Les Oubliés de RCA

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LES OUBLIÉS DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE Histoires de personnes déplacées internes un an après le début de la crise

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LES OUBLIÉS DE LA RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

Histoires de personnes déplacées internes un an après le début de la crise

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Avec le soutien de

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La République Centrafricaine (RCA) est un pays enclavé d’Afrique Centrale et l’un des plus pauvres du monde. Depuis son indépendance, il y a un demi-siècle, le pays vit dans une instabilité politique chronique, freinant le développement de la nation et de ses institutions. En mars 2013, la Séléka, une coalition de groupes armés dont les combattants étaient - pour la grande majorité, mais pas exclusivement - musulmans, prend Bangui, la capitale, et des-titue le président Francois Bozizé alors en place.

Les nombreuses exactions commises par les miliciens de la Sélé-ka durant les mois qui suivront facilitent la création des plusieurs groupes d’auto-défense, pour la majorité chrétiens, les anti-balaka. Le nombre d’attaques contre les civils musulmans et les actes de représailles envers les chrétiens augmentent alors de façon inquié-tante. En décembre 2013, les anti-balaka lancent un assaut sur Ban-gui : 1 000 personnes seront tuées en l’espace de deux jours et des centaines de milliers d’autres seront contraintes à se déplacer. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies autorise alors le 5 décembre 2013 le déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) qui deviendra, en septembre 2014, la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République Centrafricaine (MINUSCA), appuyée par une force militaire française appelée «Sangaris ».

Un an après le déploiement des forces internationales, la RCA continue de faire face à une crise complexe, à la fois humanitaire, politique et sécuritaire. Plus de 800 000 personnes demeurent dé-placées, dont 410 000 à l’intérieur du pays. Celles-ci ont trouvé re-fuge dans des sites religieux, devenus des camps, dans des familles d’accueil, dans des maisons abandonnées ou dans la brousse.

Les conditions pour un retour volontaire et digne des personnes déplacées ne semblent pas encore remplies : l’insécurité qui de-meure dans certains quartiers de Bangui, comme dans plusieurs localités à l’intérieur du pays, et la perte ou la destruction des pro-priétés, logements et biens, représentent les obstacles les plus im-portants au retour.

Le conflit a ainsi engendré différentes dynamiques de déplace-ments qui perdurent depuis un an, et a eu des impacts dévasta-teurs, notamment sur le système éducatif.

Carnot

Kabo

Sibut

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DÉPLACÉS À BANGUI E N C L AV É S PARTIS EN

BROUSSE

DANS DES MAISONS

ABANDONNÉES

EN FAMILLE D’AC C U E I L

RETOURNERÀ DEKOA

RATTRAPER LE TEMPS P E R D U

FUIR

BANGUI

LE SYSTÈME É D U C AT I F T O U C H É

Q U A N D JE SERAI G R A N D ( E )

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DÉPLACÉS À BANGUI

Le site de Don Bosco à Bangui accueillait environ 41 000 déplacés il y a un an, au début de la crise. Une grande partie des déplacés sont désor-mais retournés chez eux en raison d’une situation sécuritaire plus stable. Aujourd’hui, on compte environ 3 400 personnes sur le site. Parmi ceux qui restent, nombreux ont été victimes de pillages et ont vu leurs mai-sons détruites. Ils ont ainsi perdu tous leurs biens et leurs activités. Au-jourd’hui ces déplacés attendent des solutions d’accompagnement au retour ou à la réinstallation, faute de moyens économiques.

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Jean Yakiape passe ses journées à attendre des clients devant l’entrée du camp. Jean est handicapé et ne peut pas marcher. Il était cultivateur avant la crise, mais ne peut plus travailler ses terres désormais : « J’ai fui avec ma famille, ma femme et mes enfants m’ont emmené ici. Je ne peux pas rentrer chez moi, je n’ai plus de maison, elle a été brûlée. Je ne sais pas où aller, ni chez qui aller » raconte-t-il.

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Aujourd’hui il gagne une centaine de francs (0.20 USD) par jour en raccommodant des chaussures et en ré-parant des vélos. Cela ne suffit parfois pas pour se nourrir. Susanne, sa voisine, joue la solidarité pour l’aider.

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Susanne Niala tenait un petit commerce avant la crise. Elle y faisait des yaourts, des jus dans des petits sachets et vendait de l’eau fraîche. « Grâce à mes économies, j’avais pu ache-ter un frigo à 100 000 FCFA, mais le 5 décembre 2013 j’ai dû par-

tir avec mes enfants, les mains vides. On est venu dormir ici, sous la pluie » raconte-t-elle. Pour se relever elle a installé devant la tente qu’elle occupe une table avec des gobelets. Elle y sert le café le matin et vend des beignets. Avec les quelques francs qu’elle en tire, elle économise pour acheter du bois dans le quartier.

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Elle compte ainsi se faire construire un kiosque pour remonter un commerce. Malgré la crise, Susanne garde la force propre aux en-trepreneurs : « Tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir » dit-elle. Au-jourd’hui, des déplacés du site sont à la tâche pour la construction du kiosque.

Hors de question cependant de le fixer au sol : « Le jour où je pourrai partir d’ici, j’emmènerai le kiosque avec moi. Je paierai peut-être des gens pour le transporter, tout est prévu ! Et pendant que je suis ici, je vais mettre des canettes, des savons, des choses que je pourrai vendre. »

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Susanne transmet sa proactivité entrepreneuriale à ses enfants. Son fils est désormais inscrit à une formation pour devenir élec-tricien, au centre de formation à quelques centaines de mètres de sa tente. Neuf enfants à gérer n’est pas une chose aisée. Là où beaucoup de déplacés semblent se laisser abattre, Susanne s’occupe des siens comme des plus vulnérables. Elle ne compte ain-si que sur elle-même, d’autant plus depuis l’assassinat de son père en mai 2014. Il y a quelques jours, un médecin a diagnostiqué la tuberculose à sa fille. « Ses poumons sont noirs, tâchés, mais ça va mieux ces derniers temps » dit-elle, d’un ton toujours optimiste.

Elle voudrait bien retourner chez elle, mais ses moyens ne le lui permettent pas encore. « Pour rentrer il faut de l’argent » confie-t-elle. Sa maison a été intégralement pillée : « Dans quelles conditions vais-je rentrer si je n’ai même pas de toit sous le-quel mettre mes enfants » se demande-t-elle, avant de poursuivre : « Pour rentrer il faut au moins de quoi acheter des mate-las et payer une caution. Aucun propriétaire ne me louera une maison si je viens avec les nattes sur lesquelles nous dormons ici ».

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Beaucoup d’acteurs humanitaires sont intervenus à Don Bosco, y compris NRC, qui intervient dans le domaine de l’hygiène et l’assainisse-ment, au travers de sensibilisations communautaires et de travaux d’entretien des installations sanitaires.

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E N C L A V É S

Le manque de liberté et les restrictions de mouvements sont les principaux pro-blèmes des personnes déplacées internes appartenant à des groupes minori-taires, comme à Carnot par exemple, où environ 580 musulmans vivent ac-tuellement enclavés au sein de la parcelle de l’église catholique. Un site de petite surface, surpeuplé depuis février 2013, sans aucune liberté possible.

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Tandis que certains déplacés - principalement les femmes - ont pu sortir à quelques reprises vendre leurs produits au marché le plus proche, ou aller vérifier l’état de leurs propriétés, la situation a ré-cemment empiré. Trois cas d’assassinat de déplacés qui étaient sortis de l’enclave ont été signalés au cours du mois de novembre 2014. L’un d’eux a été exécuté sur la place publique. Ces incidents sèment la peur parmi les populations déplacées. Les tensions restent vives avec les communautés voisines et laissent planer un risque sécuritaire notable.

Khalifa Manilo est arrivé le 5 février 2014, escorté par un contingent de la MISCA. « Les an-ti-balaka nous ont attaqués et pillés, alors tous les musulmans sont venus au site de l’église de Carnot. Mainte-nant cela fait plus de 8 mois que je suis ici » raconte Khalifa. Avant cela, il était imam. Aujourd’hui, il dit ne pas avoir de crainte quant à la sé-curité au sein de la paroisse, grâce à la présence des casques bleus pro-tégeant l’enceinte. Mais au-delà de l’église il n’y en a aucune pour eux « même pas à 100 mètres ». Ses en-fants sont partis se réfugier à Ga-roua Boulaï, au Cameroun, « là-bas au moins, eux sont en sécurité » se rassure-t-il.

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Ahmat Djenoba était tout juste majeur lorsqu’il est arrivé sur le site. Aujourd’hui il a 19 ans, et 10 mois à la paroisse. Il rêve de pouvoir se réfugier au Cameroun lui aussi : « C’est la seule solution, ici on n’est pas libres, on ne peut pas sortir ». Avant son arrivée, il gérait une cafétéria à l’extérieur de Carnot : « Maintenant je n’ai plus rien à faire de mes journées, je passe tout mon temps ici sur cette natte ».

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Mustafa Miazid travaillait avant la crise au côté d’un collecteur de diamants à Carnot. Il le conseillait au quotidien pour trouver le précieux caillou si prisé. Mais depuis 9 mois, Mustafa passe désormais ses journées à ne rien faire ou à lire le Coran, hormis lors-qu’il va prier.

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Au milieu de la paroisse de Carnot, Nour Karimy occupe une natte de-puis février de cette année. Muni de son fer à charbon, il passe ses journées à repasser des habits pour les autres : 50 francs le pantalon. Une petite rente qui lui permet de vivre dans cette « prison » comme il nomme son habitat. Nour vient d’un village aux alentours. Lorsque les anti-balaka sont entrés dans sa ville, il a été contraint de fuir pour sauver sa peau. La milice ar-mée tuait les musulmans en ville, raconte-t-il, sa mère fût l’une des victimes. Il se retrouve aujourd’hui seul dans la paroisse, sa femme ayant trouvé refuge avec ses deux enfants à Berberati.

Nour Karimy

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Des soldats de la MINUSCA maintiennent la sécurité devant la paroisse où se sont réfugiés les musulmans de Carnot et des villages environnants

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AïchaAu milieu de la paroisse, sur une natte, entre deux bancs sur lesquels s’entassent quelques affaires, Aï-cha, 30 ans, s’occupe de sa fille de 2 ans. Aïcha a le visage tatoué, signe de son appartenance à l’ethnie Anagamba, nomade.

Elle se trouvait par hasard avec son mari et leur troupeau dans un village près de Carnot, quand les groupes armés les ont attaqués. « Ils ont égorgé mon mari, ils ont volé nos bœufs et j’ai par la suite été prise en otage avec 34 autres personnes. Ma fille était tout le temps avec moi. Un jour, grâce à l’intervention d’un commerçant de Carnot, on a finalement été libérés et on a pu rejoindre l’église catholique. Nous sommes parmi les derniers arrivés », raconte Aïcha. Comme pour beaucoup de musulmans, le reste de sa famille a pu gagner le Cameroun et se réfugier à la frontière, à Kenzou. Elle espère un jour pouvoir les y rejoindre.

« Mes grigris ici, sont une protection, une sorte de porte-bonheur, suite à la mort de mon mari », ex-plique-t-elle, se rattachant à tout ce qui lui reste.

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Un nombre inquiétant de personnes au niveau de Carnot et de Sibut a indiqué s’être caché dans la brousse à un moment au cours de leur déplacement. Dans certains des cas, les déplacés font référence à leurs champs, dans d’autres, à une zone considérée comme sûre et à l’abri afin d’y construire des huttes.

PARTIS EN BROUSSE

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Aussi bien à Sibut qu’à Carnot, de nombreuses personnes se sont, dans un premier temps, déplacées en brousse avec l’es-poir de pouvoir regagner leurs domiciles rapidement. Néan-moins, nombre d’entre eux ont indiqué être restés dans la brousse sur une période prolongée. Le relogement temporaire du vil-lage vers les champs n’est pas un phénomène nouveau en RCA. Il a souvent été employé au cours des dernières décennies comme

mécanisme de protection face au banditisme, à l’insécurité, ain-si que face aux risques environnementaux. Les familles sont géné-ralement capables de survivre dans la brousse sur une courte pé-riode sans être confrontées à la faim ou au désespoir. Cependant, la crise actuelle a souvent prolongé les séjours. Comme il n’existe que peu d’information disponible sur le nombre de PDI restant en brousse, il est difficile de déterminer quels sont leurs besoins.

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Un nombre important de déplacés a fait le choix de vivre au sein de familles d’accueil, cependant leur nombre exact n’est pas connu. Ces familles, auxquelles ils font souvent référence en les appelant “parents”, peuvent être de la famille proche, mais aussi parfois des membres éloignés qui, à un moment de leur vie, ont vécu dans le village ou dans le quartier d’ori-gine des déplacés. Lorsqu’ils choisissent cette option pour se reloger, les déplacés reconnaissent la solidarité montrée par leurs « parents », mais font également état de difficultés dans leurs relations avec leurs familles d’accueil, à savoir: tensions sur la répartition de la nourriture, bagarres entres les enfants, manque d’espace et manque de matériels pour le couchage.

EN FAMILLE D’ACCUEIL

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Marie et sa sœur Françoise sont arrivées à Carnot en catastrophe il y a environ 9 mois, après des attaques dans leur village situé à 30km. Elles habitent aujourd’hui une maison d’un parent et font chambre à part, un luxe de consolation dans leur monde dépla-cé. Françoise, alitée, est malade. Elle ressent des douleurs abdominales depuis plusieurs semaines, alors Marie la soigne avec des plantes.

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Hors de question de retourner chez elles pour le moment. La peur que de nouveaux troubles se produisent paralyse la petite famille : « Nous avons peur de repartir et de nous faire à nouveau attaquer. C’est pourquoi nous préférons rester ici en sécurité. Nous sommes là pour les enfants. Notre espoir c’est les enfants » dit Marie. Afin de ga-gner de quoi survivre, elles envoient leurs enfants en brousse cher-

cher du bois de chauffe, pour le revendre sur le marché. Elles peuvent ainsi récolter 100 francs (0.20 USD) pour acheter de quoi manger, de la farine de manioc, et du café pour se donner l’énergie du matin. Malgré la pauvreté, Marie se fait de temps en temps la pédicure au marché pour une occasion particulière: « C’est mon droit en tant que femme » se justifierait-elle presque, « au moins je m’arrange un peu ».

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Bienvenu Mavola était commerçant auparavant. Il vit à Sibut et accueille sur sa parcelle une famille venant de Dekoa. Dans sa famille, ils sont neuf, auxquels s’ajoutent désormais cinq déplacés. Ce sont des parents de sa femme, alors il est solidaire. Il leur a prêté une partie de ses terres pour qu’ils la cultivent eux-mêmes.

Il avoue n’avoir aucune visibilité sur leur éventuel retour pour le mo-ment, et s’en inquiète : « Nous les entretenons, mais ce n’est pas toujours facile » confesse-t-il. Dans deux semaines il récoltera le maïs, le padi et le sésame qu’il a plantés. Il en revendra une partie puis nourrira sa famille avec le reste : « Je souhaite aussi garder des semences pour l’année prochaine. J’ai laissé une partie de mon champ aux déplacés, dans l’autre je cultive des arachides » dit-il.

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DANS DES MAISONS ABANDONNÉES

Des personnes déplacées et retournées ont trouvé refuge dans des maisons abandonnées par leurs pro-priétaires, principalement des musulmans, lorsque ces derniers ont fui. Les personnes ayant eu recours à cette option de logement font face à de nombreuses difficultés. La plupart des maisons abandonnées ayant été pillées, brûlées ou partiellement détruites, bien souvent elles n’offrent pas aux nouveaux habi-tants le minimum requis en termes de protection.

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Bertrand D i a g o uoccupe avec sa femme et ses quatre enfants une maison insalubre laissée par un musulman. Il a perdu deux de ses enfants en brousse quand ils sont partis y vivre pendant six mois durant le conflit. Au-jourd’hui, ses enfants ne sont pas scolarisés car il n’a « pas les moyens pour les envoyer à l’école » raconte-t-il.

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Au sol, une casserole avec du riz annonce le menu du jour. Afin de diversifier leur alimentation, Bertrand et sa famille mangent des feuilles crues qu’ils cueillent dans la nature.

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Ya p e n d eK a b u n d aprovient d’un village à 45km de Carnot. Avec sa famille, ils occupent aussi une maison abandon-née. Plusieurs fois pillé, l’endroit insalubre ne repré-sente pas plus un toit qu’un lieu de protection. L’eau s’infiltre entre les tôles, pro-voquant la panique les jours de pluie.Pour autant, son premier souci aujourd’hui est « d’avoir suffisamment à manger. Ensuite, c’est que mes craintes par rapport à la maison soient apaisées. J’aimerais avoir ma maison pour vivre avec ma famille. Je vais me battre et je compte aussi sur la bienfaisance de Dieu pour pouvoir avoir un logement décent. »

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Avec ses 16 enfants et ses deux femmes ils se sont retrouvés en brousse avant de marcher jusqu’à Carnot. « On ne pourra jamais re-tourner dans notre village. On a dû tout quitter en catastrophe, et tout ce que nous avions, tout est per-du, tout a été détruit. J’avais mon champs, ma banane-raie… mais les groupes ar-més ont enlevé tout le ma-nioc qu’il y avait sous la terre, tout a été dévasté » déplore-t-il.

La maison possède un puits non protégé où tout le monde vient s’alimenter, renforçant les risques de problèmes sanitaires.

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Ceux qui ont trouvé refuge dans des maisons abandonnées courent parfois le risque de se voir expulsés et n’ont donc au-cune garantie quant à l’occupation de leur nouveau logement. A Sibut par exemple, quelques personnes dépla-cées ont indiqué ne pas savoir combien de temps elles pourront continuer à vivre dans ces propriétés abandonnées.

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Augustin, 46 ans, provient d’un petit village à quelques ki-lomètres de Sibut. Face à la menace des combattants de l’ex-Séléka, il a dû fuir avec ses sept enfants et sa femme, alors que sa maison et toute sa vie étaient en train de brûler. Il raconte comment il est arrivé à Sibut: « Une fois ici, nous avons choisi une des maisons abandonnées et nous nous sommes installés. Ca fait maintenant trois mois que nous y vivons. Avant, nous sommes restés pendant deux mois en brousse.

Nous ne sommes pas les seuls à Sibut à occuper une maison abandon-née. Si les personnes qui habitaient ici, avant nous, reviennent, nous serons obligés de plier bagages et partir, dormir dans la brousse, ou bien errer, comme des animaux… nous n’avons nulle part où aller. » Augustin était agriculteur auparavant. Il possédait des plantations de sésame et de manioc, et se retrouve aujourd’hui sans terre pour culti-ver. Alors, comme beaucoup, il part la journée en brousse trouver du bois qu’il revendra au marché « pour pouvoir survivre »

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Les situations les plus préoccupantes sont celles des propriétaires dont les maisons ont été reprises de force par les membres de la communauté qui les ont obligés à en partir. A Sibut, certains occupants ont justifié ces actes par les dommages qu’avaient subies les maisons. Ils ont également expliqué que les résidents musulmans avaient perdu leur droit à la propriété en se mettant du côté de la Séléka. Les maisons prises de force ne sont souvent pas considérées comme occupées mais comme des biens justement acquis à la suite des combats.

En RCA, il existe un entendement populaire: tout ce que les déplacés ont laissé derrière eux appartient aux occupants. Il y a ainsi des combattants qui occupent les maisons des musulmans ayant fui, et qui estiment que cela est un butin de guerre.

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Le chef d’un village de Sibut arbore fièrement son insigne faisant autorité sur le quartier.

« Avant ce conflit entre nous et les musulmans, il n’y avait pas de problème, nous vivions comme des frères. Lorsque certains musulmans ont pris les armes pour rejoindre les rangs de la Séléka, les jeunes du quartier ont décidé de s’enrôler à leur tour auprès des anti-balaka. Il y a eu des combats, des morts, des enlèvements. Avant il y avait une centaine de musulmans ici, aujourd’hui ils sont tous partis. Certaines de leurs maisons ont été détruites, les autres qui n’ont pas été détruites sont occupées par les natifs du village. La maison où je me trouve moi, elle appartenait à un musulman. »

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A Sibut, le quartier Adraman résume ces défis de logement, d’accès à la terre et de propriété. Suite au conflit, tous ses habitants, pour la plupart des musulmans, ont fui. Les logements ont été détruits et pil-lés ou sont occupés, ce qui ne favorise pas le retour des populations déplacées chez elles. Pourtant, la Convention de l’Union Africaine sur la protection et l’as-sistance aux personnes déplacées en Afrique (Convention de Kam-pala, 2009), signée et ratifiée par la RCA, protège les droits de ceux qui ont dû fuir leurs maisons à cause d’un conflit, et facilite la restitu-tion de leurs biens une fois de retour.

Au travers de groupes de discussion, d’entretiens individuels et du théâtre participatif, NRC partage ces informations sur les droits des personnes déplacées avec les communautés de Bangui, Sibut et Carnot, ainsi qu’avec leurs représentants, dans le cadre de son pro-gramme ICLA (Information, Conseil et Assistance Légale).

« ICLA » vise à contribuer aux solutions durables pour les personnes affectées par le déplacement, et au respect de leurs droits en matière de logement, terre et biens.

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Les sketchs réalisés dans le cadre du théâtre participatif permettent de rassembler des participants dans les quartiers, d’engager une discus-sion au sein de la communauté et ainsi la sensibiliser à la question du retour des déplacés grâce à un moyen de communication populaire. A Sibut, les gens ont un accès limité à l’information, avec un réseau téléphonique défaillant, et très peu de radio communautaire, si ce n’est aucune.

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Le Tribunal de Grande Instance de Sibut n’est pas fonctionnel. Il a été repeint par des jeunes sous le cou-vert d’une formation don-née par la Sangaris pour les occuper et éviter qu’ils ne tombent dans le bandi-tisme.

Le système judiciaire de la RCA s’est effondré avec le conflit qui a exacerbé des défis structurels liés à l’ad-ministration de la justice.

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Paulin Koumba, 37 ans, est un déplacé venant de Dekoa. Il était auparavant commerçant. Il faisait les allers et retours de Douala (Came-roun) pour revendre la marchandise achetée sur le marché de Dekoa.

A l’arrivée des combattants de l’ex-Séléka à De-koa dans la nuit du 11 février 2012, les bruits des tirs se rapprochant, il a dû fuir en brousse. Laissant tout derrière lui, il observera au loin dans la nuit les flammes incendiant ses trois maisons et tous ses biens. « Je n’avais plus rien, j’ai fui, je suis resté un an dans la brousse à manger des feuilles de manioc, de l’igname sauvage, avec la peur de retourner sur un axe infesté par des hommes en armes ». Un an après, il revient pour la première fois chez lui, à Dekoa.

RETOURNERÀ DEKOA

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Paulintravaille aujourd’hui comme gardien de nuit chez NRC à Sibut.

C’est lorsque sa femme accoucha, en brousse, de son dernier fils, Christ Euro, qu’ils déci-dèrent de regagner Sibut pour s’y installer.

« Arrivé ici, ma vie était très précaire, c’était difficile. J’étais venu avec l’une de mes deux femmes, l’autre était toujours dans la brousse avec les enfants. Je n’avais pas de boulot. J’al-lais aux champs faire un peu de débroussail-lage pour les gens de Sibut, pour avoir un peu d’argent ou de nourriture. Avec la grâce de Dieu, j’ai pu trouver un travail avec NRC, comme gardien de nuit. Ça me rend fier. Par-mi les 1 300 autres personnes déplacées, c’est moi seul qui ai trouvé un travail avec une ONG internationale. »

Sa mère et ses frères sont restés à Dekoa avec certains de ses enfants. Il n’a pu y retourner depuis un an, à cause de l’insécurité sur la route, mais il se débrouille pour leur envoyer de l’argent tous les mois. « Dekoa c’est ma ville et j’espère y retourner. Une partie de l’argent que je leur envoie est pour faire reconstruire la maison aussi. »

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A Sibut, Paulin a pu louer une maison et ainsi faire venir à ses côtés le reste de la famille qui se cachait toujours en brousse. Du fait de son travail, son loyer a triplé, mais il accepte sans sourciller. Cela fait partie du partage des ressources.Christ Euro est fiévreux depuis quelques jours, sa mère l’emmène au dispensaire lui faire passer des examens. On lui diagnostiquera le paludisme.

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Le 7 novembre 2014, Paulin est finalement retourné à Dekoa pour une brève visite. A son arrivée, il entame un tour de la commune en compagnie de son frère qu’il vient de retrouver. A l’école de la ville, fermée depuis le 28 novembre 2012, Paulin constate les dégâts. Il n’y a plus d’enseignants, tous sont partis et ne sont pas revenus. La rentrée scolaire n’aura pas lieu à la date prévue par le calendrier officiel (20 novembre 2014).

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Les élèves de Dekoa ont immortalisé les heures de gloire footballistique de Paulin. C’était en 2005, Paulin capitaine de l’équipe de foot de Dekoa avait soulevé la coupe devant le président Bozizé, après une victoire dans les derniers instants contre Sibut. Tout le monde le connaît sous le surnom de Yaya Paulin en référence au joueur de foot ivoirien Yaya Toure.

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A quelques pas de la paroisse où le prêtre l’a cachée pendant plu-sieurs jours, il retrouve à nouveau sa mère qu’il serre fort dans ses bras, ainsi que ses autres frères. Le reste de sa famille vit désormais dans le camp de déplacés de la paroisse.

Non loin de là, ses trois maisons ne sont que ruines. L’une d’entre elles est enfouie sous la végétation qui a repris ses droits sur le ter-rain. L’émotion est grande pour Paulin, pour qui tous les souvenirs des évènements remontent à la surface.

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Malgré la présence des forces internationales, la situa-tion sécuritaire dans la ville de Dekoa reste volatile. La mission catholique qui accueillit quelque 1 600 déplacés, a

à nouveau été le théâtre d’attaques mortelles le 10 octobre 2014. Le père de Paulin, 70 ans, y a reçu une balle et se retrouve alité au centre de santé.

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Le système éducatif en RCA fait face à des problèmes structurels. Avant le début du conflit en 2012, les taux de scolarisation étaient déjà très faibles et seulement 67% des enfants en âge scolaire fréquen-taient l’école. Aujourd’hui avec la crise, les chiffres sont en dessous de ce pourcentage. A Carnot par exemple, deux enfants sur trois, ins-crits pendant l’année 2013, ne sont pas encore retournés sur les bancs de l’école en cette fin d’année 2014.

LE SYSTÈME EDUCATIF TOUCHÉ

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Madeleine Badiakou est institutrice adjointe pour sa première année dans une école de Carnot. Femme indépendante, elle se pose en exemple de la nécessité d’éduquer les jeunes enfants, notamment les filles, afin que son pays se développe. Lors d’un atelier organisé par NRC, elle a souligné le rôle des parents dans la scolarisation de leurs filles.

« Si mes parents ne m’avaient pas envoyée à l’école, je ne serais pas ce que je suis maintenant. J’encourage beaucoup les filles à étudier, et sur-tout les parents à faciliter leur parcours éducatif. Si les filles ne sont pas scolarisées, c’est aussi à cause des parents. Ici on dit souvent que la place des filles n’est pas à l’école, mais à la maison pour préparer à manger pour la famille. Mais maintenant le pays avance et donc on a besoin de tout le monde, garçons et filles doivent venir à l’école. »

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Non loin du bureau de NRC se trouvent deux bureaux d’achat de diamants. Le premier est fermé. Son propriétaire a dû quitter le pays suite à la crise.

Tout le monde à Carnot a un parent, un frère, un ami qui possède un champ minier quelque part où on y tente sa chance. Les enfants participent aussi à la recherche de diamant. Parfois au détriment de l’école. Certaines familles ne voient pas l’intérêt de les scolariser, alors qu’avec quelques coups de pioche et un peu de chance on peut deve-nir millionnaire. Le fantasme de tout collecteur.

« Le tableau est noir, mais le diamant est clair » dit un proverbe de la ville qui résume cette situation ambiguë entre l’investissement dans l’éducation, ou dans les travaux miniers.

La RCA a été retirée du processus de Kimberley - un régime inter-national de certification des diamants bruts afin d’éviter l’achat et la circulation sur le marché mondial des « diamants du sang » - au len-demain du putsch du 24 mars 2013, interdisant alors le commerce et l’export du diamant. Il est donc officiellement impossible aujourd’hui de sortir des diamants de RCA.

«Le tableau est noir mais le diamant est clair»

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Bienvenu Bangodje est un parent d’élève de Carnot. Fils d’un père illettré, il est reconnaissant d’avoir été à l’école pour notamment y apprendre le français.

Il a 12 enfants et « tous fréquentaient l’école avant le conflit » dit-il fièrement. Il témoigne des barrières à l’éducation à Carnot : « Le conflit n’a fait que rendre les choses plus difficiles. En fait, même avant que les violences n’éclatent, il y avait déjà des blocages au niveau de certaines familles qui préfèreraient emmener leurs enfants dans les travaux miniers, plutôt que de les laisser aller à l’école. Parce qu’aller à l’école c’est une perte de temps, alors que dans les mines ils peuvent trouver des cailloux de 10, 20 carats, ce qui peut faire une fortune pour eux. Mais c’est une tromperie de leurs parents, car les enfants devraient aller à l’école d’abord, apprendre à lire, écrire et calculer… L’impact du secteur minier sur les enfants est négatif ».

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Le conflit a eu un impact dévastateur sur le système éducatif en RCA. Les établissements scolaires ont été fermés à cause de l’insécurité, ou ils ont été détruits ou endommagés pendant les combats. Parfois ils ont même été occupés par des groupes armés, ou utilisés comme abris improvisés pour les personnes déplacées dans le pays.

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Les équipements, les livres et les archives de certaines écoles ont été endommagés, brûlés, pillés. Certains enseignants ont été contraints de se déplacer et, pour pallier à ce manque de ressources pédagogiques, des maîtres non qualifiés ont pris le relais, sans pour autant couvrir tous les besoins. Malgré la réouverture officielle des écoles le 20 novembre 2014, l’absence de sécurité et le dé-placement des populations em-pêchent la reprise effective des classes dans de nombreuses lo-calités de la RCA.

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Dans des nombreuses écoles situées dans la zone de Carnot et Sibut, NRC a organisé des cours de rattrapage scolaire depuis septembre 2014 pour trois mois afin de compenser la fer-meture des écoles suite au conflit. NRC a égale-ment effectué des distributions de kits scolaires. Ainsi dans l’école préfectorale de Sibut, les 886 élèves, répartis en 9 classes, ont tous reçu ca-hiers, stylos et craies.

R A T T R A P E R LE TEMPS PERDU

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Innocent Nzaleest enseignant dans l’école d’un village situé entre Sibut et Dekoa : « Sur l’année académique 2012 – 2013 il n’y a eu que deux mois de cours, d’octobre à novembre 2013. Pour les cours de rattrapage, il y a seulement sept enseignants. Les autres ne sont pas revenus. Donc nous avons plus de cent élèves par classe ».

Aujourd’hui sur ces sept enseignants, trois sont absents, y compris le directeur qui est parti sur Bangui pour percevoir son salaire. Il n’y a pas de banque plus proche que Bangui, qui est à une journée de route. Innocent se retrouve ce jour-là avec deux classes en même temps, 316 élèves au total…

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Martin M’Betikam est instituteur-directeur de l’école Plateau Nixé à Carnot. Père de 5 enfants, il reconnaît l’importance du problème d’avenir que pose une société sans école : « L’école c’est la base du développement d’un pays. On doit faire comprendre aux enfants qu’ils ne vont pas seu-lement à l’école pour devenir fonctionnaires mais pour se préparer à la vie. Normalement il y neuf mois de cours dans une année scolaire, mais cette année nous n’avons pas pu terminer le programme.

L’ONG NRC a organisé des cours pour rattraper et finir le programme afin que la rentrée de 2014 soit effective. » L’inscription à l’école publique est de 1 100 FCFA (environ 2 USD) par an par élève, pour autant la plupart des parents issus des familles déplacées n’en ont pas les moyens et luttent pour nourrir leurs fa-milles. Certains déplacés vivent toujours en brousse et ne sont pas au courant du programme car il est difficile, voire impossible, de les localiser ou les contacter.

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L’école Koba-Suzanne (en fond) entre Sibut et Dekoa a été pillée durant la crise. Les élèves suivent les cours de rattrapage sous l’arbre.Le conflit a sévèrement affecté le secteur scolaire, les écoles détruites ne pouvant plus accueillir les enfants. Ainsi, la plupart des écoles du pays ne constituent pas toujours des lieux de protection pour les enfants qui y vont.

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Au cours d’un atelier de deux jours, NRC a réuni environ 130 participants comprenant enfants, parents d’élèves, enseignants, autorités lo-cales et membres de la communauté de Carnot, afin de faciliter la compréhension et l’analyse des éventuels risques de protection pour les enfants dans le milieu scolaire, ainsi que sur le chemin de l’école, et ainsi identifier des stratégies pour la réduction de ces risques.

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Bienvenu Bangodje, parent d’élève, raconte les difficultés qu’ont eu ses enfants sur le chemin de l’école pendant le conflit : « Lorsqu’ils portaient même un petit sac, des éléments de groupes ar-més arrivaient à les en déposséder, faisaient des fouilles corporelles et tiraient un peu partout.

Par conséquent, les enfants ne pouvaient pas venir à l’école. Ces hommes en armes venaient à tout moment les menacer, même dans la salle de classe. Un jour, ils sont allés jusqu’à séquestrer un enfant contre une rançon. Les parents ont alors pris peur et ont quitté la ville pour mettre leurs enfants à l’abri en brousse ».

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Lucilla Binguimayassistante au sein du programme d’Education de NRC à Carnot, prépare les fournitures pour que les enfants puissent s’exprimer de manière créative sur leurs difficultés. « A travers ces dessins les enfants nous ont décrit les problèmes réels qu’ils encourent quand ils quittent le site sur lequel ils vivent pour aller à l’école. Tout ce que les enfants ont eu à dire va nous permettre de pouvoir mitiger ces risques. Par exemple, les enfants musulmans, déplacés au niveau de l’église catholique, ont peur de quitter ce site et de regagner les écoles de la ville où ils étudiaient avant. Ils craignent d’être agressés par les autres élèves » explique Lucilla.

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Les dessins des enfants représentent des témoignages bouleversants qui révèlent l’impact de la guerre sur leur bien être psychosocial et montrent que nombre d’entre eux ont été témoins ou victimes d’actes d’une violences effrayante. Les enfants, chrétiens ou musulmans, gran-dissent aujourd’hui séparés, et dessinent des anti-balaka tuant des parents musulmans, ou des Séléka tuant des chrétiens. Les enfants n’ont pas été épargnés par ces massacres et leur éducation devrait être la clé de leur émancipation future.

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Maryse a treize ans et vit enclavée sur le site des déplacés de la paroisse de Carnot. « Quand les Séléka sont arrivés, nous avons dû fuir pour aller en brousse. Là-bas ils ont tué mon oncle et égorgé mon père. Aujourd’hui je veux étudier au milieu de mes amis, on ne sait jamais, je trouverai peut-être un emploi un jour. Certains parents laissent souvent leurs enfants à la maison pour s’occuper de leurs travaux champêtres et domestiques. C‘est pour cela que je lance un message aux parents afin qu’ils laissent leurs enfants étudier. Mes désirs aujourd’hui sont que je puisse retourner à l’école et que notre pays retrouve la paix ».

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Madeleine Badiakou, institutrice dans une école de Carnot : « Ici nous interdisons formellement aux en-fants de jouer aux armes. Quand on les voit en train d’imiter les militaires, on leur interdit ça, c’est une manière de les ramener dans la vie normale, et d’ou-blier ce qu’il s’est passé », raconte-elle. Ces enfants ont vécu l’horreur de la guerre, et de leurs témoignages il est difficile de croire que ces blessures cicatriseront de sitôt.

Des traumatismes liés au conflit

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Quel avenir pour ces enfants ? Nous avons demandé à ceux qui ne peuvent sortir de leur enclave de l’église catholique de Carnot depuis désormais un an, de venir déguisés en ce qu’ils vou-draient devenir quand ils seront grands.

QUAND JE SERAI

GRAND(E)

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Militaires

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Collecteur et collectrice de diamants

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Cuisinière

Joueur de football Infirmière

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EleveurMaîtresse

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Pilote Chauffeur

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Commerçante Cuisinière

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La commune de Kabo au Nord de la RCA se situe à 60 km de la frontière avec le Tchad. Cette zone est contrôlée par les ex-Séléka. Les forces internatio-nales n’y sont pas, ou plus, présentes.

Alors que de nombreuses personnes ont fui Kabo suite aux violences, d’autres y sont arrivées depuis Bangui. Il s’agit principalement des musulmans du quartier PK12 de la capitale centrafricaine, qui ont été relocalisés ici avec l’appui de la communauté humanitaire. Ces déplacés sont arrivés sur le site C, qu’ils ont eux-mêmes dénommé « site de paix ».

FUIR DE BANGUI

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Assis au pied d’un arbre, le chef du camp est celui qui a négocié avec la communauté humanitaire l’arrivée des musulmans sur ce site.

Il raconte les conditions dans lesquelles les déplacés ont été achemi-nés à Kabo : « Nous avons eu des difficultés en route. A l’entrée de la ville de Dekoa un camion dans lequel nous étions s’est fait attaquer par des anti-balaka qui ont tué trois femmes et blessé sept personnes dans cette

embuscade. Lorsqu’ils ont ensuite quitté Dekoa, les anti-balaka ont barré la route pour récupérer un des véhicules avec plein de bagages ». A leur arrivée, ces passagers de fortune ont dû s’installer sur le site qui leur avait été affecté.

« Il n’y avait rien, c’était vide » poursuit le chef de camp, « mais il y avait au moins la promesse de se sentir libre à nouveau. »

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Karim Mahamat est imam. Sa maison dans le quartier de PK12 à Bangui a été détruite, tout comme la mosquée, et il a dû fuir à Kabo. Il s’est depuis re-construit une maison en briques sur le site C. Il y est arrivé avec ses 4 enfants et sa femme car c’est « une place de paix », et il n’en-visage de revenir à Bangui qu’une fois la sécurité de retour. Il raconte les conditions dans lesquelles ils ont été escortés à Kabo.

« Nous sommes montés dans des véhicules et puis nos bagages ont été mis dans d’autres véhicules, mais tout a disparu. On ne les a pas retrouvés et nous ne savons rien jusqu’à aujourd’hui. » Les déplacés du site C se sentent-ils protégés par les forces in-ternationales ? « La MINUSCA ne s’occupe pas de nous, ne gère pas notre sécurité. Donc là ou pas là c’est la même chose. Ceux qui gèrent notre sécurité ici sont les Séléka. Ils nous aident si on a des problèmes, mais sinon ils ne viennent pas ici sur le site. »

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Youssouf HusseiniYoussouf Husseini se souvient de l’attaque de PK12. Il y a perdu un frère, une femme et un enfant. Il vit désormais avec sa deuxième femme et ses sept enfants sur le site C de Kabo. Handicapé d’un bras à cause d’une grenade, il ne peut plus cultiver comme avant, et puis il y a peu de terre disponible. Youssouf regarde avec scepticisme les maisons en train d’être construites. Il y aura droit, au même titre que les autres venus du PK12, mais il ne sait pas encore quand.

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Ladji MaloudLadji Maloud est infirmier. Il se trouvait à Bouali pour le travail, lorsque sa femme l’a ap-pelé de Bangui pour lui dire qu’on l’envoyait au Tchad en avion avec ses trois enfants.

« Je suis seul ici, je ne peux pas rester sans fa-mille, il faudra que je fasse tout pour retrou-ver ma femme et mes enfants au Tchad ».

Il a déjà rejoint Kabo par ses propres moyens. Il pensait pouvoir franchir la frontière, mais celle-ci est désormais fermée. Traverser clandestine-ment présente des risques et a déjà coûté la vie à certains. Bloqué malgré lui à Kabo, il regarde se construire les maisons en briques prévues pour les déplacés de PK12, mais lui ne peut y prétendre. Ladji Maloud s’est construit une hutte sur le site C, mais les conditions d’héberge-ment sont tellement précaires, qu’il préfère louer une chambre en ville, son boulot d’in-firmier lui permettant de se débrouiller avec les quelques médicaments qu’il a ramenés.

« Si les enfants qui vivent sur ce site sont malades, j’ai ça pour les soigner. Les gens me connaissent bien, depuis presque 6 mois que je suis ici avec eux. »

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Abdulaye Biadi était bijoutier et a quitté Bangui avec sa femme et ses deux enfants : « J’ai tout perdu. J’ai seulement deux chaînes avec moi. Des soldats de la MINUSCA à M’poko m’ont pris les autres bi-joux mais ils ne les ont pas payés. »

Dans ces conditions, il est difficile pour ces déplacés d’avoir confiance en ces forces armées supposées les protéger.

« On ne voit pas leur travail d’ici en RCA, on ne sait pas ce qu’ils font ici. On dit Sangaris, Minusca, mais il n’y a pas de changement, on ne voit pas la paix. On ne sait pas en qui on peut avoir confiance. Avec la Séléka c’est mieux, on est là avec eux sans problèmes. Les Sangaris eux ils sont dans leurs camps, ils n’interviennent pas. Les Camerounais de la MINUSCA ils sont déjà partis de Kabo, ça fait 2 semaines. Leur camp est vide. »

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Olivier David Directeur PaysConseil Norvégien pour les RéfugiésRépublique [email protected]

Ilaria Allegrozzi Conseillère en Protection et PlaidoyerConseil Norvégien pour les RéfugiésRépublique [email protected]

Photos © Vincent Tremeau

[email protected]

Octobre-Novembre 2014

Contacts

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