LES PLANTES EXOTIQUES

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CHAPITRE 12 LES PLANTES EXOTIQUES ENVAHISSANTES Christophe Lavergne A vec la banalisation des transports internationaux, les importations volontaires et involontaires de végétaux, les boisements artificiels d’essences exotiques, nous assistons à des intrusions intempestives d’espèces et à des extensions rapides et imprévues de plus en plus nom- breuses. Elles peuvent prendre une allure de catastrophe écologique quand les nouveaux venus, trouvant dans le pays d’accueil un territoire favorable où aucun facteur ne limite leur expansion, se font envahis- sants au point d’éliminer parfois la flore indigène. Pourquoi une espèce végétale non envahissante dans son milieu d’origine, où elle vit en équilibre dans la végétation naturelle, est-elle capable de devenir une « peste » si elle est introduite dans un site étranger ? Cette transformation est-elle due à des aptitudes architecturales, à des traits d’histoire de vie ou à l’absence de parasites et de prédateurs naturels ? Implique-t-elle des changements dans le génome de la plante ? Bien que les invasions concernent divers groupes taxonomiques, nous n’aborderons ici que le problème des plantes vasculaires envahissant les milieux naturels et semi-naturels ; les mauvaises herbes et les plantes adventices des cultures seront exclues. Nous entendons par plantes exo- Page de droite : Le longose, Hedychium gardnerianum, envahit par- ticulièrement les sous-bois, ici celui de la laurisylve, aux Açores. Cette herbe se propage à la fois par la croissance de ses rhizomes au sol et par la dispersion de ses graines par les oiseaux. 12-Les plantes exotiques envahissantes 13/06/08 12:08 Page 364

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C H A P I T R E

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LES PLANTES EXOTIQUESENVAHISSANTES

Christophe Lavergne

Avec la banalisation des transports internationaux, les importationsvolontaires et involontaires de végétaux, les boisements artificiels

d’essences exotiques, nous assistons à des intrusions intempestives d’espèces et à des extensions rapides et imprévues de plus en plus nom-breuses. Elles peuvent prendre une allure de catastrophe écologiquequand les nouveaux venus, trouvant dans le pays d’accueil un territoirefavorable où aucun facteur ne limite leur expansion, se font envahis-sants au point d’éliminer parfois la flore indigène.

Pourquoi une espèce végétale non envahissante dans son milieu d’origine, où elle vit en équilibre dans la végétation naturelle, est-ellecapable de devenir une «peste» si elle est introduite dans un site étranger?Cette transformation est-elle due à des aptitudes architecturales, à destraits d’histoire de vie ou à l’absence de parasites et de prédateurs naturels?Implique-t-elle des changements dans le génome de la plante ?

Bien que les invasions concernent divers groupes taxonomiques, nousn’aborderons ici que le problème des plantes vasculaires envahissant lesmilieux naturels et semi-naturels ; les mauvaises herbes et les plantesadventices des cultures seront exclues. Nous entendons par plantes exo-

Page de droite :Le longose, Hedychiumgardnerianum, envahit par-ticulièrement les sous-bois,ici celui de la laurisylve, auxAçores. Cette herbe se propageà la fois par la croissance deses rhizomes au sol et par ladispersion de ses graines parles oiseaux.

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tiques envahissantes, ou invasives, des espèces introduites par l’homme,volontairement ou non, sur un territoire où elles n’existaient pas, pro-duisant souvent de nombreux descendants fertiles pouvant être disper-sés à des distances considérables des pieds mères, avec la capacité derecouvrir de grandes surfaces et de menacer les plantes indigènes et leurshabitats (Richardson et al., 2000).

Nous discuterons ici les activités humaines à l’origine de l’introduc-tion de plantes dans de nombreux pays, puis les mécanismes aboutissantà une invasion. Nous verrons ensuite les conséquences de cette dernièresur la biodiversité, et enfin les moyens de lutte et les frontières de laconnaissance en écologie des invasions.

COMMENT UNE PLANTE EST-ELLE INTRODUITE?

Les activités humaines jouent un rôle crucial dans l’introduction et ladispersion des plantes. Les introductions sont pour la plupart volon-taires, mais certaines espèces franchissent clandestinement les frontièreset empruntent des chemins insoupçonnés. Selon son intérêt, ornemental,

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médicinal ou agricole, une plante va être propagée plus ou moins rapi-dement, l’homme étant le vecteur le plus efficace pour rompre l’isolementgéographique.

Les plantes ornementales, beautés fatales

Le marché des plantes ornementales est actuellement la source la plusimportante d’introduction de belles créatures parfois envahissantes.L’industrie végétale, aujourd’hui en pleine expansion, propose à traversles hypermarchés, les jardineries et les pépinières un choix considérabled’espèces, variétés ou cultivars, sans se soucier du potentiel invasif queprésentent certaines d’entre elles. Ce commerce vert entraîne des flux deplantes venant des quatre coins du monde ; des milliers d’espèces, avecou sans fleurs, sont introduites officiellement, en vertu d’un fâcheuxlibre-échange dicté par l’Organisation mondiale du commerce. Il est facilede commander et de recevoir par Internet des graines en provenance duJapon, d’Australie, d’Amérique ou d’Afrique. En Europe, aucune loi n’em-pêche la circulation de graines par colis postal. Peut-être avez-vous déjàramené de vos voyages, pour votre jardin, des fruits, des graines ou desboutures? Chez combien de passionnés de plantes succulentes, palmiers,bambous ou orchidées, ce geste est-il devenu une obsession ? Mimosa,buddleia, berce du Caucase, herbe de la pampa, rhododendron, griffe desorcière en Europe, Cryptostegia, Thunbergia, tamaris ou troène enAustralie, chèvrefeuille, clématite vigne blanche, genêt à balai ou passi-flore-banane en Nouvelle-Zélande, lantana, jacinthe d’eau, tulipier duGabon, longose dans les régions tropicales : toutes ces espèces sont deve-nues des «beautés fatales» dans leur pays d’introduction.

L’agriculture, source d’introductions

La diversification agricole a entraîné la culture à grande échelle denombreuses plantes introduites à valeur économique ; débarrassées deleurs ennemis naturels, elles fournissent des récoltes rentables. Certainesd’entre elles, devenant prolifiques, échappent à la domestication, enva-hissent les espaces naturels et menacent la survie des plantes indigènes.

Les Légumineuses fourragères ou antiérosives détiennent le record dunombre d’espèces envahissantes. Des paysages évoquant la Bretagne,dominés par l’ajonc d’Europe, Ulex europaeus, sont apparus en Amérique,en Afrique, à la Réunion, en Asie, en Indonésie, en Australie, enNouvelle-Zélande et au Japon. Dans les années 1930, le service américainde protection des sols a multiplié et vendu aux agriculteurs des millions

Histoire des invasionset mondialisation

« The history of weed is the history of man. »

Anderson (1952)

La dérive des continents et lesbarrières géographiques – océans,lacs, montagnes, déserts, îles –ont permis, au cours de l’évolu-tion, l’apparition et la diversifica-tion des espèces. La mondialisa-tion actuelle, avec les échangesinternationaux et les introductionsmultiples de plantes, entraîne unesorte d’évolution inversée ou dedérive des continents à rebours.Des espèces éloignées les unesdes autres pendant des millionsd’années se trouvent à nouveauréunies. Ces rapprochementssubits des flores ne sont pas sansconséquences : les barrières étantrompues, les espèces les plus

compétitives déploient leurs stra-tégies d’établissement et colonisent,avec l’aide de l’homme, de nou-veaux territoires. Pour survivre, denombreuses espèces indigènes seréfugient dans des sanctuaires devégétation originelle ou, ne pou-vant résister à l’envahisseur, ellesdisparaissent.Au cours de l’évolution, « toutesles espèces sont ou ont été desenvahisseurs à un moment de leurhistoire » (Gouyon et al., 1989).Nous connaissons mal les paléo-invasions, mais il est certain queles invasions biologiques sontnaturelles et ont toujours existé. Sile tamarin des Hauts, Acacia hete-rophylla, est endémique de laRéunion, son ancêtre est arrivésur l’île depuis l’Australie, sous laforme de graines transportées parun cyclone ou bien par des cou-rants marins ; sur les hauteurs de

l’île, les graines ont pu germer,puis se différencier en une nouvelle espèce. Comme de nom-breux acacias, il a probablementcolonisé d’importants espacesvierges avant de trouver un équilibre entre 1 200 et 2300 md’altitude, où il forme actuelle-ment une forêt indigène typique.À l’heure actuelle, le rythme desmigrations de plantes assistées parl’homme s’accélère et celui desinvasions aussi. À la Réunion,avant l’arrivée de l’homme il y a300 ans, un genre s’installait tousles 5 000 à 6 000 ans, et la radia-tion évolutive des genres a produit833 espèces indigènes. Le tauxd’introduction actuel est 50000 à60 000 fois plus rapide.

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de kudzus, Pueraria montana var. lobata, une liane d’Asie, afin de préve-nir l’érosion des sols arables. Aujourd’hui, le kudzu a transformé les pay-sages, recouvrant tout sur son passage, en Floride, à Hawaii et dans leTransvaal, en Afrique du Sud. Recommandé pour le reboisement etcomme plante fourragère, le petit arbre Leucaena leucocephala formeactuellement d’immenses fourrés impénétrables dans toutes les îles indo-pacifiques où il a été introduit. Quant à Prosopis juliflora, il a colonisé desmillions d’hectares dans le Queensland australien.

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Des plantes introduites pour l’aménagement du territoire

Pour végétaliser les bords de route, voies ferrées et espaces publics,les paysagistes choisissent leurs plantes selon des critères esthétiques etéconomiques, leur type biologique, leur forme, le volume final occupé,la commodité de culture et d’entretien ; leur potentiel envahissant n’estpas pris en compte, négligence très onéreuse quand il s’agit de contrôlerl’herbe de la pampa, Cortaderia selloana, en Aquitaine, aux abords desautoroutes transformées en prairies argentines, ou dans le Midi, enCamargue en particulier.

Certaines espèces exotiques sont utilisées pour lutter contre l’érosiondes sols ou pour stabiliser les dunes : le genêt à balai, Cytisus scoparius,d’Europe atlantique et centrale, a été volontairement propagé enAmérique du Nord, où il a recouvert plus de 800 000 ha de prairies et deforêts. Les genêts étant très inflammables, l’intensité et la fréquence desincendies ont augmenté. Des bactéries fixant l’azote atmosphériquevivent en symbiose dans leurs racines, d’où un enrichissement du sol enazote qui exclut diverses espèces indigènes ne pouvant tolérer ce processus.

Des ligneux exotiques pour la sylviculture

La surconsommation de bois a entraîné l’introduction de centainesd’espèces ligneuses exotiques. Des milliers d’hectares d’essences à crois-sance rapide, demandant peu d’entretien, assurent une production ren-table. Les programmes d’aide aux pays en voie de développement font lapromotion de pins et d’eucalyptus. Binggeli et al. (1998) estiment que235 espèces d’arbres et d’arbustes introduits se sont établies et propagéesdans les milieux naturels à travers le monde. En Afrique du Sud, lesplantations d’acacias, d’eucalyptus et de pins ont conduit à l’épuisementdes ressources en eau et à l’envahissement du fynbos, l’un des milieuxnaturels les plus riches du monde.

La responsabilité des botanistes et des industriels

Les jardins botaniques sont la porte d’entrée de nombreuses plantesenvahissantes. Certains, comme le jardin de Pamplemousse à l’îleMaurice (1729), celui de Jamaïque (1774) ou celui de Peradeniya au SriLanka (1821), ont été les lieux privilégiés d’introductions à des fins économiques, médicinales ou ornementales. Un réseau d’échanges entrejardins botaniques existait à l’époque coloniale, dirigé depuis la ville de Kew.

Introduit comme plantefourragère, Leucaena leuco-cephala (ici en fleur) estdevenu très envahissant dansles îles indo-pacifiques. Il estextrêmement difficile de l’éli-miner car ses graines peuventpersister dans le sol pendantdes dizaines d’années.

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Il est impossible d’empêcher le ventd’emporter des graines, un oiseau deconsommer des fruits ou un visiteur deprélever des graines ou une bouture. C’estainsi que les samares de la liane papillon,Hiptage benghalensis, se sont envolées dujardin de Pamplemousse pour colonisertoutes les reliques de forêts sèches. Le lau-rier de Victoria, Pittosporum undulatum, ori-ginaire d’Australie et introduit en Jamaïqueen 1883, s’est échappé du Cinchona BotanicGarden, envahissant plus de 1300 hectaresde forêts primaires (Goodland et Healey,1996).

En 1990, au cours d’un programme dediversification des fruits tropicaux, ledépartement des productions fruitières ethorticoles du CIRAD a introduit à laRéunion la grenadine-banane, Passiflora tri-partita var. mollissima, une passiflore trèsenvahissante en Nouvelle-Zélande et àHawaii ; cette liane connaît un certain suc-cès et commence à se naturaliser. De même,l’icaquier, Chrysobalanus icaco, a été officiellement introduit sur l’île alorsqu’il était connu pour être invasif aux Seychelles et en Polynésie fran-çaise. Cette introduction volontaire à la Réunion montre à quel pointest faible la prise de conscience des risques d’invasion.

Les voies d’introductions involontaires ou accidentelles

Des graines d’espèces envahissantes sont parfois introduites acciden-tellement, mélangées à des semences importées. Des akènes deParthenium hysterophorus, une mauvaise herbe d’Amérique subtropicale,ont ainsi été introduits involontairement avec des céréales importéespour venir en aide à l’Éthiopie touchée par la famine dans les années1980. Depuis, le Parthenium ne cesse de s’y propager, créant de gravesproblèmes agricoles, d’environnement et de santé humaine – intoxica-tions dues à sa tisane, plante et pollen allergènes.

Certaines pestes végétales ont fait gratuitement le tour du mondedans des conteneurs de marchandises, des sacs de terre ou des pots defleurs. Des graines font de l’« auto-stop », collées aux vêtements, aux

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La liane papillon Hiptagebenghalensis est capabled’étrangler littéralement sonsupport – ici le tronc et lesbranches du bois d’ortie(Obetia ficifolia), une espèceendémique menacée auxMascareignes.

Hiptage benghalensis agitcomme un véritable « cancervégétal » pour les restes deforêt indigène : elle recouvre lavégétation en formant unmatelas au-dessus de la canopée et étouffe les arbres,qui disparaissent écrasés sousson poids.

L’arbuste Chrysobalanusicaco a été introduit autre-fois pour lutter contre l’éro-sion des sols. Mais qui auraitprévu qu’il formerait des four-rés impénétrables auxSeychelles, à Madagascar eten Polynésie française ?

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aux sols, aux climats, aux perturbations, aux pathogènes, aux insectes etmammifères herbivores. Il lui faudra ensuite se reproduire et établir despopulations stables. Les espèces cultivées, spontanées ou adventices descultures n’atteignent ce stade que si elles sont maintenues par l’homme ;puis elles doivent s’échapper du champ, du jardin ou du bord de route.Elles passent la barrière qui les empêchait de redevenir sauvages : elles senaturalisent. Elles doivent alors sauter la dernière barrière, c’est-à-direexploiter les conditions favorables de l’habitat d’accueil, une perturbationpar exemple : elles sont devenues envahissantes.

Une importante notion explique pourquoi une espèce naturaliséepeut devenir envahissante : c’est la phase de latence précédant l’invasion,entre la date d’introduction et le début de la phase de croissance expo-nentielle de cette invasion (Kowarik, 1995). La période de latence peutatteindre une centaine d’années. Trois catégories de facteurs marquent lafin de cette phase de latence et déclenchent l’invasion (Crooks et Soulé, 1999):

• l’augmentation du taux de croissance de la population et l’expansionde l’aire de distribution, dépassant un seuil critique ;

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chaussures, aux poils du bétail, aux machines ou aux roues des véhicules.Des graines de Miconia calvescens ont été introduites en provenance deTahiti dans les îles éloignées des Marquises sur les roues et les chenilles d’engins et de bulldozers sales, ou avec des graviers ou du sol contaminés.Le séneçon du Cap, Senecio inaequidens, a été introduit involontairementen Europe par l’industrie lainière avec des matières utilisées dans les tan-neries à la fin du XIXe siècle. Sa très forte expansion dans le sud et l’ouestde l’Europe s’explique par une dispersion efficace des graines, empruntanttoutes les voies de communication possibles : l’eau, le vent, les animaux,les véhicules (Muller et al., 2004).

LES MÉCANISMES DE L’INVASION

Par quel mécanisme une espèce introduite devient-elle envahissante?Comment une espèce naturalisée qui ne posait initialement aucun pro-blème peut-elle ensuite occuper à ce point l’espace environnant? Chaqueespèce envahissante a-t-elle des capacités à envahir qui lui sont propres?Sont-elles inscrites dans le génome ? L’aptitude à envahir est-elle liée à lavulnérabilité du milieu ou à des éléments extérieurs facilitateurs? Est-ceencore une histoire de temps ? L’écologie des invasions est en plein essordepuis les années 1980 et, malgré des questions non résolues, elleapporte quelques réponses.

Parmi les espèces introduites, combien deviennent envahissantes?

Les introductions de plantes sont nombreuses sur tous les continents,mais très peu d’espèces se comportent en envahisseurs. La règle des trois10 nous donne une estimation de la proportion d’espèces introduitesdevenues envahissantes (Williamson et Brown, 1986). Seulement 10 %des espèces introduites s’acclimatent à leur nouveau milieu ; 10 % de cesespèces acclimatées s’établiront durablement en se naturalisant, et 10 %de ces espèces naturalisées deviendront envahissantes. Cet ordre de gran-deur, établi pour la flore européenne, reste valable pour d’autres régionset pour divers groupes taxonomiques.

Comment une plante introduite devient-elle envahissante ?

Chaque plante introduite, soumise à un parcours du combattant,devra franchir des barrières physiques, climatiques, biologiques, tempo-relles et aléatoires. Dans son nouvel environnement, elle devra s’adapter

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Nombre d’espèces végétales introduites, naturalisées et envahissantesdans différentes régions insulaires ou continentales

Îles/pays Nombre Nombre Nombre Sourcesd’espèces d’espèces d’espècesintroduites naturalisées envahissantes

France > 1100 479 61 Weber (1997), Aboucaya (1999),MNHN (2003-2006)

Afrique > 9000 > 1000 160 Henderson (1998),du Sud Nel et al. (2004)

Nouvelle- > 1400 360 64 Meyer et al. (2006)Calédonie

Nouvelle- > 20000 2319 217 Owen (1997),Zélande Randall (2002)

Hawaii > 10 000 1270 469 Staples et Cowie(2001), Eldredge(2006)

Polynésie > 1800 > 590 > 70 Meyer, donnéesfrançaise non publiées

Réunion > 3000 850 > 50 Lavergne, donnéesnon publiées

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rhizomes, boutures, graines… Avec une forte pression de propagules,les populations de plantes envahissantes croissent rapidement. Diversfacteurs aléatoires, comme la taille de l’inoculum initial, le temps de rési-dence, ou temps depuis l’introduction, et d’autres événements acciden-tels, sont aussi importants. Le risque qu’une espèce envahisse ou qu’unécosystème soit envahi augmente avec le temps de résidence. L’absenced’ennemis naturels dans le pays d’introduction explique en partie l’inva-sion par une plante exotique qui se trouve libérée de tout contrôle bio-logique.

Les invasions peuvent se faciliter les unes les autres et les espècesenvahissantes agissent alors en synergie. C’est le cas de la centaurée dusolstice, Centaurea solstitialis, du Moyen-Orient et d’Europe méridionale,qui a couvert 10 millions d’hectares en Californie. Cette petite herbeexotique a enfoncé la porte de l’écosystème initial, permettant à beau-coup d’autres plantes envahissantes de s’établir (Morghan et Rice, 2005).À la Réunion, l’arbrisseau Clidemia hirta s’est propagé principalementgrâce au bulbul orphée, Pycnonotus jocosus, un oiseau disséminateurdevenu lui-même très envahissant (Mandon-Dalger et al., 2004). EnMéditerranée, l’invasion par les griffes de sorcière a été facilitée par lesrats et les lapins, vertébrés par ailleurs très prolifiques (Bourgeois et al.,2005).

Comment fonctionne une plante envahissante?

Chaque plante envahissante possède une stratégie d’invasion modu-lable, les traits biologiques de l’espèce s’adaptant ingénieusement aucontexte de l’aire d’introduction. Beaucoup d’envahissantes sont desplantes pionnières de zones ouvertes dotées de ce que l’on appelle en éco-logie une « stratégie r » : croissance et reproduction rapide, durée de viecourte, graines à faible longévité, germination rapide.

Certaines aptitudes architecturales peuvent être avantageusesUne espèce qui, du fait de la disposition de ses axes, est capable d’oc-

cuper l’espace et ainsi de s’approprier l’énergie lumineuse sera plus com-pétitive. La ronce asiatique Rubus alceifolius, mi-buisson, mi-liane,grimpe aux arbres et les étouffe. Le longose, Hedychium gardnerianum,colonise les sous-bois forestiers grâce à la croissance sympodiale de sesrhizomes rampants et à la production de tiges feuillées dressées. Largeset disposées horizontalement, les feuilles absorbent plus de 90 % du fluxlumineux, ce qui a pour conséquence d’assombrir le sous-bois et d’em-pêcher la régénération des autres espèces.

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• le changement d’un facteur environnemental : introduction d’unherbivore, pollinisateur ou disséminateur, incendies, cyclones, séche-resse, inondations, eutrophisation, déforestation, etc. ;

• une adaptation génétique : hybridation, recombinaison, mutation ouintrogression.

Le filao, Casuarina equisetifolia, est devenu envahissant en Floridesoixante-cinq ans après son introduction, à la suite du passage de deuxcyclones. Le banian de Malaisie, Ficus microcarpa, a envahi la Floridequarante-cinq ans après l’introduction de l’hyménoptère pollinisateurEupristina (Parapristina) verticillata.

Comment s’explique le succès d’une invasion?

La réussite d’une invasion est due à la combinaison de caractèrespropres à la fois à l’espèce envahissante et à l’environnement colonisé. Ilest impossible de dresser le portrait type de l’envahisseur idéal, la naturealéatoire des processus d’invasion rendant difficile l’interprétation deleur déterminisme. Cependant, certains traits communs dominants peu-vent être soulignés.

Au départ, un facteur va conditionner la réussite de l’invasion, c’estla pression de propagules, c’est-à-dire le nombre de fois où l’espèce estintroduite et le nombre d’unités reproductrices arrivant en même temps :

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Clidemia hirta est unenvahisseur redoutable deslisières et trouéesforestières, des sous-bois deforêts ouvertes, mais aussi decultures en région tropicale.Selon une étude récente, sonaptitude à envahir semble liéeà l’absence d’ennemis naturelsdans l’aire d’introduction.

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Les capacités de dispersion sont très efficacesLes plantes capables de disperser leurs diaspores (fruits, semences,

fragments de rhizome…) à la fois sur de courtes et de longues distancespeuvent être des envahisseurs redoutables. La dispersion à courte dis-tance est assurée par simple gravité (barochorie) ; à longue distance, ellenécessite des agents disséminateurs, vent, eau ou animaux. Certainesespèces jouent sur plusieurs moyens de dispersion, comme le noyer(Juglans regia), qui est disséminé à la fois par gravité, par des oiseaux oudes mammifères (zoochorie). Coloniser de nouveaux sites, c’est consti-tuer d’autres foyers d’invasion. Certaines graines peuvent résister auxincendies et en ont même besoin pour germer ou être dispersées parouverture des fruits, comme celles de Melaleuca quinquenervia et de Pinusradiata. À l’échelle paysagère, les réseaux fluviaux ou routiers sont desvoies privilégiées de propagation des invasions végétales. Pour les plantesrudérales, ornementales et alimentaires, l’homme est le principal moteurde dispersion au niveau mondial.

Certaines aptitudes génétiques peuvent jouer un rôle importantLes plantes dotées d’une grande variabilité génétique et les poly-

ploïdes sont de bons candidats à l’invasion. La polyploïdie maintient unediversité génétique élevée, augmente la compétitivité et l’adaptabilité del’espèce. Une plante introduite peut également devenir envahissante enajustant son phénotype aux nouvelles conditions d’habitat (plasticitéphénotypique) ou en créant des écotypes par adaptation génétique.

Deux espèces de Cortaderia en Californie illustrent l’influence desgènes sur le comportement invasif. Cortaderia jubata produit des grainesviables sans fécondation (apomixie). Les individus forment des clonesavec peu de variation génétique ; cette espèce n’envahit que les littorauxabandonnés par l’homme. À l’inverse, C. selloana, qui se reproduit pargraines issues de fécondation croisée, montre donc une diversité géné-tique considérable et peut aussi envahir des habitats naturels à l’inté-rieur des terres (Lambrinos, 2002).

Les hybrides sont également d’excellents envahisseurs, comme entémoigne en Europe la vigueur hybride de la renouée de Bohême,Fallopia x bohemica (syn. Reynoutria x bohemica), beaucoup plus enva-hissante que ses plus proches parents, Fallopia japonica et F. sachalinensis,qui, restant généralement stériles, se multiplient végétativement (Pyseket al., 2003).

La flexibilité du système de reproduction associée à des remaniementsgénétiques peut être la clé du succès d’une invasion : en Méditerranée, lesenvahissantes griffes de sorcière, Carpobrotus edulis, devenues autofertiles

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La reproduction est généralement importante et précoceÀ Tahiti, un Miconia calvescens à peine âgé de quatre ans produit

200000 graines par an, et un arbre plus vieux en produit 10 à 20 millions(Meyer et Florence, 1996). Le résultat est là : « Vue d’avion, [la plante]forme une moquette émeraude sans accroc sur les deux tiers des pentesvolcaniques de Tahiti. Impeccable : pas la moindre cime feuillue diffé-rente ne dépasse. Et le sous-bois dénudé ressemble à celui d’une sapinièreartificielle. […] Miconia calvescens est la peste absolue des îles duPacifique » (Le Monde, 12 décembre 1997).

Une sexualité efficace est utile mais non obligatoire, certaines espècesenvahissantes ne se multipliant que de façon végétative. Dans lesMascareignes, le choca, Furcraea foetida, ne peut se reproduire sexuelle-ment puisque son pollinisateur spécifique, peut-être une chauve-sourisd’Amérique tropicale, n’a pas été introduit. Il se multiplie végétative-ment grâce aux milliers de bulbilles qui naissent sur des inflorescencesdépassant trois mètres de haut : tous les individus ayant envahi l’archipelforment un clone.

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Importé comme ornemental,Miconia calvescens occupemaintenant les deux tiers deTahiti. Il mobilise de nom-breux efforts de lutte àHawaii, où il s’est établi. Sonarrivée dans d’autres îles tro-picales doit faire l’objet d’unehaute surveillance.

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Quels dégâts les plantes envahissantes provoquent-elles ?

Les invasions sont reconnues comme la seconde cause d’érosion de labiodiversité mondiale, après la destruction et la fragmentation des habi-tats (Millennium Ecosystem Assessment, 2005), les îles océaniques etleurs écosystèmes originaux étant particulièrement touchés. Il est illu-soire de considérer que certains écosystèmes demeurent des coffres-fortsinaliénables ; même les secteurs montagneux ou polaires ne sont pas àl’abri des invasions. Les impacts directs ou indirects des pestes végétalessont complexes, imprévisibles et difficiles à mesurer.

Le pire impact est certainement l’extinction d’une espèce indigène,mais il a rarement été démontré que les invasions par des plantes pou-vaient être responsables d’extinctions. La disparition des espèces est prin-cipalement due à la dégradation ou à la perte de leurs habitats. Enrevanche, les plantes envahissantes peuvent empêcher la régénérationdes plantes indigènes en inhibant leur croissance et leur reproductionavec des composés toxiques (allélopathie) ou en accaparant toutes lesressources du sol. L’invasion est davantage le symptôme de modifica-

et supportant bien la « consanguinité », ont la capacité de se reproduiresans partenaires sexués ni pollinisateurs (Suehs, 2005).

Pourquoi et comment certains habitats sont-ils envahis ?

Tous les écosystèmes peuvent être envahis, mais certains ont plus dechances de l’être que d’autres, surtout s’ils sont perturbés et riches en élé-ments nutritifs. La résistance de certains habitats aux invasions resteencore énigmatique. On peut définir l’invasibilité d’un habitat par sa vul-nérabilité aux invasions.

Les îles sont bien plus vulnérables que les continents. La vulnérabi-lité accrue des habitats urbains et agricoles tempérés ou des forêts desbords de fleuve n’est plus à démontrer. Le Nouveau Monde est aussi plussensible que l’Ancien. Les environnements extrêmes – zones alpines,forêts équatoriales, marécages, déserts ou plages sableuses – sont peusensibles aux invasions, jusqu’au jour où une espèce « préadaptée » àl’habitat arrive et envahit tout.

Les perturbations du milieu, naturelles ou anthropiques, jouent unrôle déterminant dans le déclenchement des invasions : sur les couléesvolcaniques récentes d’Hawaii et de la Réunion, les plantes introduitesempêchent le retour à la forêt d’origine, car la recolonisation par lesplantes indigènes est beaucoup plus lente.

On pense habituellement qu’une espèce est peu capable d’envahir unhabitat indigène non perturbé, mais de nombreux cas montrent que cetterésistance aux invasions n’est qu’un mythe, au moins dans les îles. Lemiconia à Tahiti ou le troène de Ceylan à la Réunion continuent d’enva-hir des forêts indigènes (Meyer, 1994 ; Lavergne et al., 1999).

L’invasibilité varie aussi selon la structure de la communauté végétalerésidente (Rejmánek et al., 2005) : une friche dominée par desLégumineuses est plus vulnérable aux envahissantes nitrophiles (Prieur-Richard et al., 2002) ; les prairies sont plus résistantes aux invasions enEurope, alors qu’elles sont très sensibles ailleurs (Pysek et al., 2002).

Un autre facteur favorisant l’invasion est la disponibilité des res-sources et de l’espace, qui augmente en cas de perturbations. Les espècesenvahissantes prospèrent mieux quand les ressources en eau, en élé-ments nutritifs et en lumière sont abondantes ; en revanche, dans lesmilieux pauvres, elles ont plus de mal à concurrencer les espèces indi-gènes, adaptées à leurs habitats depuis des millénaires. Cependant, Funket Vitousek (2007) ont montré que certaines espèces exotiques peuventenvahir des milieux pauvres en utilisant efficacement les ressources dis-ponibles.

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Pourquoi les îlesocéaniques sont-ellesplus envahies que lescontinents ?

Comme certains espaces conti-nentaux isolés (lacs, marais, mon-tagnes et vallées enclavées), lesîles océaniques sont particulière-ment sensibles aux invasions. Unemontagne peut être considéréecomme une île au milieu dezones plus basses. Plusieurs hypo-thèses ont été avancées.Du fait qu’elles sont isolées etgéologiquement jeunes (à causede leur origine volcanique), lesîles océaniques sont caractériséespar une richesse spécifique relati-vement faible, un fort taux d’en-démisme et surtout un déséqui-libre taxonomique appelé dyshar-monie – absence de certainsgroupes comme les amphibiensou les mammifères carnivores et

herbivores. Ainsi, la pauvreté enespèces, la structure simple descommunautés et la rareté desinteractions entre espèces rendentles écosystèmes insulaires plusinvasibles, puisqu’elles en fontdes écosystèmes simples pouvantfournir des niches écologiquesvacantes aux nouveaux venus(D’Antonio et Dudley, 1995).Les échanges limités avec lespopulations d’origine peuventaussi entraîner des problèmesgénétiques, comme la «consan-guinité », qui fragilise les popula-tions (Kaneshiro, 1995).Les moteurs de la sélection natu-relle sur les continents sont lesprédateurs et les parasites, les épi-démies dévastatrices, les pâtu-rages, le piétinement des herbi-vores et le passage fréquent desfeux ; en l’absence de ces pres-sions de sélection, les espècesinsulaires sont moins compétitivesque les espèces continentalesintroduites.

Mais la cause majeure des inva-sions massives dans les îles estcertainement le bouleversementlié aux activités humaines,comme la déforestation et lesextinctions massives et rapidesdes espèces indigènes. Dans lesîles très peuplées, l’homme aintroduit un nombre d’espècesvégétales et animales considé-rable par rapport à celui desespèces autochtones et aux sur-faces disponibles.Les îles volcaniques – la Réunion,la Polynésie française, Hawaii, lesîles Galápagos ou Juan Fernández(voir le chapitre 20, deuxièmepartie) – détiennent des recordsen matière de diversité d’habitatsau kilomètre carré, et les dis-tances entre zones anthropisées etzones naturelles sont courtes ; parconséquent, une espèce introduitepeut atteindre très rapidementtous les milieux qui lui sont favo-rables (Cronk et Fuller, 1995).

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tions de l’environnement induites par l’homme que la cause de ces chan-gements.

Les plantes exotiques envahissantes produisent de sérieux effets surla composition, la structure et le fonctionnement des écosystèmes enmodifiant leurs conditions : lumière, hydrologie, cycles de décompositionde la litière, biochimie du sol, processus géomorphologiques, régime desperturbations, interactions plantes-animaux, réseaux trophiques entrecommunautés, etc. Une seule espèce peut altérer le fonctionnement detout un écosystème : la recolonisation naturelle des coulées volcaniquesest bloquée par le filao, Casuarina equisetifolia, à la Réunion et par Myricafaya à Hawaii, deux espèces fixatrices d’azote atmosphérique. Ces arbrescapables de changer profondément un milieu sont qualifiés de « trans-formateurs » (Richardson et al., 2000).

Un autre impact est l’homogénéisation des paysages, des habitats etdes flores, certaines espèces pouvant former des couverts denses mono-spécifiques. Le goyavier-fraise, Psidium cattleianum, a remplacé des mil-liers d’hectares de forêt primitive à l’île Maurice, à Hawaii, à Norfolk eten Polynésie française.

L’évaluation des impacts socio-économiques des invasions est malaisée.Le coût de la lutte, les pertes de productions agricoles, les dépenses desanté publique ou les conséquences d’une catastrophe écologique sont lesretombées les plus faciles à chiffrer : pour les États-Unis, les dégâts envi-ronnementaux dus aux plantes envahissantes sont estimés à 123 mil-liards de dollars par an (Pimentel, 2005). Le coût de la disparition d’unhabitat ou d’une espèce endémique rare est plus difficile à estimer. Cespertes sont énormes en termes financiers, si l’on considère les retom-bées économiques du tourisme vert ou encore la valeur d’une espècevégétale en médecine ou en agriculture (McNeely, 1988).

PEUT-ON GÉRER LES INVASIONS ?

Si les pestes végétales majeures retiennent l’attention des autoritéslocales, en phase initiale d’invasion la menace, plus difficile à détecter, estrarement prise en compte. Les moyens sont souvent mobilisés trop tard,quand l’invasion concerne déjà un grand territoire et que la lutte, deve-nue trop coûteuse, n’a que peu de chances de réussir. Les opérationshâtives menées au coup par coup, sans véritable suivi, sont générale-ment vouées à l’échec. Le meilleur moment pour lutter contre une planteenvahissante est la phase de latence, la prévention étant beaucoup moinsonéreuse et plus facile à mettre en œuvre que la lutte curative.

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Page de gauche :À la Réunion, le filao,Casuarina equisetifolia, parvient à bloquer la recoloni-sation naturelle des couléesvolcaniques en formant uneforêt monospécifique très sensible aux incendies et souslaquelle rien ne pousse.

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réduites. Elle nécessite d’importants moyens en produits phytocides, enappareillages et en main-d’œuvre. Non sélective, elle peut être dange-reuse pour les milieux aquatiques et les nappes phréatiques. À Hawaii,on contrôle les longoses en injectant du metsulfuron méthyle dans lesrhizomes à l’aide d’une seringue. Les arbres envahissants sont traités parapplication d’un herbicide directement sur les souches coupées.

La lutte biologiqueC’est une stratégie de lutte en voie de développement. Dans son pays

d’origine, chaque espèce est contrôlée par des pathogènes, parasites etherbivores. Le principe est de rechercher les ennemis naturels de l’espècedans l’aire d’origine, de les introduire dans la région envahie pour conte-nir les populations envahissantes, et d’établir un nouvel équilibre écolo-gique entre les ravageurs et la plante cible à contrôler. Le but poursuiviest, en diminuant la densité de cette espèce cible, d’atténuer la compéti-tion avec les espèces indigènes, mais cela ne permet pas l’éliminationtotale de l’espèce envahissante.

Il faut compter plus de dix ans d’étude pour mettre au point la luttebiologique. Il est difficile de prévoir son niveau d’impact et, générale-ment, elle ne produit que 50 % de réussite. Cependant, elle fait sespreuves depuis une cinquantaine d’années et ses effets sont durables :une fois établis, les agents de lutte pullulent et se propagent naturelle-ment. De plus, cette méthode est sélective vis-à-vis des autres espèces etdonc sans danger pour l’environnement, comme le montre le contrôlebiologique du cactus Opuntia stricta en Australie par les larves dupapillon Cactoblastis cactorum.

La lutte écologiqueElle tient compte des points faibles de la plante envahissante, de la

vulnérabilité de l’écosystème, des techniques disponibles et descontraintes socio-économiques. Contrôler les facteurs de propagation,limiter les perturbations liées aux activités humaines, maintenir lesmilieux naturels ou les restaurer sont des moyens écologiques pour limiterl’intrusion et la prolifération des plantes envahissantes. L’adaptation despratiques agricoles, le feu, le pâturage ou encore l’enrichissement du solen carbone constituent d’autres formes de lutte écologique. On peut aussireconstituer un couvert végétal à l’aide d’un arbuste envahissant à courtedurée de vie, comme Solanum mauritianum, facilitant l’implantation d’es-pèces indigènes. À l’échelle régionale, en combinant plusieurs tech-niques, la lutte s’intègre à l’aménagement du territoire.

Les différents moyens de lutte

L’objectif est de prévenir les invasions ou de les contrôler, dans letemps et dans l’espace. Les méthodes de lutte classiques commencent,avant même que l’on se lance dans la lutte proprement dite, par l’élabo-ration d’une stratégie qui se résume ainsi : surveiller, détecter, éradiquer,contenir, contrôler ou « vivre avec ».

La lutte manuelle ou mécaniqueElle consiste à arracher, débroussailler ou couper les plantes enva-

hissantes. Cette technique, très pratiquée même si son efficacité est limitéesur des invasions occupant de grandes surfaces, ne permet pas d’éradi-quer une espèce, à moins que l’invasion ne soit traitée de manière pré-coce. La lutte manuelle s’avère très coûteuse à long terme, la régénérationde l’espèce envahissante nécessitant le renouvellement fréquent de l’opé-ration. À la Réunion, l’élimination de 70 tonnes de longoses sur un hec-tare de forêt indigène envahie coûte environ 24 000 € (Lavergne, 2005).

La lutte chimique à l’aide d’herbicidesCette forme de lutte est souvent associée à la lutte manuelle ou méca-

nique. Elle ne fonctionne que si elle est utilisée de manière chirurgicale,mais son efficacité est temporaire et ne peut concerner que des surfaces

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Adopter une stratégiede lutte efficace

Pour faire face aux invasions, lastratégie est d’intervenir de façoncoordonnée dans tous lesdomaines concernés en impliquantl’ensemble des acteurs : décideurs,chercheurs, gestionnaires et usagers.Cette stratégie se fonde sur 8 points (Genovesi et Shine,2003 ; Muller et al., 2004) :

• bien connaître les espècesenvahissantes, leur distribution,leur biologie, leur écologie, leurdynamique sur le territoireenvahi : la recherche et la coopé-ration internationale jouent unrôle essentiel ;

• prévenir les risques d’invasion :réglementer les activités favorisantla dispersion, limiter les introduc-tions accidentelles, protéger lesécosystèmes isolés ;

• informer et sensibiliser lepublic et les professionnels sur lamenace des invasions ;

• collecter, gérer et partageravec les techniciens et les gestion-naires l’information concernantles moyens de contrôle, les inven-taires d’espèces, la recherche et lasurveillance ;

• intervenir le plus tôt possibleen adaptant la lutte aux espècespréoccupantes et au contexterégional : surveillance, détectionprécoce et réaction rapide ;

• atténuer l’impact et restaurer

la biodiversité indigène par éradi-cation, confinement et lutte ;

• renforcer les cadres politiques,administratifs et juridiques : direc-tion et coordination, analyse etdéveloppement, outils etapproches, plans d’action, respectet application des dispositions ;

• créer une structure de coordi-nation des actions contre lesespèces envahissantes au niveaunational avec des relaisrégionaux : un observatoire desinvasions coordonnera les actionsainsi que les ressources humaineset financières afin de renforcer lescapacités de lutte, de recherche etde prévention.

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tualisation, d’étude et de contrôle de cas précis d’invasion et d’habitatsenvahis.

De nouveaux concepts permettent des généralisations plus solides(Richardson et Pysek, 2006). De nombreux efforts ont porté sur le pou-voir envahissant des espèces, ainsi que sur l’invasibilité et la résistancebiotique des habitats. Il est encore difficile de généraliser le fait que lescommunautés les plus diversifiées soient les moins invasibles : nousl’avons vu, le niveau de résistance ou de vulnérabilité d’un habitat, richeou pauvre en espèces, dépend des perturbations, des ressources dispo-nibles, du climat, des facteurs liés à l’insularité, de la pression de propa-gules, de l’échelle et du contexte de l’observation.

Pour comprendre les invasions et limiter leur impact, plusieurs pistessont à l’étude : on tente ainsi de définir les traits de l’envahisseur type enrelation avec les caractéristiques de chaque habitat. Les critères identi-fiant les espèces à fort potentiel envahissant sont utilisés pour prévenirdes invasions futures. Des listes d’espèces envahissantes pour chaquerégion du monde se constituent, mais le manque de définitions standar-

La préventionCette dernière stratégie de lutte vise à éviter l’introduction de nou-

velles espèces envahissantes, à empêcher la propagation de plantespotentiellement envahissantes et à limiter l’extension d’invasions locali-sées. En ce qui concerne le premier objectif, on adapte la réglementationaux importations végétales : le Weed Risk Assessment australien évaluele risque d’invasion avant l’introduction d’une espèce. Chaque espècereçoit une note, basée sur son histoire comme envahissante dans d’autresrégions du monde, ses exigences climatiques et ses traits biologiques.

Pour atteindre le deuxième objectif, il faut surveiller et intervenirrapidement avant le début d’une invasion : ce système d’alerte est calquésur les modèles de détection précoce et d’intervention rapide en cas dedépart d’incendies ou d’apparition d’épidémies. La prévention nécessiteaussi l’éducation, la sensibilisation et l’information des acteurs de tous lesniveaux, ainsi que l’organisation d’un réseau d’échanges améliorant l’accèsà l’information et sa diffusion.

Les conflits d’intérêts

Le goyavier-fraise, Psidium cattleianum, est l’exemple d’une planteenvahissante entraînant des conflits d’intérêts. Importante source derevenus à la Réunion, où ses fruits, très appréciés, sont l’objet d’une fêteannuelle ancrée dans les traditions, cet « or rouge » se développe, et deschercheurs travaillent à l’amélioration variétale et à l’optimisation de laproduction. Pourtant, cet arbuste est mondialement connu pour êtreenvahissant et son impact sur les écosystèmes insulaires est incontestable.Les points de vue sont très divergents dans l’île, mais aussi dans d’autresterritoires : à Hawaii, il a été envisagé de le contrôler par la lutte biologique.

Le monde de l’horticulture est loin d’imaginer que ces belles plantes,multipliées par les jardiniers, peuvent devenir un cauchemar pour lanature. Il est difficile de faire admettre aux horticulteurs, paysagistes etresponsables de l’aménagement du territoire que le tulipier du Gabon,Spathodea campanulata, est un arbre potentiellement envahissant qu’ilne faudrait plus planter au bord des routes. À la Réunion, plus de 130 tulipiers ont été plantés sur la piste d’une réserve naturelle, alors qu’àTahiti des tulipiers colorent en rouge orangé des vallées entières.

Aux frontières de notre connaissance des invasions

Le domaine de l’écologie des invasions reste peu exploré. Depuis lesannées 1980, d’énormes progrès ont été réalisés en matière de concep-

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Le tulipier du Gabon,Spathodea campanulata,est un arbre majestueux. Maissa plantation en ornement aentraîné l’invasion de valléesentières sur les îles d’O’ahu etde Maui (Hawaii) ainsi qu’àTahiti (Polynésie française),comme on le voit ici.

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ment aux variations environnementales ; avec les changements globaux,elles prendront une place considérable dans les écosystèmes (Thuiller etal., 2007). L’invasion de la Méditerranée par l’algue tropicale Caulerpataxifolia pourrait s’étendre au nord de l’Atlantique du fait du réchauffe-ment de l’océan. En Antarctique, l’augmentation des températures et ladiminution des précipitations entraînent la prolifération du pissenlit etdes Graminées introduites, au détriment d’espèces autochtones tellesque l’azorelle et le chou de Kerguelen.

L’impact global des invasions est inquiétant, car nous ne connaissonspas l’issue du phénomène, son ampleur ni ses effets sur l’équilibre pla-nétaire. Un nouvel équilibre sera-t-il atteint un jour ? Une chose est cer-taine : une redistribution des espèces et une restructuration des habitatss’opèrent sous nos yeux, et elles semblent irréversibles. La sociétéactuelle accepte mal ce remaniement de la nature, même si elle en est àl’origine.

Face à la mondialisation, aux changements climatiques globaux, à lacrise de la biodiversité et à l’ampleur des invasions, l’homme est-il prêtà changer son comportement ? Les activités humaines, qu’il s’agisse desdéplacements, des importations et des exportations de marchandises oudes activités de loisir, peuvent difficilement s’interrompre.

Le défi à relever est immense : pour maintenir la biodiversité des éco-systèmes et les services qu’elle nous rend à l’échelle mondiale, l’hommedoit lutter contre ou vivre avec les plantes envahissantes, tout en ren-forçant les capacités de défense des habitats indigènes par une gestionadaptée.

disées entraîne des confusions entre espèces naturalisées et espèces enva-hissantes.

La recherche actuelle s’oriente vers l’étude des interactions entre lesespèces envahissantes et entre elles d’autres espèces, comme les associa-tions mutualistes ou hôte-pathogènes, et vers la capacité de ces dernièresà résister aux invasions ou à les faciliter.

Une recherche en cours vise à comprendre le déterminisme desrapides changements évolutifs – micro-évolution, coévolution, spécia-tion, polyploïdie – qui se produisent au sein des espèces envahissantes(Olden et al., 2004).

La détection et l’évaluation des impacts sur les écosystèmes ne sontpas encore au point ; c’est une étape cruciale pour identifier les plantesenvahissantes et orienter les efforts de lutte.

Les sciences de la conservation se concentrent actuellement sur lagestion des invasions et la restauration des écosystèmes indigènes (voirle chapitre 12 du volume II). Le rapprochement de l’écologie et dessciences humaines, économiques et sociales pourrait fournir une nou-velle approche.

La multiplication des études d’invasions à l’échelle planétaire devraitrendre plus robustes les essais de généralisation et de prévision, amélio-rant notre compréhension du phénomène et notre capacité à le gérer. Lesuivi de l’invasibilité des écosystèmes et du comportement invasif desespèces selon les gradients climatiques serait essentiel pour comprendreces changements globaux.

UN BILAN EST-IL ENVISAGEABLE ?

Les processus d’invasion, d’une grande complexité, sont un enjeumajeur pour la conservation de la nature. Les invasions ont toujoursexisté, mais leur rythme s’est accéléré avec celui des activités humaines :généralement silencieuses et invisibles, elles constituent aux yeux de lasociété un phénomène récent, dont le public commence tout juste àmesurer l’ampleur. La mise en œuvre d’une politique forte de sensibili-sation et d’éducation est urgente.

L’homme, le pire des envahisseurs, accélère les déplacements d’es-pèces, transforme les milieux et les rend plus invasibles.

Un aspect préoccupant des changements climatiques et environne-mentaux est le risque qu’ils augmentent l’instabilité des écosystèmes,permettant à des plantes introduites, inoffensives pour l’instant, de sefaire invasives. Les plantes exotiques envahissantes s’adaptent rapide-

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