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LES POUSSES DU BAMBOU

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DU MEME AUTEUR

CE QUE JE VOUDRAIS DIRE, Seghers, 1954.

D'UN REVEIL A L'AUTRE, Oswald, 1968.

L'AUBE ET LE GRAIN, Oswald, 1969.

LE CHANT CONTINU (adaptation de Poèmes d'enfants viet- namiens), Les Editeurs Français Réunis, 1971.

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Françoise CORRÈZE

LES POUSSES DU BAMBOU

la jeunesse au Vietnam

LES ÉDITEURS FRANÇAIS RÉUNIS 21 , r u e d e R iche l i eu , Pa r i s 1er

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aux EDITEURS FRANÇAIS RÉUNIS, service " Vient

de Paraître ", 21 rue de R i c h e l i e u ,

Paris 1 et vous recevrez régu-

l i è r e m e n t nos bul- le t ins EFR

© Les Editeurs Français Réunis, 1971.

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« Quand les bambous se font vieux Les jeunes pousses émergent. »

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Je remercie Nguyen Khac Viên, Huù Ngoc, Théo Ronco et tous les amis Vietnamiens qui m'apportèrent, pour la réalisation de ce livre, leur aide et leur compréhension fraternelles.

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Ce livre ne donne pas un tableau exhaustif de la jeunesse au Vietnam mais rassemble seulement les feuillets qu'il nous a été donné de tourner sur la vie quotidienne des jeunes, dans ce pays, au cours de l'année que nous venons d'y passer.

Il est difficile pour ne pas dire impossible, le pays étant en guerre, d'observer certains faits et surtout de les comprendre sans les déformer. Nos convictions, nos espérances sont celles des Vietnamiens, mais nous n'en jugeons pas moins, souvent, en occidentaux habitués à des normes et à certains mécanismes de

pensée différents. Dans tous les domaines de quelque pays que ce soit, il y a

des lumières et des ombres, des côtés positifs, exaltants parfois, d'autres négatifs, voire nocifs. Il en est de même au Vietnam. Si nous ne refusons, auprès des réalisations obtenues, ni les lacunes, ni les questions en suspens, il nous semble honnête et logique de laisser aux Vietnamiens, seuls capables de les appréhender vrai- ment, les problèmes plus ardus qu'ils abordent d'ailleurs dans certains de leurs journaux et qu'ils résoudront un jour, nous en sommes certains, comme ils atteindront à une paix légitime dans l'Indépendance.

Ce livre n'est aucunement un ouvrage didactique sur les jeunes, mais seulement un ensemble d'observations et de réflexions nourries de relations vécues, de documents et de récits authen- tiques.

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Il n'est pas non plus un album d'images d'Épinal mais un relevé de notes et de descriptions où l'obscur héroïsme quotidien côtoie sans cesse les aspérités, voire les contradictions que doit à chaque instant affronter ce peuple en lutte et dont il triomphera grâce à sa lucidité et son courage.

Un fait est au centre du livre : l'enfant vietnamien ne s'est

pas contenté de survivre, il a vécu, grandi, il s'est développé, même aux jours les plus sombres des bombardements.

Nous l'y avons suivi à travers le « so'tan » que des lettres et des récits ont fait revivre pour nous. Nous l'avons accompagné aujourd'hui dans l'entrelacs des problèmes qu'il faut résoudre malgré la guerre : problème de démographie galopante difficile à enrayer, problème de logement particulièrement ardu dans un pays ravagé par les bombes, problème de santé, d'hygiène, d'ensei- gnement et de culture. Nous nous sommes plus spécialement atta- chés à ces dernières questions, à ces écoles du Vietnam où le dévouement individuel, les initiatives heureuses, suppléent souvent à certaines carences. Que de détails simples, de gestes boule- versants seraient mieux traduits sur une toile que par la plume !

Livre incomplet certes, mais qui, nous l'espérons, fera en- core plus aimer le Vietnam à ceux qui l'aiment déjà et qui pourrait, nous le souhaitons, faire comprendre ce qu'est le peuple vietnamien à tous ceux qu'aveuglent encore l'égoïsme ou les préjugés, mais qui ne sont pas dépouillés pour autant de senti- ments humains.

F. C.

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HANOI ET LES « SO'TAN »

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Au début de 1966, « l'escalade » américaine a déjà frappé 120 écoles du Nord-Vietnam et elle continue.

Singuliers objectifs militaires que ces maisons édifiées dès 1955, dont les communes sont si fières et dont les toits de tuiles rouges étincellent au milieu des bambous verdâtres et des paillotes grises. Cibles faciles où ne bourdonnent que des voix d'enfants.

Le 3 janvier 1966, 24 d'entre elles se sont tues sous les bombes qui ont écrasé l'école de Hai Hoa dans la province de Thanh-Hoa.

Le 8 février 1966, c'est au tour de l'école de Huong Phuc (district de Huong Khe) dans la province de Ha-Tinh, d'être sauvagement mitraillée. Sous les décombres : 33 corps déchiquetés, 24 grièvement blessés.

Le jeune instituteur Thai Van Nham, qui a survécu, faisait une leçon de géographie quand l'alerte fut donnée.

« Je criai aux enfants de descendre immédiatement dans les abris. Trop tard, hélas ! Le tonnerre se rapprochait de nous, Les premières bombes explosaient à 700 mètres. Un deuxième groupe d'avions larguait ses engins de mort à 20 mètres de l'école. Les explosions soulevaient des colonnes de fumée et de poussière. J'eus juste le temps de crier :

« Du calme mes enfants », que déjà une bombe, tom- bant en plein sur nous, nous ensevelissait sous un tas de décombres.

« Au prix d'efforts surhumains, je réussis à me dégager. Au-dessus de moi, tables, bancs, livres et cahiers volaient en éclats.

Spectacle terrible : plusieurs enfants avaient la tête arra- chée du corps et soufflée à 10 mètres de là ; d'autres étaient coupés en tronçons. D'autres encore reposaient sur des branches et ruisselaient de sang. La population, les miliciens

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populaires et les infirmiers ne tardèrent pas à venir à notre secours.

« On put retirer de nombreux élèves des décombres. Plusieurs expiraient la bouche pleine de sang, dans les bras de leurs parents. On en trouvait qui se tenaient embrassés, d'autres qui serraient sur leur poitrine leurs manuels. Des sacs à provisions gisaient à côté des cadavres, de nombreux élèves n'avaient pas eu le temps de déjeuner avant de se rendre en classe. Mon cœur se serrait de douleur. Combien n'ont pu retrouver ou reconnaître leurs enfants... »

« Malgré ces pertes douloureuses, nous ne nous laissons pas abattre... Les deux survivants de ma classe vont se présen- ter au concours régional... » (1)

« Ne pas se laisser abattre », « être prêts », « continuer partout et toujours », autant de formules vietnamiennes.

Et c'est ainsi que la vie et l'école continuèrent, dans les hameaux perdus au milieu des rizières, par petits groupes de trente à cinquante élèves, groupés, ess aimés eux-mêmes en classes isolées les unes des autres. Paillotes de paysans ou classes construites par les coopératives « parfois à demi enfouies sous terre dans le dédale des abris et des tranchées.

« So'tan » ! Obscure et silencieuse épopée des villes et des villages vietnamiens (2).

« Le so'tan », à vrai dire, commença dès avril 1965 pour une grande partie du pays et même dès août 1964 dans les provinces limitrophes du 17 parallèle. On frémit en pen- sant au massacre qui aurait été celui de Vinh-Linh, et de Vinh, chef-lieu de la province de Nghe An, si la dispersion de la population et particulièrement des enfants n'avait eu lieu. Du 5 août 1964, date du premier bombardement, au 7 février 1965, date à laquelle les Américains déclenchèrent la guerre aérienne de destruction systématique, le territoire de Vinh- Linh, s'étendant de la mer à la frontière laotienne sur 10 kilo- mètres de large, fut entièrement labouré de bombes, pilonné

(1) Courrier du Vietnam — février 1966. (2) « So'tan », évacuation dirigée et décentralisée pour éviter les

bombardements massifs.

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nuit et jour par l'artillerie, les canons de marine et les vagues successives d'avions. Du 7 au 11 février, la cité fut anéantie. Le chef-lieu Ho Xa où se concentraient les écoles, les hôpitaux, l'église, les établissements administratifs, fut rasé. Vinh également, cité active de 70.000 habitants, n'est plus aujourd'hui qu'un tell de pierres, de briques et d'argile dont s'est emparée la végétation et d'où émergent, çà et là, quelques piliers et pans de mur ou un arc d'ogive quand le monticule des gravas signale l'emplacement d'une ancienne église.

Et l'offensive continua de s'étendre. A Nam-Dinh, la cité des tisseurs, avec ses logements modernes, ses écoles neuves, son jardin d'enfants, fut éventrée ; certaines rues disparurent, ne laissant que leur nom sur une plaque miraculeusement épargnée ; Thai-Binh, Thanh Hoa, Cam-Pha furent frappées elles aussi. De Phu Ly, petite ville paisible, il ne reste plus rien. Les raids inhumains s'attaquèrent aux quartiers populai- res de Haïphong le 2 août 1966. « A première vue, écrit l'agence France-Presse, aucun objectif ne paraît être touché... En revanche plusieurs quartiers l'ont été. Un quartier de l'ag- glomération urbaine, l'ancien village, aujourd'hui intégré, de Cam Lo, a été démoli. Les maisons, les paillotes ont été soufflées... A l'hôpital de l'Amitié Vietnam-Tchécoslovaquie, une fillette de quinze ans, qui a perdu les deux jambes se trouve encore dans l'inconscience, 16 autres enfants attendent d'être opérés » (1).

Des journalistes étrangers (2) en visite au Vietnam ont dénoncé le caractère systématique et volontairement cruel de ces bombardements de population. Des images demeurent, humble image des enfants de Huong Phuc, morts dans leur abri, « les doigts encore agrippés à leur sacoche où, parmi les cahiers, restaient quelques patates qu'ils n'avaient pas eu le temps de manger ». Image de Phu-Xa, dans la banlieue de Hanoï, où Hien la milicienne a vu, le 13 août 1966, son bébé et ses parents écrasés sous les coups de roquettes avec huit

(1) Courrier du Vietnam. Août 1966. (2) L'Américain Salisbury, le Suédois Peter Weis, l'Australien

Wilfrid Burchett, la Polonaise Monica Varneska, les Français Made- leine Riffaud, Théo Ronco, Jacques Decornoy, Jean Bertolino.

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au t re s en fan t s q u i n ' a v a i e n t p a s d o u z e ans, t and i s q u e d e s

b o m b e s d e gros ca l ib re o u v r a i e n t des c r a t è r e s é n o r m e s d a n s la

d i g u e d u F l e u v e R o u g e . (1)

L e 21 o c t o b r e 1 9 6 6 , les av ions amér i ca in s s igna ien t l eu r 2 9 6 c r i m e c o n t r e les écoles d u N o r d - V i e t n a m . . . I l es t d i x

h e u r e s t r en t e d u m a t i n , m a d a m e X u a n c o m m e n t e le cours d e

l i t t é r a t u r e a u x élèves d e 7 d e l 'Éco l e s e c o n d a i r e d e T h u y D a n

à 35 k m d e H a ï p h o n g (dis t r ic t d e T h u y A n h , p r o v i n c e d e

T h a i - B i n h ) . D i x h e u r e s t r e n t e d u m a t i n , u n j o u r d ' o c t o b r e o ù

l ' a i r es t f rais , le solei l c lair , o ù l ' o n r e sp i r e ap rès les l o u r d e s

p lu ies d e m o u s s o n , o ù d é j à les r iz j aun i s sen t , o ù les a igre t tes

p l a n e n t a u - d e s s u s des c a n a u x d ' i r r iga t ion . . . O n d e v a i t r e t r o u - v e r 4 6 v ic t imes d o n t 3 0 élèves d e 13 à 16 ans. M a d a m e

X u a n se r ra i t c o n t r e elle d e u x fil lettes de s a classe. C e j e u n e

p r o f e s s e u r ava i t 2 6 ans e t u n b é b é d e t ro is ans.

M a i s que l l e s images p lu s ho r r i b l e s e n c o r e si le « s o ' t a n »

n ' a v a i t p a s e u lieu. L a d i spe r s ion o rgan i s ée é ta i t le seul m o y e n

d e s a u v e r a u m a x i m u m les vies h u m a i n e s . O n o b j e c t e r a q u e

le V i e t n a m es t u n p a y s d e pe t i t e superf ic ie e t d e p o p u l a t i o n

c o n s i d é r a b l e , q u e les b o m b a r d e m e n t s , s ' a c c e n t u a n t , é largis-

s a i en t auss i l e u r c h a m p d ' a c t i o n à t o u t le ter r i to i re . C ' e s t

vrai , ma i s t o u t e c o n c e n t r a t i o n d ' ê t r e s h u m a i n s au ra i t aug-

m e n t é les r i sques .

« O n ne p o u v a i t t o u t d e m ê m e p a s b o m b a r d e r c h a q u e

p o u c e d e t e r r a i n », d i s a i en t les V i e t n a m i e n s et ils a jou t a i en t :

« M ê m e si u n e b o m b e t o m b e , o n a des c h a n c e s d e s ' e n t i r e r

d a n s la c a m p a g n e . » Il y a l à t o u t e u n e ph i lo soph ie , e t auss i

u n r a i s o n n e m e n t log ique . M a l g r é le « s o ' t a n », des en fan t s p a r

pet i t s g r o u p e s o n t e n c o r e é té tués , ma i s il n ' y a p a s eu les

m a s s a c r e s d e c e n t a i n e s d e j eunes qu i se s e r a i en t p r o d u i t s sans

la d i spe r s ion . L e s résu l t a t s f u r e n t d o n c à l ' échel le des efforts.

L e s av ions v i s a n t les tui les r o u g e s a u mi l i eu d e s pa i l lo tes

gr ises é c r a s è r e n t des écoles vides . L e s j eunes , eux, c o n t i n u a i e n t

à t r ava i l l e r a u mi l i eu des p a y s a n s et ce c o n t a c t fu t béné f ique

a u x uns e t a u x au t res . L e b o n h e u r l u i - m ê m e s 'y c r e u s a s o n

(1) Voir en annexe : « Le méchant épervier » et « Enfants sur la digue ».

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t rou. L ' a i r vivifia les p o u m o n s des pet i t s c i tadins , l eu r a p p o r t a

le c a l m e q u e s o u v e n t ils ignora ien t . L ' o b s e r v a t i o n n ' y p e r d i t

p a s ses dro i t s . (1)

U n jour , q u e l q u e p a r t d a n s la c a m p a g n e d e V i n h o u d e

T h a n h - H o a , q u ' i m p o r t e , u n officier é t r a n g e r e n t e n d a n t siffler

u n av ion à r é a c t i o n s e p réc ip i t e d a n s l 'abr i . U n e n f a n t l 'y

r e jo in t e n r i a n t :

« P a s la pe ine — dit- i l à l 'off icier — inut i le d e s a u t e r

avec ces avions ; q u a n d o n les en t end , o u b i e n ils s o n t pas sés ,

o u bien. . . o n est m o r t ! » D i s o n s à la d é c h a r g e d e l 'off ic ier

é t r ange r qu ' i l ava i t fa i t l a d e r n i è r e g u e r r e m o n d i a l e avec d e s avions à hél ices. . . !

C o m m e d a n s nos villes d ' E u r o p e o ù les en fan t s , s o u v e n t à

pe ine âgés d e 5 ans, conna i s sen t , m i e u x q u e les adul tes , les

m a r q u e s de vo i tu res , c eux d u V i e t n a m , a u f o n d des r iz ières

e t o b s e r v a n t l e u r ciel de gue r re , d i s t i n g u e n t t o u t e s les ca té -

gories d ' av ions e n n e m i s q u i s u r v o l e n t l e u r pays .

(1) Voir 25/10/68 du en annexe, l 'extrait d 'un article du Monde daté du Professeur Laurent Schwartz.

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QUELQUES ASPÉRITÉS DU « SO'TAN »

Il ne serait pas juste de présenter du « so'tan », un tableau simplifié et trop moralisant.

Le « so'tan » tire sa valeur des difficultés mêmes aux- quelles il se heurtait.

Échelonné de 1965 à 1968, il répondait à un impératif de sécurité, mais aussi à des nécessités d'organisation et de pré- servation du travail.

Dans ce pays, à peine libéré du colonialisme et des structures féodales, et résistant depuis tant d'années aux attaques d'une des plus grandes puissances du monde, bien des insuffisances fonctionnelles peuvent s'expliquer : Insuf- fisances dont le Vietnam triomphe d'ailleurs puisqu'il fait victorieusement face à l'agresseur, qu'il fait face avec l'aide matérielle des pays socialistes et des peuples amis mais tout de même seul avec sa chair, sa volonté, son courage et une luci- dité qui ne peut qu'étonner.

Le Vietnam employa pour le « so'tan », comme dans d'autres occasions, les moyens dont il disposait. Des décisions furent prises, elles furent appliquées dans l'ensemble bien que parfois partiellement et d'une façon artisanale. Pouvait-il en être autrement ? Il suffit d'évoquer l'exode qui déferla sur les routes de France en 1940, la fièvre qui s'empara des gens, leur égoïsme légitimé par leur détresse, pour saisir toute la différence existant entre cette ruée désordonnée, trop souvent tragique, et une dispersion voulue, organisée par un gouver- nement conscient de ses responsabilités. Cela, malgré les difficultés assaillant ce peuple pauvre, menacé dans une exis- tence dont il avait à peine eu le temps de jeter les bases par une aviation dépassant de beaucoup celle d'Hitler. Il suffit d'évoquer tout cela pour comprendre et pour admirer.

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Dès le déclanchement systématique des bombardements américains en 1965, l'ordre de « so'tan » fut donné.

Plus facile à réaliser à la campagne, il posa de nombreux problèmes aux villes et particulièrement à la capitale où les enfants étaient nombreux. Il fallait immédiatement les essai-

mer dans les villages de l'intérieur en organisant sur place à la fois hébergement et enseignement.

D'autre part, il importait à tout prix de libérer les cadres, les techniciens des administrations, des usines, des ateliers de toutes sortes, des tâches familiales rendues de plus en plus difficiles par les bombardements. Il fallait à tout prix leur permettre de se consacrer à leur tâche. Le poumon qu'Hanoï était pour le reste du pays devait continuer à respirer.

L'ordre de « so'tan » donné, les bureaux divers, les comités d'usines, les syndicats organisèrent sa mise en marche.

Celle-ci ne fut pas facile. Dans tous les pays du monde, les parents se séparent difficilement de leurs enfants. Il fallut raisonner, convaincre, lutter pied à pied pendant des années.

Telle agence envoya un petit nombre de ses fonction- naires dans un village de la haute région pour jeter les bases d'un service qui devait s'occuper de tous les enfants du per- sonnel. Ceux-ci vécurent chez l'habitant mais ils mangèrent dans des cantines sous paillotes où des femmes avaient troqué leurs fonctions habituelles contre celles de cuisinières. On s'assura d'hôpitaux proches. On établit un budget que l'on s'efforça de suivre tant bien que mal.

— Cent kilomètres, c'était bien loin. Nous ne pouvions y aller que toutes les six semaines et parfois ce n'était pas possible car le travail à l'agence primait tout.

De plus, les lettres se perdaient souvent. On restait sans nouvelles. Quand des bombardements étaient signalés dans la région, on ne vivait plus, on imaginait le pire. Pour ne pas provoquer d'affolement on ne donnait jamais de pré- cisions. Mais tenir avec l'inquiétude qui vous tenaille, c'est dur !

C'est une petite femme originaire du Sud, qui parle. Elle a dû être très jolie et l'est encore. Plus vive d'esprit que de

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gestes. La voix rieuse, railleuse même, souvent piquante, ayant le courage de sa pensée, de la critique et de l'amitié : Une drôle de petite bonne femme, intelligente et beaucoup plus tendre qu'elle ne veut le paraître.

Elle dénoue pour la nième fois le foulard à carreaux noirs et blancs qu'elle quitte rarement (1).

— Les deux nôtres ont été évacués en 1965. Je me souviens de leur départ. Nous étions là, Papa et moi, avec tous les autres.

Elle dit « Papa » exactement comme on le dit en France où elle a vécu pendant des années.

— Les grands, comme Lan-Phuong, étaient dans un camion bâché. Les petits, comme Nguyen, dans un car plus confortable.

Lan-Phuong : Senteur d'orchidée, avait alors 12 ans. Elle poursuit actuellement ses études en Union Soviétique.

Nguyen avait sept ans. Actuellement, il est encore à la maison. Une tête ronde, l'air à la fois timide et volontaire, des cheveux drus et des yeux magnifiques. Il travaille bien et vient d'ajouter à son foulard rouge de pionnier, un prix de maths au concours général pour enfants.

Concours généraux ! D'autres ont déjà maintes fois sou- ligné la continuation de cet effort scolaire que les bombes n'ont pu stopper. Vieilles traditions, sans doute, mais aussi pro- messes pour l'avenir.

— En 1965, Nguyen n'était vraiment qu'un tout petit bonhomme, Lan-Phuong, elle, avait déjà ses longues tresses et son visage grave.

Nous étions sur le trottoir. Le camion et le car pleins d'enfants allaient partir. Le crachin nous transperçait. Nous parlions tous en même temps. Des recommandations fusaient de tous côtés. Presque toujours les mêmes.

Il y a dans les yeux de T... un souvenir où passe la tris- tesse de ce départ. On croit entendre le concert discordant des mots qui se croisent. On imagine les visages des parents, les larmes des petits.

(1) Foulard des femmes du Sud.

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— L a f igure d e P a p a s ' a l longea i t . I l t ena i t l e c o u p ,

m o i aussi . M a i s q u a n d le c a r s 'es t éb ran l é , u n des p lus v i eux d e

n o s c a m a r a d e s s ' e s t é l ancé e t il a c r ié à ses t ro is gosses :

« S u r t o u t a i m e z - v o u s b i e n tous les t rois , a imez -vous b ien . »

A ce m o m e n t , j e n ' a i p a s p u m ' e m p ê c h e r d e p leure r .

— V o u s n e p o u v i e z t o u t de m ê m e p a s a l ler vo i r les e n f a n t s à vé lo ?

— J ' a i d é j à fa i t b i e n des t o u r s d e r o u e s , ma i s t o u t d e

m ê m e 1 0 0 k m c ' e s t t r o p !!

A u d é b u t , j e p r e n a i s le t ra in . J e p a r t a i s à minu i t . L e t r a in

n e p o u v a i t r o u l e r q u e d e nui t . J ' a r r i va i s à 5 h e u r e s à X . . . e t

d e là, j e fa isa is 4 5 k m à vélo. C ' é t a i t poss ib le .

M a i s ap rès le b o m b a r d e m e n t d u p o n t d u c h e m i n d e fer ,

il a fa l lu p r e n d r e le car .

O h ! ce n ' é t a i t p a s le c a r en l u i - m ê m e . C ' é t a i t le b a c !

Pa r fo i s , o n a r r iva i t à six h e u r e s d u so i r e t il fa l la i t a t t e n d r e

j u s q u ' à 1 h e u r e , 2 h e u r e s d u m a t i n , c a r les c a m i o n s mi l i ta i res

a v a i e n t l a p r io r i t é . Q u e d e t e m p s j ' a i p a s s é s u r le s ab le p o u r

vo i r les e n f a n t s q u e l q u e s h e u r e s s e u l e m e n t !

E n s u i t e , o n s ' e s t o rgan i sé e t l ' o n a p u res t e r u n j o u r

a u p r è s d ' eux .

— C e r t a i n s ont- i l s r e f u s é d ' e n v o y e r les enfan t s au « so ' t a n » ?

— O n n e p o u v a i t p a s les y c o n t r a i n d r e , o n essaya i t d e

l eu r f a i r e c o m p r e n d r e . C h a q u e fois qu ' i l y ava i t des b o m b a r -

d e m e n t s , o n r e c o m m e n ç a i t . C ' é t a i t u n vé r i t ab le p o r t e à p o r t e

q u e l ' o n fa isa i t c h a q u e so i r ap rès le t ravai l . D a n s les syndica t s ,

les cellules, o n inscr iva i t les n o m s d e s p a r e n t s r é f rac ta i res a u

t a b l e a u de cr i t ique .

C e r t a i n s se s o n t déc idés q u a n d les écoles o n t f e r m é défi-

n i t i v e m e n t leurs po r t e s . M a i s il y e n a qu i o n t t o u j o u r s r e fusé !

C e u x qu i j u g e a i e n t avoi r des cond i t i ons d e sécur i t é suffi-

san tes . D ' a u t r e s , à c a u s e des diff icul tés matér ie l les . D a n s c e

cas, o n essaya i t d e les a ider , ma i s ce n ' é t a i t p a s t ou jou r s facile.

D e s fami l les q u i a v a i e n t accepté , f a i sa ien t ensu i t e l ' impos -

s ib le p o u r r é c u p é r e r les en fan t s , o u d a n s le cas d e t rêve c o m m e

p o u r le Tê t , r e fu sa i en t de les la i sser r epa r t i r .

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T. se ta i t u n m o m e n t , s o n v i sage se pl isse. E l l e es t visi- b l e m e n t é m u e .

— U n e a m i e ava i t s o n pe t i t d e c i n q ans a u « s o ' t a n ».

Il é ta i t d a n s des cond i t i ons auss i b o n n e s q u e poss ib le m a i s elle

n e p o u v a i t a ccep t e r l a s é p a r a t i o n . P e u à p e u , elle ma ig r i t ,

dev in t d ' u n e ne rvos i t é q u i f rô la i t l a dép res s ion .

O n ob t in t de fa i re r e v e n i r l ' en fan t , g r âce à u n m é d e c i n q u e n o u s conna i s s ions .

C ' e s t m o i q u i fus c h a r g é e d e le r a m e n e r c h e z lui. L e t r a in f o n c t i o n n a i t encore . N o u s s o m m e s a r r ivés à H a n o ï a u x

env i rons d e minu i t . L e pe t i t a l la i t b i en . Il ava i t m a n g é , d o r m i ,

et é ta i t e n c o r e t o u t ensommei l l é . J e l 'a i p o r t é j u s q u e c h e z lui.

Q u a n d la p o r t e s ' e s t o u v e r t e , l a m è r e a r e g a r d é l ' en f an t ,

l ' a pr is d a n s ses b r a s et s e r r é c o n t r e elle c o m m e si o n v o u l a i t

le lui a r r ache r . E l l e n ' a pas d i t u n mo t . Ses y e u x é t a i e n t fixes. Puis , elle s ' e s t m i se à r i re . . .

L e pet i t , à m o i t i é e n d o r m i , b a l a n ç a i t d o u c e m e n t s a t ê t e

d ' u n cô t é e t d ' u n au t re . L e r i re con t inua i t . J e n ' a i p a s p u le

s u p p o r t e r p lus l o n g t e m p s e t je suis pa r t i e .

... D a n s c inq d i r ec t i ons

L e « s o ' t a n » fu t p o u r les famil les n o m b r e u s e s si f r é q u e n -

tes a u V i e t n a m , u n p r o b l è m e p a r t i c u l i è r e m e n t difficile à r é soud re .

— Diff ic i le sans d o u t e , ma i s p a s imposs ib l e , p r é c i s e

V . N . d e sa vo ix posée .

C e t t e voix s ' a c c o r d e avec s a d é m a r c h e , s a m a n i è r e

d ' é c o u t e r e t de h o c h e r la t ê te e n d o n n a n t à s o n r e g a r d t o u t l e

sé r ieux d e l ' h o m m e a t ten t i f qu ' i l est. S o n r i re l u i - m ê m e t r a h i t

u n f o n d d e grav i té et d e réflexion. M ê m e e n t e n u e d e « s o ' t a n »,

e n bo t tes , en b leus d e t rava i l u sagés ma i s t o u j o u r s i m p e c c a b l e -

m e n t p r o p r e s , m ê m e e n b a r b e n o i r e s u r les joues , ce q u i es t

r a re chez u n V i e t n a m i e n , V . N . r e s t e le p r o f e s s e u r d ' a u t r e f o i s ,

ses t e r m e s son t t o u j o u r s chois is , s o u v e n t c lass iques vo i r e m ê m e

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u n p e u officiels, pa r fo i s , il t i en t à ce r ta ines f o r m u l e s e t p e u t -

ê t r e l ' avons n o u s c h o q u é au d é b u t p a r le la isser-a l ler invo-

l on t a i r e d e n o t r e langage . I l s e m b l e qu ' i l a i t e n lui u n p e u des

sen tences e t d e l ' e x t r ê m e pol i tesse d e l ' anc i en V i e t n a m .

O n en est a u p r i m e a b o r d surpr i s , puis , o n s 'y h a b i t u e e t

l ' o n finit p a r e n ê t r e t o u c h é si l ' on songe q u e ce t h o m m e avec

s o n seul t r a i t e m e n t d e p r o f e s s e u r a é levé e t finit d ' é l eve r s e p t

en fan t s , d o n n a n t à c h a c u n , se lon ses d i spos i t ions , u n m é t i e r

o u u n e p r o f e s s i o n q u i lui p e r m e t t r a d ' a f f r o n t e r l a vie.

L a c o m p r é h e n s i o n e t l ' ami t i é se r e n f o r c e n t q u a n d o n

a p p r e n d , p a r d ' a u t r e s , q u e V . N . a souf fe r t d a n s les p r i sons

co lon ia les et qu ' i l p o r t e les m a r q u e s des sévices subis .

A l o r s , les f o r m u l e s d i s p a r a i s s e n t e t il n e r e s t e q u e

l ' h o m m e , qui , avec ses c a m a r a d e s , a m e n é et p o u r s u i t l a lu t te

p o u r l ' I n d é p e n d a n c e de s o n pays .

— N o u s é t ions n e u f à l a m a i s o n — s e p t en fan t s , m a f e m m e e t m o i — , V . N . s ' a r rê te , réf léchi t et d i t :

« N o u s a v o n s é té évacués d a n s c inq d i r ec t ions diffé- rentes .

L ' a î n é e , M o n g L a n : « R ê v e d ' O r c h i d é e », é t u d i a n t e à

l ' I n s t i t u t des f inances , suivi t son Un ive r s i t é d a n s l a H a u t e

R é g i o n .

L e s e c o n d C h i e m , (1) o u v r i e r spéc ia l i sé e n s o u d u r e a u t o -

gène, f u t é v a c u é d a n s la M o y e n n e R é g i o n avec l ' a te l ie r d e la « V o i x d u V i e t n a m » o ù il t ravai l la i t .

L e t ro i s i ème , Vie t , é lève d e 1 0 c lasse p r é p a r a n t l e

b a c c a l a u r é a t , suivi t s o n lycée à q u e l q u e t r e n t e k i l omè t r e s d e

la cap i ta le .

Q u a n t à moi , j ' ava is é g a l e m e n t é m i g r é à 8 0 k m de là ,

avec la s ec t i on d e f rança i s d e l ' I n s t i t u t s u p é r i e u r des L a n -

gues.

V . N . p o n c t u e ce t t e é n u m é r a t i o n d e s o n r i r e h a b i t u e l e t

a j o u t e :

— C ' é t a i t v r a i m e n t « L a fami l l e d i s p e r s é e ». — V o u s ar r iva i t - i l d e l a r é u n i r ?

(1) Chiem signifie « Regards et sous-entend que l'on doit tou- jours bien agir, car tout le monde vous regarde !

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— T r è s r a r e m e n t . Q u a n d j ' ava i s d u t e m p s e t q u ' e u x -

m ê m e s e n d i s p o s a i e n t aussi , je r e n c o n t r a i s les a înés à H a n o ï ,

ma i s ce n ' é t a i t p a s s ans r isques .

V ie t deva i t , p o u r venir , e m p r u n t e r l a r o u t e n° 1 q u i é ta i t

s a u v a g e m e n t b o m b a r d é e . M o i - m ê m e j ' a i failli ê t r e t u é à V a n - Dien .

J e n ' a i p a s v u l ' a înée p e n d a n t t o u t e u n e année . P o u r le

Tê t , elle d e v a i t p é d a l e r s u r 1 2 0 k m . J ' é t a i s s o u v e n t i nqu ie t ,

ca r elle est de s a n t é fragile.

— C e l a d e v a i t v o u s p o s e r b i e n des p r o b l è m e s f inanc iers ?

Il a, des ma ins , u n ges te fa ta l i s te q u i s e t e r m i n e p a r u n sour i re .

— L a p lus g r a n d e p a r t i e d e n o s é c o n o m i e s y a f o n d u . I l a fa l lu a c h e t e r des c o u v e r t u r e s , des v ê t e m e n t s c h a u d s ,

u n vé lo p o u r Vie t , p r é v o i r ce r ta ines s o m m e s e n cas d e m a l a d i e

des uns o u des aut res . A u t a n t d e p r o b l è m e s , m a i s je n ' é t a i s

p a s seu l à devo i r les af f ronter .

— V o u s voyiez p lus s o u v e n t v o t r e f e m m e et les q u a t r e de rn i e r s ?

— C e r t a i n e m e n t , d ' a u t a n t q u e j e deva i s les rav i ta i l le r .

M a f e m m e s ' é t a i t ins ta l l ée à H a - B a c , u n jol i vi l lage avec u n e

r iv iè re n o n c h a l a n t e e t q u e l q u e s col l ines .

L ' a î n é des q u a t r e de rn ie r s , u n g a r ç o n d e 15 ans, T u a n ,

p o r t e l e n o m d ' u n d e nos hé ro s c o m m e s o n f r è r e T o a n , d e

t ro is ans p lus j e u n e q u e lui.

Q u a n t à M o n g - L i e n , 13 ans, née ap rès la p r e m i è r e

Rés i s t ance , j e lui ai d o n n é ce n o m : « R ê v e d e l o tu s », l e

lo tus é t a n t le s y m b o l e d e la Paix . L a pe t i t e de rn i è r e , 8 ans ,

s ' appe l l e L a n - P h u o n g , « P a r f u m d ' O r c h i d é e ».

N o u s av ions e m p o r t é la m a c h i n e à c o u d r e q u e l ' o n ac- t i onne à la ma in . M a f e m m e sans ê t r e c o u t u r i è r e e s t f o r t

habi le . C ' e s t elle q u i c o n f e c t i o n n e t o u j o u r s les v ê t e m e n t s d e s

enfan t s . E l l e p o u v a i t a insi t rava i l l e r p o u r les p a y s a n s e n échange d e d ive r s p r o d u i t s d e l a te r re .

U n p a y s a n q u i p o s s é d a i t d e u x pa i l lo tes con t iguës , n o u s

e n c é d a une . A u mi l i eu d ' u n e c o u r c o m m u n e , se t r o u v a i t u n

pu i t s d o n t l ' e a u é ta i t p a r t i c u l i è r e m e n t l impide .

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L e p a y s a n ava i t n e u f enfan t s , nous , q u a t r e . A p r è s la

c lasse, ils a l la ien t tous e n s e m b l e à la pêche . M a f e m m e leu r

ava i t con fec t i onné , avec d e la to i le d e m o u s t i q u a i r e , u n e

v ing ta ine d e pe t i t s ca r re le t s d e c i n q u a n t e c en t imè t r e s d e côté.

Les gosses a t t r a p a i e n t des c reve t tes qu ' i l s p a r t a g e a i e n t en t r e

les d e u x famil les . Ils p a r t a i e n t s o u v e n t à l a n u i t avec d e

pe t i t e s l a m p e s à p é t r o l e e t c o n n a i s s a i e n t u n c o i n d e la d igue

o ù la r é c o l t e é ta i t p a r t i c u l i è r e m e n t f ruc tueuse .

Q u a n d V . N . p a r l e d e la pêche , il s ' an ime .

— M o i , j e suis p ê c h e u r , c ' es t u n e g r a n d e d i s t r a c t i o n e n d e h o r s des cours .

C e t t e p a s s i o n m ' a d ' a i l l eurs c a u s é u n e a v e n t u r e d o n t

je suis h e u r e u s e m e n t sor t i i n d e m n e .

J e vena i s a u t a n t q u e poss ib le à H a - B a c , ma i s ce n ' é t a i t

p a s d e t o u t r e p o s , 8 0 k m e t q u a t r e bacs à f r a n c h i r d a n s la

m o y e n n e région. J e péda l a i s c o m m e t o u t le m o n d e . D e H a n o ï ,

j ' a p p o r t a i s l a fa r ine , l a graisse , le bo is d e chauffage . L e p lus

e n n u y e u x , c ' é t a i t le p o n t avec ses d e u x k i l o m è t r e s e t les b o m -

b a r d e m e n t s q u i se m u l t i p l i è r e n t à p a r t i r d e 1966 . E n s u i t e ,

c o m m e j ' a i m e u n p e u t r o p la pêche , j ' a jou ta i s à m o n c h a r -

g e m e n t les cannes . . . C e s o n t ces c a n n e s qu i m ' o n t v a l u

l ' a v e n t u r e q u e je vous ai d é j à m e n t i o n n é e . C ' é t a i t s u r l a r o u t e

n° 1, j e rou la i s , é q u i p é des c h o s e s les p lus hé té roc l i tes e t s u r -

t o u t d e m e s f a m e u s e s cannes . C e l a n e m e la issai t p a s b e a u -

c o u p d e l iber té d e m a n œ u v r e s . T o u t à c o u p u n c a m i o n a surg i

d a n s u n t o u r n a n t . J e n e p o u v a i s l ' év i t e r q u ' e n m e j e t a n t su r

le ta lus e t je m e suis r e t r o u v é , m o n vé lo e t moi . . . d a n s la

t r a n c h é e b o r d a n t l a rou te . Enf in , n o u s n o u s e n s o m m e s t i rés ,

les c a n n e s e t m o i , seu l le r e s t e f u t u n p e u b o u s c u l é !

P ê c h e r sous les b o m b a r d e m e n t s p e u t p a r a î t r e e x a g é r é à

c eux q u i n ' a i m e n t p a s la p ê c h e e t p o u r t a n t o n t i ra i t le fil e t

les angui l les m a l g r é les av ions t o u r n a n t d a n s le ciel.

C ' e s t s e u l e m e n t q u a n d il p a r l e d e la pêche , q u e V . N .

s ' e m b a l l e q u e l q u e p e u e t s o r t d e s o n s tyle hab i tue l .

— J ' a i p ê c h é d e s angui l les grosses c o m m e ça. Pa r fo i s ,

j ' e n ai pr i s j u s q u ' à t ro is kilos. M e s fils e t m o i pêch ions d a n s

le f leuve q u i cou l e p r è s d u vil lage. A l ' é p o q u e des h a u t e s eaux ,

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il é ta i t p lus diff ici le d e r e t i r e r les angui l les . E l l e s v iven t s o u s

les p i e r r e s e t q u a n d elles s o n t pr ises , il f a u t p l o n g e r d a n s

l ' e a u p o u r les saisir . N o u s pas s ions là d e s heu re s , avec seu le -

m e n t u n c h a p e a u c o n t r e le soleil , t o r s e nu , e n ca l eçon , p r ê t s

à p longer .

A u f o n d , s i l e « s o ' t a n » é ta i t d u r , il ava i t ses b o n s m o m e n t s .

P e n d a n t trois ans, l a fami l le es t r e s t ée à H a - B a c , a i d a n t

les p a y s a n s e t a idée p a r eux. E n d e h o r s d e s c lasses , les en fan t s

les a c c o m p a g n a i e n t d a n s les c h a m p s , a p p r e n a n t à m a n i e r

l ' écope , à r e p i q u e r le r i z e t à m o i s s o n n e r . L e s p a y s a n s n o u s

d o n n a i e n t d u m a n i o c q u i p o u s s e en a b o n d a n c e s u r les p e n t e s .

J e l e u r offrais d e s angui l les , d u po i s son , des m é d i c a m e n t s q u e

je r a p p o r t a i s d ' H a n o ï , e t m a f e m m e , q u i ava i t appr i s à f a i r e

les p i q û r e s p e n d a n t l a p r e m i è r e R é s i s t a n c e , les so igna i t q u a n d ils é t a i e n t m a l a d e s .

T o a n , q u i dess ina i t assez b ien , fa i sa i t des aff iches p o u r

la c o o p é r a t i v e . J u c h é s u r u n t a b o u r e t , c a r il é t a i t pe t i t , il

pe igna i t avec d u n o i r de f u m é e , s u r u n p a n n e a u e n b r i q u e s

b l anch ie s à l a c h a u x , u n av ion q u i t o m b a i t , i n sc r ivan t à c ô t é

le n o m b r e d ' a p p a r e i l s e n n e m i s d e s c e n d u s p a r les nô t res .

D ' a u t r e s fois, il dess ina i t u n buff le m a i g r e , e t u n buf f le

gras, p o u r e n c o u r a g e r les p a y s a n s à p r e n d r e so in d e l eurs bêtes .

D e s en fan t s aussi , p a r t a n t p o u r l ' éco le , s ans avo i r oub l i é

leurs c h a p e a u x p r o t e c t e u r s c o n t r e les b o m b e s e t le b o u c l i e r d e

pai l le t ressée b i e n a t t a c h é d a n s le dos .

C ' é t a i t enfin, à l ' é p o q u e d e s c rues , les m o t s d ' o r d r e

a p p e l a n t l a p o p u l a t i o n à p r é v e n i r l ' i n o n d a t i o n p o u r la p r o t e c - t ion d e s récol tes .

T o a n é ta i t e n q u e l q u e so r t e d e v e n u le p e i n t r e officiel d e

la c o o p é r a t i v e !

L e s enfan t s d e v a i e n t e s c a l a d e r l a col l ine e t f a i r e d e u x

k i lomè t r e s p o u r a l ler à l ' éco le d u vil lage. Ils t r ava i l l a i en t

n o r m a l e m e n t e t f a i sa i en t p a r t i e des p ionn ie r s .

Pe t i t s c i tadins , ils i g n o r a i e n t e n a r r i v a n t t o u t e l a v ie d e

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l a c a m p a g n e . U n j o u r , e n t e n d a n t u n c r a p a u d buff le , le p lus j e u n e d i t à s a m è r e :

« M a m a n , il y a u n v i eux q u i t ous se a u f o n d d e l a t r a n c h é e . »

Q u e l q u e s m o i s ap rès , ils é t a i e n t e u x - m ê m e s des c a m -

p a g n a r d s a l l an t avec les pet i t s p a y s a n s r a m a s s e r d u bo i s s u r

les col l ines , a p p r e n a n t à c o n n a î t r e e t à so igne r les an imaux .

T r o i s ans n o u è r e n t e n t r e n o u s et les p a y s a n s d e sol ides l iens d ' ami t i é . A c t u e l l e m e n t , ils v i e n n e n t n o u s vo i r à H a n o ï

e t n o u s y a l lons a u x vacances . Q u a n d n o u s r e n t r o n s , les

v i eux n o u s r e c o n d u i s e n t e n p l e u r a n t e t les j eunes nous d o n -

n e n t d u m a n i o c , des pa t a t e s e t d e s p o m m e s cannel les .

J e r e t r o u v e t o u j o u r s avec p la is i r , l e p r o f e s s e u r d e m e s

e n f a n t s e t les c a m a r a d e s d e la c o o p é r a t i v e avec q u i n o u s

é c h a n g e o n s d e s idées s u r l ' a m é l i o r a t i o n des cu l tu re s , c a r je

suis, m o i aussi , d e v e n u à l e u r c o n t a c t , u n p a y s a n .

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L A F A M I L L E D I S P E R S É E

Q u a n d les b o m b a r d e m e n t s s ' a c c e n t u è r e n t e n 1 9 6 6 ,

l ' e x o d e des pet i t s c i tad ins vers les vi l lages d e l ' i n t é r i eu r f u t

généra l . H a n o ï b r u y a n t d e t a n t d e cris n ' e u t p lus a lors q u e

celui des cigales, c r i s s an t à ce t t e é p o q u e d e l ' a n n é e d a n s les

a rb res des avenues . (1)

L e s fami l les f i rent l ' imposs ib l e p o u r r e c o n s t i t u e r , n e

se ra i t -ce q u e p e n d a n t q u e l q u e s heures , l e u r foye r d i s loqué .

L e s l iens fami l iaux , d a n s ce pays d e vieilles t r ad i t i ons , rés is -

t è r en t a u x b o m b e s , aux longues r o u t e s b o u e u s e s , sous la p lu i e

d e s m o u s s o n s , q u e d e s h o m m e s et des f e m m e s h a r a s s é e s

ma i s t enaces , s i l lonna ien t à vélo d e j o u r e t s u r t o u t d e nu i t , les fins d e s ema ine .

I l y ava i t auss i les l e t t res qu i p a r v e n a i e n t g é n é r a l e m e n t

à des t ina t ion , d ' u n e f a ç o n o u d ' u n e aut re . . . A u V i e t n a m , o n

sai t ê t re à l a fois p a t i e n t et ingénieux . I ngén ios i t é q u i n o u s

s u r p r e n d , p a t i e n c e q u i n o u s f r a p p e p lu s enco re , n o u s les gens

pressés p o u r les choses les p lus fut i les .

Sans d o u t e , suffit-i l d e p a r c o u r i r ces l e t t res écr i tes s u r

des feui l les o u des f r a g m e n t s d e p a p i e r les p lus divers , p o u r

c o m p r e n d r e m i e u x l ' e n r a c i n e m e n t d e ce t t e r é s i s t a n c e v i e tna -

m i e n n e qu i é t o n n e le m o n d e .

L e t t r e s d o n t l a s impl ic i t é é m e u t . L e t t r e s d e r e s p o n s a -

bi l i té les uns envers les au t res , d ' a f f e c t i o n e t d ' e s p o i r , d ' u n e

fami l le d i spe r sée p a r m i des mil l iers d ' a u t r e s .

D i c h V a n , « N u a g e », l ' a î née d e s t ro i s e n f a n t s ava i t

a lors 12 ans, H u y , 10 ans e t Q u a n g , 8 ans s e u l e m e n t . L e

pè re , j ou rna l i s t e s ' o c c u p a n t d e r e v u e s e t d e t r a d u c t i o n s , d e -

va i t r e s t e r à H a n o ï . L a m è r e , m é d e c i n auxi l ia i re , r é d a c t r i c e

dans u n e p u b l i c a t i o n m é d i c a l e , vi t u n e p a r t i e d e s o n se rv ice

t r ans f é r ée au vi l lage d e D.S. , d a n s l a p r o v i n c e d e H a - B a c , à

(1) Voir en annexe : « Une capitale sans enfant ».

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3 0 k m e n v i r o n d e H a n o ï , d e l ' a u t r e cô té d u F l e u v e R o u g e ,

s u r ce t t e r o u t e n° 1, a n c i e n n e « R o u t e M a n d a r i n e », q u i f u t

l ' u n e des p lus b o m b a r d é e s p a r l ' av i a t i on amér ica ine . L a m è r e

d e v a i t f a i r e l a n a v e t t e e n t r e D.S. e t H a n o ï : n a v e t t e auss i épui -

s a n t e q u e d a n g e r e u s e , ma i s d u m o i n s eut-el le , p o u r q u e l q u e

t e m p s , le pr iv i lège d e vo i r u n p e u p lus s o u v e n t ses en fan t s

é v a c u é s d a n s le m ê m e village.

Ains i , l a v ie c o n t i n u a p o u r ce t t e famil le , vie j a l o n n é e

d ' e x p é d i t i o n s difficiles, d e le t t res , d ' a t t en t e s , d e cour tes joies

o ù tous se t r o u v a i e n t r éun i s , de d é p a r t s , vie avec s o n f o n d

d ' i n q u i é t u d e s e t p o u r t a n t d ' e s p é r a n c e au long des mo i s f r a p p é s

p a r les b o m b e s ennemies .

H a n o ï , 8 ju i l le t 1 9 6 5 .

L e t t r e d u p è r e a u x enfan t s :

« J ' a i r e c o m m a n d é à M a m a n d e vous r a p p e l e r d e

m 'éc r i r e . C o m m e elle, il m e s e m b l e q u e vous êtes auprès d e

moi . J e re l i e ra i vos le t t res p o u r e n fa i re u n recue i l q u e n o u s

r e l i rons p l u s t a rd , ensemble .

V o u s êtes e n c o r e e n vacances e t vous d e v e z e n prof i te r

p o u r é tud i e r u n p e u le p r o g r a m m e d e v o t r e f u t u r e classe.

V a n , t u dois t e d é b r o u i l l e r p o u r a c h e v e r les m a t h s d e la

c lasse d e s ix i ème (1), ainsi q u e le p r o g r a m m e d e l i t t é r a tu re

v i e t n a m i e n n e et d ' H i s t o i r e . D a n s l ' ap rès -mid i , t â c h e d e

m ' é c r i r e u n e l o n g u e l e t t r e c o m m e si t u faisais u n e r édac t ion .

H u y , tu as p u fa i re l a m o i t i é d u p r o g r a m m e de m a t h s d e

t ro i s i ème , ma i s t u fais b e a u c o u p t r o p d ' e r r eu r s . F a i s a t t en t ion

à l ' o r t h o g r a p h e s i n o n t u r e d o u b l e r a s .

Q u a n g , t u au ra i s p u t e r m i n e r la r év i s ion des m a t h s d e

la p r e m i è r e classe. Si M a m a n a le t e m p s d e t ' a i de r à rév i se r

u n e s e c o n d e fois tu p o u r r a s te débrou i l l e r .

(1) La sixième classe correspond à la cinquième des lycées français.

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L e s q u e l q u e s feui l les d e V a n N i e n T h a n h (1) q u e t u m ' a s

r a p p o r t é e s s o n t m a i n t e n a n t t rès belles. J e les ai mi ses d a n s

u n vase q u e j ' a i p o s é s u r l a t ab l e avec u n e n a p p e d e ny lon .

C ' e s t t rès jol i (2).

V a n , t u do is s ans cesse r a p p e l e r à tes f rè res d e n e p a s

s ' a m u s e r au soleil q u a n d il fa i t t r o p c h a u d .

L ' a u t r e j ou r , j ' a i v u u n fi lm c o r é e n s u r l a g u e r r e c o n t r e

les A m é r i c a i n s . L e p e u p l e c o r é e n es t v r a i m e n t c o u r a g e u x .

J e suis s û r q u e H u y e t Q u a n g a u r a i e n t a i m é le voir .

D i m a n c h e , je p é d a l e r a i p o u r ven i r v o u s voir . »

1 9 a o û t 1 9 6 5 .

L e t t r e d e V a n à s o n p è r e :

« C h e r P a p a ,

H i e r , les « Onc le s » (3) d u b u r e a u n o u s o n t p e r m i s d e

j o u e r a u foo tba l l avec eux. M o i , j ' é ta i s « goa l ». C ' é t a i t

d rô l e d ' a t t r a p e r l a ba l l e a u vol.

N o u s é levons d e u x oies e t c i n q pou les . L ' u n e p o n d d e s

œufs de t e m p s e n t emps . C e m a t i n , elle e n a p o n d u u n t rès

long. . . »

5 s e p t e m b r e 1 9 6 5 .

L e t t r e d e V a n à s o n p è r e :

« H i e r soir , a u x env i rons d e n e u f heu re s , j ' a i c o m -

m e n c é à a p p r e n d r e à d a n s e r a u x amies d ' i c i (4).

(1) Van Nien Thanh : la plante qui reste verte pendant mille ans ! Souvent, on prend une ampoule électrique hors d'usage, on enlève la douille, on la remplit d'eau et l 'on y met la plante. Puis on suspend ce vase original à la fenêtre.

(2) Il faut savoir les difficultés du logement qui assaillent les Vietnamiens dans les villes et l'exiguïté des pièces, où souvent des familles entières doivent s'entasser, pour comprendre la valeur de ce bouquet de feuilles sur sa nappe de nylon.

(3) L'appellation « Oncle » est donnée non seulement aux parents mais aux amis.

(4) Petite citadine, Van sait mieux danser que ses camarades de la campagne.

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P e n d a n t q u e n o u s dans ions , u n a v i o n avec u n s ignal

r o u g e t rès b r i l l an t es t passé , pu i s s ' e s t éloigné. N o u s avons

e n t e n d u u n e exp los ion , l ' av ion a r a l en t i e t s o n s ignal s 'es t

é te int . N o u s n ' e n t e n d i o n s p lus s o n m o t e u r . A lo r s , u n av ion des

n ô t r e s avec u n s ignal v e r t e t r o u g e a su rvo lé le vil lage. L e

b r u i t d e ses m o t e u r s é ta i t b e a u c o u p p lus léger q u e ce lu i d e

l ' a v i o n ennemi . Sans d o u t e , n o t r e a v i o n pour su iva i t - i l l ' au t re . N o t r e m o n i t r i c e es t a lors arr ivée. E l l e v e n a i t d e fa i re

s e p t k i l o m è t r e s à p ied . T o u t e s les c a m a r a d e s p e n s a i e n t qu ' e l l e

é ta i t t rès b rave . M o i , j e m e disais q u ' a v e c la l u n e c ' é t a i t

n o r m a l . . . L a seu le c h o s e d o n t j ' a i p e u r , ce s o n t les se rpen ts . >

1 7 s e p t e m b r e 1 9 6 5 .

L e t t r e d u p è r e à V a n :

« L o r s q u e Q u a n g es t v e n u q u e l q u e s j ou r s à H a n o ï , il

a é té t rès sage. I l a r e v u ses l eçons , n e t t o y é le p l a n c h e r , l avé

la vaissel le e t il es t allé c h e r c h e r le r iz sans rech igner .

D i s t o u j o u r s à tes f rè res d ' ê t r e auss i sages p o u r f a i r e

p la i s i r à M a m a n .

M a i n t e n a n t q u e n o u s rés i s tons a u x A m é r i c a i n s , vous

d e v e z ê t r e genti ls et b r a v e s c o m m e le pe t i t N g o c d e T h a n h -

H o a (1). L e c a m a r a d e C a n d o i t r e t o u r n e r à T h a n h - H o a p o u r

se d o c u m e n t e r s u r l a v ie d e N g o c e t écr i re son his to i re .

V a n , l ' au t r e jour , e n t r a v e r s a n t le p o n t D u o n g , q u a n d la

D . C . A . s 'es t m i se à t i r e r c o n t r e les av ions ennemis , t u as

p e r d u le c o n t r ô l e d e t o i - m ê m e . C e n ' e s t p a s bien. E n face

d u d a n g e r t u do is ê t r e ca lme . (2)

(1) Ngoc : enfant qui a sauvé ses petits camarades aux dépens de sa vie pendant un bombardement.

Thanh-Hoa sur la route n° 1 conduisant au 17 parallèle est à 175 k m de Hanoï.

(2) Le père fait allusion à un incident qui s'était produit quel- ques semaines auparavant à l'occasion d'une trève. Il le raconte ainsi : « Nous traversions le pont qui mesure environ 300 mètres. On ne s 'attendait pas à un raid aérien. Quand au milieu du pont, la D.C.A. brusquement éclata. Les gens se sont mis à courir, certains abandonnant palanche et charges de riz. Nous continuions à pousser

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1 8 s e p t e m b r e 1 9 6 5 .

L e t t r e d e V a n à s o n p è r e :

« C e m a t i n , l e c o c h o n d e M a d a m e V u o n g (1), s ' e s t e n -

fui. C ' e s t m o i q u i l 'a i r a t t r a p é e t q u i l ' a i fai t r e n t r e r d a n s la

po rche r i e .

C h a q u e j ou r , j e fais de la g y m n a s t i q u e p o u r r e s t e r e n fo rme . J e la fais d a n s la c o u r d e la c a n t i n e o ù il y a p l u s

d e place.

H u y e t Q u a n g , m e v o y a n t f a i r e d e l ' exerc ice , e n f o n t au tan t . »

L e t t r e d e H u y à son p è r e :

« L ' a u t r e j ou r , e n a l lan t à l ' éco le , j e m e suis a r r ê t é p o u r vo i r les mil ic iens fa i re l ' exerc ice . C ' é t a i t f o r m i d a b l e . Ils r o u -

la ien t p a r te r re , puis , t o u r n a i e n t e t r e c o m m e n ç a i e n t . L e t a m - t a m a re tent i . J ' a i d û al ler e n classe. »

3 o c t o b r e 1 9 6 5 .

H u y à son p è r e :

« L e 2 9 s e p t e m b r e , n o u s s o m m e s v e n u s en classe, m a i s

l ' i n s t i tu teur n ' é t a i t p a s e n c o r e ar r ivé , a lors n o u s a v o n s j o u é

a u c o m m a n d o (2). Q u a n g e t mo i , n o u s é t ions c h a r g é s d ' a r r ê t e r

notre vélo. Van avançait en tremblant, demandant à chaque instant : « Papa, qu'est-ce qu'il faut faire ? ». Je répondais : « Avance vite, ne te trouble pas ». Pourtant mon cœur battait à se rompre et les derniers 100 mètres m'ont pa ru interminables. » Hanoï n'était pas alors bombardée, mais fréquemment survolée et la D.C.A. ouvrait le feu.

(1) Madame Vuong est la paysanne chez laquelle étaient les enfants.

(2) Jeu préféré des enfants pendant l 'évacuation inspiré d 'un fait de la guerre elle-même. Les avions américains larguaient dans la haute région des « commandos » saïgonnais chargés d'activités de sabotage.

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le « commando ». Ils étaient deux, nous n'avons pu en attra- per qu'un. A ce moment-là, un serpent est sorti d'une touffe de bambous. Nous lui avons lancé des mottes de terre mais il s'est échappé. »

4 octobre 1965.

« Hier, nous avons construit une nouvelle cuisine dans la maison de Madame Vuong. Nous avons aidé à apporter la paille pour le bétail. J'ai grimpé sur la charpente de bambou pour m'amuser. »

5 octobre 1965.

« Nous sommes allés voir une pièce de Cheo (1) à la pagode du village (2)... »

10 octobre 1965.

Van à son père :

« Cher Papa,

Aujourd'hui, nous avons interrogation écrite de géogra- phie. J'ai été un peu fatiguée. J'ai eu beau étudier, les noms barbares s'enchevêtraient dans ma tête. Pour les camarades, c'était pareil.

J'ai bien peur, cette fois, d'avoir un 2. » (3)

(1) Pièce de théâtre classique populaire. (2) Certaines lettres comme celle-ci, prennent la forme d'un

journal, d 'autres comme la précédente sont collectives. (3) Notation sur 5 selon la méthode soviétique.

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11 o c t o b r e 1 9 6 5 .

Q u a n g à s o n p è r e :

« H i e r , j ' a i m e n é p a î t r e le b œ u f d e M a d a m e V u o n g

d a n s le sen t ie r q u i t r a v e r s e la r iz ière . J ' é t a i s g r i m p é s u r s o n

dos , ma i s il a c o m m e n c é à b r o u t e r les j e u n e s p l a n t s d e r i z e t

j ' a i d û d e s c e n d r e p o u r le c o n d u i r e e t l ' e m p ê c h e r d ' a r r a c h e r

les p lants . »

1 8 o c t o b r e 1 9 6 5 .

H u y à s o n p è r e :

« C h a q u e m a t i n , je fais d e la g y m n a s t i q u e e n m e l evan t .

J e fais le t o u r de la c o u r d e la c a n t i n e e n c o u r a n t p o u r m e

réchauf fe r . E n s u i t e , j e m e lave, j e m a n g e e t j e m ' e n vais e n classe. . . »

2 9 o c t o b r e 1 9 6 5 .

Q u a n g à son p è r e :

« L e s avions e n n e m i s o n t l â c h é d e s t r a c t s s u r l e vi l lage.

L e soir , les mil ic iens o n t t e n u u n e r é u n i o n a v e c les p i o n - niers . . . »

11 n o v e m b r e 1 9 6 5 .

H u y à s o n p è r e :

« A v a n t - h i e r , ap rès le d é j e u n e r , je m e suis e n d o r m i e t

ne m e suis révei l lé q u ' à t ro i s heu re s . C ' e s t Q u a n g q u i m ' a

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appe lé . J ' a i c o u r u à t o u t e v i tesse ma i s il y ava i t d é j à u n e

l e ç o n d e fai te . »

1 2 n o v e m b r e 1 9 6 5 .

« H i e r , ap rès avo i r é t u d i é u n e leçon, j ' a i é g r e n é les épis

d e r iz avec M a m a n . N o u s fa is ions p a r t i e d e la d e u x i è m e

équipe . . . »

3 0 n o v e m b r e 1 9 6 5 .

Q u a n g à son p è r e :

« M a d a m e V u o n g n o u s a offer t l a soupe . V a n l ' a t r o u v é e

si b o n n e , q u ' a p r è s avoi r fini s a p a r t , elle a pr i s d ' a b o r d u n e

cu i l l e rée d a n s m o n bo l , pu is u n e au t re . E l l e m ' a d e m a n d é

si elle p o u v a i t en p r e n d r e encore . J ' a i accepté . »

6 d é c e m b r e 1 9 6 5 .

V a n à s o n p è r e :

« Q u a n d t u es p a r t i h ier , j ' a i c o u r u p o u r al ler a u cou r s

c o m p l é m e n t a i r e (1). L a p lu i e c o m m e n ç a i t à t o m b e r . J e suis

j u s t e a r r ivée p o u r l ' appe l . L a p lu i e a c o n t i n u é d e t o m b e r et

a t r a v e r s é le to i t e n p lu s i eu r s endro i t s . . . »

7 d é c e m b r e 1 9 6 5 .

« Il c o n t i n u e d e p leuvo i r . L e v e n t chasse la p lu ie j u s q u e

d a n s la classe. T o u t e s t m o u i l l é : les tables , les b a n c s , le

(1) Cours complémentaire pour expliquer à nouveau certaines leçons, cours qui est facultatif.