meurt en 1876), Netchaïev, Tkatchev (dont Le Tocsin appelle au coup d’État).

Après l’attentat commis par la populiste Vera Zassoulitch contre le chef de la police

(1878), le procès de cette dernière, son acquittement par le jury et son passage en Suisse, le comité central du mouvement “Terre et Liberté” condamne Alexandre II à mort : un premier attentat a lieu en avril 1879, un autre à la fin de l’année, un troisième au début de 1880. Malgré son omniprésence, la police ne peut empêcher que se déclenche une “chasse au tsar”.

Mais, précisément, le recours au terrorisme divise les révolutionnaires, faisant voler en

éclats la société secrète “Terre et Liberté” (1879). Les partisans de la violence se regroupent sous la bannière “Volonté-Liberté du Peuple” : au total, une trentaine de dirigeants d’origine sociale variée, populaire pour un André Jeliabov, de haute société pour Sophie Perovskaïa. Les partisans de la propagande auprès des masses (tel Plekhanov), moins nombreux, fondent le “Partage Noir” (sous entendu : des terres).

B) La réaction du souverain : L’acquittement et la fuite de Vera Zassoulitch (qui avait voulu venger un prisonnier

condamné à cent coups de fouet pour son refus de saluer le chef de la police), significatifs des effets “pervers” (pour le régime) de la réforme judiciaire, comme les mécomptes du Congrès de Berlin (au cours duquel, en 1878, la Russie se voit imposer une sévère reculade dans les Balkans, où elle avait pourtant vaincu militairement), conduisent Alexandre II à faire appel au général Loris-Melikov, un des vainqueurs de la récente guerre contre l’Empire Ottoman. Devenu ministre de l’Intérieur, ce dernier agit dans deux directions : répression et réforme. Au titre de la répression, il réorganise les services de police : la IIIe section de la Chancellerie est supprimée au profit du “Service de la Sûreté” (Okhrana : police politique secrète), d’abord dans les deux capitales. Au titre de la réforme, le comte D. Tolstoï est écarté du ministère de l’Instruction Publique (dont dépendait le monde turbulent des étudiants, vivier de l’intelligentsia révolutionnaire). Par ailleurs, le nouveau ministre de l’Intérieur envisage un Conseil Consultatif où le souverain aurait appelé des délégués des assemblés territoriales (“zemstvos”) et des conseils municipaux. Ironie du sort, Alexandre II donne son accord à cette mesure (qui est un premier pas vers une parlementarisation du régime) le jour même où les terroristes réussissent à l’assassiner. De toute façon, le comité exécutif de la “Volonté-Liberté du Peuple” avait proclamé en mars 1880 qu’il ne cesserait la lutte que “lorsque Alexandre II abdiquerait son autorité entre les mains du peuple pour laisser à une assemblée nationale constituante le soin de poser les bases de la réforme sociale” : on était encore loin du compte.

C) La mort du tsar :

Le nouvel (et décisif) attentat est préparé par Jeliabov et Sophie Perovskaïa, du groupe

“Volonté-Liberté du Peuple”, sur les trajets du tsar revenant d’une revue militaire au Palais

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d’Hiver (à Saint Pétersbourg) : une rue est minée, des porteurs de bombe sont répartis au long du deuxième itinéraire, le long du canal Catherine. Une première bombe atteint le cortège, la deuxième atteint Alexandre lui-même, qui meurt au Palais, tandis que son assassin (Grinevitski) est lui aussi victime de la bombe.

Une lettre ouverte de “Volonté-Liberté du Peuple” justifie l’attentat. Autour du nouveau

souverain (Alexandre III), s’affrontent deux politiques : soit continuer les réformes dans le sens esquissé par Loris-Melikov, soit condamner le règne précédent et mener une politique très ferme de réaction (option prônée par Pobiedonostsev). Très marqué par la fin tragique de son père, homme de devoir, courageux, mais d’esprit quelque peu borné, Alexandre III tranche en faveur de la seconde politique, comme le montre sa proclamation du 29 avril / 11 mai 1881 : “Dans notre profonde affliction, la voix de Dieu nous ordonne d’assumer courageusement la tâche de régner, d’espérer en la Providence divine, d’avoir foi dans la force et la vérité de l’autocratie que nous sommes appelé à affermir et à défendre pour le bien du peuple contre toute tentative dirigée contre elle.” Au total, l’action des terroristes a fait le jeu de la réaction : on comprend pourquoi la police politique pratiquait (et a de plus en plus pratiqué après 1881) l’infiltration d’agents provocateurs dans les groupes révolutionnaires.

II) La politique de réaction :

Pendant 23 ans, c’est une politique de réaction qui s’applique en Russie. Quels en sont les principes ? Quelles en sont les modalités ?

A) Les principes : Les souverains Alexandre III (1881-1894) puis Nicolas II (à partir de 1894) adoptent les

principes développés par Pobiedonostsev (1827-1907), ancien professeur de droit à l’Université de Moscou, ancien précepteur d’Alexandre III, procureur impérial auprès du Saint Synode : l’être humain, mauvais par nature, ne peut être “contenu” que par un gouvernement autocratique.

B) Les “contre-réformes” :

La réaction prend le contre-pied du règne précédent sur les plans administratif,

judiciaire, scolaire et universitaire.

1°) Sur le plan administratif, l’autonomie locale est rognée par : -la création d’un “chef territorial” éliminant les juges de paix au profit d’un

fonctionnaire choisi dans la noblesse héréditaire sur les listes dressées par les maréchaux de la noblesse (celle-ci étant traditionnellement, depuis le début de l’époque moderne, une noblesse “de fonction”). Ce fonctionnaire surveille également les assemblées locales (1889);

-la réforme des zemstvos (1890), augmentant la députation de la noblesse de 42 à 57 %, et alourdissant le contrôle des assemblées par les gouverneurs;

-la réforme des doumas urbaines (1892), éliminant deux tiers des électeurs par élévation du cens, tout en renforçant le contrôle des villes par les fonctionnaires de l’Etat absolutiste.

2°) Sur le plan judiciaire, outre la disparition des juges de paix élus, la réaction abouti à :

-la suppression de l’indépendance et de l’inamovibilité de la magistrature; -la restriction de la publicité des procès et des compétences des jurys.

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3°) Sur le plan scolaire et universitaire, tandis que les écoles paroissiales sont systématiquement privilégiées et que les autres écoles primaires passent sous le contrôle du Saint Synode (orthodoxe), l’enseignement secondaire est interdit aux élèves de condition populaire (1887), avec l’augmentation d’un tiers des frais de scolarité. Les programmes donnent une place de choix à l’instruction religieuse (évidemment chrétienne orthodoxe), à la grammaire et aux mathématiques.

Dès 1884, le statut universitaire de 1863 est abandonné : les personnels et les programmes sont dès lors fixés par l’Etat, des inspecteurs dont nommés pour veiller à la discipline des étudiants, les droits d’inscription sont quintuplés (1887).

4°) Les libertés civiles sont rognées par :

-les Règlements provisoires de 1882 sur l’état de siège (dus à D. Tolstoï, revenu en grâce);

-la censure préalable pour tout quotidien ayant été “averti” trois fois (c’est ainsi que disparaissent, en 1884, les Annales de la Patrie );

-le caviardage des ouvrages venant de l’étranger.

C) La russification : La réaction est à la fois religieuse et nationale, au profit de l’orthodoxie et des Grands

Russiens. En sont victimes les Juifs, les Arméniens, les Polonais, les Ukrainiens (pourtant slaves, et orthodoxes pour la plupart), les provinces baltiques et le grand-duché de Finlande. Les Juifs sont particulièrement visés. Un statut de 1882 les interdit de séjour ailleurs que dans les provinces de l’Ouest. Dans ces provinces mêmes, ils sont interdits de séjour à la campagne, ne peuvent pas être propriétaires fonciers. Ils doivent acquitter des taxes spéciales. Tandis qu’un “numerus clausus” de 10 % est établi pour les étudiants en 1886, les pogroms se multiplient, combinant violences populaires et tolérance des autorités. Sur 4 à 5 millions de Juifs, environ 1 million émigre. Partout on s’attaque à la langue des nationalités “allogènes”, au profit du russe. L’Empire russe prend la physionomie d’une “prison des peuples”, et d’une citadelle de la persistance de l’Ancien Régime (alors même que les deux autres grands empires continentaux, l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie se libéralisent).

III) Déclin puis essor des oppositions :

Socialisme, libéralisme, nationalismes (des allogènes) sont d’abord comprimés, puis

reprennent une nouvel essor à la fin du siècle.

A) Les conditions : Les conditions d’abord défavorables aux oppositions résultent... -du traumatisme de l’opinion après l’assassinat d’Alexandre II; -de la politique de réaction; -du caractère toujours plus méthodique de l’Okhrana , tant à l’étranger que dans

l’Empire. Mais des conditions plus favorables apparaissent vite : -retournement de l’opinion lors de la famine de 1891; -déceptions causées par l’avènement de Nicolas II (allocution du 30 janvier 1895;

catastrophe survenue lors des fêtes du couronnement à Moscou); -persistance de la question agraire;

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-intensité du mouvement des idées au sein d’une intelligentsia ayant du mal à trouver sa place dans le système autocratique et bureaucratique;

-contradiction entre la réaction politique et la modernisation économique, effets “pervers” de l’industrialisation volontariste qui crée brutalement des concentrations ouvrières à la périphérie des grandes villes (surtout à Saint Pétersbourg);

-contradiction entre le maintien d’une ligne intérieure absolutiste et le resserrement de l’alliance avec la République française, pionnière en matière de démocratie laïque;

-renforcement du “troisième élément”, d’une classe tertiaire, celle des “zemstvos” et des villes, qui vient s’insérer entre les deux grandes classes de l’Ancien régime russe, les nobles et les paysans.

B) Les oppositions socialistes :

1°) Un second populisme s’organise à la charnière des XIXe et XXe siècles en parti socialiste-révolutionnaire (S.R.) : la réorganisation est mise en place par des dirigeants en exil, à Berlin en 1901. Mikhaïlovski (1842-1904) fait la synthèse des idées d’Herzen et de Lavrov. Tchernov (1873-1952) fédère les groupes dispersés dans le “Midi”, du Dniepr à la Volga. Un journal est créé : La Russie révolutionnaire.

Cependant, deux tendances apparaissent dans ce second populisme : -une tendance légaliste, évoluant vers une forme de “travaillisme” de type britannique; -une tendance terroriste, le “Détachement de Combat”, qui réussit à abattre non

seulement un ministre de l’Instruction Publique (Bogoliepov, en 1901), mais encore deux ministres de l’Intérieur (Sipiaguine en 1902, et Plehve en 1904).

2°) Essor et division du marxisme :

a) L’essor est manifeste tant à l’étranger (en émigration), autour du groupe “Libération du Travail” avec Plekhanov et Axelrod, qu’en Russie même, en particulier dans la capitale impériale (cf. “L’Union de lutte pour la classe ouvrière à Saint Pétersbourg”, avec Vladimir Oulianov, le futur Lénine). D’où la double fondation du Parti Ouvrier Social-Démocrate Russe (P.O.S.D.R.) dans l’Empire (à Minsk) et à l’étranger, en 1898.

b) La division éclate au grand jour en 1903, au congrès de Bruxelles-Londres, à propos

des thèses de Lénine (exposées dans Que faire ? , 1902). Les “bolcheviks” (“majoritaires”, en russe) soutenant les thèses de Lénine (un parti étroit, centralisé, de révolutionnaires professionnels formés à l’action conspiratrice) se retrouvent en fait minoritaires face aux “mencheviks” (“minoritaires”) qui se regroupent à Genève avec Martov, Axelrod, Dan, Vera Zassoulitch, Plekhanov et Trotsky. Ces “mencheviks” sont favorables à un parti plus “ouvert”, préparé aux futures joutes parlementaires. Lénine doit se retirer du Comité Central du parti comme de la rédaction du journal L’Étincelle (Iskra ).

C) Les oppositions libérales : Le libéralisme se développe dans deux directions :

1°) Le libéralisme modéré est le libéralisme ordinaire du zemstvo essentiellement

nobiliaire et censitaire. Il a le soutien de la noblesse qui ne se satisfait pas d’être “aux ordres”. Ce libéralisme est soucieux du développement administratif (la Russie est sous-administrée) et social :

-embauche d’un personnel technique (officiers de santé, instituteurs, arpenteurs, agronomes, etc.) constituant aux côtés des nobles et des paysans un “troisième élément” de la société rurale

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-lutte contre la famine de 1891, le choléra de 1892 Les rencontres se multiplient, à Nijni-Novgorod d’abord, dans les deux capitales

ensuite. S’ébauchent, à titre privé, un programme (1902 : libertés fondamentales au plan civil; institutions représentatives au plan de l’Etat) et un rassemblement : le congrès des Zemstvos en 1904 (à Saint Pétersbourg).

2°) Le libéralisme radical se constitue autant en Russie (y compris dans quelques zemstvos

comme celui de Tver, ou à l’Université de Moscou avec le professeur d’histoire Paul Milioukov) qu’à l’étranger avec le journal Libération .

Milioukov ayant été expulsé de l’Empire, un parti se constitue en émigration, avec Strouvé : “L’Union Libérale” (1903), sur le programme suivant :

-libertés fondamentales; -régime parlementaire, monocaméral et démocratique; -nouvelle réforme agraire avec indemnisation des anciens propriétaires; -législation du travail de type allemand (la plus avancée de l’époque). L’Union Libérale attire des modérés qui cherchent à concurrencer le socialisme par le

radicalisme. D’où l’ambivalence du libéralisme russe au début du XXe siècle : peur de la révolution, et, en même temps, exploitation des aspirations révolutionnaires.

D) Les oppositions nationales :

Les sentiments nationaux et les nationalismes se renforcent ou naissent de la russification autocratique. Ils se conjuguent tantôt avec le libéralisme, tantôt avec le socialisme.

En Finlande, la résistance nationale est générale, prenant la forme soit de pétitions , soit de grèves d’incorporation de conscrits, soit d’attentats terroristes. En Pologne, la résistance est non moins générale, avec la multiplication de partis : parti socialiste polonais (fondé à Paris en 1892), parti social-démocrate (organisé en 1896 par Rosa Luxemburg), parti national démocrate (1897), union des Juifs socialistes polonais avec ceux de Russie (le Bund , 1897). En Ukraine, la résistance à la russification s’appuie sur l’Autriche-Hongrie (rivale de la Russie dans les Balkans), sur le territoire de laquelle est fondé en 1899 le parti national-démocrate de Hruchesky, avant le parti révolutionnaire (1901). Dans le Caucase, l’opposition nationaliste et l’opposition socialiste se télescopent (cf. J. Djougachvili, le futur Staline) à Tiflis, à Bakou (ville pétrolière) et à Batoum où l’agitation grandit de 1902 à 1904. Chez les Musulmans de la Volga, de la Crimée, du Caucase et du Turkestan, on constate une lente propagation du pan-islamisme et du pan-turquisme. Conclusion :

Entre l’assassinat d’un Empereur (1881) et celui d’un ministre de l’Intérieur (Plehve,

1904), la condition politique de la Russie paraît bloquée, tant par les oppositions que par l’autocratie. Contradictions d’un monarque réactionnaire sur le plan politique et modernisateur sur le plan économique (par souci de puissance), slavophile sur le plan culturel, occidentaliste sur le plan matériel. Contradictions des oppositions entre modérés et terroristes, légalisâtes et révolutionnaires, dans les plus grandes divergences idéologiques : libéralisme, socialisme ou nationalisme ? Réaction, révolution ou réforme ? La Russie est dominée par le rude conflit opposant la droite (si ce n’est l’extrême-droite) gouvernementale à la gauche radicale et révolutionnaire, tandis qu’au centre, les modérés et les libéraux, manquant semble-t-il encore d’une assise sociale et économique suffisante, sont impuissants à infléchir le cours des événements. Et ce cours des événements, combiné avec de graves difficultés extérieures

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(la défaite face au Japon) a conduit à la révolution de 1905, en attendant la dangereuse aventure de la Première guerre mondiale (conflit dont l’autocratie russe est hautement responsable) et la révolution de 1917.

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Les problèmes politiques en Russie de la mort de Nicolas Ier à l’abdication de Nicolas II Éléments de chronologie - 2) La révolution de 1905 :

a) Présentation :

Les revers militaires essuyés contre toute attente lors de la guerre russo-japonaise en 1904 entament le crédit de l’autocratie. Début 1905, la Russie reste la seule grande puissance où l’absolutisme s’exerce sans entraves. Chef de l’État, de l’armée et de L’Église, l’Empereur de droit divin est tout puissant. Par voie de conséquence, pour les Russes, la responsabilité de la désastreuse et humiliante guerre contre le Japon lui revient. L’agitation est relancée : grèves ouvrières dans les grands centres urbains, attentats terroristes, campagnes des zemstvos pour obtenir une représentation nationale. Le mouvement sort du cadre habituel des milieux contestataires, tant le traumatisme a été grand. La crise connaît un tournant décisif avec la tragédie du “Dimanche rouge” de Saint-Pétersbourg (janvier 1905) qui brise l’image traditionnelle du tsar protecteur. C’est alors une véritable révolution qui commence, inventant les premiers “soviets” et gagnant même l’armée (cf. la fameuse mutinerie du cuirassé Potemkine ). A la grève générale, l’autocratie répond par le Manifeste du 17 (30) octobre 1905, inspiré par Witte, qui garantit les libertés et crée une Douma législative élue au suffrage universel. S’il satisfait les forces conservatrices ou modérées (un parti “octobriste” se forme parmi les libéraux), le manifeste n’empêche pas la radicalisation des éléments les plus avancés, jusqu’à l’insurrection du soviet de Moscou écrasée par la force en décembre 1905. Très rapidement, le nouveau régime constitutionnel se voit limité par une pratique autoritaire, avec le renvoi de Witte et la dissolution de la première Douma.

La réaction s’accentue sous le ministère de Stolypine, un homme à poigne non dénué de compétences. En 1907, la deuxième Douma est renvoyée par un véritable “coup d’État” accompagné d’une nouvelle loi électorale. En apparence, le pouvoir semble surmonter la crise. Les mouvements ouvriers et paysans sont brisés par la répression, et le renvoi de la Douma montre les limites imposées aux éléments libéraux et constitutionnels. Mais les difficultés financières ont un peu plus soumis le pouvoir tsariste à la finance étrangère (française en tout premier lieu). La Russie sort d’autre part profondément transformée de l’épreuve : des partis politiques se sont affirmés, le système autocratique (qui n’est pas restauré dans toute sa plénitude malgré les succès de la répression) est ouvertement contesté et a montré sa faiblesse conjoncturelle (du fait de la personnalité de Nicolas II, le régime est autoritaire sans avoir d’autocrate digne de ce nom à sa tête). Même vidée de ses pouvoirs, la Douma peut servir de tribune aux oppositions. La social-démocratie, en plein reflux, cherche cependant à tirer les leçons de l’expérience de 1905, en particulier des soviets. Lénine en sort renforcé dans sa conviction de la nécessité d’un parti de révolutionnaires professionnels fermement organisé apte à saisir les occasions qui ne peuvent manquer de se présenter à nouveau (en fonction des lois de l’histoire dégagées par le matérialisme marxiste).

b) Dates : N. B. : les dates entre parenthèses sont celles du calendrier occidental 1904

3-5 (16-18) janv. : congrès de l’Union de Libération (libérale) à Saint-Pétersbourg. 26-27 janv. (8-9 févr.) : après de multiples provocations russes, attaque surprise de la

flotte japonaise contre Port-Arthur. Début de la guerre russo-japonaise. La

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perspective de cette guerre a été acceptée par le gouvernement tsariste qui comptait, par une victoire rapide, restaurer le prestige de l’autocratie. Nicolas II, posant au rempart contre le “péril jaune” (raciste, il gardait un souvenir cuisant d’un voyage de jeunesse au Japon) a été encouragé dans ses visées bellicistes par Guillaume II, soucieux d’occuper la Russie en Extrême-Orient.

31 mars (3 avr.) : défaite navale russe devant Port-Arthur. mai : Lénine (toujours en exil) publie Un pas en arrière, deux pas en avant , où il

réaffirme ses conceptions organisationnelles du parti S.D. 3 (16) juin : assassinat de Bobrikov, gouverneur général de Finlande, par un jeune

fonctionnaire du sénat finlandais. 15 (28) juillet : assassinat du ministre de l’Intérieur V. Plehve par le S.R. Sazonov. 17 (30) juillet : début du siège de Port-Arthur par les Japonais. 11 (24) août : 1°) Suppression des châtiments corporels jusque-là infligés par les

tribunaux de canton. 2°) Naissance du prince héritier Alexis. 13-21 août (26 août - 3 sept.) : bataille de Liaoyang. Retraite russe sur Moukden. 6-9 (19-22) nov. : congrès à Saint-Pétersbourg des représentants des zemstvos.

Adoption d’un programme libéral en 11 points, que les libéraux popularisent par une “campagne des banquets”.

décembre : grande grève des ouvriers du pétrole à Bakou. 15 (25) déc. : oukase impérial promettant des réformes limitées. 20 déc. (2 janvier 1905) : capitulation russe à Port-Arthur. 22 déc. (15 janvier 1905) : premier numéro du journal Vperiod (“En avant”), fondé par

Lénine qui a rompu avec la nouvelle direction de l’Iskra . 1905

3 (16) janvier : grève des usines Poutilov à Saint-Pétersbourg. 9 (22) janvier : “Dimanche rouge” de Saint-Pétersbourg. Fusillade contre 100 000

personnes venues présenter pacifiquement, sous la direction du pope Gapone, une pétition respectueuse au tsar. Brusque dévalorisation du mythe du tsar “petit père du peuple” abusé par de mauvais conseillers.

14 (27) janv. : début d’une grève générale à Varsovie. Manifestation violemment réprimée le 16 (29).

4 (17) février : assassinat du grand-duc Serge, oncle du tsar. 6-9 (19-22) févr. : violents affrontements à Bakou entre Arméniens et Tatars. février (mars) : première flambée de troubles agraires, dans des campagnes surpeuplées,

rongées par la “faim de terres”. Pillage et incendies de manoirs de grands propriétaires fonciers.

18 févr. (3 mars) : manifeste du tsar invitant à lutter contre la sédition ; rescrit permettant la participation d’élus au travail législatif ; oukase reconnaissant le droit de pétition.

25 févr. (10 mars) : défaite russe à Moukden. mars (avril) : formation des premières “Unions professionnelles” (union des

académiciens, union des avocats) 12-17 avr. (25 avr. - 10 mai) : congrès bolchevik à Londres, conférence menchevik à

Genève. 17 (30) avril : oukase de tolérance : liberté religieuse (toute théorique). 18 avril (1er mai) : grèves et manifestations en Pologne (Varsovie, Lodz). 22-26 avr. (5-9 mai) : 1er congrès régulier des zemstvos à Moscou.

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1905 (suite) 8-9 (21-22) mai : fondation à Moscou de l’Union des Unions (exécutif présidé par

Milioukov). 12 (25) mai : début de la grève des ouvriers du textile à Ivanovo-Voznessensk. 14-15 (27-28) mai : destruction à Tsoushima de la flotte russe de la Baltique (après un

périple de 7 mois et demi par le cap de Bonne Espérance sous le commandement de l’amiral Rojdestvenski)

15 (28) mai : formation à Ivanovo du 1er “soviet” (qui siège 65 jours). 25-26 mai (6-8 juin) : 2e congrès régulier des zemstvos à Moscou. Adresse au tsar et

Manifeste de la Nation. 9-11 (22-24) juin : grèves insurrectionnelles à Lodz (ville industrielle polonaise).

L’agitation gagne toute la Pologne, avec un caractère nationaliste marqué. 14-24 juin (27 juin - 7 juillet) : mutinerie du cuirassé Potemkine et émeutes d’Odessa. juin (juillet) : 1°) Amplification des troubles agraires. 2°) A Genève, Lénine publie :

Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique . 31 juil. - 1er août (13-14 août) : congrès de fondation de l’Union paysanne panrusse à

Moscou. août : création à Nijni-Novgorod d’une Union musulmane panrusse. 6 (19) août : manifeste impérial annonçant la création d’une “Douma”, purement

consultative, élue selon un suffrage mêlant système censitaire et vote par ordre. 23 août (5 sept.) : traité de Portsmouth signé entre la Russie et le Japon grâce à la

médiation du président américain Th. Roosevelt. La Russie est humiliée d’avoir été battue par un pays non-européen qui ne comptait pas jusque-là vraiment au rang des grandes puissances, et dont elle avait sous-estimé l’ampleur de la modernisation (engagée depuis 1868). Elle lui cède Port-Arthur, la voie ferrée sud-mandchourienne et la moitié sud de Sakhaline. Bridée dans ses ambitions en Extrême-Orient, elle est prête à s’intéresser à nouveau aux Balkans.

27 août (9 sept.) : les Universités retrouvent leur autonomie. 19 sept. - 5 oct. (2-18 oct.) : grève des typographes à Moscou. 8 (21) oct. : début de la grève des chemins de fer, qui se transforme en grève générale à

caractère nettement politique. 12-18 (25-31) oct. : à Moscou, congrès de fondation du parti constitutionnel-démocrate

(parti “K.-D.” ou “Cadet”), issu de l’Union de Libération. 13 (26) oct. : formation du soviet de Saint-Pétersbourg, qui édite un bulletin

d’information (les Izvestia ) mi-octobre (fin octobre) : 1 500 000 grévistes en Russie, dont 700 000 cheminots. 17 (30) octobre : Manifeste impérial dit d’Octobre, élaboré par Witte revenu en grâce (il

avait dû abandonner le ministère des Finances en août 1903) : libertés civiques, développement futur du suffrage universel, association réelle d’une Douma élue au processus législatif.

18-21 oct. (31 oct. - 3 nov.) : pogrom d’Odessa. Multiplication des violences antisémites dans les provinces occidentales, à l’instigation des militants nationalistes des “Centuries noires”.

19 oct. (1er nov.) : 1°) Démission du procureur du Saint-Synode Pobiedonostsev. 2°) Création d’un véritable conseil des ministres, présidé par Witte.

22 oct. (4 nov.) : Amnistie partielle. Restauration de l’autonomie finlandaise. Fondation de l’Union du Peuple Russe, organisation d’extrême-droite.

26-28 oct. (8-10 nov.) : mutinerie de Kronstadt (place forte et base navale située près la capitale).

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1905 (suite) 29 oct. (11 nov.) : le soviet de Saint-Pétersbourg appuie la grève pour la journée de

travail de 8 heures. 3 (16) nov. : abolition des annuités de rachat encore dues par les paysans libérés du

servage. 6-10 (19-23) nov. : 2e congrès de l’Union paysanne à Moscou, dominé par les S.R.

Exacerbation des troubles agraires. 8 (21) nov. : retour de Lénine en Russie. 10 (23) nov. : formation de l’Union du 17 octobre, appelée à devenir le parti octobriste. 10-15 (23-28) nov. : émeutes de la flotte en mer Noire. 11-15 (24-28) nov. : insurrection de Sébastopol (base navale de Crimée). 22 nov. (5 déc.) : formation du soviet de Moscou. 26 nov. (9 déc.) : arrestation du président du soviet de Saint-Pétersbourg Nosar-

Khroustalev, remplacé par une direction collégiale de 3 membres (dont Trotski). 2 (15) déc. : “manifeste financier” du soviet de Saint-Pétersbourg, appelant à la grève

fiscale. 3 (16) déc. : arrestation du soviet de Saint-Pétersbourg. 8-18 (21-31) déc. : insurrection à Moscou, à l’appel du soviet en majorité gagné aux

idées bolchéviques. Échec du mouvement, qui s’achève par les combats de rue du quartier de la Presnia.

11 (24 déc.) : loi électorale. Refus du suffrage universel. Suffrage censitaire, indirect et par curie : un grand électeur pour 2 000 propriétaires fonciers, 7 000 citadins, 30 000 paysans et 90 000 ouvriers.

12-17 (25-30) déc. : conférence social-démocrate de Tammersfors. décembre : début de la “pacification” des provinces baltes, de la Pologne, de l’Ukraine,

du Caucase et de la Sibérie. 31 déc. (13 janv. 1906) : 1er congrès du Parti socialiste révolutionnaire (en Finlande).

1906 8-12 (21-25) févr. : congrès fondateur du parti octobriste. 20 févr. (5 mars) : réforme du Conseil d’État, qui devient une véritable chambre haute,

moitié nommée, moitié élue sur une base très restreinte. 4 (17) mars : autorisation de constituer des associations politiques et des organisations

professionnelles (avec de nombreuses restrictions). 3 (16) avr. : signature de l’emprunt international destiné à rétablir les finances russes

après la guerre russo-japonaise : 2,25 milliards de francs, couverts pour plus de la moitié par la France.

10-25 avr. (23 avr. - 8 mai) : congrès du P.O.S.D.R. à Stockholm (“congrès d’unification”).

16 (29) avr. : démission de Witte, remplacé par Goremykine. 23 avr. (6 mai) : publication des “lois fondamentales” : restriction des pouvoirs de la

Douma, devant laquelle les ministres ne sont pas responsables. 27 avr. (10 mai) : réunion de la 1ère Douma. Majorité aux forces d’opposition, avec 37

% de Cadets et 20 % de travaillistes (aile modérée des S.R., élue malgré les consignes de boycott).

5 (18) mai : adoption par la Douma d’une adresse au tsar demandant un véritable régime constitutionnel.

juin : nouvelle flambée de troubles agraires. 1er-3 (14-16) juin : pogrom de Bialystok (le pouvoir se sert des Juifs comme boucs-

émissaires). 8 (21) juillet : Stolypine remplace Goremykine à la présidence du Conseil.

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1906 (suite) 9 (22) juillet : dissolution de la 1ère Douma. 10 (23) juillet : appel de Vyborg. 182 députés d’opposition recommandent la grève de

l’impôt et du service militaire. 17-20 juil. (20 juil. - 2 août) : mutineries sans lendemain à Kronstadt et Sébastopol. 12 (25) août : attentat manqué contre Stolypine. 19 août (1er septembre) : création de tribunaux militaires de campagne (1 000

condamnations à mort en huit mois). 9 (22) nov. : réforme agraire de Stolypine. Oukase donnant la possibilité aux paysans de

sortir de la commune rurale et favorisant le regroupement des terres. Objectif : créer une classe de petits propriétaires. Selon les estimations, le nombre de propriétés privées paysannes (par opposition à la propriété communautaire) passe de 2,8 millions en 1905 à 5,5 millions en 1914, ce qui représente 44 % des exploitations paysannes (mesures renforcées par les lois de 1910 et 1911).

nov. : journée de travail théoriquement limitée à 10 heures. 1907

20 févr. (5 mars) : réunion de la 2e Douma, dite “Douma rouge” ou “Douma des extrêmes”. Forte poussée des sociaux-démocrates, qui abandonnent le boycott, et de l’extrême-droite. Recul des K.-D.

30 avr. - 19 mai (13 mai - 1er juin) : 5e congrès du P.O.S.D.R. à Londres. Les “bolcheviks” sont (vraiment) majoritaires.

mai-juin : multiplication des attentats terroristes. 1er (14) juin : Stolypine demande l’exclusion de 55 députés sociaux-démocrates et la

levée de l’immunité parlementaire de 16 d’entre eux. 3 (16) juin : “coup d’État”. Dissolution de la 2e Douma, modification de la loi

électorale. La voix d’un grand propriétaire foncier vaut 7 vois citadines, 30 voix paysannes et 60 voix ouvrières.

1er-14 nov. : réunion de la 3e Douma, dite “des Seigneurs”. Un tiers des sièges à la droite et à l’extrême-droite, un tiers aux octobristes, un tiers aux K.-D., aux allogènes et aux petits groupes de gauche.

décembre : nouvelle émigration de Lénine (qui a duré près de 10 ans).

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Les problèmes politiques en Russie de la mort de Nicolas Ier à l’abdication de Nicolas II Éléments de chronologie - 3) De la révolution de 1905 à la Première guerre mondiale :

a) Présentation :

Après la dissolution de la deuxième Douma, la vie politique de l’Empire russe reste dominée, jusqu’à son assassinat en 1911, par la figure de Pierre Stolypine. Né en 1862, issu d’une famille de vieille noblesse, il a exercé les fonctions de gouverneur dans les provinces de Grodno et de Saratov, avant de devenir ministre de l’Intérieur en mai 1906 (peu de temps avant d’accéder à la présidence du Conseil). D’une grande rigueur à l _égard des révolutionnaires, ce dernier grand réformateur du tsarisme est persuadé que le modernisation du pays passe par de profondes réformes agraires qui, seules, peuvent créer les conditions préalables de la transformation de la Russie en État de droit, tout en créant des structures sociales capables de couper l’herbe sous le pied des fauteurs de troubles et opposants divers. Stolypine, dans cette optique, par une série d’actes législatifs (oukase de 1906, lois de 1910-1911), s’attaque à la commune rurale (et à son système redistributeur), dont le démantèlement doit permettre la création d’une nouvelle classe de paysans-propriétaires, d’une élite du travail rural, et ainsi assurer la stabilité du régime. Mais Stolypine, dont le nationalisme indispose les allogènes, a aussi du mal à obtenir le soutien des députés, qu’il heurte autant par sa pratique autoritaire du pouvoir que par ses projets. La troisième Douma, à majorité conservatrice, puis la quatrième ou se renforcent une droite et une extrême-droite virulentes, siègent dans une atmosphère de crise latente qui mène une partie des octobristes à rejoindre l’opposition et détourne du pouvoir une bonne fraction de l’opinion modérée, pourtant nécessaire à la stabilisation du pays.

La nouvelle bourgeoisie d’affaires, encore peu nombreuse mais active, aspire à jouer en

politique un rôle à la mesure de celui qu’elle commence à tenir dans la croissance économique du pays. On assiste en effet à une nouvelle accélération du développement, en grande partie grâce à des capitaux étrangers (français en particulier), et dans le cadre d’un capitalisme d’emblée très concentré, caractérisé par la domination des cartels industriels et des monopoles bancaires. Les ouvriers, dont le nombre peut être estimé à 3 millions, se détachent de plus en plus du monde rural, d’autant que la concentration capitaliste est aussi technique et géographique. Quoique peu nombreux face aux masses paysannes, leur rôle politique n’est pas négligeable, car ils sont concentrés en effectifs croissants auprès des deux capitales, dans des conditions d’existence et de travail qui les rendent aigris. Comme les paysans appauvris, ils se montrent plus sensibles à la propagande des partis révolutionnaires (sociaux-démocrates dans les villes, S.R. dans les campagnes).

Malgré leurs divisions - la rupture entre bolcheviks et mencheviks est consommée en

1912 -, ces partis reprennent de la vigueur après 1912, alors que se multiplient à nouveau troubles agraires, grèves ouvrières, mouvements étudiants, et que les nationalités manifestent de plus en plus ouvertement leur rejet de la russification. Les mutations économiques et sociales s’accompagnent d’un renouveau intellectuel où le matérialisme et le positivisme de la génération précédente font place à de nouvelles conceptions esthétiques, philosophiques, religieuses.

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b) Dates : N.B. : les dates entre parenthèses sont celles du calendrier occidental 1907

juin : “expropriation” spectaculaire menée par le social-démocrate Kamo, qui s’empare de 250 000 roubles destinés à la banque d’État de Tiflis (Géorgie).

18 (31) août : accord anglo-russe sur les zones d’influence en Asie. - Renforcement des processus de cartellisation dans la métallurgie de l’Oural, dans la

production de cuivre, de minerai de fer, de caoutchouc, de ciment. - Accélération de la colonisation de la Sibérie, encouragée par l’État tsariste pour

diminuer la pression démographique dans les campagnes occidentales : de 1906 à 1914, 4 millions de migrants, avec, il est vrai, plus de 15 % de retours. 1908

- Début de l’affaire Azev : le chef de l’organisation de combat du parti S.R. s’avère être un agent double.

3 (16) mai : loi adoptant le principe d’un enseignement primaire obligatoire avec application dans les 10 ans (en 1900 : 4 millions d’élèves ; en 1914 : 7,2 millions, dont 2,3 millions de filles).

juillet : congrès “néo-slave” de Prague, avec participation russe et polonaise (rapprochement sans lendemain).

24 sept. (7 oct.) : annonce par l’Autriche-Hongrie de l’annexion de la Bosnie-Herzégovine. Crise balkanique et tension austro-russe. 1909

- Crise politique latente à la Douma ; une partie des octobristes, avec Goutchkov, veut défendre les prérogatives des députés. Les bolcheviks, quant à eux, sont divisés par de nouvelles tendances : les “conciliateurs” sont favorables à un rapprochement avec les mencheviks, les “otzovistes” réclament le rappel (otzyv) des députés sociaux-démocrates de la Douma ; les “constructeurs de Dieu” remettent en cause, avec Bazarov et Bogdanov, le matérialisme du marxisme “orthodoxe”. Lénine y répond par son ouvrage Matérialisme et empiriocriticisme, et organise, en 1911, l’école des cadres bolcheviks de Longjumeau, pour répliquer à l’école de Capri, fondée par Gorki.

- Récoltes exceptionnelles. La Russie devient le 1er fournisseur mondial de céréales, avec 30 % des quantités commercialisées.

- Fondation de l’Université de Saratov. Restrictions à l’accès des femmes aux universités et application stricte du numerus clausus imposé aux Juifs.

mars : pressions allemandes sur la Russie, qui oblige la Serbie à s’incliner dans la crise balkanique.

31 mai (13 juin) : vote d’une loi renforçant la russification de la Finlande.

1910

- Nouvelle période de développement économique accéléré. - Mesures destinées à favoriser l’installation de colons russes dans le Turkestan. 14 (27) juin : loi institutionnalisant l’oukase du 9 (22) novembre 1906, élargissant les

possibilités de sortie de la commune rurale. 7 (20) novembre : Mort de l’écrivain Léon Tolstoï. Manifestations à l’occasion de ses

funérailles.

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1911 - Fondation à Bakou du parti Musawat (“Égalité”), d’abord socialisant, puis nationaliste

azéri. janvier (févr.) : agitation étudiante. Interdiction de toute réunion à l’intérieur des

universités et limitation de l’autonomie universitaire par le ministre L. Kasso. 29 mai (11 juin) : loi agraire facilitant encore davantage la dissolution de la commune

rurale. 5 (18) septembre : mort de Stolypine, à la suite d’un attentat perpétré par... un agent

double. Kokovtsev devient président du Conseil. octobre : 1ère guerre balkanique.

1912

5-17 (18-30) janvier : VIe conférence du P.O.S.D.R. à Prague : rupture consommée entre bolcheviks et mencheviks.

mars : à la Douma, Goutchkov met en cause le rôle de Raspoutine dans l’entourage impérial.

4 (17) avril : “massacres de la Léna” (répression d’une manifestation des ouvriers des mines d’or sibériennes). 270 morts.

22 avril (5 mai) : 1er numéro du quotidien bolchevik Pravda (“La vérité”) à Saint-Pétersbourg (tirage moyen de 40 000 exemplaires en 1913). Staline fait partie du comité de rédaction.

17 (30) mai : fin de la 1ère guerre balkanique. juin : Lénine quitte Paris pour s’installer en Galicie autrichienne. 9 (22 juin) : la 3e Douma arrive à son terme. 15 (18) juin : restauration de la justice de paix (abolie en 1889). L’accès en est interdit aux

Juifs. 16 (29) juin : début de la 2e guerre balkanique. 23 juin (6 juillet) : lois sur les assurances-accident et sur les assurances-maladie. 28 juillet (10 août) : fin de la 2e guerre balkanique.

août : formation à Vienne du “bloc d’août” par Trotski. Cette tentative de réunification de la social-démocratie russe échoue.

15 (28) novembre : réunion de la 4e Douma. renforcement de la droite, érosion du centre octobriste. 1913

- Célébration du tricentenaire de la dynastie des Romanov. - Staline écrit, à la demande de Lénine, Le marxisme et la question nationale. Critique du

fédéralisme et de l’autonomie culturelle austro-marxiste, mais affirmation du droit à l’indépendance des nations opprimées.

- Développement des mouvements de grèves : 1,75 millions de grévistes de juin 1913 à juillet 1914.

- Augmentation prévue des effectifs de l’armée russe de 1,2 million à 1,42 million en 1914, et à 1,8 million en 1917.

28 oct. (10 nov.) : fin du procès Beyliss à Kiev (Juif accusé de meurtre rituel, il est acquitté par le jury).

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1914

- Nouveau prêt français (500 millions de francs accordés chaque année pendant 5 ans) pour le développement des chemins de fer stratégiques de l’Ouest.

30 janv. (12 févr.) : Goremykine remplace Kokovtsev à la présidence du Conseil. févr. (mars) : manifestations en Ukraine à l’occasion du centenaire de la naissance du

poète T. Chevtchenko. juin-juillet : grèves massives à Bakou (centre pétrolier) et à Saint-Pétersbourg.

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Les problèmes politiques en Russie de la mort de Nicolas Ier à l’abdication de Nicolas II Éléments de chronologie - 4) La Russie dans la Première guerre mondiale,

la révolution de février 1917 et la chute des Romanov :

a) Présentation :

Lorsqu’elle accepte le risque de guerre et annonce la mobilisation générale le 18 (31) juillet 1914, la Russie veut donner l’image d’un État sûr de sa force, fidèle à sa mission de protection du “petit frère serbe”, après plusieurs années de revers diplomatiques dans les Balkans. L’Empire tsariste affiche une force démographique impressionnante, qui fit parler du “rouleau compresseur russe” à Paris : 172 millions d’habitants (contre 129 en 1897), dont 15,5 % de citadins (13 % en 1897), soit plus que les populations de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie réunies. Grâce aux investissements étrangers (9 milliards de roubles en fonds d’État, dont la moitié d’origine française ; 2 milliards en fonds privés, dont un tiers d’origine française), le pays a connu un démarrage industriel spectaculaire, comme en témoigne l’accroissement démographique de certaines villes industrielles : Ivanovo passe de 54 à 146 mille habitants entre 1897 et 1917, Bakou de 112 à 232 mille. En 1914, la Russie possède 70 000 km de voies ferrées (dont le fameux Transsibérien) et vient d’obtenir un nouveau prêt français (de 500 millions de francs par an sur cinq ans) pour développer les lignes stratégiques de l’Ouest. Il était toutefois manifeste que cet État en transition économique, au système politique mal consolidé, aurait du mal à soutenir une guerre longue. En août 1914, nul ne s’en soucie. La guerre n’est pas impopulaire dans l’opinion publique et la majorité de la Douma adhère à “l’Union Sacrée”, à laquelle ne font défaut que quelques groupes socialistes.

Sur le terrain, les premières opérations ne permettent pas d’obtenir une décision rapide. Une attaque précipitée contre la Prusse orientale, exigée par les Français qui supportent alors le gros de l’effort allemand, aboutit à un sérieux revers, il est vrai compensé par l’occupation d’une partie de la Galicie autrichienne et par des victoires contre les Turcs dans le Caucase. En 1915, la guerre s’installe pour durer, tandis que la situation militaire se dégrade. Certes, l’offensive germano-autrichienne de l’été ne débouche pas sur un effondrement général des lignes russes, faute d’effectifs suffisants de la part d’Empires centraux obligés de se battre sur deux fronts et donc incapables de se déployer efficacement dans l’espace russe. Mais l’opinion russe perd confiance dans la capacité du pouvoir à conduire un effort prolongé très coûteux en vies humaines. Les députés du centre et de la gauche modérée constituent à la Douma un “bloc progressiste”, qui réclame en vain un ministère possédant la confiance du pays, seul capable de galvaniser les énergies. Tandis que se multiplient organisations industrielles ou commerciales et comités de secours destinés à pallier les insuffisances gouvernementales, le régime se coupe progressivement de tous ses appuis potentiels. Nicolas II choisissant de prendre personnellement le commandement des armées (août 1915), le pouvoir affiche une image de vide politique, ministères et scandales se succédant dans une atmosphère trouble illustrée par l’assassinat rocambolesque de Raspoutine, en décembre 1916.

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Dès 1915, les difficultés économiques s’étaient accumulées. Elles s’aggravent avec la

perte d’une partie du territoire et la rupture des relations directes avec les pays alliés. La désorganisation des transports surchargés perturbe le ravitaillement du front et de l’arrière, en particulier dans les villes où l’afflux de réfugiés accroît la précarité de l’approvisionnement, et où la hausse des prix dépasse largement celle des salaires. En effet, l’industrie ne tourne plus que pour fournir de l’armement, sans d’ailleurs pouvoir faire face à la demande : les recrues sont envoyées au front sans fusil ; elles doivent s’armer avec l’équipement des morts, de plus en plus nombreux, tant la paysannerie russe sert de chair à canon face à la machine de guerre allemande. Dans les centres urbains, les grèves, qui avaient touché 1,75 millions d’ouvriers de juin 1913 à juillet 1914, étaient tombées à un niveau insignifiant au début du conflit. Elles reprennent de l’ampleur en 1916, avec un million de participants, tandis que l’agitation gagne l’armée et que grandit l’opposition des socialistes à la “guerre impérialiste”. C’est un régime à la fois discrédité et affaibli que viennent surprendre les événements de février (mars) 1917. Le manque de pain et de charbon dans la capitale entraîne, dès le début de l’année 1917, des émeutes et des manifestations populaires qui gagnent en intensité jusqu’aux journées décisives de la “révolution de février” (8-11 mars 1917). Les forces armées étant gagnées par la révolution, le gouvernement ne peut pas rétablir l’ordre. Empêché de regagner la capitale, Nicolas II abdique en faveur de son frère Michel, mais celui-ci refuse la couronne : c’est la fin de la dynastie des Romanov.

b) Dates : N.B. : les dates entre parenthèses sont celles du calendrier occidental 1914

15 (28) juin : attentat de Sarajevo. 7-10 (20-23) juillet : visite à Saint-Pétersbourg du président de la République française

Poincaré et du président du Conseil Viviani. 15 (28) juillet : déclaration de guerre de l’Autriche à la Serbie. 1914 (suite) 16-17 (29-30) juil. : mobilisation partielle des armées russes, puis mobilisation générale

(cette dernière a été annoncée le 18 (31) juillet). 18 (31) juillet : ultimatum allemand à la Russie. 19 juillet (1er août) : déclaration de guerre de l’Allemagne à la Russie. Mobilisation

générale en France. 21 juillet (2 août) : déclaration de guerre de l’Allemagne à la France. 24 juillet (6 août) : déclaration de guerre de l’Autriche-Hongrie à la Russie. 26 juillet (8 août) : réunion extraordinaire de la Douma. “Union sacrée” : vote des

crédits de guerre (les travaillistes et les sociaux-démocrates se sont abstenus). Ambiance de guerre sainte panslaviste bénie par l’Église orthodoxe. L’agitation sociale diminue (35 000 grévistes au cours des cinq derniers mois de 1914). A la suite de la déclaration de guerre, division des socialistes russes : les “défensistes” rallient l’Union sacrée (cf. le menchevik Plekhanov ou l’anarchiste Kropotkine), les “internationalistes” (cf. le S.R. Tchernov, le menchevik Martov, quelques bolcheviks, Trotski) entendent rester fidèles à leurs convictions et militer pour que les sections de l’Internationale ouvrière contraignent les belligérants à la paix, les “défaitistes” (essentiellement les bolcheviks, menés par Lénine réfugié en Suisse) agissent pour que les prolétaires s’opposent partout à leurs gouvernements de façon à

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transformer la “guerre impérialiste” en guerre civile et à permettre la naissance d’une IIIe Internationale.

1914 (suite) juillet (août) : formation d’une union Pan-russe des villes et d’une Union pan-russe des

zemstvos (présidée par le prince Lvov, aristocrate libéral) pour le secours aux blessés et aux malades.

4 (17) août : début de l’offensive russe en Prusse orientale : victoire de P. Rennenkampf (général russe) à Gumbinnen (7/20 août). Écrasante défaite de Tannenberg, les 13-17 (26-30) août : suicide du général A. Samsonov et retraite russe (nouvelle défaite aux Lacs Mazures).

5 (18) août : début de l’offensive russe en Galicie orientale contre l’Autriche : prise de Lemberg/Lvov, le 21 août (3 sept.). Siège de la forteresse de Przemysl, occupation de la Galicie orientale jusqu’au San et contrôle des cols des Carpathes.

14 (27) août : proclamation aux Polonais du grand-duc Nicolas, commandant en chef russe (programme de réunification des terres polonaises sous le sceptre du tsar). Du côté autrichien, formation de légions polonaises (avec Pilsudski).

18 (31) août : Saint-Pétersbourg est rebaptisée Pétrograd. septembre : russification des Ukrainiens de Galicie. 16-17 (29-30) octobre : bombardement par les Turcs des côtes de la mer Noire. La

guerre avec la Turquie ouvre un nouveau front dans le Caucase, et coupe la voie maritime de ravitaillement par les Détroits (celle de la Baltique étant déjà sous la menace allemande) : ne restent que les voies par la mer Blanche et l’Extrême-Orient, insuffisantes pour permettre un approvisionnement substantiel en armement de la part des Franco-anglais.

novembre : arrestation de 5 membres bolcheviks de la Douma, condamnés en 1915 à la déportation en Sibérie.

nov. - déc. : offensive allemande en Pologne russe, arrêtée devant Varsovie. décembre : la Russie, qui avait 1,4 millions d’hommes sous les drapeaux en 1914, a

mobilisé 6,55 millions d’individus, mais ne dispose que de 4,65 millions de fusils, de 7 000 canons et de presque pas d’artillerie lourde. Au total, en 1917, le chiffre des mobilisés a atteint 15 millions : 55 % ont été capturés, blessés ou tués.

1915 janvier : échec de l’offensive lancée fin 1914 par la Turquie dans le Caucase. 27-29 janv. (9-11 févr.) : réunion pour trois jours de la Douma, qui vote le budget. En

dehors des sessions, le gouvernement légifère par décret. 27 févr. (12 mars) : accord du gouvernement britannique (suivi, le 28 mars/10 avril, par

le gouvernement français) sur le principe d’une annexion de Constantinople par la Russie.

mars : exécution pour trahison du colonel Miasoïedov. Discrédit du ministre de la guerre Soukhoumlinov, qui démissionne puis est mis en accusation.

9 (22) mars : capitulation de la place forte autrichienne de Przemysl. 19 avr. (2 mai) : début d’une grande offensive austro-allemande (suite à la stabilisation

du front en France). Rupture du front à Gorlice en Galicie. 21 mai (3 juin) : l’armée russe évacue Przemysl. 7 (20) juin : création d’un comité central des industries de guerre, sous la pression des

milieux d’affaires qui veulent participer à la gestion de l’économie de guerre et dénoncent l’incurie gouvernementale

9 (22) juin : perte de Lemberg/Lvov. juillet : création par les zemstvos et des villes du Zemgor, organisme chargé de

centraliser les fournitures aux armées.

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1915 (suite) 1er (14) juillet : offensive allemande sur le Niémen et la Narew. 19 juillet (1er août) : début d’une nouvelle session de la Douma, qui réclame en vain un

ministère possédant la confiance du pays. 22-23 juil. (4-5 août) : les forces russes évacuent Varsovie. 12 (25) août : perte de Brest-Litovsk. août : aggravation de la crise politique. Formation à la Douma du “bloc progressiste”,

coalition rassemblant les deux tiers des députés autour des octobristes et des K.-D. 23 août (5 sept.) : arrivée de Nicolas II au Grand Quartier Général de Mohilev, où il

prend en personne le commandement des armées (sans être particulièrement qualifié).

23-26 août (5-8 sept.) : conférence socialiste de Zimmerwald (en Suisse), rassemblant des militants hostiles à la guerre, avec la participation de mencheviks et de bolcheviks russes. Lénine et Zinoviev trouvent insuffisant le Manifeste pour la paix élaboré à cette occasion et constituent une “gauche zimmerwaldienne”, préconisant la transformation de la “guerre impérialiste” en “guerre civile révolutionnaire”.

26 août (8 sept.) : publication du programme du Bloc progressiste (réformes politiques et administratives).

août : 1°) En réponse aux demandes de la Douma, création de nouveaux organismes techniques : conseil de la Défense nationale, des transports, du ravitaillement, des combustibles et, plus tard, des réfugiés. 2°) Reprise des mouvements de grève (heurts sanglants à Ivanovo).

septembre : les Russes perdent Vilna. 3 (16) sept. : clôture de la session de la Douma, sans que soit fixée la date de reprise des

travaux. octobre : le front se stabilise sur une ligne Riga-Pinsk-Tarnopol. 23-25 nov. (6-8 déc.) : conférence inter-alliée de Chantilly (en France). Coordination

des plans d’offensive pour 1916. 1916

janvier : la dégradation de la situation économique s’accélère. La valeur du rouble-papier tombe à 56 kopecks (27 en février 1917). De 1914 à 1917, la dette publique est multipliée par 3, les dépenses budgétaires par 4, la circulation des billets par 6 (ce qui accroît la hausse des prix).

20 janv. (2 févr.) : à la tête de la présidence du Conseil, remplacement de Goremykine par Stürmer (au nom fâcheusement germanique), créature de Raspoutine et réputé germanophile.

3 (16) févr. : Prise d’Erzeroum sur les Turcs. 5 (18) avril : conquête de Trébizonde (toujours sur les Turcs). 11-17 (24-30) avril : conférence socialiste de Kienthal (en Suisse). Renforcement de la

“gauche zimmerwaldienne”. Lénine écrit L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, publié en 1917.

mai : on dénombre 3,3 millions de réfugiés, parfois déplacés de façon autoritaire lors du recul du front.

22 mai (4 juin) : début de l’offensive victorieuse du général Broussilov en Galicie et Bukovine, qui soulage le front français (lequel supporte alors un vaste effort allemand). Cette offensive dure jusqu’au 31 juillet (13 août) : elle s’enlise faute de moyens matériels.

juin : Stürmer cumule la présidence du Conseil et le portefeuille des Affaires Étrangères.

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1916 (suite)

25 juin (8 juil.) : oukase décrétant la mobilisation pour le travail obligatoire de près de 400 000 habitants du Turkestan et de la région des steppes. Insurrection massive des tribus kazakhes, violemment réprimée.

14 (27) août : entrée en guerre de la Roumanie aux côtés des alliés. L’invasion du pays par les Allemands met en difficulté le front russe méridional.

octobre : procès de marins mutinés de la flotte de la Baltique. Multiplication des désertions et, parfois, des fraternisations.

23 oct. (5 nov.) : “Acte des deux Empereurs” : l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne promettent la création d’un État polonais monarchique, héréditaire et constitutionnel sur les territoires pris à la Russie.

1er (14) nov. : discours du K.-D. P. Milioukov à l’ouverture de la session d’automne de la Douma (“Qu’y a-t-il là ? Stupidité ou trahison ?”). critique généralisée du gouvernement et de l’entourage impérial, y compris par la droite nationaliste.

10 (23) nov. : renvoi de Stürmer, remplacé par A. Trepov. 17 (30) déc. : clôture des travaux de la Douma. nuit du 16 au 17 (29-30) déc. : assassinat de Raspoutine par le prince Youssoupov, le

député nationaliste Pourichkevitch et le grand-duc Dimitri. 27 déc. (9 janv. 1917) : démission de Trepov, remplacé par N. Golitsyne à la présidence

du Conseil. Rumeurs de pressions sur le tsar pour l’amener à abdiquer. 1917

9 (22) janv. : grève de 50 000 ouvriers et manifestation à Pétrograd pour commémorer le Dimanche rouge de 1905.

5 (18) févr. : le pain manque à Pétrograd. Pour prévenir les émeutes, création de la région militaire spéciale de Pétrograd, commandée par le général Khabalov, qui avait participé à la répression de 1905.

14 (27) févr. : ouverture de la session parlementaire. Des députés de la Douma réclament le départ des ministres incapables. 80 000 ouvriers en grève à Pétrograd.

18 févr. (3 mars) : début de la grève des usines Poutilov à Pétrograd. 22 févr. (7 mars) : lock-out des usines Poutilov. 23 févr. (8 mars) : journée internationale des femmes. Grande manifestation à Pétrograd

contre les difficultés d’approvisionnement. 24 févr. (9 mars) : le mouvement de protestation grandit à Pétrograd. Slogans hostiles à

la guerre et à l’autocratie. Premiers heurts avec la police. 25 févr. (10 mars). Grève quasi-générale à Pétrograd. Intervention de la police, mais les

cosaques hésitent à tirer. Le soir, télégramme de Nicolas II (depuis le Grand quartier général de Mohilev) ordonnant de “faire cesser dès le lendemain les désordres dans la capitale”.

26 févr. (11 mars) : heurts violents avec l’armée, que les officiers obligent à tirer (150 victimes). Renvoi de la Douma, malgré les appels de son président, M. Rodzianko, en faveur d’un ministère de confiance.

27 févr. (12 mars) : mutineries à Pétrograd, fraternisation entre ouvriers et soldats, qui s’emparent de l’Arsenal, des bâtiments publics et du Palais d’Hiver. Mise en place d’un double pouvoir : 1°) le comité provisoire de la Douma, formé de députés du centre et de la gauche modérée ; 2°) le soviet des députés ouvriers de Pétrograd, que rejoignent les délégués des soldats. Le soviet est présidé par le menchevik N. Tchkheidzé, avec la travailliste A. Kerenski comme vice-président. Dans les semaines qui suivent, multiplication des soviets en province.

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1917 (suite)

1er (14) mars : par son prikaz (ordre) n° 1, le soviet de Pétrograd invite les soldats à élire des comités dans chaque unité et subordonne l’armée à son contrôle. Il accepte, sous certaines conditions, de soutenir un gouvernement formé par la Douma.

2 (15 mars). Un gouvernement provisoire succède au comité provisoire de la Douma. Il est présidé par le prince G. Lvov, avec P. Milioukov (K.-D.) aux Affaires Étrangères, A. Goutchkov (octobriste) à la Guerre et A. Kerenski (travailliste) à la Justice. A Pskov, abdication de Nicolas II (en son nom et au nom de son fils Alexis) en faveur de son frère, le grand-duc Michel.

3 (16) mars : le grand-duc Michel, ne pouvant disposer d’aucune force de l’ordre, refuse la couronne. La République est établie de fait.

6 (19) mars : publication du programme du gouvernement provisoire : amnistie, convocation d’une Assemblée constituante élue au suffrage universel (qui doit en particulier voter une réforme agraire), garantie des libertés politiques et de l’égalité civile, poursuite de la guerre jusqu’à la victoire finale. Grande déception parmi les masses russes, qui voulaient “la paix et la terre” tout-de-suite.

8 (21) mars : arrestation de la famille impériale. 11 (24) mars : la France, la Grande-Bretagne et l’Italie reconnaissent le gouvernement

provisoire. 12 (25) et 16 (29) mars : transfert à l’Etat des propriétés de la Couronne. 3 (16) avril : arrivée de Lénine à Pétrograd. 4 (17) avril : Thèses d’avril de Lénine (publiées le 7/20 avril). Lénine préconise la lutte

contre la poursuite de la guerre, le refus de tout soutien au gouvernement provisoire, la création d’une république des soviets, la remise des terres aux soviets paysans, la nationalisation des banques, la rénovation de l’Internationale ouvrière.

11 juin (1er juillet) : début d’une offensive russe (sous la direction de Broussilov) en Galicie. Elle est arrêtée à la mi-juillet après quelques succès. Contre-offensive austro-allemande : occupation de Tarnopol le 11 (24) juillet. Les mouvements de désertion s’amplifient dans l’armée russe

21 août (3 sept.) : occupation de Riga par les Allemands, qui menacent Pétrograd. 24-27 octobre (6-9 novembre) : “révolution d’Octobre”. Lénine et les bolcheviks

s’emparent du pouvoir à Pétrograd puis à Moscou. 9 (22) déc. : ouvertures des pourparlers de paix à Brest-Litovsk.

1918 3 mars (date occidentale, le calendrier orthodoxe ayant été abandonné le 1er février

1918) : signature d’une paix séparée entre la Russie “soviétique”, l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie. La guerre civile succède à la guerre étrangère.

nuit du 16 au 17 juillet : massacre de la famille impériale à Ekaterinbourg.

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Les responsabilités dans le déclenchement de la Première guerre mondiale (mise au point) :

La question des causes de la Première guerre mondiale a pris rang parmi les grandes questions historiographiques en histoire contemporaine. On se demande pourquoi une telle hécatombe, véritable suicide pour l’Europe impérialiste, a-t-elle pu avoir lieu, alors même que les enjeux idéologiques étaient peu marqués (type de question que les historiens ne se posent pas pour la Seconde guerre mondiale). En 1918-1919, les vainqueurs ont désigné un unique responsable : le gouvernement impérial allemand, gangrené par le militarisme et qui “viola le droit”. En fait, les responsabilités furent bien partagées. Et il faut distinguer les causes immédiates des causes plus profondes.

A la suite de l’attentat de Sarajevo, les différents gouvernements furent pris dans un

engrenage fatal, du fait des deux systèmes d’alliance existant et de la course aux armements qui avait eu lieu. Comme personne n’eut vraiment envie de freiner la marche à la guerre et que chaque gouvernement joua tant son honneur que son rang de grande puissance, le pire se produisit. Personne ne peut nier que l’Autriche-Hongrie était dans son droit en voulant venger l’assassinat de son archiduc-héritier par un terroriste bosniaque plus que probablement armé par certains services secrets serbes. Elle le fit toutefois avec un peu trop de détermination et de volonté d’en découdre de façon à régler le problème serbe. En fait, l’archiduc héritier François-Ferdinand n’était pas lui-même un belliciste : détesté pour cela des dirigeants hongrois, il pensait que l’octroi de l’autonomie aux Slaves de l’Empire avait plus de chance de contrer le “yougoslavisme” qu’une guerre contre la Serbie. Dans une certaine mesure, son assassinat est une aubaine pour les milieux partisans de la manière forte contre la Serbie, milieux bien représentés à l’Etat-major de l’armée. Ces milieux ont d’autant mieux réussi à convaincre le vieil Empereur François-Joseph que Berlin avait assuré Vienne de son appui pour une solution “musclée” : Guillaume II pensait pouvoir cantonner la guerre aux Balkans. C’était sans compter sans la réaction de la Russie, bien décidée à ne plus se laisser humilier au regard de ses “frères slaves” (comme en 1908, lors de l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’Autriche-Hongrie).

La précipitation de la Russie tsariste à mobiliser (décision prise dès le 29 juillet) fut le second moteur de la course à l’abîme, après le soutien allemand à la politique de force finalement choisie par Vienne. Cette précipitation était techniquement justifiée (par la longueur des voies de communication). Depuis que toutes les grandes puissances continentales avaient adopté le principe de la conscription, elles disposaient, à côté de leurs effectifs “sous les drapeaux” (formés de soldats en train d’effectuer leur service militaire), immédiatement opérationnels, d’une réserve de grande ampleur incluant tous les adultes de sexe masculin “dans la force de l’âge”. Mais il fallait “mobiliser” cette réserve, selon des plans arrêtés à l’avance, et le plus rapidement possible. Au moindre danger de guerre un peu sérieux, la tentation était grande de décréter la mobilisation générale, pour parer à toute éventualité ou intimider l’adversaire. Si celui-ci se révélait avoir des nerfs plus solides que prévu, le risque était grand qu’il lance un ultimatum exigeant la démobilisation immédiate, ultimatum que l’honneur de n’importe qu’elle grande puissance ne pouvait accepter. La mobilisation russe fut un des facteurs décisifs de l’éclatement du conflit mondial, par la peur qu’elle déclencha dans les milieux dirigeants allemands. Il n’est pas exclu que le tsar et son entourage réactionnaire aient voulu la guerre dans l’espoir d’y trouver matière à raffermir le trône.

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Des exemples plus ou moins récents (guerre civile nord-américaine, guerres dans les Balkans, guerre russo-japonaise) avaient montré ce que l’on pouvait attendre de moyens industriels de mort couplés avec les masses de la conscription : il y avait de quoi réfléchir. Cependant, chaque gouvernement avait son plan pour surprendre l’adversaire et combiner les moyens modernes pour en finir très vite. Depuis quelques années déjà, l’Europe vivait dans une tension militaro-diplomatique perpétuelle : la “montée aux extrêmes” de l’été 1914 fut presque une soulagement.

Sur la pente dangereuse, la Russie aurait pu être retenue par son alliée et pourvoyeuse de capitaux, la France. Le moins que l’on soit obligé de constater, c’est que les autorités françaises n’ont guère modéré les bellicistes russes. Le président de la République Française (R. Poincaré) était pourtant en visite à Saint Pétersbourg pendant le fatal été. Il est vrai qu’il s’était affirmé comme belliciste et revanchard. Cela dit, il est bien évident que ce sont les Allemands qui ont été les agresseurs : pris en tenaille entre la France et l’Empire russe, leur seule chance de vaincre était d’attaquer d’abord à l’Ouest, où était le danger le plus pressant, avant même que l’armée russe, lente à se concentrer, soit devenue opérationnelle. Eu égard à cette conception stratégique, ils ne pouvaient faire autrement que de déclencher les hostilités les premiers. Qu’il y ait eu dans les milieux dirigeants allemands des groupes favorables à un impérialisme agressif en Europe, cela n’est pas douteux (cf. le mouvement pangermaniste). Mais on peut objecter que l’été 1914 n’était pas le meilleur moment choisi pour cela : l’Allemagne aurait eu de bien meilleures chances de l’emporter en 1905-1906, au moment de la première crise à propos du Maroc, alors que la Russie était empêtrée en Extrême-Orient et que l’Entente cordiale franco-britannique n’avait pas encore été conclue.

Pour finir le tour d’horizon des responsabilités, celle de la Grande-Bretagne est lourde.

Que l’on retienne l’hypothèse du cynisme (Londres aurait fait croire jusqu’au bout qu’elle n’interviendrait pas, pour pousser l’Allemagne à la faute) ou celle de l’illusion pacifiste (Londres aurait péché par optimisme, ne croyant pas l’Allemagne prête à tout, ou pensant que le “flottement” britannique apaiserait Berlin), le fait est là : le gouvernement du Royaume-Uni aurait dû utiliser ses forces de dissuasion le plus tôt possible, pour prévenir l’initiative allemande. Toujours est-il qu’en entrant dans la guerre suite à la violation de la neutralité belge par les troupes allemandes (violation prévue par les dirigeants berlinois dans le cadre du plan d’encerclement des forces françaises), la Grande-Bretagne a eu la satisfaction de prétendre combattre “pour le Droit”. En réalité, elle s’est conduite de manière “classique” : maintenir l’équilibre des puissances sur le continent et éviter qu’une puissance continentale par trop dominante n’établisse ses troupes en face de l’embouchure de la Tamise.

En s’interrogeant sur les causes plus profondes du conflit, on en vient à se demander

pourquoi finalement aucun gouvernement n’a pu ou voulu éviter la catastrophe. Une école d’interprétation d’inspiration marxiste a invoqué, avant même la fin du conflit (cf. Lénine), le choc des impérialismes à base économique. Il est certain que l’Allemagne, devenue première puissance industrielle du continent, a voulu “se faire une place au soleil”, et que la Grande-Bretagne s’en inquiétait. Cela étant, les conflits n’étaient pas insurmontables (cf. le modus vivendi germano-britannique dans l’Empire ottoman). D’autre part, il faudrait supposer une collusion étroite entre les milieux capitalistes et les dirigeants politiques, ce qui reste à démontrer. Par ailleurs, les milieux capitalistes étaient loin d’être unanimes sur l’intérêt économique de la guerre : tous n’étaient pas l’unisson des fabricants d’armements. Toujours dans une optique marxisante, la montée des mouvements socialistes dans les grands pays industriels (montée indéniable) aurait poussé les milieux conservateurs à favoriser l’éclatement d’un conflit générateur “d’Union sacrée”. Bien que le calcul éventuel de ces

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milieux ait été déjoué (la Russie soviétique n’aurait pas vu le jour sans la Grande Guerre), il a pu avoir lieu. Mais on comprend mal pourquoi les mouvements socialistes n’ont pas pu arrêter la marche à la guerre. La IIe Internationale était ouvertement pacifiste et par sa puissance numérique, le parti social-démocrate allemand était capable d’intervenir pour contrer les menées bellicistes de l’Etat-Major impérial. Mais les différents partis membres de l’Internationale ne parvinrent pas à s’entendre sur les mesures concrètes à arrêter pour paralyser les fauteurs de guerre. C’est que le nationalisme a été le plus fort, y compris chez les ouvriers socialistes.

Tous les États-nations s’étaient employés à le développer, notamment par le biais de la scolarisation primaire généralisée, qu’il ait été jugé indispensable à la consolidation de la démocratie républicaine (France), à l’approfondissement d’une unité récente (Allemagne, Italie) ou au développement d’une “mission” mondiale (Grande-Bretagne). Dans les États multinationaux, ce sont les revendications des nationalités qui ont créé un contexte belligène. Notons enfin que l’Église catholique, institution au prestige déclinant du fait de son refus crispé face à la modernité, a été encore moins efficace dans ses tentatives pour éviter le conflit que l’Internationale socialiste. L’Etat dont le Pape se sentait le plus proche, l’Autriche-Hongrie, était celui qui, par aveuglement, a déclenché la marche de l’Europe à l’abîme.

Annexe : chronologie de la crise de l’été 1914 28 juin : attentat de Sarajevo. Le terroriste est arrêté sur le champ : c’est un étudiant

bosno-serbe nationaliste appelé Gavrilo Princip. 2 juillet : l’ambassadeur d’Allemagne à Vienne déclare à l’Empereur François-Joseph

que “l’Empereur d’Allemagne se tiendra derrière toute résolution ferme de l’Autriche”.

4 juillet : funérailles de François-Ferdinand et de sa femme. 5 juillet : entrevue à Berlin entre le comte Hoyos, envoyé de François-Joseph, et

Guillaume II. Ce dernier juge le moment “favorable” à une action de guerre contre la Serbie. Il pense que le conflit pourra être circonscrit.

20 juillet : Poincaré et Viviani sont accueillis à Kronstadt, près de Saint-Pétersbourg, par Nicolas II.

23 juillet (1914) : Ultimatum austro-hongrois à la Serbie (il faut remarquer la lenteur avec laquelle le texte a été mis au point : les responsables austro-hongrois étaient divisés et hésitants).

24 juillet : appel du prince héritier Alexandre de Serbie au tsar. 25 juillet : mobilisation générale en Serbie ; acceptation partielle de l’ultimatum

autrichien par la Serbie (qui ne rejette que la participation de policiers austro-hongrois à la recherche des complicités en Serbie même) ; l’Autriche-Hongrie rompt ses relations diplomatiques avec la Serbie ; prémobilisation russe.

26 juillet : le secrétaire d’État britannique aux Affaires Étrangères, sir Edward Grey, propose une conférences internationale sur l’affaire serbe, que l’Allemagne refuse, alors que la proposition avait été acceptée par l’Italie, la France et la Russie.

27 juillet : manifestation pacifiste à Paris. 28 juillet : l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie. 29 juillet : bombardement de Belgrade par l’armée (“d’active”) austro-hongroise ;

rencontre socialiste de Bruxelles ; mobilisation partielle en Russie (la Russie estime alors que ne rien faire serait indigne de son honneur de grande puissance “protectrice des Slaves du Sud”) ; retour de Poincaré et de Viviani à Paris.

30 juillet : mobilisation générale en Russie.

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31 juillet : mobilisation générale en Autriche-Hongrie ; “état de danger de guerre menaçant” en Allemagne ; mobilisation générale en Belgique ; assassinat de Jean Jaurès.

1er août : mobilisation générale en France et en Allemagne ; l’Allemagne déclare la guerre à la Russie.

2 août : la Turquie signe avec l’Allemagne un traité secret d’alliance. 3 août : l’Allemagne envahit la Belgique et déclare la guerre à la France ; l’Italie se

déclare neutre. 4 août : obsèques de Jaurès ; premier emploi de la formule “Union sacrée” en France ; la

Grande-Bretagne déclare la guerre à l’Allemagne. 5 août : l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Russie. 11 août : déclaration de guerre de la France à l’Autriche-Hongrie. 12 août : déclaration de guerre britannique à l’Autriche-Hongrie.