Les occupations françaises de la Savoie

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1 Les occupations françaises de la Savoie Jean-Jacques TIJET « Je vous prie, comme bon prince et vassal du Saint-Empire, et tant pour le bien public que pour l’assourement [la sureté ?] de l’Italie, et par conséquent de tous les Chrétiens, que veuillez employer de tout votre pouvoir à faire bien garder tous les passages [des Alpes] afin que les Français n’y puissent passer ». Cette lettre, rédigée par Charles-Quint empereur germanique et roi d’Espagne, destinée au duc Charles III de Savoie, reconnait explicitement celui-ci comme le « gardien-portier des Alpes ». Il en était ainsi depuis que le comte Odon avait, par mariage au milieu du XI e siècle, ajouté aux diverses seigneuries situées en deçà des Alpes en Lyonnais, en Maurienne, en Tarentaise et en Chablais acquises par son père, le fondateur reconnu de la Maison de Savoie Humbert aux Blanches Mains, celles situées au-delà des Alpes, le marquisat de Suse, le comté de Saluces et les cités de Turin, Pignerol et Mondovi. Au fil des siècles, les comtes puis ducs de Savoie ont-ils réussi à exercer cette fonction et comment ont-ils géré cette redoutable situation géographique, à la fois dangereuse et privilégiée ? Répondre à ces questions est l’objectif de ce récit mais on peut facilement envisager que, puisqu’il n’existe pas d’obstacles naturels entre le royaume de France et le duché de Savoie 1 , les souverains français n’ont eu aucune difficulté pour envahir puis occuper le territoire savoyard au gré de leurs préoccupations politiques et militaires et ce, malgré les nombreux mariages, au cours des derniers siècles, qui unissaient les 2 familles. 1- La première occupation de 1536 à 1559 A la fin du XV e siècle l’équilibre de l’Europe est profondément modifié avec l’apparition d’une nouvelle puissance politique, l’Espagne, née en 2 temps, d’abord l’union des couronnes de Castille et d’Aragon en 1474 (après le mariage de la reine Isabelle de Castille et du roi Fernand d’Aragon, les Rois catholiques) puis en janvier 1492 par la conquête du royaume de Grenade qui met fin à près de 700 ans de présence musulmane dans la péninsule. Au début du XVI e siècle l’antagonisme entre les 2 puissances dominantes, France et Espagne conditionne la politique européenne. En juin 1519 Charles de Habsbourg (déjà roi d’Espagne depuis 1516) succède à son grand-père Maximilien à la tête du Saint Empire romain germanique 2 et devient, pour la postérité, Charles Quint (cinquième empereur portant ce nom). Il règne ainsi sur des territoires qui enserrent complètement la France : Franche-Comté, Artois, Flandres, Pays-Bas, Autriche, Naples, Espagne (Aragon, Castille, Navarre) et est suzerain du duché de la Savoie, du duché de Milan et de tous les Etats (royautés, principautés, cités) qui composent alors l’Allemagne actuelle. En plus ses possessions américaines (Antilles, Mexique, Pérou en particulier) - par ses gisements aurifères dans un premier temps puis par l’exploitation des mines d’argent jusqu’au milieu du XVII e siècle - lui donnent les moyens d’être à la tête d’une puissance économique considérable. 1 Le comté de Savoie a été élevé en duché en 1416. 2 Il est élu à l’unanimité par les 7 princes-électeurs. Il a 20 ans. Il sera sacré roi des Romains à Aix-la-Chapelle le 23 octobre 1520 et empereur par le pape Clément VII le 24 février 1530 à Bologne.

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Histoire des 6 occupations françaises de la Savoie du XVIe au XVIIIe siècle par François Ier, Henri IV, Louis XIII, Louis XIV (2 fois) et la République

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Les occupations françaises de la Savoie

Jean-Jacques TIJET

« Je vous prie, comme bon prince et vassal du Saint-Empire, et tant pour le bien public que

pour l’assourement [la sureté ?] de l’Italie, et par conséquent de tous les Chrétiens, que veuillez employer de tout votre pouvoir à faire bien garder tous les passages [des Alpes] afin que les Français n’y puissent passer ».

Cette lettre, rédigée par Charles-Quint empereur germanique et roi d’Espagne, destinée au duc Charles III de Savoie, reconnait explicitement celui-ci comme le « gardien-portier des Alpes ». Il en était ainsi depuis que le comte Odon avait, par mariage au milieu du XIe siècle, ajouté aux diverses seigneuries situées en deçà des Alpes en Lyonnais, en Maurienne, en Tarentaise et en Chablais acquises par son père, le fondateur reconnu de la Maison de Savoie Humbert aux Blanches Mains, celles situées au-delà des Alpes, le marquisat de Suse, le comté de Saluces et les cités de Turin, Pignerol et Mondovi. Au fil des siècles, les comtes puis ducs de Savoie ont-ils réussi à exercer cette fonction et comment ont-ils géré cette redoutable situation géographique, à la fois dangereuse et privilégiée ? Répondre à ces questions est l’objectif de ce récit mais on peut facilement envisager que, puisqu’il n’existe pas d’obstacles naturels entre le royaume de France et le duché de Savoie1, les souverains français n’ont eu aucune difficulté pour envahir puis occuper le territoire savoyard au gré de leurs préoccupations politiques et militaires et ce, malgré les nombreux mariages, au cours des derniers siècles, qui unissaient les 2 familles.

1- La première occupation de 1536 à 1559 A la fin du XVe siècle l’équilibre de l’Europe est profondément modifié avec l’apparition d’une

nouvelle puissance politique, l’Espagne, née en 2 temps, d’abord l’union des couronnes de Castille et d’Aragon en 1474 (après le mariage de la reine Isabelle de Castille et du roi Fernand d’Aragon, les Rois catholiques) puis en janvier 1492 par la conquête du royaume de Grenade qui met fin à près de 700 ans de présence musulmane dans la péninsule.

Au début du XVIe siècle l’antagonisme entre les 2 puissances dominantes, France et Espagne conditionne la politique européenne. En juin 1519 Charles de Habsbourg (déjà roi d’Espagne depuis 1516) succède à son grand-père Maximilien à la tête du Saint Empire romain germanique2 et devient, pour la postérité, Charles Quint (cinquième empereur portant ce nom). Il règne ainsi sur des territoires qui enserrent complètement la France : Franche-Comté, Artois, Flandres, Pays-Bas, Autriche, Naples, Espagne (Aragon, Castille, Navarre) et est suzerain du duché de la Savoie, du duché de Milan et de tous les Etats (royautés, principautés, cités) qui composent alors l’Allemagne actuelle. En plus ses possessions américaines (Antilles, Mexique, Pérou en particulier) - par ses gisements aurifères dans un premier temps puis par l’exploitation des mines d’argent jusqu’au milieu du XVIIe siècle - lui donnent les moyens d’être à la tête d’une puissance économique considérable.

1 Le comté de Savoie a été élevé en duché en 1416.

2 Il est élu à l’unanimité par les 7 princes-électeurs. Il a 20 ans. Il sera sacré roi des Romains à Aix-la-Chapelle le 23 octobre

1520 et empereur par le pape Clément VII le 24 février 1530 à Bologne.

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En octobre 1535 meurt le duc de Milan François II Sforza, sans héritier. François Ier revendique l’héritage du duché (pour son 2e fils Henri duc d’Orléans3) en tant qu’arrière-petit-fils de Valentine Visconti4, fille aînée du premier duc de Milan Jean-Galéas Visconti. Cependant en vertu des anciennes règles féodales, encore en application, c’est au suzerain (donc à Charles Quint) de décider soit de s’approprier la principauté soit de l’affecter à un prince de son choix ! Qu’à cela ne tienne ! François Ier décide d’envahir la Savoie début 1536 en prétextant défendre ses seuls intérêts (il prétend qu’il avait des droits sur la Bresse par sa mère Louise de Savoie), en réalité pour établir une base stratégique en cas d’affrontement avec l’empereur dans le Milanais (ou, en terme plus direct « il veut assurer ses arrières ») puisqu’il estime que la Savoie serait plutôt dans le camp impérial ! Mais quelle est la situation de celle-ci à cette époque ?

Le beau duché de Savoie n’a plus aucune influence dans le monde politique d’alors. Depuis la disparition d’Amédée VIII, au milieu du XVe siècle, diplomate et administrateur hors pair, choisi bien souvent comme médiateur et chez qui tous les grands souverains venaient chercher conseils, la Savoie a été entrainée par ses dirigeants sur les chemins de l’imprévoyance, des illusions, des dettes et du gaspillage5. Son prince, en 1536, est Charles III, surnommé par les chroniqueurs, le Bon, je ne sais trop pour quelles raisons, peut-être les mêmes, peu enviables, que celles attribuées au roi de France Jean II (1319-1364) « le plus mauvais et le plus cruel qui jamais fut » ! Il a 50 ans, est irrésolu, « mol à l’exécution » et faible au point de se laisser prendre par les évènements et de ne pas les diriger. Il est marié à Béatrice du Portugal dont la sœur Isabelle est l’épouse de Charles Quint, il est donc beau-frère de l’empereur ; comme sa demi-sœur Louise est la mère de François Ier, il est aussi l’oncle du roi de France ! Leur père – à Charles et Louise – est le « fameux » Philippe de Bresse qui se faisait appeler, dans sa jeunesse turbulente « Philippe Sans Terre ». Il s’est révolté plus d’une fois contre son père, le duc Louis Ier (fils d’Amédée VIII) et surtout contre sa mère, Anne de Lusignan coupable, à ses yeux, de trop favoriser ses compatriotes chypriotes (elle est la fille du roi de Chypre Janus). Il s’est même retrouvé prisonnier de Louis XI, dans le château de Loches de fin 1464 à 1466, chez qui Louis – à la toute fin de son règne - est allé se plaindre ! Il a espéré, toute sa vie, devenir duc de Savoie. A la mort en 1496 de son petit-neveu Charles II, il monte, enfin, sur le trône ducal (à près de 60 ans) mais décède quelques mois plus tard en novembre 1497… pas de chance même si, pour l’Histoire, il est l’ancêtre de tous les futurs ducs et rois de Piémont-Sardaigne puis d’Italie !

Par sa position géographique – coincée entre France et Empire – et par ses alliances familiales la Savoie aurait donc pu intervenir en médiateur dans le conflit franco-impérial ; malheureusement Charles III n’est pas Amédée VIII, il va tergiverser en jouant un rôle équivoque et perdre ainsi pratiquement tout son territoire : il accepte et facilite le passage de l’armée de François Ier en 1515 - avant Marignan - par le col de Larche (permet la liaison Barcelonnette – Coni et ainsi surprendre les Suisses) mais il dirige ses Etats sous l’influence de sa femme… toute acquise à l’Espagne, un de leur fils Louis va même étudier à Madrid en 1535.

L’invasion commence en janvier 1536 avec l’entrée en Savoie des… Bernois appelés par les Genevois ! On sait que Genève ne dépend pas de l’Etat savoyard car le pouvoir temporel de la cité relève de son évêque. Cependant depuis Amédée V, en 1290, l’office du vidomnat est attribué à un noble savoyard et depuis Amédée VIII, au milieu du XVe siècle, l’évêque est choisi parmi un membre de la famille ducale. En répondant maladroitement aux velléités d’indépendance des éternels frondeurs Genevois6 entraînés de plus en plus vers l’insurrection et la Réforme, le maladroit Charles III provoque l’intervention des Bernois7 qui envahissent et occupent le Pays de Vaud, le territoire de Gex et le Chablais du Rhône à la Dranse en pillant et saccageant sans

3 Il deviendra l’héritier à la mort de son frère aîné François le 10 août 1536 à Tournus, sans doute d’une pleurésie mais il y

eut des soupçons d’empoisonnement mis sur le compte de l’empereur ! 4 Mariée à Louis d’Orléans - frère de Charles VI - assassiné par son cousin le duc de Bourgogne Jean sans Peur en novembre

1407 ; elle meurt à Blois en décembre 1408, de chagrin dit-on. Sa mère est Isabelle de Valois, fille du roi Jean II le Bon. 5 Henri Ménabréa dans son Histoire de la Savoie

6 Il a tenté d’établir un blocus de la ville

7 En 1526 les cités de Genève, de Fribourg et de Berne avaient signé un traité dit de combourgeoisie, alliance particulière qui

implique un droit de cité unique à l’ensemble des villes citées dans le contrat… en clair toutes ces villes n’en faisaient qu’une !

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vergogne les châteaux et les églises. Ils respectent par contre le Genevois (territoire au sud de Genève) qui appartient à une branche de la famille savoyarde dite des Savoie-Nemours8, proche du roi de France.

Quant aux troupes françaises – dirigées par l’amiral Chabot – elles pénètrent en territoire savoyard par le nord-ouest sans rencontrer de véritable résistance. Elles investissent Bourg-en-Bresse le 24 février 1536 puis Chambéry le 29, se dirigent vers le Piémont en s’emparant de la forteresse de Montmélian (sans combat dit-on), s’assurent des vallées de la Maurienne et de la Tarentaise, établissent des garnisons à Pignerol et Coni et rentrent dans Turin en mars. Chabot laisse sa place de lieutenant général dans le Piémont au marquis de Saluces… qui s’empresse, peu de temps après, de trahir et de livrer Coni aux armées impériales. Charles-Quint, après avoir dénoncé l’invasion de la Savoie, n’essaie pas de chasser les Français du Piémont mais décide d’attaquer la France par le nord et d’envahir la Provence : une armée traverse le Var le 24 juillet tandis qu’une autre assiège Péronne le 12 août. Mais finalement cette situation de belligérance entre les 2 adversaires à bout de ressources et dans laquelle aucun n’arrive à prendre un quelconque avantage se termine par « une partie nulle »… François Ier avait encore un pied en Italie, mais il avait perdu du terrain dans le Nord ; la Provence était ravagée, la succession de Milan encore incertaine9. Une trêve sera signée fin 1537. Une conférence, tenue à Nice sous l’autorité du pape Paul III - à qui notre duc Charles III refuse l’hospitalité de son château…- se tient de mi-mai à mi-juin 153810 ; elle n’aboutit que sur une prolongation de la trêve de dix ans. C’est le statu quo même si l’empereur donne à son fils Philippe l’investiture du duché de Milan en octobre 1540.

François Ier gouvernera son nouveau territoire, semble-t-il, d’une façon « bon enfant » et, de cette première occupation française, les historiens retiennent la création du Parlement11 à Chambéry – à l’image de celui de Paris – en remplacement du Conseil résident créé par Amédée VI. Chacun sait qu’il est à l’origine, lorsque les Savoyards retrouveront la maitrise de leur Etat, du célèbre Sénat de Savoie. C’est à la fois, une cour suprême de justice et un office d’enregistrement des lois et ordonnances du roi de France dont les origines remonteraient au règne de Louis IX vers les années 1250. Propriétaires de leur charge, les membres de cette institution réputée prestigieuse, originaires de la haute bourgeoisie, formaient un corps très attaché à ses privilèges, en particulier aux exemptions fiscales et à l’anoblissement à la première ou deuxième génération ! Des magistrats français se sont mêlés à ceux d’origine savoyarde pour assurer en commun l’ordre et la justice. Ils ont entériné la fameuse ordonnance dite de Villers-Cotterêts d’août 1539 qui introduit le français – à la place du latin – dans tous les actes de procédures en particulier les registres d’état-civil tenus par les curés… mais a-t-elle été réellement appliquée ? Par contre personne n’indique si le Parlement de Chambéry siégeait en présence d’un fauteuil ducal à l’image de celui de Paris où un fauteuil royal symbolisait la présence du monarque dont toute justice émanait12 !

Charles III, plus ou moins traqué et pratiquement ruiné puisque sans ressources, s’était réfugié à Verceil ; il y restera, démuni de tout et de tous, jusqu’à sa mort en août 1553. Henri Ménabréa résume parfaitement la situation… « il n’avait auprès de lui que son barbier, et ses serviteurs volèrent les quelques objets précieux restant dans la maison ». Son héritier est son fils

8 En 1514 Charles III avait donné le Genevois et le Faucigny en apanage à son frère cadet Philippe ; celui-ci avait reçu l’année

suivante le duché de Nemours de la part de son oncle François Ier

d’où l’appellation Savoie-Nemours. 9 Robert J. Knecht dans son livre Un prince de la Renaissance, François I

er et son royaume

10 François I

er et Charles-Quint ne se seraient pas vus à cette occasion mais ils se rencontrèrent en juillet à Aigues-Mortes. Le

pape était intéressé par la paix entre les 2 plus puissants monarques européens pour les faire participer à une croisade contre

les Turcs ! 11

Knecht, dans son livre précité, écrit que François Ier

a créé également une Chambre des comptes en Savoie (page 197) ;

mes lecteurs savent (voir mon dossier sur La Savoie, d’Amédée V à Amédée VIII) que les Savoyards n’ont pas attendu ce roi de

France pour bénéficier de cette institution créée, elle aussi, par Amédée VI mais dont les conceptions ont été introduites dès

Pierre II (1203-1268) ! 12

Le roi n’assistait (et s’asseyait sur le fameux fauteuil) qu’aux célèbres séances appelées « lits de justice ».

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Emmanuel-Philibert13, il a 25 ans mais il était déjà reconnu comme le meilleur homme de guerre de l’époque et de… l’Empire puisqu’il s’était mis, dès sa jeunesse, au service de Charles Quint.

En 1556 malgré une trêve signée dans l’abbaye cistercienne de Vaucelles (près de Cambrai) entre Philippe II (Charles Quint a abdiqué en sa faveur en janvier14) et Henri II (qui a remplacé son père François Ier à sa mort en mars 1547) la France et l’Espagne sont toujours, plus ou moins, en état de guerre larvée. Henri II envoie François de Guise, avec l’assentiment du pape Paul IV, guerroyer en Italie et menacer le Milanais et Naples, possessions personnelles de Philippe II. Celui-ci quant à lui, fort de son mariage anglais avec Marie Tudor, concentre à Bruxelles une armée de 70 mille fantassins et de 15 mille chevaliers dont le lieutenant-général est… Emmanuel-Philibert.

Sa victoire éclatante le 10 août 1557 près de Saint-Quentin aux dépens du connétable de Montmorency suivie du traité de Cateau-Cambrésis en mars et avril 1559 met un terme aux affrontements franco-impériaux et à « l’aventure » des guerres italiennes de la France. La nouvelle situation géopolitique ainsi créée (la reconnaissance de la prédominance de l’Espagne) permet à Emmanuel-Philibert de recouvrer ses Etats. La réconciliation franco-savoyarde est consolidée par le mariage du duc avec Marguerite, la propre sœur d’Henri II. On sait qu’ils convolèrent le 9 juillet 1559 (à l’église Saint-Paul de Paris) durant l’agonie du roi15 et que la cérémonie « ressemblait mieux à un convoi mortuaire ou à des funérailles qu’à tout autre chose car, au lieu de hautbois et violons, ce n’étaient que pleurs, sanglots, tristesse et regrets… ». Ainsi se termine la première occupation française de la Savoie (1536-1559). Pour en finir avec cette période difficile Emmanuel-Philibert s’accorde avec les Bernois : il consent à abandonner le Pays de Vaud mais récupère la Savoie du Nord (sauf l’est du Chablais).

Mais la principale conséquence de ces évènements est certainement le transfert de la capitale du duché, de Chambéry à Turin dès 156316. Le duc a dû estimer que les rives du Pô étaient plus sûres que celles de la Leysse… en mettant la chaîne des Alpes entre sa capitale et la France ! De fait il faudra attendre 1798 pour que Turin soit occupée de nouveau par des troupes françaises.

2- Les invasions françaises de la fin du XVIe siècle Durant les 50 années de règne (1580-1630) de l’ambitieux et impétueux Charles-Emmanuel

Ier, fils et successeur d’Emmanuel-Philibert, la Savoie va connaître 12 années de guerre sur son sol et 2 occupations françaises !

Tout commence à la fin de l’année 1588 lorsque le duc de Savoie conquiert le marquisat de Saluces. Ce minuscule territoire – qui a su rester indépendant au fil des siècles - a toujours été un enjeu stratégique entre la Savoie et la France puisqu’il contrôle un des passages alpins entre le Dauphiné et le Piémont (par le col Agnel). Amédée VIII, on l’a vu (voir mon texte La Savoie, d’Amédée V à Amédée VIII), avait réussi en 1413, à force de persuasion et de diplomatie, à obtenir l’hommage et la fidélité du marquis de Saluces, Thomas III. En 1536 François Ier, en occupant la Savoie, fait main basse également sur Saluces et, à la mort en 1548 du marquis Gabriel, sans héritier, Henri II prend possession du marquisat. Ainsi en l’occupant le revanchard Charles-Emmanuel s’en prend donc à la France mais Henri III ne réagit pas, trop occupé à contenir une opposition de nobles ultra- catholiques dirigée par le duc de Guise… qu’il fera assassiner avant la fin de cette année 1588.

A la mort d’Henri III (en août 1589, assassiné par un moine fanatique) la France entre dans une période agitée (à vrai dire depuis la mort d’Henri II en juillet 1559 elle connaît un temps de turbulences dues à des crises politiques, religieuses et familiales) puisque la légitimité de son successeur, Henri de Navarre (Henri IV), prince protestant, est contestée par la Sainte Ligue, groupement de princes et de prélats dont l’objectif est la défense de la religion catholique. C’est un soulèvement de barons –

13

Ses 2 frères aînés, Amédée et Louis, sont décédés. 14

A son fils Philippe, l’Espagne et à son frère Ferdinand l’empire germanique (il se retire dans le monastère de Yuste au sud

de l’Espagne et y meurt en octobre 1558). 15

Blessé à l’œil par la lance de Montgomery lors du fameux tournoi de la rue Saint-Antoine le 30 juin 1559, Henri II meurt le

10 juillet après d’atroces souffrances. 16

C’est ainsi que la cathédrale St Jean-Baptiste de Turin récupère le Saint-Suaire.

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qui ne pensent qu’à leurs intérêts particuliers - dont la France de l’Ancien régime est habituée et qui se terminera, comme d’habitude, par un renforcement de l’autorité royale. Le duc en profite et envahit le Dauphiné et la Provence en 1590. Quels sont ses desseins ? Il ne faut pas croire qu’il a prétendu à la couronne de France même si il est le petit-fils à la fois de François Ier et de son oncle Henri II (depuis son mariage avec Catherine-Michelle d’Autriche, la fille de Philippe II et d’Elisabeth de France. Voir l’annexe à la fin du document). Il n’a jamais été reconnu comme un prétendant légitime puisque ses attaches familiales étaient le fait d’ascendances féminines. En réalité, pragmatique il veut étendre son Etat au détriment de la France affaiblie et en même temps, il assouvit un rêve savoyard récurrent : reconstituer l’antique royaume d’Arles en réunissant Savoie, Dauphiné et Provence. C’est bien dans la manière de cet opiniâtre prince ! Mais en face de lui se dresse le seigneur protestant François de Bonne de Lesdiguières17 redoutable chef de guerre qui s’est mis au service d’Henri IV. Ce dernier boute Charles-Emmanuel hors du Dauphiné dès la fin de l’année 1590 et le chasse de la Provence après la bataille de Vinon-sur-Verdon en avril 1591. C’est le début des guerres entre la Savoie et la France représentées d’un côté par un duc énergique et vaillant Charles-Emmanuel et de l’autre par un « rapace d’envergure18 », le seigneur de Lesdiguières.

S’ensuit une période où le territoire savoyard est le théâtre d’opérations militaires avec des affrontements plus ou moins importants ; la bataille de Pontcharra en septembre 1591 est une victoire importante de la France (passée malheureusement à la postérité par le nombre de victimes, près de 4 500) mais non décisive, comme celle de Chamousset en juillet 1597 et des Mollettes un mois plus tard (consulter pour détails mon texte sur Les batailles près de Lyon).

Cette guerre dans les massifs alpins n’est malheureusement pas terminée. Charles-Emmanuel entreprend la construction en 1597 d’une citadelle bastonnée, Fort Barraux, au sud de Montmélian sensée défendre l’entrée de la vallée du Grésivaudan. Décision bizarre et inconsidérée car elle se trouve en terre dauphinoise donc française ! Henri IV réagit à cet affront en demandant à Lesdiguières d’intervenir au plus tôt mais celui-ci lui suggère de temporiser « Sire, Votre Majesté a besoin d’une bonne forteresse pour tenir en bride celle de Montmélian. Puisque le duc de Savoie se charge de la dépense, laissez le faire. Dès que le fort sera construit, pourvu de canons et de toute son artillerie, je me charge de le prendre ». Le roi, séduit par ce raisonnement, fait confiance à Lesdiguières qui effectivement s’emparera de Fort Barraux19 dans la nuit du 15 au 16 mars 1598. La paix de Vervins signée en mai 1598 entre l’Espagne et la France ne met pas un terme au conflit franco-savoyard. Il faudra l’intervention d’Henri IV lui-même en 1600 qui envahit la Savoie (tout le monde sait qu’il est passé par Aix-les-Bains où il aurait pris, dans les vestiges des thermes romains, un des rares bains de sa vie…) après les redditions des principales villes ducales comme Bourg-en-Bresse, Chambéry et Montmélian pour qu’un traité de paix soit signé à Lyon en janvier 1601. La Savoie cède à la France le Bugey, la Bresse, le Valromey et le pays de Gex et récupère, en échange, le territoire du fameux marquisat de Saluces ! On ne peut pas dire que les initiatives belliqueuses du duc Charles-Emmanuel ont été couronnées de succès.

De la part de la France, doit-on évoquer une occupation ou une invasion de la Savoie ? Entre 1588 et 1600 la France n’a pas administré le duché, on ne peut donc parler d’occupation, elle est entrée en Savoie pour répondre aux attaques du duc puis pour empêcher les armées espagnoles venant d’Italie de se rendre dans les Flandres (elles empruntaient la Maurienne ou la Tarentaise puis la haute vallée du Rhône et ensuite la Franche-Comté alors territoire espagnol - autrefois bourguignon mais à la mort de Charles le Téméraire c’est sa fille, Marie de Bourgogne qui hérite de la province et elle se marie ensuite à Maximilien Ier de Habsbourg, archiduc d’Autriche et empereur germanique dont l’héritier sera son petit-fils Charles Quint). Il faut juste signaler que, lorsque les troupes françaises commandées par le « brave Crillon20 » prennent possession de Chambéry en 1600, le Sénat est

17

Ses terres sont situées dans le Champsaur. Aujourd’hui Lesdiguières est un hameau de Glaizil au sud de Corps dans les

Hautes-Alpes. Il sera nommé duc de Lesdiguières en 1611. 18

Henri Ménabréa 19

Fort Barraux sera reconstruit par Vauban à la fin du XVIIe siècle

20 Son vrai nom est Louis Des Balbes de Berthon de Crillon (1543-1615) est un homme de guerre natif du Comtat Venaissin

mais rallié à Henri IV qui le dénommait ainsi, le considérant comme un des meilleurs capitaines de l’époque.

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remplacé par un Conseil royal de justice et de finances dont la durée fut éphémère, à peine une année !

L’abandon de la Bresse et du Bugey21, fleurons du comté puis du duché, est néfaste pour le prestige de la Maison de Savoie qui se voit ainsi rejeter vers l’est « A partir du traité de Lyon, a écrit le marquis Costa de Beauregard, la Maison de Savoie n’a plus été par le fait qu’une puissance italienne »… à la grande satisfaction des Lyonnais qui ne voisinent plus avec les Savoyards ! Faut-il croire que les uns avaient si peur des autres ? Oui si on lit André Steyert dans sa Nouvelle Histoire de Lyon …Lyon cessait d’être place frontière, exposée à chaque instant aux surprises d’un ennemi, qui pouvait venir assaillir ses portes par la seule connivence du duc de Savoie... Diable !

3- L’invasion de 1629 et la courte occupation française de 1630 Henri IV a voulu, dès le traité de Lyon de janvier 1601 signé, se rapprocher de la Savoie afin

que celle-ci, redevenue indépendante et forte, puisse constituer un « rempart » à une attaque éventuelle des Espagnols venant de Milan. Cette alliance « pour couper la route aux Habsbourg » (voulue surtout, d’après les historiens, par Sully et Lesdiguières) est concrétisée par le traité secret de Bruzolo (entre Suse et Turin, Brussol in french) signé entre Henri IV et Charles-Emmanuel en avril 1610. Mais quelques jours plus tard le roi de France est assassiné et Marie de Médicis, trop occupée à résoudre des problèmes de politique intérieur, ne sera jamais en mesure de se consacrer à une politique européenne d’envergure.

Mais pour essayer de comprendre les problèmes franco-savoyards du début du XVIIe siècle il nous faut expliquer l’affaire de la Valteline et les problèmes liés à la succession d’une famille - les Gonzague - à la tête de deux « Etats-croupions » d’Italie du Nord, Montferrat (marquisat en Piémont) et Mantoue (marquisat transformé en duché en 1530 par Charles-Quint, situé en Lombardie).

La Valteline, la haute vallée de l’Adda en amont du lac de Côme, est une petite région comprise entre Lugano et Bolzano au sud et à l’est de St Moritz dont les principales villes sont Bormio et Sondrio. Aujourd’hui région touristique, c’était à cette époque, une vallée stratégique car elle assurait une communication entre l’Italie du Nord (donc le Milanais) et les vallées de l’Inn et du Rhin (donc l’Empire). En d’autre terme, elle permettait le passage de régiments espagnols à destination des Flandres et, en sens inverse, de troupes impériales à destination de la plaine du Pô sachant que l’accès par le col du Brenner, qui ne culmine qu’à 1370 m, aurait été plus aisé mais impossible car celui-ci était contrôlé par Venise, pratiquement toujours en conflit avec l’Empire germanique et avec lequel elle n’a jamais eu de lien de vassalité. Les Habsbourg essaient de récupérer la souveraineté de cette région car, depuis 1512, elle est intégrée à un mini-Etat dénommé Trois-Ligues (futur canton suisse des Grisons) mais la France, dirigée par Richelieu entré au Conseil du roi en 1524, les en empêche. Celle-ci réussit, avec l’aide de Charles-Emmanuel, à prendre le contrôle de la région en 1525 ce qui est reconnu par le traité de Monzon signé avec l’Espagne en mars 1626.

La succession de Montferrat et de Mantoue a eu lieu en 2 temps. D’abord en 1612 à la mort du duc François IV qui n’avait qu’une petite fille de 3 ans, Marie.

Comme elle était la petite-fille de Charles-Emmanuel, celui-ci se déclare son tuteur (il fait valoir également d’antiques droits savoyards sur le Montferrat… à la suite du mariage de son ancêtre Aymon - comte de Savoie de 1329 à 1343 - avec Hélène de Montferrat ! Voir mon texte sur les Illustres Amédée de Savoie) mais c’est Ferdinand, frère de François, qui est investi par l’empereur germanique. Le duc de Savoie, retrouvant sa jeunesse (il a 50 ans), envahit le Montferrat avec plus ou moins de succès mais est obligé de traiter à Pavie sous l’autorité de la France et de l’Espagne en octobre 1617.

Ensuite à la fin de l’année 1627 à la mort du duc Vincent II (dernier frère de François) sans descendance. Pour la succession de celui-ci, la France et l’Espagne vont s’affronter militairement, la première (représentée par Richelieu) soutient Charles Gonzague, duc de Nevers dont le fils Charles est marié avec Marie, la fille du duc François IV (Charles Gonzague est le fils d’un prince de

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C’est Sybille de Baugé qui, en se mariant en 1272 avec un prince savoyard (qui devient le comte Amédée V en 1285),

apporte une grande partie de la Bresse et du Bugey à la Savoie.

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Mantoue Louis et d’Henriette de Clèves, duchesse de Nevers), la seconde (représentée par l’empereur Ferdinand II… marié à Eléonore de Mantoue sœur des précédents ducs) soutient un représentant d’une branche cadette des Gonzague… mais décide, dans un premier temps, de rattacher le duché à l’Empire.

Charles-Emmanuel, estimant n’avoir rien retiré de son alliance française, se retourne alors vers l’Espagne qui lui promet de soutenir ses revendications sur le Montferrat. Il faut dire aussi que Richelieu l’estimait peu, le trouvant brouillon et peu fiable. Alors que les troupes françaises assiègent La Rochelle (septembre 1627 à octobre 1628) il en profite pour occuper de nouveau une grande partie du Montferrat tandis que les Espagnols assiègent Casal22 qui, bâtie sur la rive droite du Pô, est une place-forte d’importance à l’époque puisque contrôlant un passage entre Turin et Milan. Débarrassés des « huguenots de l’Ouest » (les Rochelais se sont rendus le 28 octobre 1628), Louis XIII et Richelieu, à la tête de l’armée française commandée par 3 maréchaux (Créqui, Bassompierre et Schomberg) partent de Grenoble le 2 février 1629, arrivent à Briançon, franchissent les Alpes enneigées par le col dauphinois du Montgenèvre et arrivent devant le fameux « Pas de Suse », défilé étroit qui commande l’entrée de Suse, petite cité stratégique piémontaise. La mission de forcer le passage, trop resserré pour déployer une armée, fut confiée à 200 volontaires commandés par Bassompierre qui, juste avant la bataille, eut – d’après la légende - le dialogue suivant avec Louis XIII. « Sire, dit-il, les invités sont arrivés, les violons sont prêts, les masques sont à la porte. Si Votre Majesté est d’accord on peut commencer le ballet ». Ce à quoi le roi répondit « Sachez que l’artillerie [disposée derrière la colonne de volontaires] n’a plus que 500 livres de plomb ». « Ce n’est pas le moment de penser à une bagatelle de ce genre, répliqua le maréchal, faut-il remettre le ballet parce que l’un des masques n’est pas prêt ? Que Votre Majesté me permettre d’attaquer et tout ira bien ». Devant la perplexité du roi, c’est Richelieu qui eut le dernier mot « Sire, dit-il, à en juger par le visage de Monsieur le Maréchal, il me semble que l’on peut compter sur un succès ». En effet les Savoyards et Piémontais, culbutés et bousculés de maîtresse façon par la « furia francese » s’enfuirent jusqu’à Suse et Charles-Emmanuel, qui les commandait, est obligé de s’incliner devant Louis XIII et de signer un éphémère traité (6 mars 1629) dans lequel il reconnait Charles Gonzague de Nevers, duc de Mantoue et Montferrat. Ensuite – le 18 mars – l’armée française va délivrer la capitale du duché de Montferrat, Casal. La France, non sans une certaine autorité, rétablit sa présence dans cette région. Louis XIII a les mains libres pour aller réprimer le soulèvement protestant du Languedoc qui se termine par l’édit de grâce d’Alès en juin 1629 et par son entrée dans Montauban en août.

Pour quelles raisons, l’année suivante, la France reprit les hostilités non seulement contre les Impériaux mais également contre la Savoie ? Il y a certainement la volonté de Richelieu « de mettre au pas » le duc afin qu’il soutienne sa politique italienne qui était, comme on le sait, de combattre la présence espagnole en Italie du Nord. Charles-Emmanuel en était parfaitement incapable à cause de son tempérament, son panache et son manque de docilité d’une part mais aussi par sa perspicacité d’autre part car il se rendait bien compte que Richelieu avait pour ambition d’absorber une partie de son territoire pour repousser la frontière de France à la crête des Alpes ! Mais il y a aussi l’attitude de l’empereur Ferdinand II qui, mécontent du traité de Suse à la signature duquel il n’a pas été convié, se prépare à franchir les Alpes (fin de l’année 1629).

En février et mars 1630, une armée française – 30 mille fantassins et 5 mille cavaliers - commandée par le maréchal de la Force traverse les Alpes par le col du Mont-Cenis, se repose quelque temps à Suse (où elle retrouve la garnison laissée en place l’année précédente et commandée par le maréchal de Créqui) et s’empare le 31 mars de Pignerol, importante place-forte savoyarde (et aussi ancienne capitale du Piémont des premiers comtes de Savoie) au sud-ouest de Turin qui avait déjà connu une occupation française de 1536 à 1574 !

Parti de Lyon Louis XIII arrive à Grenoble le 10 mai, rencontre Richelieu de retour du Piémont et, après avoir réuni une partie de son Conseil, décide d’envahir la Savoie… afin de punir le duc

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Aujourd’hui Casale Montferrato

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de Savoie responsable des difficultés de la France23 (par son double-jeu et son caractère belliqueux). L’affaire est vite menée puisque Louis XIII fait son entrée dans Chambéry le 17 mai, dans Rumilly et Annecy quelques jours plus tard. Malgré une belle résistance du prince Thomas de Carignan, fils cadet du duc, les Français occupent tout le duché à la mi-juin.

En Piémont à Avigliana, les troupes emmenées par le duc de Montmorency battent – le 20 juillet - une armée commandée par Victor-Amédée, le fils aîné de Charles-Emmanuel puis s’en vont occuper les vallées alpestres de Saluces. Pendant ce temps les troupes impériales avaient réussi, après un long siège, à s’emparer de la ville de Mantoue et à faire prisonnier le duc Charles de Nevers (que personne n’avait pu secourir). Pour punir la cité de sa résistance elle fut saccagée et subit une mise à sac particulièrement féroce… au grand déplaisir de l’impératrice, princesse de Mantoue, qui réprimanda les généraux responsables de ces atrocités (16 juillet).

Alors qu’il essaie de reprendre la région de Saluces, à la tête d’une misérable armée, le duc Charles-Emmanuel meurt d’apoplexie à Savigliano le 26 juillet 1630. Sa politique de grandeur n’a pas, c’est le moins que l’on puisse dire, réussi et la plupart de ses entreprises avaient échoué. Eternel trublion et principal responsable de cette guerre, sa disparition ne pouvait qu’améliorer la situation d’autant plus que son successeur, son fils Victor-Amédée, plus favorable à la France que son père (parce qu’il était marié à Christine de France, sœur du roi Louis XIII ?) souhaitait la paix, se rendant compte de la grande misère de son peuple dont le territoire était ravagé non seulement par la guerre mais également par la peste. Les négociations, entre l’Empire, l’Espagne, la France et la Savoie commencèrent sous la haute autorité d’un simple chanoine mais conseiller du pape Urbain VIII, un dénommé Giulio Mazarini, dit Mazarin dont l’entregent et les talents de diplomate ont été prépondérants pour, dans un premier temps, faire accepter des trêves aux belligérants (d’après la légende, l’épisode de Casal en octobre est caractéristique : la ville était assiégée par les troupes espagnoles commandées par le marquis de Santa-Cruz - qui avait remplacé le terrible Génois Spinola mort en septembre - elles étaient autant épuisées que celles des défenseurs français, une garnison commandée par le comte Jean de Saint-Bonnet de Toiras, qui avait acquis une grande gloire à la défense de l’île de Ré en 1627. Le jeune Mazarin - 28 ans - réussit à éviter un affrontement entre les 2 armées qui, au matin du 26 octobre 1630 s’apprêtaient de nouveau à se battre, en lançant son cheval au galop entre celles-ci en criant « Pace, Pace ») puis, dans un deuxième temps, rédiger les conditions d’un traité de paix.

Le traité dit de Cherasco (au sud de Turin), signé au printemps de 1631 entre la Savoie, l’Empire et la France, met fin à la guerre de succession de Mantoue. Le duché est attribué à Charles Gonzague de Nevers en fief de l’Empire, la France conserve la place-forte de Pignerol et le val de Pérouse (la basse vallée de la Chisone, débouché naturel du col du Montgenèvre) à charge de se retirer de la Valteline et des territoires savoyards qu’elle occupait. La Savoie quant à elle recouvre son duché avec, selon certains historiens, une compensation pécuniaire. Le souhait de Richelieu est exaucé « Nous voulons, avait-il déclaré, restituer au duc de Savoie tout ce qui lui appartient, en nous réservant un poste qui tienne le passage dans cette province toujours ouverte ». La réussite de ce traité est due essentiellement au talent de Mazarin qui, à la suite de cette négociation, entre au service de Richelieu et de la France.

C’est la fin d’une triste période pour la Savoie et le Piémont non seulement ravagés par la peste et le typhus mais également envahis et saccagés trop souvent par la soldatesque germanique, française et espagnole… successivement ou ensemble !

4- La première occupation française sous Louis XIV (1690-1696)

En juin 1675, Victor-Amédée II a 9 ans lorsqu’il succède à son père Charles-Emmanuel II en tant que prince du Piémont et duc de Savoie. Il va gouverner son Etat sous le contrôle de sa mère, Jeanne-Baptiste de Savoie-Nemours, princesse apparentée à la famille royale française. En réalité c’est elle qui va s’emparer du pouvoir avec avidité, trop heureuse de se venger de l’attitude

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Le garde des Sceaux Michel de Marillac n’était pas favorable à cette intervention comme la reine-mère Marie de Médicis.

Il est vrai que les acteurs de ce conflit sont 3 de ses enfants : Louis XIII, Elisabeth l’épouse de Philippe IV d’Espagne et Christine

épouse de Victor-Amédée.

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de son mari qui l’avait laissée à l’écart de toutes ses décisions politiques. Elle va se comporter avec son fils comme Charles-Emmanuel l’a été avec elle : elle l’ignore et le délaisse tant au niveau des affaires politiques qu’au niveau des relations mère-enfant ! C’est peut-être la raison du caractère particulier de Victor-Amédée, dissimulé et secret qui …grandissait silencieusement dans un double sentiment qui devait inspirer toute sa politique, la haine de sa mère et la haine de la France. En effet Louis XIV, prenant prétexte de vouloir protéger et conseiller l’orphelin Victor-Amédée, tenait la Savoie en vassalité et la considérait comme une dépendance de son propre royaume. Ses diplomates réussissent à convaincre le faible duc de Mantoue et Montferrat, Charles-Ferdinand III de Gonzague, de vendre à la France la cité-forteresse de Casal. Ainsi avec Pignerol, le Piémont était « ouvert » aux armées françaises pour se protéger, éventuellement, des attaques espagnoles en provenance du Milanais administré par un gouverneur, représentant le roi d’Espagne. Pour ce jeune prince savoyard orgueilleux, c’est encore un sujet de rancœur envers la France.

En mai 1684 à Chambéry, il se marie et s’affranchit de la tutelle de sa mère. Il épouse la nièce du roi de France, Anne-Marie d’Orléans fille de Philippe de France le propre frère de Louis XIV et d’Henriette d’Angleterre. C’est encore un bon moyen pour Louis XIV de « peser » sur la politique savoyarde et l’épisode de la lutte contre les protestants et vaudois est caractéristique. A la suite de la révocation de l’édit de Nantes en 1685 de nombreux protestants quittent la France en passant par la Savoie. Louis XIV exige que le duc les arrête ce qu’il fait (en particulier dans ce beau village d’Aiguebelette mais aussi en Maurienne, à Chapareillan, etc.) et en janvier 1686 il interdit le protestantisme dans ses Etats. Quant aux vaudois – appelés autrefois les pauvres de Lyon - dont les croyances et doctrines (recherche de la pauvreté, connaissance de la Bible, absence de hiérarchie) ont été formulées par le Lyonnais Pierre Valdo à la fin du XIIe siècle (voir mon livre, Les grandes heures du beau XIIe siècle) ils se sont regroupés au fil des années dans les hautes vallées alpines qu’elles soient savoyardes, dauphinoises ou piémontaises. Louis XIV demande qu’on les en déloge ! A Pâques 1686 une armée franco-savoyarde partie de Pignerol et Briqueras (Bricherasio) dirigée par le maréchal de camp Nicolas de Catinat se livre, dans les vallées du Piémont (val de Pérouse, val de Luserne,..) à une chasse à l’homme effrénée accompagnée d’horribles violences de telle sorte qu’à la fin de l’été, les vallées étaient désertes et que les prisons du Bas-Piémont détenaient près de 12 000 prisonniers vaudois !

Victor-Amédée ne pouvait que se rebeller de cette mainmise française dans la politique de son duché24 et voulait agir comme bon lui semble « … depuis le jour que j’ai eu l’âge de raison… il ne s’est quasi passé une semaine que l’on ait exigé de moi, par rapport à ma conduite ou à ma famille dix choses où, lorsque je n’en ai accordé que neuf, on m’a menacé… » écrit-il à son ambassadeur à Paris. Pour se libérer de son allégeance à la France il adhère – dans un premier temps secrètement - à la ligue d’Augsbourg, groupement d’Etats unis pour contrer l’hégémonie et la volonté d’extension territoriale françaises. Elle comprenait l’Angleterre, l’Empire germanique (la plupart de ses composants comme la Prusse, la Saxe, le Hanovre etc.), l’Espagne et les Provinces-Unies, en un mot c’est presque toute l’Europe de l’époque !

C’est le 14 juin 1690 que Victor-Amédée annonce à la France la rupture de leur alliance et son engagement avec l’empereur germanique Léopold Ier. Cette déclaration de guerre entraine l’invasion de la Savoie en août par les troupes françaises de Nicolas de Catinat25 qui refoulent les armées ducales commandées par le marquis Joseph de Sales et le comte de Bernex en Maurienne et en Tarentaise jusqu’au val d’Aoste. Le siège de l’antique ville-forteresse de Montmélian – au sud-est de Chambéry, sur l’Isère, elle « garde » les vallées alpines - commence et durera jusqu’au 21 décembre 1691 après une capitulation plus qu’honorable puisque, selon l’historien Pierre Dimier …les Français acclamèrent et fêtèrent durant 2 jours les 198 soldats savoyards rescapés du siège ! La belle résistance de cette renommée citadelle n’empêchera pas les mouvements français dans les vallées mais elle les « contrariait » ; elle figure dans les pages

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C’est par l’intermédiaire de son ambassadeur à Turin que Louis XIV donnait ses instructions au duc. 25

Certaines réparties de ce militaire surnommé « Le Père la Pensée » sont célèbres comme celle-ci : lors d’une bataille mal

engagée un officier lui dit « Où voulez-vous que nous allions ? La mort est devant nous » Catinat lui réplique aussitôt : « et la

honte derrière nous ! ».

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glorieuses de l’histoire de la Savoie. Pendant ce temps un gouvernement français s’était établi à Chambéry en remplacement, comme il se doit, du Sénat et de la Chambre des comptes et il semble que les Savoyards s’en accommodèrent sans animosité.

Durant l’été 1690 Catinat s’engage dans le Piémont, rencontre – au sud de Pignerol, près de l’abbaye cistercienne de Staffarda - l’armée de l’impétueux et présomptueux Victor-Amédée qui lui livre bataille – sans attendre les renforts espagnols tout proches et contre l’avis de son cousin le fameux prince Eugène26 - supposant que les 18 mille français ne sont pas suffisants pour le battre. Le duc de Savoie commet des erreurs stratégiques qui lui font perdre cette sanglante bataille le 18 août. Dans la foulée Catinat occupe les cités de Saluces et de Savigliano.

En février 1691 le conflit reprend et Catinat occupe le territoire du comté de Nice27 dès le 20 mars ; les 2 cités principales Villefranche-sur-Mer et Nice se sont rendus rapidement à l’exception de la citadelle qui ne capitulera que le 1er avril. De là, l’armée française se dirige en Piémont et assiège la ville de Coni (Cuneo). Elle y subit une importante défaite due essentiellement à l’incompétence des chefs militaires : ils prennent peur et décampent à l’annonce de l’arrivée d’une troupe de cavaliers commandés par le prince Eugène ! C’était le 21 juin 1691.

En juillet 1692 Victor-Amédée se dirige vers le Dauphiné, pressé par les coalisés de la Ligue d’Augsbourg – qui attaquent la France par le nord - d’ouvrir un 2e front sur les arrières de leur ennemi. Partis du Piémont, ses 40 mille hommes (Piémontais, Germaniques, Espagnols mais aussi de nombreux protestants français ayant fui leur pays après la révocation de l’édit de Nantes) franchissent les cols de Larche et de Vars pour occuper Guillestre le 29 juillet, Embrun le 16 août puis Gap le 28. La bonne résistance de Nicolas de Catinat et la maladie de Victor-Amédée (la petite vérole) font que l’armée piémontaise quitte le Dauphiné par le même chemin que celui par laquelle elle est arrivée (19 septembre) non sans procéder à des pillages et à des incendies (à Gap en particulier). L’année suivante le 4 octobre 1693 Victor- Amédée, assiégeant Pignerol, est défait à Marsaglia par Catinat (la bataille est connue dans l’Histoire en tant que Bataille de la Marsaille) et ce, encore une fois, malgré les conseils du prince Eugène qui lui recommandait la prudence en se repliant sur Turin.

A partir de cette période Victor-Amédée et Louis XIV essaient de trouver un accord pour mettre fin à la guerre. Les tractations vont durer près de 3 ans à cause de l’intransigeance du duc qui, malgré ses défaites militaires, demande non seulement l’évacuation de ses Etats mais aussi la restitution de Pignerol et qu’une indemnité de guerre lui soit versée ! D’après le comte d’Haussonville (1843-1924) dans son ouvrage La duchesse de Bourgogne et l’alliance savoyarde sous Louis XIV, les prétentions de Victor-Amédée auraient été basées sur le fait qu’il se croyait un élément primordial de la coalition contre la France, en étant le nœud qui relie l’Autriche à l’Espagne ! Toujours est-il qu’un ensemble d’accords est trouvé et consigné dans un traité passé à la postérité sous le nom de traité de Turin ; il a été signé le 29 août 1696 et est favorable à la Savoie qui quitte la Ligue d’Augsbourg et s’allie de nouveau avec la France ; celle-ci accepte, en contrepartie, d’évacuer le duché et de restituer au Piémont la cité de Pignerol (mais après destruction de la forteresse) et Casal au duc de Montferrat et Mantoue. Dans « l’Ancien régime » un bon traité comprenait presque toujours un mariage, garanti du bon accomplissement de celui-ci (et entre la France et la Savoie c’était presque devenu une habitude) ! Aussi la fille aînée du duc, Marie-Adélaïde (un peu moins de 11 ans, elle est née en décembre 1685) est promise au duc de Bourgogne, l’aîné des petits-fils de Louis XIV (14 ans, il est né en août 1682). Selon l’usage elle est obligée de quitter Turin… et sa famille qu’elle ne reverra plus. C’est ce qu’elle fit le 7 octobre 1696 pour rejoindre la France et la Cour de Versailles où elle va vivre désormais. Auparavant elle aura été magnifiquement fêtée à Chambéry les 13 et 14. C’est à Pont-de-Beauvoisin le 16 octobre, au milieu du pont « en dos d’âne » sur le Guiers qui fait frontière entre duché et royaume, qu’elle quitte son carrosse savoyard pour entrer dans celui du roi qui lui est destiné dont les roues de

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C’est un prince de Savoie-Carignan descendant d’un fils cadet du duc Charles-Emmanuel Ier

(Carignan est une cité au sud

de Turin). Voir la généalogie à la fin du document. Louis XIV lui refuse de servir dans l’armée française. En 1683, à 20 ans il offre

ses services aux Habsbourg d’Autriche à qui il restera fidèle jusqu’à sa mort. Il est considéré comme l’un des meilleurs militaires

de l’Histoire. 27

Comté depuis 1526

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derrière sont en Savoie et les roues de devant sont en France ! Ultime faveur accordée par Louis XIV : dès son arrivée à la Cour, venue l’accueillir à Fontainebleau le 4 novembre, elle est traitée comme duchesse de Bourgogne et, en tant que tel, elle a la préséance sur toutes les autres princesses… même si son mariage n’aura lieu qu’en décembre de l’année suivante. Si on se fie aux impressions de plusieurs courtisans (dont Saint Simon) et de Madame de Maintenon, elle fit la conquête du roi qui, il est vrai, était arrivé à un âge un peu mélancolique où la maturité se change en vieillesse. On sait que son dernier et 3e fils, Louis né en 1710 titré duc d’Anjou deviendra le 2 septembre 1715, Louis XV28. Quant à la guerre dite de la Ligue d’Augsbourg elle prend fin à l’automne 1697 après la signature par les belligérants de la paix de Ryswick (près de La Haye).

5- La deuxième occupation française sous Louis XIV (1703-1713) La mort du roi d’Espagne Charles II le 1er novembre 1700 va déclencher une guerre

européenne calamiteuse dont l’issue modifiera considérablement l’équilibre politique en Europe. Sans héritier il avait désigné par testament son petit-neveu Philippe, le cadet des petits-fils de Louis XIV comme son successeur (Charles II était le demi-frère de Marie-Thérèse, l’épouse de Louis XIV, leur père est Philippe IV dont la femme est une fille d’Henri IV…). Bien évidemment ce testament n’est pas accepté par les Habsbourg d’Autriche qui règnent sur l’Empire germanique ; ils proposent Charles le fils cadet de l’empereur Léopold. Comme Louis XIV intronise son petit-fils roi d’Espagne sous le nom de Philippe V (en gardant ses droits à la couronne de France), l’Angleterre, l’Autriche, les Provinces-Unies et une grande partie des Etats constituant l’Empire déclarent la guerre à la France et à l’Espagne. Cette coalition anti-française est connue sous le nom de Grande Alliance de La Haye. Nous sommes à l’automne 1702.

La Savoie, respectant le traité d’alliance signé à Turin en 1696, est dans le camp franco-espagnol… d’autant plus que Philippe V s’était marié en 1701 à Marie-Louise la seconde fille de Victor-Amédée II. Pour quelles raisons le duc se déclara pour les alliés contre la France et l’Espagne à l’automne 1703 ? C’est un peu mystérieux mais on peut croire que, connaissant l’orgueil du duc et la morgue des maréchaux français, ceux-ci ont dû traiter l’autre comme un vulgaire subalterne ou comme un général à la solde du Roi-Soleil ! Et puis l’empereur lui aurait promis le duché de Montferrat-Mantoue, quelques territoires de la vallée du Pô appartenant au duché de Milan et… plus d’argent que la France ne lui en donnait. Toujours est-il que Victor-Amédée s’allie à la Grande Alliance par traité à Turin le 25 octobre 1703 et Louis XIV lui déclare la guerre officiellement le 4 décembre. Auparavant le duc de Vendôme (Lieutenant-général en Italie, c’est un arrière petit-fils d’Henri IV et de Gabrielle d’Estrées) avait désarmé le contingent piémontais de son armée (5 mille hommes) en août 1703, le jugeant peu sûr. De nouveau la Savoie est envahie par les troupes françaises (sauf Montmélian seulement prise le 11 décembre 1705) menées par le maréchal-comte de Tessé en novembre 1703. Elles y resteront 10 ans !

Je ne vais détailler cette longue et désastreuse guerre dite de Succession d’Espagne mais évoquer seulement 2 caractéristiques de l’occupation française.

La première c’est qu’elle n’a pas été, contrairement aux précédentes, de tout repos ! Je veux dire que le territoire de la Savoie, principalement les vallées Tarentaise et Maurienne ont été lieux de batailles et de passages de troupes. Par exemple en 1707 elles sont occupées par les Français, obligés de se retirer en juillet 1708 devant l’avance de troupes allemandes, rejointes ensuite par des Piémontais qui se dirigent via le col du Mont Cenis vers les vallées de Suse et de la Chisone pour s’emparer des forteresses d’Exiles et de Fenestrelle ; ainsi libérées elles sont reprises facilement par l’armée française (septembre 1708) ! Ces différentes troupes vivent sur l’habitant et la population est bien obligée de fournir des vivres aux uns et aux autres et… des hommes à l’armée du duc !

La seconde c’est, conséquence en partie de la première, la grande misère et l’extrême pauvreté du peuple qui souffre de ne pouvoir se nourrir. C’est un marasme généralisé lié à la

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Comme son mari et son 2e fils (le premier est mort en 1705) elle meurt en 1712 victime d’une épidémie de variole

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rareté et à la cherté du blé et du froment, accentué, non seulement par le saccage des troupes mais également par un climat désastreux (comme l’été 1708 pourri suivi par un long et étalé hiver qui commence en octobre et finit fin mars ; en janvier il fait constamment -10° et le 20, -20°). « Les peuples sont si réduits, écrit l’évêque d’Annecy Rossillon de Bernex, qu’une partie est obligée de se nourrir du pain de glands qui devient l’aliment commun des paysans et gens des montagnes ». On raconte aussi que les campagnards ne vivent « que de l’herbe » et ressemblent « à des squelettes ». Pour conclure, aux malheurs liés à la guerre sont venus s’ajouter ceux liés à la météorologie.

Louis XIV a adressé, plusieurs fois au cours des premières années de guerre, des propositions aux puissances alliées pour faire la paix. Avait-il conscience, l’âge aidant, de la grande détresse de son peuple ? Des négociations eurent lieu en 1705, 1706 et 1707 mais c’est à partir de 1709 qu’elles furent sérieuses et acceptées par les autres Etats. C’est en Hollande que les préliminaires débutèrent car on regardait alors ce pays comme un arbitre de l’Europe. Quelques évènements favorables à la France précipitèrent la conclusion d’un accord : la victoire du maréchal de Villars à Denain en juillet 1712 sur une armée austro-batave commandée par le prince Eugène, le changement de gouvernement en Angleterre (les Torys sont remplacés par les Whigs plus orientés vers la paix) et enfin la disparition de l’empereur Joseph Ier (il avait succédé à son père Léopold en mai 1705) en 1711, remplacé par son frère Charles... qui ne peut plus prétendre de ce fait à la couronne d’Espagne.

Un congrès réunissant toute la diplomatie européenne s’ouvre à Utrecht en janvier 1712. L’Angleterre de la reine Anne Stuart se retire de la coalition durant l’été en signant avec la France une suspension d’armes en prenant note de la renonciation de Philippe V à la couronne de France. Mais il faut attendre l’année suivante pour entrevoir réellement une paix générale. Ce qui nous intéresse c’est le traité entre France et Savoie. Il est signé le 11 avril 1713. Louis XIV, en politique prudent et réaliste, évacue et restitue à Victor-Amédée son duché et le comté de Nice, il cède quelques territoires généralement tout ce qui est à l’eau pendante des Alpes côté Piémont29 mais récupère la vallée de Barcelonnette et ses dépendances. En plus la France entérine les cessions de territoires que l’empereur Léopold avaient promises au duc lors du traité de Turin de 1703 (voir plus haut, dans le Milanais et le Montferrat – exit la famille Gonzague-Nevers). La clause la plus importante est la reconnaissance du duc de Savoie en qualité de légitime roi de Sicile (cette île lui est cédée par l’Espagne qui perd également Naples et le Milanais récupérés par l’Autriche). On sait que la Sicile sera cédée à l’Autriche en échange de la Sardaigne (Traité de Londres en août 1720).

Ainsi la maison de Savoie devient une maison royale. Après l’élévation en duché au début du XVe siècle la Savoie devient royaume au début du XVIIIe. Permettez-moi de comparer ces 2 évènements. En 1416 c’est la reconnaissance de la puissance d’une maison de Savoie à la tête d’un Etat doté d’une administration excellente et d’un équilibre social enviable. L’autorité et l’intégrité morale du prince, Amédée VIII, sont reconnues par tous. D’ailleurs il est le dernier, depuis le XIIIe, d’une lignée « d’illustres Amédée » à la fois prestigieux militaires et habiles diplomates. L’élévation du comté en duché est acceptée par tous les monarques et princes de l’époque comme une évidence. Ce n’est pas le cas en 1713. Pour quelles raisons cette faveur ? Je n’en vois aucune. Pour ses virages diplomatiques30 ? Pour ses victoires militaires ? Il est vrai qu’il a bien résisté devant sa capitale, Turin en 1706 mais que de revers, avant et après ! Il semble que c’est l’Angleterre – Victor-Amédée avait l’amitié de Londres - qui a proposé en premier cette élévation pour, sans doute, « gêner » la France en lui adossant devant le territoire italien morcelé en de nombreuses principautés un Etat royal, en croyant qu’un royaume ne s’envahit et ne s’occupe pas comme un duché ! La prise de décision est aussi totalement différente. En 1416, les règles de la féodalité – encore en vigueur - font que c’est l’empereur germanique Sigismond, le suzerain, qui confère à Amédée VIII, le vassal, et à ses successeurs, le titre de duc de Savoie à perpétuité. En 1713 c’est une assemblée représentant la quasi-totalité des puissances européennes qui confère à Victor-Amédée le titre royal… autre époque, autres mœurs ! De toute

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Aujourd’hui on parlerait de la ligne de partage des eaux ! 30

Pierre Milza dans Histoire de l’Italie

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manière, avec une Italie occupée au nord par l’Autriche et flanquée d’un royaume à l’ouest c’est tout l’équilibre de la Péninsule qui est bouleversé.

6- L’occupation française de septembre 1792 à juin 1815

« La Savoie dort au milieu de ses voisins… mais le moment de son réveil est arrivé » est une phrase écrite par le marquis Joseph-Alexis Costa de Beauregard dans les années 1780. Elle confirme l’idée que l’on se fait de la Savoie à cette époque, région rustique peuplée de bons Savoyards où il fait bon vivre comme le remarque si bien un voyageur anglais, Arthur Young en 1789 « S’il est une petite ville au monde où l’on goûte la douceur de la vie dans un commerce agréable et sûr, c’est bien Chambéry ». Depuis 1773 le roi du Piémont-Sardaigne et duc de Savoie est Victor-Amédée III (il a 66 ans en 1792). Malgré quelques bonnes intentions comme la suppression des droits seigneuriaux (en permettant aux « asservis » de les racheter) et l’abolition du servage (existait-il encore beaucoup de serfs à cette époque, c'est-à-dire des paysans dépendant directement d’un noble et sujets à des charges considérées comme des marques de servitude ?) il n’a pas réussi à se faire aimer de ses sujets, en particuliers des Savoyards qui se plaignent de la dîme. C’est l’antique impôt perçu par l’Eglise payé par les paysans proportionnellement à leur récolte (de 1/5e à 1/10e ? difficile à déterminer…) et qui peut être acquitté soit en espèce soit en nature (aujourd’hui elle est remplacée par le Denier du culte mais laissée à la générosité de chaque individu…). Comme tous les impôts d’Ancien Régime elle est affermée et c’est en général un prospère propriétaire (ou « notable de village ») qui la collecte et qui la rétrocède en partie à l’église paroissiale et en partie à l’évêché (dans certains villages pour stocker les dîmes en nature il y avait une grange appelée Maison de la dîme). C’est cette perception qualifiée d’injuste par les paysans qui pose problème car, bien évidemment le « fermier » conserve une partie de ce qu’il a prélevée. La grande réforme savoyarde du XVIIIe siècle est le « rachat des fiefs » – en réalité des droits seigneuriaux qui se rattachent à des terres considérées comme fiefs - opération d’envergure initiée par Victor-Amédée II en 1720 qui nécessitait préalablement la mensuration de toutes les terres de Savoie avec le nom de leur propriétaire, la définition des charges seigneuriales (ou droits féodaux, ensemble de redevances que le seigneur perçoit comme le cens, le champart, les corvées, etc. Voir la dernière page de ce document où j’énumère une liste de ces charges) pesant encore sur la population paysanne puis l’élaboration d’un cadastre (même si tous les fiefs n’étaient pas obligatoirement des terres comme les moulins, fours, etc.). On estime qu’en 1792, 65% des fiefs du duché avaient été affranchis mais peut-être pas tous acquittés d’après Jean Nicolas dans son livre, La Savoie au XVIIIe siècle, noblesse et bourgeoisie. De toute manière le paiement des affranchissements pose problème non seulement aux particuliers mais également aux communautés (pour libérer l’ensemble de la population d’une paroisse aux charges seigneuriales) car elles sont alors obligées de s’endetter… en imposant à leurs concitoyens une surimposition d’après Nathalie Thivichon-Prince dans son article Le canton de Novalaise pendant la Révolution. Une autre solution est de vendre les terres communales (qui représentent 36% des sols selon une étude de P. Guichonnet) – d’ailleurs préconisée par le pouvoir (lettres-patentes royales de juin 1781) – mais elle est très impopulaire (dans la Savoie-propre seulement 5 communes sur 200 acceptent de vendre leurs biens dont Aiguebelette selon Max Bruchet dans son étude sur l’abolition des droits seigneuriaux) car elle prive la population d’ancestraux usages (droit de faire paître dans une prairie communale, par exemple). En outre elle renforce le pouvoir des ruraux fortunés (les « bourgeois des champs ») aux dépens du monde paysan. Bref cette politique de modernisation, en voulant supprimer de vieux vestiges de la féodalité, a posé problème et est un sujet de mécontentement de la population paysanne en cette fin du XVIIIe siècle. L’ampleur de la Révolution française ne laisse pas indifférente une partie de la population savoyarde. Les paysans espèrent la suppression de la dîme (…comme en France en avril 1790). Les nobles, déjà hostiles – pour la plupart - aux réformes de leur propre roi et informés par les nombreux émigrés français, s’inquiètent d’une possible contagion des idées et principes du

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« nouveau régime » de leur voisin… espérée, par contre, par l’élite bourgeoise pour répondre à leurs revendications de liberté et de participation au gouvernement de leur province. Le mois de septembre 1792 est crucial pour la Révolution mais ce sont la déclaration de guerre au « roi de Bohême et de Hongrie » au printemps et l’abolition de la royauté à l’automne avec l’avènement de la République qui sont d’importance pour les relations franco-savoyardes. Victor-Amédée dont la femme est une fille de Philippe V d’Espagne31 et qui est le beau-père des deux frères et d’une sœur de Louis XVI (le comte de Provence, le futur Louis XVIII, le comte d’Artois, le futur Charles X et Marie-Clotilde épouse de Charles-Emmanuel, fils aîné du roi) essaie de rester en bonnes relations à la fois avec Versailles et avec Vienne ! En vain. On croit, côté français, à la duplicité savoyarde d’autant que des incidents de frontière se multiplient dans le Bugey et dans le Petit-Bugey à La Balme, Yenne et Chanaz (c’est l’Avant-Pays savoyard actuel. Bien content de citer cette magnifique région soi-disant « oubliée » de l’Histoire si on croit ce texte de Jean Loup : … mosaïque de cantons ruraux, inorganisés, vivant en autarcie, fortement imprégnés de l’esprit de clocher, géographiquement en marge de la Savoie, sans centre directeur, elle a vécu anonymement et sans y prendre une grande part l’histoire de la Savoie…) Mais c’est à Chapareillan en Grésivaudan (entre Pontcharra et Montmélian) que, le 22 septembre 1792, les troupes françaises commandées par le marquis Pierre de Montesquiou-Fézensac envahissent la Savoie sans rencontrer de résistance, l’armée savoyarde s’étant retirée sur les crêtes des Alpes (près de 18 mille hommes commandés par le vieux général de Lazary « convaincu de la vanité de toute résistance »)… au grand désespoir de quelques nobles savoyards courageux et encore très attachés à leur roi comme le marquis Costa de Beauregard qui écrit « …notre affection pour le roi nous a obligés à suivre des généraux qui ont lâchement abandonné leur poste : nous avons fui devant un ennemi qui ne daignait pas nous battre… l’humiliation et la douleur sont au comble parmi nous… ». Le 24 elles sont à Chambéry et Montesquiou placarde la proclamation « Liberté, égalité, guerre aux tyrans, paix et tranquillité aux Peuples, vivre libre ou mourir » qui ne manque pas d’humour – a posteriori - lorsqu’on sait que son auteur sera obligé de se réfugier en Suisse avant la fin du mois, accusé par la Convention et d’avoir comploté avec les Girondins (il était partisan d’une monarchie constitutionnelle) et de négocier sans mandat avec les Genevois ! Les Savoyards ont accepté avec plaisir, semble t-il, cette occupation française et accueillent avec chaleur les soldats de la liberté, en particulier dans le Petit-Bugey où on danse et banquette à Dullin, Novalaise et Gerbaix pendant plusieurs jours ! Cependant la fête a un revers car c’est à cette époque que des saccages sont commis sur des biens de l’Eglise ; prenons l’exemple du prieuré de Yenne datant du XIIe siècle dont les bâtiments conventuels sont irrémédiablement endommagés. Bien que la Convention ait renoncé solennellement à toute conquête, les représentants élus des communes de Savoie réunis en octobre sous le nom « d’Assemblée nationale des Allobroges » émettent « le vœu de faire partie intégrante de la nation française ». Le décret de la création du 84e département appelé Mont-Blanc est signé le 27 novembre 1792 (il correspond, à peu près, à la réunion des départements de Savoie et de Haute-Savoie d’aujourd’hui) dans lequel Chambéry est le chef-lieu et Annecy le dépositaire de l’évêché constitutionnel. Les premiers signes de mésentente entre France et Savoie sont dus à la levée en masse de 300 000 hommes décrétée par la Convention fin février 1793 : le tirage au sort ou la désignation d’office provoque des rebellions en « Haute-Savoie » essentiellement. En réalité dans le monde rural, à ce problème « militaire » (refus de l’enrôlement) s’en ajoutent 2 autres. L’un est économique : la monnaie républicaine « l’assignat » (papier-monnaie apparu en septembre 1790 gagé – ou assigné - sur les biens du clergé déclarés nationaux) est acceptée difficilement car synonyme d’inflation32 (l’envoyé de la Convention, Hérault de Séchelles s’en plaint dans sa lettre du 21 avril 1793 adressée à la Convention « …il ne faut pas dissimuler que les assignats sont totalement repoussés dans le département du Mont Blanc… » ; les paysans la refusent en déclarant « Nous

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De sa seconde épouse, Elisabeth Farnèse. Rappelons que Philippe V est un petit-fils de Louis XIV. 32

De janvier à août 1793 elle perd la moitié de sa valeur (d’après un tableau figurant dans La Savoie de 1792 à 1815)

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l’accepterions si nos chevaux voulaient en manger » ! En conclusion il est obligé d’en imposer la circulation). L’autre est religieuse car la Savoie, région très catholique, voulait conserver son identité religieuse et ainsi la majorité des prêtres refusent de prêter serment à la constitution civile du clergé (les 2/3 en Tarentaise et Maurienne d’après Louis Trenard dans La Révolution française dans la région Rhône-Alpes). L’antagonisme entre monde urbain et monde rural s’accompagne d’une opposition villes jacobines et villages réactionnaires ! Les paysans se sont vite aperçus que les bourgeois et notables des villes ou villages remplaçaient les nobles d’hier et que leurs difficiles conditions de vie ne changeaient pas. « Tous ceux qui étaient bons citoyens dans les villes s’emparèrent de quelque bien d’émigré et rongèrent le paysan jusqu’à la moelle. Ces gens là devinrent riches, mais avec le bien d’autrui » tel est le sentiment d’un paysan savoyard, rapporté par Paul Guichonnet dans son Histoire de la Savoie. D’autant plus que la paysannerie un peu riche, qui avait versé avant 1792, des acomptes ou la totalité des capitaux pour s’affranchir de leurs antiques droits seigneuriaux, avait le sentiment d’avoir été lésée à la suite de l’abolition des privilèges de la noblesse – gratuite celle-ci - décrétée avec l’occupation française. Est-ce ce mécontentement « contre-révolutionnaire » qui pousse les Austro-sardes à passer à l’offensive durant l’été 179333 ? Toujours est-il que les vallées de la Tarentaise et de la Maurienne sont « libérées », que les Jacobins sont chassés d’Annecy le 21 août et que Chambéry et Rumilly connaissent quelques échauffourées. Le drapeau bleu à croix blanche de la maison de Savoie remplace les signes républicains sur la plupart des frontons des mairies et des locaux des clubs des Jacobins. Dans ce cadre l’insurrection des villageois de Thônes et de la vallée du Fier est la plus connue ; elle fit du 6 au 13 mai 50 morts savoyards durant les combats ; après la victoire des « patriotes », la répression a été sévère : quelques « brigands » ont été fusillés et une contribution de 40 mille livres a été exigée des communes rebelles… mais elle provoque chez la population une durable hostilité envers la République. Durant l’automne Kellermann (qui a abandonné le siège de Lyon pour remplacer Montesquiou) contre-attaque : Annecy est reprise et la totalité de la Savoie est reconquise à la cause républicaine le 7 octobre. La Convention, assemblée de près de 750 députés qui gouverne la France depuis le 21 septembre 1792, est représentée en province par des représentants du peuple en mission ; ils ont pratiquement tous les pouvoirs comme l’indique Lamartine dans ses Confidences « C’était le temps où les proconsuls de la Convention se partageaient les provinces de la France et y exerçaient, au nom du salut public, un pouvoir absolu et souvent sanguinaire ». Ceux envoyés (ils sont toujours 2, l’un pour surveiller l’autre et parfois se remplacer…) dans le département du Mont-Blanc, tels Philibert Simond34, Hérault de Séchelles35, l’abbé Grégoire et Albitte pour ne citer que les principaux, n’ont pas trop « utilisé la guillotine » - contrairement à d’autres - mais beaucoup emprisonné. Le dernier nommé Antoine-Louis Albitte36 a eu surtout la réputation de s’en prendre aux prêtres, de mener une politique de déchristianisation intensive (recherche des religieux réfractaires, destruction des reliques et statues, cloches des églises descendues puis brisées, changement de noms de communes trop empreints de « superstition » comme Saint-Alban-de-Montbel appelée Port-de-Montbel etc.) et de prôner l’athéisme. Constatons que la grande majorité des Savoyards, même si elle a contesté les principales exigences républicaines – conscription, attitude anticléricale et les nombreuses réquisitions de grains et de fourrage - restera calme durant la période révolutionnaire, avant et après thermidor ; inertie, résignation, lassitude ou dissimulation, on ne sait exactement. La France et le royaume sarde vont reprendre les hostilités au début de l’année 1796 car le Directoire (l’organe gouvernemental qui a remplacé la Convention en octobre 1795) avait décidé d’attaquer l’Autriche (avec qui la République française était en guerre depuis avril 1792), son principal ennemi dans la coalition anti-française comprenant la quasi-totalité des monarchies européennes.

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En soutien à la rébellion lyonnaise ?… voir mon texte Lyon en 1793 34

Natif du Faucigny il est ordonné prêtre en 1779, guillotiné en avril 1794 35

Avocat, lié à Danton et guillotiné en avril 1794 36

Il est normand et homme de loi ; il ne sera pas guillotiné mais se retrouve durant l’Empire dans l’intendance de la Grande

Armée : il mourra lors de la retraite de Russie en décembre 1812

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Deux armées sont constituées, l’une ira combattre en Allemagne dans la vallée du Danube, l’autre dans la vallée du Pô. C’est cette dernière qui nous intéresse car, commandée par le jeune général Bonaparte (pas encore 27 ans), elle va se heurter aux armées austro-sardes. Rassemblée à Nice, elle longe la côte ligurienne, franchit le petit col de Cadibone (dit aussi d’Altare), bat le 12 avril une partie de l’armée autrichienne à Montenotte (au nord de Savone), sépare définitivement les Autrichiens des Piémontais le 14 à Millesimo et écrase définitivement le restant de l’armée sarde à Mondovi le 21. Victor-Amédée, découragé et terrifié par la détermination et le génie militaire du jeune général français, demande l’armistice (accordé à Cherasco le 28 avril) puis la paix. Signée à Paris le 15 mai 1796 elle officialise l’occupation française de la Savoie, de Nice et du col de Tende ; en outre le roi s’engage à se retirer de la coalition anti-française et accepte le libre passage des troupes républicaines sur son territoire… ce qui va faciliter l’invasion puis la conquête de la Lombardie par Napoléon Bonaparte. Complètement abattu par sa défaite, Victor-Amédée III meurt le 16 octobre. C’est son fils Charles-Emmanuel IV qui récupère un royaume sarde affaibli et bien rétréci (une partie du Piémont avec Turin et la Sardaigne). Malgré sa répugnance à l’égard de la République française et surtout malgré celle de son épouse, Marie-Clotilde de France sœur de Louis XVI (et donc des futurs Louis XVIII et Charles X), il essaie de s’entendre avec le Directoire. Mais la propagande républicaine s’était étendue sur les pas de l’armée d’Italie (Armand le Gallais) ; ainsi son territoire (ce qui lui reste…) est cerné, dès 1798, par la République cisalpine installée en Lombardie, par la République ligurienne à Gênes, par la République helvétique à Genève et en Suisse et par la République romaine au centre de la Péninsule (les anciens Etats de la Papauté) ! En outre l’occupation indélicate37 de sa capitale (et de la citadelle de celle-ci) par une armée française commandée par le général Brune (remplacé ensuite par le général Joubert) à l’automne 1798 l’oblige à se réfugier à Parme puis à se rendre en Sardaigne. A la mort de sa femme en mars 1802, désespéré de ne pouvoir récupérer l’intégralité de son royaume et oublié de tous, Charles-Emmanuel IV38 abdique au profit de son frère Victor-Emmanuel Ier. Celui-ci règne uniquement sur la partie insulaire de son royaume d’autant plus qu’en septembre 1802 le Piémont est rattaché à la France et découpé en 6 départements. La domination française sur l’Europe se termine avec la défaite de Napoléon à Waterloo en juin 1815. A la suite du fameux Congrès de Vienne la Maison de Savoie, après avoir touché le fond, va renaitre puisque les diplomates réunis lui accordent la récupération de ses anciens Etats augmentés de Gênes. Il nous est difficile de croire (puisque l’on connait la suite de l’histoire) que ce « moribond » royaume de Piémont-Sardaigne incluant la Savoie, vaincu militairement puis occupé, abandonné et absent de la diplomatie européenne pendant plus de 20 ans, deviendra – renaissant de ses cendres – le noyau fondateur d’un Etat appelé à faire, dans quelque 50 ans, l’unité de l’Italie ! D’autant plus que Victor-Emmanuel va gouverner, imprégné des idées réactionnaires de Joseph de Maistre, en restaurant systématiquement les pratiques gouvernementales de l’Ancien régime comme l’instauration des édits royaux de 1770 sans le moindre égard à une autre loi quelconque, en rétablissant les droits féodaux et en autorisant de nouveau la perception de la dîme ! Madame de Boigne – pourtant royaliste fervente mais libérale et empreinte d’une grande ouverture d’esprit - qui a suivi à Turin son père le marquis d’Osmond nommé par Louis XVIII ambassadeur de France à la cour sarde, prend la mesure de cet obscurantisme : elle est révoltée et accablée par cet absolutisme si bête39 ! On n’est pas étonné de constater que ce brave monarque d’un autre temps, autoritaire et borné40 (mais il ne fut pas le seul, à la même époque ses « cousins » Louis XVIII et surtout Charles X – ce dernier a été jugé sévèrement par le duc de Castries « Intellectuellement, c’était une cervelle médiocre, butée et obstinée » - ont voulu eux aussi rétablir l’ordre ancien) en faisant fi des quelque 25 années d’idées nouvelles, sera obligé d’abdiquer (en mars 1821, au profit de son frère

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La France et le royaume sarde sont alliés depuis le traité de Turin du 15 mai 1796 d’où mon expression « occupation

indélicate » 38

Il devient jésuite à Rome et meurt en 1819 (sa dépouille reste à Rome et n’est pas à Hautecombe) 39

D’après ses célèbres Mémoires. Elle séjourne à Turin et Gênes de septembre 1814 à août 1815 40

D’après Paul Guichonnet

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Charles-Félix) incapable, en se remettant en question, d’endiguer l’opposition de la bourgeoisie libérale piémontaise et savoyarde qui réclame une constitution. Durant de longues années encore la Savoie sera soumise à l’immobilisme politique et à la stagnation économique. Une pause peut-être après tant de turbulences… et avant celles qui vont suivre ! Conclusion générale La Maison de Savoie a mal tenu son rôle de « gardien-portier des Alpes » : par 6 fois – du milieu du XVIe à la fin du XVIIIe siècle - elle a laissé passer une armée française qui a occupé son territoire (durant 65 ans environ) puis envahi le nord de l’Italie. Son domaine à cheval sur les Alpes est un handicap et comme sa puissance militaire n’est pas suffisante pour protéger ses flancs, elle « penchera » tantôt à l’ouest vers la France tantôt à l’est vers l’Espagne « propriétaire » du Milanais… avec les succès et surtout les revers que l’on a évoqués. René de Lucinge41, seigneur des Allymes (à l’est d’Ambérieu-en-Bugey) analyse cette situation avec pertinence dès la fin du XVIe siècle …nous sommes posés entre deux grandes puissances et il semble que Dieu ne veuille de nos princes que continence et en faveur de nos peuples la paix, puisqu’avec la force l’on ne peut s’avancer ni sur l’un ni sur l’autre pour s’amplifier aucunement. Mais voilà le mal : celui qui demeure neutre entre deux grands monarques est toujours contraint de se départir de cette neutralité quand l’un des deux le veut presser et gourmander ou veut abuser de sa petitesse… Et s’il est contraint de prendre parti il faut qu’il choisisse le mieux, et quelque fois un dédain, un dépit le fait tourner de l’un des côtés, encore bien qu’il hasarde quelque chose (Extrait de son Dialogue du Français et du Savoisien cité par Bernard Grosperrin). On constate également que les conquêtes n’ont jamais posé de problème aux différentes armées françaises ; elles ont été suivies par une occupation rapidement effectuée du territoire savoyard puisque, bien souvent, l’armée piémontaise se repliait au-delà des cimes alpines. Seule la place forte de Montmélian a parfois résisté mais la citadelle, après sa reddition en 1705, sera rasée par ordre de Louis XIV. Les Savoisiens, citadins ou ruraux, regroupés ou non en milices, ne se rebellaient pas et semblent avoir accepté la présence française sans état d’âme. Ce n’était ni lâcheté ni manque de courage : ce sont les mœurs du temps car une quelconque résistance entrainait alors exactions de la soldatesque avec violence sur les personnes et saccage des biens. Je fais mienne la conclusion de Bernard Grosperrin « Tout compte fait, les occupations françaises n’ont entrainé, chez les habitants du duché, ni haine ni attirance pour la France, ni désaffection pour la dynastie de Savoie. Ils ont eu l’attitude pragmatique d’un peuple qui n’a pas la maîtrise de son destin ». Il faut cependant moduler cette réflexion concernant la période révolutionnaire car, nous l’avons constaté, il y a eu à cette époque une émergence de la conscience collective des Savoisiens. Après l’installation de sa capitale à Turin en 1563 puis la perte de la Bresse et du Bugey en 1601, le « point d’ancrage » de la dynastie savoyarde sera désormais le Piémont et son destin, on peut le deviner, sera italien. Au XVIIe siècle la Péninsule italienne, on l’a vu, a été le théâtre d’une intense rivalité entre les 3 puissances que sont la France, l’Espagne et l’Autriche des Habsbourg. Pour préserver leur indépendance (qu’ils perdront parfois) les différents ducs de Savoie ont été obligés de louvoyer et de pratiquer un jeu de bascule entre France et Espagne remplacée par l’Autriche ensuite. Comment alors ont-ils pu conserver la partie ouest de leur duché – la Savoie initiale - territoire de langue française et accolé au royaume français sans aucun obstacle naturel ? La France aurait pu s’emparer, sans coup férir, de cette Savoie dans la 2e partie du XVe siècle, époque propice à ce type d’opération puisqu’elle est marquée par la disparition de 3 grandes principautés moyenâgeuses autonomes, la Bourgogne en 1477, l’Anjou en 1480 et la Provence en 1481 (elles deviennent des provinces royales françaises, la dernière la Bretagne ce sera pour un peu

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Il a été au service du duc Charles-Emmanuel Ier

pour qui il a négocié le traité de Lyon de 1601… ce qui lui a valu d’être

disgracié !

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plus tard). Toutes les conditions étaient réunies ; un royaume français redevenu puissant et conquérant, un duché faible sans âme et dépourvu de prestige avec 6 princes en près de 30 ans (de 1465 à 1497), sans talent comme Louis Ier ou malade comme Amédée IX ou sans caractère comme Charles III. La situation européenne s’y prêtait également car l’empereur germanique (Frédéric III de 1452 à 1493) le suzerain du duc, ne l’oublions pas, avait d’autres soucis comme la cohésion de son Empire mise à mal par les Habsbourg, les Suisses, les Bourguignons et les Hongrois entre autres. En un mot la France qui dominait l’Europe, auréolée de sa victoire sur l’Angleterre aurait pu s’approprier le territoire de la Savoie (sans le Piémont) sans être confrontée à une forte opposition de l’Empire et encore moins à celle de l’Espagne, en cours de « construction » et donc pas encore assez puissante. Charles VII à la fin de son règne puis surtout son fils Louis XI, trop occupé par sa lutte contre le Bourguignon Charles le Téméraire, en n’osant pas ont loupé l’occasion. Après, c'est-à-dire au XVIe siècle, c’était trop tard, l’Espagne ne l’aurait jamais accepté… au nom du sacro-saint équilibre européen ! On peut croire aussi que, si la France napoléonienne n’avait pas absorbé le Piémont et une partie de l’Italie du Nord – c'est-à-dire si elle était restée dans ses frontières d’avant 1796 - le Congrès de Vienne aurait peut-être permis à la France de conserver la Savoie d’en-deçà42. En se montrant trop expansionniste la France, défaite, a été sévèrement traitée. Mais c’est pure supposition et élucubration intellectuelle… en se basant sur le fait que ce sont des représentants élus des cités savoyardes qui avaient demandé le rattachement à la France révolutionnaire, et les diplomates réunis à Vienne se moquaient bien de l’avis du peuple ! Au lieu d’évoquer – ce que nous venons de faire - « l’annexion par la France de la Savoie » peut-on croire aujourd’hui que les princes savoyards ont envisagé de céder le duché en échange d’acquisitions en Italie ? C’est voir le problème du rattachement à la France de la Savoie d’en deçà d’une façon originale qui peut s’appuyer sur des déclarations comme celle d’Henri IV en 1607 « le duc de Savoie m’a fait proposer d’envahir le Milanais et, si je peux l’aider des secours qu’il demande, il m’offre de me donner la Savoie quand il se sera emparé de la Lombardie, ce dont il ne doute pas » ou celle de Richelieu en 1633 qui suggère à Victor-Amédée Ier « …un échange de la Savoie avec le Montferrat… » (Bernard Grosperrin). Ces propositions n’ont pas abouti pour, il me semble, deux raisons logiques : d’une part la France ne possédait en propre aucun territoire en Italie (à moins de le conquérir ce qui est plus facile à dire qu’à faire) et d’autre part le sempiternel équilibre européen développé précédemment. Je pense que les princes savoyards ont été soumis au dilemme suivant : se démettre d’un territoire ancestral lié aux premiers comtes de leur dynastie pour acquérir un autre, le Milanais, certes qu’ils convoitent depuis de longs siècles (depuis Amédée VIII ?), mais qui risque d’être toujours revendiqué par une autre puissance puisque conquis à la suite d’un affrontement. En conclusion, le moment n’est pas encore favorable ; l’évidence de la séparation interviendra lorsque les relations entre Piémont et Savoie deviendront conflictuelles. Terminons par une note positive : en reconnaissant que la Savoie, après son apogée du début du XVe siècle, a connu un destin en « dents de scie », on peut croire aussi que ce sont la « bonne assise » et la solidité de l’Etat savoyard engendrées par les illustres Amédée de la fin du Moyen Âge qui ont permis à la Maison de Savoie de survivre – malgré les défaillances internes et les difficultés extérieures. L’arbre a été fortement secoué par la tempête ; la force des racines n’en est apparue que plus clairement… Mes sources et quelques réflexions En dehors des ouvrages cités dans le document, j’ai suivi essentiellement 3 livres, tous les 3 intitulés Histoire de la Savoie, l’un d’Henri Ménabréa, l’autre de Paul Guichonnet et le dernier d’Armand Le Gallais. J’ai puisé quelques idées et des réflexions générales sur le volumineux bouquin de Pierre Milza Histoire de l’Italie. J’ai rapporté des citations en provenance de deux

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D’ailleurs c’était le cas lors du traité dit premier traité de Paris signé en 1814… avant le retour de Napoléon de l’ile d’Elbe,

des Cent Jours et de Waterloo !

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opuscules très intéressants édités par la Société Savoisienne d’Histoire et d’Archéologie (SSHA), l’un La Savoie et la France de la Renaissance à la Révolution de Bernard Grosperrin, l’autre La Savoie de 1792 à 1815 qui regroupe de précieux documents d’archive rassemblés par R. Demichelis et J. Lorie.

Sur Internet j’ai survolé des extraits du tome 2 de La guerre de Trente ans, l’Empire supplicié de Henri Sacchi, des Mémoires de Saint Simon (1675-1755) – enfin une toute petite partie je suppose car elles sont volumineuses, l’édition de 1930 comprend 41 volumes… - qui rapportent des paroles de son père, Claude de Rouvroy premier duc de Saint Simon (1607-1693), témoin oculaire de la campagne italienne de 1629 et de l’Histoire abrégée des traités de paix entre les puissances de l’Europe depuis la paix de Westphalie par F. Schoell (1837).

L’anecdote du dialogue entre Bassompierre et Louis XIII devant le Pas de Suse est rapportée d’un Richelieu de chez Dargaud Editeur.

Lorsqu’on écrit sur la Savoie durant la période révolutionnaire on est obligé d’évoquer le

philosophe, écrivain et diplomate Joseph de Maistre (1753-1821). En l’étudiant et en lisant des extraits de ses Considérations sur la France (1797) j’avoue avoir été interloqué par ses idées réactionnaires et surpris de constater qu’un « grand esprit » comme lui n’a pas compris le besoin de démocratie du peuple de son époque. Son opposition à toute constitution écrite est vraiment incompréhensible comme le montre cet extrait : Aucune constitution ne résulte d'une délibération; les droits des peuples ne sont jamais écrits, ou du moins les actes constitutifs ou les lois fondamentales écrites, ne sont jamais que des titres déclaratoires de droits antérieurs, dont on ne peut dire autre chose, sinon qu’ils existent parce que ils existent (1). (1) Il faudrait être fou pour demander qui a donné la liberté aux villes de Sparte, de Rome, etc. Ces républiques n'ont point reçu leurs chartes des hommes. Dieu et la nature les leur ont données. » (Sydney, Disc. sur le gouv., tom. I, par. 2.) Algernon Sydney (1623-1683) est un homme politique anglais adversaire du roi Charles II. Je suis étonné que Joseph de Maistre le cite car il était un républicain convaincu. Par ses prévisions sur l’avenir de la « jeune » république américaine appelée Etats-Unis (1783) on ne peut pas le considérer comme un visionnaire : Non seulement je ne crois point à la stabilité du gouvernement américain, mais les établissements particuliers de l'Amérique anglaise ne m'inspirent aucune confiance. Les villes, par exemple, animées d'une jalousie très peu respectable, n'ont pu convenir du lieu où siégerait le congrès; aucune n'a voulu céder cet honneur à l'autre. En conséquence, on a décidé qu'on bâtirait une ville nouvelle qui serait le siège du gouvernement. On a choisi l'emplacement le plus avantageux sur le bord d'un grand fleuve; on a arrêté que la ville s'appellerait Washington; la place de tous les édifices publics est marquée; on a mis la main à l'œuvre, et le plan de la cité-reine circule déjà dans toute l'Europe. Essentiellement il n'y a rien là qui passe les forces du pouvoir humain; on peut bien bâtir une ville: néanmoins il y a trop de délibération, trop d'humanité dans cette affaire; et l'on pourrait gager mille contre un que la ville ne se bâtira pas, ou qu'elle ne s'appellera pas Washington, ou que le congrès n'y résidera pas. Il en est de même sur l’avenir de la Prusse … Rien ne peut rétablir la puissance de la Prusse. Cet édifice fameux construit sur du sang, de la boue, de la fausse monnaie et des feuilles de brochures, a croulé en un clin d’œil et c’en est fait pour toujours. Extrait des Lettres et opuscules, 1807. Etonnant le manque de lucidité de ce personnage, certainement brillant par ailleurs mais défenseur d’un système monarchique divin absolutiste d’un autre âge et adversaire acharné de la démocratie et du besoin de liberté des hommes. Il fait partie de ces aristocrates qui ont traversé la Révolution en émigrant (en 1792 après l’occupation de la Savoie), « qui n’ont rien appris, rien oublié » et qui ont été incapables de comprendre les aspirations légitimes de leurs contemporains. En plus je le soupçonne de n’avoir jamais cru à l’être humain, mauvais et entaché du péché originel !

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Annexe : Ascendance familiale du duc de Savoie Charles-Emmanuel (1528-1580)…

… qui montre qu’il était, à la fois petit-fils de François Ier et, par alliance, du fils de ce dernier, son oncle Henri II !

Généalogie des ducs de Savoie puis rois de Sardaigne (de la fin du XVe au début du XIXe)

Louis Ier

1413-1439 -1465

Philippe II

1438-1496 -1497

Philibert

1480-1497 -1504

Charles III

1486-1504 -1553Louise Philippe

Branche des Savoie-NemoursEmmanuel-Philibert

1528-1553 -1580François I

er

Charles-Emmanuel

1562-1580 -1630

Branche des Savoie-Carignan

Victor-Amédée I

1587-1630 -1637Thomas

Charles-Emmanuel 2

1634-1638 -1675Emmanuel-Philibert Eugène-Maurice

(vers les rois après Charles-Félix)

Victor-Amédée II

1666-1675 -1732Eugène

Charles-Emmanuel 3 1701-1730 -1773

Marie-Adélaïde

Victor-Amédée 3 1726-1773 -1796

Louis XV

Charles-Emmanuel 4 1751-1796 -1819

Victor-Emmanuel I 1759-1802 -1824

Charles-Félix 1765-1821 -1831

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Précisions au sujet des droits féodaux et charges seigneuriales durant l’Ancien régime

Ce sont des obligations et des avantages conférés à un seigneur sur les terres et sur les sujets de son domaine. Ils ont été mis en place durant le Xe siècle, période où la féodalité s’affirme comme structure politique. Le suzerain, possesseur d’un territoire le confère à un vassal à titre de fief ; ce dernier, en dehors des fermages qu’il doit au propriétaire-suzerain, lui doit également des services en échange de sa protection. Ce sont ces services qui sont désignés comme droits féodaux et qui ont été transmis – avec des modifications et rajouts - de génération en génération jusqu’au XVIIIe… même si ils n’ont plus aucun sens puisque la noblesse, de moins en moins militaire, n’assure plus ses obligations de protection. A notre époque nous avons du mal à appréhender ce qu’ils représentaient réellement et ils nous apparaissent comme mystérieux. Même la lecture de la plupart des livres de Georges Duby ne m’a pas permis d’être précis sur le sujet. Il m’a fallu attendre la réédition, à la fin 2012, du livre d’Hyppolyte Taine (1828-1893) Les origines de la France contemporaine pour – enfin – prendre connaissance d’une liste – est-elle exhaustive ? – de 26 droits ! D’après l’auteur ils sont relatifs à la baronnie de Blet, dont le village se situe à égale distance de Bourges et de Nevers. Ils sont extraits d’un acte notarié daté de 1783. Il faut les prendre comme exemples car nous ne sommes pas en Savoie mais en Bourbonnais… mais les droits seigneuriaux en usage dans ces 2 provinces - ô combien chargées d’Histoire – étaient-ils fondamentalement différents ? Je ne le pense pas et ils permettront, du moins je l’espère, de se faire une idée précise de ces droits et charges, certains symboliques, mais d’autres liés à la justice et surtout à la fiscalité.

1. Droit de haute, basse et moyenne justice. Obligation du seigneur dans la baronnie 2. Droit de gruerie ; il date de 1707. Le gruyer désigné par le seigneur prend en charge toutes

les affaires concernant les eaux et forêts incluant la chasse et la pêche 3. Droit de voirie ou police des rues et chemins. Obligation pour le seigneur de nommer un

voyer, un sergent et d’entretenir une prison et un geôlier… 4. Taille seigneuriale. Aurait été supprimée par une charte en 1255 et remplacer par un droit

de bourgeoisie 5. Droit d’épave, sur les bestiaux, meubles, effets, trésors trouvés,… 6. Droit sur les biens des personnes décédées sans héritiers, des condamnés à mort ou aux

galères perpétuelles, des bannis, etc. 7. Droit de chasse et de pêche 8. Droit de bourgeoisie. Les plus riches doivent payer par an chacun 12 boisseaux d’avoine

de 40 livres et 12 deniers parisis ; les moyens, 9 boisseaux et 9 deniers et les autres 6 boisseaux et 6 deniers. A été remis à la mode dans la 2e partie de l’année 2012 par notre gouvernement socialiste…

9. Droit de guet du château de Blet. Edit de 1497 fixant cette charge pour les habitants du village à 5 sous par feu et par an

10. Droit de péage pour toutes les marchandises et denrées qui passent par le village sauf les grains, blés, farines et légumes

11. Droit de potage sur les vins vendus à Blet, attribuant au seigneur 9 pintes de vin par tonneau

12. Droit de boucherie ou de prendre la langue de toutes les bêtes tuées dans le village, plus la tête et les pieds de tous les veaux

13. Droit sur les foires et marchés. Il y avait 5 foires par an et un marché par semaine 14. Corvées de charrois et à bras sur 97 personnes du village (22 pour les corvées de voitures

et 75 pour les corvées à bras) ; le seigneur paye 6 sous de nourriture pour la corvée à bras et 12 sous de nourriture pour la corvée de voiture à 4 bœufs

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15. Banalité de moulins. C’est l’obligation pour les villageois de faire moudre leurs grains au moulin banal. Le meunier perçoit un seizième de la farine moulue. Cette charge est affermée.

16. Banalité de four… Même chose que la précédente mais pour cuire le pain, galettes, etc. 17. Droit de colombier. Il en existait un dans le parc du château 18. Droit de bordelage. Propre au Bourbonnais, certaines terres ne se transmettent qu’aux

héritiers directs (enfants) sinon elles reviennent au seigneur 19. Droit sur les terres incultes et désertes 20. Droit honorifique de banc et de sépulture au chœur de l’église 21. Droit de lods et ventes sur les censitaires, dû par l’acquéreur. C’est un droit de mutation

(changement de propriétaire) égal à un certain pourcentage de la valeur du bien détenu par un censitaire, en général roturier, qui a reçu ce bien en provenance d’un propriétaire, en général noble, à qui il reconnait être assujetti.

22. Droit de terrage ou champart. Impôt seigneurial type reçu en nature. 23. Cens (voir 21). Redevance que doit un censitaire 24. Droit sur les biens communaux. C’est un droit pour les vassaux « d’utiliser » certaines

terres non cultivées appartenant au seigneur (droit de pâturage par exemple). Je vous exempte des 2 derniers ! En définitive les « droits d’impôts », à la charge du paysan, sont en majorité, j’en compte une dizaine sans compter les obligations d’emprunter les moulins et fours du seigneur qui, lui, n’a que 3 obligations, les « droits de justice » ; il bénéficie en outre de « droits symboliques » comme celui de détenir un colombier. En Savoie durant le XVIIIe siècle, avec la réforme enclenchée par Victor-Amédée II, la difficulté a été de fixer le taux du rachat des différentes ex-charges seigneuriales dues par le paysan ou les municipalités (que vaut une banalité de four par exemple) mais on a pris soin de distinguer les droits féodaux de la redevance versée par l’exploitant au propriétaire foncier. On ne vend pas la terre qui reste toujours la propriété de celui qui a donné un bail à un fermier. En France en 1789 même si l’Assemblée – en abolissant les « privilèges » du régime féodal dans la fameuse nuit du 4 août - a maintenu toutes les redevances qu’un seigneur percevait à titre de propriétaire foncier, les paysans n’ont plus voulu acquitter les droits maintenus. Ceux-ci considèrent que les propriétaires-seigneurs des terres sont les détenteurs d’un bien volé et que c’est par l’épée qu’ils se sont jadis assujettis les hommes et appropriés les terres ; ils peuvent donc les récupérer gratuitement et sans dédommagement. Comme bien souvent leurs titres de propriété ont été brulés durant les désordres du printemps et comme la « force publique » est absente ou de connivence avec les révoltés, les gentilshommes campagnards sont démunis et n’ont plus de ressources… il ne leur reste que leur titre, leur nom de terre et leurs armoiries ! Pas pour très longtemps d’ailleurs puisqu’il sera déclaré en 1790 que « la noblesse héréditaire choque la raison et blesse la véritable liberté » !