Les Mayas : la fin du monde n'aura pas lieu

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www.histoire.presse.fr Comment le Moyen Age prit goût au sucre 200 ans de guerre des monnaies par Nicolas Baverez Rousseau ou le piège de la célébrité expositioN : 1953, massacre d’algériens à la nation les mayas La fin du monde n’aura pas lieu 3:HIKLSE=WU[WUX:?a@d@s@c@k; M 01842 - 382 - F: 6,20 E MENSUEL DOM/S 7,20 € TOM/S 950 XPF TOM/A 1 600 XPF BEL 7,20 € LUX 7,20 € ALL 7,90 € ESP 7,20 € GR 7,20 € ITA 7,20€ MAY 8,70 € PORT. CONT 7,20 € CAN 9,99 $CAN CH 12 ,40 FS MAR 60 DH TUN 6,80 TND ISSN 01822411

description

Les Mayas sont à l’affiche pour avoir, dit-on, prophétisé la fin du monde ce mois de décembre 2012. D’où vient ce mythe ? Qu’en est-il vraiment du calendrier maya ? Plus largement, de la conception du temps en Méso-Amérique ? Ce dossier de L’Histoire vous invite à un voyage, dépaysant, sur une terre où le temps ne s’écoule peut-être pas comme ailleurs. Par Christian Duverger, Dominique Michelet et Martine Pédron. Evénement : Guerre et paix entre les monnaies Alors que la zone euro a frôlé l’éclatement, il paraît bon de remettre cette crise en perspective. La guerre des monnaies n’est-elle qu’un reflet de la guerre des puissances ? Ou peut-elle y mener ? Les unions monétaires sont-elles vouées à l’échec ? Décryptage de Nicolas Baverez. Avec également le contre-point de Jacques Sapir : « Il faut sortir de l’euro ».

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www.histoire.presse.fr

Comment le Moyen Age prit goût au sucre

200 ans de guerre des monnaies

par Nicolas BaverezRousseau ou le piège

de la célébrité

expositioN : 1953, massacre d’algériens à la nation

les mayasLa fin du monde n’aura pas lieu

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’sommaire

L’ H i s t o i r e N ° 3 8 2 d é c e m b r e 2 0 1 2 4

’actualitéon en parle20 La vie de l’édition - L’homme en vue - en tournage

portrait 22 Les mondes perdus de Georges bensoussan Par Pierre Assouline

expositions24 Aux armes, Parisiens ! Par Michel Winock

26 magie des cartes marines Par Huguette Meunier

27 Liberté chérie Par Étienne François

28 1953 : massacre d’Algériens à la Nation Par Emmanuel Blanchard

cinéma 30 Lumières danoises Par Antoine de Baecque

concordance des temps32 Ne touchez pas à l’ambassadeur ! Par Yann Rivière

33 Agenda : les rencontres du mois

médias 34 Les dessous du sacre de bokassa ier Par Olivier Thomas

35 stendhal enfin ! Par Bruno Calvès

bande dessinée36 L’autre Vél’d’Hiv Par Pascal Ory

anniversaire 38 sos Angkor Par Amaury Lorin

39 internet : les sites du mois

’GuiDela revue des revues88 « Parlement[s]» : théâtre et politique

88 La sélection du mois

les livres90 « Le royaume des quatre rivières » de Léonard dauphant Par Patrick Boucheron

91 La sélection du mois

le classique96 « Les Formes élémentaires de la vie religieuse » d’émile durkheim Par Dominique Iogna-Prat

’Carte BlaNcHe98 Le cNrs abuse Par Pierre Assouline

couverture : Masque maya en jade et coquille trouvé à Tikal, vie siècle, Guatemala, musée national d’Archéologie et d’Éthnologie (collection Dagli Orti).

retrouvez page 40 les rencontres de l’histoire

abonnez-vous page 97Ce numéro comporte sept encarts jetés : Ordre de Malte (abonnés), Philosophie magazine, Unipresse, Paris en guerre d’Algérie (sélection d’abonnés), L’Histoire (2 encarts - kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).

’évéNemeNt

8 Guerre et paix entre les monnaies Par Nicolas Baverez Alors que la zone euro est au bord de l’éclatement, Nicolas baverez retrace deux cents ans de guerres des monnaies, depuis le bimétallisme du xixe siècle jusqu’à la crise actuelle. 16 contrepoint : Jacques sapir

www.histoire.presse.fr10 000 articles en archives.Des web dossiers pour préparer les concours.Chaque jour, un article pour comprendre l’actualité de l’histoire .

N°382-décembre 2012

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À partir du mois prochainLe feuilleton de Michel Winock : 1913-1914, chronique culturelle d’une avant-guerre

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’dossier PAGE 42

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’recherche64 rousseau, ou le piège de la célébrité Par Antoine lilti

Jean-Jacques rousseau, dont on a fêté cette année les 300 ans, fut un des premiers à faire l’expérience, douloureuse, de la « peopolisation ».

74 « aux chevaux morts pour la France » Par Gene Tempest ils sont les grands oubliés de la grande guerre. Les chevaux eurent pourtant un rôle déterminant dans les combats de 14-18.

80 comment l’europe prit goût au sucre Par Bruno laurioux ce sont les croisés qui ont découvert au moyen age la « canne à miel ».

Le dernier vendredi de chaque mois à 9 h 05 « la Fabrique de l’histoire » d’Emmanuel Laurentin Retrouvez la séquence « L’atelier du chercheur » en partenariat avec L’Histoire (cf. p. 64)

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44 La fin du monde n’aura pas lieu Par Dominique michelet48 Le pouvoir des cités 51 Une religion de sacrifices 52 Le mythe et la science

54 maïs et cacao Par martine Pédron

56 La grande roue du temps Par Christian Duverger 60 casser la vaisselle, jeter tout… 46 chronologie

61 pour en savoir plus

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Guerre et paix entre les

monnaiesPar Nicolas Baverez

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Alors que l’Union européenne se trouve en récession et que la zone euro est menacée d’éclatement, il paraît bon de remettre cette crise en perspective. La guerre des monnaies n’est-elle qu’un reflet de la guerre des puissances ? Ou peut-elle y mener ? Comment faire pour réguler les changes ? Les unions monétaires sont-elles vouées à l’échec ? A toutes ces questions, l’histoire n’apporte pas de solution miracle. Mais ouvre des perspectives utiles.

l’auteurDocteur en histoire, Nicolas Baverez est éditorialiste au Monde et au Point, membre du comité directeur de la revue Commentaire et de l’institut Montaigne. Ses derniers ouvrages : après le déluge. la grande crise de la mondialisation (Perrin, 2009) et réveillez-vous ! (Fayard, 2012).

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eLa notion de guerre des monnaies, dérivée de celle de guerre économique, ne va nullement de soi. La guerre désigne un conflit armé en-

tre états ou au sein d’une nation dans le cas d’une guerre civile. L’économie de guerre consiste à met-tre la production au service de la stratégie mili-taire. Napoléon l’expérimenta contre le royaume-uni avec le blocus continental institué par le décret de berlin en 1806. Les conflits totaux du xxe siècle la systématisèrent en mobilisant, sous l’autorité de l’état, l’économie et la société au service de l’ef-fort de guerre. de même, les sanctions économi-ques peuvent être utilisées par la diplomatie pour accompagner ou se substituer à une intervention militaire, comme actuellement l’embargo contre l’iran en réponse à la poursuite de son programme nucléaire militaire. La guerre continue cependant à relever du domaine du politique.

La guerre économique vise, en temps de paix, le basculement vers les échanges internationaux des en-jeux de puissance et de la rivalité en-tre les états, dans le droit fil de la pré-diction de Victor Hugo qui, dès 1849, annonçait qu’« un jour viendr[ait] où il n’y aur[ait] plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce ». elle entend poursuivre les opérations militaires par d’autres moyens. elle se traduit par l’intervention des états sur les mar-chés mondiaux afin de distordre à leur avantage la concurrence pour capter activités et emplois, investissements et talents.

Le protectionnisme*, attribut de la souverai-neté, en est l’instrument privilégié, théorisé par Friedrich List au xixe siècle, puis appliqué de ma-nière de plus en plus variée et subtile à travers les normes juridiques, fiscales, comptables, sociales ou environnementales. essentiellement défensif, le protectionnisme a été complété par un arsenal plus offensif : la contrefaçon, la prise de contrôle d’actifs et de technologies stratégiques, la maîtrise de nouveaux espaces – hier les mers, les airs ou

l’espace, aujourd’hui le cyber-monde –, la sécu-risation de l’accès aux matières premières et aux sources d’énergie, les investissements des fonds souverains (détenus par un état), l’intelligence économique (l’espionnage économique élargi au-delà des états aux entreprises).

La dévaluation* compétitive demeure l’une des armes les plus efficaces du protectionnisme parce qu’elle diminue le prix de l’ensemble des expor-tations et renchérit l’ensemble des importations instantanément, redressant ainsi la balance com-merciale. dans un système de changes* fixes, elle se traduit par le choix d’un cours inférieur à la pa-rité des pouvoirs d’achat (ppa)1. dans un système de changes flexibles, elle peut prendre des formes directes ou indirectes : manipulation des marchés, contrôle des changes, non-convertibilité, pression

à la baisse des coûts de production, fiscalité ciblant la consommation ou les importations.

c’est ainsi que la guerre des mon-naies s’affirme comme une composante majeure de la guerre économique. de ce fait, elle est devenue le compagnon

de route des grandes crises du capitalisme depuis le xixe siècle (crises de la fin du xixe siècle, des an-nées 1930, de la fin des années 1970, crise de la mondialisation depuis 2007), qui provoquèrent tant la modification de la norme de production que le bouleversement de la hiérarchie des puissances.

La monnaie y joua un rôle central parce qu’elle est le premier levier d’insertion des nations dans les échanges et les paiements mondiaux et qu’elle définit leurs marges de manœuvre. elle est le plus puissant et le plus efficace des instruments de la politique économique. elle touche tous les acteurs économiques dans des délais très courts. elle per-met d’agir tant sur les équilibres internes en pe-sant sur la consommation, l’épargne et l’investis-sement, que sur la balance des importations et des exportations. d’où la tentative permanente pour le pouvoir politique de manipuler la monnaie, no-

Notes* cf. lexique, p. 10.1. La parité de pouvoir d’achat entre deux pays désigne le rapport entre deux sommes d’argent libellées dans chacune des monnaies avec lesquelles il est possible d’acheter la même quantité de biens.

Une composante majeure

de la guerre économique

graphique

Monnaie forte, est-ce une bonne idée ?

le cours de l’euro par rapport au dollar montre une hausse de la volatilité sur le marché des changes. On peut constater une corrélation entre la montée de l’euro et la baisse de la croissance dans la zone.

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Euro/Dollar

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Combien vaut 1 euro en dollar

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’actualité expositions

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plupart des autres titres de la presse nationale reprennent la version officielle d’une « émeute nord-africaine ». Ci-dessus et page de droite : dans L’Humanité respectivement des 15, 19, 21 juillet 1953.

Alors que le PPA-MTLD avait défilé sous ses propres bannières, ni Le Monde ni L’Humanité ne précisent en une que 6 des 7 morts du 14 juillet 1953 étaient des militants de l’indépendance algérienne. La

Cet après-midi du 14 juillet 1953, à l’issue de la manifestation organisée par le mouvement de la paix, 6 manifestants algériens sont tués

par la police parisienne, place de la Nation, à Paris. Au moins 40 autres sont blessés par balles. Un mi-litant de la cGt, préposé au service d’ordre, est lui aussi abattu, victime du feu nourri déclenché par de nombreux gardiens de la paix.

comment expliquer un tel déchaînement de violence ? depuis le début des années 1950, le PPA-mtLd1 se joint, sous ses propres bannières, aux manifestations ouvrières organisées le 1er mai ou en contrepoint des défilés officiels de la fête na-tionale. Le 14 juillet 1953, plusieurs milliers d’Al-gériens s’élancent de la place de la bastille pour re-joindre celle de la Nation. Le défilé se déroule dans le calme. Le service d’ordre et l’ordonnancement du cortège des nationalistes algériens représentent un défi symbolique et physique à l’autorité de l’état colonial. ils impressionnent les observateurs.

Arrivés place de la Nation, les militants du PPA-mtLd auraient cherché à enfoncer les rangs des gardiens de la paix afin de poursuivre la ma-nifestation au-delà du lieu de dispersion. ces es-carmouches avec les forces de l’ordre rappellent de nombreux précédents, en particulier celui du 1er mai 1951 : ce jour-là, les policiers ont dû re-culer sous la poussée des nationalistes algériens. depuis, certains gardiens de la paix fomentent leur revanche.

c’est ainsi que, le 14 juillet 1953, le feu est ouvert sans qu’aucun ordre n’ait été donné. Les af-frontements se poursuivent près d’une demi-heure : les rangs du PPA-mtLd sont pris en tenaille par des renforts de police et des dizaines de manifestants sont tabassés. Un car de police est incendié, une di-zaine d’agents sont blessés, victimes de traumatis-mes crâniens et faciaux occasionnés par les coups portés à l’aide d’armes improvisées (barrières ar-rachées, éléments de terrasses de café…). Le soir même, le ministre de l’intérieur, Léon martineau-déplat, argue que les Algériens ont ouvert le feu les premiers. il cherche ainsi à promouvoir la thèse de la légitime défense échafaudée par la préfecture de police. Les rares couteaux utilisés par les manifes-tants n’ont occasionné que des blessures superfi-cielles mais sont mis en exergue par les autorités.

Une partie de la presse (Paris-Presse, Le Parisien libéré, L’Aurore) se montre prompte à reprendre les clichés sur la « violence fanatique » des Algériens et sur leur goût immodéré pour l’usage des armes blanches. Le scénario de l’« émeute algérienne » est cependant concurrencé par d’autres narrations de l’événement. dans les journaux liés au Parti communiste, l’image d’un cortège pacifique sau-vagement agressé par les forces de police est pri-vilégiée. L’éloge de la « combativité » des manifes-tants algériens est cependant appuyé.

La remise en cause de la version officielle s’étend au fil des jours. Les autopsies confirment

François Hollande a reconnu le 17 octobre dernier le massacre d’Algériens le 17 octobre 1961. mais il reste d’autres trous noirs.

Qui se souvient de la tuerie du 14 juillet 1953 ?

1953 : massacre à la NatioN

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Notes1. Le mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (mtLd) est la façade légale du Parti du peuple algérien (PPA) de messali Hadj.2. « ridgway la Peste », alors commandant en chef des troupes de l’otan, était notamment ciblé pour son rôle dans la guerre de corée, en particulier l’usage d’armes chimiques.

Des militants algériens manifestent

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Note 3. depuis la fin des années 1990, le 14 juillet 1953 a cependant attiré l’attention de certains auteurs : benjamin stora, danielle tartakowsky ou maurice rajsfus et Jean-Luc einaudi ont relaté cette journée. cf. également e. blanchard, La Police parisienne et les Algériens, 1944-1962 (Nouveau monde, 2011) ainsi que le documentaire annoncé de daniel Kupferstein (sortie en juillet 2013).

qu’une tuerie a été perpétrée par les agents de la Préfecture de police. bien que l’enquête judi-ciaire ait été ouverte pour « violences envers des dépositaires de la force publique », elle disculpe les Algériens d’une partie des accusations lancées dans la soirée du 14 juillet. Les dizaines de douilles recueillies se révèlent en effet toutes provenir des pistolets de service de gardiens de la paix. Huit d’entre eux reconnaissent avoir tiré. ils ne reçoi-vent aucune sanction…

depuis février 1934, aucune manifestation parisienne n’a été dispersée à coups de feu. mais un manifestant – déjà un Algérien – a été tué par balle dans la capitale, au cours de la manifesta-tion communiste contre la venue à Paris du général ridgway2, le 28 mai 1952. il apparaît ainsi que les « Français musulmans d’Algérie » ont été exclus du mouvement de pacification du maintien de l’ordre mis en évidence par les historiens. La police pari-sienne a continué de traiter les manifestants algé-riens avec les méthodes utilisées par l’armée contre les ouvriers grévistes de la fin du xixe siècle.

Un détour par l’empire colonial s’avère né-cessaire si l’on veut comprendre la persistance de ces pratiques létales. en décembre 1952, à casablanca, l’action conjuguée de l’armée, de la police et de milices de colons a conduit à l’assas-sinat de dizaines de manifestants. tant en tunisie qu’au maroc, il est alors courant que des coups de feu soient tirés en situation de maintien de l’ordre. La presse de l’époque ou les témoignages de poli-ciers recueillis a posteriori montrent que ces situa-tions relèvent d’une forme de routine associée à la domination coloniale. or les « Français musul-mans d’Algérie » émigrés en métropole sont claire-ment identifiés par la hiérarchie et la majorité de la base policière comme des colonisés « indésira-bles » à l’égard de qui doivent être appliquées des politiques d’exception.

La tuerie du 14 juillet 1953 suscite de vives réactions. de la mosquée de Paris à la maison des

métallurgistes, en passant par certains lieux de travail, plu-sieurs hommages collectifs sont

rendus aux victimes. Le transport des dépouilles vers l’Algérie est ponctué de rassemblements syn-dicaux et politiques. c’est sur le port d’Alger, sous la houlette des dockers et de militants nationalis-tes, que la mobilisation est la plus importante. en dépit de cette effervescence, les dissensions inter-nes d’un PPA-mtLd en crise accaparent bientôt les esprits.

Au-delà du « mensonge d’état » et de l’ordon-nance de non-lieu rendue en octobre 1957, ces conflits contribuent aussi à l’oubli du 14 juillet 1953. L’événement ne peut être intégré à la geste du Front de libération nationale (FLN) : vainqueur d’une lutte mortelle et fratricide contre les parti-sans de messali Hadj, celui-ci cherche à apparaî-tre comme la seule organisation à avoir porté le fer contre la puissance coloniale. surtout, la mé-moire des sept morts du 14 juillet 1953 est ense-velie sous celle des milliers de victimes de huit an-nées de guerre3.

Emmanuel Blanchard Maître de conférences à

Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

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Méthodes d’exception contre les colonisés « indésira-bles »

Les forces de L’ordre tirent et chargent

un hommage aux sept morts

L’Histoire est partenaire de l’exposition « Paris en guerre d’Algérie », du 7 décembre 2012 au 10 janvier 2013, réfectoire des Cordeliers, 15, rue de l’École-de-Médecine, 75006 Paris.

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’DOSSIER les mayas

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l’auteurArchéologue, directeur de recherche au CNRS (laboratoire Archéologie des Amériques, CNRS-université-Paris-I), Dominique Michelet a notamment coordonné le catalogue de l’exposition sur les Mayas au Quai Branly, Maya, de l’aube au crépuscule (Somogy-musée du Quai-Branly, 2011).

Jamais les anciens mayas n’ont annoncé que la fin du monde aurait lieu le 21

ou le 23 décembre 2012. cette date n’apparaît dans aucun des trois livres autochtones qui nous sont parvenus et dont on situe la confection entre le xiie et le xve siècle (les codex de dresde, Paris et madrid, du nom des vil-les où ils sont aujourd’hui conser-vés). Pourtant, leur contenu montre qu’ils ont dû largement servir à prophétiser l’avenir, et la dernière page du codex de dresde semble même repré-senter un déluge détruisant le monde (cf. p. 53). cette apoca-lypse n’a toutefois rien à voir avec 2012. Par ailleurs, sur les milliers d’inscriptions de la période classi-que (300-900 ap. J.-c.) connues à ce jour, qu’elles soient sculptées sur pierre ou stuc ou bien pein-tes, la date en question n’appa-raît qu’une seule et unique fois. il s’agit du « monument » 6 de tortuguero, un site modeste, aujourd’hui presque totalement détruit, situé à l’ouest de Palenque et dont l’histoire fut liée à ce grand centre (cf. p. 47).

La partie principale de la sculpture originale était une grande dalle verticale entièrement couverte d’une inscription évoquant divers épisodes de la vie

d’un souverain local de la seconde moitié du viie siècle. de part et d’autre du sommet de cette dalle, deux petits panneaux, également couverts de glyphes, formaient un ensemble en t : l’un de ces pan-neaux latéraux est perdu et l’autre a été volé, mais on en possède une photographie. et c’est juste-ment là, sur ce dernier fragment, que l’achèvement du 13e bak’tun marquant la fin d’un grand cy-cle est mentionné, une mention immédiatement suivie, notons-le, du nom du nouveau cycle de bak’tun qui doit lui succéder. Le texte dit simplement : « Il advien-dra le bak’tun 4 Ahaw 3 K’ank’in

[en remplacement du bak’tun 4 Ahaw 8 Kumk’u] ». même si les ul-times glyphes du texte sont illisi-bles ou obscurs, absolument rien n’indique qu’ils se référeraient à une quelconque fin du monde. il s’agit de la fin d’un cycle, qui n’a rien à voir avec la fin des temps !

Deux calenDriers cycliquesLes anciens mayas, comme les autres peu-

ples de la méso-Amérique (cf. Christian Duverger, p. 56), utilisaient couramment, c’est-à-dire en par-ticulier dans la vie quotidienne, et de façon paral-lèle deux calendriers distincts.

La fin du monde n’aura

pas lieuUn temps cyclique, un décompte des jours très arithmétique, un art de la prophétie : décryptage d’un usage du temps qui

révèle bien des aspects d’une civilisation étrangère à la nôtre.

Par Dominique Michelet

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L’idée que les Mayas auraient prédit la fin du monde provient d’une seule inscription

Film catastropheSurfant sur la vague des prophéties de fin du monde prévue pour cette année, le film 2012 réalisé par Roland Emmerich est sorti en salle en 2009. Aucune prophétie maya n’évoque pourtant un tel cataclysme.

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TikalLe temple-pyramide I de Tikal, à l’est de la Place principale du site, fut édifié autour de 740-750 ap. J.-C. Sous sa base, on a découvert une grande chambre funéraire voûtée, où reposait la dépouille du roi Jasaw Chan K’awil. Au pied de l’escalier, les stèles P28 et P29, lisses, n’ont peut-être jamais été décorées. L’érection de stèles est, chez les Mayas, un élément central des rituels marquant la fin de périodes calendaires.

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’recherche rousseau

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Dans son grand discours du 18 floréal an ii

(7 mai 1794), pour l’instauration de la fête de l’Être suprême1, robespierre s’en prit violemment à l’héri-tage des encyclopédis-tes, à qui il reprochait non seulement leurs penchants matérialis-tes et athées, mais aussi leur hypocrisie, et qu’il dénonçait en ces ter-mes : « Ils déclamaient quelquefois contre le despotisme, et ils étaient pen-sionnés par les despotes ; ils fai-saient tantôt des livres contre la cour, et tantôt des dédicaces aux rois, des discours pour les cour-tisans, et des madrigaux pour les courtisanes ; ils étaient fiers dans leurs écrits, et rampants dans les antichambres. »

Une « image sacrée »il leur opposait le seul philosophe dont la

révolution jacobine pouvait se réclamer parce qu’il avait donné lui-même l’exemple sincère des vertus qu’il prônait : « Un homme qui par l’élévation de son âme et par la grandeur de son caractère, se montra

digne du ministère de précepteur du genre humain. » cet homme sincère avait chère-ment payé son souci de la vérité : « la pu-reté de sa doctrine, puisée dans la nature et dans la haine profonde du vice, autant que son mépris invincible pour les sophistes in-trigants qui usurpaient le nom de philoso-phes, lui attira la haine et la persécution de ses rivaux et de ses faux amis.2 » il s’agissait évidemment de Jean-Jacques rousseau, dont, deux ans auparavant, robespierre évoquait déjà, au club des Jacobins, « l’image sacrée ». cette image d’un écri-vain persécuté pour sa vertu, pour avoir été toujours fidèle à ses principes, a été puissamment adoptée par une grande partie des révolutionnaires.

toutefois, si on revient quelques années en ar-rière pour s’interroger sur le rapport que rousseau a entretenu avec son public et sur la façon dont il a été perçu et lu avant la révolution, on doit convenir que les choses sont beaucoup plus ambivalentes, et même contradictoires. en particulier, les grands textes autobiographiques ainsi que la correspon-dance des dix dernières années de sa vie montrent que, à ses yeux, le complot dont il prétendait être victime n’était pas seulement orchestré par quel-ques philosophes hypocrites mais s’était élargi à l’ensemble de ses contemporains.

Les Rêveries du promeneur solitaire sont le grand texte dans lequel rousseau affirme son accepta-tion à la fois heureuse et malheureuse d’une soli-tude subie. « Me voici donc seul sur la Terre, n’ayant

rousseau, ou le piège de

la célébrité il a été l’écrivain le plus célèbre de son temps. Adoré, envié, moqué… La « peopolisation » de Jean-Jacques rousseau est

un tournant dans l’histoire intellectuelle.

Par Antoine Lilti

DécryptageLa célébrité telle qu’elle apparaît dans la presse « people » n’est pas, selon Antoine Lilti, un phénomène récent. cette forme d’empathie pour un personnage contemporain en ce qu’il a d’humain et de faillible (ce qui la distingue de la gloire, admiration posthume pour un être hors du commun) a été mise en place au xviiie siècle, lors du développement du marché du livre, de la presse, des loisirs… rousseau, qui avait de véritables « fans », fut l’un des premiers à en faire l’expérience – douloureuse – et à réfléchir sur cette expérience.

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L’aUteUrDirecteur d’études à l’EHESS, Antoine Lilti a notamment publié Le monde des salons (Fayard, 2005). Il prépare un livre sur l’histoire de la célébrité au xviiie siècle.

« Me voici donc seul sur la Terre, n’ayant plus de frère, d’ami […]. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a été proscrit par un accord unanime »

Vendredi 30 novembre

à 9 h 05, dans

l’émission « La Fabrique de l’histoire »

d’emmanuel Laurentin, retrouvez

antoine Lilti pour

la séquence « L’atelier du chercheur » et découvrez les dessous

du travail de l’historien.

en partenariat avec L’Histoire.

Page 11: Les Mayas : la fin du monde n'aura pas lieu

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Ce portrait de Rousseau par le peintre anglais Allan Ramsay (1766, Édimbourg, National Galleries of Scotland) eut un grand succès à son époque : il fut maintes fois reproduit et gravé par ses admirateurs. Rousseau, lui, détestait cette image de lui, et soupçonnait ses adversaires d’être à l’origine de sa diffusion.