Les peintures murales du monastère de Marko : un programme...

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1 Bogevska Saška Docteur en Histoire de l’Art Byzantin École Pratique des Haute Études Les peintures murales du monastère de Marko : un programme iconographique au service de la propagande royale Le Monastère de Marko (fig. 1), près de Skopje 1 , en actuelle République de Macédoine, a été fondé par le roi serbe Vukašin (1365-1371) en 1345 2 . À ce moment, seule l’architecture du katholikon semble être terminée. L’église, qui est dédiée à saint Démétrios, n’a été décorée de peintures à l’époque du fils de Vukašin, le roi Marko en 1376/77 3 . Le roi Marko (1371-1395) 4 succède à son père en 1371, quand Vukašin périt dans la fameuse bataille de Marica (Ĉernomen) face aux Turcs 5 . Ce moment est crucial pour les chrétiens des Balkans, car les Turcs musulmans commencent à s’installer définitivement en Europe, en 1 La région de Skopje faisait partie de l’Empire byzantin jusqu’à la fin du XIII e siècle, quand les Serbes s’emparent des terres byzantines du nord des Balkans. En 1282, les armées de roi serbe Milutin occupent d’une manière durable la ville de Skopje et les régions de la Macédoine orientale (Polog, Ovĉe pole, Zletovo et Pijanec). C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo сликарствo od XIV век, Ohrid 1980, p. 12 ; K. Јiriĉek, Историја Срба I, Belgrade 1978, p. 191. 2 Sur l’inscription dédicatoire, voir : N. Nošpal-Nikuljska, За ктиторската композиција и натписот во Марковиот Манастир-село Сушица, Скопје, Гласник на Институтот за Национална Историја 15/2 (1971), р. 235 passim. ; C. Grozdanov, G. Subotić, Црква Светог Ђорђа у Речици код Охрида, Зограф 12 (1981), p. 73 note 75 avec bibliographie. 3 Le chiffre qui donne la date de l’exécution des peintures est mal conservé et d’après les différentes lectures il s’agirait de 1380/81 ou 1376/77. La dernière relecture de l’inscription favorise la date de 1376/77. C. Grozdanov, G. Subotić, Црква Светог Ђорђа у Речици код Охрида, Zograf 12 (1981), p. 73-74 (avec bibliographie). 4 L. Mirković, Мрнјавчевиħи, Старинар 3 (1925), р. 11-41 ; A. P. Kazhdan, (éd.), The Oxford Dictionary of Byzantium t. 2, New-York / Oxford 1991, p. 1302 avec bibliographie succinte sur la vie de Marko. Le roi est mort lors de la bataille de Rovine (Argeş) en 1395, en combattant les Valaques aux côtés des Turcs. A. P. Kazhdan, (éd), The Oxford Dictionary of Byzantium t. 3, New-York/Oxford 1991, p. 1815 avec la bibliographie sur la bataille de Rovine (Argeş) ; G. C. Soulis, The Serbs and Byzantinum During the Reign of Tzar Stephen Dušan, (1331-1355) and his successors, Washington 1984, p. 86 passim. ; D. I. Mureşan, Avant Nicopolis : la campagne de 1395 pour le contrôle du Bas-Danube, Revue Internationale d’Histoire Militaire 83 (2003), p. 115- 132. Sur la soumission de certains seigneurs serbes à Bayezid I er , voir : I. Djurić, Le crépuscule de Byzance, Paris 1996, p. 39 passim. 5 I. Snegarov, История на Охридската Архиепископия (оть основаването й до завладѣването на Балканския полуостровь оть Турцитѣ) vol. 2, Sofia 1924, p. 1 ; C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo сликарствo od XIV век, Ohrid 1980, p. 19. Le roi Vukašin et son frère Jean Uglješa perdirent la vie au cours de cette bataille. G. C. Soulis, The Serbs and Byzantinum During the Reign of Tzar Stephen Dušan, (1331 -1355) and his successors, Washington 1984, p. 98 ; G. Ostrogorsky, Histoire de l’État Byzantin, Paris 1996, p. 562 ; K. Јiriĉek, Историја Срба I, Belgrade 1978, p. 311 passim.

Transcript of Les peintures murales du monastère de Marko : un programme...

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    Bogevska Saška

    Docteur en Histoire de l’Art Byzantin

    École Pratique des Haute Études

    Les peintures murales du monastère de Marko : un programme iconographique

    au service de la propagande royale

    Le Monastère de Marko (fig. 1), près de Skopje1, en actuelle République de

    Macédoine, a été fondé par le roi serbe Vukašin (1365-1371) en 13452. À ce moment, seule

    l’architecture du katholikon semble être terminée. L’église, qui est dédiée à saint Démétrios,

    n’a été décorée de peintures à l’époque du fils de Vukašin, le roi Marko en 1376/773. Le roi

    Marko (1371-1395)4 succède à son père en 1371, quand Vukašin périt dans la fameuse

    bataille de Marica (Ĉernomen) face aux Turcs5. Ce moment est crucial pour les chrétiens des

    Balkans, car les Turcs musulmans commencent à s’installer définitivement en Europe, en

    1 La région de Skopje faisait partie de l’Empire byzantin jusqu’à la fin du XIII

    e siècle, quand les Serbes

    s’emparent des terres byzantines du nord des Balkans. En 1282, les armées de roi serbe Milutin occupent d’une

    manière durable la ville de Skopje et les régions de la Macédoine orientale (Polog, Ovĉe pole, Zletovo et

    Pijanec). C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo сликарствo od XIV век, Ohrid 1980, p. 12 ; K. Јiriĉek, Историја

    Срба I, Belgrade 1978, p. 191. 2 Sur l’inscription dédicatoire, voir : N. Nošpal-Nikuljska, За ктиторската композиција и натписот во

    Марковиот Манастир-село Сушица, Скопје, Гласник на Институтот за Национална Историја 15/2

    (1971), р. 235 passim. ; C. Grozdanov, G. Subotić, Црква Светог Ђорђа у Речици код Охрида, Зограф 12

    (1981), p. 73 note 75 avec bibliographie. 3 Le chiffre qui donne la date de l’exécution des peintures est mal conservé et d’après les différentes lectures il

    s’agirait de 1380/81 ou 1376/77. La dernière relecture de l’inscription favorise la date de 1376/77. C.

    Grozdanov, G. Subotić, Црква Светог Ђорђа у Речици код Охрида, Zograf 12 (1981), p. 73-74 (avec

    bibliographie). 4 L. Mirković, Мрнјавчевиħи, Старинар 3 (1925), р. 11-41 ; A. P. Kazhdan, (éd.), The Oxford Dictionary of

    Byzantium t. 2, New-York / Oxford 1991, p. 1302 avec bibliographie succinte sur la vie de Marko. Le roi est

    mort lors de la bataille de Rovine (Argeş) en 1395, en combattant les Valaques aux côtés des Turcs. A. P.

    Kazhdan, (éd), The Oxford Dictionary of Byzantium t. 3, New-York/Oxford 1991, p. 1815 avec la bibliographie

    sur la bataille de Rovine (Argeş) ; G. C. Soulis, The Serbs and Byzantinum During the Reign of Tzar Stephen

    Dušan, (1331-1355) and his successors, Washington 1984, p. 86 passim. ; D. I. Mureşan, Avant Nicopolis : la

    campagne de 1395 pour le contrôle du Bas-Danube, Revue Internationale d’Histoire Militaire 83 (2003), p. 115-

    132. Sur la soumission de certains seigneurs serbes à Bayezid Ier

    , voir : I. Djurić, Le crépuscule de Byzance,

    Paris 1996, p. 39 passim. 5 I. Snegarov, История на Охридската Архиепископия (оть основаването й до завладѣването на

    Балканския полуостровь оть Турцитѣ) vol. 2, Sofia 1924, p. 1 ; C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo

    сликарствo od XIV век, Ohrid 1980, p. 19. Le roi Vukašin et son frère Jean Uglješa perdirent la vie au cours de

    cette bataille. G. C. Soulis, The Serbs and Byzantinum During the Reign of Tzar Stephen Dušan, (1331-1355)

    and his successors, Washington 1984, p. 98 ; G. Ostrogorsky, Histoire de l’État Byzantin, Paris 1996, p. 562 ; K.

    Јiriĉek, Историја Срба I, Belgrade 1978, p. 311 passim.

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    soumettant progressivement les terres de l’Empire byzantin, de royaume serbe et bulgare6.

    Les peintures du monastère de Marko ont été exécutées à un moment historique délicat, quand

    le roi Marko, tout en étant reconnu roi serbe de fait7, voit sa légitimité contestée par certains

    seigneurs serbes du nord8 et risque de devenir un vassal des Turcs

    9. Cet article tentera de

    montrer dans quelle mesure le programme iconographique du monastère de Marko reflète les

    préoccupations du jeune roi.

    L’architecture10

    et le décor peint de l’église ont fait l’objet de nombreuses études11

    .

    L’intérieur du monument est entièrement tapissé de peintures, dont le contenu complexe a

    6 Sur l’Empire ottoman, voir : C. Imber, The Ottoman Empire, 1300-1481, Istanbul 1990 ; H. İnalcik, L’Empire

    Ottoman, Actes du Ier

    Congrès International des Études balkaniques et sud-est européennes t. III, Sofia 1969, p.

    75-103, réimprimé dans Variorum Collected Studies Series, ch. II, Londres 1985, p. 75-103 avec bibliographie.

    Sur la chronologie des campagnes turques en Macédoine, voir : R. Radić, Време Јована V Палеолога (1332-

    1391), Belgrade 1993, p. 441 passim ; D. M. Nicol, Les derniers siècles de Byzance 1261-1453, Paris 2005, p.

    309-318 avec bibliographie. 7 En 1371, juste après la mort de Vukašin, le co-roi Étienne Uroš V s’éteint aussi sans descendance. Constantin

    Philosophe, Повест о словима (Сказаније о писменех) - Житије деспота Стефана Лазаревића, Стара

    српска књижевност књ. 11, éd. L. Mirković, G. Jovanović, Belgrade 1989, p. 82 ; K. Јiriĉek, Историја Срба I,

    Belgrade 1978, p. 237-254 ; R. Mihaljĉić, Крај српског царства, Belgrade 1975, p. 92-93, 97, 166-168. 8 Après la bataille de Marica (1371), de nombreux seigneurs serbes du nord demeurent plus ou moins

    indépendants. Le territoire de Marko englobait en 1371 les terres de Prizren à Kastoria avec les villes : Prizren,

    Priština, Skopje, Prilep, Ohrid, Manastir (Bitola), Kastoria et Florina. Après la mort de Vukašin, le knez Lazar a

    pris Priština et Novo Brdo, Balša la ville de Prizren. Kastoria faisait également partie de l’état de Marko, jusqu’à

    son divorce vers 1374-75. À part Kastoria, le roi Marko est privé d’une partie de son territoire au nord aussi, car

    en 1377 le puissant seigneur serbe Vuk Branković se proclame seigneur de Skopje, obligeant Marko à se replier

    dans la région de Prilep. K. Jiriĉek, Историја Срба I, Belgrade 1978, p. 314 passim. surtout p. 320-322 ; L.

    Mirković, Мрнјавчевиħи, Старинар 3 (1925), р. 22 ; G. C. Soulis, The Serbs and Byzantinum During the

    Reign of Tzar Stephen Dušan, (1331-1355) and his successors, Washington 1984, p. 102-103, 138-139 ; R.

    Mihaljĉić, Кнез Лазар и обнова Српске државе, dans О кнезу Лазару, Belgrade 1975, p. 1-11 ; B. Ferjanĉić,

    Владарска идеологија у српској дипломатици после пропасти црства (1371), dans О кнезу Лазару,

    Belgrade 1975, p. 139-150 ; I. Božić, Неверство Вука Бранковића, dans О кнезу Лазару, Belgrade 1975, p.

    223-240. 9 La date précise de la soumission du roi Marko aux Turcs n’est pas précisément établie. D’après les uns il

    semble qu’il soit devenu vassal avant 1377. V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и њихов

    одјек у сликарству, Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969), p. 95 ; K. Јiriĉek, Историја Срба I, Belgrade

    1978, p. 314 ; G. Ostrogorski, Серска област после душанове смрти, Belgrade 1965, p. 145-146 ; R.

    Mihaljĉić, Крај српског царства, Belgrade 1975, p. 164. D’après les autres, il a reconnu la suzeraineté des

    Turcs qu’en 1385, lors de la conquête de Timurtaş Paşa en Macédoine centrale et en Albanie. A. Stojanovski,

    Градовите на Македонија од крајот на XIV до крајот на XVII век - демографски проучувања, Skopje

    1981, p. 14 ; C. Grozdanov, Маричката битка, вазалитетот на Марко (Марко Крале) и живописот на

    Марковиот манастир, Actes du 24e Congrès International de la langue, la littérature et la culture macédoniens,

    Ohrid 20-21 août 1991, Skopje 1992, p. 118-119 ; B. Panov, Охрид и Кралството на Волкашин и Марко,

    dans Кралот Марко во историјата и во традицијата, Prilep 1997, р. 49, 51. 10

    L’église est à croix grecque inscrite, avec un narthex à l’ouest. La nef principale est couverte d’une coupole

    sur pendentifs et une calotte se trouve au-dessus du narthex. Le sanctuaire est tripartite, composé d’une abside

    principale et de deux niches latérales. Un exo-narthex à l’ouest a été rajouté au XIXe siècle. Voir le plan et

    l’élévation dans : S. Korunovski, E. Dimitrova, Macédoine Byzantine, Histoire de l’art macédonien du IXe au

    XIVe siècle, Paris 2006, fig. 58-59 à la p. 237.

    11 Sur la bibliographie du monument jusqu’à 1974, voir : V. J. Djurić, Византијске фреске у Југославији,

    Belgrade 1974, p. 80-83, 218-219. Par la suite, plusieurs auteurs ont abordé diverses problématiques se référant à

    l’architecture, le décor peint, le mobilier liturgique et les sources historiques de ce monument. N. Nošpal-

    Nikuljska, Новонастанатите историски услови во Македонија изразени на една композиција од фреските

    во Марков Манастир, Божјите знаменија принесени на дар на св. Димитрија, Зборник на Археолошки

    Музеј на Македонија 6-7 (1967-1974), p. 171-180 ; N. Nošpal-Nikuljska, Марковиот манастир-монумент

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    suscité de vives polémiques dans les cercles scientifiques. Dans les pages qui suivent, nous

    nous intéresserons qu’à une composition particulière nommée « la cour royale »12

    et aux

    images qui lui sont associées afin d’illustrer les efforts du concepteur du programme pour

    trouver des solutions iconographiques répondant aux préoccupations du roi.

    La composition qui nous occupe est peinte sur le mur nord du naos, au premier

    registre, à côté de l’iconostase. Au milieu de l’image se trouve le Christ (fig. 2), vêtu en roi, et

    assis sur un trône. Il porte le kamelaukion et le loros, éléments habituels du costume impérial

    byzantin13

    . Aux pieds du Christ se trouvent deux roues de feu, représentant les Trônes,

    puissances angéliques appartenant au premier ordre. Le Christ est également entouré de deux

    anges en adoration, et de saint Jean Baptiste ailé (fig. 3)14

    . À la droite du Christ est peinte une

    како документ низ историјата, Споменици на средновековната и поновата историја на Македонија, т. 1,

    Скопје, 1975, p. 401-415 ; C. Grozdanov, Новооткривене композиције Богородичиног Акатиста у

    Марковом Манастиру, Зограф 9 (1978), p. 37-42 ; C. Grozdanov, Из иконографије Марковог Манастира,

    Зограф 11 (1980), рp. 83-93 ; Z. Gavrilović, The Portrait of King Marko at Markov manastir (1376-1381),

    Byzantinische Forschungen 16 (1990), рp. 415-428 ; C. Grozdanov, Маричката битка, вазалитетот на Марко

    (Марко Крале) и живописот на Марковиот манастир, Actes du 24e Congrès International de la langue, la

    littérature et la culture macédoniens, Ohrid 20-21 août 1991, Skopje 1992, p. 118-119 ; I. M. Djordjević,

    Представа краља Марка на јужној фасади цркве Светог Димитрија у Марковом манастиру, dans Кралот

    Марко во историјата и во традицијата, Prilep 1997, p. 299-307 ; Z. Gavrilović, The wall paintings at the

    Monastery of Marko, 1376/77, Serbian Studies 13 (1999), p. 145-159 ; I. Sinkević, Representing without icon,

    presence and image of king Marko in the church of St. Demetrios near Susica, Proceedings of the 21st

    International Congress of Byzantine Studies vol. III, Abstracts of Communications, London 2006, p. 317-318 ;

    E. Dimitrova, The Portal to Heaven, Reaching the Gates of Immortality, dans Ниш и Византија, Пети научни

    скуп, Ниш 3-5 јун 2006, Зборник радова 5, Niš 2007, p. 367-380. 12

    Cette composition a reçu plusieurs dénominations, comme « la cour royale », « la Déisis royale », etc. Sur la

    question du nom de cette composition, voir : C. Grozdanov, Христос цар, Богородица царица, небесните сили

    и светите воини во живописот од 14ти и 15ти век во Трескавец, dans Студии за Охридскиот живопис,

    Skopje 1990, p. 132-149. Sur l’iconographie de cette composition, voir : G. Millet, Byzance et non l’Orient,

    Revue archéologique 11 (1908), p. 180-181 ; C. Grozdanov, Из иконографије Марковог Манастира, Зограф

    11 (1980), p. 87 passim. ; P. Mijović, Царска иконогрфија у српској средњевековној уметности, Starinar 18

    (1968), p. 107 passim. ; L. Grigoriadou, L’image de la Déisis royale dans une fresque du XIVe siècle à Castoria,

    Actes du XIVe Congrès International des études byzantines tome II, Bucarest 1971, p. 47-52 ; M. Garidis,

    Contacts entre la peinture de la Grèce du nord et des zones centrales balkaniques avec la peinture moldave de la

    fin du XVe siècle, Actes du XIV

    e Congrès international des études byzantines tome II, Bucarest 1971, p. 563-

    569 ; C. Grozdanov, Исус Христос цар над царевима у живопису Охридске архиепископије од XV до XVII

    века, Зограф 27 (1998/99), p. 151-160 ; E. Georgitsoyanni, Les peintures murales du vieux catholicon du

    monastère de la Transfiguration aux Météores (1483), Athènes 1993, p. 272 passim. ; S. Smolĉić-Makuljević,

    Царски Деизис и небески двор у сликарству XIV века манастира Трескавац, Иконографски програм

    северне куполе припрате цркве Богородичиног Успења, Треħа Југословенска Конференција Византолога,

    Kruševac/Belgrade 2002, p. 463-472, etc. 13

    Sur le costume du Christ Roi, voir : C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo сликарствo od XIV век, Ohrid 1980,

    p. 55, 105 ; L. Grigoriadou, L’image de la Déisis royale dans une fresque du XIVe siècle à Castoria, Actes du

    XIVe Congrès International des études byzantines tome II, Bucarest 1971, p. 50-51 ; S. Smolĉić-Makuljević,

    Царски Деизис и небески двор у сликарству XIV века манастира Трескавац, Иконографски програм

    северне куполе припрате цркве Богородичиног Успења, Треħа Југословенска Конференција Византолога,

    Kruševac/Belgrade 2002, p. 465 note 9 avec bibliographie. 14

    Dans la première composition de la « cour royale » connue, au monastère de Treskavec, saint Jean Baptiste

    n’est pas représenté. C’est le roi David qui accompagne la Vierge. Dans la représentation de la « cour royale » à

    Zaum (1361), qui est le deuxième exemple daté, le roi David est peint plus bas, dans un compartiment à part,

    tandis que la place habituelle du prophète est occupée par saint Jean Baptiste. La composition donc évolue vers

    une sorte de Déisis royale, qui sera préférée par les artistes dans les monuments plus tardifs. Le prophète David

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    représentation de la Vierge, également vêtue en habits de reine, couronnée et tournée de trois

    quarts (fig. 4).

    La source d’inspiration pour l’idéntification de la Vierge à une reine15

    vient de

    l’Ancien Testament, le Psaume 44 (45) étant entièrement dédié à l’acclamation de la « fille du

    Roi » « vêtue de brocarts »16

    . Bien que les Pères de l’Église des premiers siècles interprètent

    le Roi comme étant le Christ et la Reine comme étant l’Église, l’hymnographie plus tardive

    donnera une interprétation clairement mariale à la Reine17

    . Les textes liturgiques18

    évoquent

    très fréquemment : « la Vierge Reine », « la Vierge Reine du Paradis »19

    et « la

    Souveraine »20

    . Ces épithètes commencent à se référer à la Vierge après le Concile d’Éphèse,

    quand la Mère de Dieu acquiert le rôle de protectrice de l’Empire21

    . Ainsi, à l’image de

    apparaît la dernière fois au sein de cette composition dans le Monastère de Marko. C. Grozdanov, Из

    иконографије Марковог Манастира, Зограф 11 (1980), p. 92 passim. ; C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo

    сликарствo oд XIV век, Ohrid 1980, p. 105 passim. 15

    Sur l’iconographie de la Vierge Reine, voir : N. P. Kondakov, Иконография Богоматери т. 1, Saint-

    Pétersbourg 1914, p. 267-319, ill. 180-195, 202-207 ; N. P. Kondakov, Иконография Богоматери т. 2, Saint-

    Pétersbourg 1914, p. 392-438, ill. 225, 226, 229, 230, 235, 236 ; A. Cameron, The Theotokos in Sixth-Century

    Constantinople, Journal of Theological Studies n.s. 29 (1978), réimprimé dans Variorum Reprints ch. XVI,

    Londres 1981, p. 84-85 ; B. V. Pentcheva, Icons and Power, The Mother of God in Byzantium, Philadelphie

    2006, 21 passim. M. Lidova estime que le prototype des images de la Vierge Reine vient sûrement de

    Constantinople. M. Lidova, The Earliest Images of Maria Regina in Rome and the Byzantine Imperial

    Iconography, dans Ниш и Византија, Осми научни скуп, Ниш 3-5 јун 2009, Зборник радова 8 Niš 2010, p.

    231-243. 16

    Dans le Premier Ton de la 8e Ode de la Fête de la Conception d’Anne (le 9 décembre), la Vierge est comparée

    à « la Reine qu’annonçait David » dans le Psaume 44 (45). Menee de Décembre, trad. P. D. Guillaume,

    Chevetogne 2001, p. 123. Pour M. Tatić-Djurić, la couronne de la Vierge Reine est le souvenir de la jeune

    mariée de l’Ancien Testament. M. Tatić-Djurić, La mère de Dieu « Perivleptos » à Elmalı Kilise, Ses modèles et

    répliques, dans ΛΙΘΟΣΡΩΣΟΝ Studien zur Byzantinischen kunst und Geschichte festschrift für Marcell Restle,

    Stuttgart 2000, p. 256-257. Le Cantique des Cantiques complète le tableau du mariage mystique, mentionné dans

    le Psaume 44/45. P. Ladouceur, Old Testament Prefigurations of the Mother of God, St. Vladimir’s Theological

    Quarterly vol. 50, N° 1-2 (2006), p. 26-33. 17

    P. Ladouceur, Old Testament Prefigurations of the Mother of God, St. Vladimir’s Theological Quarterly vol.

    50, N° 1-2 (2006), p. 26-33. 18

    Sur la Vierge Reine dans la liturgie byzantine, voir : J. Ledit, Marie dans la liturgie de Byzance, Paris 1976, p.

    241-252 ; P. Ladouceur, Old Testament Prefigurations of the Mother of God, St. Vladimir’s Theological

    Quarterly vol. 50, N° 1-2 (2006), p. 26-33. 19

    Les écrits de Flavius Cresconius Corippus, le patriarche Sergios et André de Crète citent souvent ces épithètes.

    N. P. Kondakov, Иконография Богоматери т. 1, Saint-Pétersbourg 1914, p. 276-277 ; B. V. Pentcheva, Icons

    and Power, The Mother of God in Byzantium, Philadelphie 2006, p. 20-21 ; M. Tatić-Djurić, La mère de Dieu

    « Perivleptos » à Elmalı Kilise, Ses modèles et répliques, dans ΛΙΘΟΣΡΩΣΟΝ Studien zur Byzantinischen

    kunst und Geschichte festschrift für Marcell Restle, Stuttgart 2000, p. 257. Dans la liturgie de Noël, la « Vierge

    Reine » est fréquemment évoquée. Menee de Décembre, trad. P. D. Guillaume, Chevetogne 2001, p. 233, 378,

    383, 396, 445; A. Cameron, The Theotokos in Sixth-Century Constantinople, Journal of Theological Studies n.s.

    29 (1978), réimprimé dans Variorum Reprints ch. XVI, Londres 1981, p. 85. 20

    Pour la fête de l’Annonciation, le 25 mars, dans le kontakion de la 6e Ode la Vierge est nommée « invincible

    Reine » et « Souveraine ». Menee de Mars, trad. P. D. Guillaume, Rome 1983, p. 163. 21

    Dans la 23ème

    strophe de l’Hymne Acathiste, la Vierge est nommée « diadème précieux », ainsi que « rempart

    inexpugnable du royaume ». E. Mercenier, La prière des églises de rite byzantin II, Prieuré d’Amay-sur-Meuse

    1939, p. 26. Ces métaphores, d’après B. Pentcheva, fondées sur les symboles du pouvoir, relient la Vierge à la

    sphère impériale. La Vierge Impératrice cumule alors les fonctions de la Victoire et de la Tyché antiques,

    devenant la patronne de Constantinople. B. V. Pentcheva, Icons and Power, The Mother of God in Byzantium,

    Philadelphie 2006, p. 13-21.

  • 5

    l’Impératrice byzantine, la Vierge revêt des habits royaux et elle porte l’épithète de

    Souveraine, car elle est à la fois, la Mère, la Fille et l’Épouse du Roi22

    . À l’époque

    paléochrétienne, les images de la Vierge couronnée et vêtue en souveraine sont rarissimes

    dans l’art byzantin d’Orient23

    , tandis qu’en Italie, elles sont assez courantes24

    . Il est

    significatif de noter que la première image connue de la Vierge, désignée par une épithète25

    ,

    est une inscription qui la nomme « La Reine des Incorporels »26

    . Il s’agit de la peinture

    provenant de Sainte-Barbe de Soğanlı (Cappadoce) (1006 ou 1021), où malgré l’inscription la

    nommant « Reine » la Vierge de Tendresse porte uniquement le maphorion, sans aucun

    insigne de royauté27

    . D’inspiration occidentale, le « Couronnement de la Vierge » est

    représenté sur un triptyque du milieu du XIIIe siècle

    28, mais ce sujet ne trouvera guère de

    place dans l’iconographie byzantine. Par la suite, la Vierge Reine apparaît dans les images de

    la « cour royale » au milieu du XIVe siècle.

    Un élément particulier de la tenue de la Vierge Reine au monastère de Marko doit être

    signalé. Son manteau est brodé de grandes croix qui rappellent le sakkos des prêtres. La

    Vierge Reine endosse donc également des habits sacerdotaux, ce qui est une iconographie

    inhabituelle. Cette image de la Vierge est interprétée par certains auteurs comme la

    personnification de l’Église29

    , mais le sacerdoce mystique de la Vierge vient également du fait

    22

    J. Ledit, Marie dans la liturgie de Byzance, Paris 1976, p. 242. 23

    B. V. Pentcheva, Icons and Power, The Mother of God in Byzantium, Philadelphie 2006, p. 21 passim avec

    bibliographie antérieure. 24

    La Vierge Reine est une représentation très courante en Italie à l’époque entre les VIe et XII

    e siècles. C’est le

    cas d’une peinture de Santa Maria Antiqua (première moitié du VIe siècle), ainsi qu’une icône de Santa Maria in

    Trastevere (seconde moitié du VIe

    - début VIIIe siècle). F. Betti, La Pittura a Roma dal IV al IX secolo, dans

    Roma, dall’Antichità al Medioevo, Archeologia e Storia, dir. M. Stella-Arena et alii, Rome 2001, ill. 87, 92.

    Deux autres peintures représentant la Vierge Reine trônant proviennent également de Rome, celle de l’église San

    Clemente (XIe siècle) (F. Guidobaldi, San Clemente, dans Roma, dall’antichità al medioevo, Archeologia e

    Storia, dir. M. Stella-Arena et alii, Rome 2001, ill. 213) et celle de la basilique Santa Susanna (VIIIe siècle) (M.

    Andaloro, Santa Susanna, Gli Affreschi Frammentati, dans Roma, dall’Antichità al Medioevo, Archeologia e

    Storia, dir. M. Stella-Arena et alii, Rome 2001, ill. 245). C’est le cas dans la crypte de l’Épiphanie du monastère

    de San Vincenzo al Volturno (IXe siècle) (J. Wettstein, Saint’Angelo in Formis et la peinture médiévale en

    Campanie, Genève 1960, pl.16a ; P. Delogu, R. Hodges, J. Mitchell, San Vincenzo al Volturno, La Nascita di

    una Città Monastica, San Vincenzo 1996, 37, ill. 20) et à Saint Angelo de Formia (XIe siècle) (O. Morisani, Gli

    affreschi di S. Angelo in Formis, Naples 1962, 31, 81, ill.5-6), etc. Voir également : J. Poeschke, Mosaiken in

    Italien 300-1300, Munich 2009, ill. 31, 38, 91-93, 188-190. 25

    G. Babić, Епитети Богородице коју дете грли, Зборник за Ликовне Уметности 21 (1985), p. 262 ; A. D.

    Kartsonis, Anastasis, the Making of Image, Princeton 1986, p. 108 ; C. Jolivet-Lévy, Les églises byzantines de

    Cappadoce, le programme iconographique de l’abside et de ses abords, Paris 1991, p. 29 note18. 26

    G. Babić, Епитети Богородице коју дете грли, Зборник за Ликовне Уметности 21 (1985), p. 262-263 ; N.

    Thierry, La Vierge de tendresse à l’époque macédonienne, Зограф 10 (1979), p. 59-70. 27

    Ibidem., p. 59-60, fig. 4 ; G. Babić, Епитети Богородице коју дете грли, Зборник за Ликовне Уметности

    21 (1985), p. 263-264. 28

    Byzantium (330-1453), Catalogue de l’exposition de “Royal Academy of Arts” (25 octobre 2008 - 22 mars

    2009), éd. R. Cormack et M. Vassilaki, Londres 2008, p. 363, fig. 55. 29

    Certains auteurs voient dans l’image de la Vierge une représentation symbolique de l’Église. P. Mijović,

    Царска иконографија у српској средњовековној уметности, Старинар 18 (1967), р. 109 passim. ; L.

    Grigoriadou, L’image de la Déisis royale dans une fresque du XIVe siècle à Castoria, Actes du XIV

    e Congrès

  • 6

    qu’elle offre son propre fils au sacrifice à l’image d’un prêtre30

    . Elle est le dernier prêtre qui a

    offert un sacrifice sanglant à Dieu (son fils), d’après les lois de l’Ancienne Alliance31

    . Le

    Christ en revanche est le premier prêtre qui a instauré le sacrifice non sanglant sous les deux

    espèces dans la Nouvelle Alliance32

    . Tous deux donc, peuvent légitimement être considérés

    comme des archiprêtres33

    .

    Le trio composé du Christ, de la Vierge et de saint Jean Prôdrome, forme la

    représentation habituelle de la Déisis (fig. 5). Derrière la Vierge suit le roi David, vêtu comme

    à l’accoutumée d’habits royaux (fig. 4 et 5)34

    , ainsi que cinq saints militaires qui portent des

    costumes de seigneurs (fig. 5 et 6)35

    . Cette composition, nommée, « la cour royale », voit jour

    dans les monuments de Macédoine au milieu du XIVe siècle

    36. Les premiers exemples se

    trouvent dans trois monastères situés sur le territoire de l’archevêché d’Ohrid37

    et occupent les

    International des études byzantines tome II, Bucarest 1971, p. 50. Sur le sacerdoce de la Vierge, voir : A. Lidov,

    The Priesthood of the Virgin in Byzantine Iconography, XXe Congrès Iternational des Études Byzantines, Paris

    2001, p. 427. Sur la Vierge Reine et Archiprêtre, voir : S. Bogevska, The Virgin As Archpriest in Byzantine Art,

    Actes du XXIIe Congrès Iternational des Études Byzantines, Sofia 2011 (à paraître).

    30 Le Saint-Esprit descend sur les prêtres lors de l’ordination, en faisant référence à la descente du Saint-Esprit

    sur les apôtres lors de la Pentecôte. La Vierge a été deux fois ointe par le Saint-Esprit pour sa mission, une fois

    lors de l’Annonciation pour être la mère de Dieu et la mariée du Roi et l’autre fois lors de la Pentecôte. Lors de

    l’Annonciation, l’archange Gabriel annonça : « L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te

    prendra sous son ombre » (Luc 1, 35). Saint Jean Précurseur, peint à gauche du Christ Roi, est également un

    modèle de prêtre, car lors de l’Annonciation faite à Zacharie, l’ange proclama : « il sera rempli de l’Esprit Saint

    dès le sein de sa mère » (Luc, 1, 15), en faisant référence à la Visitation. L’Esprit Saint consacre les saints

    apôtres et la Vierge à leur ministère au cours du Pantecôte. (Actes des Apôtres 2, 1-47). La présence de la

    Théotokos à ce moment est explicitement mentionnée. Actes des Apôtres 1, 13-14 : « Tous d’un même cœur

    étaient assidus à la prière avec quelques femmes, dont Marie mère de Jésus, et avec ses frères ». 31

    Lévitique 4, 7 ; Lévitique 17, 11 ; Lévitique 16, 3-34. 32

    Matthieu 26, 28 : « Ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui va être répandu pour une multitude en

    rémission des péchés ». 33

    Voir : S. Bogevska, The Virgin As Archpriest in Byzantine Art, Actes du XXIIe Congrès Iternational des

    Études Byzantines, Sofia 2011 (à paraître). 34

    Sur le costume du prophète David dans cette scène, voir : C. Grozdanov, Из иконографије Марковог

    Манастира, Зограф 11 (1980), p. 92. 35

    Il s’agit de saint Georges, suivi par saints Théodore Tiron et Stratilate, saint Ménas ou Eusthate Placidas et

    saint Arthémios ou Nicétas. Ibidem., p. 87 passim. ; C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo сликарствo od XIV век,

    Ohrid 1980, p. 108. 36

    À part dans l’art monumental, cette composition a été également remarquée dans les enluminures, illustrant le

    Psaume 44/45. Il s’agit du Psautier serbe de Munich (la fin du XIVe siècle). J. Strzygowski, Die Miniaturen des

    serbischen Psalters : Der Königl Hof- und Staatsbibliothek in München, Vienne 1906, p. 30, pl. XIV ; Der

    serbische Psalter : Faksimile-Ausgabe des Cod. Slav. 4 der Bayerischen Staatsbibliothek München, Wiesbaden

    1983 (textes : S. Dufrenne, p. 203-205, S. Radojĉić p. 271 passim., I. Ševĉenko, p. 104-106), S. Radojĉić,

    Минхенски српски псалтир, Зборник Филозофског Факултета VII/1 (1963), p. 281 (il date le manuscrit

    après 1370). 37

    L. Grigoriadou pense que l’iconographie de la Déisis royale a pu être élaborée à Constantinople et dans

    l’entourage de Grégoire Palamas. L. Grigoriadou, L’image de la Déisis royale dans une fresque du XIVe siècle à

    Castoria, Actes du XIVe Congrès International des études byzantines tome II, Bucarest 1971, p. 51-52 (avec

    bibliographie plus ancienne). S. Radojĉić propose de voir le territoire de Macédoine comme foyer de cette

    iconographie. S. Radojĉić, Фреске Марковог Манастира и живот св. Василија Новог, Зборник Радова

    Византолошког Института 4 (1956), р. 224 ; C. Grozdanov précise que les premiers trois monuments se

    trouvent sur le territoire de l’archevêché d’Ohrid. C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo сликарствo od XIV век,

  • 7

    parties occidentales de l’église38

    . L’image s’inspirerait principalement du Psaume 44/45

    versets 5 passim39

    : « Ton trône est de Dieu pour toujours et à jamais ! Sceptre de droiture le

    sceptre de ton règne ! Tu aimes la justice, tu hais l’impiété…. Des palais d’ivoire, les harpes

    te ravissent. Parmi tes bien-aimées sont des filles de roi ; à ta droite une dame, sous les ors

    d’Ophir. Écoute, ma fille, regarde et tends l’oreille, oublie ton peuple et la maison de ton

    père, alors le roi désirera ta beauté : Il est ton Seigneur, prosterne-toi devant lui ! La fille de

    Tyr, par des présents, déridera ton visage, et les peuples les plus riches, par maint joyau serti

    d’or »40

    . Le Roi mentionné dans le Psaume est le Christ trônant et la « dame sous les ors

    d’Ophir » c’est la Vierge, représentée à droite du Christ, comme le stipule le verset 10 du

    Psaume (fig. 5). Le roi David, peint derrière la Vierge Reine, est l’auteur des Psaumes, d’où

    sa place dans l’image. Suivent les nobles de la cour de Jesus-Christ à savoir les saints

    militaires vêtus de seigneurs, d’après le verset 17 du Psaume 44/45 : « A la place de tes pères

    te viendront des fils ; tu en feras des princes par toute la terre »41

    .

    Le Psaume 44/45 est cité lors du rite de la prothesis42

    , qui consiste à préparer les saints

    oblats pour la liturgie eucharistique, d’où la connotation eucharistique qui était donnée à cette

    composition dans les monuments antérieurs à la représentation du Monastère de Marko

    Ohrid 1980, p. 134 ; C. Grozdanov, Исус Христос цар над царевима у живопису Охридске архиепископије

    од XV до XVII века, Зограф 27 (1998/99), р. 151. 38

    Dans l’église de la Vierge du monastère Treskavec (vers 1340), la composition se trouve dans le compartiment

    nord-ouest de l’église. C. Grozdanov, Христос цар, Богородица царица, небесните сили и светите воини во

    живописот од 14ти и 15ти век во Трескавец, dans Студии за Охридскиот живопис, Skopje 1990, p. 132-

    149 ; S. Smolĉić-Makuljević, Царски Деизис и небески двор у сликарству XIV века манастира Трескавац,

    Иконографски програм северне куполе припрате цркве Богородичиног Успења, Треħа Југословенска

    Конференција Византолога, Kruševac/Belgrade 2002, pр. 463-472. Dans l’église de la Vierge du monastère

    Zaum (1361) et dans l’église de la Vierge Péribleptos d’Ohrid (1364/65) la composition se trouve sur la façade

    occidentale. C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo сликарствo od XIV век, Ohrid 1980, p. 105 passim., p. 132-

    134. 39

    Certaines représentations plus tardives (XVe siècle) portent l’inscription du Psaume 92 près de la

    représentation du Christ Roi : d’autres sources écrites ont donc pu influencer cette image. C. Grozdanov, Исус

    Христос цар над царевима у живопису Охридске архиепископије од XV до XVII века, Зограф 27

    (1998/99), p. 152 passim. V. Djurić pense que le Psaume 88/89 est l’une des inspirations pour cette

    représentation : V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству, Зборник за

    Ликовне Уметности 4 (1969), p. 94 ; V. J. Djurić, Византијске фреске у Југославији, Belgrade 1974, p. 80. 40

    D’après : La Bible de Jérusalem, Éditions du Cerf, Paris 1994. 41

    D’après L. Mirković, les saints en tenue de seigneurs sont des rois et des prophètes de l’Ancien Testament et

    leur iconographie s’inspire du verset 17 du Psaume 44/45. L. Mirković, Да ли се фреске Маркова манастира

    могу тумачити житијем Св. Василија Нового, Старинар 12 (1961), р. 78. S. Radojĉić interprète les peintures

    du Monastère de Marko avec la vie de saint Basile le Jeune et considère que les figures du premier registre sont

    des saints vêtus en seigneurs qui reçoivent leurs habits et couronnes de gloire du Christ. S. Radojĉić, Фреске

    Марковог Манастира и живот св. Василија Новог, Зборник Радова Византолошког Института 4 (1956),

    р. 218-219. Nous suivons l’opinion de P. Mijovic, qui identifie les saints en tant que saints militaires, dont le

    costume est inspiré du verset 17 du Psaume 44/45. P. Mijović, Царска иконографија у српској

    средњовековној уметности, Старинар 18 (1967), р. 111-112 ; 114. Sur l’interprétation liturgique de ce verset,

    voir également : P. Ladouceur, Old Testament Prefigurations of the Mother of God, St. Vladimir’s Theological

    Quarterly vol. 50, N° 1-2 (2006), p. 56-57. 42

    E. Mercenier, La prière des églises de rite byzantin I, Prieuré d’Amay-sur-Meuse 1939, p. 212-218.

  • 8

    (Treskavec, Vierge Péribleptos, Zaum)43

    . La peinture du Monastère de Marko est le premier

    exemple connu qui place cette image près du sanctuaire en endossant légitimement cette

    signification eucharistique44

    . En effet, la composition précède la niche de la prothèse où

    s’effectue le rite de la prothesis pendant lequel est lu le Psaume 44/45. Au moment de

    l’extraction de la parcelle de la Vierge, « la Panaghia », le prêtre récite justement le verset

    5 du Psaume : « à ta droite une dame, sous les ors d’Ophir »45

    . Juste après la parcelle de la

    Vierge, le prêtre enlève la parcelle de saint Jean Baptiste, « l’honorable et glorieux prophète

    et précurseur », et il place la parcelle à gauche de l’Amnos46

    . Ainsi, le Christ Roi des Rois

    représente la parcelle de l’Amnos, la Vierge Reine celle de la « Panaghia », placée à droite, et

    saint Jean Baptiste fait référence à la troisième parcelle posée à gauche de l’Amnos. La

    présence de David s’explique également par le rite de la prothesis, car il est mentionné lors de

    l’extraction de la parcelle en mémoire des prophètes, prélevée juste après celle de saint Jean

    Baptiste47

    . Le contenu eucharistique de cette composition est donc incontestable. Toutefois, le

    concepteur du programme du Monastère de Marko a également utilisé cette image de la

    « cour céleste » pour faire passer un autre message : la légitimité du règne de roi Marko.

    Dans le prolongement du mur nord vers l’ouest se trouve un panneau très détérioré

    (fig. 7 et 5). L’identification des personnages représentés a été possible grâce aux travaux de

    43

    C. Grozdanov pense que les premières images de Treskavec, Zaum et de la Vierge Péribleptos se trouvent dans

    les parties occidentales accompagnées d’images de caractère eschatologique. C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo

    сликарствo od XIV век, Ohrid 1980, p. 109. S. Smolĉić-Makuljević pense également que la composition à

    Treskavec est placée dans un contexte eschatologique. S. Smolĉić-Makuljević, Царски Деизис и небески двор

    у сликарству XIV века манастира Трескавац, Иконографски програм северне куполе припрате цркве

    Богородичиног Успења, Треħа Југословенска Конференција Византолога, Kruševac/Belgrade 2002, p. 468,

    472. Dans un article plus tardif, C. Grozdanov place ces images dans un contexte eucharistique, en démontrant

    que le sacrifice du Christ Roi est la raison d’être de cette image. C. Grozdanov, Христос цар, Богородица

    царица, небесните сили и светите воини во живописот од 14ти и 15ти век во Трескавец, dans Студии за

    Охридскиот живопис, Skopje 1990, p. 132-149. Nous partageons l’avis de C. Grizdanov et pensons que cette

    composition se trouve dans un contexte eucharistique dans les églises de la Vierge Péribleptos, de Zaum et de

    Treskavec. Voir : S. Bogevska, The Virgin As Archpriest in Byzantine Art, Actes du XXIIe Congrès Iternational

    des Études Byzantines, Sofia 2011 (à paraître). 44

    À partir de 1380, la composition se trouve fréquemment peinte à côté de l’iconostase et ne comporte plus la

    représentation du prophète David. L’église de Saint-Athanase de Kastoria (1384/85) (S. Pelekanidis, Καζηορηά,

    Thessalonique 1953, pl. 150b), l’église de la Transfiguration de Kovalevo / Novgorod vers 1380 (V. N. Lazarev,

    Ковалевская роспись и проблема южнослабянских связей живописи XIV века, dans Русская

    Средневековая живопись, Статьи и исследования, Moscow 1970, p. 234-278), Saint-Nicolas Šiševo (vers

    1380) (V. J. Djurić, Византијске фреске у Југославији, Belgrade 1974, p. 83), etc. Sur les exemples plus

    tardifs, voir : C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo сликарствo od XIV век, Ohrid 1980, p. 109 note 41 ; G.

    Subotić, Oхридската сликарска школа од XV век, Ohrid 1980, fig. 34, 51, 70, 79, 114 ; C. Grozdanov, Исус

    Христос цар над царевима у живопису Охридске архиепископије од XV до XVII века, Зограф 27

    (1998/99), р. 151 passim. 45

    E. Mercenier, La prière des églises de rite byzantin I, Prieuré d’Amay-sur-Meuse 1939, p. 214. Sur la Vierge

    Reine et la parcelle de la Panaghia, voir : P. Ladouceur, Old Testament Prefigurations of the Mother of God, St.

    Vladimir’s Theological Quarterly vol. 50, N° 1-2 (2006), p. 50. 46

    E. Mercenier, La prière des églises de rite byzantin I, Prieuré d’Amay-sur-Meuse 1939, p. 214. 47

    Ibidem., p. 214.

  • 9

    conservation menés en 196448

    . Au milieu de la composition se trouve le roi Vukašin, le

    fondateur du monastère, accompagné de sa femme - la reine Hélène (à droite)49

    . Vukašin tient

    le modèle de l’église dans ses mains, qu’il tend à saint Démétrios50

    , représenté dans un nuage

    et porté par un ange. À côté de Vukašin se trouve son fils aîné, le roi Marko51

    et les deux sont

    bénis par le Christ qui se trouve dans un segment céleste52

    .

    Nous avons déjà mentionné que les peintures de l’église ont été exécutées en 1376/77

    après la mort de Vukašin. L’image de Vukašin est donc posthume, et il figure ici en tant que

    fondateur du monastère et de la dynastie des Mrnjavĉević53

    . Le fait que le Christ bénit le roi et

    son successeur démontre la légitimité de la lignée royale approuvée par le souverain suprême.

    Juste après l’image de la famille royale, sur le mur occidental, est peinte la

    représentation de saints Constantin et Hélène (fig. 5)54

    , les premiers rois chrétiens, qui

    tiennent la croix entre eux. La reine Hélène a vraisemblablement souhaité un portrait de son

    homonyme - sainte Hélène, près des portraits de la famille royale. Cependant, la présence de

    saints Constantin et Hélène aux côtés des portraits de la famille des Mrnjavĉević55

    s’explique

    aussi par une autre raison. Saints Constantin et Hélène sont le modèle du couple impérial

    48

    Z. Gavrilović, The wall paintings at the Monastery of Marko, 1376/77, Serbian Studies 13 (1999), p. 147, note

    6 avec bibliogrpahie. 49

    N. Nošpal-Nikuljska, За ктиторската композиција и натписот во Марковиот Манастир-село Сушица,

    Скопје, Гласник на Институтот за Национална Историја 15/2 (1971), р. 229. 50

    Le ktitor offrant le modèle de l’église au saint patron est fréquemment représenté dans les fondations serbes : à

    Saint-Georges de Nagoriĉino (1316-18), Saint-Archange-Michel de Lesnovo (c. 1343), l’église de la Mère de

    Dieu de Matejĉe (1348-52), Saint-Nicolas de Psaĉa (1365-71), etc. E. Dimitrova, The Portal to Heaven,

    Reaching the Gates of Immortality, dans Ниш и Византија, Пети научни скуп, Ниш 3-5 јун 2006, Зборник

    радова 5, Niš 2007, fig. 1, 5, 7-9, 11. 51

    N. Nošpal-Nikuljska, За ктиторската композиција и натписот во Марковиот Манастир-село Сушица,

    Скопје, Гласник на Институтот за Национална Историја 15/2 (1971), р. 231. 52

    Le Christ bénissant des deux mains les ktitores se rencontre souvent à l’époque tardo-byzantine dans les

    fondations serbes. À Arilje par exemple, il adopte cette posture à plusieurs reprises (G. Millet, A. Frolow, La

    peinture du moyen âge en Yougoslavie II, Paris 1954, pl. 96, ill. 2 et 3 ; pl. 97, ill. 3). De même, à la Vierge

    Ljeviška (D. Panić, G. Babić, Богородица Љевишка, Belgrade 1975, schéma 18), dans le narthex des Saints-

    Apôtres de Peć (début du XIIIe), (Byzantium, Faith and Power (1261-1557), Catalogue de l’exposition du

    “Metropolitan Museum of Art” (23 mars - 4 juillet 2004), éd. H. C. Evans, New York 2004, fig. 12.6), etc. 53

    L’architecture de l’église du monastère de Marko a été terminée au temps du roi serbe Étienne Dušan qui, en

    1346, a été sacré empereur à Skopje. H. Gelzer, Der Patriarchat Von Achrida, Geschinchte Und Urkunden,

    Leipzig 1902, p. 14-15 ; G. Ostrogorsky, Histoire de l’État Byzantin, Paris 1996, p. 544-546 ; M. A. Purković,

    Српски патриарси средњег века, Гласник Скопског Научног Друштва 15/16 (1936), p. 304-306. À ce

    moment, Vukašin était un simple seigneur serbe. Après la mort de Dušan, son fils le roi Étienne Uroš V (1355-

    1371) lui succède et, profitant de la faiblesse du pouvoir central du nouveau roi, Vukašin se proclama co-roi

    officiel d’Uroš vers 1365. Il gouverna le territoire de Prizren, Kiĉevo, Skopje et Prilep. G. C. Soulis, The Serbs

    and Byzantinum During the Reign of Tzar Stephen Dušan, (1331-1355) and his successors, Washington 1984, p.

    96-97. La proclamation de Vukašin au titre de roi se serait faite de manière paisible, avec l’accord d’Uroš. K.

    Јiriĉek, Историја Срба I, Belgrade 1978, p. 246-247 ; L. Mirković, Мрнјавчевиħи, Старинар 3 (1925), р. 14-

    15. 54

    Fêtés le 21 mai. F. Halkin, Bibliotheca Hagiographica Graeca, Subsidia Hagiographica 8 (1957), 361x-369k. ;

    H. Delehaye, Synaxarium Constantinopolitanum, Bruxelles 1902, cols. 697-700 ; J-P. Migne, Patrologiae

    Graecae CXVII, Paris 1894, cols. 467-468. 55

    Le roi Vukašin n’est pas un descendant de la dynastie royale serbe des Némanides. Il devient co-roi de Étienne

    Uroš V (1355-1371) qu’en 1365. Voir : Cf. supra note 52.

  • 10

    parfait. Au XIVe siècle, les empereurs byzantins portent dans leur titulature officielle

    : « Empereur et Nouveau Constantin » qui fait référence au règne glorieux de Constantin le

    Grand56

    . Dans les fondations des rois serbes, l’association des portraits royaux à ceux de

    saints Constantin et Hélène est fréquente, solution également employée par le roi Marko57

    . En

    comparant le règne du roi Marko au règne glorieux de Constantin et Hélène, le concepteur du

    programme a explicitement souligné les qualités royales exceptionnelles du ktitor.

    Le programme du premier registre de la paroi nord et ouest de l’église de Marko est

    donc élaboré à des fins de propagande (fig. 5). Au plus près du chœur se trouve le Christ Roi

    entouré de puissances célestes, de son messager saint Jean Baptiste, de la Vierge Reine et de

    David, qui est également un roi vétérotestementaire. Cette image de la « cour céleste » est

    mise en relation avec l’image de la « cour terrestre » avec les portraits de Vukašin, de sa

    femme Hélène, et de son fils et héritier Marko. Ces deux représentations sont enfin en lien

    étroit avec l’image de saints Constantin et Hélène, paradigmes du couple impérial idéal. Il est

    clair que le concepteur du programme désirait exalter le pouvoir impérial de la dynastie des

    Mrnjavĉević, en mettant un accent sur la légitimité de leur règne. Vukašin et Marko

    Mrnjavĉević sont les représentants légitimes du Christ « Roi des rois » sur terre. Saints

    Constantin et Hélène en sont des garants.

    Les préoccupations militaires du jeune roi sont également exprimées dans le choix des

    saints en pieds du premier registre de l’église. Il s’agit majoritairement de saints militaires58

    .

    L’insistance sur les images des saints guerriers trahit l’inquiétude du roi Marko et l’espérance

    de l’aide divine dans les interventions militaires à venir. L’église elle-même est dédiée à saint

    56

    Par exemple, l’empereur Michel VIII Paléologue (1261-1282) porte ce titre dans l’église de la Vierge

    Mavriotissa à Kastoria (1261-64), dans l’église Saint-Nicolas Manastir (1270/71) et de l’église de la Vierge

    d’Apollonia (1272-74/75). T. Papamastorakis, Ἕνα εἰκαζηικό ἐγκώμιο ηος Μισαὴλ Η´ Παλαιολόγος, Οἱ

    ἐξωηεπικέρ ηοισογπαθίερ ζηό καθολικό ηῆρ μονῆρ ηῆρ Μαςπιώηιζζαρ ζηὴν Καζηοπιά, Δειηίολ ηῆς Χρηζηηαληθῆς

    Ἀρταηιογηθῆς Ἑηαηρείας, π. 4 η. 15 (1989-1990), p. 233 ; F. Barišić, Два грчка натписа из Манастира и Струге,

    Зборник Радова Византолошког Института VIII/2 (1964), p. 16 ; H. Melovski, Натписи и записи од

    византиско и поствизантиско време, Skopje 2009, p. 37-61 ; H. Buschhausen, Die Marienkirche von

    Apollonia in Albanien, Vienne 1976, p. 146-147. 57

    V. Djurić, Le nouveau Constantin dans l’art serbe médiéval, Lithostrôton : Studien zur Byzantinischen Kunst

    und Geschichte : Festschrift für Marcell Restle, Stuttgart/Anton Hiersemann 2000, p. 55-65, fig. 1. Voir

    également : P. Guran, Nouveau Constantin, Nouveau Silvestre, Les cultes des saints souverains et des saints

    guerriers et l’idéologie du pouvoir en Europe Centrale et Orientale : Actes du Colloque International, 17 janvier

    2004, éd. I. Biliarsky et R. G. Paun, Bucarest 2007, p. 134-164 ; G. Dagron, Empereur et prêtre, Étude sur le

    « césaropapisme » byzantin, Paris 1996, p. 141-168, surtout 159 passim. ; S. Marjanović-Dušanić, Владарска

    идеологија Немањича, Дипломатичка студија, Belgrade 1997, p. 287-300. 58

    Il s’agit de dix-neuf figures de saints militaires et d’une représentation de l’archange Michel en tenue de

    guerrier. Dans la bibliographie plus ancienne, les saintes figures qui accompagnent les protagonistes de la « Cour

    royale » ont été identifiées en tant que prophètes. Il est communément admis aujourd’hui qu’il s’agit bien des

    saints militaires. Sur la polémique, voir : C. Grozdanov, Из иконографије Марковог Манастира, Зограф 11

    (1980), 91 passim. avec bibliographie antérieure.

  • 11

    Démétrios, l’un des saints militaires les plus populaires dans le royaume serbe59

    . Vukašin et

    Marko sont peints dans la suite des saints militaires et donc ils seraient les « princes » cités

    dans le verset 17 du Psaume 44/45.

    La composition de la « cour céleste », qui au départ avait une signification

    eucharistique est donc réinterprétée dans le monastère de Marko afin d’exprimer la légitimité

    du pouvoir des deux rois-ktitores.

    Cela est également évident dans une autre représentation qui se trouve sur la façade

    sud de l’église (fig. 8)60

    . Cette peinture se trouvait à l’intérieur d’une annexe qui fut détruite et

    dont la fonction est toujours débattue dans les cercles scientifiques. Dans la lunette qui

    surmonte la porte d’entrée se trouve le saint patron de l’église - saint Démétrios Eleimon61

    .

    Au-dessus de lui, dans un segment céleste, le Christ Emmanuel bénit les deux personnes

    représentées à gauche et à droite du saint patron : à droite se trouve le roi Vukašin, et à gauche

    son fils le prince Marko62

    . La représentation sur la façade méridionale du monastère de Marko

    rappelle l’image de ktitores de l’intérieur où les rois Vukašin et Marko sont également bénis

    par le Christ du segment céleste (fig. 4 et 5).

    59

    Z. Gavrilović, The wall paintings at the Monastery of Marko, 1376/77, Serbian Studies 13 (1999), p. 148 note

    9 avec bibliogrpahie. Sur la coutume d’offrir une fondation à un saint militaire après une victoire militaire à

    Byzance, en Serbie, en Russie, en Moldavie et ailleurs, voir: V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14

    века и њихов одјек у сликарству, Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969), p. 71-74. 60

    Sur cette image voir : K. Balabanov, Новооткриени портрети на кралот Марко и кралот Волкашин во

    Марковиот манастир, Културно наследство 3 (1967), p. 47-66 ; K. Balabanov, Новооткривени портрети

    краља Марка и краља Вукашина у Марковом манастиру, Зограф 1 (1966), p. 28-29 ; V. J. Djurić, Tри

    догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству, Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969),

    p. 67-100 ; Z. Gavrilović, The Portrait of King Marko at Markov Manastir (1376-1381), Byzantinische

    Forschungen 16 (1991), p. 415-428. Certains auteurs expriment l’opinion que la composition sur la façade est

    plus tardive et daterait d’après la bataille de Kosovo en 1389. E. Dimitrova, The Portal to Heaven, Reaching the

    Gates of Immortality, dans Ниш и Византија, Пети научни скуп, Ниш 3-5 јун 2006, Зборник радова 5, Niš

    2007, p. 379. Malgré une possibilité de datation plus tardive de cette peinture, le lien iconographique et

    idéologique entre les deux compositions est incontestable. 61

    Sur l’image de saint Démétrios dans cette composition et son épithète particulière (Eleimon), voir : Z.

    Gavrilović, The Portrait of King Marko at Markov Manastir (1376-1381), Byzantinische Forschungen 16 (1991),

    p. 420-423. 62

    Le roi Marko est désigné par l’inscription près de sa tête : « ктиторь » - ktitor. Sur son phylactère ouvert nous

    lisons le texte slavon : « А(зъ) вь/ Ха Ба бла/(говѣ)рьни/ крал(ь) Марко/ сьз(ь) дах(ь) и/ поп(и)с(а)хь/ (сы)

    божес/твни хра/м(ь)… - Moi, fidèle au Christ le Dieu, roi Marko, a fait construire et décorer ce sanctuaire

    divin... ». Près de la tête de Vukašin nous lisons « ...Ха Ба …. cамодержавни …високи краль - en Christ le

    Dieu...autocrator... le haut roi », et sur son rouleau : « Азь вь Ха/ Ба благо/вѣрни к/рал(ь) Влька/шинь

    кти/тор божес(твени)/ храм(ь) да/ тко ике/ɷд дат под/стугою/да ѥ п/рокле(ть)/ - Moi, fidèle au Christ

    le Dieu, roi Vukašin ktitor de ce sanctuaire divin, celui qui ôtera … qu’il soit maudit »62

    . K. Balabanov,

    Новооткривени портрети краља Марка и краља Вукашина у Марковом манастиру, Зограф 1 (1966), p. 28.

    Les inscriptions ont été corrigées par : V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у

    сликарству, Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969), p. 87-88 et complétées par : P. Ivić, V. J. Djurić, S.

    Ćirković, Есфигменска повеља деспота Ђурђа, Belgrade 1989, p. 48-49, ill. 32. Voir également : Z.

    Gavrilović, The wall paintings at the Monastery of Marko, 1376/77, Serbian Studies 13 (1999), p. 147 ; Z.

    Gavrilović, « The Portrait of King Marko at Markov Manastir (1376-1381) », in Studies in Byzantine and

    Serbian Medieval Art, London 2001, p. 154.

  • 12

    Les deux rois sur la façade sont peints sur un fond rouge, la couleur impériale par

    excellence63

    . Les portraits impériaux peints sur un fond rouge dans l’art monumental sont

    rares. À part l’exemple de l’empereur byzantin Michel VIII dans l’église rupestre Saint-

    Erasme près d’Ohrid64

    , tous les autres exemples qui nous sont connus sont réservés aux rois

    serbes : le portrait de Kral Milutin dans le narthex de l’église Vierge Ljeviška (1310-1313)65

    ,

    le petit Uroš dans l’église de l’Annonciation de Karan (1340-42)66

    , les portraits de Dušan et

    de sa famille à Saint-Démétrios de Peć (1345)67

    , ainsi qu’à Pološko (1343-45)68

    , les portraits

    de Vukašin et Marko à Saint-Archange-Michel de Varoš (vers 1372)69

    , ainsi que leurs images

    63

    Le fond rouge des peintures est une tradition antique (Pompéi), qui se perpétue à l’époque paléochrétienne et

    byzantine. S. Tomeković, Évolution d’un procédé décoratif (fonds et nimbes de couleurs différentes), à Chypre,

    en Macédoine et dans le Péloponnèse (XIIe siècle), Δηεζλές σκπόζηο Βσδαληηλή Μαθεδολία 324-1430 κ. Χ.,

    Θεζζαιολίθε 29-31 Οθηωβρίοσ 1992, Thessalonique 1995, p. 330 passim. M. Pepek et S. Radojĉić pensent que

    les fonds rouges dans la peinture monumentale sont inspirés des fonds rouges des icônes. Quant à la signification

    du rouge, P. Miljković-Pepek mentionne la symbolique de brillance et de luminosité. P. Miljković-Pepek, Le

    portrait de l’empereur byzantin Michel VIII à l’église rupestre de Saint-Érasme près d’Ohrid, Cahiers

    Archéologiques 45 (1997), p. 174-175 ; S. Radojĉić, Портрети српских владара у Средњем веку, Skopje

    1934, p. 62-64. Leurs théories semblent peu convaincantes. 64

    Plusieurs auteurs ont essayé d’identifier cet empereur, dont le nom n’est pas conservé. R. Ljubinković propose

    d’y voir l’empereur de Thessalonique, Théodore Ange Comnène Dukas (1224/25-1230) (R. Ljubinković, M.

    Ćorović - Ljubinković, Средновековното сликарство во Охрид, Ohrid 1961, p. 111-112), opinion suivie par

    G. Angeliĉin (G. Angeliĉin, Пештерните цркви во Охридско-Преспанскиот регион (Р. Македонија, Р.

    Албанија, Р. Грција), Struga 2004, p. 95 note 4) et K. Balabanov (A. Nikolovski, D. Ćornakov, K. Balabanov,

    Споменици на Културата во НР Македонија, Skopje 1980, p. 274). V. Djurić et C. Grozdanov pensent qu’il

    s’agit d’Andronic II Paléologue (1282-1328) (V. J. Djurić, Портрети на повељама византијских и српских

    владара, Зборник Филозофског Факултета 7-1 (1963), p. 268 ; C. Grozdanov, Oхридското ѕиднo

    сликарствo od XIV век, Ohrid 1980, p. 27). P. Miljković-Pepek expose des arguments en faveur d’une

    identification à Michel VIII Paléologue (empereur de Nicée de 1258 à 1261, et de Constantinople de 1261 à

    1282) (P. Miljković-Pepek, Пештерната црква Свети Еразмо крај Охрид, Skopje 1994, p. 20 et suite ; P.

    Miljković-Pepek, Le portrait de l’empereur byzantin Michel VIII à l’église rupestre de Saint-Érasme près

    d’Ohrid, Cahiers Archéologiques 45 (1997), p. 169-177). Nous sommes favorables à cette dernière

    identification. Voir : S. Bogevska, Les églises rupestres de la région des lacs d’Ohrid et de Prespa (milieu du

    XIIIe - milieu du XVI

    e siècle), Thèse de Doctorat soutenue à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sous la

    direction de Mme. la professeure C. Jolivet-Lévy, Paris 2010 (en préparation pour publication). 65

    D. Panić, G. Babić, Богородица Љевишка, Belgrade 1975, ill.1 ; B. Todić, Serbian Medieval Painting, The

    Age of Milutin, Belgrade 1999, pl. XI. 66

    M. Kašanin, en revanche, ne reconnaît aucun portrait du jeune Uroš dans l’église et déduit que les portraits

    royaux ont dû être exécutés avant ou très vite après la naissance du petit Uroš, en 1336/37. Il propose une

    datation entre 1332-1337. М. Kašanin, Бела црква Каранска, Старинар 3 sér. IV, (1928), p. 128. G. Babić

    analyse le portrait du jeune roi Uroš, date les peintures vers 1341-42, mais ne mentionne pas la couleur du fond.

    G. Babić, Портрет краљевића Уроша у Белој цркви Каранској, Зограф 2 (1967), p. 17-19. I. Djordjević

    mentionne le fond rouge. I. Djordjević, Зидно сликарство српске властеле у доба Немањиħа, Belgrade 1994,

    p. 141. Nous n’avons pas eu la possibilité d’examiner ces peintures, ni de voir une image en couleur. 67

    Il s’agit des portraits de l’archevêque Joanice II, du roi Étienne Dušan, de l’héritier du trône le jeune roi

    Étienne Uroš, ainsi que de saint Sava, le premier archevêque serbe. G. Subotić, L’art médiéval du Kosovo, Paris

    1997, pl. 22 ; V. J. Djurić, S. Ćirković, V. Korać, Пеħка патријаршија, Belgrade 1990, p. 204-205, ill. 130. 68

    La partie haute de la composition est peinte en pourpre et la partie basse en vert. Des reproductions en couleur

    de cette peinture, mais de mauvaise qualité, sont publiées dans : D. Ćornakov, Полошки Манастир, Skopje

    2006, fig. à la p. 41 et 42. 69

    Sur la description des portraits, voir : S. Radojĉić, Портрети српских владара у Средњем веку, Skopje

    1934, p. 62-63 ; V. J. Djurić, Византијске фреске у Југославији, Belgrade 1974, p. 80.

  • 13

    au Monastère de Marko70

    . S. Tomeković considère que le fond rouge des portraits impériaux

    serbes est uniquement dû à une recherche décorative : le rouge continu serait un accent

    coloristique rompant avec la monotonie du bleu71

    .

    Toutefois, une certaine symbolique du rouge fut vraisemblablement prise en compte

    au cours de l’exécution des portraits impériaux. Dans l’image des ktitores à Ljeviška, le Kral

    Milutin est le seul qui se détache sur un fond rouge et tous les autres membres de la famille

    des Némanides sont peints sur un fond bleu. Ces portraits sont exécutés à l’apogée de la

    puissance de Milutin, resté seul sur le trône après la destitution de son frère et co-souverain

    Dragutin72

    . À notre avis, cette idée du souverain légitime fut plastiquement exprimée par la

    mise en valeur de sa personne sur un fond rouge, couleur impériale par excellence.

    La tradition des fonds rouge semble être perpétuée par le roi Étienne Dušan. Dans

    l’église de l’Annonciation à Karan (1340-42), il a fait peindre le portrait de son fils, le petit

    prince Uroš sur un fond rouge73

    . Il s’agit d’une sorte de désignation du successeur légitime du

    roi Dušan et de sa femme Hélène, qui ne donna un enfant au roi que quatre ans après leur

    mariage. G. Babić pense que le petit Uroš ne porte pas les insignes de la royauté et que son

    portrait à Karan a vraisemblablement été peint au moment où Dušan hésitait à désigner

    comme son successeur son demi-frère Siméon ou son fils Uroš74

    . À notre avis, Dušan a choisi

    70

    Pour une reproduction de l’image en noir et blanc : E. Dimitrova, The Portal to Heaven, Reaching the Gates of

    Immortality, dans Ниш и Византија, Пети научни скуп, Ниш 3-5 јун 2006, Зборник радова 5, Niš 2007, fig.

    11. Z. Gavrilović mentionne le fond rouge, mais ne commente pas sa signification. Z. Gavrilović, The Portrait of

    King Marko at Markov Manastir (1376-1381), Byzantinische Forschungen 16 (1991), p. 418, pl. VII-IX. V.

    Djurić se demande pourquoi Marko et Vukašin sont peints sur un fond rouge et estime que cette couleur est

    l’héritage de l’époque romaine et dans les images médiévales elle est une couleur impériale. Cependant, il

    n’arrive pas à expliquer l’utilisation ponctuelle et non pas systématique de cette couleur (V. J. Djurić, Tри

    догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству, Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969),

    p. 89-90). P. Mijović, de son côté, interprète la couleur rouge du fond uniquement dans le contexte de l’image du

    Monastère de Marko. Il estime que la couleur est en lien avec la Passion du Christ, qui étant le Roi des Juifs,

    s’est fait revêtir d’un manteau royal pourpre. P. Mijović, Царска иконографија у српској средњовековној

    уметности (II), Starinar 22 (1971), p. 67-93, p. 84 note 75. 71

    S. Tomeković, Évolution d’un procédé décoratif (fonds et nimbes de couleurs différentes), à Chypre, en

    Macédoine et dans le Péloponnèse (XIIe siècle), Δηεζλές σκπόζηο Βσδαληηλή Μαθεδολία 324-1430 κ. Χ.,

    Θεζζαιολίθε 29-31 Οθηωβρίοσ 1992, Thessalonique 1995, p. 338-339. 72

    D. Panić, G. Babić, Богородица Љевишка, Belgrade 1975, p. 59. 73

    G. Babić, Портрет краљевића Уроша у Белој цркви Каранској, Зограф 2 (1967), р. 17-19 ; I. Djordjević,

    Зидно сликарство српске властеле у доба Немањиħа, Belgrade 1994, p. 141. 74

    G. Babić, Портрет краљевића Уроша у Белој цркви Каранској, Зограф 2 (1967), р. 17-19. La conquête

    serbe de l’Épire se situe en 1348, et déjà en 1356 Siméon Uroš Paléologue proclame son indépendance face à

    son neveu, le roi Uroš V, le fils de Dušan. M. Lascaris, Deux chartres de Jean Uroš, dernier Némanide

    (novembre 1372, indiction XI), Byzantion 25-27 (1955-57), p. 284 ; G. C. Soulis, The Serbs and Byzantinum

    During the Reign of Tzar Stephen Dušan, (1331-1355) and his successors, Washington 1984, p. 115 ; K. Jiriĉek,

    Историја Срба I, Belgrade 1978, p. 238. Siméon Uroš Paléologue est mentionné en tant que souverain dans

    l’inscription provenant des Taxiarches à Kastoria de 1359/60. E. N. Kyriakoudis, La peinture murale de Kastoria

    pendant la deuxième moitié du XIVe siècle et ses relations avec l’art de Salonique et des pays balkaniques

    limitrophes, Rapports du IVe Colloque serbo-grec « L’art de Thessalonique et des pays balkaniques et les

    courants spirituels au XIVe siècle », tenu à Belgrade 1985, Belgrade 1987, p. 33-34 avec bibliographie.

  • 14

    son successeur dès la naissance de son fils et avait l’intention de suivre la tradition des

    Némanides sur la priorité de la succession du premier-né. Cela a été clairement exprimé par

    l’utilisation de la couleur rouge impériale du fond et par la représentation du petit Uroš très

    près et sous le loros de son père.

    Cette décision de Dušan est encore plus frappante à Pološko (1343/45), où le fond

    rouge se répand derrière la famille royale, et où le Christ, depuis un segment céleste, pose les

    couronnes sur les têtes de Dušan et de son fils Uroš. Ainsi, le Christ couronne le roi régnant et

    désigne en même temps son successeur. Par la suite, les « portraits » de la famille de Dušan à

    Saint-Démétrios de Peć (1345) sont également peints sur un fond rouge, ce qui, d’après les

    auteurs, accentue la grande dignité et la noblesse des personnes représentées75

    . Nous pensons

    qu’ils s’inscrivent dans la même lignée que ceux de Pološko - le rouge rappelle la légitimité

    du roi régnant et surtout de son successeur.

    Les Mrnjavĉević, qui n’étaient pas descendants de la dynastie des Némanides, avaient

    d’autant plus besoin d’affirmer la légitimité de leur règne. Dans l’église de l’Archange Michel

    à Varoš (vers 1372)76

    et au Monastère de Marko, les deux rois se détachent sur un fond rouge.

    Les deux portraits de Vukašin sont posthumes et l’insistance sur le fond rouge ainsi que sur la

    présence du portrait de Vukašin reflètent la volonté ferme de Marko de démontrer sa

    légitimité.

    Depuis le XIIe siècle, le roi serbe régnant commence à désigner son successeur en

    apposant ses mains sur la tête du « jeune roi », lors d’une cérémonie présidée par le

    patriarche77

    . Ce fut le cas avec Vukašin et son fils Marko. Le roi Vukašin avait désigné son

    fils aîné en tant que successeur, et Marko portait le titre de « jeune roi » du vivant de son

    père78

    . Après la mort de Vukašin d’autres nobles serbes, surtout des régions plus au nord ont

    75

    V. J. Djurić, S. Ćirković, V. Korać, Пеħка патријаршија, Belgrade 1990, p. 205. 76

    V. J. Djurić, Византијске фреске у Југославији, Belgrade 1974, p. 80 ; S. Marijanović-Dušanić, Владарске

    инсигније и државна симболика у Србији од XIII до XV века, Belgrade 1994, р. 64. 77

    Le couronnement des premiers empereurs byzantins se faisait par le soulèvement sur le bouclier et avait un

    caractère militaire. Par la suite (Léon en 457), le couronnement militaire fut remplacé par un rite plutôt religieux.

    C’est le Patriarche en tant qu’autorité religieuse suprême qui sacrera l’empereur. En présence du Patriarche se

    passait également le couronnement du co-roi (l’empereur associé) byzantin. L. Bréhier, Les institutions de

    l’Empire Byzantin, Paris 1970, p. 15 passim. À l’image des empereurs byzantins les rois serbes seront sacrés par

    le Patriarche de Peć ou une autre autorité religieuse, dont la présence a été également exigée pour la cérémonie

    du sacré du « jeune roi », le co-roi et l’héritier du trône. M. Ivković, Установа младок краља у

    средњовековној Србији, Историски Гласник 3-4 (1957), р. 59-79 ; S. Marjanović-Dušanić, Владарска

    идеологија Немањича, Дипломатичка студија, Belgrade 1997, p. 50-56, 127-128 ; G. Babić, Портрет

    краљевића Уроша у Белој цркви Каранској, Зограф 2 (1967), p. 17-18. 78

    Une inscription retrouvée dans l’église de la Vierge de Prizren datéе de 1370/71, désigne Marko en tant que

    « jeune roi ». M. Ivanović, Натпис младог краља Марка са цркве св. Недеље у Призрену, Зограф 2 (1967),

    р. 20-21.

  • 15

    contesté la légitimité du pouvoir de Marko79

    . Dans ce climat politique particulièrement

    difficile, alors qu’il est contesté par les siens et d’autant plus qu’il risque de devenir un

    serviteur des Turcs, le jeune roi a affirmé sa légitimité à travers les peintures.

    La composition qui se trouve sur la façade méridionale est, à notre avis, intimement

    liée à la représentation de la « cour céleste » de l’intérieur et réinterprète encore une fois le

    Psaume 44/45.

    L’arc autour de la lunette comporte plusieurs personnages en buste. Au milieu se

    trouve la Vierge à l’Enfant accompagnée de David (fig. 8 et 9). Le renvoi à l’image de la

    « cour royale » peinte dans la nef, est fait à travers la présence du roi vétérotestamentaire

    David (fig. 4 et 11), avec comme texte la citation du Psaume 44/45 verset 11 qui dit :

    « Écoute, ma fille, regarde et tend l’oreille »80

    . La Vierge est encore une fois figurée en tant

    que prêtre sacrificateur, car elle porte son fils sur un tissu rouge, qui rappelle les tissus

    liturgiques et surtout elle tend son fils vers l’archange Gabriel qui présente à l’Enfant les

    instruments de la Passion81

    . L’iconographe a ainsi relié la composition de l’intérieur avec la

    Vierge prêtre donc sacrificatrice et celle qui se trouve sur la façade méridionale où la Vierge

    de la Passion offre le Christ Enfant au sacrifice. Dans les deux compositions, le rôle

    sacerdotal de la Vierge nous semble explicite.

    Après l’image du prophète David se trouve une représentation de saint Étienne, le

    proto-diacre82

    , qui est communément vénéré dans le monde byzantin, mais est également le

    saint patron des rois serbes de la dynastie des Némanides (fig. 11)83

    . Il ne faut toutefois pas

    oublier de signaler que malgré la représentation du saint patron des Némanides, la dynastie

    79

    Voir : Cf. supra note 8. 80

    Les inscriptions lues par: V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству,

    Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969), p. 88 note 57. 81

    La Vierge à l’Enfant accompagné d’un ange qui porte les instruments de la Passion est une iconographie

    ancienne bien connue, qui renvoie au sacrifice eucharistique du Christ. Voir la bibliographie dans : M. Tatić-

    Djurić, Богородица Страсна у Жичи, dans Манастир Жича : Зборник Радова, éd. D. Drašković, S.

    Djordjević, G. Subotić, Kralevo 2000, p. 149-164. Sur l’image au Monastère de Marko, voir : V. J. Djurić, Tри

    догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству, Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969),

    p. 88. 82

    Fêté le 27 décembre ou le 2 août. F. Halkin, Bibliotheca Hagiographica Graeca, Subsidia Hagiographica 8

    (1957), 1648x-1665h. ; H. Delehaye, Synaxarium Constantinopolitanum, Bruxelles 1902, cols. 349-350 et 861-

    864. Sur son iconographie, voir: E. C. Schwartz, The Saint Stephen Icon, dans Four Icons in the Menil

    Collection, éd. B. Davezac, Houston 1992, p. 46-55. Sur les attributs des saints diacres, voir : G. Jerphanion,

    L’attribut des diacres dans l’art chrétien du Moyen Âge en Orient, Mélanges à Spyridon Lampros, Athènes 1935,

    p. 403-416. 83

    Sur saint Étienne, en tant que protecteur de la dynastie des Némanides, voir : M. Ćorović-Ljubinković, Одраз

    култа св. Стефана у српској средњовековној уметности, Старинар н. с. 12 (1961), р. 45-62 ; S. Marjanović

    Dušanić, Владарска идеологија Немањича, Дипломатичка студија, Belgrade 1997, p. 54 passim. ; V. J.

    Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству, Зборник за Ликовне

    Уметности 4 (1969), p. 89 ; D. Vojvodić, Прилог познавању иконогрфије и култа св. Стефана у Византији

    и Србији, dans Зидно сликарство манастира Дечана, Грађа и студије, Belgrade 1995, p. 544-563.

  • 16

    des Mrnjavĉević n’a jamais adopté le nom « Étienne » dans leur titre officiel, ce qui était

    systématiquement le cas chez les Némanides84

    . Il semble donc que saint Étienne était aussi

    bien respecté par les Némanides que par les Mrnjavĉević. Bien que dans la représentation du

    Monastère de Marko, saint Étienne ne porte pas les attributs et les vêtements de diacre, il est

    possible que son image s’inscrive dans le contexte eucharistique de la composition. Il est le

    proto-diacre, donc un assistant dans la liturgie, traditionnellement peint dans les niches de

    prothèse des choeurs byzantins. Au cours du rite de la prothesis, le prêtre extrait la parcelle de

    saint Étienne juste après celle des prophètes, des apôtres et des Saints Pères de l’Église85

    .

    De l’autre côté de la Vierge, derrière l’ange aux instruments de la Passion, se trouve le

    roi Salomon qui est fréquemment associé au roi David (fig. 10). Il porte un texte qui

    accompagne habituellement les images de l’Annonciation86

    . La densité théologique de

    l’image est surprenante. La Vierge à l’Enfant et l’archange Gabriel (fig. 9) rapellent en

    quelque sorte l’Annonciation, le moment où le Saint-Esprit descend sur la Vierge et donc la

    consacre à son ministère : porter le fils de Dieu et l’offrir au sacrifice87

    . Les rois

    vétérotestementaires, David et Salomon, portent des textes qui font allusion au mystère de

    l’Incarnation, ce qui souligne le souci du concepteur d’illustrer le dogme christologique : sans

    l’incarnation, il n’y a pas de sacrifice et donc il n’y pas de salut.

    La frise des figures peintes au-dessus de la lunette se termine par sainte Catherine88

    et

    sainte Anastasie Pharmakolytria89

    (fig. 8, 10 et 11). Sainte Catherine90

    et sainte Anastasie91

    84

    L. Mirković, Мрнјавчевиħи, Старинар 3 (1925), р. 15 passim. 85

    E. Mercenier, La prière des églises de rite byzantin I, Prieuré d’Amay-sur-Meuse 1939, p. 214. 86

    Il tient un phylactère avec comme texte les Proverbes 31. 29 « Nombre de femmes ont accompli des exploits,

    mais toi, tu les surpasses toutes ». Les inscriptions sont lues par : V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави

    14 века и њихов одјек у сликарству, Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969), p. 88 note 58 ; Z. Gavrilović,

    The wall paintings at the Monastery of Marko, 1376/77, Serbian Studies 13 (1999), p. 147. Sur les images du

    prophète Salomon et les textes qu’il présente à l’époque Paléologue, voir : T. Papamastorakis, Ο δηάθοζκος ηοσ

    Σρούιοσ ηωλ λαώλ ηες Παιαηιόγεηας περηόδοσ ζηε Βαιθαληθή Χερζολήζο θαη ηελ Κύπρο, Athènes 2001, p.174-

    175 ; 190-192. Voir également : A-M. Gravgaard, Inscriptions of the Old Testament Prophecies in Byzantine

    Churches, Copenhague 1979, 82 passim. 87

    Jésus-Christ a été consacré à son ministère par l’Esprit Saint au cours du Baptême (Matthieu 3, 16-17 ; Marc

    1, 9-11 ; surtout Luc 3, 21-23 ; Jean 1, 32-34). La Vierge a reçu la Descente du Saint-Esprit à deux occasions ;

    lors de l’Annonciation et lors de la Pantecôte. Voir : Cf. supra note 30. 88

    Inscription lue par : V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству,

    Зборник за Ликовне Уметности 4 (1969), p. 89. 89

    V. J. Djurić, Tри догађаја у српској држави 14 века и њихов одјек у сликарству, Зборник за Ликовне

    Уметности 4 (1969), p. 88. Sur l’arc qui surmonte la composition ont été peintes deux autres saintes femmes

    dont l’identification n’est plus possible, car les inscriptions ont disparu. Elles sont vêtues en tuniques et portent

    des maphoria, tiennent une croix dans la main gauche et ouvrent la paume de la droite devant la poitrine. 90

    Fêtée le 24 novembre. F. Halkin, Bibliotheca Hagiographica Graeca, Subsidia Hagiographica 8 (1957), 461z-

    462f. ; H. Delehaye, Synaxarium Constantinopolitanum, Bruxelles 1902, cols. 253-254. Dans le Ménologe de

    Basile II, elle figure sous le 25 novembre. J-P. Migne, Patrologiae Graecae CXVII, Paris 1894, cols. 179-180.

    Bien que la sainte fût la patronne du célèbre monastère au Mont Sinaï, son culte ne fut pas très répandu en

    Orient. Le monastère originairement mis sous le patronage de la Vierge a été dédié à sainte Catherine au XIIIe

    siècle par les Latins, et seulement au XIVe ou XV

    e siècle par les Grecs. Byzantium, Faith and Power (1261-

  • 17

    sont toutes deux les filles d’hommes riches, qui subirent le martyre pour le Christ. Elles sont

    des saintes vierges, épouses du Christ92

    , et donc les « filles de roi » et « vierges », citées dans

    le Psaume 44/45 versets 10 et 15, d’où leur place dans la composition. Sainte Catherine

    intègre fréquemment les programmes iconographiques impériaux93

    , ce qui justifie sa place

    juste au-dessus de l’image du roi Marko.

    L’élément le plus énigmatique dans la composition de la façade est l’objet inhabituel

    qui se trouve dans la main droite de Marko (fig. 8 et 12). Il s’agit d’une corne94

    , qui évoque le

    rite de l’onction dans la cérémonie du couronnement. Ce rite est cité dans l’Ancien

    Testament, pratiqué au moment de la désignation d’un chef par la providence divine95

    . Le

    prophète Samuel est celui qui va oindre les premiers rois juifs. Les rois David et son fils

    Salomon96

    , ici représentés ont été oints par la volonté de Dieu. C’est de la lignée de David que

    descendra le Christ, dont le nom veut dire « celui qui est oint »97

    , donc le Messie.

    1557), Catalogue de l’exposition du “Metropolitan Museum of Art” (23 mars - 4 juillet 2004), éd. H. C. Evans,

    New York 2004, p. 343 ; K. Weitzmann, Loca Sancta and the Arts of Palestine, Dumbarton Oaks Papers 28

    (1974), p. 54 ; N. Patterson-Ševĉenko, St. Catherine of Alexandria and Mount Sinai, dans Ritual and Art,

    Byzantine Essays for Christopher Walter, éd. P. Armstrong, Londres 2006, p. 128-143. 91

    Anastasie Pharmakolytria, la « désensorceleuse » est la compagne des sœurs de Thessalonique, Agapè, Irène et

    Chionie, fêtées le 22 décembre. F. Halkin, Bibliotheca Hagiographica Graeca, Subsidia Hagiographica 8 (1957),

    81-83b ; H. Delehaye, Synaxarium Constantinopolitanum, Bruxelles 1902, cols. 333-338 ; J-P. Migne,

    Patrologiae Graecae CXVII, Paris 1894, cols. 219-222. Sur la bibliographie des saintes homonymes, leurs vies

    et cultes, voir : C. Jolivet-Lévy, Les églises byzantines de Cappadoce, le programme iconographique de l’abside

    et de ses abords, Paris 1991, p. 36 notes 68-71 avec bibliographie, p. 146. Voir également : D. Vojvodić, Култ и

    иконографија свете Анастасије Фармаколитрије у земљама византијског кулртурног круга, Зограф 21

    (1990), р. 31-40. 92

    D. Vojvodić a remarqué la présence d’un diadème sur la tête de l’Anastasie dans le monastère de Marko et

    souligne l’absence de cet élément dans les autres représentations de la sainte. D’après sa Vie, elle n’a pas été une

    fille du roi, mais uniquement la fille d’un homme riche. Il pense que la lecture différente des différentes versions

    de sa Vie est à l’origine des variations quant à sa tenue. Il réfute catégoriquement son identification en tant

    qu’« épouse du Christ ». D.