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Physique des ondes THz Le domaine THz s’étend typiquement depuis les fréquences de l’ordre de la centaine de GHz jusqu’à quelques di- zaines de THz, c’est-à-dire qu’il englobe les longueurs d’onde de quelques di- zaines de microns à quelques millimètres (figure 1). Il est donc situé entre l’optique (infrarouge) et l’électronique (hyper- fréquences). L’énergie des photons THz étant très faible (quelques meV), le rayon- nement THz n’excitera dans la matière que des résonances peu énergétiques, telles les vibrations globales des struc- tures moléculaires (figure 2), les phonons optiques dans les solides, les porteurs libres, les paires de Cooper dans les supra- conducteurs, etc. En conséquence, un grand nombre de matériaux, par exem- ple les diélectriques ou les semi-conduc- teurs intrinsèques, sont transparents pour les rayons THz. Les métaux présentent une conductivité pratiquement infinie, et se comportent donc comme des métaux parfaits dont la réponse électromagnétique est dé- crite par la théorie de Drude. Les molécules, surtout polaires, peuvent présenter des spectres d’absorption rotovibrationnels plus ou moins com- plexes dans cette gamme fréquentielle. Citons deux exemples très importants. Tout d’abord, la molécule d’eau, qui montre des raies d’absorption intenses de plus en plus nombreuses à partir de 500 GHz. Cela se traduit par une opacité de l’air au voisinage de ces raies, à cause de la vapeur d’eau (figure 3). De même, les ondes THz ne se propagent pas dans l’eau liquide et dans les milieux aqueux ou humides comme le corps humain. Typiquement, la profondeur de péné- tration d’une onde THz dans l’eau ou dans un tissu biologique est l’ordre de la centaine de microns. Deuxième exem- ple, les grosses molécules organiques – aliments, explosifs (voir figure 4b), médicaments, etc. – qui exhibent une signature spectrale caractéristique dans le domaine THz. Ces deux exemples indi- quent les directions des recherches applicatives menées aujourd’hui : d’une part, l’imagerie, basée sur le degré de transparence des matériaux ; d’autre part, la détermination de la composition chimique d’échantillons par analyse spec- trale. Bien sûr, on peut combiner les deux en vue de l’imagerie hyperspectrale THz, dont nous décrirons l’intérêt plus loin. Technologie des ondes THz Depuis le début du XX e siècle jusqu’aux années 1990, l’infrarouge lointain a été remarquablement étudié, par exemple en France, à Nancy, par A. Hadni, mais au prix de travaux fastidieux liés à l’ab- sence de sources et détecteurs perfor- mants ou pratiques. Le rayonnement était essentiellement produit par des corps noirs, comme les lampes à mercure, et les détecteurs étaient des bolomètres ou des cellules de Golay, dont respecti- vement la résistance et le volume varient avec l’augmentation de température induite par l’absorption du rayonne- ment. La faible brillance des sources et 34 CAHIER TECHNIQUE Les ondes électromagnétiques térahertz au service de la sécurité et de la défense Chercheurs et ingénieurs rêvent d'utiliser les ondes électromagnétiques térahertz (THz), c'est-à-dire appartenant à l'infrarouge très lointain, dans de nombreuses applications entrevues dans des domaines aussi variés que les télécommunications à très haut débit, l'imagerie médicale, les capteurs pour l'industrie, etc., parmi lesquels la sécurité et la défense prennent une part prépondérante. Les activités de recherche et développement dans le domaine THz ont été stimulées par l'avènement, à la fin des années 1980, de nouvelles techniques et technologies, basées principalement sur l'optoélectronique, et actuellement mettant aussi en jeu la micro- et la nanoélectronique. Cet article présente les principes de la technologie THz [1] et l'état de l'art des études et développements pour la sécurité et la défense. Cet état de l'art est sans doute incomplet, car nombre des travaux menés sont classés confidentiels et ne sont pas publiés. • 55 • septembre/octobre 2011 Jean-Louis COUTAZ Frédéric GARET IMEP-LAHC, UMR 5130 du CNRS Université de Savoie [email protected] Micro-ondes Figure 1. Le domaine THz au sein du spectre électromagnétique. Article disponible sur le site http://www.photoniques.com ou http://dx.doi.org/10.1051/photon/20115534

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Physique des ondes THz

Le domaine THz s’étend typiquementdepuis les fréquences de l’ordre de la centaine de GHz jusqu’à quelques di -zaines de THz, c’est-à-dire qu’il englobeles longueurs d’onde de quelques di -zaines de microns à quelques millimètres (fi gure 1). Il est donc situé entre l’optique(infrarouge) et l’électronique (hyper -fréquences). L’énergie des photons THzétant très faible (quelques meV), le rayon-nement THz n’excitera dans la matièreque des résonances peu énergétiques,telles les vibrations globales des struc-tures moléculaires (figure 2), les phononsoptiques dans les solides, les porteurslibres, les paires de Cooper dans les supra-conducteurs, etc. En conséquence, ungrand nombre de matériaux, par exem-ple les diélectriques ou les semi-conduc-teurs intrinsèques, sont transparentspour les rayons THz.Les métaux présentent une conductivitépratiquement infinie, et se comportentdonc comme des métaux parfaits dontla réponse électromagnétique est dé -crite par la théorie de Drude.

Les molécules, surtout polaires, peuventprésenter des spectres d’absorptionrotovibrationnels plus ou moins com-plexes dans cette gamme fréquentielle.Citons deux exemples très importants.Tout d’abord, la molécule d’eau, quimontre des raies d’absorption intensesde plus en plus nombreuses à partir de500 GHz. Cela se traduit par une opacitéde l’air au voisinage de ces raies, à causede la vapeur d’eau (figure 3). De même,les ondes THz ne se propagent pas dansl’eau liquide et dans les milieux aqueuxou humides comme le corps humain.Typiquement, la profondeur de péné-tration d’une onde THz dans l’eau oudans un tissu biologique est l’ordre dela centaine de microns. Deuxième exem-ple, les grosses molécules organiques– aliments, explosifs (voir figure 4b),médicaments, etc. – qui exhibent unesignature spectrale caractéristique dansle domaine THz. Ces deux exemples indi-quent les directions des recherchesapplicatives me nées aujourd’hui : d’une

part, l’imagerie, basée sur le degré detransparence des matériaux ; d’autrepart, la détermination de la compositionchimique d’échantillons par analyse spec-trale. Bien sûr, on peut combiner les deuxen vue de l’imagerie hyperspectrale THz,dont nous décrirons l’intérêt plus loin.

Technologie des ondes THz

Depuis le début du XXe siècle jusqu’aux

années 1990, l’infrarouge lointain a étéremarquablement étudié, par exempleen France, à Nancy, par A. Hadni, maisau prix de travaux fastidieux liés à l’ab-sence de sources et détecteurs perfor-mants ou pratiques. Le rayonnementétait essentiellement produit par descorps noirs, comme les lampes à mercure,et les détecteurs étaient des bolomètresou des cellules de Golay, dont respecti-vement la résistance et le volume varientavec l’augmentation de températureinduite par l’absorption du rayonne-ment. La faible brillance des sources et

34 CAHIER TECHNIQUE

Les ondes électromagnétiques térahertzau service de la sécurité et de la défenseChercheurs et ingénieurs rêvent d'utiliser les ondes électromagnétiques térahertz (THz), c'est-à-dire appartenant à l'infrarouge très lointain, dans de nombreuses applications entrevues dans des domaines aussi variés que lestélécommunications à très haut débit, l'imagerie médicale, les capteurs pour l'industrie, etc., parmi lesquels lasécurité et la défense prennent une part prépondérante. Les activités de recherche et développement dans ledomaine THz ont été stimulées par l'avènement, à la fin des années 1980, de nouvelles techniques et technologies,basées principalement sur l'optoélectronique, et actuellement mettant aussi en jeu la micro- et la nanoélectronique.Cet article présente les principes de la technologie THz [1] et l'état de l'art des études et développements pour lasécurité et la défense. Cet état de l'art est sans doute incomplet, car nombre des travaux menés sont classésconfidentiels et ne sont pas publiés.

• 55 • septembre/octobre 2011

Jean-Louis COUTAZFrédéric GARET

IMEP-LAHC, UMR 5130 du CNRSUniversité de [email protected]

Micro-ondes

Figure 1. Le domaine THz au sein du spectre électromagnétique.

Article disponible sur le site http://www.photoniques.com ou http://dx.doi.org/10.1051/photon/20115534

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leur incohérence conduisaient à desenregistrements de spectre pouvantdurer une semaine ! Les lasers molécu-laires ou les tubes électroniques (carci-notron) étaient employés dans des casparticuliers. L’avènement des lasers fem-tosecondes a révolutionné cette science.En effet, le redressement optique desimpulsions lasers permet de générer desbouffées électromagnétiques dont laforme est typiquement l’enveloppe desimpulsions optiques, élargie et défor-mée par la dispersion. Typiquement, cesignal électromagnétique a une duréesub-picoseconde, donc un spectre de largeur THz, puisqu’inversement pro-portionnel à la durée des impulsions.Ainsi, le redressement optique permet

de transposer les fréquences optiquesde l’impulsion laser au domaine THz. Ceredressement est réalisé soit dans descristaux non linéaires, comme ZnTe, soitdans des semi-conducteurs, où les por-teurs photogénérés présentent unedurée de vie sub-picoseconde (par exem-ple GaAs épitaxié à basse température).La mesure de ce signal THz est effectuéepar des techniques d’échantillonnagegrâce à la périodicité du train d’impul-sions laser, le signal THz étant en faitmélangé avec l’impulsion optique ini-tiale, retardée par une ligne à retard,dans des dispositifs assez semblables aux émetteurs. Ces techniques optoélectroniques évo-luent aujourd’hui dans deux directions :

d’une part des systè mes compacts et efficaces, si possible utilisant les laserset les composants des télécommunica-tions pour réduire les coûts ; d’autre partdes systèmes délivrant des signaux THzcontinus, basés sur le battement optiquede deux lasers de longueurs d’onde légèrement différentes. Vers les années 2000, d’autres compo-sants sont apparus ou sont devenus com-pétitifs. Parmi les sources, les lasers à cas-cade quantique sont très prometteurs,mais la faible énergie des photons THz,inférieure à l’énergie thermique à tem-pérature ambiante, les oblige à fonction -ner à des températures cryogéniques. Les sources purement électroniques ont réalisé beaucoup de progrès et

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Figure 3. Transmission de l’atmosphère (en rouge épaisseur 1 m, enbleu 100 m) dans le domaine THz.Figure 2. Domaines de fréquence des résonances moléculaires.

Vibration des liaisons

> 21 THz

Oscillation angulaire

6-27 THz

Torsion des molécules

< 9 THz

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surpasseront sans doute les sourcesoptiques pour les « basses » fréquences,c’est-à-dire jusqu’à 500-700 GHz. Ce sontpar exemple des diodes Schottky quimultiplient en fréquence un signal àquelques dizaines de GHz délivré par une source hyperfréquence. Les compo-sants de la nanoélectronique sont de plus en plus nombreux, comme les tran-sistors FET à canal nanométrique danslequel le gaz électronique bidimension-nel oscille à sa fréquence plasma situéedans le domaine THz. Néanmoins, il fautadmettre qu’aujourd’hui aucune sourcen’est suffisamment puissante, efficace,compacte ou simple d’emploi pour per-mettre le développement immédiat desapplications grand public de la techno-logie THz.Simultanément, les détecteursdeviennent de plus en plus performants.Ils sont caractérisés par la puissance THzdétectable minimale, exprimée en puis-sance équivalente de bruit normalisée àla bande spectrale (NEP en W.Hz-1/2). Lesdétecteurs cryogéniques sont aujour -d’hui très aboutis. Ainsi, ceux à supra-conducteurs, dans lesquels les pho-tons THz brisent des paires de Cooperpour former un gaz d’électrons chaudsqui augmente la résistance du disposi-tif, atteignent un NEP de 10-16 W.Hz-1/2,largement suffisant pour détecter lesignal THz du rayonnement de corps noir d’un individu. Ces bolomètres sonttrès utilisés en radioastronomie et peu-vent être construits sous forme matri-cielle pour l’imagerie.

Encore plus spectaculaires, les transis-tors FET sur lesquels une boîte quan- tique en semi-conducteur dopé, ser- vant de grille pour le transistor, voit songaz d’électrons osciller à la fréquenceplasma sous éclairement THz et ali-mente ainsi le canal du transistor. Cestransistors permettent pratiquement la détection de photon THz unique, maisà des températures de l’ordre du Kelvin.Les détecteurs à température ambiantesont très étudiés pour les applicationsgrand public, mais leur développementest rendu difficile par la nécessité d’iso-ler le signal du bruit thermique ambiant.Citons comme dispositifs prometteurs les microbolomètres à membrane déri-vés de ceux utilisés dans l’infrarouge, etaussi les nanotransistors à effet plasmadécrits plus haut. Des premiers filmsvidéo THz ont été tournés en labora-toire, mais en éclairant la scène avec un laser THz puissant. Comme pour lesémetteurs, un effort technologiqueimportant est nécessaire pour disposerde détecteurs performants.

Applications de la technologieTHz aux problèmes de sécuritéet défense

Détection de gaz et agents létaux

De nombreux gaz, formés de moléculessuffisamment grosses, présentent unspectre d’absorption typique dans ledomaine THz, alors qu’ils sont pratique-ment transparents dans le visible et dansl’infrarouge. Un exemple bien connu est

le disulfure d’hydrogène, à l’odeurd’œuf pourri caractéristique, mais onpeut citer aussi l’ozone, etc. Cela ouvrela voie à la détection à distance par spec-troscopie d’absorption THz de gaz pol-luants dans l’atmosphère, à la réalisationde capteurs pour l’industrie, etc. Dansle domaine de la sécurité et de la dé -fense, on cherche à détecter à distancedes gaz ou des agents chimiques et bio-logiques létaux, que ce soit sur un champde bataille lors de conflits, ou bien dansdes zones fréquentées par la popula-tion, dans le cas de problèmes liés auterrorisme. Pour cela, il faut d’abord s’as-surer que la substance re cherchée pré-sente une signature spectrale dans ledomaine THz. C’est le cas des gaz de com-bat, comme les trop célèbres gaz mou-tarde et sarin. La figure 4a montre lespectre du diméthyle sulfoxide (DMSO)[2], qui ressemble fortement à celui dugaz moutarde, et permet de mener enlaboratoire des études de faisabilitésans être exposé au danger du gaz mou-tarde. De même, le spectre des agentsbiologiques comme l’anthrax ou sonsubstitut Bacillus subtilis, sont bien iden-tifiables au-dessus de 1 THz [3]. Pourdétecter la présence de ces substances,si possible à quelques dizaines ou cen-taines de mètres, il faut ensuite cons -truire un appareil qui permet d’illumi-ner la scène avec un faisceau THz, puis qui mesure le signal THz réfléchi à l’en-droit du gaz à détecter. Le challenge technologique est difficile, car la plupartdes substances à détecter présentent

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Fréquence (THz)

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Figure 4. Spectres d’absorption (à gauche) de la molécule DMSO mesurés par F. Hindle (LPCA-Dunkerque) [2], (à droite) de l’explosif RDX (Université de Savoie).

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un spectre intéressant dans la gammedes quelques THz, pour laquelle l’air est très absorbant. Une solution élé-gante est proposée et développée par X.-C. Zhang (Institut Rennselaer, Troy,États-Unis). Le signal THz est généré etmesuré à l’endroit où se trouve le gaz,en faisant claquer dans l’air une impul-sion laser femtoseconde intense. L’air secomporte comme un milieu optique nonlinéaire qui redresse le signal optique,et permet la mesure du champ THz pareffet Kerr. L’information THz est trans-portée par le faisceau optique, qui nesouffre pas de l’atténuation de l’air.

Principes et bases de l’imagerie THz

Dans les domaines de l’infrarouge et desTHz, il existe deux familles d’imagerie.L’imagerie passive profite du rayon ne-ment thermique émis par un objet à tem-pérature non nulle. Lorsque ce rayonne-ment est trop faible ou bien est noyédans un bruit de fond ambiant, il estnécessaire d’éclairer la scène avec un faisceau THz (imagerie active). Dans le

domaine THz, la loi de Planck de rayon-nement du corps noir est approximée parcelle de Rayleigh-Jeans. Pour un sys-tème optique d’imagerie passive limitépar la diffraction, c’est-à-dire tel que laplus petite zone résolue sur la scène cor-respond dans le plan image à un pixeldu détecteur, on démontre que la puis-sance reçue par le pixel est 2kRT��, oùT est la température du corps rayonnant,kB la constante de Boltzmann et �� labande passante du détecteur. La réali-sation d’une image nécessite un objetavec des températures différentes, l’ima -ge correspondant en fait à la cartogra-phie thermique de l’objet puis que la for-mule précédente ne dépend pas del’émissivité de l’objet. On définit alorsla température équivalente moyenne debruit (NEDT en anglais), qui est la pluspetite variation de température que lesystème optique peut visualiser. En déri-vant la formule précédente, on aboutità NEDT = �Tmin = NEP/2kB��.La température d’un objet dissimulé sousles vêtements d’une personne diffère de

quelques dixièmes de degrés de cellesde la peau ou des vêtements (figure 5).Pour un détecteur avec une bande pas-sante de 100 GHz, le NEP requis est del’ordre de 10-13 W.Hz-1/2. Aujourd’hui,seuls les détecteurs cryogéniques attei-gnent cette sensibilité. Les autres détec-teurs, dont les bolomètres à tempéra-ture ambiante, demandent que la scènesoit éclairée, ce qui pose deux problèmespour les applications grand public : l’ab-sence de sour ces THz performantes etla crainte du public d’être éclairé par unrayonnement électromagnétique. Cedernier point n’est pas déterminantquand il s’agit d’examiner des objets sus-pects, par exemple des enveloppes decourrier qui contiendraient des subs-tances dangereuses. Notons enfin quela résolution spatiale de l’imagerie THzest de l’ordre du millimètre, limitée parla diffraction mais aussi par les aberra-tions des opti ques, qui sont réfractives(composants et lentilles en polyéthylène,téflon ou silicium intrinsèque), ou réflec-tives (miroirs métalliques), ou même

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diffractives (lentilles de Fresnel oulentilles métalliques, dont le fonc-tionnement s’approche de celui desantennes en hyperfréquences).

Détection d’objets dissimulés

Les papiers, cartons, et tissus, s’ilssont secs, sont relativement trans-parents pour les ondes THz. Unecaméra THz peut ainsi facilement« voir » à travers les vêtements d’unindividu, c’est-à-dire qu’elle le dé -shabille, posant dans certains paysdes problèmes d’éthique compli-qués et aussi une forte oppositionde la population à ces techniquesd’inspection. L’Union européennea d’ailleurs publié en mai dernierune réglementation de 30 pages sur ce point [4] ! Les appareils installés, parexemple dans certains aéroports, fonc-tionnent à des fréquences de 30 ou90 GHz, car la technologie de ces fré-quences est mature et permet d’obtenirdes images exploitables, même si leurrésolution est limitée à quelques centi-mètres. En laboratoire, des prototypesfonctionnent à plusieurs centaines deGHz. L’observation d’objets métalliques(armes) ou de sachets de poudre estfacile, d’autres matériaux étant moins« visibles ».Il faut bien noter que la technologie THzne peut, seule, résoudre tous les pro-blèmes de sécurité dans les portiquesd’aéroport, et qu’elle ne s’envisagequ’associée à d’autres méthodes d’in-vestigation. Ainsi, si les vêtements d’unindividu sont mouillés, la caméra THz nefilmera pas les objets dissimulés. Mais lefait que les vêtements soient mouillésconstitue un indice pour le personnel desécurité, qui isolera l’individu suspect.L’examen d’objets pose moins de pro-blème que celui des individus. Ainsi, unsystème THz automatisé d’inspection du courrier est installé dans des centresde tri postal au Japon (dont les noms nesont pas révélés pour des raisons de sécu-rité). Chaque lettre ou colis postal estimagé à très grande vitesse par un sys-tème combinant une caméra visible, un appareil à rayons X et un détecteurà 90 GHz. Si l’objet semble suspect, il

trop proche de la longueur d’on -de THz, et de ce fait diffusent lesondes. Néanmoins, lire le courriersans ouvrir les enveloppes, ou voirà travers les murs, font rêver les services d’espionnage du mondeentier !

Identification à distance de produits

Les chercheurs japonais du centreRIKEN à Sendaï, qui ont mis aupoint cet équipement pour le tripostal, ont publié en 2003 desimages THz qui ont rencontré unvif engouement [5]. Ils avaient in -séré dans une enveloppe (figure 6)trois sachets plastiques contenant

différentes poudres : deux drogues(MDA et méthamphétanime) et un médi-cament (aspirine). Les signaux transmisà trois longueurs d’onde THz différentespermettent d’identifier les poudresgrâce à leurs spectres d’absorption trèsdistincts. Depuis, des premiers appareils portables proposés par des sociétés(micro-Z de la société Zomega, Emcore,Université de Brunswick…), permettentl’identification de produits mis aucontact de l’appareil, par exemple desliquides dans une bouteille. Cette tech-nique est donc démontrée, en tout casà courte distance. À plus longues dis-tances, c’est-à-dire au moins plusieurs

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Figure 6. Reconnaissance de poudres cachées dans une enveloppe. À gauche, photographie del’enveloppe et des sachets plastiques (de gauche à droite, dans l’encadré jaune : MDA, aspi-rine et méthamphétanime) ; à droite, images THz à différentes fréquences (fausses couleurs)permettant d’identifier les trois poudres (cliché Kodo Kawase, Université de Nagoya, Japon).

est isolé et inspecté plus lentement parun spectromètre THz. Notons aussi quel’imagerie THz est assez résolue pour permettre la lecture à travers une enve-loppe, car l’encre est plus absorbanteque le papier. De la même façon, on peut« voir » des objets à travers une cloison,si celle-ci est par exemple constituée d’unmatériau homogène de faible granulo-métrie comme le plâtre. Le béton, lesbriques ou d’autres matériaux présen-tent une granulométrie de dimension

Figure 5. Image THz d’un individu dissimu-lant des objets suspects sous ses vêtements(cliché Arttu Luukanen, Millilab, Espoo, Finlande).

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mètres, le premier problème à résoudreest l’atténuation de l’air. C’est un pro-blème difficile en l’absence actuelle de source puissante. La transparence de l’air diminue avec la fréquence, alors queles signatures spectrales des explosifssont significatives à plusieurs THz. Onestime aujourd’hui que les futurs sys-tèmes, si on arrive à les mettre au point,seront limités à l’observation à une di -zaine de mètres au maximum. Le secondproblème est lié aux mesures qui sontsouvent en mode de réflexion. Il fautemployer des opti ques de large dimen-sion, comme des télescopes, pour re -cueillir le maximum de signal qui est souvent diffusé par la rugosité des maté-riaux dans des directions non spécu-laires.De façon générale, les systèmes en développement aujourd’hui sont baséssur l’enregistrement du signal à quel -ques longueurs différentes et l’identi-fication du produit par comparaison desmesures avec des bases de données. Les difficultés sont d’une part de trou-

ver le nombre de longueurs d’ondenécessaires pour un taux d’identifica-tion élevé, nombre qui doit rester rela-tivement faible pour des raisons de dis-ponibilité des sources THz, et d’autrepart d’éviter les erreurs liées à des spec-tres proches pour des produits ou sur-tout des mélanges de produits très dif-férents. Par exemple, l’explosif Metabelet le chocolat apparaissent identiquesdans les scanners à rayons X d’inspec-tion des bagages. Leurs spectres THzsont aussi assez proches, mais un ima-geur THz sensible permet néanmoins deles identifier.

Télécoms

La transmission de signaux à l’aide d’uneporteuse dans le domaine THz peut aussiêtre classée dans les technologies liéesà la défense et sécurité. En effet, commenous l’avons déjà expliqué, la propaga-tion des ondes THz est limitée à quelquesdizaines de mètres en atmosphère libre,ou à l’intérieur d’une pièce au sein d’unbâtiment.

Le signal ne pourra donc pas être détectéà plus longue distance ou dans une piècevoisine. On peut donc contrôler à qui ilest diffusé. De plus, en tout cas à moyenterme, cette haute technologie n’estpas répandue et donc n’est pas dispo-nible pour des groupes terroristes oudes pays moins développés. �

Références

[1] Optoélectronique térahertz, édité sous la directionde J.-L. Coutaz, EDP Sciences, Paris (2008).

[2] F. Hindle et al. Recent Developments of an Opto-Electronic THz Spectrometer for High-ResolutionSpectroscopy. Sensors 2009; 9: 9039-9057.

[3] D. Woolard et al. Terahertz electronics for chemi-cal and biological warfare agent detection. In IEEEMTT-S Int. Microwave Symp. Dig. Anaheim, CA, June13-19, 1999 : 925-928.

[4] Rapport sur la sûreté aérienne, en particulier surles scanners de sûreté, (2010/2154(INI)), Commissiondes transports et du tourisme, Communauté euro-péenne, (Rapporteur : Luis de Grandes Pascual).

[5] K. Kawase, Y. Ogawa, and Y. Watanabe. Non-destructive terahertz imaging of illicit drugs usingspectral fingerprints. Opt. Exp. 2003; 11, 2549.

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