Les mineurs non accompagnés séjournant en Suisse : … · que soumis à une forte...
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Sous la direction de Daniel Stoecklin
Les mineurs non accompagns sjournant en Suisse : quelles perspectives davenir ?
Rflexions sur la participation du mineur dans la mise en place
de solutions durables
MMOIRE Orientation professionnalisante
Prsent lUnit denseignement et de recherche en Droits de lenfant
de lInstitut Universitaire Kurt Bsch pour obtenir le grade de Master of Arts interdisciplinaire en droits de lenfant
par
Elodie ANTONY
de
Monthey, Valais
Mmoire No
SION
Mai 2010
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Rsum
En 1989, la promulgation de la Convention internationale des droits de lenfant (CDE) a
confr aux enfants un nouveau statut de sujets de droits . Les Etats membres, comme la
Suisse qui a ratifi la CDE en 1997, sengagent ainsi garantir les droits noncs tout enfant
relevant de leur juridiction. Cependant, des catgories particulires de mineurs telles que les
mineurs non accompagns (MNA) restent vulnrables face aux mesures imposes par les
lois internes relatives lasile et limmigration. En Suisse, ce phnomne a donn lieu
diverses recherches qui soulvent particulirement le manque de perspectives davenir auquel
se trouvent confronts les MNA. Cette tude se propose ainsi dexplorer les lments
thoriques et pratiques pour la mise en place dune prise en charge de ces mineurs sur le long
terme. Dans une approche interdisciplinaire, nous allons nous intresser la participation du
MNA dans llaboration de solutions durables. Afin de dfinir les contours de sa capacit
dagir, nous nous attacherons ainsi soulever dune part les contraintes auxquelles il doit faire
face et dautre part, les ressources dont il dispose pour agir. Souhaitant donner voix aux
MNA, nous nous rfrerons particulirement au projet Speak out !, qui est un projet de
participation sociopolitique mis en place par la Fondation Terre des hommes - aide
lenfance pour ces jeunes migrants. En dfinitive, cette analyse nous permettra davancer des
lments de rflexion pour une intervention individualise qui rponde aux besoins rels des
MNA et contribue la construction de leur avenir, que ce soit au sein dune intgration en
Suisse ou dune rintgration dans leur pays dorigine.
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Remerciements Je tiens remercier les personnes suivantes qui ont troitement contribu la ralisation de ce
mmoire de Master :
- le Professeur Daniel Stoecklin, directeur de mmoire, qui a favoris la progression de la
prsente recherche et encourag lapprofondissement des dimensions tudies.
- Mlle Manuela Scelsi, assistante du Master Interdisciplinaire en Droits de lEnfant, qui, par
sa prcieuse connaissance de la problmatique tudie, sest engage dans le suivi de ma
recherche.
- Mme Martine Lachat Clerc et M. Reto Rhyn, anciens collaborateurs de la Fondation Terre
des hommes aide lenfance (Tdh) et responsables du projet Speak out ! ainsi que Mlle
Emilie Graff, cheffe du domaine socit et politique sociale du Conseil suisse des activits de
jeunesse (CSAJ) et actuelle responsable du projet, qui ont favorablement accueilli ma
recherche.
- M. Christoph Braunschweig et Mme Cristina Mele, collaborateurs du Service Social
International (SSI), pour leur regard professionnel li lintervention auprs des MNA.
- M. Frdric Barman, pour sa lecture attentive et lintrt port la thmatique traite, pour
ses encouragements quotidiens et pour tout.
- Ma famille, qui soutient pas pas mon avancement.
- Mes amis qui ont crois mon chemin durant ce Master et ceux de longue date, pour leur
prsence, leur attention et leur dvouement.
- Finalement, un merci particulier chacun des MNA que jai rencontrs au sein du projet
Speak out !, pour la confiance quils mont accorde, pour les prcieux instants de vie
partags et pour lespoir quils entretiennent.
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Table des matires
Rsum
Remerciements Introduction p. 5
1. La notion de mineurs non accompagns (MNA) p. 8
1.1 Dfinition juridique ... p. 8
1.2 La reprsentation sociale des MNA p. 8
2. Vers une redfinition du MNA : le MNA comme acteur social .. p. 10
2.1 Le nouveau paradigme de lenfant acteur .. p. 10
2.2 Entre comptences et vulnrabilit p. 12
2.3 Art. 3 et art. 12 CDE : un duo explorer p. 15 a) Larticle 3 CDE : lintrt suprieur de lenfant.. p. 15 b) Larticle 12 CDE : la prise en considration de la parole de lenfant... p. 16
3. La participation du MNA dans la recherche de solutions durables. p. 18
3.1 Mthodologie..... p. 18
3.2 Le projet Speak out ! ..... p. 19 a) Origine et objectifs du projet ...... p. 19 b) Mise en uvre du projet ............. p. 20 c) Le projet la lumire de la CDE..... p. 21
3.3 Lexprience du MNA............. p. 22 a) Les motivations.... p. 22 b) Les activits...... p. 23 c) Les relations...... p. 26 d) Les valeurs.... p. 27 e) Limage de soi.... p. 29
3.4 Analyse des donnes : dynamique de lexprience et capabilit.......... p. 30 a) Dynamique relationnelle et tapes de lexprience....... p. 31 b) Capabilit : entre ouverture de lenvironnement et rflexivit..... p. 33
4. Discussion : lments de rflexion pour lintervention auprs des MNA.. p. 36
Conclusion. p. 39
Rfrences bibliographiques.. p. 41 Annexes
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Introduction Contextualisation et dfinition de lobjet dtude Parmi les flux migratoires orients vers les pays europens, certains migrants sont des
mineurs sans parent ou reprsentant lgal, juridiquement appels mineurs non
accompagns (MNA) ou mineurs isols . La Suisse a ainsi compt lenregistrement de
427 requrants dasile mineurs en 2009 (Office fdral des migrations [ODM], statistiques
RMNA 2009). Larticle 22 de la Convention internationale des droits de lenfant (CDE) de
1989 reconnat cette problmatique en accordant un statut particulier aux enfants rfugis.
Cette Convention engageant le systme juridique national se conformer aux principes
internationaux, il incombe aux pays signataires de mettre en place des mesures de protection
spcifiques pour garantir les droits de ces jeunes migrants. Suite la ratification de la CDE
par la Suisse en 1997, des recherches universitaires ainsi que diverses tudes de terrain ont
ds lors t ralises sur la problmatique des mineurs isols en Suisse.1 Interrogeant
notamment la conformit de la politique dasile nationale aux droits noncs dans la CDE,
cette littrature a contribu soulever les manquements relatifs lapplication des droits de
lenfant et la prise en charge de ces mineurs. Ainsi, si des solutions court terme sont
mises en place pour ces jeunes migrants (notamment le logement en institution,
lapprentissage de la langue et la scolarisation), la Fondation Terre des hommes aide
lenfance (2007) soulve le manque de perspectives davenir auquel sont confronts ces
mineurs, soit le manque de solutions sur le long terme .
Constatant ainsi lcart existant entre les rponses politiques la problmatique des MNA et
les besoins de ces derniers, la Fondation Terre des hommes aide lenfance (ci-aprs : Tdh)
a mis en place un projet de participation, intitul Speak out !, qui vise donner une voix ces
jeunes migrants. Ce mmoire professionnalisant ayant t ralis dans le cadre de ce projet,
nous avons choisi de traiter des perspectives davenir des MNA, dont lintrt rside au sein
de deux intrts majeurs. En suivant premirement le processus participatif du projet, nous 1 Divers travaux de recherche juridiques, dont la thse de Sylvie Cossy (2000), ont fourni des connaissances prcises sur le cadre lgal national et international, incluant le droulement de la procdure dasile et les mesures de protection juridiques. Aux niveaux sociologiques et psychologiques, plusieurs recherches (notamment Bolzman, Rossel & Felder 2004, Gakuba, 2004 et Paul, 2008) se sont intresses la thmatique de lexil et aux besoins spcifiques du MNA. Enfin, la littrature grise complte la rflexion en apportant un regard critique sur les mesures de protection en vigueur (rapport du Service social International [SSI], 2004 ; rapports de la Fondation Terre des hommes aide lenfance [Tdh], 2007 ; 2010).
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souhaitions focaliser notre attention sur lun des problmes perus comme prioritaires par
les MNA. Au sein des discussions, ceux-ci ont particulirement mis en avant le problme de
la longueur de la procdure dasile qui limite fortement la construction de leur avenir.
Evoquant alors deuximement le questionnement thorique relatif la prise en charge sur le
long terme, nous avons choisi de nous attacher aux perspectives davenir des mineurs non
accompagns. La pertinence de ce questionnement rside donc dans le fait quil se situe
conjointement au centre des proccupations des MNA et de la recherche actuelle, reliant ainsi
les intrts du terrain et de la thorie. Cet aspect a en outre t confirm par Christoph
Braunschweig, assistant social au Service Social International (SSI), qui a avanc que
lobjectif de toute intervention est de dterminer une solution durable, mais il reste
dterminer comment (conversation tlphonique, 26 mars 2010).
Question de recherche et hypothses
La question qui soutient ce travail est donc la suivante : En vertu des droits promulgus
dans la CDE et du principe de lintrt suprieur de lenfant, quels lments thoriques
et pratiques peuvent favoriser la recherche de solutions durables pour les MNA
sjournant en Suisse? A travers cette question, nous entendons nous interroger sur la
manire de mettre profit le sjour en Suisse du MNA, quil donne lieu une intgration ou
une rintgration dans son pays dorigine ou dans un pays tiers. Nous chercherons ainsi
dgager, en tenant particulirement compte du point de vue des MNA sur leur situation, les
lments dune prise en charge respectueuse des droits de lenfant et qui perdure au-del de la
dcision dasile. Afin de traiter cette question et daprs la littrature existante sur le sujet,
nous postulons quune prise en charge base sur la recherche de lintrt suprieur de lenfant
(art. 3 CDE) ncessite la prise en considration de lopinion du MNA et sa participation (art.
12 CDE) dans llaboration dun projet de vie, qui sera ainsi individualis et adapt ses
besoins spcifiques. Cette hypothse repose alors deuximement sur lide que le MNA, bien
que soumis une forte vulnrabilit, est dot de ressources et de capacits (thorie de lacteur
faible, Soulet (2003)) quil convient de mobiliser dans llaboration de son projet de vie. Cette
recherche exploratoire vise donc soulever, daprs la consultation des MNA et la prise en
considration de leur point de vue, des pistes de rflexion pour llaboration de solutions
durables.
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Approche mthodologique
En vue de saisir la complexit que prsente la situation du MNA, nous avons mobilis une
approche interdisciplinaire. Dans une premire partie thorique, nous avons interrog la
littrature afin de nous procurer les outils conceptuels essentiels ltude de notre
problmatique. Notre objet dtude a alors t co-construit travers larticulation de notions
juridiques, psychologiques et sociologiques en nous appuyant sur les textes issus du droit
national et international et paralllement, sur les aspects psychosociaux lis lexil. Le
dialogue entre les disciplines, favorisant leur dcloisonnement, a ainsi permis dinstaurer une
interaction entre les diffrents savoirs afin danalyser la complexit que revt notre
questionnement (Darbellay, 2005, p. 47-49). De plus, un contact avec le Service Social
International (SSI) nous a galement permis de recueillir un regard professionnel. Pour notre
tude de terrain ensuite consacre lanalyse empirique de lexprience du MNA, deux
techniques de rcolte des donnes ont conjointement t utilises. Nous avons premirement
ralis une observation participante au sein du projet Speak out ! et avons deuximement
men des entretiens dapprofondissement. Lobservation, en tant que phase dimmersion,
nous a tout dabord permis de crer un lien de confiance avec les MNA. Cette tude touchant
une situation sensible, la prsentation de mon rle et mon implication personnelle au sein du
projet ont contribu ltablissement dune confiance qui tait, dun point de vue thique,
ainsi essentielle. Cette observation nous a ensuite amens dcouvrir leurs proccupations et
les thmes considrs comme prioritaires, que nous avons ds lors pu approfondir en
entretiens (Danic, Delalande & Rayou, 2006, p. 135). En recourant des mthodologies
complmentaires, nous avons ainsi organis notre analyse autour dune triangulation des
mthodes qui a permis de confronter les donnes et dobtenir une meilleure comprhension de
la situation (Mayer, Ouellet, St-Jacques, Turcotte et collaborateurs, 2000, p. 137).
Dans une premire partie, nous aborderons les dfinitions juridiques et sociales attribues aux
MNA et tenterons dlaborer une redfinition de celui-ci en tant quacteur social. Nous nous
rfrerons ainsi au nouveau paradigme de lenfant acteur et sujet de droits confr par la CDE
et poserons notre question centrale de la participation du MNA autour de ltude de sa
capacit dagir. Dans notre tude de terrain, nous analyserons lexprience du MNA afin de
dgager les aspects de ses contraintes et de ses ressources. Daprs les rsultats obtenus, nous
discuterons finalement des lments thoriques et pratiques qui soutiennent la mise en place
de solutions durables.
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1. La notion de mineurs non accompagns (MNA)
1.1 Dfinition juridique
La notion de mineurs non accompagns (MNA) rpond diffrentes terminologies et
dfinitions selon les juridictions europennes. En Suisse, est considr comme mineur
quiconque na pas atteint 18 ans rvolus (art. 14 CC, cit dans lart. 1a OA1). La
dfinition du terme non accompagn napparaissant plus dans la nouvelle Ordonnance sur
lasile entre en vigueur le 1er janvier 2007, il convient de se rfrer aux dfinitions
internationales. Est ainsi considr comme non accompagn un enfant, au sens de larticle
premier de la Convention, qui a t spar de ses deux parents et dautres membres proches de
sa famille et nest pas pris en charge par un adulte investi de cette responsabilit par la loi ou
la coutume (Comit des droits de lenfant, Observation gnrale n6). Afin de viser une
harmonisation des diffrentes dfinitions, le Programme en faveur des Enfants Spars en
Europe (PESE) se base sur la terminologie de lenfant spar quil dfinit comme des
enfants de moins de 18 ans se trouvant en-dehors de leur pays dorigine, spars de leurs
parents ou de leur ancien rpondant autoris par loi ou par la coutume (Programme en
faveur des Enfants Spars en Europe [PESE], 2004, p. 2). Le programme europen prfre
ainsi la notion de spar plutt que de non accompagn car il reprsente une meilleure
dfinition du problme, savoir que ces enfants nont pas de parent ou de tuteur pour
soccuper deux mme sils ont migr vers lEurope accompagn dun adulte. Le PESE
complte sa dfinition en accordant ces enfants le droit une protection internationale au
moyen de diffrents instruments internationaux et rgionaux. Il induit ds lors la
responsabilit des Etats de mettre en place un systme de prise en charge, et ainsi de
protection, de ces jeunes migrants considrs comme vulnrables. Dans la dernire rvision
de ses bonnes pratiques (2010), le programme a galement ajout le caractre essentiel de la
recherche dune solution durable (p. 4).
La Convention des droits de lenfant (CDE) intervient dans cette dfinition juridique en
reconnaissant des droits spcifiques cette catgorie de mineurs. Elle accorde premirement
aux enfants rfugis ou demandeurs dasile le droit une assistance spcifique, que lon
retrouve larticle 22 CDE, qui demande aux Etats parties de mettre en place des mesures
lgislatives et administratives assurant un cadre de protection ces mineurs. Deuximement,
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larticle 10 CDE, qui avance le droit de lenfant la runification familiale, exige que toute
demande effectue par un enfant ou ses parents dentrer dans un Etat partie ou de le quitter
aux fins dune telle runification doit tre considre positivement par lEtat. Cependant, la
collaboration des pays darrive en vue de faciliter la runification familiale est rarement
effective, comme dans le cas de la Suisse qui a mis une rserve sur larticle en question lors
de la ratification de la CDE. Egalement en relation avec la sphre familiale, larticle 9 CDE
veille troisimement ce que lenfant ne soit pas spar de ses parents contre son gr, moins
que cette sparation ne soit ncessaire comme dans les cas de violence ou de ngligence. Ce
troisime article peut donc de mme tre considr comme un droit spcifique des MNA car
dans leur cas, la sparation issue de la migration relve le plus souvent de causes externes au
milieu familial comme la situation conomique, politique et sociale du pays dorigine. Ds
lors, lvaluation de son intrt suprieur, central la recherche dune solution durable et la
construction de lavenir du MNA, ncessiterait lvaluation individuelle des possibilits dun
regroupement familial (Tdh, 2007, p. 20-21).
1.2 La reprsentation sociale du MNA
Dans cette phase initiale de dfinition, il convient galement dinterroger limage qui est
socialement accorde au MNA. Dans la loi suisse ainsi, le MNA est peru comme un
requrant dasile avant de recevoir les considrations accordes son statut de mineur (Wata,
2004, p. 7). Il est donc un ressortissant tranger avant dtre vu comme un enfant vulnrable
et en qute de protection (Lachat Clerc, 2006, p. 26). Ds son arrive sur le territoire, la
situation du MNA est de ce fait rgie par le droit des trangers, soit la nouvelle loi fdrale sur
les trangers (LEtr) et la loi sur lasile rvise (nLAsi). Or ces lois, acceptes lors des
votations du 24 septembre 2006, sont bases sur de nouvelles dispositions restrictives
dnonces comme non conformes aux principes noncs dans la CDE. Tdh et lObservatoire
du droit dasile et des migrations (ODAE) signalent notamment quau sein de la loi sur lasile
rvise, les fouilles dans les logements sans mandat judiciaire, le refus dexaminer les
demandes dasile sans documents didentit remis dans les 48 heures et lexclusion de laide
sociale suite une dcision ngative ne prennent pas en considration lintrt suprieur de
lenfant ni ses besoins spcifiques (Tdh, 2006, p. 3-5 ; Zimmermann, 2009). La dfinition du
MNA sapproche donc dune dfinition de type catgorielle, o ce dernier existe sous forme
dune catgorisation juridique construite exclusivement partir du point de vue des
institutions de la socit darrive (Bolzman, Rossel & Felder, 2004, p. 4). Limage sociale
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du MNA se trouve de ce fait renvoye la catgorie du vrai ou du faux rfugi,
construite sur les critres dune lgislation svre qui ne prend que peu en considration son
statut spcifique de mineur et les besoins qui en dcoulent.
Ce prolongement de la dfinition juridique du MNA est ainsi intressant dans la mesure o les
reprsentations qui lui sont accordes dans la socit daccueil ont un impact dterminant sur
la considration de sa place sociale et de ses comptences. On observe ainsi la distance qui
peut exister entre une dfinition juridique et une ralit sociale, ainsi quentre les dispositions
restrictives du droit interne et les engagements internationaux qui dcoulent de la ratification
de la CDE. On remarque donc la limite dune dfinition de type catgorielle ou objective
qui reflte principalement les enjeux institutionnels lis la problmatique (Zermatten &
Stoecklin, 2009, p. 55) plutt que la spcificit du MNA. Considrant les individus comme
objets plutt que sujets , ce type de dfinition ne rend en effet pas compte de leur point
de vue, de leur individualit et de leurs aspirations comme lexigerait une valuation
complexe de la situation. Par consquent, un modle dintervention ax sur la recherche de
lintrt suprieur de lenfant et sur lapplication des droits spcifiques du MNA devrait se
baser sur une dfinition subjective , qui interroge de manire complexe et individualise
lexprience du mineur et le sens qui lui est donn (Stoecklin, 2008, p. 60). En nous basant sur
le principe de participation, nous allons prsent interroger le MNA comme acteur de son
histoire et de son dveloppement afin de lancrer dans sa situation et, ainsi, dans le sens quil
lui donne.
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2. Vers une redfinition du MNA : le MNA comme acteur social
2.1 Le nouveau paradigme de lenfant acteur
Si les enfants ont exist de tout temps, lenfance na pas toujours exist en tant que
catgorie sociale distincte des adultes. Cependant, au cours du dernier sicle et demi, lintrt
scientifique pour lenfant a grandi et de nombreuses thories ont contribu inscrire lenfance
comme une ralit concrte et reconnatre ses particularits. Ds lors, lon peut avancer
qu aujourdhui, impossible occulter, la catgorie sociale de lenfance existe, elle est bien
prsente, diffrente, particulire (Jaff, Rey, Grandjean & Roth, 1998, p. 51-52). Au sein de
cette redfinition et de lvolution des reprsentations relatives lenfance, la promulgation
de la CDE en 1989 marque un lment majeur de lvolution de la place de lenfant dans la
socit. Elle lui accorde en effet un nouveau statut, celui de dtenteur de droits, et avance ds
lors lide de lenfant sujet de droits. De par ce nouveau statut juridique, la Convention
proclame ainsi le mineur comme une personne part entire, bnficiant de garanties, de
protection et reconnu comme vulnrable mais nanmoins individu, [] et dtenant des droits
faire valoir ce titre (Zermatten, 2008, p. 1-7). Reconnaissant alors, dune part, son
individualit de sujet et dautre part, sa spcificit et son besoin de protection, linstrument
juridique en question confre lenfant des droits de base dont il peut se saisir ainsi que des
droits particuliers lis sa vulnrabilit. Rvolutionnaire dans le nouveau statut quelle
accorde lenfant, la CDE inscrit notamment le droit de faire valoir son opinion dans toutes
les dcisions le concernant larticle 12, qui nous intresse donc particulirement dans cette
tude ralise autour de la participation du MNA.
Cette volution socio-juridique a ouvert de nouvelles perspectives au sein de ltude de
lenfant qui interroge ds lors ce dernier comme sujet. Dans les annes 90, James et Prout
posent les jalons dun nouveau paradigme de la sociologie de lenfance. Les auteurs portent
une critique au paradigme fonctionnaliste qui, selon eux, rduit lexplication du passage de
lenfant ladulte au processus de socialisation. Selon cette conception, lenfant irrationnel,
objet et incomptent se transforme en adulte rationnel, sujet et comptent. Sans porter
dattention ce qui se passe durant la socialisation, cette approche ne tient ainsi nullement
compte des capacits de lenfant ni de sa complexit. En mobilisant alors une approche
interactionniste, les auteurs avancent un nouveau paradigme selon lequel lenfance est
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considre comme une construction sociale, ainsi rattache une ralit et une volution
particulires. La nouvelle sociologie de lenfance dfinit ainsi lenfant comme un acteur qui
lon reconnat une voix et des comptences. Dans leurs travaux sur les enfants en situation de
rue, Lucchini et Stoecklin se profilent vers ce nouveau paradigme de la comptence de
lenfant (Lucchini, 2002, p. 47). Ils considrent ainsi les enfants comme des acteurs
sociaux , cest--dire comme des sujets qui ragissent activement aux circonstances et ne
les subissent pas passivement , ainsi capables de se reprsenter leur situation, doprer des
choix et de dvelopper des comptences (Stoecklin, 2008, p. 58-59). En ce sens, on accorde
aux acteurs sociaux la capacit dagir et dexercer une influence sur leur environnement, et
ainsi de transformer leur situation. Se dtachant donc dune vision dterministe qui conoit
lindividu en tant qu objet soumis aux influences sociales, ce paradigme ouvre le dbat
sur la relation entre les actions individuelles et la structure de la socit. On retrouve en ce
sens la thorie de la structuration de Giddens (1984) par laquelle on peut avancer que lenfant
est structur par la socit dans laquelle il vit, mais est galement structurant de son
environnement.
Aussi, si lon reconnat aujourdhui que les enfants agissent, ont une voix et ne sont donc pas
uniquement assujettis aux logiques sociales, Gavarini (2006) rappelle quil convient toutefois
de ne pas dnier les processus sociaux qui sous-tendent leurs actions (p. 98-101). Cette
approche nous intresse ds lors particulirement car nous postulons quune dfinition
complexe du MNA laisse place, dune part, son propre point de vue et ses comptences,
tout en tenant compte, dautre part, des paramtres structurels qui contribuent sa situation.
En effet, afin de relater la complexit du MNA, il convient de se placer au niveau du sens
subjectif quil donne sa situation, mais galement au niveau des conditions objectives de sa
position sociale de requrant dasile. Le dbat entam dans la sociologie contemporaine entre
action et structure sociale nous permet ainsi de soulever, dans le cadre de la prsente tude,
linterrogation entre la possibilit dagir du MNA et sa vulnrabilit. Cette articulation
contribue alors dpasser un discours rducteur qui conoit lenfant comme simple victime
des contraintes de lenvironnement (Lucchini, 2008, p. 41) ou qui omet son individualit.
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2.2 Entre comptences et vulnrabilit
Cherchant poser les jalons dune rflexion sur le MNA en tant quacteur de son projet de vie
et aprs avoir dfini le paradigme sur lequel nous pouvons nous appuyer, il convient prsent
de nous pencher sur les ressources disposition du MNA. En prolongement de la notion
dacteur social, la thorie de lacteur faible tablit un pont entre la dimension de la
vulnrabilit et la capacit dagir. Porteuse dintrt pour tudier notre question centrale de la
participation du MNA, cette thorie tudie ainsi lexistence de formes spcifiques de lagir en
situation de vulnrabilit, cest--dire partir dune position matriellement et
symboliquement fragilise (Chtel et Soulet, 2003, p. XV). Elle contribue ainsi modifier
limage de victime des populations marginalises en une image dacteur qui leur accorde des
ressources et des possibilits daction tout en tenant compte des enjeux lis leur
vulnrabilit. En vue dvaluer ces ressources dune manire dynamique entre lindividu et la
structure sociale, la thorie de lacteur faible rejoint le concept de capabilit dvelopp par
Amartya Sen. Selon lconomiste, la capabilit est un ensemble de vecteurs de
fonctionnements qui indiquent que lindividu est capable de mener tel ou tel type de vie (Sen
2000, p. 65-66). La capabilit est alors entendue comme une capacit dagir fonde sur deux
composantes interdpendantes, savoir les comptences personnelles et les ressources de
lenvironnement. Ces ressources, considrer comme le degr douverture du systme,
peuvent ainsi actualiser ou, au contraire, restreindre les capacits de lacteur. Elles peuvent de
ce fait tre dfinies en termes d opportunits de participation (Zermatten & Stoecklin,
2009, p. 95).
Afin dclairer la dynamique de lacteur, Stoecklin (2009) propose un modle danalyse de la
capabilit travers le systme de lacteur . Ce modle postule que toute action mobilise
des lments essentiels de la vie sociale, relis entre eux de manire systmique : des
activits, des relations, des valeurs, des images de soi et des motivations (Zermatten &
Stoecklin, 2009, p. 65). Ces lments reprsentent alors les cinq dimensions essentielles de
lexprience personnelle et les liens qulabore lacteur entre ces dimensions constituent le
systme en question.
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Schma 1 : Le systme de lacteur (Daniel Stoecklin, 2009)
Les concepts utiliss pour dfinir les cinq dimensions fondamentales de lexprience sont des
concepts dits sensibles . Au contraire des concepts dfinitifs qui tablissent ce que le
chercheur doit retirer de son observation, les concepts sensibles suggrent un sens gnral
de rfrence et de guide dans lapproche de la ralit empirique et proposent ainsi des
directions o regarder (Blumer, 1969, cit dans Zermatten & Stoecklin, 2009, p. 65). Les
activits, relations, valeurs, images de soi et motivations constituent donc une grille de lecture
qui permet dobserver la manire selon laquelle lindividu labore son agir et, plus
spcifiquement, dinterprter le sens quil donne son exprience. Par le biais de cette
observation empirique de laction, le systme de lacteur propose un mode
doprationnalisation de la capacit dagir et de ses deux composantes. En effet, le modle
permet dtudier comment les acteurs mobilisent leurs ressources personnelles en regard des
opportunits et contraintes de lenvironnement et ainsi, comment ils tablissent leur
capabilit. Il contribue donc tablir une certaine mesure de la capacit dagir, cest--dire
des opportunits induites par linteraction entre les composantes personnelles et les ressources
de lenvironnement. Ce modle thorique permet en dfinitive dobserver empiriquement
lensemble des vecteurs de fonctionnement dont parle Sen et de dfinir la possibilit qua
lindividu dactualiser sa capabilit dans un environnement donn (Zermatten & Stoecklin,
2009, p. 95).
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La thorie qui dcoule du systme de lacteur avance que tout individu dveloppe un
systme daction spcifique, qui correspond lune des multiples possibilits de mise en
relation des cinq dimensions de lexprience. Les dimensions font ainsi partie dun tout, sont
influences par les autres lments et les influencent en retour. De ce fait, toute modification
de lune des dimensions donne lieu un rquilibrage de lensemble. Cela met en avant le
caractre systmique de lexprience, cest--dire linterdpendance de ses composantes
(Zermatten & Stoecklin, 2009, p. 67). De par sa nature systmique et la volont de symboliser
la dynamique de lacteur social, le modle vise galement dpasser la dichotomie entre
individu et socit. En soulevant linteraction entre lindividu et son environnement social, il
contribue dpasser la vision dterministe selon laquelle la structure sociale pse sur un
individu passif. Il permet ainsi dobserver comment les enfants, par la mobilisation de
ressources individuelles et sociales, laborent des stratgies et agissent sur leur environnement
(ibid., p. 104). Le systme de lacteur permet de rendre compte de situations en volution et,
dautre part, de la diversit des expriences vcues par les individus (ibid., p. 96). Par ce
modle, qui sinscrit ainsi dans une approche comprhensive en cherchant comprendre le
rapport de lenfant sa situation, nous nous approchons donc dune dfinition subjective qui
interroge le sens que lindividu donne aux lments de son exprience.
En dfinitive, le systme de lacteur est une grille de lecture particulirement intressante
dans ltude des enfants en situations difficiles. Portant son attention sur les comptences et
les droits en tant que ressources, il contribue dpasser une dfinition catgorielle et passive
de lenfant (Zermatten & Stoecklin, 2009, p. 103). Ce modle pose ainsi un cadre intressant
pour lanalyse de la situation du MNA. Il permettrait en effet daccder au sens que le MNA
donne sa trajectoire migratoire. Plus prcisment, il contribuerait rendre compte de cette
exprience subjective travers les liens effectus par le MNA entre les composantes du
systme. Dans la recherche des lments ncessaires pour une prise en charge sur le long
terme (comme nous lexplorerons dans notre partie empirique) nous nous appuierons ainsi sur
les cinq dimensions de lexprience, ce qui permettra dobserver comment le MNA peut
mobiliser ses ressources et ses droits dans llaboration dune solution durable. Nous
appliquerons ainsi cette approche dynamique lanalyse des ressources du MNA afin de
relever les lments contextuels et individuels de sa situation et, ainsi, de nous approcher
dune dfinition complexe du MNA. La mise en parallle des contraintes et des opportunits
nous permettra donc de saisir les lments essentiels de sa vulnrabilit, mais galement de
ses comptences.
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2.3 Art. 3 et art. 12 CDE : un duo explorer
Notre hypothse postulant quune prise en charge individualise doit tre axe sur la
complmentarit entre les principes de lintrt suprieur de lenfant et de sa participation, il
convient prsent de nous intresser au lien que lon peut induire entre larticle 3 CDE et
larticle 12 CDE dans la recherche de solutions durables. Dans son observation gnrale n6
sur le traitement des enfants non accompagns et des enfants spars en-dehors de leur pays
dorigine (ci-aprs : OG n6) labore en 2005, le Comit des droits de lenfant (ci-aprs : le
Comit) soulve que lobjectif ultime de la prise en charge est de dfinir une solution durable
qui prenne en compte lensemble des besoins du MNA en matire de protection. Le texte
souligne que la recherche dune solution sur le long terme doit ainsi tre base sur le principe
de lintrt suprieur de lenfant et sur la prise en considration de lopinion de lintress,
essentielle lvaluation de la situation du mineur (p. 10-22). Nous allons ainsi consacrer ce
chapitre ces deux principes gnraux de la CDE afin dobserver dans quelle mesure ces
derniers peuvent contribuer dfinir les lments dun modle dintervention ax sur le long
terme.
a) Larticle 3 CDE : lintrt suprieur de lenfant
Larticle 3 CDE, comme nous lavons voqu, fait partie des quatre principes dfinis par le
Comit comme principes gnraux , cest--dire comme des principaux transversaux
lensemble des droits de la Convention. Larticle 3 par. 1 stipule que lintrt suprieur de
lenfant doit tre une considration primordiale dans toutes les dcisions qui concernent les
enfants () . Au sens littral, cette notion dsigne le bien-tre de lenfant, qui doit tre vis
dans toute prise de dcision. Plutt que comme un droit de lenfant proprement parler, ce
principe est dfini comme une obligation de lEtat dexaminer si toute dcision prise lgard
dun enfant a envisag son intrt et lui a accord la valeur dune considration primordiale
(Zermatten & Stoecklin, 2009, p. 35-36). Lintrt suprieur de lenfant est ainsi un critre
gnral qui doit guider toute prise de dcision et toute intervention concernant lenfant
(Lachat Clerc, 2006, p. 73-74). Par le biais de ce principe, on sapproche donc dune
dfinition subjective de lenfant qui, prenant en considration son individualit et engageant
lide dune valuation de son intrt au cas par cas, construit une passerelle entre le droit et
la ralit sociale.
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Zermatten avance que cet article rpond deux rles, savoir celui de contrle, qui veille
lapplication des droits et des obligations envers lenfant, et celui de solution, qui tend
dfinir une solution adapte la spcificit de lenfant et aux besoins particuliers de son
dveloppement (Zermatten & Stoecklin, 2009, p. 37). Au niveau de la prise en charge des
enfants vulnrables et, dans notre cas, des mineurs non accompagns, lintrt suprieur de
lenfant est ainsi conu comme une considration essentielle dans la recherche de solutions
sur le long terme (OG n6, 2005, p. 8). A partir de cela, linterrogation qui rside est ds lors
de se demander comment dfinir lintrt suprieur de lenfant ? En effet, malgr la
pertinence de ce principe qui traverse lensemble de la CDE, lanalyse juridique de cet article
montre que lintrt suprieur est une notion vague et, de ce fait, difficilement
oprationnalisable (Hodgkin & Newell, 2002, p. 42). Ce constat ouvre ainsi la question de la
dfinition de critres dinterprtation pour lvaluation de lintrt suprieur de lenfant et,
nous concernant, du MNA. Une approche ainsi centre sur les droits de lenfant implique
dintgrer le mineur concern dans la dfinition de sa situation et denvisager une solution
dans une optique participative. Pour atteindre cet objectif, des mesures spcifiques doivent
ds lors tre introduites pour faciliter une coute comprhensive et adquate du MNA
(Berghmans, 2006, p. 76).
b) Larticle 12 CDE : la prise en considration de la parole de lenfant
Le nouveau statut de lenfant en tant que sujet de droits, auquel contribue fortement la
considration de son intrt suprieur, est de mme ancr dans la dimension participative
confre par larticle 12 CDE. Cet article, qui est galement lun des quatre principes
gnraux qui traversent la CDE, accorde une considration particulire la voix de lenfant et
lui confre le statut dacteur que nous voquons. Larticle 12 dclare en effet le droit de
lenfant dexprimer son opinion sur toute question lintressant (par. 1) et la possibilit
dtre entendu dans toute procdure judiciaire ou administrative (par. 2). Sur cette base, le
Comit reconnat le droit de lenfant dexprimer librement son opinion comme lune des
obligations juridiques des Etats parties lgard des enfants non accompagns. Il soulve
ainsi que lors de la dtermination des mesures adopter lgard dun enfant non
accompagn [], il faut senqurir et tenir compte des opinions et souhaits de lintress ,
correspondant au par. 1 de larticle 12 (OG n6, 2005, p. 9). Lu conjointement au droit
lexpression (art. 13 CDE) et au droit linformation (art. 17 CDE), ces articles constituent la
base du principe qui a t nomm comme droit la participation de lenfant.
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Hanson et Vandaele distinguent ensuite que les droits participatifs peuvent tre considrs la
fois comme une fin et comme un moyen. Ils contiennent donc une dimension constitutive, o
la participation enrichit le dveloppement et est donc une finalit en soi, ainsi quune
dimension instrumentale, o la participation est un moyen et est lie la capacit de lenfant
agir sur son environnement (Zermatten & Stoecklin, 2009, p. 51-53). A travers lanalyse des
notions de protection et dassistance au sein des droits de lenfant, Verhellen (2006) soulve
cette seconde dimension en postulant que lenfant est pourvu dun droit dans laide et que lon
doit ainsi lui accorder une participation effective dans le processus daide (p. 142-143). Cette
ide contribue ainsi affirmer la ncessit dune participation du MNA dans llaboration de
son projet davenir. La prise en considration de la parole de lenfant apparat ds lors comme
lun des principes centraux dune mthodologie dintervention respectueuse des droits du
mineur et de son individualit, cest--dire de son histoire personnelle et non catgorielle,
ainsi que des besoins spcifiques qui en dcoulent.
En conclusion de cette partie thorique, nous pouvons donc confirmer le lien de
complmentarit que nous postulions entre larticle 3 et larticle 12 qui reconnat la valeur
juridique de la parole de lenfant dans le processus dcisionnel. Larticle 3 tablit le bien-tre
de lenfant comme lobjectif idal atteindre dans toute prise de dcision et larticle 12
propose une mthode pour le dterminer, soit de permettre lenfant dexprimer son opinion
sur la question lintressant (Zermatten & Stoecklin, 2009, p. 39). Ainsi, Stoecklin (2008)
avance que si lintrt suprieur doit tre une considration primordiale, cela implique aussi
de prendre en compte lopinion de lenfant sur ce quil considre lui-mme comme son intrt
suprieur (p. 58). Cette conception contribue ainsi confrer lenfant son rle actif de
sujet de droit. En dfinitive, la lecture socio-juridique mene dans ce cadre thorique nous
permet de redfinir le MNA en tant quacteur tel que lavance le nouveau paradigme de
lenfance. Nous avons galement pu relever la ncessit de dpasser une dfinition
catgorielle et objective qui tend dfinir des modalits dintervention sur les critres
institutionnels et omet les caractristiques individuelles. Un modle dintervention qui vise la
durabilit de la prise en charge des MNA repose donc sur une dfinition subjective, pour
laquelle il convient de recueillir le sens que donne le sujet son exprience. Le systme de
lacteur prsente ds lors une grille danalyse pertinente qui permet dancrer lanalyse du
MNA dans son environnement social et de recueillir son point de vue subjectif sur sa
situation. Par consquent, nous soutenons limportance de sa participation dans llaboration
dun projet de vie durable, auquel sera prsent consacre notre analyse empirique.
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3. La participation du MNA dans la recherche de solutions durables
En nous basant sur les paradigmes et principes pralablement dfinis, il est prsent question
dtudier les lments empiriques dont il convient de tenir compte dans la recherche de
solutions durables. Plus prcisment, une solution durable pour un MNA est une situation
de sjour dfinitive, dans un pays o il peut construire un projet davenir personnel (Lachat
Clerc, 2006, p. 73). Dans notre hypothse de dpart, nous postulions ainsi que la mise en
place de ce projet davenir devait sappuyer sur la recherche de lintrt suprieur du jeune
migrant et que sa participation llaboration de son projet tait un principe complmentaire
essentiel. Afin de poursuivre notre analyse qui dfinit le MNA en tant quacteur social, nous
allons donc maintenant interroger empiriquement sa capacit dagir . Aprs avoir prsent
la mthodologie utilise dans cette tude, nous verrons dans un premier temps comment le
projet Speak out ! accorde une valeur centrale la comptence des MNA. Nous dfinirons
ainsi les objectifs du projet et son rattachement la CDE daprs les documents de projet de
Tdh et du Conseil suisse des activits de jeunesse (CSAJ) qui a repris le projet en janvier
2010. Dans un deuxime temps, nous chercherons mettre en vidence le point de vue des
MNA sur leur situation afin de dgager les ressources et contraintes qui influencent leur
capacit dagir et, ainsi, la construction de leur avenir. Lobjectif de ce travail de terrain est
ds lors dapprofondir la question de la participation et danalyser le rapport quentretiennent
les MNA envers leur situation pour soulever, au sein du chapitre de discussion, les lments
considrer dans llaboration dune prise en charge durable.
3.1 Mthodologie
Afin dinscrire notre tude de terrain dans loptique dynamique et comprhensive qui soutient
la prsente recherche, nous allons appliquer le modle du systme de lacteur
lexprience des MNA. Au travers des cinq dimensions proposes par ce systme, nous
analyserons ainsi les lments contextuels et individuels de la situation du MNA, cest--dire
les lments objectifs et subjectifs qui contribuent llaboration dune dfinition complexe.
Plus spcifiquement, cette grille danalyse nous permettra dtudier linterdpendance entre
les contraintes et ressources de lenvironnement et les comptences personnelles du MNA
afin de dgager les facteurs contraignants et habilitants qui influencent sa capacit dagir.
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Pour mener cette tude empirique, nous nous sommes rfrs deux corpus de donnes.
Dune part, nous avons utilis le matriel produit par les MNA durant la phase prparatoire du
projet, de juillet dcembre 2009, et lors des premiers ateliers de la phase de plaidoyer qui
stend sur lanne 2010. Ce matriel est constitu de fiches relatant les problmes, priorits
et solutions travailles avec les MNA, de tmoignages, de lvaluation de la premire phase
du projet et dune brochure destine au public retraant le travail effectu dans les cinq
ateliers. Ce premier corpus de donnes nous proposait une source danalyse intressante car il
est issu de la consultation des MNA et, ainsi, de leur participation dans la dfinition des
problmes relatifs leur situation. Le second corpus dtude repose, dautre part, sur des
entretiens dapprofondissement effectus avec trois MNA participant au projet2 et raliss par
le biais du Kalidoscope de lexprience. Cet outil mthodologique, issu de la thorie du
systme de lacteur , reprsente visuellement le modle afin que lutilisateur puisse
rflchir de manire systmique son exprience (Zermatten & Stoecklin, 2009, p. 88).
Loutil propose trois techniques danalyse, savoir la technique rtrospective, prospective et
de transition. Notre tude sintressant aux perspectives du MNA, nous avons de ce fait opt
pour lanalyse prospective. Nous avons galement adopt une structure dentretien directif qui
nous a permis de poser un cadre de rfrence explicite pour interroger les lments
spcifiques lavenir. Ce double corpus prsente ds lors lavantage dune complmentarit
des donnes : dun ct, lanalyse du matriel nous fournira des informations issues de la
concertation du groupe participant au projet, reprsentant au total un chantillon dune
trentaine de MNA, ainsi que leurs tmoignages. De lautre, lanalyse des entretiens nous
permettra de nous approcher plus spcifiquement de la subjectivit du MNA et
dindividualiser les observations issues du systme de lacteur.
3.2 Le projet Speak out !
a) Origine et objectifs du projet
Pendant plusieurs annes, les programmes en Suisse de la Fondation Terre des hommes - aide
lenfance se sont proccups des droits de lenfant dans le domaine de la migration. Une
tude ralise en 2007 sur la situation des MNA en Suisse relve divers aspects
problmatiques, dont le fait que le systme de prise en charge est rarement adapt aux besoins
2 Nous nous sommes ainsi entretenus avec deux garons rsidant dans le canton de Genve et une fille rsidant Ble, tous trois gs de 17 ans et respectivement originaires dAfghanistan, de Gambie et de Guine.
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rels de ces mineurs.3 Constatant ainsi les divergences existant entre la prise en charge
propose par la Suisse et les besoins des MNA, lONG a mis en place un projet participatif
qui, en vue de faire entendre la voix de ces jeunes dans le dbat public,4 poursuit deux
objectifs majeurs. Au niveau individuel, laccent est mis sur le dveloppement des aptitudes
personnelles et sociales des MNA et vise le renforcement de leurs comptences.
Concrtement, lobjectif est de permettre aux MNA de squiper dun bagage supplmentaire
pour prparer leur avenir, que celui-ci soit en Suisse, dans leur pays dorigine ou dans un pays
tiers. Dabord sensibiliss la situation des MNA dans le contexte suisse, le projet sollicite
ensuite leur prise de conscience face au rle quils peuvent jouer par leur propre action. Ainsi,
au niveau collectif, le projet poursuit lobjectif didentifier les problmatiques lies la
situation des MNA en Suisse afin de travailler sur des recommandations pour une
amlioration de la prise en charge. La participation active de ces derniers vise ds lors
renforcer les actions de plaidoyer en confrant une vision nouvelle et dynamique au dbat
relatif la situation des mineurs non accompagns en Suisse (Tdh, document de projet 2009,
p. 3-4).
b) Mise en uvre du projet
Une phase exploratoire a t mene en 2008 dans le centre EVAM de Lausanne afin de tester
le concept du projet participatif. Suite la rponse favorable des MNA, qui ont pu exprimer
leurs opinions et leurs attentes en vue de la mise en uvre du projet pilote, ce dernier sest
largi lchelle nationale. Une premire phase prparatoire a t mene en 2009 avec les
MNA rsidant dans les centres de Genve, Vaud, Fribourg, Ble et Zrich. Un atelier de
prsentation du projet a eu lieu dans chaque canton afin de runir, sur la base dune
participation volontaire, les MNA souhaitant sinvestir dans le projet. Un groupe de 20 30
MNA a rpondu favorablement et a ainsi suivi les cinq ateliers visant apprhender les droits
des mineurs requrants dasile, dlimiter les thmatiques prioritaires relatives leur
situation et engager une rflexion sur les solutions possibles. Suite la fermeture des
programmes en Suisse de la Fondation Tdh, le Conseil suisse des activits de jeunesse (CSAJ)
a repris la direction du projet ds janvier 2010 pour mener bien les deux phases suivantes.
La phase de mise en uvre, tendue sur lanne en cours, vise actuellement des actions 3 Pour plus de prcisions, voir : Terre des hommes aide lenfance. (2007). Les mineurs non accompagns en Suisse, expos du cadre lgal et analyse de la situation sur le terrain. Le Mont-sur-Lausanne 4 La volont dmontre par les MNA lors dun projet analogue de participation ralis par lUNICEF Belgique, intitul What do you think , a motiv la Fondation Tdh leur donner la parole dans le contexte suisse.
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concrtes de plaidoyer sur la base des revendications formules dans la phase prparatoire.
Les MNA prennent ainsi part des activits de jeunesse comme la Session des jeunes ainsi
qu des rencontres notamment avec le HCR, la police et les mdias afin de faire entendre
publiquement leurs proccupations. La troisime phase, prvue sur lanne 2011, poursuivra
les activits de plaidoyer au niveau national et mettra paralllement laccent sur le transfert
des comptences acquises par les participants auprs de nouveaux MNA en vue dun ventuel
deuxime cycle du projet (CSAJ, document de projet 2010, p. 4-10).
c) Le projet la lumire de la CDE
Daprs les proccupations relatives la situation des MNA en Suisse, notamment le manque
de perspectives auxquelles cette catgorie de mineurs se trouve confronte, le projet vise
promouvoir diffrents droits de la CDE auxquels les MNA ont encore un accs difficile. Le
projet fait en premier lieu rfrence larticle 12 de la Convention qui avance que les enfants
ont le droit dtre entendus et que leur opinion doit tre prise en considration dans toute
procdure les intressant. Les objectifs poursuivis mettent alors en uvre les deux dimensions
de la participation, cest--dire la participation comme fin et comme moyen, que nous avons
releves dans notre cadre thorique (voir chap. 2.3). Le projet porte en effet une dimension
constitutive en visant le dveloppement des comptences du MNA et sa responsabilisation,
soit la constitution dun bagage pour son avenir, et contient galement une dimension
instrumentale en intgrant le MNA dans laction de plaidoyer. Accordant une place essentielle
la parole du MNA, le projet met de mme laccent sur le droit lexpression (art. 13 CDE)
et, soutenant quil est impratif de lui fournir tous les renseignements pertinents
concernant, entre autres, ses droits et les services disponibles , sur le droit linformation
(art. 17 CDE) (Tdh, Concept participation MNA 2007, p. 1). Le projet promeut donc
galement les articles 13 et 17 de la Convention qui, conjointement larticle 12, forment le
principe de participation. Ce principe entretient finalement un lien particulier avec celui de
lintrt suprieur de lenfant de larticle 3 CDE. Tdh note ainsi que la participation a une
importance particulire dans la dtermination de lintrt suprieur de lenfant. En effet, la
participation de lenfant permet davoir une vision plus globale non seulement de sa
situation, mais aussi de son avis, de ses attentes et de ses envies (idem). La dmarche
participative inhrente au projet tient donc un rle primordial dans lvaluation des besoins et
des perspectives des MNA et, de ce fait, dans la recherche de lintrt suprieur, ce qui
confirme la complmentarit que lon peut tablir entre larticle 3 et larticle 12 CDE.
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3.3 Lexprience du MNA
Il convient prsent danalyser les donnes recueillies sur la situation des MNA en nous
attachant particulirement rendre compte de la dynamique de leur exprience. Comme
nonc, nous allons ainsi soulever les facteurs contraignants et habilitants que lon peut
observer au sein de chacune des dimensions du systme de lacteur . Nous commencerons
par analyser la dimension des motivations qui peut se trouver au centre de lexprience
migratoire du MNA. En suivant lordre selon lequel le modle prsente les dimensions, nous
tudierons ensuite les activits considres comme les plus importantes par les MNA, puis les
relations, les valeurs et limage de soi. En guise danalyse des rsultats, nous soulignerons
ultrieurement les liens que lon peut observer entre les dimensions tudies et nous nous
intresserons lanalyse du concept de capabilit.
a) Les motivations
La dimension des motivations est troitement lie au projet migratoire du MNA. En effet, elle
soutient dune part son dpart pour lEurope et donne un sens, dautre part, son sjour en
Suisse et ses perspectives davenir. Bien que les causes de ce type de migration ne soient
pas clairement tablies, elles correspondent le plus souvent une situation poussant le mineur
quitter son pays dorigine ou des lments lis lattrait de lOccident. On peut citer par
exemple la fuite dune situation conflictuelle ou dangereuse, le manque de perspectives li
aux conditions conomiques et sociales du pays, lattrait des tudes ou la recherche dune vie
meilleure (Tdh, 2007, p. 10-11). Confirmant ces motifs de lexil, Rama5 nous livre ainsi les
motivations qui sont la base de sa migration : Vivre chez nous cest dur, alors je suis
venue pour avoir un papier, pour apprendre la langue et comme a pour trouver un travail
pour aider mes parents et mes frres et surs . Cependant, les motivations qui soutiennent la
migration de ces jeunes vers la Suisse se heurtent trs souvent la ralit lors de leur arrive.
Les premires difficults apparaissent en effet rapidement, notamment au travers de la
barrire de la langue, du fait de ne pas pouvoir travailler comme les autres jeunes pour gagner
son argent et dtre confronts la complexit de la procdure : lattente est longue, les
pratiques changent dun canton lautre et les MNA ont de la peine comprendre son
fonctionnement. De plus, le jeune migrant se trouve rgulirement face au fait que la cause de
5 Afin dassurer la confidentialit des interviews, les prnoms utiliss sont des prnoms demprunt.
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son dpart nest pas considre comme un motif valable pour recevoir lasile : Because my
country doesnt have problem (war for example), immigration people dont believe me when I
say I have problems . Face une ralit mconnue avant leur dpart, ces lments
dstabilisent le projet du MNA et remettent en question limage quils avaient construite
dune vie en Europe.
Une dcision dasile ngative ou labsence de reconnaissance des motifs du dpart peuvent
ainsi briser la dynamique construite autour de la motivation du projet migratoire. Un MNA
tmoigne du stress psychologique que ce type de rponse, perue comme un retour zro ,
implique : They told me to leave Switzerland but I cant go somewhere else. This makes me
afraid about the police. When I go out maybe the police will control me and they will say you
are illegal. So I dont even go to school. I am very stressed . Ainsi, aprs parfois deux ou
trois ans dcole et de vie en Suisse, une rponse ngative remet en question lintgralit du
projet et des motivations. Ce constat soulve ds lors que dans ces conditions, la notion de la
construction de lavenir ne peut pas avoir de sens pour les MNA pour qui tout peut sarrter
en un jour. Les contraintes politiques lies lattente de lasile obligent ainsi les
professionnels travailler sur des objectifs court terme et ne permettent pas de mobiliser les
motivations du jeune dans un projet durable (Paul, 2008, p. 44). Pourtant, ces motivations
sont centrales pour soutenir lexprience du MNA car si elles ont engag son dpart, elles
forgent galement la base de son avenir et, ainsi, de son agir. La volont daller lcole, de
se former et davoir un emploi sont ainsi des ressources majeures dont il convient de tenir
compte pour que le MNA puisse donner un sens son exprience et investir ses comptences.
b) Les activits
Au sein de la discussion visant dterminer les thmatiques prioritaires relatives leur
situation, deux types dactivits ont t reconnus comme essentiels par les MNA :
premirement, la formation scolaire et professionnelle et deuximement, les loisirs. En
premier lieu ainsi, les MNA ont voqu le thme de lducation comme lune de leurs
proccupations centrales. Dmontrant son importance, les MNA conoivent lcole comme la
base de leur quotidien et de leur vie en Suisse, mais galement comme lun des fondements de
la construction de leur avenir. Ils relvent ainsi quil est important dapprendre et dtudier
pour prparer leur vie, pour avoir un mtier avec lequel ils puissent gagner de largent, aider
leur famille reste au pays et vivre de manire indpendante. Concrtement, les requrants
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dasile bnficient de laccs lcole obligatoire au moins jusqu 15 ans au mme titre que
les enfants suisses.6 Il arrive cependant que le MNA doive attendre un an avant dtre
scolaris ou quil ne soit pas scolaris si une dcision ngative a t rendue son gard (Tdh,
2007, p. 44-45). Ainsi, depuis la rception de leur rponse ngative, plusieurs MNA ont
interrompu la scolarit quils avaient commence, ce qui remet en question toute la
dynamique de leur exprience : Aprs deux ans, trois ans dcole et de vie en Suisse tu
apprends quils te refusent. Tu retournes zro et comme a tu fais quoi ? . Paralllement
ce premier problme rencontr par les mineurs dbouts, la seconde difficult des MNA
rside dans laccs la formation professionnelle. En effet, bien que les MNA puissent
lgalement bnficier de programmes de formation en vue de renforcer leurs perspectives
professionnelles, cette pratique reste trs variable selon les cantons et il est rare quils puissent
mener un apprentissage terme (Vite, 2006, p. 22-23).
Malgr la volont de suivre une formation scolaire ou professionnelle, le MNA se trouve ainsi
face une contrainte lgale imposante qui restreint ses perspectives davenir et donne lieu
une inscurit dstabilisante, tel que le confie lun deux: Am Ende dieses Jahres bin ich mit
der Schule fertig und habe noch keine Lehrstelle gefunden. Falls ich eine Lehrstelle finde,
habe ich keine Chance vorwrts zu gehen. Ich werde eine Strassenjunge. Was kann ich
tun ? . La politique dasile en matire de formation reprsente donc un obstacle qui limite
lagir du MNA et, ainsi, entrave la construction dun projet durable. Le MNA ntant par lui-
mme pas en mesure de dpasser cette contrainte qui simpose extrieurement lui, les
ressources dont ils disposent pour agir sur cette situation rsident souvent dans son
environnement social. En effet, lorsque celui-ci souhaite commencer un apprentissage, ses
professeurs, tuteurs ou assistants sociaux peuvent soutenir son projet en adressant une
demande dautorisation lautorit cantonale comptente. Sadou, qui aura 18 ans au mois
daot et souhaitait dbuter un apprentissage de paysagiste, a de cette manire pu trouver un
patron et accder cette formation. Le soutien social qui entoure le MNA prend ainsi une
importance fondamentale pour laider agir sur certaines composantes lgales lies son
statut. De plus, contrebalanant la contrainte lgale que nous soulevons ici, il convient
dvoquer louverture engage au niveau structurel par la Municipalit de Lausanne. A la fin
6 En gnral, les MNA rejoignent ainsi un parcours scolaire dans un dlai de trois mois aprs leur arrive. Les MNA sont souvent dabord intgrs dans des classes daccueil pour enfants de langue trangre ou, comme dans le canton de Vaud, dans un centre de formation intgr au centre daccueil (Mele, 2009, p.69-72). Chacun de ces services, bien que divergents selon les pratiques cantonales, inclut des cours dallemand ou de franais, essentielle lintgration du MNA dans son canton de rsidence.
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du mois de fvrier 2010, la Municipalit a annonc quelle ouvrirait ses places
dapprentissage tous les jeunes, quils soient en possession ou non dun statut. Cette
proposition soulve alors le dbat et appuie les campagnes engages sur cette thmatique par
les associations de protection des migrants depuis plusieurs annes. A Genve ainsi, un
dossier similaire avance pour viter limpasse rencontre par ces jeunes la fin de la scolarit
obligatoire. Au dbut mars 2010, le Conseil National a galement accept les motions de Luc
Barthassat (PDC/GE) et dAntonio Hodgers (Verts/GE)7 en faveur de louverture de la
formation professionnelle aux jeunes sans statut (Revue Reiso, 26 avril 2010). Un pas
supplmentaire a ainsi t franchi dans la reconnaissance du droit lducation et la visibilit
de la problmatique au niveau national faisant ainsi office, paralllement au soutien social, de
ressource politique dans lencouragement dune ouverture du systme dducation.
Deuximement, les ateliers et les entretiens rvlent limportance des loisirs. Selon la
conception quen ont les MNA, les loisirs font partie des solutions qui les aident
affronter les situations difficiles. Le fait dcouter de la musique, de jouer au football ou au
basketball, de cuisiner ou de rencontrer des amis leur permet par exemple de compenser un
quotidien psychologiquement difficile et empreint dinscurit. Les loisirs remplissent ainsi
une fonction essentielle au bien-tre et leur permettent de dvelopper des ressources
personnelles et sociales. A titre dexemple, Mahdi relve les aspects la fois relationnels et
cognitifs de ses cours de thtre : Je fais du thtre avec mes amis de lcole, grce a je
peux apprendre mexprimer, je peux pratiquer le franais, je peux tre avec mes amis et
mamuser . Ainsi, paralllement lcole qui permet au MNA de construire une base pour
lavenir, quil soit en Suisse ou dans leur pays dorigine, les loisirs donnent un sens son
quotidien (Tdh, 2007, p. 25). Ces deux activits, reconnues en termes de droits dans la
Convention, savoir le droit lducation (art. 28 et 29 CDE) et le droit aux loisirs (art. 31
CDE), occupent une place majeure dans lexprience du MNA. Favorisant la dynamique
dintgration de celui-ci dans son environnement, elles contribuent dabord la construction
de la vie du MNA en Suisse. Ensuite, soutenant le dveloppement de ses comptences, elles
visent mobiliser ses ressources personnelles dans la construction de son avenir. Les activits
en tant que telles sont donc des ressources grce auxquelles les MNA peuvent dvelopper leur
capacit dagir et donner un sens leur exprience. 7 Il sagit de la motion Barthassat 08.3616 Accs lapprentissage pour les jeunes sans statut lgal: http://www.parlament.ch/F/Suche/Pages/geschaefte.aspx?gesch_id=20083616 et de la motion Hodgers 09.4236 Respect de la Convention des droits de lenfant pour les enfants sans statut lgal: http://www.parlament.ch/f/suche/pages/geschaefte.aspx?gesch_id=20094236
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c) Les relations
La dimension proprement relationnelle du statut de mineurs non accompagns, releve par ces
derniers comme une difficult dans leur vie en Suisse, est celle dtre spars de leur famille.
Le mineur, dans sa migration vers lEurope, quitte son milieu familial et culturel et se trouve
ainsi coup de son noyau relationnel. Le contact tant souvent difficile tablir avec sa
famille lors de son arrive, le MNA se trouve confront une situation psychologiquement
oppressante. Ils noncent notamment linquitude pour la famille reste au pays, la perte de
repres ainsi que les sentiments de solitude et dinscurit qui marquent leurs premiers jours
en Suisse : When I Came from Guinea I didnt know where I was going. When I arrived
here the guy (le passeur) told me : here its Switzerland. [] I didnt have any money and
didnt get any information. He just told me to say that I was coming to ask asylum. Trs
souvent, mis part ceux qui parviennent retrouver un parent loign, les MNA se retrouvent
ainsi seuls dans un pays et dans une ville quils ne connaissent pas. Deux sources majeures de
rencontres souvrent alors eux lorsquils parviennent une premire stabilisation de leur
situation, cest--dire lors de leur intgration un foyer et une cole. Le foyer est dabord
souvent le premier lieu o les MNA crent des liens et ont la possibilit de rencontrer des
personnes provenant du mme pays queux. Ces personnes, qui prennent souvent un rle trs
important, reprsentent des repres culturels et linguistiques qui permettent aux MNA de
communiquer et de sexprimer. Cette communication tant trs limite lorsquils ne
connaissent pas la langue du canton leur arrive, un jeune voque ainsi la difficult de ne
pas avoir ce repre culturel: The problem is that I am alone from Darfur. So I have no one to
talk to in my language. So I think a lot about my family. This makes me sad .
Lcole apparat ensuite comme le second lieu de socialisation. Elle ouvre un espace de
rencontres significatives qui contribuent au dveloppement des MNA. En effet, lencadrement
ducatif leur permet dacqurir des savoirs quils pourront mobiliser pour leur avenir et
prsente galement une ressource sociale essentielle. En tant que ressource ainsi, la cration
de relations sociales et damitis forme un rseau au sein duquel les jeunes migrants peuvent
tablir des liens de confiance. Les pairs et les professeurs pouvant de ce fait constituer des
figures de repres, Gakuba (2004) observe que lintgration scolaire favorise
considrablement lintgration sociale et le bien-tre du MNA (p. 10). La communaut
culturelle et lcole sont en dfinitive deux ressources significatives dans la reconstruction
sociale et psychologique du MNA. Ils remplissent en effet une fonction relationnelle
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essentielle pour ces mineurs qui sont contraints de vivre loin de leur milieu familial, ce qui
nous permet davancer que la reconstruction dun rseau reprsente une ressource sociale
essentielle et contribue renforcer sa capacit dagir. Les relations cres dans la socit
daccueil comme les liens avec les pairs et les personnes de soutien permettent ainsi au MNA
dinvestir la sphre sociale et de reconstruire un quotidien dans la socit darrive. Au niveau
juridique enfin, la personne de confiance charge de reprsenter et dfendre les intrts du
MNA au sein de la procdure, dfinie dans la loi sur lasile lart. 17 al. 3, tient en ce sens un
rle particulier. Entrant en effet dans le cadre de la dynamique relationnelle que nous venons
de dcrire, cette personne devrait alors tre nomme immdiatement pour permettre
dinstaurer un lien de confiance (Cossy, 2000, p. 246). Assistant le MNA dans sa requte
dasile, la personne de confiance tend finalement ouvrir des ressources dordre juridiques
auxquelles le MNA naurait pas accs par lui-mme.
d) Les valeurs
La dimension des valeurs transparat dans lensemble des thmatiques abordes. Comme nous
lavons voqu dans la dimension relationnelle, les personnes issues de la mme culture ou du
mme pays dorigine que le MNA reprsentent une ressource importante. Au mme titre, les
valeurs culturelles du MNA, qui ont soutenu son dveloppement jusqu son arrive en
Suisse, semblent former un cadre de rfrence pour lagir du MNA. Ltude
psychosociologique de Gakuba (2004) sur les ressources personnelles et sociales des mineurs
rwandais non accompagns confirme cette dimension. En effet, lauteur relve que les valeurs
culturelles de la socit dorigine ainsi que la croyance en des valeurs morales et religieuses
font partie des ressources qui jouent un rle dterminant dans la reconstruction de ces mineurs
et, ainsi, dans la construction de leur avenir (p. 8). Dans lentretien men avec Rama, cette
dernire raconte quelle garde toujours lesprit les paroles de sa grand-mre et de ses parents
qui lui ont appris que quoiquil arrive, elle ne devait pas scarter du bon chemin et
toujours suivre de bons comportements . Elle raccroche galement le sens de son
exprience ses croyances en Dieu et lespoir quil puisse lui donner la chance daider sa
famille malgr le fait quelle nait pas de contact avec eux depuis son arrive en Suisse. Les
valeurs religieuses tiennent ainsi galement un rle important dans la vie du MNA. Lun
deux souligne : All is very hard to me but I always keep the faith that one day everything
will come to an end . Dans plusieurs rcits, les croyances reprsentent de cette manire une
ressource face lincertitude pose par la politique dasile et linscurit du quotidien. Elles
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nourrissent en effet lespoir du MNA quant lamlioration de sa situation et soutiennent sa
volont dagir. Nous avons alors pu observer une dynamique contraire pour lun deux qui
semble refuser tout lien, mme symbolique, avec son pays dorigine et qui prsente galement
des difficults tablir des liens de confiance dans la socit daccueil. Sa situation en Suisse
ne samliorant aucunement depuis deux ans, il dit nentrevoir aucune solution et cite ne
pouvoir rien faire . Psychologiquement trs fragile et se percevant comme seul face aux
problmes lis son statut, ses perspectives et sa capacit dagir en sont fortement limites.
Ensuite, paralllement aux codes et aux normes du pays dorigine qui soutiennent son mode
de pense et daction, le MNA acquiert de nouvelles valeurs dans la socit daccueil.
Dautres valeurs rentrent en effet en compte et contribuent orienter son dveloppement
personnel. A titre dexemple, Mahdi avance ainsi quil aime pouvoir parler sa langue avec ses
amis afghans, pratiquer le football dans une quipe afghane et couter la musique de son pays,
mais galement quil aime son cole Genve o il a cr des relations de confiance avec ses
amis et professeurs, pratiquer le franais et poursuivre sa scolarit. Le MNA labore donc son
agir travers la rencontre de deux systmes de valeurs et de codes culturels, soit celui de son
pays dorigine et de la socit darrive. Dans leur tude sur les valeurs des jeunes, Pronovost
et Royer (2004) soulvent la dimension instrumentale que prsentent les valeurs (p. 65). Par
exemple, les valeurs relationnelles, qui se trouvent au fondement de la vie en socit,
reprsentent une manire de rgulariser les relations. Selon cette ide, les relations tablies
dans la socit daccueil aident le MNA acqurir les normes qui lui permettent dagir
conformment aux codes de cette socit et guident ses interactions. De mme, les auteurs
avancent que les valeurs du travail et du savoir poursuivent souvent diverses fins comme la
russite professionnelle ou lobtention dune qualification. Ces valeurs, trs souvent
dveloppes chez le MNA pendant son sjour en Suisse, encouragent ainsi la ralisation de
nouveaux objectifs tels que le fait dobtenir un emploi et daider sa famille. De par ces
aspects, le systme de valeurs est une dimension essentielle considrer dans lexprience du
MNA et de ce fait, dans la construction de son projet de vie. Elles lui permettent en effet de
dvelopper une certaine ligne de conduite partir de repres relatifs son origine et ses
croyances, mais aussi daprs les rfrences quil acquiert et dveloppe en Suisse qui, tous
deux, encouragent ainsi son agir.
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e) Limage de soi
Les discussions touchant la dfinition du mineur non accompagn et leur identit ont
rvl un cart entre la conception que les MNA ont deux-mmes et le regard social qui leur
est port. Il convient ainsi dapprhender la dimension de limage de soi selon deux angles
complmentaires, savoir la dfinition que les individus donnent deux-mmes et
paralllement, limage qui leur est extrieurement accorde. Au sein du projet premirement,
les MNA ont travaill sur la question du who we are ? pour donner une dfinition de leur
groupe et de leur situation. Les lments avancs relatent deux conceptions, dont dune part
leurs difficults : Wir sind allein und getrennt von unserer Familie, wir mssen auf eine
Entscheidung der Regierung warten, we are people in need of help ; et dautre part, leurs
espoirs et leurs comptences pour agir : We are young people seeking for a better life, we try
to find solutions for our life, we are a group of young people looking for the same rights as
others. Cette double dfinition, qui mane dune double image de soi, fait ainsi ressortir deux
dimensions essentielles de la dfinition quil convient de leur accorder. Les MNA sont dans
une position vulnrable et de ce fait, ont besoin dune protection spcifique et adapte leur
situation. Cependant, ils sont galement actifs et dots de comptences quil convient de
mobiliser dans la recherche de solutions.
Le regard social port sur les MNA, cest--dire la dfinition qui leur est extrieurement
accorde, est souvent discriminant. Ce regard transparat notamment au sein de la politique
dasile qui, comme nous lavons relev, leur confre un statut de requrants dasile avant de
les considrer comme des mineurs. Les MNA relvent galement la mfiance et la suspicion
quon leur attribue lors des contrles de police et qui leur assignent une image ngative :
Once I was playing basketball with some friends. There are swiss citizens, A policeman
came around looking for something and later he took me and I went with him . Un autre
MNA raconte : They controlled me alone and they let my friend go because he is white .
Aux yeux des MNA, cette image marque leur diffrence avec les autres jeunes, accentue par
les restrictions lies au permis N : With N status Im not allowed to have a cellular phone
with a contract like other swiss young people , I cant travel like others , I also would
things like other young people in Switzerland, but I cant . Les MNA ressentent ainsi les
ingalits que pose le permis N entre les jeunes suisses (ou les jeunes migrants possdant un
permis B ou C) et eux. Dans ces annes dcisives pour la construction de leur vie et de leur
identit, ils se sentent diffrents des autres jeunes et parviennent difficilement projeter une
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image deux-mmes dans lavenir. Lun deux dmontre en ces quelques mots cette difficult
denvisager lavenir : With N status I can just sit and wait .
Cette perspective dynamique de lidentit se retrouve dans la dfinition de Goffman (1975) o
il opre une distinction entre lidentit sociale virtuelle, dfinie comme lensemble des
attributs que lon prte une personne et lidentit sociale relle, correspondant la dfinition
de la personne elle-mme (p. 12). Ces deux dfinitions peuvent alors entrer en
contradiction, comme ici o la rponse sociale accorde aux MNA est rattache une
dfinition catgorielle qui conoit le statut de requrant avant celui de mineur et ne sattache
pas aux besoins rels et aux comptences de ceux-ci. Le MNA est ainsi tributaire dune
catgorisation sociale inadapte et dun stigmate qui influence son image et sa capacit dagir.
Le travail des ONG, qui leur accorde un droit lexpression et prend en considration leur
parole, vise alors contrebalancer cette contrainte sociale. Au sein de la sphre socio-
politique, les ONG qui soutiennent la cause des MNA reprsentent donc une ressource
importante qui contribue rquilibrer cette image.
3.4 Analyse des donnes : complexit de lexprience et capabilit
Les principaux lments de lexprience du MNA, lue travers le systme de lacteur ,
peuvent ds lors se prsenter ainsi :
- Motivation de dpart - Nouvelles motivations
- Formation scolaire et professionnelle - Loisirs
- Famille au pays - Amitis cres - Soutien social (assistants sociaux, ONG) - Personne de confiance
- Valeurs culturelles et croyances religieuses - Valeurs de la socit daccueil
- Dfinition personnelle (vulnrabilit et comptences) - Regard social (dfinition catgorielle)
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a) Dynamique relationnelle et tapes de lexprience
Comme le postule le modle, ces dimensions sont relies de manire systmique et prsentent
lexprience du MNA sous forme dune causalit rcursive. En partant de la dimension des
motivations, nous avons soulev quun motif de dpart se trouve gnralement la base du
projet migratoire et contribue linscrire dans son exprience de mineur non accompagn .
Daprs le caractre rcursif du modle, nous pouvons relever que cette motivation est elle-
mme labore travers limage de lenfant et les valeurs qui prvalent dans la socit
dorigine, ce qui se confirme par exemple dans le fait denvoyer son enfant en Europe selon la
croyance quil y aura une vie meilleure et pourra aider sa famille. Larrive du MNA en
Suisse gnre ds lors des activits comme lintgration un parcours scolaire, puis certains
loisirs. Approuvant le modle, lanalyse montre que ces activits sont alors pourvues dune
fonction relationnelle incontestable. Elles forment en effet deux espaces de socialisation
majeurs dans la construction du quotidien des MNA et deviennent galement deux ressources
essentielles dans la construction de son avenir. Ces relations permettent alors au jeune migrant
de dvelopper un systme de valeurs et daction fond, dune part, sur les valeurs culturelles
et religieuses de son pays qui lui apportent un repre, et dautre part, sur les codes de la
socit daccueil quil doit apprendre matriser. Ces valeurs, labores conjointement
partir des rfrences de la socit dorigine et des nouvelles connaissances issues du pays
daccueil, peuvent ensuite influencer limage de soi. Les valeurs qui soutiennent la migration
du MNA peuvent laider soutenir une image de soi positive et poursuivre son objectif. Or,
le regard social, cest--dire certaines valeurs dispenses par la socit daccueil lgard des
MNA, peut entrer en contradiction avec cette image de soi positive et marquer ainsi une
ingalit entre limage que les MNA ont deux-mmes, ds lors assombrie, et celle des autres
jeunes vivant en Suisse quils peroivent comme libres et acteurs de leur vie. Limage de soi
influence finalement en retour les motivations, ce qui dmontre la rcursivit du systme. En
effet, en arborant une image positive, le MNA se trouve dans une dynamique dagir positive
qui soutient et dveloppe ses motivations, et le stimule ainsi poursuivre ses activits et en
entreprendre de nouvelles (tel que le fait de commencer une formation). Au contraire, une
image de soi ngative semble entraver la motivation et le sens que le MNA donne son
exprience, ce qui limite sa capacit dagir.
La rcursivit du systme permet ainsi de reprer diffrentes tapes de lexprience du MNA.
Comme nous lavons soulev, un motif de dpart se trouve souvent la base de la migration
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et engage une exprience complexe. Cependant, cette motivation nest pas immuable mais
volue et se transforme au cours de lexprience du MNA. En effet, nous avons par exemple
relev que la motivation de dpart tait labore partir des valeurs et croyances de la socit
dorigine. Cela signifie ds lors que les nouvelles valeurs acquises par le MNA pendant son
sjour en Suisse viennent nouveau influencer ses motivations, tel que le dveloppement
dune ambition professionnelle peut faire natre la volont dentreprendre un apprentissage.
Nous pouvons comparer ce processus la notion de carrire de rue issue des recherches
sur les enfants en situation de rue, qui correspond communment au parcours de lenfant.
Dveloppe par Lucchini (1996), la carrire est une combinaison entre la trajectoire objective,
cest--dire les lieux, les activits et les individus frquents, et ltat desprit subjectif de
lenfant, soit le rapport quil entretient avec le monde de la rue. La notion de carrire avance
donc une ide de progression qui permet dobserver la trajectoire de lenfant de manire
dynamique et den relever les diffrentes tapes. Elle contribue en dfinitive prciser sa
motivation, qui est en volution, et aide les intervenants comprendre ltape dans laquelle
lenfant se situe. Si lon transpose cette ide notre tude, nous avons pu voir quil existe
souvent une motivation de dpart, mais que cette motivation volue au cours de lexprience
du MNA et quainsi dautres tapes succdent la phase darrive. Il est donc intressant
dtablir un lien avec la notion de carrire qui permet dobserver la trajectoire du jeune
migrant de manire dynamique et individualise selon le rythme que suit son parcours dans la
socit daccueil. La rcursivit inhrente au systme de lacteur permet ainsi de
comprendre comment le MNA dfinit son exprience, mais galement redfinit la
situation au fil de son volution.
Paralllement lanalyse gnrale que nous avons pu raliser daprs les donnes issues de la
participation au projet Speak out !, les trois entretiens que nous avons mens nous permettent
dapprocher une analyse plus individualise. Nous pouvons ds lors observer des diffrences
entre nos trois interviews quant limportance des dimensions et de ltape de vie dans
laquelle ils se situent. Premirement, Sadou centre son discours autour de la dimension des
activits dans lequel il inclut la formation professionnelle qui soutient sa motivation et
laquelle il vient davoir accs. Mahdi, qui entrevoit de continuer sa scolarit en commenant
une cole de commerce, donne galement beaucoup dimportance cette dimension mais
insiste particulirement sur les liens relationnels qui en dcoulent. Il a ainsi tabli des relations
de confiance avec ses amis dcole et ses professeurs qui forment un soutien important. Rama,
qui vit Ble depuis environ dix mois, semble se trouver au sein dune tape prcdente
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de sa trajectoire. Elle est scolarise, a appris lallemand mais na encore pas pu construire de
projet en Suisse car selon elle, a dpend du papier . Centre sur linterrogation qui
persiste face sa demande dasile, elle voque ainsi lide dun apprentissage ou dun travail
pour aider sa famille si la Suisse laccepte. Dans son cas, on observe que sa trajectoire
objective et son tat desprit subjectif prsentent donc tous deux un frein la construction de
son avenir. Contrairement aux deux garons, la dimension des activits a encore peu de
sens pour elle. Avouant de plus avoir beaucoup de peine faire confiance aux personnes
quelle ctoie en Suisse, elle entretient trs peu de relations dans la socit daccueil. Rama
rattache ainsi fortement son exprience la dimension des valeurs et, plus prcisment,
aux valeurs de son pays dorigine qui lui ont t transmises par sa famille de laquelle elle na
aucune nouvelle depuis son arrive. Face ce manque de perspectives, ces valeurs lui
fournissent un repre et laident rester sur le bon chemin . Ces trois exemples, bien que
sommaires, rvlent la diversit des trajectoires et des tapes auxquelles se situent les MNA et
ainsi, les diffrences quils accordent aux dimensions de leur exprience. De plus, ils font
apparatre le fait essentiel que selon ltape dans laquelle les MNA se situent, ils peuvent
trouver des ressources spcifiques ou, au contraire, tre face des contraintes particulires qui
encouragent ou limitent leur capacit dagir. Dans la recherche de solutions durables, il serait
donc intressant de mobiliser la notion de carrire qui permettrait de lire la trajectoire du
MNA de manire dynamique et individualise et de cerner les diffrentes tapes de son
exprience.
b) Capabilit : entre ouverture de lenvironnement et rflexivit
En dfinitive, lagir du MNA peut tre lu dans les contours de lagir faible qui tablit un pont
entre la vulnrabilit et la capacit dagir. Lanalyse relve en effet que le jeune migrant est
dune part soumis certaines contraintes mais est galement dot de comptences. Cette tude
nous permet dsormais de revenir au concept de capabilit et de prciser les deux conditions
qui la soutiennent, savoir les comptences personnelles et les ressources de
lenvironnement. Ces deux conditions de lacquisition de la capabilit peuvent tout dabord
tre spcifies ainsi : la capabilit est acquise lorsque dune part lacteur identifie la palette
dactivits possibles dans sa situation prsente, que dautre part des conditions externes
(projet dintervention, socit) pour raliser les activits contribuant son intgration sociale
lui sont effectivement accessibles (Zermatten & Stoecklin, 2009, p. 107). Dans le cas du
MNA, la premire condition correspondrait donc la dtermination des stratgies daction
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possibles dans sa situation en Suisse, cest--dire llaboration dun projet de vie, et la
seconde reposerait sur un degr douverture de lenvironnement suffisant pour soutenir la
mise en uvre de ce projet. On retrouve ainsi la notion de carrire qui avance que louverture
ou la