Les mesures destinées à réduire l’usage du français en périphérie bruxelloise

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Les mesures destinées à réduire l’usage du français et toute expression en français de la vie politique, culturelle, éducative ou sportive en périphérie bruxelloise Introduction Le présent « Focus » a pour objet de faire le point juridique et politique sur la situation vécue par les Francophones dans les communes à régime linguistique spécial et sans régime linguistique spécial de la périphérie bruxelloise, où vivent pas moins de 150.000 Francophones dont les droits sont toujours davantage remis en cause voire bafoués au fil des ans par les autorités flamandes. La population francophone en périphérie se concentre essentiellement dans l’arrondissement administratif de Hal- Vilvorde, composé de 35 communes, dont six à régime linguistique spécial (Crainhem, Drogenbos, Linkebeek, Rhode- Saint-Genèse, Wemmel et Wezembeek-Oppem), et d’autres communes unilingues flamandes où vit une minorité significative de Francophones (Beersel, Dilbeek, Hoeilaert, Leeuw-Saint-Pierre, Overijse, Vilvorde, Zaventem…). Les problèmes rencontrés par les Francophones de la périphérie trouvent leur source dans la fixation arbitraire de la frontière linguistique par la loi du 8 novembre 1962. Ceci dit, la situation s’est aggravée depuis le plan du gouvernement flamand de 1996 de Monsieur Luc Vandenbrande, qui avait pour objectif de mettre à mal tout ce qui touchait de près ou de loin à la vie publique en français en périphérie. Depuis lors, aucun gouvernement flamand n’a remis en cause formellement cette politique. Un nouveau plan pour la périphérie 2004/2009 a marqué de manière très claire une détermination à afficher le caractère flamand de la périphérie, sans reconnaissance du fait francophone. Les lignes qui suivent recenseront une série de décisions et de faits qui révèlent la démarche des autorités flamandes, qui tendent progressivement à restreindre la portée effective des

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Les mesures destinées à réduire l’usage du français et toute expression en français de la vie politique, culturelle, éducative ou sportive en périphérie bruxelloise

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Les mesures destinées à réduire l’usage du français et toute expression en français de la vie politique,

culturelle, éducative ou sportive en périphérie bruxelloise

Introduction

Le présent « Focus » a pour objet de faire le point juridique et politique sur la situation vécue par les Francophones dans les communes à régime linguistique spécial et sans régime linguistique spécial de la périphérie bruxelloise, où vivent pas moins de 150.000 Francophones dont les droits sont toujours davantage remis en cause voire bafoués au fil des ans par les autorités flamandes.

La population francophone en périphérie se concentre essentiellement dans l’arrondissement administratif de Hal-Vilvorde, composé de 35 communes, dont six à régime linguistique spécial (Crainhem, Drogenbos, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse, Wemmel et Wezembeek-Oppem), et d’autres communes unilingues flamandes où vit une minorité significative de Francophones (Beersel, Dilbeek, Hoeilaert, Leeuw-Saint-Pierre, Overijse, Vilvorde, Zaventem…).

Les problèmes rencontrés par les Francophones de la périphérie trouvent leur source dans la fixation arbitraire de la frontière linguistique par la loi du 8 novembre 1962. Ceci dit, la situation s’est aggravée depuis le plan du gouvernement flamand de 1996 de Monsieur Luc Vandenbrande, qui avait pour objectif de mettre à mal tout ce qui touchait de près ou de loin à la vie publique en français en périphérie. Depuis lors, aucun gouvernement flamand n’a remis en cause formellement cette politique. Un nouveau plan pour la périphérie 2004/2009 a marqué de manière très claire une détermination à afficher le caractère flamand de la périphérie, sans reconnaissance du fait francophone.

Les lignes qui suivent recenseront une série de décisions et de faits qui révèlent la démarche des autorités flamandes, qui tendent progressivement à restreindre la portée effective des législations fédérales protectrices de la minorité francophone, voire des instruments de droit international garants des droits des minorités. Par avancées successives, le gouvernement et le législateur flamands portent atteinte à l’usage du français dans cette partie du pays, au nom du principe de la territorialité et de l’homogénéité linguistique.

Il est important, en effet, de souligner combien ces initiatives doivent être comprises comme s'intégrant dans une démarche plus vaste visant progressivement à éradiquer toute présence de vie culturelle, éducative, associative ou politique en Flandre, et essentiellement dans les communes de la grande périphérie bruxelloise.

Force est par ailleurs de constater que la Flandre n'infléchit pas sa politique, malgré le rappel à l’ordre ces dernières années par le Conseil de l’Europe et plusieurs instances de l’Organisation des Nations Unies.

A l’heure où la Belgique traverse la crise institutionnelle la plus grave de son histoire, il nous appartient de mettre en lumière qu’une minorité linguistique et culturelle, dans un des pays fondateurs de l’Union européenne, vit des moments difficiles et qu’une réforme de l’Etat sans doute nécessaire à bien des aspects pourrait faire perdre les quelques garanties dont dispose – ou est censée disposer – cette minorité francophone. Nous songeons notamment à l’unité de l’arrondissement électoral et judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde.

1. La non-nomination des trois bourgmestres de trois communes à régime linguistique spécial (Crainhem, Linkebeek et Wezembeek-Oppem) par le gouvernement flamand

1.1. Chronologie des faits

Lors des élections communales du 8 octobre 2006, Damien Thiéry, à Linkebeek, Arnold d’Oreye de Lantremange, à Crainhem, et François van Hoobrouck d’Aspre, à Wezembeek-Oppem, ont été plébiscités par leurs concitoyens pour exercer la fonction de bourgmestre durant la mandature communale 2006-2012.

Ainsi à Crainhem, la liste LB-Union a obtenu 18 sièges sur 23 et 76,4% des suffrages exprimés (5.385 votes sur 7.307 votants) ; Arnold d’Oreye de Lantremange (FDF) obtient 1.723 voix de préférence. Il est plébiscité par 1 électeur sur 4. A Linkebeek, la liste Ensemble-LKB-Samen décroche 10 sièges sur 15 et 59,84% des suffrages exprimés, soit 1.788 votes sur 2.988 ; Damien Thiéry (FDF), tête de liste, obtient à titre personnel 1.068 voix de préférence. A Wezembeek-Oppem, la liste LB-Union obtient 18 sièges sur 23 et 75,97% des suffrages (5.855 votes sur 7.707 votants) ; François van Hoobrouck d’Aspre (MR), tête de liste, obtient 3.196 voix de préférence. Il est donc soutenu par 1 électeur wezembeekois sur 2.

Le 14 novembre 2007, après une attente dépassant un délai raisonnable et en tout état de cause injustifiable (plus d’un an après les élections et après la remise de leur acte de présentation, fin octobre 2006), le ministre flamand des Affaires intérieures, Marino Keulen (Open VLD), décide, par arrêté ministériel, de ne pas nommer ces trois bourgmestres faisant fonction, pourtant démocratiquement élus, et ce, pour des motifs juridiquement contestables, voire arbitraires. Il reproche essentiellement à ces bourgmestres d'avoir envoyé, conformément à la législation fédérale, les convocations électorales dans la langue des administrés et non en néerlandais, comme le préconise une circulaire du gouvernement flamand.

Entre autres motivations sous-tendant sa décision, le ministre met en cause une prétendue incapacité morale des candidats bourgmestres à exercer leur mandat.

Ce refus de nomination apparaît d'autant plus disproportionné que le même ministre a refusé d'adopter la moindre sanction à l'encontre des bourgmestres flamands qui ont ouvertement boycotté l'organisation des élections fédérales de 2007 et de 2010, au motif que ces scrutins étaient organisés sans que ne soit scindée, comme ils le revendiquent, la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde (qui garantit certains droits fondamentaux pour les Francophones de la périphérie bruxelloise).

Dans l'arrêté de non-nomination, le ministre Keulen enjoint aux conseillers communaux de ces trois communes, conformément au décret communal flamand, d'établir un nouvel acte de présentation du bourgmestre.

Le 20 décembre 2007, le président de la Chambre des pouvoirs locaux du Conseil de l’Europe, Monsieur Ian Micallef, adresse une lettre au ministre Keulen par laquelle il s’inquiète de ce refus de nomination. Dans son courrier, M. Micallef estime notamment que ce refus est en contradiction avec l’article 8.3 de la Charte européenne de l’autonomie locale – norme internationale directement applicable en droit belge – qui stipule que « le contrôle administratif des collectivités locales doit être exercé dans le respect d’une proportionnalité entre l’ampleur de l’intervention de l’autorité de contrôle et l’importance des intérêts qu’elle entend préserver ».

Le 6 février 2008, le ministre Keulen transmet un rapport au Conseil de l’Europe, qui reprend son argumentaire juridique contestable déjà évoqué dans l’arrêté. Il y fait également part de son étonnement du fait que les candidats bourgmestres concernés n’ont pas introduit, dans les délais impartis, un recours au Conseil d’Etat contre leur arrêté de non-nomination. Selon le ministre, le délai légal pour introduire un recours expirait le 15 janvier, soit 60 jours après la notification de l’arrêté de non-nomination.Or, ici également, le ministre rend un argumentaire fallacieux :

- d’une part, l’introduction éventuelle d’un recours n’est pas relevante dans cette affaire car il s’agit simplement d’une question de respect de démocratie locale. Il s'ensuit qu'en aucune manière, une voie de recours ne peut interférer. Le ministre ne peut donc, comme il le fait, utiliser une absence de recours contre sa décision comme un élément à charge des candidats bourgmestres ;- d’autre part, si, par hypothèse, un tel recours était possible, les lois coordonnées du Conseil d’Etat, modifiées récemment, indiquent très clairement que le délai légal de 60 jours ne commence à courir que 4 mois après la notification de la décision (article 19 alinéa 2 in fine des lois précitées).

Le 11 avril 2008, les trois candidats bourgmestres confirment leur représentation en vue d’une nomination par le ministre flamand des

Affaires Intérieures. Ce nouvel acte de présentation est soutenu par la majorité des conseillers communaux de leur commune respective.

La même année, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe s'inquiète du sort des trois bourgmestres non nommés et charge l'un de ses membres, Monsieur Michel Guégan, de faire rapport sur la question. Le 28 mai 2008, ce dernier rend un premier rapport dans lequel il énonce cinq manquements à la Charte européenne de l’autonomie locale, à savoir :

- l’absence de nomination par les autorités flamandes de trois bourgmestres élus dans un délai raisonnable crée un trouble de gestion des affaires publiques. L’esprit et la lettre de la Charte sont affectés dès lors que le délai raisonnable dans lequel les administrés étaient en droit d’attendre une solution a été largement dépassé, ce qui porte atteinte à la bonne gestion des affaires publiques de ces communes ;- les lois linguistiques, telles qu’interprétées et appliquées par les autorités flamandes dans les communes à facilités, entravent la participation des citoyens belges francophones à la vie politique locale, ce qui constitue une violation du Préambule de la Charte européenne de l’autonomie locale ;- le refus de nommer trois bourgmestres par le ministre flamand des Affaires intérieures à titre de sanction, alors qu’aucune procédure disciplinaire n’a été préalablement diligentée, est disproportionné ce qui est contraire à l’article 8 de ladite Charte ;- la tutelle exercée par les autorités flamandes sur les collectivités locales constitue une entrave potentielle à l’application de l’article 3/2 de la Charte, article à l’égard duquel la Belgique a posé une réserve ;- la recommandation adoptée par le Congrès invite notamment les autorités belges à préférer le système de l’élection des bourgmestres par le conseil communal ou par les citoyens au système de nomination par l’exécutif, car la tutelle exercée par les autorités flamandes sur les collectivités locales, notamment par le biais d’une nomination gouvernementale de maires préalablement élus, contredit l’esprit général de la Charte et, notamment, outre le Préambule, les articles 4 et 8 de ce texte.

Le 31 octobre 2008, le Congrès des pouvoirs locaux du Conseil de l’Europe adopte une recommandation dans laquelle, notamment, il « encourage le ministre flamand de l’Intérieur à nommer sans délai les trois bourgmestres dont les listes ont été élues, afin de mettre un terme au trouble causé dans la gestion des affaires publiques » (Recommandation du 31 octobre 2008 consacrée à la démocratie locale en Belgique : la non-nomination de trois bourgmestres par les autorités flamandes).

Le 24 novembre 2008, le ministre Keulen adopte pour la deuxième fois un arrêté de non-nomination des trois bourgmestres. Il procède de manière unilatérale, ce qui a par ailleurs pour effet de court-circuiter le dialogue institutionnel en cours.

Le 31 mars 2009, les trois bourgmestres déposent un nouvel acte de présentation en vue de leur nomination.

Le 30 mars 2010, 1 an jour pour jour après l’envoi de leur acte de présentation, le nouveau ministre flamand des Affaires intérieures, Geert Bourgeois (N-VA), adopte pour la troisième fois un arrêté de non-nomination à l’égard des trois bourgmestres.

En dépit du fait que les rapporteurs du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux aient estimé qu’il était indispensable que les candidats bourgmestres forment un recours devant le Conseil d’Etat pour obtenir une réponse juridique au litige qui les oppose au ministre flamand de l’Intérieur, les trois bourgmestres non nommés ont estimé que ce recours obligatoirement formé devant les chambres flamandes du Conseil d’Etat (càd composées exclusivement de magistrats néerlandophones) n’offrait pas toutes les garanties d’impartialité, au regard de la Convention européenne des droits de l’homme (article 6.1).

Ce point de vue est fondé sur la jurisprudence restrictive de ces chambres flamandes en matière de droits linguistiques des Francophones des communes à facilités, qui date des années ‘70 et qui n’a jamais cessé de paraître partisane. Il était en effet fort à craindre que ce recours aurait été déclaré irrecevable, et politiquement le rejet du recours sur cette base aurait été interprété, comme par le passé, comme une validation par la haute juridiction administrative des mesures quant au fond.

1.2. Appréciation juridique

Ces refus de nominations appellent les remarques suivantes :

1 - La Commission permanente de contrôle linguistique (CPCL), organe spécifique institué uniquement et exclusivement pour vérifier la bonne application des lois linguistiques et composé paritairement de membres francophones et néerlandophones, considère clairement que lorsque les habitants de communes à facilités linguistiques, comme le sont ceux des trois communes précitées, ont marqué leur préférence linguistique lors d'un premier rapport avec le service administratif communal, "ils ne doivent pas renouveler chaque fois leur demande d'obtenir les facilités prévues par la loi ". Même si les avis de la CPCL n'ont pas de caractère contraignant, il est reconnu que ces derniers "ont une grande autorité morale et font preuve d'une grande valeur objective, de sorte qu'il est plus difficile de s'en écarter".

Il s'ensuit que dans ces communes à statut linguistique spécial, dès que le service local a connaissance de l'appartenance linguistique des particuliers, il a, selon la jurisprudence de la CPCL, l'obligation d'utiliser la langue de ces derniers. Cette obligation s’applique aux convocations électorales. En adressant ces dernières en français aux

habitants francophones de leur commune pour les élections de 2006, les bourgmestres n’ont donc pas violé la loi contrairement à ce qu’affirme l’autorité flamande.

2 - Il est inexact d'affirmer que le Conseil d'Etat, dans ses arrêts du 23 décembre 2004, aurait explicitement confirmé que l'envoi de convocations électorales devrait être fait en néerlandais dans les trois communes précitées. En effet, dans ces contentieux, le Conseil d'Etat s'est uniquement prononcé sur la recevabilité de recours introduits contre des circulaires d'interprétation des lois linguistiques de 1997, mais ne s'est nullement prononcé sur la question de l'envoi des convocations électorales.

Le fond de ce contentieux n’a été abordé par le Conseil d’Etat que dans son arrêt du 19 juin 2008, soit plus de 2 ans après les faits reprochés aux trois bourgmestres non nommés. Outre le fait que cette jurisprudence a été sévèrement critiquée dans la revue juridique belge de référence en droit administratif, il faut relever, d’une part, qu’elle n’a pas été prononcée dans le cadre de l’envoi des convocations électorales en français reproché aux trois bourgmestres et, d’autre part, qu’elle est postérieure de plus de 2 ans à cet envoi.

Elle ne peut donc pas, rétroactivement, servir de fondement pour refuser leur nomination.

3 - Quant à une prétendue violation des lois linguistiques au cours des réunions organisées par l'administration communale, c’est-à-dire lors de conseils communaux, alléguée par le gouvernement flamand pour refuser leur nomination, il importe de préciser avec insistance que lors desdits conseils, les membres des Collèges des bourgmestre et échevins n'ont pas prononcé le moindre mot en français.

Certains conseillers communaux se sont, quant à eux, exprimés en français ; ils l'ont fait en parfaite adéquation avec les lois linguistiques. La Cour constitutionnelle belge, dans un arrêt du 10 mars 1998, a en effet dit pour droit que l'obligation d'utiliser exclusivement le néerlandais au cours des séances du conseil communal des communes flamandes, en ce compris les trois communes litigieuses, s'applique "exclusivement au bourgmestre et aux autres membres du Collège des bourgmestre et échevins, et ne s'applique donc pas aux autres membres du conseil communal ».

Il s'ensuit qu'aucune violation des lois linguistiques ne peut être alléguée lorsque les conseillers communaux s'expriment en français lors d'une séance du conseil communal dans ces trois communes, et que les bourgmestres les laissent ainsi s’exprimer.

4 - Les prétendus griefs avancés en l'espèce pour justifier les refus de nomination sont non relevants puisque l'envoi des convocations électorales en français n'a nullement empêché la tenue des élections,

pas plus que les conseils communaux litigieux n'ont empêché d'aboutir à l'adoption de décisions légales et valablement adoptées par les autorités communales.

En revanche, plusieurs bourgmestres de communes flamandes ont, lors des différents scrutins qui ont eu lieu en Belgique depuis quelques années, publiquement affirmé refuser d’organiser les élections si l'arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde n'était pas préalablement scindé. Certains bourgmestres ont joint le geste à la parole en refusant de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour organiser ces élections.

Il faut savoir à ce propos que la loi électorale belge impose aux bourgmestres l'obligation d'organiser eux-mêmes les élections. En appelant eux-mêmes au boycott des élections, en prétendant qu'ils ne les organiseraient pas et, dans certains cas, en ne les organisant effectivement pas (ce qui a contraint l'autorité de tutelle flamande à faire organiser les élections par le gouverneur de province), ces bourgmestres ont notoirement et ostensiblement méconnu la loi en mettant en péril le droit fondamental des citoyens que constitue le droit de vote.

Malgré l'extrême gravité du refus d'organiser les élections, aucun de ces bourgmestres n'a été inquiété par l'autorité flamande, nonobstant la violation de la loi, et tous ces bourgmestres ont été nommés par le gouvernement flamand.

En comparaison avec les faits reprochés aux trois bourgmestres des communes de Wezembeek-Oppem, Crainhem et Linkebeek, il existe donc une politique du « deux poids, deux mesures » dans le chef de l'autorité flamande. En effet, elle refuse, pour des motifs futiles, de nommer des bourgmestres qui bénéficient d'une majorité absolue des suffrages aux élections communales, alors que des bourgmestres qui, ostensiblement en se répandant dans la presse et de façon répétée, menacent de ne pas organiser les élections - et, pour certains d'entre eux, n'organisent concrètement pas ces élections -, sont nommés par l'autorité flamande sans la moindre inquiétude.

1.3. Réaction des autorités supranationales

Cette situation a contraint le Conseil de l’Europe, garant du respect de la Charte de l’autonomie locale, à envoyer des inspecteurs en Belgique.

Par sa résolution n° 258 du 2 décembre 2008, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe recommande que les trois bourgmestres soient nommés « sans délais » (sic) par l’autorité flamande, et encourage l’adoption du système de l’élection des bourgmestres directement par le conseil communal ou par les citoyens.

Vu la gravité de la situation, la résolution n° 276 invite la Commission institutionnelle à entreprendre un monitoring général de la Belgique sur les questions de démocratie locale.

2. Les mesures en matière de logement et d’accès à la propriété

2.1. Le décret “Wonen in eigen streek”

Le 27 mars 2009, le législateur flamand adoptait un décret1 relatif à la politique foncière et immobilière, qui prévoit en son article 5.2.1. que les terrains et constructions érigées sur ces derniers ne peuvent être transférés qu’à des personnes « qui disposent, selon l’avis d’une commission d’évaluation provinciale, d’un lien suffisant avec la commune ».

Selon le décret, une personne a un lien suffisant avec la commune si elle satisfait à une ou plusieurs conditions suivantes :

- avoir été domiciliée dans la commune ou dans une commune avoisinante pendant au moins six ans de manière ininterrompue ;

- à la date du transfert, réaliser des activités dans la commune pour autant que ces activités occupent en moyenne au moins la moitié d’une semaine de travail ;

- avoir construit avec la commune un lien professionnel, familial, social ou économique en raison de circonstances importantes et de longue durée.

Ce décret vise 69 communes de la Région flamande, situées à la côte, au nord d’Anvers et dans l’ensemble de la périphérie bruxelloise. Il s'inscrit dans le cadre des mesures visant à interdire l’accès à la propriété aux francophones et aux Européens dans la périphérie bruxelloise et, plus généralement, dans le cadre de la politique de « flamandisation » de la périphérie bruxelloise.

Pour cette raison, ce texte a fait l’objet d’un recours devant la Cour constitutionnelle fédérale belge, ainsi que d’une plainte devant la Commission européenne aux motifs que ces dispositions :

violent les articles 10 et 11 de la Constitution, qui prescrivent les principes de l'égalité et de la non discrimination, en ce qu'elles restreignent de manière disproportionnée l'accès à la propriété ;

méconnaissent l’article 2 du quatrième Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme garantissant la liberté de circuler librement sur le territoire de l’Etat et la liberté de choisir librement sa résidence ;

sont contraires aux articles 18, 39, et 43 du Traité instituant la Communauté européenne et garantissant la libre circulation.

1 Les décrets sont les normes législatives adoptées par les Régions ou les Communautés. Ils sont équipollents aux lois adoptées par le législateur fédéral.

La Cour constitutionnelle, sans préjuger du fond, a dans un arrêt 49/2011 du 6 avril 2010 a décidé, avant de statuer quant au fond, de poser à la Cour de Justice de l’Union européenne une question préjudicielle quant à l’incidence que pourrait avoir le décret attaqué sur la libre circulation des personnes garantie au niveau européen

Une plainte a également été introduite le 8 mars 2010 auprès de la Commission européenne pour infraction au droit communautaire par Christian Van Eyken, député francophone au Parlement flamand, et par Eric Libert, député fédéral.

2.2. Le décret «   Wooncode   » et les règlements communaux visant à restreindre l’accès au logement social dans les communes de la périphérie bruxelloise

2.2.1. Le décret «   Wooncode   » (ou Code flamand du logement)

Les dispositions du « Wooncode » (décret de la Région flamande du 15 décembre 2006 portant modification du décret du 15 juillet 1997 contenant le Code flamand du logement) imposent aux locataires et aux candidats locataires de logements sociaux en Flandre de démontrer leur disponibilité à l’apprentissage du néerlandais.

En décembre 2005, la Commission européenne, sans pour autant introduire de procédure d’infraction à l’encontre du Code flamand du logement, avait émis un avis selon lequel cette législation était contraire aux principes de droit européen que sont la libre circulation et l’égalité de traitement.

Lors de sa session de février-mars 2008, le Comité pour l’élimination des discriminations raciales des Nations-Unies s’est également prononcé (dans un rapport daté du 5 mars 2008) sur ce décret au regard de la Convention internationale relative à l’élimination de toutes formes de discrimination raciale. Il a invité les autorités flamandes à « veiller à ce que les exigences linguistiques (du décret) ne conduisent pas à une discrimination directe ou indirecte exercée en raison de l’origine nationale ou ethnique ». Dans ce rapport, le Comité mettait en évidence le fait que la commune de Zaventem avait adopté un règlement communal restreignant l’accès au logement social à des personnes s’exprimant en néerlandais ou s’engageant à apprendre cette langue.

Interrogée à son tour, la Cour constitutionnelle n'avait à se prononcer que sur la conformité du texte aux seuls principes constitutionnels belges. Elle n'a pas invalidé le texte dans son principe. Cependant, elle a mis en exergue le fait qu'il violait les garanties constitutionnelles au bénéfice des francophones des six communes à « facilités » linguistiques de la périphérie. Partant, elle a déclaré le texte inapplicable dans ces six communes (arrêt n°101/2008 du 10 juillet 2008).

En vertu du Code flamand du logement, le candidat locataire d’une habitation sociale doit respecter l’obligation d’apprendre le néerlandais2. Cette obligation a certes été validée par la Cour constitutionnelle3 parce qu’il s’agit d’une réglementation qui s’inscrit dans la politique régionale du logement qui est étrangère à la réglementation de l’emploi des langues4, et parce que la Cour estime que cette obligation est une obligation de moyen et non de résultat5.

Cette jurisprudence est toutefois critiquée par la doctrine, dans la mesure où en réalité l’obligation d’apprendre le néerlandais vise bel et bien une obligation de résultat. En effet, le Code flamand du logement ne se contente pas d’exiger un effort de la part du locataire social, mais bien un niveau déterminé de connaissance du néerlandais à atteindre, précisé en détail par l’arrêté d’exécution du gouvernement flamand du 12 octobre 2007. Faute de pouvoir satisfaire à ces exigences strictes d’épreuves linguistiques, 169 familles n’ont donc pas eu accès à un logement social6.

2.2.2. Les règlements communaux visant à restreindre l’accès à la propriété et au logement

Le 30 mai 2006, le conseil communal de Zaventem adoptait un règlement concernant la vente de terrains appartenant à la commune en vue de l’attribution de logements sociaux.

L’article 5, 13 ° de ce règlement stipule que :« (…) de kandidaat-koper dient op het kandidaatstellingsformulier te verklaren dat hij het Nederlands machtig is of, indien hij dat niet is, dat hij bereid is het Nederlands aan te leren (…). Op het ogenblik dat de kandidaat volgens onderhavig reglement de eerst gerangschikte wordt voor de aankop van een gemeentelijk eigendom zal de gemeente, in eerste plaats door toedoen van de behandelende ambtenaren, nagaan of de kandidaat die zulks heeft verklaard, effectief de Nederlandse taal machtig is.(…)Dit kan het bewijs over te maken dat de betrokkenen zich heeft aangemeld bij het Huis van het Nederlands om desgevallend Nederlandse taallessen te volgen. Indien de betrokkenen weigeren zich aan de test te onderwerpen, of weigeren een taalcursus te volgen, wordt het bouwparceel hen niet toegewezen of wordt de gebeurlijk ondertussen voltrokken verkoop ontbonden zonder terugbetaling van kosten.”

2 Art. 92, §3, 6° et 7° : « Le locataire d'une habitation sociale de location respecte les obligations suivantes : (…) avoir la volonté d'apprendre le néerlandais. Lors de l'apprentissage du néerlandais, le but est d'atteindre un niveau correspondant à la valeur directive A.1. du Cadre européen commun de référence pour langues. Le Gouvernement flamand arrête les modalités pour constater cette volonté (…) ».3 Arrêt n° 101/2008 du 10 juillet 2008.4 B.15.5 B.18.2.6 N. BERNARD, « L’arrêt Wooncode de la Cour constitutionnelle du 10 juillet 2008 : quand l’arbre linguistique

cache la forêt », Journal des Tribunaux, 2008, p. 689, spéc. p. 693 n° 3.

En clair, le candidat acquéreur doit s’engager à suivre des cours de néerlandais auprès de la Maison du Néerlandais ; en cas de refus, la parcelle de terrain à bâtir communale ne pourra lui être octroyée.

Ce règlement communal est directement inspiré des dispositions du Code flamand du logement adopté le 15 décembre 2006 (« Wooncode ») qui impose au locataire d’une habitation sociale en Flandre de démontrer sa volonté d’apprendre le néerlandais.

Le 26 mai 2008, le conseil communal de Zaventem a mis en œuvre son règlement, en réservant 76 parcelles communales à lotir aux seuls candidats bâtisseurs en mesure de satisfaire à cette exigence.

Une semaine plus tôt, le 19 mai 2008, le conseil communal de Vilvorde décidait également d’octroyer 15 logements moyens aux seuls candidats démontrant leur connaissance du néerlandais. Aux termes de son règlement, la commune de Vilvorde ne vend les terrains dont elle est propriétaire qu'après avoir exécuté un « contrôle de qualité » à l’égard des acheteurs potentiels, qui comprend notamment des critères linguistiques. L’article 3 du règlement stipule en effet que : « De kandidaat-koper dient op het kandidaatstellingstellingsformulier te verklaren dat hij de Nederlandse taal voldoende machtig is of bereid is een taalcursus te volgen volgens de modaliteiten bepaald door het college van burgemeester en schepenen (…)». Et l’article 4 §2 du règlement de préciser que la personne qui se soustrait au test de connaissance linguistique ou qui refuse de prendre part à une formation linguistique sera rayée de la liste des candidats acquéreurs : « §2. Een kandidaat die de Nederlandse taal niet voldoende machtig blijkt te zijn of bij de kandidaatstelling heeft verklaard een Nederlandse taalcursus te volgen, doet het nodige om volgens de modaliteiten vastgelegd door het college van burgemeester en schepenen deel te nemen aan deze taalcursus. Indien betrokkene weigert zich aan de test te onderwerpen of weigert een taalcursus te volgen, wordt hij/zij niet toegelaten tot de lijst van de kandidaat-kopers (…).»

Christian Van Eyken, député francophone au Parlement flamand, a introduit en juillet 2008 une plainte auprès de la Commission européenne à l’encontre des communes de Vilvorde et de Zaventem suite à l’adoption de ces règlements litigieux, pour non respect du droit communautaire (plainte n° 2008/4731/SG (2008) A/5610/3). En avril 2010, il a reçu un courrier de la Commission l’informant que celle-ci n’avait pas été en mesure de respecter les délais indicatifs internes pour le traitement de ce dossier d’infraction, mais que cette plainte constituait toujours une priorité, aux fins d’une procédure de mise en demeure au regard de l’article 258 du Traité de l’Union européenne.

Il est patent de remarquer que le Code du logement a donné le ton et a servi de modèle pour un ensemble de réglementations en matière de logement. Il a inspiré d'autres réglementations qui, pour certaines,

poussent plus avant encore les exigences linguistiques. En effet, si le Code du logement impose au candidat à un logement de faire preuve de sa « disponibilité » à l'apprentissage du néerlandais, les deux règlements communaux susvisés vont plus loin, imposant au candidat acheteur de rapporter la preuve de sa capacité effective de connaissance de la langue ou, à tout le moins, un engagement ferme à suivre des cours de néerlandais auprès de la Maison du néerlandais.

Les autorités locales flamandes se basent désormais sur ce Code pour justifier les mesures linguistiques qu’elles prennent au détriment des minorités francophones.

Ce règlement a valu à la commune de Zaventem d’être directement interpellée par la Commission européenne. Lors de la cession du Comité pour l'élimination des discriminations raciales des Nations Unies qui s'est tenue du 18 février au 7 mars 2008, la situation précise de cette commune n'a pas manqué d'être expressément épinglée au regard de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciales, conclue à New York le 21 décembre 1965 par les autorités parties à la Charte des Nations Unies et ratifiée par la Belgique.

D’autres communes flamandes de la périphérie bruxelloises ont adopté des règlements identiques (Vilvorde, Zemst) et d’autres mesures discriminatoires ont également vu le jour dans ces communes, comme la création d’un service communal recueillant les plaintes à l’égard des « atteintes » portées par des citoyens au caractère flamand de la localité et appelant ainsi les citoyens à la délation (Overijse). Le règlement interdit notamment l’emploi par les maraîchers de dénominations ou slogans dans une autre langue que le néerlandais (Merchtem). Il conditionne le bénéfice de l’aide sociale financière à la démonstration dans l’année d’une connaissance élémentaire du néerlandais (Grammont - Geraardsbergen)…

Sur le plan juridique, les griefs formulés à l’encontre de ces règlements restreignant l’accès au logement peuvent être résumés comme suit.

a) Au regard du droit interne

1. Violation de l’article 23 de la Constitution L’article 23 de la Constitution relatif aux droits économiques et sociaux consacre notamment le droit à un logement décent. Dans son avis relatif à l’avant-projet de décret concernant la réforme du Code flamand du logement, la section de législation du Conseil d’Etat avait considéré que si l’obligation d’apprendre le néerlandais s’analysait en une obligation de résultat et non de moyen, l’article 23 de la Constitution était violé. En l’espèce, les deux règlements communaux de Vilvorde et Zaventem (voir supra) établissent une réelle obligation de résultat à l’égard des candidats acheteurs dans la mesure où ils organisent des contrôles de cette connaissance et posent en principe que le refus de se soumettre à un test ou de

suivre les cours de langue aboutit au retrait de la vente sans remboursement des frais.

2. Violation de l’article 12 de la ConstitutionL’article 12, alinéa 1er, de la Constitution dispose que la liberté individuelle est garantie. La doctrine et la jurisprudence considèrent à cet égard que cette disposition recouvre également la liberté de circulation et de résidence.A partir du moment où le règlement litigieux constitue une entrave à cette liberté, une violation de l’article 12 peut être soulevée.

3. Violation des articles 10 et 11 de la ConstitutionL’article 10 consacre le principe de l’égalité. Aux termes de la jurisprudence, tant du Conseil d’Etat que de la Cour constitutionnelle, cette disposition vise également les discriminations fondées sur la langue.Le critère linguistique retenu tant par la commune de Zaventem que de Vilvorde est donc contraire à cette disposition constitutionnelle.

b) Au regard des dispositions européennes en matière de droits de l’homme

L’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que la jouissance des droits et libertés qu’elle reconnaît doit être assurée sans distinction fondée notamment sur la langue : cette disposition (à l’instar de celles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques) présente un effet direct en droit interne belge.

En vertu du Protocole n°4 à la Convention, quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un État a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence.

Les règlements litigieux, en ce qu’ils interdisent l’accès à la propriété et au logement aux personnes qui ne maîtrisent pas le néerlandais ou ne sont pas prêtes à l’apprendre, apportent une restriction à la liberté de circulation et de résidence.

La commune de Zaventem, dans sa lettre à la Commission européenne dans le cadre de la procédure d’enquête qu’elle mène à l’encontre du règlement de 2006, a considéré à cet égard que, conformément au Protocole, cette restriction est prévue par la loi et est compatible avec les droits et libertés reconnus par la Convention. Cet argument ne vaut pas. En effet, cette restriction ne paraît pas se justifier dès lors qu’elle n’apparaît pas nécessaire au regard du Protocole « (…) pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publique, ou les droits et libertés d’autrui ».

c) Au regard du droit communautaire européen

Infraction aux articles 18, 39 et 43 du Traité européenLors de sa centième session, en octobre 2010, consacrée à l’examen des rapports soumis par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte international des droits civils et politiques, le Comité des droits de l’homme, dans son rapport du 26 octobre 2010, s’est dit préoccupé au regard du rapport remis par la Belgique « par le fait que l’accès à certains droits prévus par le Pacte puisse être entravé du fait de décisions prises par certaines autorités communales de Flandre, notamment en ce qui concerne l’achat de terrains communaux, l’accès à des services et au logement, la jouissance de certaines prestations sociales, ainsi que l’exercice du droit d’être élu, exigeant la connaissance ou l’apprentissage du néerlandais, et créant ainsi une discrimination à l’égard d’autres catégories de population (articles 2, 17, 25 et 26 du Pacte). L’Etat partie (ndlr : la Belgique) devrait veiller, conformément à l’article 50 du Pacte, à ce que les décisions prises par des autorités communales sur l’exigence linguistique n’ouvrent par la voie à des discriminations dans l’exercice des droits énoncés par le Pacte à l’égard d’autres catégories de population ».

3. La politique du Gouvernement flamand à l’égard de l’enseignement francophone dans les communes périphériques

3.1. L’inspection pédagogique exercée par la Communauté française dans les écoles francophones des communes périphériques dites «   à facilités   »

Dans les six communes périphériques dites « à facilités linguistiques » existent huit écoles francophones, gardiennes et primaires, regroupant plus de 2.500 élèves.

Leur organisation et leur subsidiation relèvent de la Communauté flamande, mais l’inspection pédagogique (contrôle des programmes qui sont ceux de la Communauté française étant donné que la langue d’enseignement dans ces écoles est le français) relève de la Communauté française.

Le 21 octobre 2009, le Parlement flamand a adopté un décret par lequel il transfère de manière unilatérale l’inspection pédagogique dans les écoles francophones des communes à facilités vers la Communauté flamande. Or, ce décret nie une loi spéciale fédérale du 21 juillet 1971 et différents protocoles d’accords de 1970, 1973, et 1977 conclus entre la Communauté française et la Communauté flamande.

En effet, en vertu de la loi spéciale du 21 juillet 1971, ce que les travaux préparatoires de celle-ci confirment également, l’inspection pédagogique dans les écoles francophones des communes à facilités est du ressort de la Communauté française et est exercée par cette dernière. Toute

modification à cette mesure nécessite l’accord des deux communautés linguistiques du pays.

Le décret flamand vise à rendre applicable aux écoles francophones des six communes à « facilités » les socles de compétences de l’enseignement de la Communauté flamande afin :

- de rendre possible le contrôle de l’inspection scolaire ;- d’appliquer, pour l’enseignement fondamental, un programme d’études approuvé par le Gouvernement flamand ;- de disposer d’un contrat ou plan de gestion avec un centre flamand d’encadrement des élèves.

Plus de 600 parents d’élèves, ainsi que les pouvoirs organisateurs communaux et libres ont introduit un recours devant la Cour constitutionnelle à l’encontre de ce décret. Après l’avoir d’abord suspendu, le 29 juillet dernier, la Cour constitutionnelle a annulé ce décret flamand le 28 octobre. Par conséquent,

- l’inspection dans lesdites écoles ne peut être effectuée que par des inspecteurs de la Communauté française, ce qui confirme la compétence de la Communauté française ;- si ces écoles demandent des dérogations à l’obligation de suivre les programmes flamands, afin de suivre en français les programmes d’études de la Communauté française, le gouvernement flamand a l’obligation de les accorder. Il s’agit d’une compétence liée, et non discrétionnaire ;- les écoles francophones sont libres de s’affilier à un centre psycho-médico-social francophone.

L’ancien ministre flamand de l’Enseignement, Frank Vandenbroucke (sp.a), qui avait été le maître d’œuvre de ce décret, a déclaré suite à cet arrêt que « le Parlement flamand a lancé ce décret notamment parce qu’il voulait tester le jugement des juristes de la Cour constitutionnelle, car le débat était extrêmement compliqué ».

Cet épisode illustre à nouveau la démarche du gouvernement et du législateur flamands visant à réduire les garanties accordées, par les différents accords institutionnels successifs, à la minorité francophone de la périphérie.

Il est également à mettre en parallèle avec d'autres mesures adoptées par les autorités flamandes en matière d'enseignement :

- l’annulation de nominations d’enseignants par la tutelle flamande ;- l’imposition par le gouvernement flamand, sur base d’une interprétation contestable des lois sur l’emploi des langues en matière administrative par les chambres flamandes du Conseil d’Etat, d'une nouvelle exigence de bilinguisme pour tous les professeurs, même ceux qui n’enseignent pas le néerlandais, alors qu’en vertu d’une loi fédérale du 30 juillet 1963, la langue d’enseignement dans ces écoles est le français ;

- l’imposition par le gouvernement flamand de l’exigence d’un niveau de connaissance 2+ pour les directions d’écoles francophones. Cette exigence restreint considérablement la possibilité de trouver des candidats directeurs et directrices ;- si le conseil d’écoles francophones peut tenir ses réunions en français, obligation lui est faite de rédiger ses rapports exclusivement en néerlandais.

3.2. L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 23 juillet 1968

Le 23 juillet 1968, déjà, un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait épinglé le non respect de la Convention européenne des droits de l’homme par une disposition de la législation linguistique belge en matière administrative. Dans l’affaire dite « du régime linguistique de l’enseignement en Belgique », la Cour avait jugé que l’article 7, §3, de la loi du 2 août 1963 sur l’emploi des langues en matière administrative « n’était pas conforme aux exigences de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme combiné avec la première phrase de l’article 2 du Protocole additionnel, en tant qu’il empêche certains enfants, sur le seul fondement de la résidence de leurs parents, d’accéder aux écoles de langue française existant dans les six communes de la périphérie bruxelloise dotées d’un statut propre7 (…) ».  Cette disposition législative interdisait à des enfants francophones dont les parents résident dans une commune unilingue flamande sans « facilités »8

de s’inscrire dans une école francophone d’une des six communes à « facilités », au seul titre que leur résidence n’est pas dans l’une de celles-ci. La Cour en a déduit une discrimination fondée notamment sur la langue.

Plus de quarante ans après cet arrêt, force est de constater que la situation prévalant dans ces six communes demeure inchangée quant à la possibilité pour les enfants dont les parents résident en-dehors de ces six communes d’accéder aux établissements d’enseignement maternel et primaire de langue française qui y sont établis. La disposition jugée contraire à la CEDH est toujours présente dans notre ordre juridique interne et continue à y être appliquée.

Il est manifeste que cet arrêt est resté lettre morte quant à son exécution à ce jour, ce qui est proprement injustifiable de la part d’un Etat moteur de la construction européenne comme l’est la Belgique. La faute en incombe essentiellement au gouvernement Eyskens de 1972 qui a prétendu, devant le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, que les réformes institutionnelles du 24 décembre 1970 avaient résolu ce problème. Dans

7 Par statut propre, la Cour vise le statut linguistique spécifique de ces communes, auquel on fait communément référence en parlant de « facilités » linguistiques.

8 A fortiori, la même interdiction s’impose aux enfants dont les parents habitent en Région bruxelloise, alors que certains d’entre eux, résidant dans une commune limitrophe, sont parfois voisins de ces écoles francophones de communes « périphériques ».

son mémorandum, le gouvernement mentionnait : « (…) C’est dans le cadre de cette adaptation fondamentale des institutions du pays que le parlement a résolu le problème soulevé par l’arrêt du 23 juillet 1968 de la Cour européenne des droits de l’homme. Par la volonté expresse du législateur, les six communes périphériques visées par cet arrêt font partie intégrante de la région linguistique néerlandaise. Dans ces conditions, eu égard au but d’intérêt général poursuivi, qui est de favoriser l’homogénéité culturelle des régions linguistiques, il est légitime que l’enseignement organisé en français dans ces communes soit réservé aux enfants francophones qui y résident avec leurs parents. La discrimination sur le seul fondement de la résidence, décelée par la Cour européenne, a ainsi disparu avec la modification de la Constitution et de la législation (ndlr : la loi du 23 décembre 1970) ».

Or, il n’en est rien. Aucune mesure n’a été prise pour mettre fin à la violation constatée par la Cour, d’autant que le mémorandum tend à justifier le système découlant de la disposition qui a précisément été considérée comme contraire à l’article 14 de la Convention et à l’article 2 du Protocole additionnel.

A cet égard, il appert que le fait d’avoir rattaché les six communes périphériques à la région linguistique néerlandaise par la loi du 23 décembre 1970 n’a nullement entraîné la disparition de la discrimination fondée sur la seule résidence, dès lors qu’il est constant encore aujourd’hui que c’est le seul fait pour le chef de famille de ne pas avoir sa résidence dans l’une des six communes périphériques qui empêche un enfant de fréquenter les établissements d’enseignement de langue française qui y sont situés.

Les rapports Columberg et Nabholz-Haidegger relatifs à la situation des francophones de la périphérie, présentés respectivement en 1998 et 2002 devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ont ainsi mis en évidence la non exécution de cet arrêt par les autorités belges.

Le 26 septembre 2002, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a rappelé que la condition de résidence pour pouvoir bénéficier de l’enseignement francophone, condition expressément condamnée par l’arrêt de 1968, était discriminatoire. Elle a ainsi appelé « le Royaume de Belgique à mettre en œuvre pleinement, sans plus tarder, l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme rendu le 23 juillet 1968, selon lequel, entre autres, les enfants de parents qui ne résident pas dans les six municipalités de la périphérie bruxelloise à facilités linguistiques doivent néanmoins être autorisés à aller dans les écoles francophones de ces municipalités »9.

4. Diverses restrictions à l’usage du français en périphérie

9 Résolution 1301, point 23, http://assembly.coe.int/Mainf.asp?link=/Documents/AdoptedText/ta02/FRES1301.htm

4.1. Les circulaires du gouvernement flamand

Le législateur de 1963 a reconnu un statut linguistique spécial à six communes en périphérie bruxelloises (communes qualifiées par la loi de « périphériques »), qui comptent une forte majorité francophone. Aux termes de cette législation, les habitants de ces communes peuvent faire le choix du français ou du néerlandais dans leurs rapports avec les autorités communales, provinciales (province du Brabant flamand), régionales (Région flamande), communautaires (Communauté flamande) ou fédérées, ainsi que pour l’obtention de documents administratifs.

Depuis sa création, en 1963, ce régime linguistique a été considéré comme permanent. Cette permanence implique une absence de limitation dans le temps. Elle implique également que les francophones des six communes « périphériques » bénéficient de ce statut linguistique spécial dès lors qu’ils ont, une fois pour toutes, fait option d’en profiter. Il ne leur revient donc pas de réitérer régulièrement ce choix de manière annuelle ou pour chaque acte administratif, par exemple.

Mieux encore : ces « facilités » linguistiques ont été « bétonnées » dans la Constitution. Depuis 1988, en effet, la Constitution prévoit que ce régime ne peut être modifié que par une loi fédérale votée à la majorité spéciale. Concrètement, la modification n’est entérinée que si elle est approuvée par les 2/3 des suffrages exprimés, ainsi que par la moitié du groupe linguistique français et la moitié du groupe linguistique néerlandais dans chaque chambre législative du Parlement fédéral. En d’autres termes, une telle modification doit être approuvée par une majorité de la minorité francophone.

Or, depuis 1997, des circulaires adoptées par le gouvernement flamand et applicables aux relations entre les administrés francophones et les administrations locales (circulaire Peeters), les centres publics d’action sociale (circulaire Martens), les administrations de la Région et de la Communauté flamandes (circulaire Vandenbrande) ont restreint ce régime des « facilités » en considérant que lesdits administrés devaient dorénavant recevoir directement tous leurs documents administratifs en néerlandais, à charge pour eux de les demander à chaque fois en français.

Le gouvernement flamand n’était pas compétent pour modifier cette législation fédérale, encore moins par voie de circulaires.

Par ailleurs, l’interprétation des lois linguistiques donnée par le gouvernement flamand est contraire à la jurisprudence administrative constante de la Commission permanente de contrôle linguistique, l’organe de la correcte application des lois linguistiques.

Contre toute attente, cependant, les chambres flamandes du Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative du pays, n’a pas entendu annuler les circulaires. En effet, dans des arrêts très contestables rendus le 23 décembre 2004, le Conseil d’Etat, recourant à un expédient, a rejeté

le recours pour une question de procédure (recevabilité). De la sorte, il pouvait faire l’économie d’un examen au fond, qui aurait dû l’amener à constater l’illégalité des circulaires, tout en permettant de laisser subsister ces dernières dans l’ordre juridique belge.

L’effet juridique de ces arrêts d’irrecevabilité est limité et relatif. Il n’en demeure pas moins que les circulaires continuent d’être appliquées au mépris de l’illégalité dont elles sont revêtues. En effet, le Tribunal de première instance de Bruxelles ayant statué en français dans plusieurs affaires opposant des contribuables francophones des communes à facilités aux administrations régionales flamandes (redevance radio-télévision, taxe flamande sur les eaux usées, perception du précompte immobilier...) a considéré que les circulaires du gouvernement flamand étaient illégales.

La 6ème chambre de la Cour d'appel de Mons, dans un arrêt récent du 21 janvier 2011 relatif à un contentieux opposant un contribuable francophone de Wezembeek-Oppem au service flamand du précompte immobilier, a d’ailleurs confirmé l’interprétation du régime des facilités linguistiques soutenue dans les jugements du Tribunal de première instance de Bruxelles en français. La Cour d’appel dispose ainsi que « le passage de l’article 25 alinéa 1 (ndlr : des lois sur l’emploi des langues en matière administrative) où il est question de ‘ la langue que l’intéressé utilise quand celle-ci est le néerlandais ou le français ‘ est parfaitement clair et ne présente pas la moindre difficulté d’interprétation » et « n’implique nullement l’introduction d’une quelconque demande ou l’expression d’un quelconque souhait ». La Cour d’appel précise d’ailleurs « qu’à plus forte raison, un tel critère ne suppose pas la réitération d’une demande ».

En ce qui concerne les circulaires ministérielles qui ont pour objet de préciser l’interprétation que donne le gouvernement flamand à l’article 25 des lois sur l’emploi des langues en matière administrative, la Cour d’appel de Mons estime que « ces circulaires constituent donc des commentaires législatifs (…) dépourvus de valeur réglementaire, et que, partant, elle (ndlr : la Cour) n’est pas liée par les circulaires ministérielles ». La Cour d’appel indique en outre à cet égard : « La Communauté flamande, sous le couvert d’une interprétation restrictive, ajoute au texte de la loi, en exigeant le respect de formalités que la loi ne prévoit pas, à savoir l’introduction d’une demande, la réitération de cette demande pour l’obtention de chaque document administratif et lorsqu’il a été satisfait aux deux conditions précitées, la traduction en langue française du document initialement rédigé en langue néerlandaise. (…). La Communauté flamande invoque vainement l’homogénéité des régions linguistiques et la prohibition du choix d’une sous-nationalité consistant en un choix permanent de langue. »

L'arrêt est exécutoire et vient contrer de manière indiscutable la jurisprudence contestable et partiale des chambres flamandes du Conseil d’Etat.

Cet épisode des circulaires du gouvernement flamand est révélateur d’un double constat. Tout d’abord, il aura fallu plus de 8 ans pour connaître une solution dans le recours introduit contre les circulaires, tous les moyens dilatoires ayant été utilisés, par la juridiction elle-même, pour laisser perdurer les effets des circulaires querellées. Ensuite, dans cette affaire comme dans tout contentieux administratif relatif aux communes à facilités, le différend est nécessairement tranché par une juridiction composée uniquement de magistrats flamands. Lorsque l’on connaît les engagements politiques des magistrats des chambres flamandes du Conseil d’Etat et, partant, la jurisprudence très engagée de ces chambres, force est de constater une inégalité des parties dans ce type de contentieux. Le Conseil d’Etat n’est pas le garant impartial des règles érigées par le constituant et le législateur fédéral et qui résultent d’accords institutionnels qui se voulaient équilibrés.

4.2. Les restrictions à l’usage du français dans les relations sociales, commerciales et d’ordre privé en périphérie bruxelloise

1 - Sur le plan des relations commerciales, surtout dans les communes unilingues flamandes de Hal-Vilvorde, des commerçants francophones sont régulièrement mis sous pression par les autorités locales et par l’asbl « De Rand », subsidiée par le gouvernement flamand et chargée de veiller au caractère flamand de la périphérie. Ces pressions visent à éliminer toute mention bilingue (néerlandais/français) des enseignes commerciales et à l’utilisation exclusive du néerlandais par les commerçants dans leurs relations avec leurs clients.

Or, en vertu de l’article 30 de la Constitution, l’emploi des langues est libre en ce qui concerne les relations privées et commerciales : c’est donc en total mépris de la Constitution que les administrations communales flamandes et l’asbl « De Rand » entendent contester l’usage du français par les commerçants en périphérie.

Notons à cet égard que dans les communes de Dilbeek et de Merchtem (communes flamandes sans « facilités » à forte minorité francophone), les mandataires locaux francophones ont obtenu l’annulation par la tutelle de règlements communaux interdisant l’usage du français lors du marché hebdomadaire.

Ces règlements étaient manifestement inconstitutionnels. Leur adoption s’exposait à un risque tout aussi manifeste d’annulation. Les autorités communales de Dilbeek et de Merchtem en étaient conscientes. Leur attitude s’inscrit dans un cadre éminemment politique : comme dans d’autres communes flamandes autour de Bruxelles, les mandataires de Dilbeek et de Merchtem entendent maintenir une pression permanente sur les représentants flamands aux différents niveaux de pouvoir ou engagés dans des négociations institutionnelles afin de renforcer le caractère flamand de la périphérie.

Les autorités communales savent aussi qu’en adoptant de telles mesures, elles suscitent peu à peu un mouvement de rejet de toute manifestation de français auprès de la population. Cette évolution génère à son tour un sentiment de peur dans le chef des administrés francophones, qui renoncent à employer leur langue ou préfèrent déménager.

2 - A Zaventem, en juin 2007, le conseil communal avait modifié le règlement de travail du personnel enseignant de l’enseignement communal néerlandophone pour stipuler que la langue véhiculaire est exclusivement le néerlandais tant pour la communication interne qu’externe. En clair, il est interdit aux enseignants de s’exprimer dans une autre langue que le néerlandais à l’égard des élèves et ce, en toutes circonstances.

3 - La recherche d’emploi pour les chômeurs francophones établis en périphérie bruxelloise est rendue difficile par l’action du VDAB, l’organisme de la Région flamande chargé de la formation professionnelle. En effet, le VDAB traite de manière quasi systématique tous les dossiers en néerlandais alors, qu’en vertu de la législation linguistique fédérale (cfr supra), il a l’obligation de les traiter en français à l’égard des chômeurs francophones établis dans les communes à facilités.

Par ailleurs, les demandeurs d’emploi inscrits au VDAB sont obligés de suivre préalablement des cours de néerlandais intensifs, sous peine de menaces de suspension des allocations de chômage, ce qui est pourtant contraire à la réglementation du chômage, de compétence exclusivement fédérale.

Enfin, les services du VDAB privilégient les offres d’emploi, les informations et les contacts avec les communes de la région flamande, et ignorent les offres d’emploi en Région bruxelloise, pourtant plus proches et plus faciles d’accès aux demandeurs d’emploi francophones.

4 - Sur le plan administratif, l’obligation existe dans la plupart des communes sans facilités de se faire accompagner d’un interprète dans les services publics si l’on ne parle pas le néerlandais.

5 - Autre mesure de nature discriminatoire : les campagnes de dépistage du cancer du sein organisées par la province de Brabant flamand se font uniquement en néerlandais, ce qui est contraire aux principes élémentaires du droit à la santé.

4.3. Refus dans le chef des autorités flamandes de tutelle d’autoriser les élus à s’exprimer dans une autre langue que le néerlandais au conseil communal

Depuis la jurisprudence éminemment contestable des chambres flamandes du Conseil d’Etat (arrêt Germis du 17 août 1973), il est interdit

aux bourgmestres, échevins et conseillers communaux des communes à « facilités », pourtant à majorité francophone, de s’exprimer dans la langue de leurs électeurs, à savoir le français, au motif que la langue administrative de ces communes est le néerlandais.

Malgré un arrêt de la Cour constitutionnelle fédérale belge du 10 mars 1998, qui avait explicitement reconnu le droit aux conseillers communaux francophones de ces communes de s’exprimer en français, les autorités flamandes de tutelle (gouverneur du Brabant flamand et gouvernement flamand) continuent à annuler des interventions faites en français par des conseillers communaux.

5. La vie culturelle francophone en périphérie est cadenassée

Diverses mesures des autorités flamandes visent expressément à réduire la présence du français en périphérie.

1 - Pour être subsidiées par la Communauté flamande (prise en charge du personnel et dotation pour l’achat de livres), les bibliothèques publiques, en ce compris dans les communes à « facilités » à majorité francophone, doivent disposer d’au moins 75% de livres en néerlandais. Ce qui est sans rapport avec les demandes de la population majoritairement francophone et cosmopolite des communes à « facilités ».

2 - En 2009, le subside annuel de 1.250 € octroyé par la commune de Linkebeek à la Bibliothèque des jeunes (initiative privée) est annulé par la tutelle flamande parce que la commune ne dispose pas d’une bibliothèque publique agréée.

3 - Impossibilité dans les communes sans facilités d’obtenir un quelconque subside pour des activités culturelles francophones, même au niveau communal. Toute initiative de la commune est systématiquement annulée par la tutelle (province et Région flamande).

4 - Refus d’accorder un local communal à une association francophone, ou à des conditions extrêmement dissuasives (usage exclusif du néerlandais lors de la manifestation), excepté dans les communes à facilités.

5 - Toutes les commissions préparatoires au conseil communal se déroulent exclusivement en néerlandais.

6 - Suppression par Telenet, l’opérateur privé n°1 de télévision numérique en Flandre, de chaînes télévisées francophones ou remplacement par des chaînes payantes.

7 - Non reconnaissance des clubs sportifs non néerlandophones et impossibilité d’obtenir des subventions.

8 - Les organisations sportives non néerlandophones ne peuvent pas participer à la gestion de la vie sportive, ni accéder aux avantages accordés aux clubs néerlandophones par la Région ou la Communauté flamandes ou par le Bloso, l’organisme public flamand d’éducation à la pratique sportive.

9 - Pressions sur les clubs en périphérie pour que les jeunes s’expriment obligatoirement entre eux en néerlandais.

6. La ratification de la convention-cadre pour la protection des minorités nationales   : le Parlement flamand refuse de donner son assentiment

La convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales a été conclue le 1er février 1995 et est entrée en vigueur le 1er février 1998.

En septembre 1998, un premier rapport du Conseil de l’Europe recommande aux autorités flamandes, suite à l’envoi d’un rapporteur en Belgique, de « reconnaître que les membres de la minorité francophone en Flandre ont le droit de conserver leur identité et leur langue propre, et de développer la culture qui est la leur » et de « cesser d’essayer de réduire les facilités linguistiques des six communes concernées (…), en modifiant son plan d’action pour exclure toute tentative d’assimilation, en particulier d’assimilation forcée »10. Quatre ans plus tard, un nouveau rapport recommande que « la Belgique ratifie la convention-cadre sans tarder, en veillant à ce que toutes les minorités soient dûment reconnues comme telles, à la fois au niveau de l'Etat et au niveau régional »11.

La convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe a été signée le 31 juillet 2001 par la Belgique. Cette signature a été assortie d’une double déclaration :

«- Le Royaume de Belgique déclare que la convention-cadre s’applique sans préjudice des dispositions, garanties ou principes constitutionnels et sans préjudice des normes législatives qui régissent actuellement l’emploi des langues.- Le Royaume de Belgique déclare que la notion de minorité nationale sera définie par la Conférence interministérielle de politique étrangère.»

Déjà dans sa résolution 1301 du 26 septembre 2002, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe « regrettait que les autorités belges

10 Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Situation de la population francophone vivant dans la périphérie bruxelloise, Rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme (Rapporteur : M. D. COLUMBERG), séance du 4 septembre 1998, Doc. 8182, points 57.ii et 57.iii, http://assembly.coe.int/documents/workingdocs/doc98/fdoc8182.htm

11 Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Protection des minorités en Belgique, Rapport de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme (Rapporteur : Mme Lili NABHOLZ-HAIDEGGER), séance du 5 septembre 2002, Doc. 9536, point 72, http://assembly.coe.int/documents/workingdocs/doc02/fdoc9536.htm

aient jugé nécessaire d’accompagner la signature de la convention-cadre d’une double déclaration qui s’assimile en droit international à une réserve si large qu’elle risque de priver d’effet la plupart des dispositions de la convention. Si le Royaume de Belgique décidait de maintenir, lors de la ratification de la convention, la réserve faite lors de la signature, cela pourrait être considéré comme une violation de la Convention de Vienne (ndlr : de 1969 sur le droit des traités), qui interdit aux Etats d’accompagner la ratification d’une convention de réserves vidant cette convention de son sens ». Près de sept ans après sa signature et ce, malgré la résolution susvisée, la recommandation n°1623 du 30 septembre 2003 et la recommandation n°1766 du 4 octobre 2006 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, la ratification de la convention-cadre n’est toujours pas ratifiée par l’Etat belge, faute d’accord au sein de la Conférence interministérielle de politique étrangère (CIPE) sur la notion de minorité nationale et d’assentiment consécutif par le Parlement flamand.

Pourtant, dans la recommandation précitée n°1766, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, constatant que, notamment, la Belgique était toujours en défaut de ratification de la convention-cadre, « rappelait que dans sa recommandation 1492 (2003), elle demandait déjà aux Etats susmentionnés de signer et/ou ratifier au plus vite et sans réserves ni déclarations la convention-cadre (…), et constatait la persistance dans le refus de signer ou de ratifier la convention-cadre en motivant ce refus par l’affirmation qu’ils respectent le principe de non-discrimination dans leur droit interne ».

L’accord de gouvernement flamand de juillet 2009 est sans ambigüité quant à sa position dans ce dossier : « De Vlaamse regering verbindt er zich toe om het Minderhedenverdrag niet te ratificeren »12. Dans son programme pour la législature 2009-2014, le gouvernement flamand indique explicitement qu’il s’engage à ne pas ratifier la convention-cadre précitée13, nonobstant ces injonctions.

12 Le gouvernement flamand s’engage à ne pas ratifier la convention-cadre pour la protection des minorités nationales.13 De Vlaamse Regering 2009-2014. Een daadkrachtig Vlaanderen in beslissende tijden. Voor een

vernieuwende, duurzame en warme samenleving, p. 93, in fine, http://www.vlaanderen.be/servlet/Satellite?c=Solution_C&cid=1247734278469&context=1141721623065---1191211215889-1265698199452--1247734278469&p=1186804409590&pagename=Infolijn%2FView