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    LES MIRACLES

    et

    LE MODERNE SPIRITUALISME

    SIR ALFRED RUSSEL WALLACE

    Clbre naturaliste, Membre du bureau de la socit royale de Londres

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    Un prsomptueux scepticisme, qui rejette les faits sans examiner s'ils sont rels, est,

    quelques gards, plus blmable qu'une crdulit irraisonne.Humboldt

    Une bonne exprience est plus prcieuse que l'ingniosit d'un cerveau, ft-ce celui deNewton. Les faits sont plus utiles, mme quand on les conteste, que les thories reues, mme

    quand on les soutient.Sir Humphry Davy

    Le parfait observateur, dans quelque branche que ce soit de la science, aura les yeux ouverts,pour ainsi dire, de force, sur ceci : que l'on peut se trouver, l'improviste, en face de telle

    occurrence qui, selon les thories reues, ne doit pas se prsenter, et que ce sont ces faits-lqui servent de clefs de nouvelles dcouvertes.

    Sir John Herschell.

    Avant que l'exprimentation elle-mme puisse tre employe avec fruit, il y a un stadeprliminaire franchir, lequel dpend purement de nous-mmes : c'est savoir dpouiller et

    laver sa pense absolument de tout prjug, et prendre la dtermination de rester debout oude succomber devant le rsultat d'un appel direct aux faits en premire instance, et

    d'embrasser les dductions strictement logiques de leurs consquences.Sir John Herschell

    Pour ce qui est de la question du Miracle, je puis seulement dire que le mot impossible n'est pas, mon sens, applicable en matire de philosophie; que les possibilits de la nature

    sont infinies, c'est l un aphorisme avec lequel j'ai coutume de harceler mes amis.Le Professeur Huxley

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    Prface du traducteur

    Le livre dont voici une traduction est peut-tre celui qui a contribu le plus efficacement ladiffusion en Angleterre du moderne spiritualisme. Indpendamment de ses qualitsintrinsques, qui certes sont considrables, il doit une bonne part de ce succs au nom de sonauteur, l'un des savants dont le Royaume-Uni ait le plus de droit de s'enorgueillir, et l'un desnaturalistes et des explorateurs que n'importe quel pays de l'Europe du XIXe sicle aurait le

    plus de raison d'envier sa patrie.Sir Alfred Russel Wallace, membre du bureau de la socit Royale et prsident de la socitd'anthropologie, est n Usk, Monmouthshire, le 8 janvier 1822.Trs jeune il aborda au Brsil et remonta l'Amazone jusqu'assez avant dans l'intrieur duconfinent; c'est ce voyage que lon est redevable de la moiti sans doute de ce que l'on saitsur ce fleuve souvent large et profond comme une mer, rapide et bruyant comme unecataracte, et sur l'immense fort qu'il trouble, flore luxuriante comme un conte de fe,

    inextricable comme un roman-feuilleton, et grouillante d'une faune sournoise et terrible. Puisil passa en Afrique pour y tudier sous la mme latitude les populations animale et vgtaledes rgions fluviales. Aprs quatre ans de prgrinations pnibles et minemment prilleuses,il revint Londres pour publier une relation de ses travaux, laquelle s'adjoignit bientt untrait sur les Palmiers de la Guyane et leurs Usages.Sir A. R. Wallace ne s'accorda qu'un repos trs bref, et, soucieux d'achever son tudecomparative de la nature tropicale dans les trois continents, ne tarda pas partir pourl'Insulinde, qu'il devait parcourir huit annes durant. An cours de ce long exil volontaire, ilmrit une thorie dont ses recherches antrieures lui avaient suggr de primes et vaguesgermes, et que corroboraient puissamment maints lments relevs par l'enqute nouvelle. Ilen esquissa les linaments capitaux en un mmoire sur la Tendance des Varits sloigner

    du Type originel, qu'il adressa Sir Ch. Lyell pour que cet illustre naturaliste en donntlecture la sance de juillet 1858 de la Linnean Society. En mme temps Sir Ch. Lyellrecevait de Darwin un essai destin tre prsent au mme public dans la mme sance, ettraitant du mme sujet selon une doctrine rigoureusement identique : De la Tendance des

    Espces former des Varits. Les deux chercheurs, trs loin l'un de l'autre et dans desconditions fort diffrentes, chacun, d'ailleurs, est-il besoin de le dire, ignorant tout faitl'orientation des cogitations de son rival imprvu, avaient abouti des conclusions similaires,d'o devait jaillir une des hypothses les plus hardies de la pense moderne , hypothseappele s'tendre du domaine botanique et zoologique l'universalit des aspects de la Vieet consommer enfin la fusion de la science et de la philosophie en une religioninvraisemblable, puisqu' la fois intuitive, rationnelle et positive. Aprs une lutte aimable qui

    est coup sr l'un des plus sublimes spectacles que puisse offrir l'histoire de la dcouverte del'Infini, Darwin dut cder, et ce fut son travail qu'entendit la Linnean Society. Ainsi entra dansla gloire cette thorie de l'volution des formes qui a t si prs d'tre dnomme Wallacisme.La gnrosit du vainqueur jamais ne dfaillit par la suite, car le second tirage du livre surlorigine des espces abonde en amliorations, additions et notes dues Sir A. R. Wallace, et,malgr quelques dissidences lgres formules par celui-ci dansses contributions la thoriede la slection naturelle (1870), en 1889 encore l'uvre intitule le Darwinisme rendit unhommage clatant au vaincu triomphateur.A son retour dfinitif en Angleterre, l'auteur du prsent livre eut classer les huit milleoiseaux et les cent mille insectes que, plus heureux que pour la premire srie de sesexplorations, l'issue de laquelle il avait perdu l'inestimable collection laborieusement

    amasse en Amrique et en Afrique, il rapportait des les asiatiques. Puis il donna son livresur larchipel Malais, le Pays de l'Orang-Outan et de lOiseau de Paradis (1869). Le volume

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    sur la nature tropicale fut le dernier fruit de ses voyages et comme une rcapitulation destudes spciales auxquelles ils avaient t consacrs.En dehors de ces travaux et d'un important essai sur la Distribution Gographique des

    Animaux (1876), Sir A. R. Wallace s'est passionn pour les questions anthropologiques etsociologiques, comme en tmoignent ses ouvrages sur la Vie Insulaire (1880) et sur la

    Nationalisation du Sol(1882).Enfin il n'a pu rsister l'attirance de ces manifestations psychiques que l'ignorance dupopulaire et la prsomption des pdants qualifient de miraculeuses, et l non moins qu'ailleursil a dploy, d'abord pour les contrler en sceptique, plus tard pour les prouver en croyant, les

    puissantes facults de son Esprit hardi et tenace, large et prcis, loyal et pntrant. Le faltenant de lexprimentalisme a vu dans ces phnomnes la rvlation de forces subtiles etformidables par l'auscultation desquelles doivent s'lucider les problmes capitaux, le

    philosophe les a compris comme l'aboutissement fatal de la doctrine volutionniste, lemoraliste y a constat la projection de lois scientifiques exactes en des principes thiquesinfiniment purs et gnreux, susceptibles un degr extrme de hter l'exhaussementindividuel et collectif, l'humanitaire enfin les a envisags comme initiateurs de l'harmonie

    sociale et du progrs de l'espce. Nombreux sont les articles qu'il a crits sur ce sujet,nombreuses les confrences qu'il a parles dans le mme but en Angleterre et aux tats-Uniset dont la rdaction a t conserve, considrable la correspondance qu'il a d entretenir dansmaints priodiques des deux mondes avec les adversaires de la cause. Les plus importantsfragments de cet uvre ont t recueillis ici, et traduits, les trois premiers d'aprs la premiredition de On Miracles and Modern Spiritualism, grand in-16, London, James Burns, 1875,en un style o l'on s'est inquit seulement d'interprter l'original aussi littralement que

    possible.

    Le traducteur

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    Prface de l'auteur

    Les essais qui forment ce volume ont t crits des poques diverses et dans des buts divers.Le premier en ordre, lequel n'est point le plus ancien en date, a t lu devant la socitdialectique, avec lintention d'induire les sceptiques soumettre un nouvel examen laquestion fondamentale de la crdibilit ou de lincrdibilit inhrente aux miracles. Le seconda t crit il y a plus de huit ans pour les pages d'un priodique mondain, et imprim unnombre dexemplaires trs limit, surtout pour la circulation prive. Le troisime est larticlequi a paru rcemment dans la Fortnightly Review. Le tout a t soigneusement rvis, et desadditions considrables ont t faites en phnomnes explicatifs, arguments et expriences

    personnelles, indpendamment de quelques remarques critiques sur la dernire uvre duDocteur Carpenter.Comme les deux derniers essais taient destins chacun donner une vue gnrale du mmesujet, il se rencontre ncessairement des redites dans les matires traites, et les mmes

    autorits sont allgues plusieurs reprises; mais nous croyons quactuellement on netrouvera aucune rptition de dtails, car nous avons pris soin d'introduire des faits indits etdes dveloppements nouveaux, de telle sorte que l'un de ces essais servira de supplment et deconfirmation l'autre.Il me faut maintenant dire quelques mots sur une question personnelle.Je n'ignore point que mes confrres scientifiques ont bien de la peine se rendre compte de cequ'ils tiennent pour ma chimre et je suis persuad que le peu d'autorit que je peux avoiracquis autrefois dans les dbats relatifs la philosophie de lhistoire naturelle, en a reu uneatteinte fcheuse. Un de ces savants, M. Antoine Dohrn, a exprim cela clairement. Je suisinform que, dans un article intitul : Les dfenseurs et les dtracteurs du Darwinisme en

    Angleterrepubli en 1861, il a mis lopinion que le spiritualisme et la slection naturelle sont

    incompatibles, et que ma divergence de vues avec M. Darwin provient de ma croyance en lespiritualisme. Il conjecture en outre qu'en acceptant les doctrines spiritualistes j'ai t selonune certaine mesure influenc par des prjugs clricaux et religieux.Comme les ides de M. Dohrn sont sans doute celles d'autres confrres scientifiques, je suis

    peut-tre excusable d'entrer ici dans quelques dtails personnels, qui seront ma rponse.A partir de lge de quatorze ans jai vcu avec un frre an d'opinions librales et

    philosophiques avances, et jai perdu tt pour ne la recouvrer jamais depuis, toute capacitd'tre domin dans mes jugements, tant par des influences clricales que par des superstitionsreligieuses. Jusqu' lpoque o je me trouvai pour la premire fois en prsence des faits duspiritualisme, j'tais un sceptique philosophique avr, me complaisant dans les uvres deVoltaire, de Strauss, de Karl Vogt, et ardent admirateur (comme je le suis encore), de Herbert

    Spencer. J'tais un matrialiste si parfait et si prouv, que je ne pouvais en ce temps trouverplace dans ma pense pour la conception d'une existence spirituelle, ni pour celle d'aucuneautre fonction que ce soit dans l'univers que la matire et la force. Les faits, nanmoins, sontchoses opinitres. Ma curiosit fut d'abord veille par des phnomnes minimes maisinexplicables, constats dans la famille d'un ami, et mon dsir de savoir et mon amour de lavrit m'excitrent poursuivre lenqute. Les faits devinrent de plus en plus manifestes, de

    plus en plus varis, de plus en plus loigns de tout ce quenseigne la science moderne ou detout ce qu'a discut la philosophie contemporaine. Ils me vainquirent. Ils me contraignirent les accepter comme faits, longtemps avant que je pusse en admettre l'explication spiritualiste :il n'y avait pas alors, dans mon systme de pense, de place dont cela pt s'accommoder .Par lents degrs une place fut faite seulement cela ne rsulta aucunement d'opinions

    prconues et thoriques, mais de l'action continue des faits aprs les faits, sans quil ftpossible de se dbarrasser d'eux par quelque autre moyen que ce soit. Voil pour la thorie de

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    M. Antoine Dohrn sur les causes qui m'auraient conduit accepter le spiritualisme. Qu'il noussoit permis prsent d'examiner son opinion sur lincompatibilit de cette doctrine avec cellede la slection naturelle.Ayant, comme il a t montr plus haut, t amen par une rigoureuse induction des faits, lacroyance, premirement, en l'existence d'une infinit d'intelligences extra-humaines de degrs

    varis, et secondement en la facult pour certaines de ces intelligences, bien queordinairement invisibles et intangibles pour nous, de pouvoir et de produire action et matire,et d'influencer nos penses, je me suis convaincu, suivant une marche svrement logique etscientifique, que les limites taient loin, jusqu'o cette doctrine sera susceptible de nousrendre raison de plusieurs de ces phnomnes rsiduels que la slection naturelle seule nesuffit pas expliquer. Dans le dixime chapitre de mes Contributions la Thorie de laSlection Naturelle, j'ai indiqu ce que je pense de ces phnomnes rsiduels et j'ai suggrequ'ils peuvent tre dus laction de certaines de ces intelligences varies spcifies ci-dessus.Cette vue, nanmoins, a t avance avec hsitation, et j'ai moi-mme insinu les difficultsque l'on trouve l'accueillir mais j'ai maintenu, et maintiens encore, que telle opinion estlogiquement dfensible, et qu'en aucune faon elle n'est incompatible avec une pleine

    adhsion la grande doctrine de lvolution par la slection naturelle, adhsion impliquantd'ailleurs (et c'est ainsi que l'entendent beaucoup des principaux tenants de cette thorie), quel n'est point la cause toute-puissante, absolument suffisante, unique, du dveloppement desformes organiques.

    GRAYS, Essex, 1er Dcembre 1874.

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    Chapitre I

    Rponse aux arguments de Hume, Lecky et autres contre les miracles

    Mmoire lu la socit Dialectique en 1871Il est gnralement admis aujourd'hui, que ces opinions et croyances dans lesquelles leshommes ont t levs de gnration en gnration, et qui ont ainsi contribu former une

    part de leur nature mentale, sont spcialement sujettes erreur, parce qu'elles maintiennentvives et perptuent les ides et prjugs d'un ge en-all et moins clair. La vrit est parconsquent intresse ce que toute doctrine ou foi, si solidement tablie et consacre qu'elle

    puisse paratre, soit certains intervalles somme de s'armer d'autant de faits et deraisonnements qu'elle en possde, afin d'affronter ses opposants dans le libre champ de lacontroverse, et de lutter pour son droit de vie. Et aucune immunit ne saurait tre sollicite enfaveur de ces croyances qui sont le produit de la civilisation moderne , et qui, au cours de

    plusieurs gnrations, ont t tenues pour incontestables par la grande masse de la socitcultive ; car les prventions en leur faveur sont relativement grandes, et, comme ce fut le caspour les doctrines d'Aristote et les dogmes des scholastiques, elles peuvent perdurer par laseule vertu de l'autorit et force de l'habitude, longtemps aprs qu'elles ont t convaincues decontradiction autant avec les faits qu'avec la raison. Il fut un temps o les superstitions

    populaires taient dfendues par les terreurs de la loi, et o le sceptique ne les attaquait pointsans pril pour son existence. Actuellement nous estimons tous que la vrit sait prendre soinde soi mme, et que lerreur seule a besoin de protection. Mais il y a un autre mode dedfense, lequel implique une gale prtention la vrit certaine et absolue, et qui parconsquent n'est pas moins mprisable et anti-philosophique : il consiste ridiculiser etdiscrditer nos adversaires, et ddaigneusement dcliner de discuter la question fond. Cette

    mthode a t employe au milieu de nous tout l'heure; car il y a une croyance, ou plutt uneincroyance, dont les avocats exigent plus que l'infaillibilit papale, lorsqu'ils se refusent examiner l'vidence apporte contre eux, et qu'ils allguent les arguments gnraux qui ont tusits pendant deux sicles pour prouver qu'ils ne peuvent tre dans l'erreur. L'opinion laquelle je fais allusion, affirme que tous les miracles que l'on raconte sont faux que ce quel'on entend communment par le terme surnaturel ne saurait exister, ou que si cela existe onest incapable de fournir en sa faveur aucune somme d'attestations humaines; que tous les

    phnomnes dont il nous est donn d'avoir connaissance, dpendent de lois physiquesdterminables, et que nul tre intelligent en dehors de l'homme et des animaux infrieurs ne

    peut ni ne produit action sur notre monde matriel. Ces vues ont t tenues pour presqueincontestables par maintes gnrations jusqu' nos jours; elles sont inculques comme une

    part essentielle d'une ducation librale ; elles sont populaires et passent pour tre lun desindices de notre avancement intellectuel; et elles occupent tant de place dans la constitution denotre nature mentale, que tous faits et arguments apports contre elles sont, ou ignors commeindignes de srieuse considration, ou couts avec un mpris non dguis. Un tel mode de

    pense n'est certainement gure favorable la dcouverte de la vrit, et rappellesingulirement celui qui, au temps pass, nourrissait et conservait sous sa tutelle les systmesd'erreur. L'heure a sonn, pourtant, o il doit tre mis en demeure de se justifier soi-mme.Cela est d'autant plus ncessaire, que cette doctrine, vraie ou fausse, repose actuellement surune base fort hasardeuse et vermoulue; aussi me propos-je de montrer que les meilleursraisonnements invoqus jusqu'ici pour la soutenir, sont, chacun pris part et tous rassembls,fallacieux, et ne prouvent rien en l'espce. Mais une thorie, un sentiment, peuvent treappuys par des arguments dtestables, et cependant tre justes ; de mme qu'ils peuvent tre

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    appuys par des arguments excellents, et cependant tre errons. Mais jamais une thse justen'a manqu pour la dfendre d'arguments satisfaisants. Si pourtant tous ceux employs jusqu'ce jour contre les miracles en gnral peuvent tre dnoncs dtestables, il conviendra que lessceptiques en dcouvrent au moins un bon et s'ils n'y parviennent pas, il faudra bien prendreen considration l'vidence qui parle en faveur des miracles et l'estimer son exacte valeur, au

    lieu de la renvoyer hors de cour ainsi que cela se pratique maintenant.On observera nanmoins que ma prsente intention est seulement de dblayer le terrain pourla discussion sur la grande question de ce que l'on appelle le surnaturel. Je n'essayerai pasd'apporter des arguments pour ni contre la proposition principale, mais me restreindrai demoi-mme l'examen des allgations et des raisonnements qui ont t imagins pour fixerl'ensemble de la question sur une base gnrale.Un des ouvrages les plus remarquables du grand philosophe cossais, David Hume, est ses

    Recherches sur lEntendement Humain, et le dixime chapitre traite Des Miracles. C'est lque s'offrent les arguments si souvent cits pour dmontrer qu'il n'existe point de tmoignagesuffisant pour prouver un miracle. Hume lui-mme avait une trs haute opinion de cette partiede son uvre, puisqu'il dit au dbut du chapitre : Je me flatte d'avoir dcouvert un argument

    qui, s'il est juste, sera, entre les mains d'hommes aviss et doctes, un ternel obstacle touteespce d'erreur superstitieuse, et consquemment sera utile aussi longtemps que durera lemonde ; car je prsume que jusqu' la fin du monde on trouvera le rcit de miracles et de

    prodiges dans toute histoire, sacre ou profane .

    Dfinition du terme miracle

    Aprs quelques observations gnrales sur la nature de l'vidence et la valeur du tmoignagehumain dans diffrents cas, il entreprend de dfinir ce que l'on entend par un miracle. Et ici,ds le rel commencement du sujet, il se trouve que nous avons lever une objection contre

    la dfinition que Hume donne du miracle, parce qu'on y constate des prsomptions malfondes et de fausses prmisses. Il donne deux dfinitions dans des parties diffrentes de sonEssai. Voici la premire : Un miracle est une violation des lois de la nature . Et voici laseconde : Un miracle est une transgression de la loi naturelle due une volition particulirede la Divinit ou l'intervention de quelque agent invisible. Or ces dfinitions sont toutesdeux mauvaises ou du moins imparfaites. La premire nous attribue implicitement laconnaissance de toutes les lois de la nature ; elle affirme que tel effet particulier ne saurait tre

    produit par quelque loi naturelle inconnue troublant la loi de nous connue ; elle prtend enfinque si un tre intelligent invisible tenait une pomme suspendue en l'air, la loi de gravit serait

    par-l viole. La seconde n'est pas prcise ; elle devrait spcifier : quelque agent intelligentinvisible , autrement l'action du galvanisme ou de l'lectricit, alors que ces agents venaient

    peine d'tre dcouverts, et avant que l'on se ft assur du rle qu'ils jouent dans l'ordre de lanature, et rpondu exactement cette dfinition du miracle. D'ailleurs les mots violation et transgression sont tous deux employs improprement, et ne sont en ralit qu'une

    ptition de principe. Comment Hume peut-il connatre que tel miracle particulier est uneviolation de la loi naturelle ? Il affirme cela sans l'ombre d'une preuve, et c'est sur ces mots,comme nous le verrons, qu'est fonde son argumentation entire.Avant de poursuivre plus loin, il nous est ncessaire de rechercher quelle est la vritabledfinition du miracle, ou ce que l'on entend communment par ce mot. Un miracle, en tantque distinct d'un phnomne naturel nouveau et tout fait inou, suppose un agent supra-humain intelligent, visible ou invisible. Il n'est pas indispensable que ce qui se prsente soit endehors de ce qu'il est donn de produire au pouvoir humain. L'action la plus simple, pourvu

    qu'elle s'accomplisse indpendamment de toute fonction humaine ou visible, telle qu'une tasse th leve en l'air au commandement comme par une main invisible et sans cause

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    dterminable, serait universellement regarde comme un miracle ; de mme pour lasuspension d'une maison dans l'atmosphre, la gurison instantane d'une plaie, la productionnon moins instantane d'un dessin trs soign. Il est vrai, les miracles ont t en gnral tenus

    pour tre, directement ou indirectement, dus l'action de la Divinit, et quelques personnesn'admettront sans doute point qu'un fait qui n'ait pas cette cause mrite le nom de miracle.

    Mais c'est l avancer une hypothse improuvable, et non fixer une dfinition. Il n'est paspossible en effet de prouver que tel fait suppos miraculeux est un acte de Dieu, ou direct, ouindirectement produit par Lui pour confirmer la mission divine de quelque individualit ; aulieu qu'il peut tre possible de prouver que ce fait rsulte de l'action de quelque tre extrahumain invisible et intelligent. Pour dfinition du miracle je proposerais donc celle que voici : Un acte ou un fait infrant ncessairement l'existence et la fonction d'intelligences supra-humaines , considrant l'me, l'Esprit de l'homme, ds qu'il est manifest hors du corps,comme une de ces intelligences supra-humaines. Cette dfinition est plus complte que cellede Hume, et prcise plus exactement ce que l'on dsigne communment par le terme demiracle.

    L'vidence de la ralit des miracles

    Il y a lieu maintenant d'examiner les arguments de Hume. Le premier est ainsi conu : Un miracle est une violation des lois de la nature et comme une ferme et inaltrableexprience a tabli ces lois, la preuve contre un miracle, tire de la vritable essence du fait,est aussi complte que peut tre possiblement imagin un argument bas sur l'exprience.Pourquoi est-il plus que probable que tous les hommes doivent mourir ; que le plomb nesaurait de soi-mme rester suspendu en lair ; que le feu consume le bois et est teint par l'eau;si ce n'est parce que de telles occurrences sont connues pour conformes la loi naturelle etque l'on considre comme une violation de cette loi, ou, en d'autres termes, un miracle, le fait

    de les empcher ? Rien n'est estim miraculeux, de ce qui s'est constamment offert dans le processus commun de la nature. Il n'est point miraculeux qu'un homme, selon toutesapparences en parfaite sant, vienne mourir subitement parce qu'on a observ qu'un tel genrede trpas, bien que plus inhabituel qu'aucun autre, se prsente cependant frquemment. Maisil est miraculeux qu'un homme mort revienne la vie, parce que cela na jamais t constatdans quelque temps ou pays que ce soit. Il doit exister une uniforme exprience contre touteoccurrence miraculeuse, autrement l'occurrence ne mriterait pas ce qualificatif. Et commeune uniforme exprience quivaut une preuve, c'est l une preuve directe et complte tirede l'essence mme du fait, contre la ralit de quelque miracle que ce soit ; et une telle preuven'est destructible, et le miracle n'est susceptible d'tre rendu croyable, qu'en vertu d'une

    preuve oppose, qui soit suprieure.

    Cet argument est radicalement fallacieux, car s'il tait valable, nul fait absolument nouveau neserait jamais prouvable, puisque le premier tmoin, et chacun aprs lui, seraient suppossavoir contre soi l'exprience universelle. Un simple fait, comme, par exemple, l'existence du

    poisson volant, serait toujours impossible tablir si l'argument de Hume tait bon ; le premier homme qui en vit et dcrivit un, devait en effet avoir contre soi l'exprienceuniverselle qu'un poisson ne saurait voler, ou du moins faire quoi que ce soit approchant duvol et son tmoignage a certainement t rejet : la mme argumentation a sans doute tapplique au second, et chacun des attestateurs qui se sont prsents dans la suite de sorteque nul homme qui, l'heure prsente n'a point de ses yeux vu en vie un poisson volant, etvolant au moment o il le regardait, ne devrait croire l'existence d'une telle chose.Et encore les actions faciles obtenues d'un sujet amen un certain tat par de simples passes

    de la main, taient, il y a vingt-cinq ans, tenues pour contraires aux lois de la nature,contraires toute exprience humaine, et en consquence incroyables. D'aprs les principes de

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    Hume, ce seraient l des miracles, et nulle somme de tmoignages ne pourrait jamais endmontrer la ralit. Pourtant ces faits aujourd'hui sont admis comme incontestables par la

    plupart des physiologistes et on essaye, il est vrai avec peu de succs, de les expliquernaturellement. Mais les miracles ne se prsentent pas, ainsi que le prtend l'argumentation que

    je combats, isols, occurrences singulires opposes l'exprience uniforme. Les faits

    qualifis de miraculeux abondent dans toutes les priodes de l'histoire ; chacun d'eux estappuy d'une foule d'autres et chacun est confirm actuellement par des ventualitsstrictement analogues. L'exprience uniforme, laquelle Hume attribue tant d'importance, neleur est donc point contraire. Quel miracle plus frappant, par exemple, que la lvitation, c'est--dire l'enlvement du corps humain dans l'air sans cause visible, et cependant ce fait a tcertifi durant une longue suite de sicles.Quelques exemples sont bien connus. Saint Franois d'Assise a t vu souvent par maintes

    personnes s'lever dans l'air, et cela a t attest par son secrtaire, qui ne pouvait atteindreque ses pieds. Sainte Thrse, religieuse dans un couvent d'Espagne, s'est souvent leve dansl'air en prsence de toute la communaut. Lord Orrery et M. Valentin Greatrak ont tous deuxinform le Dr Henry More et M. Glanvil que chez Lord Conway, Ragley, en Irlande, un

    sommelier de ce gentleman, en leur prsence et en plein jour, s'est lev dans l'air et a flottdans l'atmosphre, par toute la chambre, au-dessus de leurs ttes. Cela est relat par Glanvildans son Sadducismus Triumphatus. Un fait semblable est rapport d'Ignace de Loyola pardes tmoins oculaires et M. Madden, dans sa biographie de Savonarole, aprs avoir racont dece saint une pareille circonstance, remarque que de tels phnomnes ont t signals denombreuses reprises, et que l'vidence sur laquelle reposent les rcits que l'on en fait, est aussidigne de foi que peut l'tre aucun tmoignage humain. Butler, dans ses Vies des Saints, dit que

    beaucoup de telles occurrences sont narres par des personnes d'une vracit indubitable, quiaffirment en avoir t elles mmes tmoins oculaires. Enfin nul de nous n'ignore que Ion peuttrouver Londres au moins cinquante personnes d'un haut caractre qui certifieront avoirconstat la mme chose au sujet de M. Home. Je n'offre pas ce dernier tmoignage, l'effet de

    prouver que les circonstances rapportes ont rellement eu lieu ; pour l'instant je ne le mets enavant que pour montrer comme quoi l'argument de Hume est entirement infond, qui se base,d'une part sur l'assentiment de l'exprience universelle, et de l'autre sur le dfaut d'exprience.

    Nature contradictoire des assertions de Hume

    J'ai montrer maintenant que Hume, dans ses efforts pour prouver sa thse, se contredit lui-mme d'une manire si grave et si complte, qu'il est peut-tre impossible d'en trouverl'analogue dans les uvres d'aucun autre auteur minent. Le premier passage que je citerai estle suivant :

    D'abord, on ne saurait trouver, dans lhistoire entire, aucun miracle attest par un nombresuffisant d'hommes d'un bon sens, d'une ducation et d'une culture assez incontestables pournous garantir contre toute supercherie de leur part ; d'une intgrit assez indubitable, pour les

    placer en dehors de toute suspicion de quelque dessein de tromper autrui ; d'un tel crdit etd'une telle rputation aux yeux de l'humanit, qu'ils aient beaucoup perdre tre convaincusde quelque duperie; et en mme temps tmoignant de faits accomplis d'une manire si

    publique et dans une partie du monde si connue, que la dcouverte de la supercherie soitinvitable, toutes conditions requises pour nous donner une pleine confiance dans letmoignage des hommes. Quelques pages plus loin nous avisons le passage que voici : Il n'y a srement jamais eu un plus grand nombre de miracles attribus une personne, que

    ceux que l'on a dit rcemment s'tre produits en France sur la tombe de l'Abb Pris, lefameux Jansniste, avec la saintet de qui le peuple a t si longtemps jou. Les malades

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    guris, l'oue rendue aux sourds et la vue aux aveugles, tels taient les effets habituels de cesaint spulcre, s'il fallait croire les rcits que l'on colportait partout. Mais, chose bien plusextraordinaire, beaucoup de ces miracles taient prouvs immdiatement sur place, devant des

    juges d'une intgrit inconteste, attests par des tmoins de crdit et distinction, une poqueclaire, et sur la scne la plus minente qui soit au monde actuellement. Et ce n'est pas tout.

    Une relation en a t publie et rpandue parce tout et les Jsuites eux-mmes, compagnieinstruite cependant, soutenus par la magistrature civile, et adversaires dtermins des opinionsen faveur desquelles ces miracles ont t dits s'tre produits, n'ont jamais t capables de lesrfuter ou de les confirmer nettement. O trouverons-nous un tel nombre de circonstancesconcourant corroborer un fait ? Et qu'avons-nous opposer une telle nue de tmoins,sinon limpossibilit absolue, la nature miraculeuse des vnements que l'on raconte ? Et celaseul sera certainement, aux yeux de tout peuple raisonnable, considr comme une rfutationsuffisante. Dans le second passage il affirme l'existence de chaque fait et qualit que dans le premier

    passage il a dclar n'avoir jamais exist (comme il appert des mots souligns), et il changeentirement le fond de son argumentation en en appelant de l'inhrente impossibilit de

    l'occurrence, et point du tout de l'insuffisance de la preuve. Il rend mme cette contradictionencore plus remarquable, par une note qu'il lui-mme ajoute cet endroit, et dont voici une

    partie : Ce livre a t crit par M. Montgeron, conseiller ou juge au Parlement de Paris, homme defigure et caractre, qui a t aussi un martyr de la cause, et qui, dit-on, est maintenant quelque

    part dans un cachot cause de son ouvrage...Beaucoup des miracles de l'Abb Pris ont t prouvs immdiatement par des tmoinsdevant l'officialit ou cour piscopale de Paris, sous les yeux du Cardinal de Noailles, dont lecaractre d'intgrit et de capacit n'a jamais t contest, mme par ses ennemis.Son successeur l'archevch tait un adversaire des Jansnistes, et c'est en cette qualit qu'ilavait t lev par la cour cette dignit. Pourtant, vingt deux recteurs ou curs de Paris, avecune ardeur infinie, le pressrent en vain d'examiner ces miracles, que l'on prtendait connusdu monde entier, et indiscutablement certains sagement il s'abstint...Tous ceux qui ont t en France vers cette poque ont ou parler de la rputation de M.Hrault, le lieutenant de police, dont la vigilance, la pntration, l'activit et l'intelligencetendue, taient bien connues. Ce magistrat, qui, par la nature de son office, est presqueabsolu, tait investi de pleins pouvoirs l'effet de supprimer ou discrditer ces miracles et il afrquemment saisi immdiatement et examin les tmoins et sujets de ces faits mais jamais iln'a pu atteindre rien de satisfaisant contre eux.Dans le cas de Mlle Thibaut, il envoya le clbre De Sylva pour examiner cette personne ; sontmoignage est trs curieux. Ce mdecin dclare qu'il est impossible que la demoiselle ait t

    aussi malade que l'affirment des tmoins parce qu'il n'est pas possible qu'elle ait en si peu detemps recouvr l'tat de parfaite sant o il la trouve. Il raisonnait comme un homme de senssur des causes naturelles ; mais le parti oppos lui disait que le tout tait miraculeux, et queson exprience en tait bien la meilleure preuveUn homme qui n'tait autre que le Duc de Chtillon, pair de France, de trs haut rang et degrande famille, se porta garant d'une cure miraculeuse accomplie sur la personne d'un siendomestique, qui avait vcu plusieurs annes dans sa maison avec une infirmit visible et

    palpable.Je terminerai par cette observation que nul clerg n'est plus rput pour la svrit de sa vie etde ses murs que le clerg rgulier de France, en particulier les recteurs ou curs de Paris quitmoignrent en faveur de ces impostures.

    L'instruction, l'intelligence et la probit de ces personnes, et l'autorit des religieuses de Port-Royal, ont t assez renommes par l'Europe entire. Pourtant tous ont fourni des preuves d'un

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    miracle opr sur la nice de l'illustre Pascal, dont la saintet de vie, non moins quel'extraordinaire capacit, sont bien connues. L'illustre Racine, dans sa clbre histoire de Port-Royal, donne de ces miracles un rcit qu'il fortifie de toutes les attestations qu'une multitudede religieuses, de prtres, de mdecins et d'hommes du monde, tous d'un crdit ne pas tremis en doute, ont pu fournir cet gard. Plusieurs crivains, notamment l'Evque de Tournay,

    estimaient ce miracle si certain, qu'ils l'employaient rfuter les athes et les libres-penseurs.La reine rgente de France, qui tait extrmement prvenue contre Port-Royal, envoya pourexaminer le miracle un sien mdecin, qui revint absolument converti. Bref, cette curesurnaturelle fut si incontestable, qu'elle sauva pour un temps le fameux monastre de la ruinedont le menaaient les Jsuites. Si c'avait t l une duperie, elle et t certainementdcouverte par des antagonistes si sagaces et si puissants, et elle aurait fort ht la perte de sesauteurs. Il semble presque incroyable que cela ait pu tre crit par le grand sceptique David Hume, etcrit dans le mme ouvrage o il a dj affirm que dans l'histoire entire on ne sauraittrouver nul tmoignage tel. Afin de montrer combien est remarquable l'vidence laquelle ilfait allusion, je pense qu'il est bon de donner dans tous les dtails un de ces cas, tel qu'il est

    enregistr dans l'uvre originale de Montgeron, et cit dans l'Histoire du Surnaturel, de M.William Howitt : Mademoiselle Coirin tait afflige, entre autres maux, d'un cancer au sein gauche qui dataitde douze ans. Le sein avait t dtruit par lui, et s'tait en all d'un seul morceau; lesmanations de ce cancer taient horribles, et tout le sang du systme tait dclar infect parcette plaie. Chaque mdecin prononait que le cas tait absolument incurable. Pourtant, parune visite la tombe, cette personne fut parfaitement gurie et ce qui est plus tonnant, le seinet le mamelon se reconstiturent en entier, avec la peau pure et frache et libre de toute tracede cicatrice. Ce cas fut connu de la socit la plus leve dans le royaume. Lorsque le miraclefut ni, Mlle Coirin se rendit Paris, fut examine par le mdecin du roi et fit une dpositionformelle de sa gurison devant un notaire public. Mlle Coirin tait fille d'un officier de lamaison du roi, et avait deux frres au service personnel du souverain. Les tmoignages desdocteurs sont de la nature la plus dcisive. M. Gaulard, mdecin du roi, attesta officiellementque la reconstitution d'un mamelon absolument dtruit et spar du sein est une crationeffective, parce qu'un mamelon n'est point simplement un prolongement des vaisseaux dusein, mais un corps particulier, qui est d'une organisation distincte et propre . M. Souchay,chirurgien du Prince de Conti, non seulement dclara le cancer incurable, mais, ayant examinle sein aprs la gurison, alla de lui-mme devant le notaire public, et fit une dpositionformelle que la gurison tait parfaite ; que chaque sein avait son mamelon en sa forme etcondition naturelles, avec les couleurs et qualits propres ces parties. Tels sont encore lestmoignages de Sguier, le chirurgien de l'hpital de Nanterre de M. Deshires, chirurgien de

    la Duchesse de Berry ; de M. Hquet, un des plus clbres chirurgiens de France et de nombred'autres, aussi bien que d'officiers publics et de personnes de la plus grande renomme,universellement connues ; lesquelles dpositions sont donnes toutes, officiellement et dansleur entier, par Montgeron. C'est l un seul entre une grande quantit de cas galement merveilleux, et galement bienattests, aussi ne pouvons-nous tes surpris que Hume ait t oblig d'abandonner l'argumentde l'insuffisance de l'vidence en faveur des miracles et de l'exprience uniforme contre eux ;le prodige et t qu'il continut proposer un argument qu'il tait lui-mme capable derfuter si compltement.

    Nous avons maintenant un autre argument que Hume met en avant, mais qui est, si possible,encore plus faible que le prcdent. Il dit :

    Je puis ajouter, comme quatrime raison qui amoindrisse l'autorit des prodiges, que pouraucun il n'existe nul tmoignage, mme de ceux qui n'ont pas t expressment contrls, qui

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    ne soit contredit par un nombre infini d'attestations si bien que, non seulement le miracledtruit le crdit du tmoignage, mais le tmoignage se dtruit soi-mme. Pour faire mieuxcomprendre cela, qu'il nous soif permis de considrer que, en matire de religion, tout ce quiest diffrent est contraire et qu'il est impossible que les religions de l'ancienne Rome, de laTurquie, de Siam, de la Chine, soient, elles toutes, tablies sur une base solide. Donc, chaque

    miracle donn pour avoir t opr dans l'une quelconque de ces religions et toutes ellesabondent en miracles, comme son but immdiat est d'affermir le systme particulier auquel ilest attribu, a aussi la mme force, bien que plus indirectement, pour renverser tout autresystme. En ruinant une doctrine rivale, il dtruit pareillement le crdit des miracles surlesquels cette doctrine tait fonde ; de sorte que tous les prodiges de religions diffrentesdoivent tre regards comme faits contraires et les preuves de ces prodiges, qu'elles soientfaibles ou puissantes, comme opposes les unes aux autres. Selon cette mthode deraisonnement, quand nous croyons quelque miracle de Mahomet ou de ses successeurs, nousavons pour garantie le tmoignage d'une poigne de barbares Arabes. Et, d'autre part, nousallons envisager l'autorit de Tite-Live, Plutarque, Tacite, bref, de tous les auteurs etspectateurs, Grecs, Chinois, Catholiques-Romains, qui ont relat quelque miracle dans leur

    religion particulire ; nous allons, dis-je, envisager leur tmoignage sous le mme jour ques'ils avaient mentionn ce miracle Mahomtan et qu'ils l'eussent contest en termes exprs,avec la mme assurance qu'ils ont l'gard des miracles par eux-mmes allgus. Eh bien, cet argument, si cela peut tre appel un argument, repose sur l'extraordinaireassertion qu'un miracle s'il est rel, ne saurait venir que de Dieu, et ne doit par consquentsoutenir qu'une religion vraie. Il suppose aussi que les religions ne peuvent tre vraies moinsd'tre donnes par Dieu. M. Hume affirme donc connatre que rien de ce que nous nommonsun miracle ne peut possiblement tre accompli par aucun des tres intelligents en nombre

    probablement infini qui peuvent exister dans l'univers entre nous-mmes et la Divinit.Il confond la preuve du fait avec la thorie destine expliquer ce fait, et prtend fortillogiquement et imphilosophiquement que si les thories induisent contradiction, les faitseux-mmes n'existent point.Je pense que j'ai prsent montr que :1. Hume donne du miracle une dfinition fausse et qui suppose rsolue la question de leur

    possibilit ;2. II formule le sophisme que les miracles sont faits isols, auxquels le cours entier del'exprience humaine est oppos ;3. Dlibrment et absolument il se contredit soi-mme sur le sujet de la quantit et de laqualit du tmoignage en faveur des miracles;4. II avance une erreur palpable quant aux miracles rattachs des religions opposes qui sedtruiraient les uns les autres.

    Objections modernes contre les miracles

    Nous allons en venir maintenant certains des arguments plus rcents contre les miracles.L'une des plus populaires objections modernes consiste faire ce que l'on imagine tre unesupposition impossible, et tirer une conclusion de ce qui a l'air d'un dilemme, mais quirellement n'en est pas un du tout.Cet argument a t prsent sous plusieurs formes. Voici l'une : Si un homme me dit qu'ilest venu d'York par le fil du tlgraphe, je ne le crois pas. Si cinquante hommes me disentqu'ils sont venus d'York par les fils du tlgraphe, je ne les crois pas. Si un nombrequelconque d'hommes me disent la mme chose, je ne les crois pas. Donc, M. Hume ne flotte

    pas en l'air, en dpit de quelque somme que ce soit de tmoignages que vous pouvez apporterpour le prouver.

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    En voici un autre : Si un homme me dit qu'il a vu le lion de Northumberland-Housedescendre dans Trafalgar Square et boire de l'eau des fontaines, je ne le croirai pas. Sicinquante hommes, ou un nombre quelconque d'hommes, m'informent de la mme chose, jene les croirai pas davantage. D'o l'on conclut qu'il est certaines choses si absurdes et si incroyables, que nulle somme de

    tmoignages ne saurait positivement faire qu'un homme sain croie en elles.Certes ces comparaisons ont l'air d'arguments, et la premire vue il n'est pas ais de dmlerle moyen propre pour leur rpondre mais le fait est que ce sont erreurs compltes, parce quetoute leur force dcoule d'une proposition assume qui n'a jamais t prouve et que j'oseaffirmer ne jamais pouvoir tre prouve. Cette proposition est, qu'un ample nombre detmoins indpendants, honntes, sains de l'Esprit et des sens, peuvent sparment et

    plusieurs reprises certifier une simple matire de fait qui ne se soit au grand jamais prsente.Or, nulle preuve n'a t produite pour montrer que cela soit jamais arriv ou puisse jamaisarriver. Mais l'assertion est rendue plus monstrueuse encore lorsque nous considrons lescirconstances relatives des cas tels que ceux des gurisons sur la tombe de l'Abb Pris, et ces cas d'hommes de science vivants qui se convertissent une croyance en la ralit des

    phnomnes du moderne spiritualisme car il nous faut dclarer que, tant pleinement prvenusque les faits allgus sont tenus pour impossibles et sont par consquent des tromperies, lasource de la tromperie suppose leur tant indique, et tous les prjugs de l'poque et tout leton de la pense duque parlant contre la ralit de tels faits, pourtant des quantitsd'hommes instruits, y compris des mdecins et des savants, demeurent convaincus del'authenticit de telles manifestations aprs la plus subtile investigation personnelle.

    Nanmoins l'affirmation qu'un total et une qualit d'vidences indpendantes convergeantaussi exactement peuvent tre entirement faux, serait prouve, si l'argument devait avoir la

    plus faible valeur; autrement ce n'est qu'une ptition de principe. Il faut se rappeler que nousavons considrer, non pas d'absurdes croyances ou de fausses conclusions, mais de puresmatires de fait, et il ne peut tre prouv, et jamais il n'a t prouv, qu'aucune large quantitd'vidences accumules par des hommes dsintresss et sains de sens, ait une fois t tenue

    pour une absolue et continue tromperie. Pour prsenter le sujet sous une forme simple, le faitest, ou possible, ou non possible. S'il est possible, une vidence de la force de celle que nousavons envisage le prouvera ; s'il n'est pas possible, une vidence telle ne saurait exister.L'argument est donc un sophisme parfait, puisque son assertion fondamentale ne peut tre

    prouve. Si l'on entend par-l simplement noncer la proposition, que plus une chose esttrange, inhabituelle, plus nous requrons pour elle de preuves, et de meilleures preuves, celanous l'admettons tous ; mais je maintiens qu'avec chaque indpendant et honnte attestateuradditionnel le tmoignage humain augmente en valeur dans une proportion tellement norme,que nul fait ne doit tre rejet, ds que certifi par un corps d'vidences comme il en existe

    pour des ventualits qualifies de miraculeuses ou de surnaturelles, et qui s'offrentmaintenant journellement au milieu de nous.Le poids de la preuve retombe sur ceux qui prtendent qu'une vidence de cette sorte peut

    positivement tre fallacieuse ; qu'ils indiquent un cas o telle vidence accumule existe, etsoit pourtant convaincue d'erreur. Qu'ils donnent non une supposition, mais une preuve. Etsouvenons-nous que nulle preuve n'est complte qui n'explique pas dans tous les dtails lasource exacte de l'erreur. Il ne sera pas dit, par exemple, qu'il y a cette vidence accumule

    pour la sorcellerie, et que la sorcellerie est absurde et impossible. Ce serait l une ptition deprincipe. Les thories diaboliques de la folie sabbatique peuvent tre ineptes et fausses; maisles faits de la sorcellerie sont prouvs, non par les tortures infliges aux personnes que l'on enaccusait, mais par des tmoins indpendants, et ils sont si loin d'tre tablis faux, que les voici

    confirms par tout un corps de phnomnes analogues constats l'poque prsente.

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    Lincertitude des phnomnes affirms par le moderne spiritualisme

    Un autre argument moderne est plus spcialement employ contre la ralit de ce que l'onappelle les phnomnes spiritiques. Ces phnomnes, dit-on, sont bien incertains ; nousn'avons aucun contrle sur eux ; ils ne suivent aucune loi. Prouvez-nous qu'ils suivent des loisdfinies comme tous les autres groupes de phnomnes naturels et nous les croirons. Cet

    argument semble, quelques personnes, avoir du poids, et pourtant il est en ralit uneabsurdit. L'essence des phnomnes allgus (qu'ils soient vrais ou non, cela n'est d'aucuneimportance) est qu'ils paraissent rsulter de l'action d'intelligences indpendantes et sont, parconsquent, estims spiritiques ou surhumains. Si l'on avait trouv qu'ils se rangent sous destrictes lois et non sous une volont libre, personne ne les aurait jamais supposs spiritiques.L'argument est donc simplement renonciation d'une conclusion prconue, savoir : Aussilongtemps que vos faits tendront prouver l'existence d'intelligences distinctes, nous ne lescroirons point ; dmontrez qu'ils obissent une loi fixe et non une intelligence, et alorsnous les croirons. Cet argument me parat enfantin, et cependant il est employ par des

    personnes qui se prtendent philosophes.

    La ncessit du tmoignage scientifique

    Une autre objection que j'ai entendu poser en public et accueillir par des applaudissements, estqu'il convient que l'immense connaissance scientifique dcide de la ralit de quelques rareset incroyables faits que ce soit, et que jusqu' ce que des hommes de science les aientexamins et prouvs, ils ne sont point dignes de crdit. Eh bien, j'ose dire que c'est l le plusgrand sophisme qui ait jamais t avanc. Le sujet est trs important et l'erreur est trscommune, mais le fait est l'exact oppos de ce qui est affirm ; car, je le soutiens sans craintede contradiction, chaque fois que les hommes de science, de quelque poque que ce soit, ontni d'aprs des bases priori les faits signals par des investigateurs de hasard, ils ont toujours

    t convaincus de tort.Il n'est pas ncessaire de faire plus que de rappeler les noms universellement connus deGalile, de Harvey, de Jenner. Les grandes dcouvertes qu'ils firent taient, comme noussavons, violemment contestes par tous leurs contemporains scientifiques, qui ellessemblaient absurdes et incroyables; mais nous avons beaucoup plus prs de notre temps mmedes exemples non moins frappants. Lorsque Benjamin Franklin prsenta devant lasocitroyale le sujet des paratonnerres, il fut regard comme un rveur et son mmoire ne fut pasadmis dans les Transactions Philosophiques. Lorsque Young apporta ses merveilleuses

    preuves de la thorie des ondulations lumineuses, il fut galement hu comme inepte par lescrivains scientifiques vulgarisateurs de l'poque (Les spcimens suivants sont choisis dansles articles de lEdinburgh Review, 1803 et 1804 :

    Une autre Bakerian-Confrence, contenant plus de fantaisies, plus de bvues, plusd'hypothses infondes, plus de fictions gratuites, le tout sur le mme terrain et manant dufcond et pourtant strile cerveau de cet ternel Dr Young. Et encore : Cela n'apprend aucune vrit, ne concilie aucune contradiction, n'explique nul fait anormal,ne suggre nulle exprience nouvelle et n'induit nulle recherche nouvelle. On pourrait presque supposer que c'est l un crivain scientifique moderne qui hurle sus auSpiritualisme !). La Revue d'Edimbourg somma le public de mettre Thomas Gray dans unecamisole de force, parce qu'il soutenait la praticabilit des chemins de fer. Sir Humphry Davy

    pouffait l'ide que Londres ft jamais claire au gaz. Lorsque Stephenson proposad'employer des locomotives sur la voie ferre de Liverpool et Manchester, des hommesinstruits se mirent prouver qu'il tait impossible que ces machines pussent donner mme

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    douze milles l'heure. Une autre grande autorit scientifique dclara non moins impossiblepour les steamers de l'Ocan de jamais traverser l'Atlantique. L'Acadmie des Sciences deFrance bafoua le grand astronome Arago, lorsquil ne voulut rien que discuter le sujet dutlgraphe lectrique. Des mdecins ridiculisrent le stthoscope quand il fut dcouvert. Lesoprations, excutes sans douleur durant le coma mesmrique, furent dclares impossibles

    et partant impostures.Mais l'un des cas les plus frappants, parce que l'un des plus rcents de cette opposition, ouplutt de ces refus de croire en des faits en contradiction avec la foi courante du jour, parmides hommes qui sont gnralement accusables d'aller trop loin dans l'autre sens, est celui de ladoctrine de l Antiquit de l'Homme . Bou, gologiste Franais expriment, dcouvrit en1823 un squelette humain 80 pieds de profondeur dans le loess ou vase durcie du Rhin. Cesquelette fut envoy au grand anatomiste Cuvier, qui discrdita le fait si compltement que lefossile inestimable fut jet de ct comme sans valeur et fut perdu. Sir G. Lyell, d'aprs uneinvestigation personnelle sur place, pense aujourd'hui que les assertions de l'observateuroriginal taient tout fait exactes. D'ailleurs, ds 1715, des armes de pierre furent trouvesavec le squelette d'un lphant dans une excavation Gray's-inn-lane, en prsence de M.

    Conyers, qui les plaa au British Musum, o elles restrent absolument non cataloguesjusqu' tout rcemment. En 1800, M. Frre trouva des armes de silex mles aux vestigesd'animaux teints Hoxne, dans le Suffolk. De 1841 1846, le clbre gologue FranaisBoucher de Perthes dcouvrit de grandes quantits d'armes de pierre dans les sables mouvantsdu Nord de la France mais, pendant maintes annes, il ne put convaincre aucun de sesconfrres hommes de science, que c'taient l des objets artificiels, ni que c'taient chosesdignes de la plus faible attention que ce soit. A la longue pourtant, en 1853, il commena faire des convertis. En 1859-60, quelques-uns des plus minents gologues de notre paysvisitrent l'endroit et confirmrent pleinement la vrit de ses observations et dductions.Une autre branche de ce sujet fut, si possible, traite encore pis. En 1825, M. Mac-Enery, deTorquay, dcouvrit des armes artificielles mles aux restes d'animaux teints dans la clbrecaverne le Trou de Kent mais sa relation de ces dcouvertes fut simplement bafoue. En 1840,un de nos premiers gologistes, M. Godwin Austen, prsenta ce sujet la socit Gologiqueet M. Vivian, de Torquay, envoya un mmoire confirmant pleinement les dcouvertes de M.Mac-Enery mais cela fut estim trop improbable pour tre publi. Quatorze ans plus tard, laSocit d'Histoire Naturelle de Torquay fit de nouvelles observations, confirmant entirementla prcdente, et en adressa un rapport la socit Gologique de Londres mais le mmoirefut rejet comme trop improbable pour la publication. Maintenant pourtant, aprs cinq ans

    passs, la grotte a t systmatiquement explore sous la direction d'un Comit del'Association Britannique et tous les prcdents rapports de quarante ans ont t confirms etmme dmontrs moins merveilleux que la ralit. On peut dire que c'tait l une caution

    scientifique convenable . Peut-tre que sen est une mais en tous cas cela prouve ce faitimportant que dans cette occasion, comme en toute autre, les observateurs humbles et souventinconnus avaient raison et les hommes de science qui rejetaient leurs observations avaienttort.Or, les observateurs modernes de certains phnomnes habituellement qualifis de surnaturelset d'incroyables, sont-ils moins dignes d'attention que ceux plus haut cits ? Qu'il nous soit

    permis d'abord de considrer la ralit de ce que l'on appelle la double-vue. Les hommes quiont observ ce phnomne, qui lont soigneusement prouv travers de longues annes ou travers leur vie entire, auront tout autant de titres la connaissance scientifique et lacapacit intellectuelle que les exprimentateurs de quelque autre sorte de dcouverte que cesoit. Nous n'avons pas moins de sept mdecins minents, les Dr Elliotson, Gregory,

    Ashburner, Lee, Herbert Mayo, Esdaile et Haddock, et d'autres personnes d'un haut talent,telles que Miss Martineau, M. H. G. Atkinson, M. Charles Bray et le Baron de Reichenbach.

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    Etant devant nos yeux l'histoire des prcdents dcouvreurs , est-il plus probable que cesonze personnes instruites, connaissant tout ce que l'on objecte contre ces faits et les ayantexamins srieusement, se soient toutes trompes et que celles qui disent priori que la choseest impossible aient toutes raison, ou est-ce le contraire ? Si nous devons apprendre quoi quece soit de l'histoire et de l'exprience, alors nous pouvons pronostiquer coup sr que, dans ce

    cas comme dans tant d'autres, ceux qui se refusent sans examen croire les observationsd'autres hommes, seront convaincus d'avoir tort.

    Critique des assertions de M. Lecky sur les miracles

    Nous arrivons maintenant ceux des philosophes modernes qui ont lev des objectionscontre les miracles. Le plus minent d'entre eux est M. Lecky, l'auteur de lHistoire duRationalisme et de l'Histoire des Murs. Dans le dernier de ces ouvrages, il a consacrquelque espace cette question et ses vues claires et bien expresses peuvent tre prises pourreprsenter les opinions et sentiments de la portion instruite de la socit moderne. Il dit :

    L'attitude ordinaire des personnes instruites l'gard des miracles n'est point celle du doute,de l'hsitation, du mcontentement de l'vidence existante, mais plutt celle d'une incrdulitabsolue, moqueuse, et mme sans examen. Et il entreprend d'expliquer pourquoi il en est ainsi : En certaines phases de la socit et sous l'action de certaines influences, une accrtion demiracles se forme invariablement autour de toute personne ou institution minente. Nous

    pouvons analyser les causes gnrales qui ont entran les hommes vers le merveilleux ; nouspouvons montrer que ces causes n'ont jamais failli produire leur effet, et nous pouvonssuivre l'altration graduelle des conditions mentales qui accompagnent invariablement ledclin de la croyance.Alors que les hommes sont dnus d'Esprit critique, alors que la notion de loi uniforme est

    encore natre et que l'imagination est encore incapable de saisir des ides abstraites, deshistoires de miracles sont toujours formes et toujours crues, et elles continuent fleurir et multiplier jusqu' ce que ces conditions soient altres. Les miracles cessent quand leshommes cessent de les croire et de les attendre. Et encore : Nous ne disons pas qu'ils soient impossibles, ou mme qu'ils ne soient pas confirms partout autant de preuves que beaucoup de faits en lesquels nous avons foi. Nous disonsseulement que, dans certains tats de la socit, des illusions de ce genre apparaissentvritablement.Parfois, nous pouvons dcouvrir le fait naturel prcis que la superstition a mal entendu, mais

    plus frquemment nous ne pouvons donner qu'une explication gnrale, nous permettant de

    fixer ces lgendes leur place, comme l'expression normale d'une certaine phase de laconnaissance, ou de la capacit intellectuelle et cette explication est leur rfutation. Eh bien, dans ces assertions et arguments de M. Lecky, nous trouvons des erreurs gure moinsfrappantes que celles de Hume. Son affirmation que dans certaines phases de la socit uneaccrtion de miracles est invariablement forme autour de toute personne ou institutionminente, me semble absolument contredite par des faits historiques bien connus.L'Eglise de Rome a toujours t le grand thtre de miracles, anciens ou moderne s. La plusminente personne dans l'glise de Rome nest le Pape ; la plus minente institution est laPapaut. Nous devrions donc nous attendre, si l'assertion de M. Lecky tait exacte, ce queles Papes soient par excellence des oprateurs de miracles. Mais le fait est que, l'exceptiond'un ou deux pontifes trs prs de l'origine de l'institution, nul miracle d'aucune sorte n'est

    rapport de la grande majorit des Papes. Au contraire, c'est gnralement parmi les membres

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    les plus humbles, clercs ou lacs, de l'Eglise Romaine, que le pouvoir d'oprer des miracless'est manifest, et que des hommes ont t canoniss comme saints pour cette raison.Et encore, pour prendre un autre exemple, la plus minente personnalit lie aux glisesRformes est Luther. Lui-mme il croyait en les miracles. Tout le monde son poquecroyait en les miracles et des miracles, bien que gnralement d'un caractre dmoniaque,

    continurent tre accrdits dans toutes les glises Protestantes durant maintes gnrationsaprs sa mort pourtant il n'y a eu nulle accrtion de miracles autour de cet hommeremarquable.Plus prs de notre temps, nous avons Irving, la tte d'une glise de faiseurs de miracles etJoe Smith, le fondateur de la secte des Mormons faiseurs de miracles ; pourtant il n'y a pas le

    plus faible signe d'aucune tendance imputer quelque miracle que ce soit l'un ou l'autre deces hommes, si ce n'est les miracles que le dernier s'attribuait soi-mme avant que sa secteft tablie. Ces faits trs frappants me semblent prouver qu'il doit y avoir une base de vritdans presque chaque miracle allgu, et que la thorie d'une agrgation ou accrtion autourd'individualits minentes n'a pour la dfendre absolument aucune vidence. C'est une de cesaffirmations gnrales et commodes qui ont l'air trs plausibles et trs philosophiques, mais

    pour lesquelles nulle preuve quelconque n'est offerte.Une autre des affirmations de M. Lecky est qu'il va une altration des conditions mentales quiaccompagne invariablement le dclin de la croyance. Mais cet invariableaccompagnement ne saurait certainement tre prouv, parce que le dclin de la croyances'est prsente seulement une fois dans l'histoire du monde et, ce qui est encore plusremarquable, tandis que les conditions mentales qui accompagnaient ce dclin unique ontconserv leur force ou ont mme augment en nergie et se sont d'autant plus amplementrpandues, voil que depuis vingt ans la croyance s'est affirme de nouveau. Dans les phasesles plus leves de la civilisation ancienne, parmi les Grecs et aussi parmi les Romains, lacroyance existait en pleine vigueur, et elle a t professe par les hommes les plus levs etles plus intelligents de tout ge. Le dclin qui s'est certainement produit au sicle dernier etdans le prsent, ne peut donc pas tre imput une loi gnrale quelconque, puisqu'il n'estqu'un exemple exceptionnel. Le dclin de la croyance peut cependant tre attribu comme unami me l'a suggr une relle diminution dans l'occurrence des phnomnes quicontraignaient la croyance, diminution due une loi naturelle bien connue. Il est certain queles sorciers et les personnes sujettes leur influence, taient ce qu'on appelle aujourd'hui desmdiums , c'est--dire des individus de l'organisation spciale requise pour la manifestationdes phnomnes du Moderne spiritualisme. Pendant plusieurs sicles, toutes les personnesdoues, presque quelque degr que ce soit, de pouvoirs particuliers, furent perscutescomme sorciers, et brles ou dtruites par milliers dans toutes les parties du monde prtenducivilis. Les mdiums tant extermins, la production des phnomnes devint impossible;

    ajoutez que la perscution forait cacher toutes les manifestations qui se produisaient. Juste cette poque, voil que les sciences physiques commencrent prendre ces rapides lans quiont chang la face du monde et amen une forme de pense qui incite les hommes regarderavec horreur et dgot les barbaries et absurdits des perscuteurs de sorciers. Un sicle derepos a permis l'organisme humain de recouvrer ses pouvoirs normaux et les phnomnesqui taient formellement imputs l'action directe de Satan, sont maintenant considrs parles Spiritualistes comme, pour la plupart, l'uvre d'intelligences invisibles peine meilleuresou pires que nous mmes.Et encore, M. Lecky dit que la croyance en le surnaturel existe seulement alors que leshommes sont dnus de l'Esprit critique, et que la notion de loi uniforme est encore natre .M. Lecky, en cette matire, se contredit soi-mme presque autant que le fit Hume. Un des

    plus grands avocats de la foi en le surnaturel fut Glanvil et voici ce que M. Lecky dit deGlanvil :

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    La caractristique prdominante de la pense de Glanvil tait un intense scepticisme. Il amme t appel par un critique moderne le premier crivain anglais qui ait jet lescepticisme dans une forme dfinie et si nous regardons cette expression comme impliquantsimplement une profonde mfiance des facults humaines, le jugement ne peut gure trercus. Et certainement il serait difficile de trouver un livre dployant moins de crdulit et de

    superstition que le trait sur La Vanit de Dogmatiser , publi ensuite comme ScepsisScientifica, dans lequel Glanvil a expos ses vues philosophiques... Le SadducismusTriumphatus est probablement le livre le plus habile qui ait jamais t publi en dfense de laralit de la sorcellerie. Le Dr Henry More, l'illustre Boyle et le peine moins minentCudworth, soutinrent chaudement Glanvil et nul auteur comparable ceux-l en talent ouinfluence n'apparut dans l'autre parti ; pourtant le scepticisme augmenta constamment. Ailleurs, M. Lecky parle ainsi de Glanvil : C'est entre les crits de Bacon et de Locke que se forma cette cole parallle qu'illumina legnie de Taylor, de Glanvil et de Haies, et qui devint le vrai centre et la semence du la libertreligieuse. Sont-ce l les hommes et sont-ce l les conditions mentales qui sont favorables la

    superstition et la tromperie ? Le Rvrend Joseph Glanvil, qui assista aux extraordinairesagitations de M. Monpesson et qui en a donn un rcit complet, et qui a galement recueillil'vidence pour beaucoup de cas remarquables de sorcellerie suppose, n'tait point le crduleinsens que s'imagineront bien des gens qui ont ou parler de ce qu'il crivit en faveur de laralit des sorciers, mais un homme d'instruction, de talent et de jugement. M. Lecky, dansson Histoire des Progrs ascensionnels du Rationalisme en Europe , dit de lui : Un prtrequi fut trs fameux de son propre temps et que j'ose estimer avoir t surpass en gnie par

    peu de ses successeurs. Les ouvrages de Glanvil sont beaucoup moins connus qu'ils nedevraient l'tre. L il donne quelques extraits de son Introduction la Preuve del'Existence des Apparitions, des Esprits et des Sorciers .Section IV. Dans cette controverse touchant les sorciers et la sorcellerie, l'auteur concde ceschoses :Premirement : Il convient qu'il y a des hommes spirituels et ingnieux opposs lui encette matire.Secondement : Il admet que certains qui nient les sorciers sont de bons Chrtiens.Troisimement : Il dit : J'accorde que la grande masse de l'humanit est trs crdule, et qu'enl'espce, elle croit de la sorte des choses vaines et impossibles en relation avec la sorcellerie.Que l'entretien avec le Diable et la transmutation relle d'hommes et de femmes en d'autrescratures sont de ces choses. Que le peuple a tendance imputer les occurrencesextraordinaires de l'art ou de la nature la sorcellerie, et que sa crdulit est souvent abuse ce sujet par de subtils et habiles fripons. Qu'il y a dix mille histoires sottes et mensongres de

    sorcellerie et d'apparitions qui courent parmi le vulgaire.Quatrimement : Je concde que la mlancolie et l'imagination ont une trs grande force etqu'elles engendrent d'tranges persuasions; et que maintes histoires de sorciers et d'apparitionsn'ont t que de mlancoliques fantaisies.Cinquimement : Je reconnais et abandonne qu'il y a beaucoup de maladies tranges maisnaturelles qui prsentent des symptmes bizarres et produisent des effets merveilleux etsurprenants, en dehors du cours habituel de la nature, et que tels phnomnes sont quelquefoisfaussement attribus la sorcellerie.Siximement : J'avoue que les Inquisiteurs Papistes et autres trouveurs de sorciers ontcommis beaucoup d'erreurs, qu'ils ont dtruit comme sorciers des personnes innocentes, etqu'en les espionnant et torturant ils ont arrach des confessions extraordinaires certaines qui

    n'taient point coupables.

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    Septimement : Il ne disconvient pas que des faits dont il affirme la ralit, beaucoup sont trstranges, inhabituels et improbables, et que nous ne pouvons les comprendre ni les concilieravec les notions communment reues des Esprits et de la vie future.Ayant fait ces concessions ses adversaires, il en demande d'autres en retour.Section V. Les postulats que l'auteur demande de ses adversaires comme son juste droit sont,

    savoir :Premirement : Que si les sorciers sont ou ne sont pas, n'est pas une question de fait.Secondement : Que matire de fait peut tre prouve seulement en sens immdiat ou par letmoignage d'autres hommes. Tenter de dmontrer un fait par un raisonnement ou unespculation abstraite, est comme si on devait prouver par l'algbre ou la mtaphysique queJules Csar fonda l'Empire de Rome.Troisimement : Que l'criture n'est point toute allgorie, mais que gnralement elle offre unsens simple, littral, facile.Quatrimement : Que certains tmoignages humains sont croyables et certains, savoir : Ils

    peuvent tre assez circonstancis pour ne laisser nulle raison de douter car nos sensquelquefois rapportent la vrit, et toute l'humanit n'est pas menteuse, fourbe et friponne, au

    moins ses membres ne sont pas tous menteurs lorsqu'ils n'ont aucun intrt l'tre.Cinquimement : Que ce qui est suffisamment et indniablement prouv ne doit pas trercus parce que nous ne connaissons point comment cela peut tre, c'est--dire parce qu'il y ades difficults le concevoir; autrement, les sens et la connaissance sont dchus aussi bienque la foi. Car le modus de la plupart des choses est ignor, et les plus simples faits dans lanature ne sont point conus sans d'inextricables difficults, comme je l'ai montr dans maScepsis Scientifica.Siximement : Nous ne connaissons que bien peu de chose de la nature des Esprits et desconditions de la vie future. Et il conclut : Voil mes postulats ou demandes ; je suppose qu'on les jugera raisonnables, ettelles qu'elles n'ont pas besoin de plus de preuves. L'vidence produite par un homme qui tablit aussi philosophiquement sa based'investigation, ne peut tre ddaigne et une lecture des uvres de Glanvil rcompensera

    bien quiconque prend un intrt cette enqute.L'Esprit critique et la notion de loi uniforme sont certainement assez puissants l'poque

    prsente, et pourtant dans toute contre du monde civilis il y a maintenant des centaines etdes milliers d'hommes intelligents qui, sur le tmoignage de leurs propres sens, croient en les

    phnomnes que M. Lecky et d'autres qualifient de miraculeux et par consquentd'incroyables, mais que ceux qui les ont constats soutiennent tre une part de l'ordre de lanature. Au lieu d'tre, comme dit M. Lecky, un indice de certains tats de lasocit l'expression normale d'une certaine phase de la connaissance ou de la capacit intellectuelle

    , cette croyance a exist en tous les tats de lasocit et a accompagn chaque phase de lacapacit intellectuelle. Socrate, Plutarque, et Saint Augustin pareillement, donnent untmoignage personnel de faits surnaturels ; ce tmoignage n'a jamais cess travers le moyenge; les premiers rformateurs, Luther et Calvin, prirent rang d'attestateurs ; tous les

    philosophes et tous les hommes comptents d'Angleterre, jusqu' Sir Matthew Hale,admettaient que l'vidence en faveur de tels faits est irrfutable. Beaucoup de cas ont tsvrement examins par les autorits policires de diffrents pays et, comme nous lavons vu

    plus haut, les miracles sur la tombe de lAbb Pris, qui se prsentrent dans la priode la plussceptique de lHistoire de France, dans lge de Voltaire et des Encyclopdistes, furent

    prouvs par un tel dploiement d'vidences, et furent si ouverts linvestigation, que l'un desgentilshommes de la Cour, convaincu de leur ralit aprs l'examen le plus srieux, souffrit le

    martyre de l'emprisonnement la Bastille pour avoir persist les rendre publics. Et dansnotre propre temps nous avons, selon la plus faible estimation, plusieurs millions de croyants

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    en le moderne spiritualisme dans toutes les classes de la socit ; de sorte que la croyance queM. Lecky impute une certaine phase de la culture intellectuelle, apparat seulement, aucontraire, avoir tous les attributs de luniversalit.

    La croyance aux miracles est-elle une survivance de la pense sauvage ?L'argument philosophique a t prsent sous une autre forme par M. E. B. Tylor, dans uneconfrence l'Institution Royale et dans plusieurs passages de ses autres travaux. Il soutientque toutes les croyances, spiritualistes et autres, en le surnaturel, sont des exemples de lasurvivance de la pense sauvage au milieu d'un peuple civilis ; mais il ignore les faits quiinduisent ces croyances. Les penses de ces hommes instruits qui connaissent, d'aprsl'vidence de leurs propres sens et par des investigations rptes et frquentes, que les chosesqualifies de surnaturelles sont des faits vrais et rels, sont aussi totalement distinctes decelles des sauvages, que le sont leurs penses relativement au soleil, au tonnerre, la maladie,ou un autre phnomne naturel quelconque. Aussi bien devait-il soutenir que la croyance

    moderne que le soleil est une masse igne, est une survivance de la pense sauvage, parceque certains sauvages ont galement cette croyance ou que notre croyance que certainesmaladies sont contagieuses, est une similaire survivance de l'ide sauvage qu'un homme peuttransmettre une maladie son ennemi. La question est une question de faits, non point dethories ou dides, et je nie entirement la valeur ou la convenance de tout argument, thorieou analogie, alors que nous avons dcider sur des matires de fait.Des milliers d'hommes intelligents actuellement vivants connaissent, d'aprs leur observation

    personnelle, que certains des phnomnes tranges qui ont t dclars absurdes etimpossibles par des hommes de science, n'en sont pas moins vrais. Ce n'est point leurrpondre, et ce n'est point expliquer ces faits, que de leur dire que de telles croyances ne serencontrent que lorsque les hommes sont dpourvus d'Esprit critique et que la notion de loi

    uniforme est encore natre que dans certains tats de la socit des illusions de ce genreapparaissent invitablement, qu'elles ne sont que l'expression normale de certaines phases dela connaissance et de la capacit intellectuelle, et qu'elles prouvent clairement la survivanceau milieu de la civilisation moderne de modes de pense propres aux sauvages.J'estime que j'ai maintenant montr :1. Que les arguments de Hume contre les miracles sont pleins d'assertions injustifiables,d'erreurs et de contradictions, et n'ont aucune espce de force logique ;2. Que l'argument moderne du transport par fil tlgraphique ou du lion de pierre qui boit,n'est positivement pas du tout un argument, puisqu'il repose sur des prmisses fausses ou

    prsumes ;3. Que l'argument que l'on doit placer sa confiance en les opinions des hommes de science

    plutt qu'en les faits observs par d'autres hommes, est oppos l'exprience universelle et l'histoire entire de la science ;4. Que l'argument philosophique si bien prsent par M. Tylor, part d'affirmations errones etnon prouves, et est par consquent sans valeur.Pour conclure, il faut que j'insiste encore expressment sur ce point, que la question que j'aidiscute ici n'est, en aucune manire, de savoir si les miracles sont vrais ou faux, ou si lemoderne spiritualisme repose sur une base de fait ou d'illusion, mais uniquement, si lesarguments que l'on a jusqu'ici supposs dcisifs contre eux, ont quelque poids ou valeur. Si

    j'ai dmontr, comme je me flatte de l'avoir fait, que les arguments avec lesquels on s'esttargu de fixer la question gnrale assez dfinitivement pour rendre tout fait inutile d'entrerdans l'tude de cas particuliers, sont tous absolument fallacieux, alors j'aurai dblay le terrain

    pour la production de l'vidence; et nul honnte homme dsireux d'atteindre la vrit ne serasusceptible de se drober une enqute sur la nature et la somme de l'vidence, en avanant la

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    question pralable que les miracles ne sauraient tre prouvs par quelque total que ce soit detmoignages humains. Il est temps que l'incrdulit moqueuse et sans examen qui a exist

    jusqu'ici, fasse place un Esprit moins dogmatique et plus philosophique, ou l'histoireenregistrera de nouveau le triste spectacle d'hommes, qui pourtant devraient tre tropexpriments pour agir ainsi, assignant des limites la dcouverte dans l'univers de nouvelles

    facults et d'agents nouveaux, et dcidant, sans investigation, que les observations d'autreshommes sont vraies ou fausses.

    Chapitre II

    L'aspect scientifique du surnaturel

    1 Introduction

    J'ai rassembl dans les pages suivantes un petit nombre d'exemples de l'vidence en faveurdes faits habituellement estims miraculeux ou surnaturels, et par consquent incroyables et je

    les ai fait prcder de quelques considrations gnrales sur la nature du miracle, et sur lapossibilit que beaucoup qui ont t discrdits comme tels ne soient point rellementmiraculeux dans le sens qui implique une altration quelconque des lois de la nature. Dans cesens je rpudierais les miracles aussi compltement que les plus parfaits sceptiques.On peut demander si j'ai moi-mme vu quelqu'un des prodiges raconts dans les pages quisuivent. Je rponds que j'ai assist des faits d'une nature similaire certains d'entre eux, etque je me suis assur de leur ralit ; je pense donc que je n'ai aucun droit de rejeter l'videncede phnomnes encore plus merveilleux constats par d'autres. Dans son ouvrage rcent sur la

    Physiologie Mentale (p. 627), le Dr Carpenter fait une allusion nominale moi, comme unde ceux qui se sont compromis par l'extraordinaire proposition, que si nous admettons laralit des plus humbles phnomnes1. Le tmoignage que nous en acceptons pour bon doit

    1Classe 1, dfinis : ceux qui sont conformes notre connaissance pralable, etc.22

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    nous convaincre des plus levs2. Comme il doit entendre parler du passage ci-dessus et decelui qui se trouve huit lignes plus bas, mes lecteurs auront une occasion de juger del'exactitude de l'affirmation injustifie du Dr C, que je renvoie diffrentes classes de faits,alors que mes mots sont des faits d'une nature similaire . On verra plus loin que j'ai assist de nombreux phnomnes tout fait incroyables pour le Dr C. parce qu'ils se trouvent en

    contradiction directe avec sa connaissance actuelle mais que d'autres observateurs, que jecite, ont constat beaucoup de faits plus remarquables de la mme classe, que je m'estime parconsquent oblig d'accepter sur leur tmoignage. Et c'est l ce que le Dr C. insinue tre une

    proposition extraordinaire .Un seul fait nouveau et trange, la premire fois qu'il est signal, est souvent trait de miracleet n'est point cru, parce qu'il est contraire l'ordre naturel observ jusque-l. Pourtant, unedemi-douzaine de tels faits constituent par eux mmes un petit ordre naturel . Ils peuventn'tre pas le moins du monde mieux compris que d'abord ; mais ils cessent d'tre regardscomme des miracles. Ainsi en sera-t-il des plusieurs milliers de faits dont j'ai recueilli iciquelques exemples. Si seulement un ou deux d'entre eux sont prouvs rels, l'argumentationentire qu'on lve contre eux, de l'impossibilit et du renversement des lois de la nature

    , tombe terre.Je voudrais prier tout homme dsireux de connatre la vrit, de lire avec soin et d'un bout l'autre les cinq ouvrages suivants, et de dire ensuite s'il peut croire que la totalit des faits yrapports soient tre expliqus par l'imposture ou l'illusion personnelle. Et qu'il n'oublie pasque si seulement un ou deux de ces faits sont vrais, il cesse d'y avoir aucune prsomption fortecontre la vrit du reste. Ces ouvrages sont :1. Reichenbach : Recherches sur le Magntisme, lElectricit, la Chaleur, la Lumire, etc.,dans leurs relations avec la force vitale, Traduction du Dr Grgory.2. Dr Grgory : Lettres sur le Magntisme animal.

    3 R. Dale Owen : Faux Pas sur les Frontires d'un Autre Monde.4. Hare : Investigation Exprimentale des Manifestations Spiritiques.5. Home : Incidents de ma Vie.

    Lesquels livres on peut se procurer aisment, sauf le quatrime, que l'on ne peut avoir quechez son diteur.Je joins ici une liste des personnes dont j'ai cit les noms dans les pages suivantes, parcequ'elles ont t convaincues de la ralit parfaite de la plupart de ces phnomnes. Je prsumeque l'on admettra que ce sont des hommes honntes. Si, alors, ces faits, que maints de ces

    personnages dclarent avoir constats maintes reprises, n'ont jamais eu lieu, il me faudralaisser mes lecteurs expliquer au mieux qu'ils le pourront le fait indubitable de la foi de ces

    hommes en ces faits. Pour ma part, je puis seulement supposer en ce cas que ces individualitsbien connues ont t toutes niaises ou folles, ce qui m'est plus difficile que d'estimer qu'ellessont saines, capables d'observer matires de fait et de formuler une apprciation judicieuse surla question de savoir si oui ou non ils peuvent positivement avoir t tromps en cetteoccurrence. Un homme de sens n'affirmera pas dlibrment, comme le font tant d'entre eux,non seulement qu'il a assist ce que d'autres prtendent absurde et incroyable, mais qu'il setrouve moralement certain de n'avoir pas t dup en ce qu'il a vu.

    Liste.1. Le Professeur A. De Morgan. Mathmaticien et Logicien.2. Le Professeur Challis. Astronome.

    3. Le Professeur William Gregory. Mdecin et Chimiste.2Classes II et III, dfinis : ceux qui sont en contradiction directe avec notre connaissance actuelle, etc.

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    4. Le Professeur Robert Hare. Mdecin et Chimiste.5. Le Professeur Herbert Mayo, Membre de la socit Royale. Mdecin et Physiologiste.6. M. Rutter. Chimiste.7. Le Dr Elliotson. -- Physiologiste.8. Le Dr Haddock. Mdecin.

    9. Le Dr Gully. Mdecin.10. Le Juge Edmonds. Magistrat.11. Lord Lyndhurst. Magistrat.12. Charles Bray. Philosophe.13. L'Archevque Whately. - Ecclsiastique.14. Le Rvrend W. Kerr, Agrg de Mdecine. Ecclsiastique.15. L'Honorable Colonel E. R.Wilbraham. Homme d'Epe.16. Le Capitaine R. F. Burton. Homme d'Epe.17. Nassau E. Senior. Economiste.18. W. M. Thackeray. Homme de Lettres.19. T A. Trollope. Homme de Lettres.

    20. R. D. Owen. Homme de Lettres et Diplomate.21. W. Howitt. Homme de Lettres.22. S. C. Hall. Homme de Lettres.

    2 Les miracles et la science moderne

    Un miracle est gnralement dfini : une violation ou suspension d'une loi naturelle et commeles lois de la nature sont la plus complte expression des expriences accumules de l'espcehumaine, Hume tait d'avis que nulle somme de tmoignages humains ne valait prouver unmiracle. Strauss fait reposer l'argumentation entire de son laborieux ouvrage, sur la mme

    base, que nul total d'attestations venu jusqu' nous travers l'abme de dix-huit sicles, nesaurait tablir que ces lois aient jamais t troubles, que l'unanime exprience des hommesnous montre prsent invariables. La science moderne a plac cet argument sur un terrain

    plus large, en avrant l'interdpendance de toutes ces lois, et en rendant inconcevable que laforce et le mouvement, pas plus que la matire, puissent tre absolument crs ou dtruits. LeProfesseur Tyndall, en son rcent mmoire sur La Constitution de l'Univers3 dit : Unmiracle est strictement dfinissable : une atteinte la loi de la conservation de l'nergie 4.Crer ou annihiler de la matire serait considr partout comme un miracle ; la cration oul'annihilation de l'nergie serait galement un miracle pour ceux qui comprennent le principede conservation. M. Lecky, dans son grand ouvrage sur le Rationalisme , nous montrequ'au cours des deux ou trois derniers sicles il y a eu une tendance continuellement

    croissante adopter des opinions plutt mondaines que thologiques en histoire, en politique,en science. Les grandes dcouvertes physiques des vingt dernires annes ont pouss cemouvement en avant avec une rapidit plus grande encore, et ont induit la pense de la plupartdes hommes instruits une ferme conviction que l'univers est gouvern par des lois amples etimmuables, sous lesquelles tous les phnomnes, quels qu'ils soient, peuvent tre rangs, etauxquelles nul fait dans la nature ne peut jamais tre oppos. Si par consquent nousdfinissons le miracle comme une contravention quelqu'une de ces lois, il faut admettre quela science moderne n'a point de place pour lui ; aussi ne pouvons-nous tre surpris desnombreuses et varies tentatives d'crivains d'opinions largement diffrentes, pour expliquer

    33Publi par la Fortnightly Review.4

    Cette prtendue dfinition du miracle est une pure prsomption. Les Miracles n'impliquent aucunement atteinte la loi de la conservation de l'nergie , mais simplement l'existence d'tres intelligents invisibles pournous, et nanmoins capables d'agir sur la matire, comme il est expliqu plus loin.

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    ou dissiper tous les faits rapports dans l'histoire ou la religion, qu'ils estiment n'avoir pu seprsenter que sur la supposition d'une action miraculeuse ou surnaturelle. Cette tche n'a taise par aucune voie. La somme de tmoignages directs sur les miracles a t trs grande entout ge. La foi en ces prodiges a t, jusque tout rcemment, presque universelle, et l'on peutaffirmer coup sr que, des gens qui sont en thse gnrale le plus fermement convaincus de

    l'impossibilit d'ventualits qualifies de miraculeuses, bien peu, s'il y en a, ont srieusementet loyalement scrut la nature et la somme des vidences qui dmontrent que ces ventualitsse sont positivement prsentes, Toutefois, je n'ai point l'intention d'aborder maintenant cesujet. Il me semble que la vritable base de la question entire a t selon quelque mesure mal

    pose et mal entendue, et que dans tout cas bien contrl de miracle suppos, une solutionpeut tre trouve qui nous dlivrera de beaucoup de difficults. Il me parat que c'est uneerreur commune de parcourir tous les arguments contre les faits estims miraculeux, enaffirmant que ce sont l des violations ou des troubles des lois de la nature, ou encore desatteintes ces lois. C'est l rellement prtendre dcid le vrai point en cause, car si le faitdiscut a eu lieu, il ne peut s'tre offert qu'en concordance avec les lois de la nature, puisquerien que la dfinition complte de ces lois de la nature , est que ce sont les lois qui

    rgissent tous les phnomnes. Le mot mme de surnaturel , appliqu un fait, est uneabsurdit ; et celui de miracle , si on le conserve absolument, exige une dfinition plusexacte que celles qu'on en a donnes jusqu'ici. Refuser d'admettre pour un fait, ce qui, dansd'autres cas, serait une vidence parfaitement concluante, parce que ce fait ne peut treexpliqu par celles des lois de la nature avec lesquelles nous sommes maintenant familiariss,est rellement protester que nous possdons une connaissance complte de toutes les lois de lanature, et que nous pouvons dterminer l'avance ce qui est ou non possible. L'histoire entiredes progrs de la connaissance humaine nous montre que le prodige disput en un ge devientle phnomne naturel reu du prochain, et que maints miracles apparents ont t dus des loisnaturelles dcouvertes subsquemment.Beaucoup de phnomnes de l'espce la plus simple semblent surnaturels aux hommes

    pourvus dune connaissance limite. La glace et la neige peuvent aisment prendre cetteapparence pour des habitants des contres tropicales. L'ascension d'un ballon semble certessurnaturelle aux individus qui ne savent rien de la cause de son mouvement lvatoire et nous

    pouvons bien concevoir, que si nul gaz plus lger que l'air atmosphrique n'avait jamais tdcouvert, et si dans la pense de tous (philosophes et chimistes inclus) l'air tait venu treli indissolublement l'ide de la forme la plus lgre de la matire terrestre, le tmoignagede ceux qui auraient vu s'lever un ballon et t discrdit, d'aprs ce principe qu'il fautqu'une loi naturelle soit suspendue, pour que quoi que ce soit puisse monter librement travers l'atmosphre en contravention directe de la loi de gravitation.Il y a un sicle, un tlgramme accourant d'une distance de trois milliers de milles, ou une

    photographie prise en une seconde, on n'et pas cru cela possible, et l'on n'en et fait crditaaucun tmoignage, except celui, ignorant et superstitieux, qui croyait aux miracles. Il y acinq sicles, les effets produits par le tlescope et le microscope moderne s, auraient testims miraculeux, et sils n'avaient t relats que par des voyageurs comme existant enChine ou au Japon, n'eussent certainement pas t crus.La facult de plonger la main sans se blesser dans des mtaux fondus, est un cas remarquabled'un effet de lois naturelles semblant contrevenir une autre loi naturelle et cela acertainement d tre, et probablement a t, regard comme un miracle, et le fait a t cru ou

    pas cru, non en raison de la quantit ni la qualit des tmoignages en sa faveur, mais en raisonde la crdulit ou de la connaissance suppose suprieure de celui qui en entendait parler.Il y a environ vingt ans, le fait que des oprations chirurgicales pussent tre accomplies sur

    des sujets en la transe mesmrique sans qu'ils fussent conscients d'aucune souffrance, taitvigoureusement ni par la majorit des hommes de science et des mdecins de ce pays, et les

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    sujets, et parfois les oprateurs, dnoncs comme imposteurs ; on jugeait le phnomneallgu contraire aux lois naturelles. Maintenant, probablement tous les intellectuels ont foi ences faits, et l'on pense qu'il doit y avoir l une loi encore inconnue dont ils sont uneconsquence.Lorsque Gastellet informa Raumur qu'il avait lev des vers soie parfaits issus d'ufs

    pondus par un papillon vierge, la rponse fut : Ex nihilo nihil fit, et le fait ne fut point cru. Iltait contraire une des lois naturelles les plus larges et les mieux tablies pourtant il estaujourd'hui admis universellement pour vrai, et la loi suppose a cess d'tre cosmique.Ces quelques dveloppements nous mettront mme de comprendre comment certains

    prtendus miracles peuvent avoir t dus des lois naturelles encore inconnues. Nous savonssi peu de chose de ce qu'est rellement la force nerveuse ou vitale, comment elle agit ou peutagir, et quel degr elle est capable de transmission d'un tre humain un autre,