Les modes, figures et personnages de la transgression de...

22
Les modes, figures et personnages de la transgression de la Loi chez Shakespeare 1 Yona DUREAU UMR 5037 - IHPC Université Jean Monnet de Saint-Étienne La transgression dans les pièces du « Barde » est à la fois un motif et un mobile de l’intrigue, apparaissant tour à tour comme la transgression nécessaire et salutaire face à une loi inhumaine dans Measure for Measure, suscitant une dynamique du rire et de la vie dans les scènes comiques de Twelfth Night, ou bien à l’origine d’une mécanique d’auto-destruction dans Romeo and Juliet, oeuvre dans laquelle Roméo commence par passer outre les divisions naturelles du jour et de la nuit avant de transgresser les lois humaines de sa cité et de sa famille pour entraîner Juliette dans la mort. La transgression peut aussi être au coeur du processus de révélation théâtrale, comme dans Richard III, où Shakespeare s’attaque autant aux faux dévots qu’aux adeptes du Paulinisme. Mais fondamentalement, la pièce de Macbeth nous révèle que la transgression tragique contredit la Nature et son ordonnance, inverse l’ordre et les hiérarchies, sociale et naturelle, établissant un chaos destructeur parachevé par la mort. Les limites ludiques de la comédie sont elles-mêmes franchies depuis longtemps, de sorte que le processus vital de la transgression s’inverse alors dans son contraire, le cadre tragique. Il nous est apparu important, dans cette perspective, de concentrer notre attention sur ces figures de la transgression de la Loi chez Shakespeare, afin de mettre en lumière la place centrale de la mise en scène de la transgression chez ce dramaturge et de nous interroger sur l’essence même de son théâtre parfois jugé socialement conservateur. 1. Transgressions comiques : de la transgression et du comique volontaires à la transgression et au comique involontaires Les modes de la transgression varient avec les personnages et les figures qui l’épitomisent. Lorsque la transgression est comique, elle s’incarne volontiers dans quelques types caricaturaux, dont les apparitions apportent par instants une détente de la tension dramatique. La comédie shakespearienne n’étant pas dénuée de dimensions tragiques, les passages comiques, associés aux personnages socialement inférieurs des serviteurs, permettent ainsi à la fois de détourner un instant l’attention du spectateur de l’intrigue principale, établissant l’espace d’une scène ou deux l’intrigue 1 Édition de référence : The Works of William Shakespeare, The Globe edition, edited by W. G. Clark and W. A. Wright, London, Macmillan & co, 1956.

Transcript of Les modes, figures et personnages de la transgression de...

  • Les modes, figures et personnages de la transgression de la Loi chez Shakespeare1

    Yona DUREAU UMR 5037 - IHPC

    Université Jean Monnet de Saint-Étienne

    La transgression dans les pièces du « Barde » est à la fois un motif et un mobile de l’intrigue,

    apparaissant tour à tour comme la transgression nécessaire et salutaire face à une loi inhumaine

    dans Measure for Measure, suscitant une dynamique du rire et de la vie dans les scènes comiques

    de Twelfth Night, ou bien à l’origine d’une mécanique d’auto-destruction dans Romeo and Juliet,

    œuvre dans laquelle Roméo commence par passer outre les divisions naturelles du jour et de la nuit

    avant de transgresser les lois humaines de sa cité et de sa famille pour entraîner Juliette dans la

    mort. La transgression peut aussi être au cœur du processus de révélation théâtrale, comme dans

    Richard III, où Shakespeare s’attaque autant aux faux dévots qu’aux adeptes du Paulinisme. Mais

    fondamentalement, la pièce de Macbeth nous révèle que la transgression tragique contredit la

    Nature et son ordonnance, inverse l’ordre et les hiérarchies, sociale et naturelle, établissant un chaos

    destructeur parachevé par la mort. Les limites ludiques de la comédie sont elles-mêmes franchies

    depuis longtemps, de sorte que le processus vital de la transgression s’inverse alors dans son

    contraire, le cadre tragique.

    Il nous est apparu important, dans cette perspective, de concentrer notre attention sur ces

    figures de la transgression de la Loi chez Shakespeare, afin de mettre en lumière la place centrale de

    la mise en scène de la transgression chez ce dramaturge et de nous interroger sur l’essence même de

    son théâtre parfois jugé socialement conservateur.

    1. Transgressions comiques : de la transgression et du comique volontaires à la transgression et au comique involontaires

    Les modes de la transgression varient avec les personnages et les figures qui l’épitomisent.

    Lorsque la transgression est comique, elle s’incarne volontiers dans quelques types caricaturaux,

    dont les apparitions apportent par instants une détente de la tension dramatique. La comédie

    shakespearienne n’étant pas dénuée de dimensions tragiques, les passages comiques, associés aux

    personnages socialement inférieurs des serviteurs, permettent ainsi à la fois de détourner un instant

    l’attention du spectateur de l’intrigue principale, établissant l’espace d’une scène ou deux l’intrigue

    1 Édition de référence : The Works of William Shakespeare, The Globe edition, edited by W. G. Clark and W. A. Wright, London, Macmillan & co, 1956.

  • secondaire dans une fonction proche des pièces de satire du théâtre antique grec, qui servaient

    d’interlude ou de conclusion aux représentations de tragédies.

    Transgression carnavalesque dans Twelfth Night (La Nuit des Rois)

    Constatons tout d’abord que la pièce de Twelfth Night introduit dès son titre une esthétique de

    la fête qui s’apparente à la magie du carnaval. La « Douzième Nuit » ainsi mentionnée fait allusion

    au calendrier de l’Avent, et suggère le moment de la découverte merveilleuse que contient chaque

    jour d’attente précédant la Nativité dans le calendrier germanique. La Douzième Nuit correspond à

    la moitié du décompte du calendrier de l’Avent qui est de 24 jours. Si l’on considère, au contraire,

    que le décompte dont il s’agit concerne la période après le jour de Noël, selon la coutume anglaise

    qui existait déjà à la Renaissance, ce douzième jour correspond à la clôture des douze jours de fête

    depuis le jour de Noël, le douzième jour correspondant alors à la veille de l’Épiphanie. Dans cette

    perspective, qui est la plus naturelle pour un Anglais, une chanson populaire nous dit :

    Mon vrai amour m’a offert chaque jour de cette période de festivité des cadeaux étonnants, une perdrix dans un poirier pour le premier jour, deux pigeons le deuxième, trois poules françaises pour le troisième

    2, quatre merles le quatrième, cinq anneaux d’or le cinquième, six oies pondeuses le sixième,

    sept cygnes nageurs le septième, huit jeunes femmes trayeuses le huitième, neuf dames danseuses le neuvième, dix gentilhommes dansant le dixième, et douze joueurs de tambours tambourinant le douzième

    3.

    La fête qui bat son plein semble s’illustrer par son désordre, le bruit étourdissant de douze tambours

    marquant la fin d’une liste hétéroclite et quelque peu chaotique, où les objets alternent avec les

    animaux et les êtres humains sans aucune forme réelle de hiérarchie. En bref, la Nuit des Rois serait

    bien l’héritière d’une forme de carnaval où la hiérarchie sociale serait battue en brèche par la fête

    populaire, transgressive de toute forme de hiérarchie, et où l’attente religieuse se confondrait avec

    un retournement des règles proche de l’esthétique des pamphlets apocalyptiques des mondes

    inversés4. La pièce de Twelfth Night débute, par conséquent, le jour de clôture de ce carnaval sacré5,

    énonçant simultanément la règle religieuse et sa transgression sociale. Dans cette perspective, les

    vers introducteurs de la pièce, énoncés par le Duc Orsino, entrent en résonance avec ce carnaval, en

    évoquant les excès festifs de nourriture pour les transformer en nourriture de l’esprit et des sens, par

    2 Des poules faverolles, réputées comme pondeuses, mais aussi pour leur beauté.

    3 Chanson populaire chantée de nos jours encore pendant la période de l’Avent en Angleterre. Le titre en est la première ligne « On the first day of Christmas, my true love gave to me ». La première publication de cette chanson est tardive (1780), mais sans la musique, ce qui laisse à penser qu’elle était si connue que l’on ne mentionnait pas l’air. 4 GANDELMAN Claude, « "Monde renversé" et "carré sémiotique" », Neohelicon, XIV/1, p. 153-176.

    5 Lorsque le calendrier sacré est remis en question par sa dimension carnavalesque, on peut y lire un retour à une pré-histoire carnavalesque, où les forces évoquées dans une dimension panthéiste seraient profondément à l’opposé de la hiérarchie religieuse et, pour reprendre les termes de Mikhaïl Bakhtine : « dans un régime social qui ne connaissait encore ni les classes ni l’État, les aspects sérieux et comiques de la divinité, du monde et de l’homme étaient, selon toute apparence, également sacrés, également, pourrait-on dire, "officiels" » (L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, trad. A. Robel, Paris, Gallimard, 1970, p. 14).

  • la musique et l’amour : « Si la musique nourrit l’amour, continue à jouer/ Sers-m’en à l’excès, que

    rassasié, l’appétit puisse en être dégoûté et s’éteindre ainsi6. » L’excès doit rassasier. L’excès de

    musique doit rassasier le désir amoureux comme l’excès de nourriture rassasie l’appétit et l’envie

    de plaisir et de joie. La comédie dans cette pièce commence dès ces premiers vers sur deux

    transgressions de l’ordre du carnaval, soit la transgression de la mesure et la transgression de la

    hiérarchie établie par la société. L’originalité de cette pièce va s’exprimer dans une transgression

    hiérarchique qui n’est pas de l’ordre de la hiérarchie des classes, bien que l’amour de Malvolio pour

    sa maîtresse suggère un moment ce renversement, mais sur un renversement de la hiérarchie des

    sexes, en suggérant leur interchangeabilité.

    L’esprit du carnaval étant introduit dès la première scène comme l’esprit de l’excès, de la

    bonne chère, des sens, et le bouleversement des hiérarchies, les scènes de beuverie viennent

    déployer cette transgression de la mesure et de l’ordre sous ses formes particulières.

    Le personnage de Sir Tony Belch : personnage transgressif et/ou parodique

    Sir Toby Belch — dont le patronyme « Belch », signifie éructer, « roter », et suggère déjà la

    démesure, l’excès de boisson comme de nourriture — traduit l’esprit de cet abandon du sens

    contraignant de la mesure. Ne déclare-t-il pas, dès la scène 2 de l’Acte I : « Je suis persuadé que le

    souci/L’attention est un ennemi de la vie7 » ? Sa hiérarchie place en tout premier ordre la nourriture,

    et il ne se dit préoccupé que de gâteaux et de bière (« cakes and ale » ; Acte II, scène III , v. 109), le

    terme utilisé pour la bière (« ale ») forme une paronomase avec le terme évoquant la souffrance

    physique (« ails/ailments »). La bière permet de panser les souffrances et de n’y plus penser. Le

    soin (« care ») ne doit pas se transformer en souci, et Sir Toby Belch, bien que noble dans son

    patronyme, vient conseiller tous ceux qui, comme lui, ne prennent au sérieux que la nécessité de

    bien vivre. Sir Toby Belch rétablit une hiérarchie sociale symbolique par son patronyme et par son

    rôle de « Lord of Misrule » (Roi du Carnaval), selon l’expression de M. Iselin8. Dans un cadre où

    les vents anatomiques de toutes sortes suivaient la règle du carnaval, ainsi que l’a montré François

    Laroque9, Sir Toby Belch incarne le renversement des valeurs et de l’ordre social d’un monde

    inversé. De fait, lors de sa première introduction sur scène, à la scène 3 de l’Acte I, Maria tente bien

    de le raisonner et lui demande de respecter un certain ordre. Elle souligne alors ses visites nocturnes

    et bruyantes, et ses mises en garde prennent la forme sémantique de contrainte, de confinement, à

    quoi Sir Toby Belch répond par son besoin physique de prendre ses aises :

    6 « If music be the food of love, play on ;/ Give me excess of it, that, surfeiting, / That appetite may sicken, and so die » (Twelfth Night, Acte I, scène I, vers 1-3). 7 « I am sure care’s an enemy to life » (Acte I, scène II, vers 2).

    8 ISELIN Pierre, W. Shakespeare, Twelfth Night, Capes-Agrégation d'Anglais, CNED, Didier Erudition, 1995, p. 18.

    9 LAROQUE François, Shakespeare et la fête. Essai d'archéologie du spectacle dans l'Angleterre élisabéthaine, Paris, Presses Universitaires de France, 1988, p. 47.

  • Maria Sur ma parole, sir Tobie, il faut que vous veniez De meilleure heure le soir. Madame votre cousine. A de grandes objections

    10 à vos heures indues.

    Sir Toby Belch Eh bien ! qu’elle excipe avant d'être excipée.

    Maria Fort bien ; mais il faut vous confiner dans les modestes limites de l'ordre.

    Sir Toby Belch Confiner ! je ne me tiendrai pas plus finement que je ne fais : ces habits sont assez bons pour boire et ces bottes aussi, ou sinon qu'elles se pendent à leurs propres tirants

    11.

    Le confinement dans des vêtements engoncés ou le respect de règles contraignantes vont de pair

    avec le respect d’horaires diurnes. Sir Toby Belch n’est pas seulement le Roi de la négation de la

    règle, comme le suggère le nom de Roi de Carnaval en anglais (« Lord of Mis-rule »). Il inverse la

    règle en refusant toute forme de limite. Pire, il menace de condamner à la pendaison, au bout de ses

    attaches de vêtements, tous ceux qui souhaiteraient le contraindre à les porter. Sir Toby Belch

    s’affirme comme un personnage volontairement comique, désireux d’imposer la règle du Carnaval à

    la place des règles de la cité. Son personnage ne relève pas du comique involontaire comme celui de

    Malvolio.

    Malvolio : transgressif et comique malgré lui

    Le personnage de Malvolio, fidèle majordome dupé par la fausse missive d’amour envoyée

    par Sir Toby Belch, et dont il est convaincu que l’auteur est sa maîtresse, est puni pour suggérer une

    potentielle transgression de l’ordre social. Il tolère de se ridiculiser en portant des bas jaunes croisés

    de rubans noirs pour obéir aux instructions de sa maîtresse (contenues dans la lettre dans laquelle

    elle est censée lui révéler son amour secret pour lui). Malvolio incarne la limite permise par la

    transgression carnavalesque élisabéthaine, qui admet toutes sortes de retournements et de

    bouleversements hiérarchiques contraires à l’ordre social. La transgression des limites sexuelles

    vient pallier cet échec étrange du carnaval, en plaçant comme personnages-clés de la pièce des

    figures du travestissement, du miroir des genres, voire de l’asexué. Notons, par exemple, que cette

    conservation de l’ordre social est soulignée par le vers d’Orsino découvrant la véritable identité de

    Viola à la fin de la pièce, lorsqu’il déclare qu’elle lui est égale en rang puisqu’elle est la maîtresse

    de son maître, « her Master’s mistress » (Acte V, scène I, vers 326).

    10 « Exceptions » en anglais, d’où la réponse de Tobie.

    11 MARIA : « By my troth, Sir Toby, you must come in earlier o'/ nights: your cousin, my lady, takes great exceptions to

    your ill hours. » SIR TOBY BELCH : « Why, let her except, before excepted. » MARIA : « Ay, but you must confine yourself within the modest limits of order. » SIR TOBY BELCH : « Confine! [Jeu de mots entre confine et fine.] I’ll confine myself no finer than I am : these clothes are good enough to drink in; and so be these boots too: an they be not, let them hang themselves in their own straps. » [Jeu de mots avec « godemichets ».]

  • Malvolio, qui commet la faute de penser sérieusement transgresser la hiérarchie sociale paye

    sa perte de limites par la prison et l’enfermement. La transgression à laquelle il se livre est

    cependant comique. Shakespeare suggère par le faux codage de la lettre adressée à Malvolio, qu’il

    ne sait pas déchiffrer et décode comme une lettre d’amour, que sa faute essentielle consiste à ne

    percevoir que sa propre personne au cœur du message que lui font parvenir Maria, Sir Toby Belch

    et Fabian :

    Malvolio

    Sur ma vie, c'est la main de ma maîtresse

    Voilà ses c, ses v, ses t12

    , et voilà comme elle fait ses grands P. Il n'y a pas de doute, c'est son écriture.

    Sir Andrew Ses c, ses v, ses t. Pourquoi cela ?

    Malvolio (lisant) À mon bien-aimé inconnu, cette lettre Et mes tendres aveux ! Juste, voilà ses phrases. Permets, cire. Doucement... et le cachet est une Lucrèce dont elle a coutume de sceller ses lettres. C'est ma maîtresse.- À qui cela s'adresserait-il ?

    Fabian Ceci nous l’a gagné : foie et tout entier.

    Malvolio (lisant) Jupiter sait que j'aime. Mais qui ? Lèvres, ne remuez pas ; Nul mortel ne doit savoir. Nul mortel ne doit savoir… Voyons la suite. Les nombres sont changés : nul mortel ne doit Savoir. Et si c’était toi, Malvolio ?

    Sir Toby Belch Je te le conseille : va te pendre, blaireau.

    Malvolio (lisant) Je pourrais commander où j'adore, Mais le silence, comme le poignard de Lucrèce, Déchire mon coeur sans l’ensanglanter. M.O.A.I. règne sur ma vie. [...] M.O.A.I. règne sur ma vie. ` Mais d'abord, voyons, voyons.

    Fabian Quel plat de poison elle lui a servi là !

    Sir Toby Belch Et c’est à tire d’aile que ce faucon sauvage vole à cet appât !

    Malvolio « Je puis commander où j'adore ». En effet elle peut Me commander. Je la sers : elle est ma maîtresse. Oh ! voilà qui est évident pour toute intelligence ordinaire ; il n'y a pas De difficulté là... Et la fin ? Que Signifie cet arrangement alphabétique ? Si je pouvais le faire un peu ressembler à mon nom... Doucement. M.O.A.I. [...] M-Malvolio. — Eh bien ! c'est la lettre initiale de mon nom.

    Fabian

    12 Jeu de mot avec le sexe féminin « cunt ».

  • Ne vous ai-je pas bien dit qu'il ferait quelque chose de ces lettres ? Oh ! c'est un excellent chien Quand on est en défaut !

    Malvolio M — Oui... mais nulle consonance avec la suite : Cela demande preuve. Ce serait un A qui devrait suivre, et c'est un O.

    Fabian

    Et O suivra, j'espère13

    . Sir Toby Belch

    Ou je le bâtonnerai et lui ferai crier « O ! » Malvolio

    Et ensuite c’est le I [je] qui vient par derrière. Fabian

    Oui, si vous aviez un œil par derrière, vous pourriez voir plus de châtiments à vos talons que de bonnes fortunes devant vous.

    Malvolio M.O.A.I, cela ne s’ajuste pas si bien qu'auparavant ; et pourtant en forçant un peu, l'apparence pourrait pencher vers moi : car chacune de ces lettres se trouve dans mon nom. Doucement : voyons ; voici de la prose qui suit : (lisant) «Si cette lettre tombe dans tes mains, médite-la. Selon mes astres je suis au-dessus de toi, mais ne t'effraye point de la grandeur. Quelques-uns naissent grands ; d'autres parviennent à la grandeur, et il en est que la grandeur vient chercher. Ta destinée t'ouvre les bras, que ton audace et ton courage l'embrassent. Et pour l'accoutumer à ce que tu dois vraisemblablement devenir, sors de ton humble obscurité, et parais fier et brillant. Sois contredisant avec un parent, hautain avec les serviteurs, que ta bouche raisonne politique, prends les manières d’un homme original. Voilà les conseils que donne celle qui soupire pour toi. Souviens-toi de celle qui fit l'éloge de tes bas jaunes et qui souhaita de te voir toujours les jarretières croisées. Souviens-t'en, je te le répète. Va, poursuis : ta fortune est faite, si tu le veux ; si tu ne le veux pas, reste donc un simple intendant, le compagnon des valets, et un homme indigne de toucher la main de la Fortune. Adieu. Celle qui voudrait changer d'état avec toi. L’ HEUREUSE INFORTUNEE. » La lumière du jour et la plaine ouverte n’en montrent pas davantage : cela est évident. Je veux devenir fier ; lire les auteurs politiques ; je contrecarrerai sir Tobie ; je me décrasserai de mes grossières connaissances ; je serai tiré à quatre épingles ; je deviendrai l'homme par excellence. - Je ne fais pas maintenant l'imbécile ; je ne laisse pas mon imagination se jouer de moi : car toutes sortes de raisons concourent à me prouver que ma maîtresse est amoureuse de moi : elle louait dernièrement mes bas jaunes ; elle a vanté ma jambe et sa jarretière ; et dans cette lettre elle se découvre elle-même à mon amour ; c'est avec une espèce d'injonction, qu'elle m'invite à porter les parures qu'elle préfère. Je rends grâces à mon étoile ; je suis heureux. Je me singulariserai, Je me pavanerai, en bas jaunes, et en riches, jarretières, et tout cela le temps de les mettre. Louange à Jupiter et à mon étoile ! — Ah ! voici encore un post-scriptum.[lisant] — Il est impossible

    13 Allusion à la forme d'un collier de chasse.

  • que tu ne devines pas qui je suis14.

    De façon tout à fait significative, Fabian, en parlant du traquenard que leur petit groupe a mis en

    place pour Malvolio, l’évoque par le terme « plot », qui désigne à la fois le complot et l’intrigue

    d’une pièce. Mais ce plot a des tendons, « sinews », comme s’il se métamorphosait peu à peu en un

    corps humain. C’est un corps carnavalesque lui aussi, puisque l’empressement, comme pour un

    corps que l’on pousse à courir trop vite, pourrait lui briser les tendons (« Nay, patience, or we break

    the sinews of our plot » dit Fabian à Sir Toby Belch). Du « plot » au complot et à l’intrigue, des

    tendons au corps carnavalesque, les « sinews » évoquent aussi les sinuosités (« sinuous ») du

    traquenard, et de l’intrigue de Twelfth Night, où l’intrigue secondaire de la pièce résonne en écho

    avec les travestissements de l’intrigue principale, mais sans aider à son dénouement. Le

    travestissement, métaphorisant la transgression sexuelle est peut-être, également, la métaphore

    d’une transgression impossible quant à elle : celle de l’ordre social.

    14 MALVOLIO : « By my life, this is my lady's hand these be her / very C's, her U's and her T's — and thus makes she her

    great P's./ It is, in contempt of question, her hand. » SIR ANDREW : « Her C's, her U's and her T's: why that? » MALVOLIO [reads] : « To the unknown beloved, this, / and my good wishes: — her very phrases! / By your leave, wax, Soft!… and the impressure her / Lucrece, with which she uses to seal : / 'tis my lady. To whom should this be ? » FABIAN : « This wins him, liver and all. » MALVOLIO [reads] : « Jove knows I love: But who? / Lips, do not move ; / No man must know./ 'No man must know.' What follows? / The numbers / altered! 'No man must know:' / If this should be thee, Malvolio? » SIR TOBY BELCH : « Marry, hang thee, brock ! » MALVOLIO [reads] : « I may command where I adore ;/ But silence, like a Lucrece knife,/ With bloodless stroke my heart doth gore. / M, O, A, I, doth sway my life./ […]/'M, O, A, I, doth sway my life.' / Nay, but first, let me see, let me see. » FABIAN : « What dish o' poison has she dressed him ! » SIR TONY BELCH : « And with what wing the staniel cheques at it ! » MALVOLIO [reads] : « 'I may command where I adore.' Why, she may / Command me: I serve her; she is my lady./ This is evident to any formal capacity; there is no / Obstruction in this: and the end, - / What should that alphabetical position portend? If I could make / That resemble something in me,- Softly! M, O, A,I,- / M,- Malvolio; M,- why, that begins my name. » FABIAN : « Did not I say he would work it out? / The cur is excellent at faults. » MALVOLIO : « M,- but then there is no consonancy in the sequel ; / That suffers under probation A should follow / but O does. » FABIAN : And O shall end, I hope. » SIR TONY BELCH : « Ay, or I'll cudgel him, and make him cry O ! » MALVOLIO : « And then I comes behind. » FABIAN : « Ay, an you had any eye behind you [Jeu de mots sur l’homophonie de ‘I’ et eye], you might see / more detraction at your heels than fortunes before you. » MALVOLIO : « M, O, A, I; this simulation is not as the former: and / yet, to crush this a little, it would bow to me, for / every one of these letters are in my name. Soft!/ here follows prose. » [reads] « If this fall into thy hand, revolve [Jeu de mots avec « tourne » comme une orbite]. In my stars I am above thee; but be not afraid of greatness: some are born great, some achieve greatness, and some have greatness thrust upon 'em. Thy Fates open their hands; let thy blood and spirit embrace them ; and, to inure thyself to what thou art like to be cast thy humble slough and appear fresh. Be opposite with a kinsman, surly with servants; let audace thy tongue tang arguments of state; put thyself into the trick of singularity: she thus advises thee that sighs for thee. Remember who commended thy yellow stockings, and wished to see thee ever cross-gartered: I say, remember. Go to, thou art made, if thou desirest to be so; if not, let me see thee a steward still, the fellow of servants, and not worthy to touch Fortune's fingers. Farewell. She that would alter services with thee THE FORTUNATE-UNHAPPY ». Daylight and champaign discovers not more: this is open. I will be proud, I will read politic authors, I will baffle Sir Toby, I will wash off gross. acquaintance, I will be point-devise the very man I do not now fool myself, to let imagination jade me; for every reason excites to this, that my lady loves me. She did commend my yellow stockings of late, she did praise my leg being cross-gartered ; and in this she manifests herself to my love, and with a kind of injunction drives me to these habits of her liking. I thank my stars I am happy. I will be strange, stout, in yellow stockings, and cross-gartered, even with the swiftness of putting on. Jove and my stars be praised ! Here is yet a postscript. [Reads] "Thou canst not choose but know who I am. If thou entertainest my love, let it appear in thy smiling ; thy smiles become thee well; therefore in my presence still smile, dear my sweet, I prithee Jove, I thank thee: I will smile; I will do everything that thou wilt have me." »

  • La transgression sexuelle pour le maintien de la hiérarchie socio-économique ?

    Dès son introduction dans l’intrigue de la pièce, Viola décide de se travestir pour servir le

    Duc en tant que fou/musicien. Mais c’est en tant qu’eunuque qu’elle demande à lui être présentée :

    (« I’ll serve this Duke;/Thou shalt present me as an eunuch to him » ; Twelfth , Acte I, scène II, vers

    55-56).

    Au cours du développement de la pièce, Viola, tout d’abord engagée par le Duc comme

    chanteur, devient son porte-parole amoureux qui, tel Cyrano de Bergerac dans la pièce d’Edmond

    Rostand, courtise Olivia au nom du Duc et parvient, ce faisant, à gagner son cœur. Le charme de

    Viola opère et séduit Olivia davantage que ne l’a fait Orsino, tant et si bien que le vocabulaire

    utilisé par Viola devant le succès de son stratagème suggère même la grossesse :

    Pauvre femme, il vaudrait mieux pour elle d’être amoureuse d'un songe ! Déguisement, tu es, je le vois, une méchanceté, dont l'adroit ennemi du genre humain sait tirer grand parti. Combien il est aisé à ceux qui ont quelques appâts pour tromper de faire impression sur la molle cire du coeur des femmes ! Hélas ! c'est la faute de notre fragilité, et non pas la nôtre ; car nous sommes ce que nous avons été faites

    15.

    Cette transgression de l’ordre sexuel suggère clairement l’homosexualité et pallie, à l’évidence, la

    transgression sociale qui semble elle-même effacée par une dégradation sociale progressive de

    Viola alors que son stratagème de déguisement en homme lui porte chance : ses tirades évoluent

    d’impératifs catégoriques à l’Acte I, qui sont conformes à son statut social, à des soliloques à l’Acte

    II ainsi que le note Krieger16, pour s’estomper encore en prières dépouillées de la puissance de

    conviction qui animait ses injonctions initiales. Tout suggère une perte progressive de pouvoir dans

    l’ordre social permettant la réintégration du personnage dans l’ordre et la hiérarchie à la fin de la

    pièce avec le dévoilement de sa véritable identité sexuelle.

    Si l’analyse marxiste de Krieger des modes d’expression de Viola est juste, la subversion

    carnavalesque de l’ordre social recourrait au renversement de la hiérarchie sexuelle comme

    métaphore de cette transgression, puisqu’une fois dégradée symboliquement de sa position

    originelle, Viola est présentée par le vers d’Orsino comme son égale. Si le Duc n’est pas destitué de

    son titre et de sa position sociale dans la réalité par sa posture carnavalesque de serviteur, il affirme

    lui-même que Viola, dépouillée de la puissance des ordres et devenue sa servante, est en fait la

    maîtresse de son maître, et qu’il est donc descendu à son niveau.

    15 « Poor lady, she were better love a dream/ Disguise, I see, thou art a wickedness,/ Wherein the pregnant enemy does

    much./ How easy is it for the proper-false/ In women's waxen hearts to set their forms!/ Alas, our frailty is the cause, not we!/ For such as we are made of, such we be. » (A. II, sc. II, v. 27-28, 39-45). 16 « apostrophes she can utter only in soliloquy by Act II » (KRIEGER Elliot, “Twelfth Night.” A Marxist Study of

    Shakespeare’s Comedies. New York, Barnes & Noble Books, 1979. p. 107).

  • La conclusion de Twelfth Night, avec les mariages de nouveau appariés dans le respect des

    genres, rétablit l’ordre social, signifiant que le temps du carnaval est forclos. Viola et son frère

    jumeau sont rétablis dans leur statut social et épousent respectivement des personnes du sexe

    opposé, Olivia épousant Antonio alors que le Duc épouse Viola finalement débarrassée de son

    accoutrement masculin. Maria épouse Sir Toby, ce qui constitue pour elle une ascension sociale

    acceptable et la comédie se termine dans l’apaisement des tensions introduites par l’ordre inversé

    rendu tolérable car limité dans le temps. L’expression des excès du carnaval n’est admise qu’en

    raison du caractère strictement ponctuel de la transgression.

    2. La Loi abusive et la transgression salutaire, ou La mise en scène subversive de la transgression

    Measure for Measure ou l’absence de mesure de la Loi

    La pièce Measure for Measure met en scène tant la question de la transgression de la Loi que

    celle d’une Loi excessive qui conduit à la transgression nécessaire, voire salutaire. La pièce fut

    interprétée historiquement comme une critique de la loi puritaine aux XVIIe et XVIIIe siècles, puis

    au XIXe comme l’apologie de la vertu absolue d’Isabela, préférant la mort de son frère au sacrifice

    de sa vertu, puis comme la peinture des affres du purgatoire par Claudio.

    Face à la Loi punitive qui ferait preuve d’excès en condamnant à mort l’homme coupable de

    transgression des lois sexuelles, la plus odieuse des vies devient préférable à la mort, qui s’annonce,

    de fait, semblable à l’enfer :

    Claudio

    Ô Isabelle ! Isabelle

    Que dit mon frère ? Claudio

    Que la mort est une chose terrible. Isabelle

    Et une vie sans honneur, une chose haïssable. Claudio

    Oui ; mais mourir, et aller on ne sait où ; être gisant dans une froide tombe, et y pourrir ; perdre cette chaleur vitale et douée de sentiment, pour devenir une argile pétrie ; tandis que l'âme accoutumée ici-bas à la jouissance se baignera dans les flots brûlants, ou habitera dans les régions d'une glace épaisse, emprisonnée dans les vents invisibles, pour être emportée violemment et sans relâche par les ouragans autour de ce globe suspendu dans l'espace, ou pour subir un sort plus affreux que le plus affreux que ceux que la pensée errante et incertaine imagine avec un cri d'épouvante ; oh ! cela est trop horrible. La vie de ce monde la plus pénible et la plus odieuse que la vieillesse, ou la misère, ou la douleur, ou la prison

  • puissent imposer à la nature, est encore un paradis auprès de tout ce que nous appréhendons de la mort.

    Isabelle Hélas ! hélas

    17 !

    La mort devient enfer et la plus terrible des vies paradis. La transgression peut être amendée par le

    purgatoire d’une vie de souffrance. Face à une transgression sexuelle dévoilée par la vie qu’elle a

    transmise, puisque la jeune fille aimée par Claudio est enceinte, la mort est une punition excessive,

    et le pouvoir qui l’impose est lui-même dans la transgression de la Loi morale.

    Le rétablissement de la Loi par son inversion puis sa subversion

    Dans la pièce Measure for Measure, Angelo, à qui le Duc confie son pouvoir en son absence,

    a souvent été interprété comme l’incarnation du Puritanisme. En référence aux vertus bibliques

    fondatrices, il est l’homme de la Justice, qu’il applique strictement, sans la pondérer de bonté ni de

    générosité. Measure for measure transpose au théâtre le commandement de « mida keneged

    midah » que l’on traduit soit par « qualité pour qualité », ou « mesure pour mesure », mais plus

    généralement par l’expression « œil pour œil, dent pour dent ». Le titre évoque ainsi plusieurs

    dimensions de la Loi éthique à laquelle se réfère Angelo qui, d’une certaine façon, se prend pour un

    ange.

    Angelo rend la justice strictement, dans toute sa rigueur. Il applique à la lettre les vertus

    exigées par la Bible. Mais il ne les associe pas à leur vertu contraire. Le Duc, caché comme le serait

    le Dieu caché, évoquant Jacques Ier qui se cachait de la foule et s’en remettait aux Puritains, laisse

    toute liberté à Angelo avant de lui démontrer par une cruelle mise en lumière de sa propre vie, qu’il

    n’est pas lui-même à la hauteur des vertus qu’il prône, puisqu’il a lui-même commis dans sa

    jeunesse la même transgression qu’il condamne aujourd’hui avec une jeune fille qu’il a aimée. Œil

    pour œil et dent pour dent, Angelo, selon sa propre loi, doit alors être lui-même condamné, voire

    exécuté. La cruauté de la justice pure révèle sa destructivité. Le Duc, ayant donné libre cours à cette

    justice en armant le bras d’Angelo (qui, à ce titre n’est plus qu’un pion dans un jeu ou une

    démonstration) s’autorise ensuite à contredire cette loi, à l’inverser en condamnant Angelo, avant

    de la subvertir, de l’abolir symboliquement par l’effet de sa clémence. Tout se passe comme si le

    changement de la loi par l’intervention toute-puissante du Duc permettait de maintenir

    17 CLAUDIO : « O Isabel ! » ISABELLE : « What says my brother ? » CLAUDIO : « Death is a fearful thing. » ISABELLE :

    « And shamed life a hateful. » CLAUDIO : « Ay, but to die, and go we know/ To lie in cold obstruction, and to rot;/ This sensible warm motion to become/ A kneaded clod; and the delighted spirit/ To bathe in fiery floods, or to reside/ In thrilling regions of thick-ribbed ice;/ To be imprison’d in the viewless winds,/ And blown with restless violence round about/ The pendent world; or to be worse than worst/ Of those, that lawless and incertain thoughts/ Imagine howling! –‘tis too horrible !/ The weariest and most loathed worldly life,/ That age, ache, penury, and imprisonment/ Can lay on nature, is a paradise/ To what we fear of death. » ISABELLE : « Alas ! Alas ! » (A. III, sc. I, v. 114-132).

  • symboliquement son existence tout en l’adaptant aux faiblesses de l’être humain, et en lui

    permettant d’accéder à la repentance.

    La transgression par la révélation théâtrale de la vérité

    Le Duc met en scène la révélation de la faute passée d’Angelo en voilant, puis en dévoilant

    publiquement la jeune fille qu’il a séduite. Le jeu de voilement/dévoilement, qui métaphorise le

    processus théâtral lui-même, participe à la remise en ordre symbolique du « royaume »

    (« kingdom ») du Duc par la transgression de la Loi par le tenant même de la Loi. Le jeu de

    voilement/dévoilement est donc sémantiquement associé à une forme de double inversion qui

    redonnerait son sens authentique aux Lois. Comme toute métaphore, le tenant et le véhicule sont

    révélateurs l’un de l’autre. Le voilement de la jeune fille s’énonce comme une forme de

    dissimulation de la vérité et correspond symboliquement à la première transgression sexuelle, soit

    celle d’Angelo, cachée du regard public non seulement par sa propre dissimulation mais aussi par

    l’instauration d’une Loi excessive le désignant comme tenant de la Pureté. Le dévoilement de la

    jeune fille révèle tout autant la dimension transgressive de la Loi excessive que la nature réelle,

    humaine, fautive, d’Angelo, et la nécessaire transgression de la Loi transgressive, sa subversion ou

    son inversion, pour atteindre la vérité et permettre la vie.

    La transgression de la Loi, divine, ou humaine, sociale ou symbolique, n’a cependant pas la

    même fonction dynamique dans les comédies comme Measure for Measure que dans les tragédies,

    où la transgression est toujours source de destructivité et non de vie. Dans le cas de Richard III,

    comme dans celui de Romeo and Juliet, la transgression est associée au meurtre ou au suicide,

    comme si la transgression était, en définitive, une force dynamique qui porterait vers la vie ou vers

    la mort, selon la personnalité du transgresseur.

    3. Transgressions tragiques du meurtre et du blasphème : la Tragédie de Richard III et la mise en scène de la destructivité de la transgression

    Ainsi, quand il jure sans cesse par saint Paul, Richard fait appel à une querelle théologique

    fameuse de la Renaissance, dite du Paulinisme, qu’il caricature par ses actions.

    La querelle du Paulinisme, qui a déchiré l’Église et fondé la scission de la Réforme,

    concernait la place à accorder à la grâce et celle à concevoir pour le libre arbitre de l'homme. Le

    Paulinisme, en se fondant sur la théologie de saint Paul, selon laquelle plus l'homme pèche et plus

    la divinité peut le racheter s'il se repent, est tourné en ridicule par Richard, qui tue tous les héritiers

    de la couronne et se marie avec la veuve de sa victime qu'il sacrifiera à son tour une fois son désir

    assouvi. Par l’évocation constante de saint Paul, Richard confronte l'homme de la Renaissance à

    l'aspect le plus absurde de cette doctrine. Selon cette logique, plus il commettrait de crimes, plus il

  • contribuerait au rachat de son âme, bien qu’étant des plus diaboliques. Ainsi donc, après avoir

    satisfait ses pulsions destructrices, lui serait accordée par son repentir la satisfaction de son rachat.

    La transgression de la Loi divine et la querelle du Paulinisme

    Dans la pièce éponyme, Richard III ponctue ses répliques d’incessants jurons scandés contre

    saint Paul. Dès la scène 1 de l’Acte I, Richard jure par saint Paul juste avant d’énoncer son plan

    diabolique : tuer Clarence pour prétendre au trône. Hastings lui annonce que le roi se porte mal, et

    Richard jure par saint Paul pour introduire son premier mensonge :

    Hastings

    Il n'y a rien au dehors d'aussi fâcheux que ce qui se passe ici. Le roi est en mauvais état, faible, mélancolique, et ses médecins en sont fort inquiets.

    Glocester Oui, par saint Paul; voilà une nouvelle bien fâcheuse en effet ! Oh! il a suivi longtemps un mauvais régime ; et il a par trop épuisé sa royale personne: cela est triste à penser. Mais quoi, garde-t-il le lit ?

    Hastings Il est au lit.

    Glocester Allez-y le premier, et je vais vous suivre. (Hastings sort.) Il ne peut vivre, je l'espère: mais il ne faut pas qu'il meure avant que George ait été dépêché en poste pour le ciel

    18.

    Lorsqu’à la scène 2, les porteurs entrent avec le corps du roi défunt pleuré par sa veuve, Richard a

    déjà décidé d’épouser Lady Anne pour hériter du trône. Et c’est encore en jurant par saint Paul qu’il

    désorganise le cortège funèbre et les derniers hommages rendus au défunt roi :

    Toujours à Londres. Une rue. Entre le convoi du roi Henri VI ; son corps est porté dans un cercueil découvert et entouré de troupes avec des hallebardes; LADY ANNE, suivant le deuil.

    Lady Anne Déposez, déposez ici votre honorable fardeau (si du moins l'honneur peut s'ensevelir dans un cercueil). Laissez-moi un moment répandre les pleurs du deuil Sur la mort prématurée du vertueux Lancastre. Pauvre image glacée d'un saint roi ! Pâles cendres de la maison de Lancastre ! restes privés de sang royal, qu'il me soit permis d'adresser à ton ombre la prière d'écouter les lamentations de la pauvre Anne,

    18 HASTINGS : « No news so bad abroad as this at home/ The King is sickly, weak and melancholy,/ And his physicians

    fear him mightily. » GLOUCESTER : « Now, by Saint Paul, this news is bad indeed./ O, he hath kept an evil diet long,/ And overmuch consumed his royal person : / 'Tis very grievous to be thought upon./ What, is he in his bed ? » HASTINGS : « He is. » GLOUCESTER : « Go you before, and I will follow you. » [Exit HASTINGS] He cannot live, I hope; and must not die/ Till George be pack'd with post-horse up to heaven. » C’est nous qui soulignons.

  • de la femme de ton Édouard, de ton fils massacré, percé de la même main qui t'a fait ces blessures ! [...]. Allons, marchez maintenant vers Chertsey, avec le saint fardeau que vous avez tiré de Saint-Paul, pour l'inhumer en ce lieu, Et toutes les fois que vous serez fatigués de le porter, reposez-vous, tandis que je ferai entendre mes lamentations sur le corps du roi Henri. (Entre Glocester.)

    Glocester .Arrêtez, vous qui portez ce corps; posez-le à terre.

    Lady Anne Quel noir magicien évoque ici ce démon, pour venir mettre obstacle aux oeuvres pieuses de la charité ?

    Glocester Misérables, posez ce corps, ou, par saint Paul, je fais un corps mort du premier qui me désobéira.

    Un gentihomme Milord, rangez-vous, et laissez passer ce cercueil.

    Glocester Chien mal-appris! Arrête quand je te l'ordonne : relève ta hallebarde de dessous ma poitrine ; ou, par saint Paul, je t'étends à terre d'un seul coup, et je te foule sous mes pieds, malotru, pour punir ton audace

    19.

    Et lorsque quelques vers plus loin, Lady Anne lui reproche son insensibilité démoniaque, c’est par

    la règle de charité du Paulinisme, qui transforme les malédictions en bénédictions que Richard lui

    répond :

    Glocester

    Madame, vous ignorez les règles de la charité, qui rend le bien pour le mal, et bénit ceux qui nous maudissent.

    Lady Anne Scélérat, tu ne connais aucune loi, ni divine ni humaine : il n'est point de bête si féroce qui ne sente quelque atteinte de pitié.

    Glocester Je n'en sens aucune, preuve que je ne suis point une de ces bêtes.

    Lady Anne O quel prodige d’entendre des diables dire la vérité

    20 !

    19 The same. Another street. Enter the corpse of KING HENRY the Sixth, Gentlemen with halberds to guard it; LADY

    ANNE being the mourne. LADY ANNE : « Set down, set down your honourable load,/ If honour may be shrouded in a hearse,/ Whilst I awhile obsequiously lament/ The untimely fall of virtuous Lancaster./ Poor key-cold figure of a holy king !/ Pale ashes of the house of Lancaster !/ Thou bloodless remnant of that royal blood !/ Be it lawful that I invocate thy ghost,/ To hear the lamentations of Poor Anne,/ Wife to thy Edward, to thy slaughter'd son,/ Stabb'd by the selfsame hand that made / these wounds !/ […]/ Come, now towards Chertsey with your holy load,/ Taken from Paul's to be interred there;/ And still, as you are weary of the weight,/ Rest you, whiles I lament King Henry's corse. » Enter GLOUCESTER. GLOUCESTER : « Stay, you that bear the corse, and set it down. » LADY ANNE : « What black magician conjures up this fiend,/ To stop devoted charitable deeds ? » GLOUCESTER : « Villains, set down the corse; or, by Saint Paul,/ I'll make a corse of him that disobeys. » GENTLEMAN : « My lord, stand back, and let the coffin pass. » GLOUCESTER : « Unmanner'd dog! stand thou, when I command:/ Advance thy halbert higher than my breast,/ Or, by Saint Paul, I'll strike thee to my foot,/ And spurn upon thee, beggar, for thy boldness. » ; c’est nous qui soulignons. 20 GLOUCESTER : « Lady, you know no rules of charity,/ Which renders good for bad, blessings for curses. » LADY

    ANNE : « Villain, thou know'st no law of God nor man:/ No beast so fierce but knows some touch of pity. » GLOUCESTER : « But I know none, and therefore am no beast. » LADY ANNE : « O wonderful, when devils tell the truth ! »

  • L'énoncé des prophéties bibliques par Richard ou par ses victimes prend valeur de soulignement de

    cet aveuglement. Tout se passe comme si les avertissements énoncés par le meurtrier lui-même, en

    référence aux textes fondateurs de la foi, étaient ignorés par tous. Les victimes elles-mêmes, comme

    Clarence, rêvent du destin du royaume comme le font souvent les rois shakespeariens ou les

    pharaons égyptiens, qui s’avèrent incapables de décrypter leur sens.

    Clarence est persuadé que l’affection de Gloucester pour lui est réelle et le protège, et lorsque

    les deux meurtriers surgissent dans sa cellule pour le tuer, il ne parvient pas à admettre que c’est sur

    l’ordre de Richard que son propre meurtre va avoir lieu :

    Second Assassin

    Vous êtes dans l'erreur: votre frère Glocester vous hait. Clarence

    Oh! cela n'est pas. Il m'aime, et je lui suis cher: allez le trouver de ma part.

    Les deux assassins Oui, nous irons.

    Clarence Dites-lui que lorsque notre illustre père York bénit ses trois fils de sa main victorieuse, et nous recommanda du fond de son coeur de nous aimer mutuellement, il ne prévoyait guère cette discorde dans notre amitié. Dites à Glocester de se souvenir de cela, et il pleurera.

    Premier assassin Oui, des meules de moulin: voilà les pleurs qu'il nous a enseignés à verser.

    Clarence Oh! ne le calomniez pas; il est bon.

    Premier assassin C’est juste. Comme la neige au temps de la récolte… Vous vous méprenez. C’est lui qui nous envoie pour vous tuer.

    Clarence Cela ne peut pas être, car il a gémi de ma disgrâce, et, me serrant dans ses bras, il m'a juré, avec des sanglots, qu'il travaillerait à ma délivrance.

    Second assassin C'est ce qu'il fait aussi lorsqu'il veut vous délivrer de l'esclavage de ce monde, pour vous envoyer aux joies du ciel.

    Premier assassin Faites votre paix avec Dieu; car il vous faut mourir, milord.

    Clarence Comment, ayant dans l'âme cette sainte pensée de m'engager à faire ma prière avec Dieu, peux-tu être assez aveugle sur les intérêts de ton âme pour faire la guerre à Dieu en m'assassinant? Ô mes amis, réfléchissez, et songez bien que celui qui vous a envoyés pour commettre ce forfait vous haïra pour l'avoir commis.

    Second assassin Qu’allons nous faire ?

    Clarence Repentez-vous et sauvez vos âmes. […].

    Second assassin

  • Détournez la tête, milord. Premier assassin (le poignardant)

    Tiens ! tiens encore ! et si tout cela ne suffit pas, je vais vous noyer dans ce tonneau de malvoisie qui est ici à côté

    21.

    À la naïveté de ses victimes qui protestent de l’humanité et des bons sentiments qu’ils croient

    reconnaître chez Richard, celui-ci oppose la froideur de son cynisme et ses implacables stratégies

    pour parvenir à ses fins. S’appliquant avec talent à jouer au faux dévot, il procède avec méthode

    pour pousser à son paroxysme la logique de la transgression de la loi religieuse. Il arpente la scène

    de son palais le missel à la main, déclamant sans vergogne les mots des prières dont il ne redoute

    pas de désacraliser le sens, incarnant avec foi l’hypocrisie dans le domaine sacré de la foi. À la

    scène 7 de l’Acte III, Buckingham conseille à Richard de feindre la dévotion, recommandation dont

    l’ironie dramatique souligne au spectateur le dévoilement du subterfuge de Richard :

    Glocester

    Mais le maire et ses adjoints ne viendront-ils pas? Buckingham

    Le maire est tout près d'ici, milord. Montrez quelque crainte. Ne leur donnez audience qu'après de vives insistances et ayez soin de paraître devant eux un livre de prières à la main, et entre deux ecclésiastiques, mon bon seigneur ; car je veux sur ce texte faire un sermon édifiant Et ne vous laissez pas aisément gagner à nos sollicitations Jouez le rôle de la jeune fille: répondez toujours non, tout en acceptant

    22.

    Gloucester s’emploie ici à feindre la dévotion à la perfection. Il prend visiblement du plaisir à ce

    jeu, ce qui lui fait interpréter le rôle avec une conviction telle qu’il persuade ses victimes qui, quant

    à elles, croient sincère ce qui n’est qu’imposture :

    (Glocester paraît sur un balcon élevé, entre deux évêques. Catesby revient avec lui.)

    Le maire Eh! tenez, voilà Sa Grâce qui arrive entre deux ecclésiastiques !

    21

    SECOND MURDERER : « You are deceived, your brother Gloucester hates you. » CLARENCE : « O, no, he loves me, and he holds me dear:/ Go you to him from me. » BOTH : « Ay, so we will. » CLARENCE : « Tell him, when that our princely father York/ Bless'd his three sons with his victorious arm,/ And charged us from his soul to love each other,/ He little thought of this divided friendship:/ Bid Gloucester think of this, and he will weep. » FIRST MURDERER : « Ay, millstones; as be lesson'd us to weep. » CLARENCE : « O, do not slander him, for he is kind. » FIRST MURDERER : « Right, As snow in harvest. Thou deceivest thyself:/ 'Tis he that sent us hither now to slaughter thee. » CLARENCE : « It cannot be; for when I parted with him,/ He hugg'd me in his arms, and swore, with sobs,/ That he would labour my delivery. » SECOND MURDERER : « Why, so he doth, now he delivers thee/ From this world's thraldom to the joys of heaven. » FIRST MURDERER : « Make peace with God, for you must die, my lord. » CLARENCE : « Hast thou that holy feeling in thy soul,/ To counsel me to make my peace with God,/ And art thou yet to thy own soul so blind,/ That thou wilt war with God by murdering me?/ Ah, sirs, consider, he that set you on/ To do this deed will hate you for the deed. » SECOND MURDERER : « What shall we do ? » CLARENCE : « Relent, and save your souls. » SECOND MURDERER : « Look behind you, my lord. » FIRST MURDERER (Stabs him) : « Take that, and that: if all this will not do,/ I’ll drown you in the malmsey-butt within. » (A. II, sc. IV , v. 217-254). 22 GLOUCESTER : « Will not the mayor then and his brethren come ? » BUCKINGHAM : « The mayor is here at hand:

    intend some fear;/ Be not you spoke with, but by mighty suit:/ And stand betwixt two churchmen, good my lord,/ For on that ground I'll build a holy descant,/ And be not easily won to our request:/ Play the maid's part, still answer nay/ and take it. »

  • Buckingham Deux appuis pour la vertu d'un prince chrétien, Et qui le préservent des chutes de la vanité ! Voyez ! dans sa main un livre de prières: ce sont là les véritables parures auxquelles se fait reconnaître un saint. Fameux Plantagenêt, très-gracieux prince, Prête une oreille favorable à notre requête, et pardonne-nous d'interrompre les dévots exercices de ton zèle vraiment chrétien.

    Glocester Milord, vous n'avez pas besoin d'excuse C'est moi qui vous prie de me pardonner Si mon ardeur pour le service de mon Dieu M'a fait négliger la visite de mes amis. Mais laissons cela; que désire Votre Grâce?

    Buckingham Une chose qui, j'espère, sera agréable à Dieu, et réjouira tous les bons citoyens de cette île dans l'anarchie.

    Glocester Vous me faites craindre d'avoir commis quelque faute répréhensible aux yeux de cette ville, et vous venez sans doute me reprocher mon ignorance.

    Buckingham Vous avez deviné juste, milord. Votre Grâce daignerait-elle à nos instantes prières, réparer sa faute ?

    Glocester Comment pourrais-je autrement vivre dans un pays chrétien ?

    Buckingham Sachez donc que vous êtes coupable d'abandonner Le siège suprême, le trône majestueux, Les fonctions souveraines de vos ancêtres, les grandeurs qui vous appartiennent, les droits de votre naissance et la gloire héréditaire de votre royale maison, au rejeton corrompu d'une tige souillée; tandis que vous êtes plongé dans le calme de vos pensées assoupies, dont nous venons de vous réveiller aujourd'hui pour le bien de notre patrie

    23.

    Dans cette scène comme tout au long de la pièce, Richard de Gloucester se sert, au sens trivial du

    terme, de la foi des hommes et des plus grandes théories de l'absolution pour tourner en dérision

    l’Écriture Sainte et Shakespeare utilise la duplicité de ce personnage pour mettre en scène une des

    grandes querelles théologiques de son temps, le Paulinisme.

    23 (Enter GLOUCESTER aloft, between two Bishops. CATESBY returns.) LORD MAYOR : « See, where he stands between

    two clergymen ! » BUCKINGHAM : « Two props of virtue for a Christian prince,/ To stay him from the fall of vanity:/ And, see, a book of prayer in his hand,/ True ornaments to know a holy man./ Famous Plantagenet, most gracious prince,/ Famous Plantagenet, most gracious prince,/ Lend favourable ears to our request;/ And pardon us the interruption / Of thy devotion and right Christian zeal. » GLOUCESTER : « My lord, there needs no such apology:/ I rather do beseech you pardon me,/ Who, earnest in the service of my God,/ Neglect the visitation of my friends./ But, leaving this, what is your grace's pleasure ? » BUCKINGHAM : « Even that, I hope, which pleaseth God above,/ And all good men of this ungovern'd isle. » GLOUCESTER : « I do suspect I have done some offence/ That seems disgracious in the city's eyes,/ And that you come to reprehend my ignorance ? » BUCKINGHAM : « You have, my lord: would it might please your grace / At our entreaties, to amend that fault ! » GLOUCESTER : « Else wherefore breathe I in a Christian land ? » BUCKINGHAM : « Then know, it is your fault that you resign / The supreme seat, the throne majestical,/ The scepter'd office of your ancestors,/ Your state of fortune and your due of birth,/ The lineal glory of your royal house,/ To the corruption of a blemished stock ;/ Whilst, in the mildness of your sleepy thoughts,/ Which here we waken to our country's good. »

  • Richard III transgresse la Loi morale et organise une entreprise systématique de destructivité.

    Il ne se contente pas de tuer et de faire assassiner. Il le fait sans émotion et dans le seul but

    d’atteindre le pouvoir, réduisant les individus qui l’entourent à des objets insignifiants.

    Transgression de la Loi morale et meurtre

    Si, dans l’oeuvre de Shakespeare, Richard III Plantagenêt incarne la transgression de la Loi

    morale, nombreux sont les critiques et les historiens qui ont noté l’écart entre la vérité historique du

    souverain éponyme de la tragédie shakespearienne et le personnage qui l’incarne sur scène. Le

    dernier des Plantagenêts n’était, semble-t-il, ni plus cruel ni plus cynique que ses illustres

    prédécesseurs. Shakespeare utilise la trame historique, évoquant les batailles sanglantes ayant

    permis l’établissement des dynasties anglaises, dans le but évident de créer un contrepoids à

    l’écriture de l’Histoire selon les Tudors. Mais au-delà de cette Histoire politiquement incorrecte,

    Shakespeare superpose souvent des types historiques et des événements historiques successifs pour

    donner plus de densité à son personnage.

    Dans le Richard III de Shakespeare, il ne s’agit pas d’une étude ou d’un travail fondé sur

    l’authentique et primordiale matière historique, mais d’une oeuvre de recréation historique

    transformant Richard III en un personnage habité par l’horreur que lui inspire sa difformité

    physique au point d’être débordé par les mouvements envieux, destructeurs qui l’animent. Ainsi,

    dès la première scène, il s’adresse au soleil, emblème de la royauté, à l’imitation, dans le monde

    matériel, du divin qu’il entreprend de défier. Face à l’astre du jour, il proclame froidement ses

    desseins de meurtre, et cette annonce, tel un prologue, va se réaliser avec une dimension

    irrémédiable et tragique.

    [À Londres. Une rue. Entre Glocester, seul.]

    Glocester Enfin le soleil d'York a changé en un brillant été l'hiver de nos disgrâces et les nuages qui s'étaient abaissés sur notre maison sont ensevelis dans le sein du profond Océan. Maintenant notre front est ceint des guirlandes de la victoire, et nos armes brisées sont suspendues Le funeste bruit des combats a fait place à de joyeuses réunions, nos marches guerrières à des danses agréables. La guerre au visage renfrogné a aplani son front chargé de rides […]. Mais moi qui ne suis point formé pour ces jeux badins Ni tourné de façon à caresser de l'oeil une glace amoureuse, moi qui suis grossièrement bâti et qui n'ai point cette majesté de l'amour qui se pavane devant une nymphe folâtre et légère; moi en qui sont tronquées toutes les belles proportions, moi dont la perfide nature évita traîtreusement de tracer les traits lorsqu'elle m'envoya avant le temps dans ce monde des vivants, difforme, ébauché, à peine à moitié fini, et si irrégulier, si étrange à voir, que les chiens aboient contre moi, moi qui, dans ces ébats efféminés de la paix

  • n'ai aucun plaisir auquel je puisse passer le temps, à moins que je ne le passe à observer mon ombre au soleil et à deviser sur ma propre difformité ; si je ne puis être amant et contribuer aux plaisirs de ces beaux jours de galanterie, je suis décidé à me montrer un scélérat, et à haïr les amusements de ces jours de frivolité. J'ai ourdi des plans, j'ai fait servir de radoteuses prophéties, des songes, des libelles à élever de dangereux soupçons, propres à animer l'un contre l'autre d'une haine mortelle mon frère Clarence et le roi ; Et pour peu que le roi Édouard soit aussi franc, aussi fidèle à sa parole, que je suis rusé, fourbe et traître, ce jour doit voir Clarence mis en cage d'après une prédiction qui annonce que G donnera la mort aux héritiers d'Édouard. Pensées, replongez-vous dans le fond de mon âme. Voilà Clarence

    24.

    La didascalie souligne le défi mégalomaniaque de Richard qui, ne supportant plus la projection de

    l’ombre de son dos bossu, veut à son tour briller en lieu et place du soleil (solus, seul, rend un écho

    intéressant à solis) ; certes Richard défie la Loi morale, mais pas seulement. Il entreprend également

    de s’attaquer à la Loi de la Nature, et même aux lois régnant sur l’ordre des prophéties. Ainsi, nul

    ne peut désormais aspirer à dormir, voire à mourir en paix sous le règne de Richard qui, comme

    Macbeth, s’applique, s’ingénie à défier la Loi divine et l’ordre même établi par la Loi de la Nature.

    Transgression de la Nature

    La pièce de Macbeth déploie plus amplement cette thématique de la transgression de la Loi de

    la Nature. Les troupes de théâtre nourrissent significativement à son égard une fascination mêlée de

    crainte. En Angleterre, il est fréquent de l’entendre désigner par les acteurs ou les metteurs en scène

    comme « la pièce écossaise », car son vrai nom, Macbeth, est associé à toutes sortes de

    superstitions, dont par exemple la croyance que la seule mention de son titre entraînerait des

    déconvenues de toutes sortes, voire de possibles désastres pour la troupe qui la joue. Certes, la pièce

    met en scène des personnages inquiétants de sorcières, elle est hantée d’apparitions, de fantômes

    24 (Act I Scene I. London. A street. Enter GLOUCESTER, solus.) GLOUCESTER : « Now is the winter of our discontent

    Made glorious summer by this sun of York;/ And all the clouds that lour'd upon our house / In the deep bosom of the ocean buried./ Now are our brows bound with victorious wreaths;/ Our bruised arms hung up for monuments;/ Our stern alarums changed to merry meetings,/ Our dreadful marches to delightful measures./ Grim-visaged war hath smooth'd his wrinkled front,/ […]/But I, that am not shaped for sportive tricks,/ Nor made to court an amorous looking-glass;/ I, that am rudely stamp'd, and want love's majesty / To strut before a wanton ambling nymph;/ I, that am curtail'd of this fair proportion,/ Cheated of feature by dissembling nature,/ Deformed, unfinish'd, sent before my time / Into this breathing world, scarce half made up,/ And that so lamely and unfashionable / That dogs bark at me as I halt by them;/ Why, I, in this weak piping time of peace,/ Have no delight to pass away the time,/ Unless to spy my shadow in the sun / And descant on mine own deformity:/ And therefore, since I cannot prove a lover,/ To entertain these fair well-spoken days,/ I am determined to prove a villain / And hate the idle pleasures of these days./ Plots have I laid, inductions dangerous,/ By drunken prophecies, libels and dreams / To set my brother Clarence and the king / In deadly hate the one against the other ;/ And if King Edward be as true and just / As I am subtle, false and treacherous,/ This day should Clarence closely be mew'd up,/ About a prophecy, which says that 'G'/ Of Edward's heirs the murderer shall be./ Dive, thoughts, down to my soul: here Clarence comes. »

  • terrifiants et jalonnée de meurtres sanglants. Dans le monde du théâtre, où les processus

    identificatoires sont fortement mobilisés, jouer cette pièce pourrait porter malheur, tant l’action et le

    texte convoqueraient le Mal, voire le Malin.

    Mais plus que toute autre tragédie shakespearienne, Macbeth touche aux racines d’un mal

    ressortissant à une transgression particulière, car Macbeth et son épouse, outre qu’ils recourent aux

    pouvoirs surnaturels des sorcières, s’emploient à commettre des crimes contre nature, selon leurs

    propres termes. Chaque individu, chaque vie humaine, est porteur d’un sens particulier dans la

    métaphysique shakespearienne : « le monde entier est un théâtre/ Où chacun a un rôle à jouer25. »

    Lorsque le meurtrier décrit la mort de Banquo à Macbeth, il l’évoque comme la mort « la moins

    naturelle qui soit » : « Mais aujourd'hui ils se relèvent avec vingt blessures / mortelles sur le crâne,

    et viennent nous chasser de nos sièges : cela est plus étrange à la Nature / que ne le peut être un

    pareil meurtre26. » Dans ce vers, la Nature est synonyme de vie, en tant que force (ré)génératrice de

    vie. Par son implication dans les assassinats, Lady Macbeth pervertit son rôle de femme qui donne

    la vie et inverse l’ordre de la Nature en privilégiant en elle l’expression de sa force de destruction.

    Macbeth nous présente, avec le meurtre de Duncan dans son sommeil, une illustration de

    perversion de la Loi de la Nature, par l’assimilation de la nature du sommeil avec la nature de la

    mort : « Maintenant dans la moitié du monde la nature semble morte, et des songes funestes abusent

    le sommeil enveloppé de rideaux27. » Parce que tous sont endormis, la Nature semble morte

    (« nature seems dead »). Macbeth procède à l’assimilation de ces deux états du sommeil et de la

    mort comme semblables selon leur nature. Toutefois, lorsque la culpabilité le saisit, il reconnaît la

    nature différente de ces deux états en s’écriant : « Il m'a semblé entendre une voix crier : "Ne

    dormez plus ! / Macbeth assassine le sommeil, l’innocent sommeil, le sommeil qui / débrouille

    l'écheveau confus de nos soucis ; le sommeil, mort de la vie de / chaque jour, bain accordé à l'âpre

    travail, baume des âmes blessées, loi / tutélaire de la nature, l’aliment principal du tutélaire festin de

    la vie28." » Le sommeil ne représente plus alors, dans son propos, la mort de la Nature, il le désigne

    désormais comme une partie du cycle quotidien de la vie, « nature's second course », qui participe à

    la régénération de la vie et ne peut s’assimiler à la mort. Macbeth comprend alors la transgression

    que représente son crime, qui a contrevenu à l’ordre de la Nature et de la régénération de la vie.

    Commis durant le sommeil, le meurtre ne détruit pas seulement la vie mais aussi, avec elle,

    l’innocence créatrice de tous ces équilibres. Macbeth a tué le sommeil.

    25 « All the world is a stage / where everyone has got to play a part » (As You Like It).

    26 « With twenty trenched gashes on his head, The least a death to nature. » (Macbeth, A., sc. IV).

    27 « Now o'er the one-half world Nature seems dead, and wicked dreams abuse the curtained sleep » (ibid., A. II, sc. I).

    28 « Methought I heard a voice cry "Sleep no more! Macbeth does murder sleep!" - the innocent sleep, sleep that knits

    up the raveled sleave of care, The death of each day's … great nature's second course, chief nourisher in life's feast » (A. II, sc. II).

  • Lorsque Macbeth tue le sommeil, il transgresse la Loi de la Nature qui participe à la

    régénération de la vie. Le meurtre de Banquo tue la nature de Banquo comme être, esprit et âme.

    Macbeth déclare vouloir tuer Banquo parce qu’il craint sa nature en tant qu’être humain : « Nos

    craintes sur Banquo sont profondes, et dans ce naturel / empreint de souveraineté domine ce qu'il y

    a de plus à craindre./Il ose beaucoup, et à cette disposition d'esprit intrépide il joint une sagesse/qui

    enseigne à sa valeur la route la plus sûre29. » Pour convaincre les meurtriers du bien-fondé de leur

    tâche, il s’attaque donc à la nature de Banquo. Parce que les qualités réelles de Banquo, qu’il sait

    reconnaître, menacent ses ambitions (son « tempérament indomptable, sa sagesse, sa valeur, et la

    royauté de sa nature » [his] "dauntless temper", "wisdom", "valor", and "royalty of nature"), il les

    oppose à l’intérêt du peuple que la nature de Banquo appauvrirait. Il oppose encore la nature des

    meurtriers à celle de Banquo, qui doit mourir : « Trouvez-vous la patience si prédominante en votre

    Nature/ Que vous pourriez laisser passer tout cela ? Êtes-vous tant sous l’emprise des Évangiles que

    vous pourriez prier pour cet homme30 ? » Macbeth en appelle à leur virilité qu’il oppose à un

    possible angélisme qui les conduirait à leur propre perte : « we are men ». La manipulation dont ces

    deux hommes font l’objet de la part de Macbeth renverse leur nature innocente en nature meurtrière

    et les contamine de sa propre monstruosité : « Vos esprits rayonnent à travers vous31. » Le meurtre

    de la femme de Macduff et de ses enfants reprend la thématique du meurtre contre Nature car il

    s’attaque aux fondements de la régénération de la Nature et de la transmission de la vie. Lorsqu’il

    évoque le fils de Banquo, Macbeth parle de cet enfant en le projetant dans son avenir d’homme

    adulte : « le vers qui a fui et qui a une Nature qui le temps venu nourrira du venin n’a pas encore de

    dents32. » Il reconnaît avec lucidité l’innocence de ces vies alors même que son délire le pousse à se

    préserver d’un hypothétique danger : « Passez au fil de cette épée sa femme, ses enfants, et toutes

    les âmes infortunées qui suivent sa lignée33. » Macbeth assassine les enfants de Macduff car ce qu’il

    redoute d’eux, c’est la force de la Nature qui les pousse à grandir, ce qu’il perçoit comme une

    menace.

    Les liens familiaux que Macbeth détruit avec la famille de Macduff symbolisent la

    transmission de la vie d’une génération à l’autre, selon les lois de la Nature, ce à quoi s’est soustrait

    Macbeth et qu’il n’a pas accompli dans son parcours de vie. À propos de ce qui lui est infligé,

    Macduff souligne que Macbeth n’a pas d’enfants : « Il n'a point d'enfants […]. Il faut bien aussi que

    je me rappelle qu'il a existé dans le monde des êtres qui étaient pour moi ce qu'il y avait de plus

    29 « Our fears in Banquo Stick deep, and in his royalty of nature Reigns that which would be feared. 'Tis much he dares,

    And to that dauntless temper of his mind he hath a wisdom that doth guide his valor » (Acte III, scène I). 30 « Do you find Your patience so predominant in your nature/ That you can let this go? / Are you so gospeled To pray

    for this good man ? » (A. III, sc. IV). 31 « Your spirits shine through you. » (A. III, sc. I).

    32 « The worm that's fled Hath nature that in time will venom breed, No teeth for th' present. »

    33 « give to th' edge o' th' sword His wife, his babes, and all unfortunate souls That trace him in his line. » (A. IV, sc. I).

  • précieux. Le ciel l'a vu et n'a pas pris leur défense34 ! » Il sait que Macbeth ne peut comprendre ce

    lien naturel qu’il ne lui a pas été donné de connaître lui-même, mais qu’il peut s’employer à défaire

    comme une offense, un défi vis-à-vis des cieux qui « contemplent » sans agir, comme s’il lui avait

    seulement été accordé de perpétrer sa propre destructivité. Cette opposition créatrivité/destructivité

    mise en scène dans la pièce, qui tourne à l’avantage de la destructivité des personnages principaux,

    éclaire la superstition des comédiens qui incarnent ces rôles. Chez Lady Macbeth, le mal

    fondamental trouve son origine dans la transgression de la Nature en son propre corps dont elle

    condamne la dimension procréatrice, porteuse de vie, pour se consacrer à la transmission de la mort.

    Ainsi, lors du meurtre de Duncan, elle en appelle aux mauvais esprits et leur demande de lui

    enlever sa nature féminine : « Venez, venez, esprits qui excitez les pensées homicides ; / changez à

    l'instant mon sexe, et remplissez-moi jusqu'au bord, du sommet/ de la tête jusqu'à la plante des

    pieds, de la plus atroce cruauté./ [Épaississez mon sang ; fermez tout accès, tout passage aux

    remords ; ] et / que la nature, par aucun retour de componction, ne vienne ébranler mon / cruel

    projet35. » Elle déclare désirer être privée de sa sensibilité féminine, afin que les remords ne viennent

    pas perturber son sommeil (« visitings of nature ») et empêcher son ambition de se réaliser. Elle se

    risque même à imaginer le meurtre d’un bébé dans une terrible scène autofigurative illustrant sa

    propre destructivité contre-nature : « J’ai allaité et je sais combien il est doux d’aimer ce bébé qui

    me tette. Mais s’il me souriait à présent, j’arracherais sa bouche sans dent de mon sein et je ferais

    éclater sa cervelle par terre36. » (Acte I, scène VII ). La langue est crue, l’image terrifiante. La langue

    et l’image transforment la femme en un monstre effroyable, représentation contre-nature de la

    féminité.

    Semblable en cela à son époux, Lady Macbeth s’attache ensuite à pervertir la nature humaine

    de son mari, s’il en était besoin, afin de la rendre inhumaine : « Lorsque tu osais le faire, alors tu

    étais un homme. Et pour être davantage que tu n’étais alors, sois plus qu’un homme... Ancre ton

    courage au point de surgessence37. » Ainsi lorsque celui-ci hésite, elle déclare craindre sa nature

    encore trop innocente, trop faible : « Cependant je crains ta nature, elle est trop pleine du lait des /

    tendresses humaines pour te conduire par le chemin le plus court38. »

    Pour rétablir l’ordre de la Nature, Shakespeare choisit de porter l’estocade aux deux monstres

    qui trouvent « une mort qui n’est pas naturelle », et expient leurs actions contre nature. Les

    34 « He has no children (ibid.). I cannot but remember such things were That were most precious to me. Did heaven look

    on And would not take their part? » (A. IV, sc. III ). 35 « Come you spirits That tend on mortal thoughts, unsex me here, And fill me from the crown to the toe top-full Of

    direst cruelty … That no compunctious visitings of nature Shake my fell purpose » (A. I, sc. V). 36 « I have given suck, and know How tender 'tis to love the babe that milks me. I would, while it was smiling in my

    face, have plucked my nipple from its boneless gums And dashed the brains out. » 37 « When you durst do it, then you were a man; And to be more than what you were, you would Be so much more the

    man… Screw your courage to the sticking place. » (A. I, sc. VII ). 38 « Yet I do fear thy nature; It is too full o' th' milk of human kindness To catch the nearest way. » (A. I, sc. V).

  • métaphores finales de la pièce mettent en scène une Nature détournée de son ordre fondamental et

    guidée par les textes des sorcières. Lorsque la forêt déracinée avance et réalise la prophétie, la

    Nature transgressée se rebelle contre les deux monstres et vient les confondre en réalisant le texte…

    L’inversion comme figure de la transgression

    Lady Macbeth est évoquée comme dotée de la force de caractère d’un homme, force dont

    serait dépourvu son mari. Cette inversion sexuelle est soulignée dans la pièce par le pouvoir de

    décision qui semble lui revenir, inversant la hiérarchie sociale d’autorité de l’époque élisabéthaine,

    et contredisant la position sociale de chef militaire, puis politique incombant à Macbeth. La

    première transgression dont serait coupable Lady Macbeth serait donc, fondamentalement, la remise

    en cause de cette hiérarchie patriarcale, que souligne ensuite le rejet de son statut de mère

    potentielle. Cette inversion sexuelle associée au pouvoir constitue un thème important de la pièce

    puisque les sorcières incarnent précisément l’emprise du féminin sur le spirituel, emprise

    comprenant une dimension démoniaque puisque la femme est traditionnellement associée à la

    tentation, au Malin, attachée à détourner l’homme du divin. La première erreur de Macbeth consiste

    donc à prêter l’oreille aux conseils des femmes, à leurs discours, celui de sa femme ou des

    sorcières, dont le double langage retourne leurs promesses d’ascension sociale en pertes et

    damnation spirituelles. La première transgression de l’homme, éternel Adam, serait de croire la

    femme et sa rationalité au lieu de n’écouter que son coeur et son propre esprit.

    L’inversion à l’œuvre dans la transgression tragique éclaire a contrario la dynamique vitale,

    qui caractérisait la transgression dans le cadre des comédies, et semble transformée en son contraire

    lorsque la transgression apparaît dans les tragédies. Il ne s’agit plus alors d’un processus

    carnavalesque de renversement régénérant pour un temps les esprits et les cœurs, mais d’un chaos

    perturbant une harmonie plus fondamentale. Deux dramaturges se dessinent alors dans l’abord de

    ces pièces : un Shakespeare transgressif et révolutionnaire et un « Barde » plus sombre, pessimiste,

    percevant que les bouleversements de l’ordre social font bien souvent l’objet de châtiments terribles

    infligés par ses représentants.