Les juifs et la littérature

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Israël est l’invité du Salon du livre de Paris. À cette occasion, Le Magazine littéraire a voulu approfondir sa réflexion sur l’histoire des littératures juives. Avec comme guides, Alain Finkielkraut, Elie Barnavi, Etgar Keret…

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LeSommaire n° 474 Avril 2008

3 L’éditorial de Joseph Macé-Scaron 8 Enquête Que valent les blogs littéraires ? par Alexis Brocas14Débat entre Richard Perle et Denis Lacorne :

L’Amérique, fille aînée des Églises ? 18 Tendance L’écrivain est-il un héros comme les autres ?20 À la page Sabine Wespieser, par Évelyne Bloch-Dano 21 Sous la couverture Un homme accidentel de Philippe Besson22 Écrits à l’écran Un cœur simple. Un Flaubert enflammé24Idées neuves L’impensé de Mai 68, par Patrice Bollon25 Les recettes d’un succès Dumping biblique,

par Jean-François Colosimo26 Lus de l’étranger, États-Unis, par Géraldine Faes

Romans français 28 Édouard Levé par Minh Tran Huy30 Drieu La Rochelle par Pierre Assouline32 Christophe Deshoulières par Bernard Fauconnier36 Maryline Desbiolles par Jean-Baptiste Harang

Romans étrangers38 Roberto Bolaño par Minh Tran Huy40 Virginia Woolf par Diane de Margerie42 Ernst Jünger par Claude Michel Cluny

Essais48 Slavoj žižek par Philippe Petit50 Paul Valéry par Jean Roudaut52 Michel Foucault par Dominique Reynié

Poches54 Kafka par Linda Lê

56 Les Liaisons dangereuses, variations sur l’imaginaire d’un livre par Vincent Huguet

62Du Livre aux livres, les juifs et la littérature 64 « L’écrivain ne décline pas son identité »

par Alain Finkielkraut 66 Liberté, égalité, judéité par Alexis Lacroix 68 Entretien avec Claude Vigée

« Le poète juif combat l’obsession du définitif » 72 Assimilation et désassimilation, un geste fondateur

par Rachel Ertel 74 La Mitteleuropa, une idée juive par Jacques Le Rider 76 L’invention d’une littérature nationale par Élie Barnavi 78 L’archipel de l’Amérique réfractaire par Marc Weitzmann 80 Les écrivains israéliens en quête d’universel

par Pierre Assouline 84 Bibliographie sélective 85 Une nouvelle inédite d’Etgar Keret : La Piqûre

86Parce que c’est elle, parce que c’est moi Toni Morrison par Léonora Miano

88 Itinéraire Pierre Bourdieu, par Maxime Rovere 90Archétype Madame Bovary par Claro 92 Grand entretien avec Yves Bonnefoy

« Ceux que tente la religion devraient réfléchir à la poésie », propos recueillis par Natacha Polony

98 À la manière de… Louis-Ferdinand Céline, le pastiche d’Héléna Marienské

100Inédits Le lexique nomade de la Villa Gillet avec Yannick Haenel, Duong Thu Huong, Lydie Salvayre

102Histoires d’archives Un scénario inédit d’Hervé Guibert104Rendez-vous Benjamin Lazar, le renouveau

du théâtre baroque106 Le dernier mot par Alain Rey

LeJournal de l’actualité LeDossier

LeMagazine des écrivains

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LeCahier critique

Ce numéro comporte 5 encarts : 1 cahier 16 pages 10 x 18 jeté au centre sur une sélection d’abonnés, 1 encart 38 pages Musées du Monde posé en 4e de couverture sur une sélection d’abonnés, 1 encart abonnement (exemplaires kiosques), 1 encart Edigroup (exemplaires kiosques de Suisse et Belgique).

48Essais Slavoj žižek en Lacanie

8 EnquêteQue valent les blogs littéraires ?

62DossierDu Livre aux livres,Les juifs et la littérature

86PortraitToni Morrisonpar Léonora Miano

Prochain numéro en vente dès le 25 avril

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Le Journal de l’actualité

Enquête

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LeJournal de l’actualitéEnquête

Que valent les blogs littéraires ?

O ù a-t-on appris que François Nourissier n’avait jamais lu Les Bienveillantes, livre auquel il avait accordé son suffrage pour le Goncourt 2006 ? Sur le blog de Gilles

Cohen-Solal, codirecteur des éditions Héloïse d’Ormesson. Qui a renvoyé à Philippe Sollers l’épithète dont il avait affublé la France, en le traitant « d’écrivain moisi » ? Le critique Juan Asensio, qui, sous le pseudonyme de Stalker, autopsie sur son blog « le cadavre en décomposition » de la littérature. Qui a révélé (dans une langue hilarante) les errances alcoolisées, motorisées, parisiennes et finalement policières du couple Angot-Gynéco ? Didier Jacob, chroniqueur littéraire du Nouvel Observateur, créateur de Rebuts de presse sur le site de l’heb-

domadaire. L’air de la blogo-sphère littéraire porte en lui un

Lorsque journalistes, écrivains et amateurs endossent leur costume de blogueur, c’est pour faire découvrir l’envers du décor de la vie littéraire,

ressusciter les débats et s’essayer à la création.

vent de fronde et de liberté qui, avouons-le, a le don d’agacer le monde feutré des lettres. Et si jadis le terme « blog » semait des étoiles dans les yeux des futurologues, il fait désormais jaillir des geysers de vapeur des oreilles de certains éditeurs. Dans les colonnes du Figaro, en février 2007, Jean-Marc Roberts, le patron de Stock, y allait même de son anathème : « Interdisons les blogs ! »

« La culture qui se développe dans la blogosphère est celle de l’expression directe, qui déborde souvent les cadres de la bienséance compassée à laquelle sont habitués les éditeurs. Ici, on peut se dire ses quatre vérités, s’insulter, aller beaucoup plus loin dans l’expression qu’on ne le ferait dans une ren- contre réelle », explique l’éditeur indépendant Léo Scheer. Son blog – ou plutôt le

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blog collectif de sa maison – veut apporter une voix discordante de celles de la presse et des grandes maisons. Ainsi, l’invention des prix littéraires B : « Lorsque nous avons développé le blog, cet automne, nous avons découvert sur le Net une multitude de sites passionnés de littérature et qui accomplissent un travail de critique de fond que la presse ne fait plus. À l’annonce des prix 2007, j’ai donc lancé un appel pour que la blogosphère propose des choix alternatifs. Ils sont pré-sentés sur le site à la rubrique “Prix@B” avec neuf livres très supérieurs à ceux qui ont été choisis par les jurys. Nous décernerons les neuf prix le 1er avril 2008… » Une démarche ludique, mais dont la portée contestatrice n’est certainement pas anodine.

Au vrai, la blogosphère a exhumé un exercice en voie de disparition : le débat littéraire. Elle l’a surtout ouvert au plus grand nombre. D’abord par l’intermédiaire des commentaires que les lecteurs anonymes peuvent laisser sur les blogs dits participatifs, tel celui de Didier Jacob. À moins que ce ne soient des personnalités des lettres qui choisissent d’annoter le blog d’un anonyme. Cela arrive régulièrement au Wrath (de son vrai nom Lise-Marie Jaillant). Cette jeune femme de 26 ans a entamé son blog comme un récit de ses tentatives pour faire publier son premier roman, Crevez tous, useless cunts ! Au fil de ses échecs, ledit blog s’est mé tamorphosé en un réquisitoire contre l’ensemble de l’édition française, attirant vers son

auteur l’attention que ne lui avaient pas value ses talents littéraires. De nombreux romanciers (comme Philippe Jaeneda) ou éditeurs sont intervenus pour modérer ses vues, la contredire, la corriger, transformant peu à peu le blog en un espace de discussions souvent musclées, mais rarement vaines. Quant à Wrath, avec son don égal pour la polémique et la mauvaise foi, elle a le mérite d’incarner un archétype du monde des lettres jusqu’ici invisible : l’auteur déçu, qui pro-jette sur le « milieu » ses sombres fantasmes, accuse parfois injustement, généralise abusivement, mais peut mettre le doigt là où ça fait mal.

« Ne nous leurrons pas. Celui qui écrit tous les jours sur un blog recherche forcément quelque chose », sourit Ron l’in-firmier, devenu l’une des stars de la Toile avec son célèbre blog et ses 5000 lecteurs quotidiens. Être lu, être aimé, exister… à l’ère du « tous romanciers » et du quart d’heure warholien perpétuel, la blogosphère littéraire ressemble, c’est vrai, à un

vaste tout-à-l’ego. Mais, soyons justes, tous les blogs ne s’inscrivent pas dans cette foire nar-

cissique. Si la plupart sont simplement voués à promouvoir leurs auteurs et leurs écrits, publiés ou pas, et de qualité bien évidemment

diverse, d’autres poursuivent des buts plus altruistes. Un tour « chez Clarabel » peut en

convaincre. Cette jeune maman d’une trentaine d’années y tient la chronique de ses lectures

depuis 2005. Et lorsque Clarabel affirme qu’elle « consomme des livres au kilomètre », ce n’est pas

qu’une expression : avec 1832 notes, elle est devenue la commentatrice n° 1 du site de vente par corres-pondance Amazon. Son blog, éclectique, évoque

aussi bien les classiques méconnus (der-nièrement Agnes Grey, roman

d’A n ne Brontë) que les domaines « un peu ignorés des

critiques professionnels », comme la littérature

jeunesse ou populaire. Et si les attachées de presse des maisons

d’édition, f lairant le f i lon , lu i envoient

aujourd’hui leurs nou-veautés, c’est bien

Lu en ligne« Si j’étais membre

de l’illustre compagnie

du Quai Conti, malgré

sa crise de repeuplement, je continuerais

à mettre des boules noires aux

candidatures eu égard

à la médiocrité des impétrants. »

Pierre Assouline

Blog : Mot-valise formé de l’addition de web (Toile) et de log (journal), le blog est un site constitué de notes (aussi appe-lées « posts »), présentées de la plus récente à la plus ancienne, augmenté régulièrement par son auteur, le blogueur.Commentaire : Sur les blogs participatifs, les lecteurs peuvent laisser leurs commentaires (de façon anonyme ou ouverte). Liens (ou hyperlien, ou lien hypertexte) : Présentés sous forme d’icônes, d’images, de textes surlignés, les liens permettent de se promener à l’intérieur d’un blog, ou d’un blog à l’autre. Classement wikio : Très discuté, car il ne classe pas la fréquen-tation des blogs, mais leur influence. Pour mesurer celle-ci, un programme recense les liens pointant vers chaque blog et appa-raissant pendant une période de cent vingt jours. L’inamovible n° 1 de la « catégorie blog littéraire » : Pierre Assouline.

LLL

Lexique

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Le Journal de l’actualité

Repères

Tendance

L’écrivain est-il un héros de roman comme les autres ?

D ès la couverture, le héros du nouveau roman de Dany Laferrière affiche la couleur : son métier, c’est écri-vain. Et japonais de surcroît, ce qui ne manque pas

de singularité lorsqu’on connaît ses origines haïtiennes et la place que celles-ci tiennent dans son œuvre. Un héros qui tâte de la plume, ce n’est certes pas une nouveauté, mais ce phé-nomène habite ces derniers mois bon nombre de fictions. À commencer par Vie et mort en quatre rimes, le dernier roman d’Amos Oz dans lequel un romancier ironise sur la face publique de son activité. Paul Rubinstein, héros imaginé par Sébastien Doubinsky dans Les Fantômes du soir ? Un écrivain parisien abonné aux bides qui, soudain, accède à la notoriété et a bien des soucis pour la gérer. B. Osborn, le mystérieux héros sur la piste duquel se lancent les personnages de L’Homme sans empreintes d’Éric Faye ? Un écrivain génial et reclus directement inspiré par le mythique B. Traven, l’auteur du Trésor de la Sierra Madre. Quant à Giuseppe Conte, c’est au poète Shelley et à quelques autres figures du romantisme anglais qu’il s’attaque dans L’homme qui voulait tuer Shelley, une enquête littéraire dans l’Italie du xixe siècle.

Si l’on remonte quelques mois en arrière, on peut ajouter à cette liste une poignée de héros-écrivains fictifs, qu’ils soient aux prises avec leurs dérisoires rêves de gloire chez Georges Flipo (Le Vertige des auteurs), avec le monde fascinant de l’ar-gent chez Lydie Salvayre (Portrait de l’écrivain en animal domes-tique) ou avec leurs propres démons chez Colm Tóibín et David Lodge – lesquels, en 2004, se surprirent à écrire en même

temps sur Henry James, mésaventure éditoriale que le second a racontée dans ses Coulisses du roman.

En suivant les péripéties de ces personnages, on s’aperçoit qu’ils sont pour leurs créateurs une manière dis-tanciée de parler d’eux-mêmes, de leur travail, de leur rapport à la littérature et des réflexions qu’elle leur inspire. Ainsi Amos Oz s’interroge-t-il avec humour sur un problème que rencon-

trent fatalement les auteurs qui accèdent à une certaine renommée : celui de l’articulation entre le monde de l’écriture, forcément solitaire et retiré, et celui de la vie sociale, absor-bante et parfois aliénante – le cirque sans cesse recommencé des interviews, des rencontres avec les lecteurs, des sollicita-tions en tout genre, des questions auxquelles on ne sait pas répondre. Son narrateur, sobrement appelé « l’auteur » (ano-nymat derrière lequel on devine évidemment Oz lui-même), est invité dans un centre communautaire. Distrait, il écoute avec ennui les louanges qu’on lui adresse tout en pensant à autre chose ; puis, incapable de se concentrer, il observe les spectateurs, fantasme à leur propos et fait finalement d’eux les héros d’un roman mental que le lecteur découvre au fur et à mesure qu’il l’invente. Anecdotique mais divertissante, cette satire de la vie d’écrivain pose de manière subtile la ques-tion du rapport à la sphère publique en littérature – un thème

L’écrivain qui se met en scène

dans son livre, ce n’est pas une

nouveauté, mais ce phénomène

habite ces derniers mois

un grand nombre de fictions.

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que Lydie Salvayre, dans un registre beaucoup plus politique, abordait déjà dans sa comédie acide sur les rapports troubles (et hypocrites) des écrivains au pouvoir et à l’argent.

Un thème de la reconnaissance publique et de ses para-doxes que l’on trouve au cœur des Fantômes du soir de Sébastien Doubinsky. Son héros, un romancier sans succès, se retrouve un jour sur la liste du prix Goncourt et, par la même occasion, sur le plateau télé. Sa prestation y est hélas pitoyable. Il se ridi-culise en tombant de sa chaise sous les ricanements consternés du public. De retour chez lui, très abattu, il découvre trois inconnus occupés à déguster un verre de vouvray dans son salon : il s’agit de Miller, Durrell et Cendrars, ses trois écri-vains favoris… Entre la comédie fantastique et la chronique douce-amère de la vie d’auteur, ce roman léger explore le thème

classique de l’insuccès litté-raire et de la foi en la littéra-ture, tout comme le faisait déjà Georges Flipo dans Le Vertige des auteurs, le portrait d’un romancier en herbe que les prétentions littéraires trans-forment peu à peu en cuistre.

Au fond, la solution la plus appropriée à ce problème de la vie publique des écrivains n’est-elle pas la disparition pure et simple, à l’image des littérateurs disparus aux-quels Enrique Vila-Matas avait consacré voici peu de temps son Docteur Pasavento, ou encore de B. Traven qui inspire aujourd’hui Éric Faye

pour L’Homme sans empreintes ? Dany Laferrière, lui, prend pour thème non pas l’insuccès mais, au contraire, l’hypermé-diatisation et les malentendus de la célébrité. Haïtien émigré à Montréal, son narrateur annonce à un journaliste qu’il tra-vaille à un roman intitulé Je suis un écrivain japonais. Par l’en-tremise d’un employé consulaire nommé Tanizaki (!), ce livre, qui n’existe pas, va déchaîner les passions au Japon, à la stu-péfaction de notre héros qui voit son œuvre lui échapper avant même qu’il l’ait écrite. Sous cette intrigue improbable se lisent les réflexions amusées de l’auteur sur le fossé qui sépare l’œuvre des discours qu’on tient sur elle. Se proclamer « écri-vain japonais » est-il pour Laferrière une manière de demander qu’on cesse de le qualifier d’« écrivain caribéen » ? « Le temps cannibale te dévore cru, déplore son narrateur. Né dans la Caraïbe, je deviens automatiquement un écrivain caribéen. La librairie, la bibliothèque et l’université se sont dépêchées de m’épingler ainsi. Être un écrivain et un Caribéen ne fait pas de moi forcément un écrivain caribéen. Pourquoi veut-on toujours mélanger les choses ? » D’Amos Oz à Dany Laferrière et de Colm Tóibín à Éric Faye, une chose est en tout cas certaine : la traditionnelle question du lien entre le romancier et son héros (« Madame Bovary, c’est moi ») n’est jamais plus palpable – et passionnante – que lorsque ce héros est lui-même romancier. Une évidence énoncée par Laferrière sur le ton péremptoire et badin qui fait tout le charme de son roman : « Je n’écris jamais sur autre chose que sur moi-même. »L Bernard Quiriny

à lireJe suis un écrivain japonais,� Dany Laferrière, éd. Grasset, 270 p., 17,50 €.Vie et mort en quatre rimes,� Amos Oz, éd. Gallimard, 132 p., 13,50 €.Les Fantômes du soir,� Sébastien Doubinsky, éd. Le Cherche Midi, 177 p., 13 €.L’Homme sans empreintes,� Éric Faye, éd. Stock, 265 p., 19 €.Le Vertige des auteurs,� Georges Flipo, éd. Le Castor Astral, 272 p., 15 €.Portrait de l’écrivain en animal domestique,� Lydie Salvayre, éd. Seuil, 234 p., 18 €.L’homme qui voulait tuer Shelley,� Giuseppe Conte, éd. Phébus, 288 p., 20,90 €.

Il va y avoir du sportL’amour des mots et celui du sport n’ont jamais été incom-patibles, bien au contraire. À chaque écrivain son dada : Paul Fournel publiera en mai Méli-mélo, où il exprimera une nouvelle fois, à l’occasion du Tour de France, son amour pour la petite reine tandis qu’à la même période David Peace, l’auteur de l’excellent Tokyo année zéro, fera paraître chez Rivages son best-seller 44 jours, roman « sur le football en général et Brian Clough en particulier ». Quant à Haruki Murakami, dont le recueil de nouvelles Blind Willow, Sleeping Woman est annoncé pour la rentrée littéraire 2008 chez Belfond, rien ne le passionne tant que la course à pied, sujet d’un essai programmé pour 2009, toujours chez Belfond. L Jean Hurtin

Entre les lignes

Alain Robbe-Grillet. Une biographie est prévue pour l’automne 2008.

Robbe-Grillet, la biographie qui nous manquait Directeur de l’Institut Mémoires de l’édition contempo-raine (Imec), intime d’Alain Robbe-Grillet, Olivier Corpet en est tout à la fois l’exécuteur testamentaire et le biographe. Prévue à l’automne 2008 chez Fayard, sa biographie du « Pape du Nouveau Roman » devait contenir des interven-tions de Robbe-Grillet lui-même. Ce sera finalement à partir des archives déposées à l’Imec qu’Olivier Corpet poursuivra comme il l’avait commencé un livre découpé en cinquante récits de la vie d’A.R.G., accompagnés d’une chronologie détaillée. Travail qui portera le fruit de la longue amitié avec l’écrivain et son épouse. L V.M.L.M.

Anouilh en Vermillon Pour la première fois, La Table Ronde reprend, dans sa collection de poche « La Petite Vermillon », les pièces d’Anouilh, l’un des auteurs les plus emblématiques de la maison, en douze volumes. Antigone, Œdipe et Médée entrent ainsi en scène. Mais aussi toutes ses autres pièces, rassemblées, non par ordre chronologique de publication comme dans les deux volumes de son Théâtre parus l’année dernière en Pléiade chez Gallimard, mais suivant la classification thématique qu’Anouilh lui-même avait souhaitée et soigneusement élaborée : des Pièces brillantes des années 1950 aux Pièces farceuses des années 1970, en passant par les grinçantes, roses ou noires, costumées, baroques ou secrètes. L Jean-Claude Perrier

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LeCahier critique

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Certains textes sont inséparables de leur histoire, du contexte de leur genèse et de leur publication. Ainsi de Suicide, qu’Édouard Levé remit à son éditeur dix jours tout juste avant de se tuer, en octobre dernier. À 42 ans. « Il me l’a donné le 5,

précise Paul Otchakovsky-Laurens lors de notre entretien dans les bureaux de la maison P.O.L. Je lui ai téléphoné le 8 pour lui dire que j’avais été complètement saisi par le livre ; nous avons pris rendez-vous pour le 18 afin de discuter de sa parution ; il s’est suicidé le 15. » À la lumière des travaux d’Édouard Levé, qui n’eut de cesse de faire entrer le champ de l’art conceptuel dans celui de la littérature, on aurait pu voir dans sa mort une sorte de performance artistique ultime. Il n’en est rien : si le geste esthétique a rejoint le geste existentiel, ce n’est que coïncidence. Une coïncidence évidemment frappante, mais en aucun cas préméditée. Édouard Levé était hanté par cette question – voilà tout ce qu’on peut déduire de ses textes. Mais son suicide, comme tous les suicides, reste une énigme.

C’est d’ailleurs le sujet même de son dernier ouvrage, où l’écrivain parle d’un ami qui s’est supprimé de manière aussi brutale qu’inat-tendue. Un mystère que l’auteur tente de cir-conscrire et de cerner à coups de phrases claires, nettes, incisives. Sans aucune illusion pourtant sur la possibilité de l’élucider. « Après coup, observe son éditeur, je me suis aperçu que dans Suicide, il y a beaucoup de choses qui appartiennent à Édouard Levé. Ainsi l’expérience des trois jours de “vacance” dans Bordeaux – “vacance” au sens fort du terme, non au sens de loisir – est bien la sienne. » Tombeau d’un intime, adresse sans destinataire, Suicide est aussi une manière d’autopor-trait. Une projection d’expériences et de préoccupations pro-pres à l’artiste, mais qui se mêlent inextricablement aux sou-venirs et aux idées qu’il a du disparu. Jusqu’à fusionner,

peut-être : « Ton suicide n’a pas été précédé de tentatives ratées. Tu ne craignais pas la mort. Tu l’as devancée, mais sans vraiment la désirer : comment désirer ce qu’on ne connaît pas ? Tu n’as pas nié la vie, mais affirmé ton goût pour l’inconnu en pariant que si, de l’autre côté, quelque chose existait, ce serait mieux qu’ici. »

Plus narratif que ses autres écrits, Suicide s’achève cependant sur une suite de tercets dont l’esprit n’est pas sans rappeler Autoportrait :

« La règle me sert/La contrainte me stimule/L’obligation m’éteint »… Autoportrait jouait également, la poésie en moins, de la juxtaposition de constats physiques, esthétiques, psy-chiques ou moraux. Additionnant les jugements, attitudes, réflexes et petits faits qui mis bout à bout constituent littéra-lement une façon d’être au monde, usant d’une langue, pré-cise et sobre, aussi « blanche » que possible, le livre se voulait autant un dévoilement de la mécanique de soi que de sa méca-nique à lui : « Je n’aime pas plus le cinéma narratif que le roman. “Je n’aime pas le roman” ne signifie pas que je n’aime pas la littérature, “je n’aime pas le cinéma narratif” ne signifie

Les lettres et le néantSuicideÉdouard LevéÉd. P.O.L, 128 p., 14 €.

Édouard Levé. Né en 1965, il a fait des études à l’Essec avant de devenir photographe et écrivain, établissant de nombreux ponts entre art conceptuel et littérature. Il a publié quatre livres chez P.O.L : Œuvres, Autoportrait, Journal et Fictions. Il s’est suicidé en octobre 2007. Citons aussi des livres de photographies tels qu’Angoisse et Reconstitutions (éd. Philéas Fogg).

Autojumeaux d’Édouard Levé, 1999, photographie couleur,     64 x 96 cm, édition en cinq exemplaires. Adresse sans destinataire,  Suicide est une manière d’autoportrait.

Extrait“Tu n’as pas

nié la vie, mais affirmé

ton goût pour l’inconnu

en pariant que si,

de l’autre côté, quelque chose

existait, ce serait

mieux qu’ici.”

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pas que je n’aime pas le cinéma. Les arts qui se déploient dans le temps me plaisent moins que ceux qui l’arrêtent. »

Contrairement au Je me souviens de Perec (qui influença Levé au même titre qu’un Raymond Roussel ou un Robert Bresson), l’autoportrait est ici déconnecté de tout contexte extérieur, sans lien avec la mémoire d’une époque. Mais à l’instar de l’auteur de La Vie mode d’emploi, Édouard Levé fait imploser le genre autobiographique : Autoportrait ne contient ni récit, ni mise en scène de soi, et les coq-à-l’âne parfois comi-ques sont le seul liant permettant de réunir les bribes d’un Moi revisité à la manière cubiste. Comme s’il avait fini par atteindre – on retrouve là Perec – une forme d’objectivité à force de subjectivité… Un processus de dépersonnalisation paradoxale, de désacralisation et de mise à nu qu’on retrouve à l’œuvre dans Journal, collage d’articles de presse dont l’artiste avait préalablement gommé les noms de personnes et de lieux, les dates – bref tout ce qui « fait » l’information afin de révéler la façon dont on la fait.

Bien des travaux d’Édouard Levé portent la marque de son intérêt pour le modèle générique, l’archétype, le stéréo-type – le squelette des choses. Ainsi de ses séries photogra-

phiques de « pornographie habillée » ou de joueurs de rugby – sans terrain, sans tenues et… sans ballon – où ne subsistent que les postures propres à ces « activités », dont le sens semble cependant s’être égaré. Entre imaginaire pur et pur docu-mentaire, Édouard Levé n’aimait rien tant que s’attaquer aux images mentales préexistantes. Qu’on songe à sa première

série, datant de 1999 : des photogra-phies d’homonymes de personna-lités artistiques et littéraires. Armé d’un annuaire et d’un téléphone, il dégotta ainsi « André Breton », « Henri Michaux », ou encore « Yves Klein ». De grands noms pour des visages totalement anonymes… De même, il partit pour les États-Unis pour photographier des villes telles que « Berlin », « Stockholm », « Paris » ou « Bagdad (1) ».

Certains de ces projets avaient été présentés dans Œuvres, le pre-mier ouvrage qu’il avait publié chez P.OL. Un livre qui « décrit des œuvres dont l’auteur a eu l’idée, mais qu’il n’a pas réalisées ». Chaque prop o sit ion est nu mé roté e. Exemple : « 158. Un plan-séquence vidéo tourné en voiture relie deux villages : Angoisse et Prozac. » Ou encore : « 525. Sur un planisphère subjectif n’apparaissent que les pays dans lesquels l’auteur s’est rendu. » Ce fabuleux « catalogue de tout ce qu’il est possible d’imaginer aujourd’hui dans l’art conceptuel ou presque », pour reprendre les mots de Paul Otchakovsky-Lau-rens, avait profondément impres-sionné ce dernier.

L’écrivain Olivier Cadiot, qui fut l’ami d’Édouard Levé, partage son admiration : « Il y a pas mal d’auteurs qui veulent sortir de la littérature pour aller vers d’autres disciplines, le cinéma, les arts plastiques, les performances. Édouard a fait l’in-

verse. Pour moi, son travail incarnait jusqu’au déchirement les paradoxes de la littérature contemporaine, prise entre le narratif et le conceptuel. À quel moment, à quel niveau l’idée va-t-elle être digérée dans l’œuvre ? C’est une question, très moderne, que beaucoup d’écrivains se sont posée. Lui l’avait mise en scène – et mise à nu. » Et d’évoquer le dernier sémi-naire de Barthes articulant Proust et les haïkus, avec cette idée qu’un haïku renferme deux mille pages en germe, que le minuscule contient l’immense, qu’un simple mot concentre un monde. Comme la première phrase d’Autoportrait (« Ado-lescent, je croyais que La Vie mode d’emploi m’aiderait à vivre, et Suicide, mode d’emploi, à mourir »), qui semble le pendant de la dernière phrase de Suicide : « Le bonheur me précède/La tristesse me suit/La mort m’attend. »L Minh Tran Huy(1) L’entreprise aboutit au livre de photos Amérique (éd. Léo Scheer, 2006).

Autojumeaux �d’Édouard �Levé, 1999, photographie couleur, 64 x 96 cm, édition en cinq exemplaires. Adresse sans destinataire, Suicide est une manière d’autoportrait.

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LeDossier

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Comme le raconte l’écrivain Paul Audi dans son dernier livre, Romain Gary a fait cette confidence : « Il y a en moi un vieux fond de croyance messianique, dû peut-être à mes origines juives. » À l’image de tant d’autres écrivains que leur héritage fami-lial rattache au judaïsme, Gary aurait été

bien en peine de donner un contenu précis à sa fidélité. Mais il avait l’intuition que son inspiration n’était pas séparable de son appartenance. Depuis le Bereshit de la Torah, un lien d’af-finité s’est noué entre la perpétua-tion du peuple juif et l’aventure lit-téraire – deux paris solidaires d’une transmission fondée sur le texte.

Alors que le Salon du livre fête ces jours-ci la littérature israélienne, quelques semaines avant le soixan-tième anniversaire de l’État d’Israël, Le Magazine littéraire a voulu appro-fondir sa réflexion sur la saga foi-sonnante des littératures juives, de Rachi, le commentateur des textes sacrés, à Philip Roth.

Cette réflexion exclut d’emblée la référence à une « école juive ». Car une telle notion, comme l’explique Alain Finkielkraut, a le tort de réduire des chefs-d’œuvre aux origines de leurs auteurs. D’ailleurs, insiste Marc Weitzmann, aux États-Unis, Bernard Malamud, Saul Bellow, ou Norman Mailer ne se sont jamais reconnus dans une prétendue « école juive de New York ». Si le signe juif imprègne malgré tout ces œuvres si diverses, c’est de façon plus énigmatique et, parfois, plus secrète : la transmission

s’accomplit « en creux », comme dans la « poétique » évoquée par le poète Claude Vigée. Le germaniste Jacques Le Rider met en lumière le judaïsme ténu d’un auteur comme Kafka, dont les prophéties n’auraient pas vu le jour sans la lecture de Rabbi Loew, le Maharal de Prague.

Plus d’une fois, c’est la négativité de l’histoire qui a été déterminante : ainsi le choc de l’affaire Dreyfus pour les écrivains juifs de langue française. Tandis que la Shoah, rappelle Rachel Ertel, est une ombre portée sur la survie de l’univers yiddishophone depuis 1945. En dernière analyse,

ce qu’il y a de vraiment juif dans un roman ou un poème, c’est une sensibilité infalsifiable, comme l’analyse Finkielkraut : « Dans une humanité qui se glorifie de vivre au présent, l’être juif consiste sans doute à maintenir une inter- subjectivité mystérieuse. »

Ce lien n’est nulle part plus pré-sent que dans la littérature israé-lienne. D’abord parce que, comme le raconte l’historien Elie Barnavi, la langue hébraïque, depuis sa réin-vention par Eliezer Ben Yehuda a

été « l’outil de recomposition d’une identité nationale ». Mais surtout parce que la vitalité littéraire israélienne, qui enthou-siasme Pierre Assouline, est « d’autant plus éclatante qu’elle reste silencieusement cernée par la mort. En amont par la Shoah, en aval par la guerre au quotidien. » Dans sa langue nerveuse et suffoquée, le romancier israélien Etgar Keret, dont nous publions une nouvelle inédite, exprime cette palpitation d’une identité entre Livre et livres.L

Dossier coordonné par � Alexis�Lacroix

Du Livre aux livres

Les juifs et la littérature

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Enfants dans une école religieuse (Cheder)�, en Pologne, 1916.

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Page 10: Les juifs et la littérature

le Magazine Littér aire Avril 2008 n° 474 63

Israël est l’invité du Salon du livre de Paris. À cette occasion, Le Magazine littéraire a voulu approfondir sa réflexion sur l’histoire des littératures juives. Avec comme guides, Alain Finkielkraut, Elie Barnavi, Etgar Keret…

Amos Oz, le maître des lettres israéliennes, dans le désert du Néguev, non loin de chez lui, en Israël, décembre 2007.

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