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1 Les ménages modestes exclus des logements neufs ? La faute aux normes ? Lucile BAVAY, docteure en Urbanisme et Aménagement de l’espace, chargée d’études au Cerema Sylvain GUERRINI, expert Habitat au Cerema 1. Introduction – Contexte Une forte augmentation des prix immobilier et la crise du logement Comme l’ont illustré les travaux de Jacques FRIGGIT 1 , les prix immobiliers ont considérablement augmenté au cours des années 2000, y compris au regard de l’évolution du revenu des Français. Ils ont atteint en 2008 une forme de palier, et connaissent depuis lors des fluctuations autour d’un niveau qui demeure élevé. Dans le neuf, les prix ont encore augmenté de 25,8 % en France depuis 2006 2 . Cette hausse massive des prix comme des loyers réduirait considérablement la capacité des ménages modestes à accéder au logement. À qui la faute ? Pour expliquer cette augmentation et depuis la crise de 2008, la presse et les experts évoquent de multiples facteurs 3 . Parmi eux, la question des normes dans le domaine de la construction occupe une place de choix. Pour la plupart des acteurs de la construction et du logement, il semble acquis que la réglementation a joué un rôle important dans l’accroissement des coûts de construction des logements neufs et donc de leur prix, les rendant inabordables pour une partie de la population. Sont principalement évoquées les normes thermiques - dont la dernière modification a donné lieu à la réglementation thermique 2012 (RT 2012), les normes parasismiques et les normes accessibilité, renforcées en 2006. Dans un rapport de la Fédération Française du Bâtiment (FFB) de juillet 2013, intitulé « Analyse de l’évolution comparée des prix et des coûts dans le bâtiment », les professionnels de la construction dénoncent notamment les importants surcoûts qu’occasionnent les réglementations dont l’effet serait « trop souvent ignoré ». Ils considèrent, par exemple, que la réglementation accessibilité aurait 1 http://www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/prix-immobilier-evolution-a-long-terme- a1048.html 2 Série longue ECLN (2006 T2 ; 2018 T2) 3 Par exemple : L’évolution des prix du logement en France sur 25 ans, Mahdi BEN JELLOUL, Catherine COLLOMBET, Pierre-Yves CUSSET, Clément SCHAFF, départements Économie - Finances et Questions sociales, Conseil d’analyse stratégique, note n°221, avr. 2011

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Les ménages modestes exclus des

logements neufs ? La faute aux normes ?

Lucile BAVAY, docteure en Urbanisme et Aménagement de l’espace,

chargée d’études au Cerema

Sylvain GUERRINI, expert Habitat au Cerema

1. Introduction – Contexte

Une forte augmentation des prix immobilier et la crise du logement

Comme l’ont illustré les travaux de Jacques FRIGGIT1, les prix immobiliers ont considérablement

augmenté au cours des années 2000, y compris au regard de l’évolution du revenu des Français. Ils

ont atteint en 2008 une forme de palier, et connaissent depuis lors des fluctuations autour d’un

niveau qui demeure élevé. Dans le neuf, les prix ont encore augmenté de 25,8 % en France depuis

20062. Cette hausse massive des prix comme des loyers réduirait considérablement la capacité des

ménages modestes à accéder au logement.

À qui la faute ?

Pour expliquer cette augmentation et depuis la crise de 2008, la presse et les experts évoquent de

multiples facteurs3. Parmi eux, la question des normes dans le domaine de la construction occupe

une place de choix. Pour la plupart des acteurs de la construction et du logement, il semble acquis

que la réglementation a joué un rôle important dans l’accroissement des coûts de construction des

logements neufs et donc de leur prix, les rendant inabordables pour une partie de la population. Sont

principalement évoquées les normes thermiques - dont la dernière modification a donné lieu à la

réglementation thermique 2012 (RT 2012), les normes parasismiques et les normes accessibilité,

renforcées en 2006.

Dans un rapport de la Fédération Française du Bâtiment (FFB) de juillet 2013, intitulé « Analyse de

l’évolution comparée des prix et des coûts dans le bâtiment », les professionnels de la construction

dénoncent notamment les importants surcoûts qu’occasionnent les réglementations dont l’effet

serait « trop souvent ignoré ». Ils considèrent, par exemple, que la réglementation accessibilité aurait

1 http://www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/prix-immobilier-evolution-a-long-terme-

a1048.html

2 Série longue ECLN (2006 T2 ; 2018 T2)

3 Par exemple : L’évolution des prix du logement en France sur 25 ans, Mahdi BEN JELLOUL, Catherine

COLLOMBET, Pierre-Yves CUSSET, Clément SCHAFF, départements Économie - Finances et Questions

sociales, Conseil d’analyse stratégique, note n°221, avr. 2011

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accru le coût de construction de 5 % depuis 2000, la réglementation thermique de 10 % et la

réglementation parasismique de 2,8 %. D’après un groupe de travail FPI-USH-UMF4, le

développement réglementaire et normatif aurait induit une augmentation du prix de la construction

entre 2000 et 2011 située dans une fourchette de 23 à 38 %5. Sont mises en cause les

réglementations thermique, accessibilité handicapé, acoustique, la dépollution des sols, les

dispositions parasismiques ou encore l’obligation de créer des locaux destinés aux vélos. Des

propositions de simplification réglementaire sont formulées par la FPI pour l’ensemble de ces

champs.

Les réactions des pouvoirs publics

Ces critiques des normes de construction ont largement été reprises dans le débat public et par les

responsables politiques. Ainsi, la démarche « Objectif 500 000 » lancée en novembre 2013 par la

Ministre Cécile DUFLOT comprenait-elle parmi ses 5 axes : « Simplifier les normes pour qu’elles

pèsent moins sur la construction et instaurer une stabilité juridique pour les constructeurs »6.

Depuis, le débat se poursuit. En 2017, le Président de la République déclarait vouloir "libérer" la

construction grâce à "une réduction des exigences des normes environnementales et sociales" pour

obtenir "une production massive" de logements neufs en quelques années.

"Notre pays en construit trop peu car notre système est bloqué par la sur-règlementation", estimait

Emmanuel MACRON. Il faudrait "diminuer cette réglementation pour la rendre plus pragmatique, y

compris sur des normes qui relèvent de très bons sentiments, quelques fois environnementales et

sociales". Ainsi, la simplification administrative participerait-elle du « choc d’offre » qu’il avait lui-

même évoqué quelques mois auparavant. Cette orientation s’est concrétisée dans plusieurs

dispositions de la loi ELAN7. Ce texte instaure notamment un allègement de la norme accessibilité :

désormais, seuls 20 % des logements intégrés dans un ensemble immobilier doivent répondent aux

normes d’accessibilité aux personnes en situation de handicap (art. 64 de la loi). Les autres

logements revêtiront un caractère « évolutif », c’est-à-dire qu’ils seront transformables facilement en

logements accessibles aux personnes handicapées.

Dans ce contexte, le Cerema et le Ministère en charge du logement ont souhaité analyser en

profondeur cette question et un travail de thèse a été engagé en 2014 (cf. encadré).

[Annonce du plan]

Ce travail de recherche nous a conduits à des résultats déroutants, tant du point de vue des coûts,

des prix et des loyers, que du point de vue du peuplement des logements neufs, puisqu’ils étaient

différents - voire contraires - aux résultats attendus. Les éléments d’explication que nous avons pu

4 Fédération des Promoteurs Immobiliers, Union sociale pour l’Habitat et Union des Maisons

Françaises

5 Par la plume de sa présidente, la FPI réaffirmait encore récemment : « Nous avons déjà une réglementation (dite RT 2012) qui est probablement la plus exigeante d’Europe, et qui nous a imposé des surcoûts de construction de l’ordre de 15 %. […] Sur le bâti proprement dit, nous avons fait le choix de la sur-qualité, au détriment des prix. », Alexandra FRANçOIS-CUXAC, L’immobilier au cœur, 2017

6 République Française (2013), Plan d’investissement pour le logement, « Les 20 mesures », 31 pages

7 Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du

numérique, dite « loi ELAN »

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dégager s’articule autour de la notion de « compte à rebours » et d’effets de demande plus

importants que ceux de l’offre. Les politiques publiques en faveur des ménages modestes

constituent également une clé de compréhension du phénomène.

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La thèse qui a inspiré cet article a été conduite par Lucile BAVAY au Cerema avec le concours du PUCA. Elle a été

dirigée par Jean-Claude DRIANT de l’École d’Urbanisme de Paris (Paris Est) et co-encadrée par Sylvain GUERRINI. La

soutenance a eu lieu le 20 mars 2017.

Il s’agissait plus précisément de mettre en lumière le lien entre le développement des normes de construction dans le

neuf, l’augmentation des coûts de construction, des prix et des loyers des logements neufs et une éventuelle

exclusion des ménages modestes de ces logements.

Si des liens de causalité directs se sont révélés rapidement difficiles - voire impossibles - à démontrer, le travail de la

thèse a reposé sur l’identification, la description et l’analyse d’un faisceau d’indices devant mettre en lumière les

effets de la norme à chacune des étapes du processus de constitution des coûts, des prix et de peuplement des

logements (cf. graphique 1).

Figure 1 Des composantes du prix à l'accessibilité économique des logements neufs. Source : Elaboration de Lucile BAVAY et Sylvain GUERRINI.

Pour ce travail, ont été en particulier examinés dans le champ des normes de construction : les normes thermiques,

les normes accessibilité handicapés et les normes parasismiques.

Pour tester des hypothèses les effets de ces normes, des indicateurs nationaux ou locaux ont été construits ou

mobilisés, des monographies d’opération ou de territoires ont été effectuées. En outre, des modélisations hédoniques

ont été réalisées pour isoler les effets de certaines normes.

Les normes en matière d’urbanisme, telles que les prescriptions des plans locaux d’urbanisme ou des plans de

prévention des risques n’ont pas été retenues dans le périmètre de la thèse. Les normes applicables en matière de

rénovation n’ont pas non plus été examinées.

La thèse est consultable à l’adresse : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01759304

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2. Des analyses aux résultats déroutants

Trouver un lien de causalité directe entre la mise en application d’une nouvelle réglementation et

l’augmentation des prix des logements n’est pas chose facile. C’est donc par la constitution d’un

faisceau d’indices, construits à partir de diverses sources de données et de monographies, que nous

avons cherché à étayer scientifiquement les discours des promoteurs et lobbyistes. Les résultats que

nous avons obtenus nous ont cependant surpris.

2.1. Une stabilité des coûts de production

Dans une étude parue en 2012 et actualisée en 2014, la Caisse des Dépôts et de Consignation (CDC),

estime que le coût de production des logements locatifs sociaux a crû de 53% entre 2005 et 2013 en

France hors Ile-de-France, passant de 1440 à 2000€/m²8. Plusieurs pistes sont évoquées pour

expliquer cette croissance. Sont cités notamment : la hausse des coûts de production figurée par

l’évolution des indices de référence que sont le BT01 et l’indice du coût de la construction (ICC)

(Graphique 1), ainsi que l’effet qualité lié au renforcement normatif et réglementaire non pris en

compte dans les indices d’après les experts du CGEDD.

Cependant, depuis la mi 2011, la tendance est à la stagnation des coûts de construction, l’ICC

oscillant autour de la valeur 120, alors même que plusieurs réglementations incriminées, telles la RT

2012 et la réglementation parasismique, ont été mises en application depuis.

Graphique 1 : Comparaison de l'évolution du BT01 et de l'ICC. Base 100 au T1 2006. Source : Insee. Elaboration de Lucile BAVAY.

Par ailleurs, en euros constants, le prix de revient moyen des opérations de logements sociaux neufs,

renseigné dans la base de données Sisal9, n’a crû que de 2% entre 2008 et 2015. Entre 2011 et 2015,

la part des travaux dans le prix des logements sociaux a, en outre, diminué au profit de la charge

foncière.

8 CDC (2014), Eclairages, « Les coûts de production du logement social. Tendances nationales et spécificité d’Ile-de-France », 7 pages 9 Les seules données aisément disponibles concernant le coût de production des logements neufs sont celles des bailleurs sociaux. Du fait de leur mécanisme de financement, ces données sont répertoriées dans la base Sisal qui, depuis 2008, recense notamment le prix de revient estimatif par poste de ces opérations. Pour plus d’informations sur les bases de données utilisées dans le cadre de cet article, voir encadré sur les bases de données

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2.2. Des prix de vente et des loyers à la hausse, ou presque …

Cette étonnante stabilité des prix de revient, alors même que les acteurs de la construction en

dénoncent l’accroissement, s’est accompagnée, entre 2008 et 2014, d’une stagnation du prix de

vente des logements neufs recensés dans Perval10, après la forte augmentation constatée au cours

des années 2000 (graphique 2). En effet, après avoir augmenté de respectivement 40 et 50 points

entre 2000 et 2008, les prix moyens des logements neufs collectifs et individuels ont stagné entre

2010 et 2014.

Graphique 2 : Evolution des prix de vente TTC moyens en €2014 des logements neufs – base 100 en 2000. Source : Perval. Champ : France métropolitaine hors Ile-de-France. Elaboration de Lucile BAVAY

La même tendance s’observe pour les loyers des logements locatifs sociaux. En effet, d’après les

données de l’Enquête Nationale sur le Logement11, ils n’ont augmenté que de 3 % en euros constants

entre 1996 et 2013 (graphique 3).

Seuls les loyers des logements neufs du secteur privé n’ont pas suivi cette tendance. Cette même

enquête révèle que, corrigé de l’inflation, louer un logement privé neuf coûtait, en 2013, 22% de plus

qu’en 1996 (graphique 3).

10 Cf. encadré sur les bases de données en fin d’article 11 Cf. encadré sur les bases de données en fin d’article

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Graphique 3 : Evolution du loyer moyen des ménages locataires d'un logement neuf en €2013. Source : Insee, ENL 1996, 2002, 2006 et 2013. Champ : Ménages de France métropolitaine, hors étudiants.

2.3. … sans que l’on puisse directement incriminer la norme

Le recoupement de tous les indicateurs, modèles et analyses que nous avons mobilisés lors de nos

travaux, nous ont conduits à infirmer le lien supposé entre réglementation et hausse des prix et des

loyers.

Parmi les indicateurs utilisés, nous avons par exemple étudié prix disponibles dans la base ECLN12.

Les trois réglementations que sont la RT 2012, la réglementation accessibilité et la réglementation

parasismique peuvent être observées de façon quasi différenciée dans cette base grâce au

renseignement des années de dépôt de permis de construire et des années de commercialisation des

logements. Observer les prix à année de commercialisation identique mais à année de dépôt de

permis - et donc à situations réglementaires différentes - permet de mesurer l’impact des normes sur

les prix, en annulant les effets de conjoncture.

Ainsi, trois périodes ont-elles été étudiées :

- La réglementation accessibilité étant entrée en application au 1er janvier 2007, la comparaison

s’opère entre les prix des logements pour lesquels le permis a été déposé en 2006 et ceux pour

lesquels le permis a été déposé en 2007 puis en 2008 ;

- Pour la réglementation parasismique, le nouveau zonage étant entré en vigueur au 1er mai

2011, nous étudions les années 2010, 2011 et 2012 ;

- Enfin, pour la RT2012, entrée en vigueur au 1er janvier 2013, les prix sont examinés pour les

permis déposés entre 2012 et 2014.

Lorsqu’on observe le prix des logements, la différence de prix paraît limitée et s’avère quasiment

inexistante pour la réglementation accessibilité.

12 Cf. encadré sure les bases de données en fin d’article

643 €

474 €

661 €

428 €

644 €

448 €

787 €

486 €

- €

100 €

200 €

300 €

400 €

500 €

600 €

700 €

800 €

900 €

Locataires du parc privé Locataires du parc social

Evolution du loyer moyen (€2013) des ménages locataires d'un logement neuf

1996 2002 2006 2013

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Comme le montre les graphiques 4, 5 et 6, les logements concernés par la nouvelle réglementation,

présentent parfois des prix moins élevés que les autres. Quand les logements apparaissent plus

chers, comme constaté pour l’application de la RT 2012, le surcoût reste minime et s’élève au

maximum à 3%.

Graphique 4 : Différence de prix entre les logements commercialisés en 2009 mais dont le permis a été déposé en 2007 et 2008 par rapport aux logements commercialisés la même année mais dont le permis a été déposé en 2006. Source : ECLN, SDES. Champ : Logements ordinaires, France métropolitaine.

Graphique 5 : Différence de prix entre les logements commercialisés en 2012 mais dont le permis a été déposé en 2010 et 2011 par rapport aux logements commercialisés la même année mais dont le permis a été déposé en 2009. Source : ECLN, SDES. Champ : Logements ordinaires, France métropolitaine.

-1,7%

-3,4%

0,1%

-1,6%

0,9%0,5%

-1,2%

-2,3%-1,6%

0,5%

-4,0%

-3,0%

-2,0%

-1,0%

0,0%

1,0%

2,0%

2007 2008

Collectif

R É G L E M E N TAT I O N A C C E S S I B I L I T É

1 Pièce 2 Pièces 3 Pièces 4 Pièces 5 Pièces

4%

6%

0%1%

-2%

2%3%

2%

-3%-2%-1%0%1%2%3%4%5%6%7%

2011 2012

Collectif

R É G L E M E N TAT I O N PA R A S I S M I Q U E

1 Pièce 2 Pièces 3 Pièces 4 Pièces

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Graphique 6 : Différence de prix entre les logements commercialisés en 2015 mais dont le permis a été déposé en 2013 et 2014 par rapport aux logements commercialisés la même année mais dont le permis a été déposé en 2012. Source : ECLN, SDES. Champ : Logements ordinaires, France métropolitaine.

Alors que les prix des logements ont clairement augmenté au cours des années 2000, le

renforcement des réglementations accessibilité, parasismique ou encore thermique ne semble pas

pouvoir justifier une telle hausse.

2.4. La part des ménages modestes qui emménagent dans les logements neufs se maintient

Néanmoins, la question de l’accessibilité des ménages les plus modestes aux logements les plus

récents persiste.

Afin d’étudier la représentation dans les logements neufs des ménages modestes - définis comme les

ménages appartenant aux trois premiers déciles de niveau de vie - il a été choisi de s’appuyer sur un

indicateur : le rôle social (cf. encadré). Le rôle social de chaque segment de parc est étudié grâce à

FILOCOM13.

Un parc de logements neufs globalement accessible aux les ménages modestes

Contrairement à ce que l’on pourrait penser au regard de l’augmentation du prix des logements

neufs, les ménages modestes tendent à être de mieux en mieux représentés sur ce segment de parc.

Alors que les logements neufs accueillaient en proportion moins de ménages modestes que

13 Cf. encadré sur les bases de données en fin d’article

-3%

-1%

2% 3%

-1%

1%2%

3%

-4%-3%-2%-1%0%1%2%3%4%

2013 2014

Collectif

R É G L E M E N TAT I O N T H E R M I Q U E 2 0 1 2

1 Pièce 2 Pièces 3 Pièces 4 Pièces

Le rôle social est mesuré à l’aide d’un indicateur de spécialisation. Cet indicateur permet de comparer le profil social

des différents parcs de logements en évaluant la représentation plus ou moins importante des ménages modestes dans

ces parcs par rapport à sa représentation dans l’ensemble de la population. Il consiste donc à rapporter la part de

ménages modestes dans le segment de parc étudié à la part de ménages modestes dans l’ensemble des logements du

territoire étudié. Par exemple, si le rôle social d’un parc France métropolitaine est de 1,5, cela signifie qu’il y a 1,5 fois

plus de ménages modestes parmi les habitants de ce parc que dans le total des ménages résidant en France métropolitaine.

Référence : Caplain P. (2011), CETE Nord Picardie, Construire et analyser des indicateurs de

fonctionnement des marchés locaux de l’habitat – Fiche méthode et référents comparatifs : le rôle social des

différents parcs

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l’ensemble du parc à hauteur de 18 %, cet écart s’est réduit pour devenir presque nul en 2013 (cf. 1er

graphique 7). Le rôle social des logements neufs atteint ainsi la valeur d’équilibre de 1.

En 2013, les ménages modestes n’étaient donc pas sous-représentés dans les logements neufs par

rapport à l’ensemble du parc de logements. Dans le même temps, le rôle social des résidences

principales anciennes occupées depuis moins de deux ans a crû bien moins rapidement que celui des

logements neufs. Il reste néanmoins bien supérieur, s’élevant à 1,41 en 2013. Globalement, le parc

de logements neufs semble alors moins « sélectif » aujourd’hui qu’auparavant.

Mais qu’en est-il dans le détail par segment de parc ? Lorsque l’on s’intéresse de façon différenciée

aux parcs de logements locatifs sociaux, de logements locatifs privés et de logements en propriété

occupante, des précisions s’imposent.

La confirmation, par la mesure du rôle social, d’une inégalité dans l’accession à la propriété

On retrouve dans la mesure du rôle social le contraste entre location et propriété occupante. Le rôle

social des logements neufs en propriété occupante est bien inférieur à 1 et on y dénombre en

proportion environ 40 % de ménages modestes en moins que dans l’ensemble des logements. Les

ménages modestes sont donc très peu représentés dans l’accession à la propriété dans le neuf. Mais

cela est aussi le cas dans l’ancien puisque le rôle social n’y est que de 0,77. C’est une nouvelle

confirmation de l’inégalité de niveau de vie face à l’accession à la propriété, plus marquée sur le

segment du logement neuf que pour l’ensemble des logements. On note par ailleurs une altération

récente du rôle social du parc de logements anciens en propriété occupante achetés récemment.

Cependant, cette dégradation est à nuancer au regard de la relative stabilité du rôle social dans le

parc de logements neufs en propriété occupante, qui, après avoir fortement augmenté au 1er janvier

2011 à la suite du plan de relance, est revenu juste en dessous de son niveau de 2003. Cela conduit à

l’hypothèse que de moins en moins de ménages des trois premiers déciles de niveau de vie sont

propriétaires de leur logement, mais que ceux qui le deviennent achètent plutôt un logement neuf,

aidés en cela, vraisemblablement, par les dispositifs mis en place par l’État (cf. suite).

Ainsi, les ménages modestes apparaissent peu représentés sur ce segment de parc : son rôle social

est le plus faible observé et bien inférieur à un. Cependant, il semble que la hausse des prix des

logements neufs, au contraire de celle des logements anciens, n’ait pas induit un phénomène

d’exclusion plus fort que celui observé depuis 2003. Les ménages modestes sont donc parvenus à se

maintenir sur le segment de l’accession à la propriété dans le neuf.

Le parc de logements locatifs de plus en plus social

Au contraire de ce que l’on observe sur le segment de la propriété occupante, on note que le rôle

social des deux parcs de logements locatifs croît, renforçant ainsi leur rôle d’accueil des ménages

modestes. Ce phénomène est particulièrement marqué pour le logement HLM.

Alors que le rôle social du parc HLM neuf a eu tendance à stagner entre 2003 et 2007, il est ensuite

passé de 1,64 en 2007 à 1,93 en 2013, se rapprochant de plus en plus de la valeur observée dans

l’ensemble du parc de logements locatifs sociaux (1,94 au 1er janvier 2013). Son accroissement a

même été supérieur à celui observé pour les logements HLM anciens occupés depuis moins de deux

ans. Ce phénomène illustre la tendance à la « résidualisation » de ce parc, les logements

nouvellement mis sur le marché étant loués de plus en plus souvent à des ménages aux faibles

ressources.

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Si les ménages modestes parviennent à emménager dans les logements neufs, cela est surtout le fait

du parc de logements locatifs.

Cette étude de peuplement à l’échelle nationale nous permet d’affirmer que l’accroissement des prix

des logements neufs n’a ni aggravé, ni provoqué un phénomène d’exclusion des ménages modestes.

Certes, la croissance des prix de l’immobilier en accession a fait chuter le rôle social du parc de

logements en propriété occupante, mais cela ne semble pas avoir eu d’impact particulier sur le neuf.

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1,32 1,36 1,36 1,41 1,46 1,41

0,82 0,83 0,86 0,89 1,01 0,99 1,00

100 103 103 106 110 106 100 102 106 109124 122

020406080100120140

0,500,700,901,101,301,501,70

2003 2005 2007 2009 2011 2013 2003 2005 2007 2009 2011 2013

Emménagés récents dans l’ancien Neuf 2013Total

le s

oci

alEnsemble des résidences principales

1,35 1,42 1,44 1,48 1,54 1,48

0,91 1,00 1,07 1,13 1,21 1,131,38

100 105 107 110 114 109100

109 117 124132 124

020406080100120140

0,50

0,70

0,90

1,10

1,30

1,50

1,70

2003 2005 2007 2009 2011 2013 2003 2005 2007 2009 2011 2013

Emménagés récents dans l’ancien Neuf 2013Total

le s

oci

al

Locatif privé

1,99 2,03 2,05 2,10 2,24 2,29

1,65 1,62 1,64 1,74 1,89 1,93 1,94

100102 103

106

112115

100 98 100

105

115117

85

90

95

100

105

110

115

120

1,201,401,601,802,002,202,402,602,803,00

2003 2005 2007 2009 2011 2013 2003 2005 2007 2009 2011 2013

Emménagés récents dans l’ancien Neuf 2013Total

le s

oci

al

Locatif social

0,85 0,85 0,83 0,85 0,860,77 0,60 0,62 0,62 0,61 0,65 0,59 0,61

100 10097

100 101

91

100102 103

101

108

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80

85

90

95

100

105

110

0,500,600,700,800,901,001,101,20

2003 2005 2007 2009 2011 2013 2003 2005 2007 2009 2011 2013

Emménagés récents dans l’ancien Neuf 2013Total

le s

oci

al

Propriété occupante

Rôle social Evolution du rôle social - Base 100 : 2003

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14

Graphique 7 : Evolution du rôle social en fonction du statut d'occupation et de l'ancienneté du logement. Source : Filocom 2003 à 2013, SDES. Champ : France métropolitaine. Elaboration de Lucile BAVAY.

3. Tentatives d’explication

Les résultats de nos travaux étant apparus sensiblement différents de nos prévisions et peu

conformes au discours porté par les professionnels du bâtiment, attachons-nous à apporter à cette

contradiction apparente des éléments d’explication.

3.1 Pour les coûts

Tout d’abord, plusieurs professionnels ont mentionné des effets « d’apprentissage » ou

« d’accoutumance » ayant conduit à absorber rapidement les surcoûts liés à l’application de

nouvelles normes. Si les constructeurs ont besoin d’un certain temps d’adaptation aux nouvelles

réglementations, ils parviennent néanmoins à les absorber en opérant des changements dans la

conception des logements, dans les matériaux utilisés ou encore dans l’organisation des chantiers.

Ainsi, les normes accessibilité handicapé auraient dû se traduire par une augmentation du prix des

logements liés à l’augmentation de leur surface. Pourtant, on n’observe aucune rupture à partir de

2007 du point de vue de l’évolution de la surface moyenne des logements, voire une stagnation des

surfaces moyennes pour le parc social et le parc locatif privé.

Graphique 8 : Evolution de la surface moyenne des logements collectifs neufs, base 100 2003. Source : Filocom 2003, 2005, 2007, 2009, 2011 et 2013. Champ : France métropolitaine. Elaboration de Lucile BAVAY

Si on étudie l’évolution des logements collectifs à nombre de pièces constant, on n’observe pas

d’augmentation des surfaces non plus dans les années suivant la mise en place de la norme

accessibilité, ou bien une augmentation de surface de faible ampleur, ne dépassant pas 2%, et

rapidement effacée par la suite. C’est le cas par exemple pour les T2 et les T3 du parc HLM et du parc

locatif privé.

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Filocom 2003 Ficolom 2005 Filocom 2007 Filocom 2009 Filocom 2011 Filocom 2013

Evolution de la superficie des logements neufs, base 100 en 2003

Propriété occupante Locatif privé Locatif social

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15

Graphique 9 : Evolution de la surface moyenne des logements collectifs locatifs de 2 et 3 pièces, base 100 en 2007. Source : Filocom 2015. Champ : France métropolitaine. Elaboration des auteurs

Concernant la norme thermique, l’étude monographique de plusieurs opérations permet de conclure

que la RT 2012 a été bien moins coûteuse à mettre en œuvre que le label BBC (graphique 10), mais

aussi qu’une certaine accoutumance à cette nouvelle réglementation a pu se développer grâce,

notamment, à la généralisation préalable du label BBC. En effet, celui-ci a forcé les constructeurs à

optimiser leurs dépenses. Lorsque l’on observe les prix des logements BBC, comparés toutes choses

égales par ailleurs aux prix des logements n’ayant pas été labellisé, l’écart de prix paraît très

significatif (Figure 2). On peut supposer qu’il s’agit là d’un effet d’aubaine bénéficiant aux

promoteurs. Ceux-ci ont vendu leurs logements à des prix plus élevés car ils étaient étiquetés comme

moins consommateurs que les autres et qu’ils donnaient droit à des subventions.

Figure 2 Résultats des modélisations hédoniques cherchant à déterminer l’impact du label BBC. Champ : Logements neufs financés par un PTZ en France métropolitaine : maisons sous maîtrise d’ouvrage de particulier, maisons vendues par des promoteurs, appartements. Source : SGFGAS, base PTZ. Réalisation de Lucile BAVAY.

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2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014

Evolution de la surface des logements de 2 et 3 pièces - FranceParcs locatif privé et public, par année de construction

HLM T3 LP T3 HLM T2 LP T2

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16

Graphique 10 : Comparaison des dépenses par poste entre cinq opérations de Pas-de-Calais Habitat. Etude de la réglementation thermique et ses labels. Source : Pas-de-Calais Habitat.

Il est cependant probable que le renforcement des normes ait pu se traduire par d’autres effets. Aux

dires des professionnels, la norme accessibilité de 2007 a conduit à une diminution de la qualité

d’usage pour les personnes ne souffrant pas de problèmes de motricité. Si la surface totale des

logements est restée stable, les espaces de circulation, des toilettes et des salles de bain se sont

agrandis au détriment des pièces de vie et des chambres.

« Je pense surtout que [la norme handicapé] a un effet sur la qualité du logement. Parce que

finalement la taille du logement n’a pas augmenté, parce que la taille du logement c’est le pouvoir

d’achat des gens qui ont une capacité à acheter, parce que le prix moyen, on le connaît à peu près,

donc ils ont une capacité à acheter des mètres carrés, enfin brutalement c’est un peu ça. Donc, pour

un nombre de mètres carré donné, on donne plus de place aux circulations, aux pièces humides, au

détriment des pièces de vie. » président du Cecim Nord, mars 2015.

3.2 Pour les prix

Le compte à rebours

Lorsqu’on interroge les promoteurs sur la formation des prix, ceux-ci - tout en dénonçant l’inflation

normative- évoque fréquemment le « compte à rebours ». Cette notion classique recouvre

l’ajustement du prix, non pas en fonction des coûts de construction, mais du prix de vente des

logements que le promoteur estime comme acceptable par le marché. Son montant lui permet

d’estimer la charge foncière maximale compatible avec la commercialisation des logements. La

régulation se ferait donc à terme sur le prix du foncier et non sur le prix de vente14.

14 Cf. Le compte à rebours de l'immeuble au terrain, Joseph COMBY, Etudes Foncières, déc. 1996 ; Éléments de flexion sur le foncier et sa contribution au prix de l'immobilier, Sandrine Levasseur, Revue de l'OFCE 2013/2 (N° 128)

Autres (dont Conduite)Honoraires

Charge foncièreBâtiment

Total

- €

50 000 €

100 000 €

150 000 €

200 000 €

250 000 €

RT 2005 RT 2005 RT 2005 RT 2005 BBC RT 2012

Harnes Courrières Bully Moyenne Oignies Fouquières

126 194 € 132 716 €

95 303 € 117 948 €

224 732 €

126 999 €

Autres (dont Conduite) Honoraires Charge foncière Bâtiment Total

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17

Figure 3 Fiche pédagogique du CERF Rhône-Alpes «Enjeux» n°2 Le compte à rebours de l’aménagement et de l’immobilier

Les prix du neuf sont des prix de marché : ils suivent les prix de l’ancien

En fait, cette explication rejoint l’idée que les prix du neuf sont avant tout des prix de marché, pour

une grande part, déterminés par la demande et non par les coûts de construction.

Il est d’ailleurs frappant d’observer la corrélation entre les prix du neuf et de l’ancien depuis 20 ans

alors que la formation des prix de l’ancien n’a plus aucune influence sur leur valeur marchande

actuelle. Le coefficient de corrélation entre les deux séries s’élève ainsi à 0,97.

Graphique 11 Indices des prix des logements neufs et anciens – base en moyenne 2013. Source : INSEE

Le prix du neuf est en grande partie déterminé par la demande

Un autre élément en faveur de cette interprétation est l’augmentation des prix au cours des années

2000, qui s’observe sur tout le territoire national, même sur les marchés détendus. Elle est

concomitante avec une augmentation générale de la solvabilisation des ménages, assurée par la

baisse des taux d’intérêts et l’augmentation de la durée des prêts.

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18

Ainsi, dans l’hypothèse où l’accroissement des normes provoquerait une hausse des coûts, une

opération ne pourrait se faire, car la charge foncière deviendrait intolérable au regard du prix de

vente acceptable par le marché. Le marché foncier répondant peu aux effets de demandes, l’effet à

court terme serait donc sensible non pas sur les prix mais sur les volumes de construction. Ainsi les

hausses de coût n’auraient d’effet que sur les volumes.

« Le problème est que, si on augmente les prix des coûts de construction sans qu’il en ressorte de la

valeur d’usage supplémentaire, c’est-à-dire sans changer finalement le prix que les gens sont prêts à

payer pour une surface [...] il va falloir un certain temps avant que le vendeur du terrain n’accepte de

baisser son prix pour que le prix total reste dans l’enveloppe. Donc, il va en résulter une baisse de la

construction. C’est tout le problème. Autrement dit, cela va avoir un effet sur les volumes et non pas

sur les prix […] à court terme. Alors ensuite, à moyen et long terme, cela va s’ajuster, parce que, pour

les vendeurs de terrains, il y en a certains qui peuvent attendre, il y en a d’autres qui ne peuvent pas.

», Jacques FRIGGIT, entretien réalisé dans le cadre de la thèse, avril 2015.

On observe effectivement une baisse des volumes des permis de construire en 2008 lors de la mise

en place de la norme accessibilité en France et plus modérée en 2013 lors de la mise en place de la

RT 201215. Cependant, il serait hasardeux de l’attribuer à la seule mise en place de normes, alors que

d’autres facteurs peuvent jouer un rôle bien plus important, comme la conjoncture internationale

(crise des subprime…).

Les seuls effets des normes mis en lumière par les modélisations que nous avons conduites

s’observent sur les logements BBC (+11 % ). Paradoxalement, ce constat renforce la thèse selon

laquelle c’est la demande qui conditionne pour une grande part le prix des logements. En effet, les

maîtres d’ouvrage – familles pour le PTZ ou bailleurs sociaux - bénéficiaient pour la réalisation de ces

opérations d’aides publiques conséquentes16. C’est donc dans le cadre d’un renforcement de la

solvabilité de la demande que s’observe le seul effet des normes sur les prix que nous avons pu

mettre en lumière.

3.3 Pour le peuplement

Les logements locatifs sociaux

Concernant l’absence d’effet sur le peuplement des logements d’un accroissement des normes, il est

probable que celui-ci pèse de peu de poids face à un phénomène de fond décrit par de nombreux

auteurs et qui s’observe également à l’échelle européenne17 : la « résidualisation » du parc HLM,

c’est-à-dire l’augmentation de la part des ménages pauvres entrant et se maintenant dans le parc

social, y compris le parc social neuf. Ce phénomène se serait renforcé depuis la crise de 2008 et

s’explique notamment par l’accroissement continu du champ des publics prioritaires (dernier

exemple en date : la loi ELAN avec les femmes soumises à des violences).

15 Cf. séries longues Sitadel2 du CGDD/SDES relatives aux permis de construire 16 En 2011 pour l’acquisition ou de construction d’un logement neuf bénéficiant d’un label BBC (bâtiment basse consommation), le montant du PTZ est majoré à hauteur de 20 000 € au maximum. Pour les opérations financées en 2012, l’obtention du label Bâtiment Basse Consommation donne droit à une quotité de prêt PTZ de 38 % en zone A (au lieu de 26%), 33 % en zone B1 (21%), 29 % en zone B2 (16%), 24 % en zone C (14%). En 2011, les programmes de logements sociaux BBC bénéficiaient d’un Coefficient de majoration pour qualité (MQ) de 10 % pour la fixation de l’assiette de subvention. 17 Housing Europe 2017, The state of housing in the EU 2017, a Housing Europe Review, http://www.housingeurope.eu

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19

Il va de pair avec une augmentation de la production de logements sociaux (dont les PLAI), une

maîtrise de leurs loyers plafonds qui évoluent comme le revenu, notamment grâce à la réforme du

PLUS de 1998. En outre, les surfaces des logements sociaux neufs n’ont pas augmenté en 10 ans

(source : Filocom 2003 – 2013).

Le maintien des ménages modestes dans le parc locatif : les aides à la personne

Depuis 1984 et jusqu’à récemment, le coût total des aides à la personne en euros constants n’a cessé

de croître, passant de 8,5 milliards d’euros à 20,5 milliards en 2014. Cela n’est pas uniquement dû à

l’accroissement du nombre de ménages bénéficiaires - qui est passé de 3,9 millions en 1984 à 5,8

millions en 2014. Ce phénomène est également lié à l’évolution du volume d’aide distribué qui, en

euros constants, a augmenté de 60 % sur la même période18. Par ailleurs, entre 2000 et 2014, l’aide à

la personne moyenne a crû de 16 % alors que les plafonds de loyer des logements locatifs sociaux

n’ont été réévalués que de 9 % (Graphique 12).

Graphique 12 : Montant mensuel (€2014) moyen de l'aide au logement par ménage bénéficiaire en France. Source : CGDD (2016), « Compte du logement 2014 ». Elaboration de Lucile BAVAY

Le maintien de la part des ménages modestes entrant dans le logement neuf résulterait donc pour

partie d’une augmentation des aides publiques à la personne.

Le parc locatif privé

Le taux d’effort des ménages modestes a fortement crû, en particulier dans le parc locatif privé. Dans

ce parc, le taux d’effort pour les ménages du 1er quartile de revenu (par unité de consommation) est

ainsi passé de 32,8 % en 2002, à 35,9 % en 2006, puis à 40,7 % en 201319. Pour le neuf,

l’augmentation est plus brutale puisque ce taux d’effort passe de 32,4% en 2002 à 43,4% en 200620.

Le maintien des ménages modestes dans le parc locatif privé neuf s’est donc fait au détriment de la

qualité de vie et de la consommation des ménages modestes.

18 CGDD (2016), Compte du logement 2014 – Premiers résultats 2015, 207 pages 19 Les conditions de logement en France - Édition 2017, INSEE, Enquête logement, p. 160 20 ENL, exploitation par Lucile BAVAY, les effectifs ENL 2013 ne permettent pas de calculer le taux d’effort dans le neuf pour ce millésime.

18

2 €

18

5 €

19

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20

Les propriétaires occupants

Si les ménages sont peu présents dans l’accession à la propriété dans le neuf, leur part s’est

néanmoins maintenue sur ce segment (graphique 7). Ils n’y sont pas parvenus grâce à des

concessions faites sur le logement, du point de vue de sa surface (qui est restée stable). De même et

de façon contre-intuitive, des études monographiques conduite sur 4 agglomérations n’ont pas

montré que les logements des ménages modestes accédant à la propriété dans le neuf s’éloignaient

davantage des centres-villes entre 2003 et 2013 que ceux acquis par les autres ménages (sauf à

Montpellier et à Toulouse pour les logements individuels).

Ils ont pu y parvenir grâce à des conditions de financement plus favorables. Renforcement du Prêt à

Taux Zéro à la fin des années 2000, aides financières des collectivités locales, Pass Foncier ou encore

taux de TVA réduit dans certaines zones ont permis au pouvoir d’achat immobilier des ménages

modestes accédant à la propriété dans le neuf de se maintenir. Les opérations de rénovation

urbaines conduites ces années-là ont pu aussi avoir une influence. Ce constat vaut particulièrement

pour le rôle social du parc neuf en propriété occupante observé en 2011. Celui-ci connaît une forte

hausse, alors que le Prêt à Taux Zéro connaissait un doublement (mesure en vigueur entre le 15

janvier 2009 et le 30 juin 2010).

Surtout, la baisse des taux et l’allongement des durées d’emprunt ont eu un effet considérable sur le

pouvoir d’achat immobilier des ménages et leurs capacités financières.

Examinons l’évolution de la mensualité moyenne qu’acquitte un ménage pour l’achat, sans apport

personnel, d’un logement neuf. Effectuons l’analyse en euros constants 2015. La mensualité payée

en 2006 atteint 1331 €, soit plus que celle payée en 2015 (1200€), pour un même logement. Ainsi,

depuis fin 2012, la baisse des taux et l’allongement des durées de prêts permettent de compenser

l’accroissement des prix du neuf et d’obtenir une mensualité inférieure à celle de 2006. On observe

même une période (entre 2010 et 2011), durant laquelle l’accroissement des prix depuis 2006 était

largement compensé, alors que les dispositifs d’aide à l’accession étaient les plus avantageux . Ainsi,

en cumulant les dispositifs d’aide, les taux bas et l’allongement des durées de prêt, il semblerait que

les ménages aient pu accéder à la propriété dans le neuf en 2015 à un coût mensuel moindre qu’en

2006, alors que les prix étaient pourtant plus élevés.

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21

Graphique 13 : Evolution de la mensualité pour un logement coûtant 200 000€ en 2010, en fonction des taux et durées moyens. Source : Banque de France et Insee. Champ : France métropolitaine. Elaboration de Lucile BAVAY.

Cependant, ces conditions favorables n’ont, semble-t-il, pas été suffisantes. Pour accéder à la

propriété, les ménages modestes consentent aussi à des efforts financiers de plus en plus importants

(en terme de taux d’effort), limitant ainsi leurs autres postes de dépenses. Il semblerait aussi qu’ils

doivent recourir plus souvent à la solidarité familiale21.

Graphique 14 : Taux d’effort des ménages modestes résidant dans le neuf. Source : ENL 1996, 2002, 2006, 2013. Champ : France métropolitaine. Elaboration de Lucile BAVAY.

21 La solidarité financière entre ménages – 36 milliards d’euros d’aides annuelles transférées entre ménages, INSEE première n°1707, juillet 2018

1 150 €

1 200 €

1 250 €

1 300 €

1 350 €

1 400 €

1 450 €

1 500 €

avr-

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22%

31%

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20%

30%

40%

50%

Locataires du parc privé Locataires du parc social Propriétaires accedants

Taux d'effort des ménages modestes résidant dans

le neuf

1996 2002 2006 2013

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22

Conclusion

Le discours des lobbys sur l’effet inflationnistes des normes n’apparaît étayé que par des études à

dire d’expert. La plupart des tentatives de quantifications des effets des normes sur les prix ou le

peuplement des logements neufs aboutit à une impasse. Seuls l’effet des normes liées au label BBC

semble avéré, mais, paradoxalement, cette observation confirme le rôle de la solvabilisation de la

demande sur les prix et non celui de l’offre. En fait, les prix des logements se comportent comme des

prix de marché, essentiellement déterminés par la demande, en raison du compte à rebours, fondé

sur les prix envisagés comme acceptables pour les acquéreurs.

Réduire les normes ?

Dans cette perspective, il paraît hasardeux de considérer qu’une simplification des normes puisse

conduire à terme à une baisse des prix du logement.

Sur un sujet voisin, François BERTIERE, Président de Bouygues Immobilier déclarait :

« Le Moniteur : Afin de réduire les prix de sortie, la présidente de la Fédération des promoteurs

immobiliers milite pour une TVA à 10 % sur le logement intermédiaire (contre 20 %)… FB : A l'instant

T, cette mesure pourra effectivement les faire baisser. Mais je rappelle que le prix du foncier est

calculé à l'envers, en fonction du prix de vente des logements, TVA incluse. J'obtiens le prix d'achat

d'une parcelle en déduisant les coûts des études, les coûts de commercialisation, les coûts généraux…

et en enlevant ma marge. Si la TVA passe à 10 %, dans deux ou trois ans, les promoteurs auront

intégré cette baisse, et elle nourrira in fine la hausse du prix des terrains. » (le Moniteur 16 mars

2018, p. 18)

Il y a fort à parier qu’une diminution des exigences en matière de normes ne se traduise de la même

manière par une augmentation des prix du foncier, mais pas par une baisse des prix du logement.

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23

Les bases de données utilisées dans le cadre de cet article :

SISAL : système d’information pour le suivi des aides au logement Mis en œuvre par le Ministère en charge du logement, l’infocentre SISAL rassemble des données sur le financement des logements sociaux en France. Au travers du logiciel GALION, il est alimenté par les service instructeurs : DDT/M ou délégataires des aides à la pierre. http://www.financement-logement-social.logement.gouv.fr/sisal-a1332.html

ECLN : Enquête sur la commercialisation des logements neufs Réalisée par le CGDD/SDES, ECLN est une enquête trimestrielle qui assure le suivi de la commercialisation des logements neufs destinés à la vente. Exhaustive sur son champ, elle couvre les permis de 5 logements et plus destinés à la vente. Le secteur locatif (permis de construire intégralement destinés à la location) en est notamment exclu. https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/enquete-sur-la-commercialisation-des-logements-neufs-ecln

Base PTZ SGSGAF : Base de données du prêt à taux zéro gérée par la Société de Gestion des Financements et de la Garantie de l’Accession Sociale à la propriété. Obtenues dans le cadre de la distribution de ces prêts subventionnés par l’État, ces données sont transmises par les organismes de crédits qui le distribuent dans le cadre d’une convention avec le Ministère en charge du logement et la SGFGAS. https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/base-de-donnees-ptz-prets-a-taux-zero/

PERVAL : les références immobilières des Notaires de France Les Notaires de France, au travers de la société ADNOV, mettent à disposition des collectivités, des établissements publics et des entreprises, des statistiques sur les prix de l'immobilier en Province, se fondant sur la collecte des données des ventes enregistrées par les études notariales. https://www.perval.fr/

ENL : Enquête nationale sur le logement Réalisée historiquement par l’INSEE, l'enquête Logement a pour objet de décrire les conditions de logement des ménages et leurs dépenses en logement. L'enquête vient compléter l'information donnée par les recensements : les loyers, les charges, les plans de financement, les revenus. Elle comporte une description détaillée de la qualité de l'habitat des ménages. Ses usages sont multiples : données de cadrage structurelles, étude de sous-populations fines et modélisation des comportements, analyses semi-conjoncturelles ou en pseudo-panels basées sur des comparaisons chronologiques entre enquêtes successives. https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/serie/s1004

FILOCOM : Fichier des logements à la commune A la demande du CGDD/SDES, FILOCOM était constitué tous les deux ans par le Cerema à partir de fichiers élaborés par la Direction Générale des Finances Publiques pour les besoins du Ministère en charge du logement, et des collectivités territoriales. Il apportait des informations sur le parc de logements et ses occupants, selon leur statut et leurs modes d’occupation. Il offrait également des indications sur les revenus des occupants. Le dernier millésime disponible est FILOCOM 2015. Il a vocation à être remplacé par FIDELI, développé par l’INSEE. https://www.insee.fr/fr/information/3897375