LES JEUNES AU CŒUR DU GRAND THÉÂTRE · 1 Wozzeck Opéra en trois actes et quinze scènes Musique...

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DOSSIER PÉDAGOGIQUE LES JEUNES AU CŒUR DU GRAND THÉÂTRE AVEC LE SOUTIEN DE Alban Berg SAISON1617 À L'OPÉRA DES NATIONS www.geneveopera.ch/pedagogie T +41 22 322 5172 WOZZECK

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DOSSIER PÉDAGOGIQUELES JEUNES AU CŒUR DU GRAND THÉÂTRE

AVEC LE SOUTIEN DE

Alban Berg

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www.geneveopera.ch/pedagogieT +41 22 322 5172

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Wozzeck Opéra en trois actes et quinze scènes Musique d’Alban Berg (1885-1935) Livret du compositeur Tiré de la pièce de théâtre Woyzeck de Georg Büchner (1813-1837) Créé le 14 décembre 1925 au Staatsoper de Berlin !

Malgré les violences de son passé, le soldat Wozzeck essaie d’aller de l’avant mais il ne sera jamais que la victime des brimades du Capitaine, des expériences du Docteur et du désamour de Marie, mère de leur enfant illégitime. Comme dans bien des états de stress post-traumatique, son combat solitaire contre la maladie mentale finit par détruire sa raison et son humanité. Lui-même marqué par son service militaire en 14-18, Alban Berg fut enthousiasmé par la pièce de Georg Büchner Woyzeck (1821), que le prix Nobel Elias Canetti appelait « la révolution la plus complète de toute la littérature. » Wozzeck, que Berg signa en 1925, avec sa structure ultra-formelle et sa musique d’avant-garde, fut à son tour une révolution complète pour l’opéra. Aucune œuvre avant elle, et très peu depuis, n’a posé avec autant de courage la question « Que signifie être humain ? »

Les Jeunes au cœur du Grand Théâtre Programme pédagogique du Grand Théâtre de Genève avec le soutien de la Fondation de bienfaisance du groupe Pictet et en collaboration avec le Département de l’Instruction publique, de la culture et du sport de la République et canton de Genève Dossier réalisé par Christopher Park Décembre 2016 – janvier 2017

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Table des matières Introduction p. 3 Woyzeck, un fait divers et un jeune scientifique p. 4 Du fait divers à la pièce de théâtre p. 5 Alban Berg et Vienne à l’aube du XXème siècle p. 6 Wozzeck, l’opéra révolutionnaire… p. 7 … Révolutionnaire, l’opéra Wozzeck? P. 8 Petit lexique p. 9 Rôles et distribution p. 11 Qu’est-ce qui se passe dans Wozzeck ? Argument, clés d’écoute et textes des extraits musicaux p. 12

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Introduction Ce dossier pédagogique est destiné aux enseignants qui participent au parcours pédagogique proposé autour du programme de l’opéra Wozzeck dans le cadre du programme « Les jeunes au cœur du Grand Théâtre ». Ce dossier, préparé à l’intention des enseignants du cycle d’orientation et du postobligatoire, contient suffisamment d’informations pour leur permettre d’assurer une bonne préparation des élèves au spectacle. En amont du parcours pédagogique et du spectacle, nous demandons aux enseignants d'utiliser ce dossier pour familiariser leur classe avec:

l’argument les personnages les moments-clé musicaux et dramatiques

Une bonne connaissance de ces trois aspects garantira un maximum de profit et de plaisir pour les élèves prenant part aux ateliers du programme et venant au Grand Théâtre pour assister à la répétition générale de Wozzeck En fonction du niveau des élèves ou du temps à disposition pour aborder la matière, on pourra mettre le dossier à disposition des élèves pour leur permettre d'approfondir l'approche de la production du Grand Théâtre. Un exemplaire en format PDF est à leur disposition, avec la liste d'écoute musicale, sur le site Internet du Grand Théâtre: http://www.geneveopera.ch/opera_365#infos58 (identifiant: LABOM, mot de passe : opera). En annexe de ce dossier vous trouverez des questionnaires d’évaluation à votre intention ainsi qu’à celle de vos élèves. Merci de bien vouloir les photocopier et en remettre un exemplaire à chaque jeune ayant participé au parcours pédagogique, et de nous les renvoyer remplis accompagnés du vôtre. Cela nous permettra d’évaluer l’intérêt et la pertinence de nos propositions. Il sera également possible de nous déplacer dans les classes afin de renforcer le travail préparatoire, ou de répondre aux questions des élèves dans leur établissement, à l’issue du spectacle si l’enseignant le souhaite. Nous vous remercions pour votre collaboration et vous souhaitons, à vos classes et à vous-mêmes, un parcours pédagogique passionnant au cœur du Grand Théâtre. Les animateurs du programme pédagogique Elsa Barthas Fabrice Farina

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Woyzeck, un fait divers et un jeune scientifique En 1821, à Leipzig, en Saxe (Allemagne), Johann Christian Woyzeck, un ancien soldat exerçant le métier de barbier, assassina sa maîtresse, Christiane Woost, parce qu’elle lui avait été infidèle. Lors du procès qui suivit, la défense plaida l’aliénation mentale. Woyzeck aurait entendu des voix et était sujet à des hallucinations. Suite à la déposition d’un témoin expert, un certain Dr. Clarus, le tribunal rejeta le plaidoyer de la défense et Johann Christian Woyzeck fut exécuté le 27 août 1824 sur la place du marché à Leipzig. Clarus fit publier l’année suivante son rapport d’expert médical sur Woyzeck dans une revue médicale qui comptait parmi ses abonnés et contributeurs, le Dr. Ernst Büchner, médecin d’arrondissement de la ville de Darmstadt, dans la Hesse, en Allemagne central. Le fils du Dr. Büchner, Georg, étudia également la médecine, aux universités de Strasbourg et Giessen entre 1831 et 1834. L’Europe entière était alors agitée par la révolution de Juillet (les « Trois Glorieuses » du 27-28-29 juillet 1830) en France qui renversa la monarchie absolue restaurée après la Révolution de 1789 et l’Empire napoléonien. À Strasbourg le jeune Georg est happé par des activités politiques radicales. À Giessen, il écrit un pamphlet dénonçant l’exploitation des pauvres paysans de Hesse par les richissimes propriétaires terriens, ce qui lui vaut d’être recherché par la police. Il s’échappe en France, à Strasbourg, puis en automne 1836, Georg Büchner prend un poste de professeur d’histoire naturelle à l’université de Zurich. Trois mois plus tard, il meurt du typhus.

Georg Büchner en 1835

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Du fait divers à la pièce de théâtre Élevé dans une famille attachant une grande valeur à la culture et à l’art, Georg aimait écrire. Dans les deux dernières années de sa courte vie, il écrivit plusieurs pièces de théâtre, dont La Mort de Danton et Woyzeck. Büchner mourut avant de terminer Woyzeck qu’il laissa à l’état de fragments désordonnés. Georg Büchner avait pris connaissance du cas Woyzeck dans les papiers de son père et avait été saisi par l’injustice du sort réservé à un cas évident de maladie mentale. En 1870, le romancier Karl Emil Franzos prépara une première édition des fragments de Woyzeck, révisée en 1909 et qui ne fut représentée sur scène qu’en 1913, à Munich. Le 5 mai 1914 eut lieu la première représentation de Woyzeck de Büchner à Vienne. Un jeune homme du nom de Paul Elbogen y assistait et soixante-sept ans plus tard, il l’évoquait en ces mots:

Nous, les jeunes, nous connaissions bien le texte de la pièce dans la version de Franzos. Un acteur allemand, Albert Steinrück, bourru et assez brutal, jouait Woyzeck. J’étais assis au balcon du petit théâtre de chambre et quatre rangs derrière moi était Alban Berg, que je saluai en entrant car je le connaissais depuis plusieurs années. On joua la pièce sans interruption pendant trois heures, dans la pénombre totale. Un tonnerre d’applaudissements marqua la fin, je me suis levé dans un état d’enthousiasme et d’exaltation extrême et je me suis tourné vers Berg, quelques pas derrière moi. Il était pâle comme la mort et transpirait abondamment. Hors d’haleine, il me lâcha ces mots: « Qu’est ce que tu en dis? N’est-ce-pas fantastique? Incroyable?! » Puis, prenant déjà congé: « Il faut que quelqu’un mette ça en musique! »

Page du manuscrit autographe de Woyzeck, avec les esquisses du Captaine et du Docteur en marge

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Alban Berg et Vienne à l ’aube du XXème siècle Alban Berg est né à Vienne (Autriche) en 1885 dans une famille bourgeoise aisée. Il s’intéressa à la musique à l’âge de quinze ans et se mit à l’apprendre en autodidacte. En 1904, il commença le contrepoint, la théorie musicale et l’harmonie avec le compositeur Arnold Schoenberg. Il étudia la composition avec Schoenberg entre 1907 et 1911, de cette époque date sa Sonate pour piano, op. 1, l’une des plus incroyables oeuvres « de jeunesse » jamais écrites. Berg fit partie de l’élite culturelle viennoise de la fin du XIXème siècle. Hors son maître Schoenberg, il fréquentait les musiciens Alexander von Zemlinsky et Anton Webern, le peintre Gustav Klimt, le satiriste Karl Kraus, l’architecte Adolf Loos et le poète Peter Altenberg. En 1906, il tomba amoureux de la chanteuse Hélène Nahowski (qu’on disait être la fille illégitime de l’empereur François-Joseph) qu’il épousa en 1911, malgré l’opposition de la famille de celle-ci. En 1914, l’Autriche-Hongrie provoque la Première Guerre mondiale, suite à l’assassinat du prince héritier François-Ferdinand à Sarajevo. L’année suivante, Berg est mobilisé dans un camp d’entraînement sur la frontière hongroise mais assez vite déclaré inapte au service. Il finit son service dans un bureau au Ministère de la Guerre. Pendant une permission en 1917, il travaille intensément sur les esquisses musicales de son premier opéra, Wozzeck, réalisées dans la foulée fébrile de cette soirée au théâtre avec la pièce de Büchner en 1913.

À gauche : Gustav Klimt, Le Baiser (1908) ; à droite, Alban Berg en 1927, croquis au fusain d’Emil Stumpp

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Wozzeck, l ’opéra révolutionnaire… L’expérience de son service militaire pendant la Grande Guerre influença profondément Alban Berg pendant la composition de Wozzeck. En juin 1918, il écrivait à sa femme: « Il y a un peu de moi dans ce personnage dans la mesure où j’ai aussi vécu ces années de guerre à la botte de gens que je déteste, malade, captif, soumis, pour ainsi dire humilié. » Tournant le dos à la musique classique tonale héritée des compositeurs classiques et romantiques, Arnold Schoenberg avait, dès 1908, composé de la musique atonale, créant ainsi une « Deuxième École viennoise » de composition, à l’avant-garde de toutes les conceptions communes de la musique à l’époque, et même encore de nos jours. Alban Berg, son élève enthousiaste, voyait dans l’atonalité musicale un moyen de protester contre un ordre social sans compassion, perverti et violent, ainsi que d’exprimer un sentiment très personnel de terreur devant un monde naturel fondamentalement hostile à l’être humain. Berg était aussi influencé par l’expressionnisme, un mouvement des arts visuels qui dans ses mains devient musical. Wozzeck utilise la tension expressive d’une musique qui joue sans arrêt sur les limites entre la tonalité et l’atonalité et qui trouve ainsi un moyen merveilleusement juste pour exprimer l’instabilité de Wozzeck, patient borderline s’il en est. Berg, en écrivant pour la voix, ne se limite pas à un chant mélodique, enchaîné à des notes de musique, mais utilise souvent la technique du Sprechgesang (« parlé-chanté »), héritée de Schoenberg, pour sa puissance émotionnelle évidente.

Le Skandalkonzert du 31 mars 1913, à la Grande Salle de la Musikverein de Vienne, dirigé

par Arnold Schoenberg. Le public, choqué par l’expressionnisme et le côté expérimental des pièces musicales, commença un terrible chahut et le concert dut finir

prématurément. Deux des Altenberg-Lieder d’Alban Berg étaient au programme.

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… Révolutionnaire, l ’opéra Wozzeck? Dans sa recherche d’un nouveau langage musical, Berg ne travailla pas que l’atonalité (ou plus tard le dodécaphonisme qu’il apprit également de son maître Schoenberg et qu’il utilisa dans son dernier opéra, Lulu). La structure de la musique était aussi un élément fondamental de sa composition. Dès 1912, les compositions de Berg, même très courtes comme les mélodies des cinq Altenberg-Lieder qui ne durent chacune que quelques minutes, forment un tissu mélodique, harmonique et rythmique d’une extraordinaire complexité et subtilité. Berg ne tournait pas complètement le dos à la tradition classique. Souvent les plus révolutionnaires sont celles et ceux qui, au lieu de tout casser et de faire table rase, recyclent et transforment la tradition avec leur personnalité originale. Berg aimait les formes géométriques, notamment l’arc ogival de l’art gothique avec lequel il structurait sa musique en palindromes, parfois d’une étonnante longueur. Il était fasciné par les nombres et leurs rapports presque mystiques (il était d’ailleurs obsédé par la numérologie et le numéro 23). Il était passionné par les formes musicales fortement structurées de la tradition ancienne, héritées de la danse: sarabande, pavane, passacaille; mais aussi celles de la tradition classique comme le rondo ou la sonate. Quand on connait l’obsession de Berg pour la symétrie rigoureuse des palindromes et les structures musicales traditionnelles, de références intérieures, ajoutée à son goût pour les grands gestes dramatiques et les belles phrases lyriques, sa musique atonale expressionniste semble moins radicale. Même si, pendant presque toute sa carrière, la musique de Berg fut sujet à scandales (voire bannie par le nazisme émergent), il a su combiner la tradition musicale classique et romantique et préserver une longue tradition musicale viennoise, tout en restant l’un des compositeurs les plus visionnaires de la musique moderne en Occident.

Affiche de Hans-Heinrich Palizsch, pour le Théâtre d’Oldenbourg (1974)

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Petit lexique Dodécaphonisme Le dodécaphonisme, ou musique dodécaphonique, est une technique de composition musicale imaginée et développée par Arnold Schoenberg. Cette technique donne une importance comparable aux douze notes de la gamme chromatique, et évite ainsi toute tonalité. La série dodécaphonique est conçue comme une succession permettant de faire entendre chacun des douze sons, mais sans qu'aucun soit répété. L'ordre ainsi établi forme une série immuable d’intervalles à parité absolue entre eux, qui soutient tout le développement de l'œuvre. Ce principe, et c'était là une des finalités de son inventeur, ôte toute hiérarchie dans les hauteurs, chacune ayant la même importance dans le flux mélodique. De ce fait, il va contre les principes de l'harmonie tonale, et crée, terme que Schoenberg refusait, une atonalité. Expressionisme Un mouvement artistique, avec son origine dans les arts visuels et plastiques, dans lequel la réalité était délibérément déformée afin de laisser l’artiste exprimer sa réponse émotive à un sujet. L’expressionnisme domina tous les domaines de la scène artistique en Allemagne et en Autriche depuis 1910 jusqu’au début des années 1920. Des peintres comme Edvard Munch et son célébrissime Cri, passé à la postérité comme emoji , ont inspiré de célèbres expressionnistes comme Paul Klee, Egon Schiele, Cuno Amiet, Marc Chagall, Georg Grosz et Otto Dix. Palindrome Un palindrome est un mot, une phrase, un nombre ou tout autre séquence de caractères qui se lit indifféremment vers l’avant ou à rebours, comme le mot « kayak » ou la phrase « un art luxueux ultra nu ». Le dramaturge anglais du XVIIème sicle Ben Jonson inventa ce mot à partir des racines grecques palin (πάλιν; « encore ») and dromos (δρóμος; « course, direction »). Le palindrome peut être également acoustique, comme dans la phrase « une slave valse nue » ou musical comme dans la musique d’Alban Berg et d’autres compositeurs modernes.

Centre d’un palindrome musical extrait de la partition de l’opéra Lulu d’Alban Berg

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Sprechgesang Sprechstimme Le « Parlé-chanté » ou « Parlé-voix » est une technique vocale apparue à la fin du XIXème siècle, dans laquelle la voix ne suit presque pas, voire pas du tout, une ligne mélodique et où la cadence et le rythme de la phrase parlée « remplacent » la mélodie. Arnold Schoenberg l’utilisa dans ses Gurre-Lieder et son Pierrot lunaire et Berg dans Wozzeck et Lulu. Pour Schoenberg, la Sprechstimme doit adhérer au rythme mais à la différence du chant normal, le chanteur abandonne immédiatement la tonalité de la note en la baissant ou en l’élevant. Le but n’est pas d’entendre quelqu’un « parler » de manière réaliste mais l’on doit pouvoir distinguer la Sprechstimme du chant. C’est une technique qui permet au chanteur de dépasser le potentiel expressif de la mélodie pour illustrer des émotions fortes ou des états physiques extrêmes. Wozzeck (ou Woyzeck?) Lorsque Karl Emil Franzos réalisa la première édition des fragments laissés par Georg Büchner, il eut beaucoup de difficulté à travailler sur un manuscrit dont l’écriture était microscopique et dont l’encre avait pâli. Il ne connaissait pas non plus l’existence du cas de Johann Christian Woyzeck dont Büchner s’était inspiré pour son héros. Il a donc pris le « yz » de Büchner pour un « zz », orthographiant le nom du personnage et le titre de la pièce « Wozzeck » dans son édition. C’est sous ce titre que Berg a vu la pièce en 1914. En 1921, on découvrit le cas Woyzeck et son lien probable avec l’œuvre de Büchner et désormais la pièce et le personnage suivirent l’orthographe originale. Bien que Berg signa son opéra en 1922, ce nouvel usage ne s’était pas encore généralisé et il garda l’ancienne orthographe de Wozzeck. Cela nous permet, de nos jours, de distinguer au moins à l’écrit deux œuvres, reliées par le sujet mais artistiquement fondamentalement différentes.

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Rôles et distribution Wozzeck d’Alban Berg Production du Lyric Opera of Chicago Répétit ion générale mardi 28 février 2017, 19h30 Durée approximative 1h40 (sans entracte) Distribution Wozzeck Mark Stone, baryton Le Tambour-Major Charles Workman, ténor Andres Tansel Azkeibek, ténor Le Capitaine Stephan Rügamer, ténor Le Docteur Tom Fox, baryton Marie Jennifer Larmore, mezzo-soprano Margret Dana Beth Miller, mezzo-soprano Premier Apprenti Alexander Milev, basse* Deuxième Apprenti Erlend Tvinnereim, ténor* Un Fou Fabrice Farina, ténor Direction musicale Stefan Blunier Mise en scène David MacVicar Décors & costumes Vicki Mortimer Chorégraphie Andrew George Lumières Paule Constable Reprise des lumières Christopher Maravich Orchestre de la Suisse Romande Chœur du Grand Théâtre Direction Alan Woodbridge Chœur d’enfants du Grand Théâtre de Genève Préparation Elsa Barthas *Membre de la troupe des Jeunes solistes en résidence du Grand Théâtre de Genève.

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Qu’est-ce qui se passe dans Wozzeck ? Argument, clés d’écoute (en ital ique) et textes des extraits musicaux ACTE I Scène 1 La chambre du Capitaine, tôt le matin. Le soldat Wozzeck rase le Capitaine qui, obsédé par les vastes étendues de temps qu’il perçoit devant lui, lui répète de travailler plus lentement. Le Capitaine dit à Wozzeck qu’il est un brave type mais lui fait une leçon de morale, car Wozzeck est le père d’un enfant illégitime. Wozzeck lui répond que la vertu est un luxe que les pauvres gens ne peuvent se payer. Inquiété par cette saillie émotive inattendue, le Capitaine tente de calmer Wozzeck. 1. WOZZECK, LE CAPITAINE Les origines de la maladie mentale de Wozzeck Acte I, Sc. 1 Wir arme Leut’ Pour la première fois depuis le début de l’opéra, Wozzeck abandonne son ton soumis et sur un accompagnement de cordes, dit ce qu’il pense vraiment. Sur le rythme de son affirmation monotone précédente (« Jawohl, Herr Hauptmann ») et sur trois intervalles de septième diminués, Wozzeck chante ce qui est sans doute le motif musical le plus important de l’opéra: « Wir arme Leut’! ». Toute la musique de ce passage sera reprise dans l’interlude instrumental final de l’opéra. Lorsque le Capitaine tente de calmer Wozzeck, la musique redevient celle du début de la scène (avec le même quintette à vents), mais à rebours. L’effet immédiat de cette inversion est que les derniers mots du Capitaine (« Langsam, langsam ») sont accompagnés par les mêmes notes qu’au début de la scène WOZZECK Wir arme Leut! Sehn Sie, Herr Hauptmann, Geld, Geld! Wer kein Geld hat! Da setz' einmal einer Seinesgleichen auf die moralische Art in die Welt! Man hat auch sein Fleisch und Blut! Ja, wenn ich ein Herr wär', undhätt' einen Hut und eine Uhr und ein Augenglas und könnt' vornehm reden, ich wollte schon tugendhaft sein! Es muss was Schönes sein um die Tugend, Herr Hauptmann. Aber ich bin ein armer Kerl! Unsereins ist doch einmal unselig in dieser und der andern Welt! Ich glaub', wenn wir in den Himmel kämen, so müssten wir

WOZZECK Nous autres pauvres gens! Voyez-vous, mon Capitaine, l'argent, l'argent! Celui qui n'a pas d'argent! Comment fera-t-il pour mettre son pareil au monde de façon morale! On n'est que des êtres de chair et de sang après tout. Ah oui, si j'étais un Monsieur, avec un chapeau, une montre et un monocle et je savais dire bien parler, bien sûr que je serais vertueux. La vêrtu, ça doit être une bien belle chose, mon Capitaine. Mais je ne suis qu'un pauvre bougre. Nous, on n'est jamais que malheureux dans ce monde et dans l'autre! Je crois bien que si un jour on arrive au Ciel, il faudra qu'on y travaille pour faire gronder le tonnerre !

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donnern helfen! HAUPTMANN (etwas fassungslos Schon gut, schon gut! (beschwichtigend) Ich weiss: Er ist ein guter Mensch, (übertrieben) ein guter Mensch. (etwas gefasster) Aber Er denkt zu viel, das zehrt. Er sieht immer so verhetzt aus. (besorgt) Der Diskurs hat mich angegriffen. Geh' Er jetzt, und renn' Er nicht so! Geh' Er langsam die Strasse hinunter, genau in der Mitte, und nochmals, geh' Er langsam, hübsch langsam! (Wozzeck ab)

LE CAPITAINE (un peu décontenancé) C'est bon, c'est bon! (rassurant) Je sais que vous êtes un brave type, (avec emphase) un bien brave type. (un peu plus calme) Mais vous pensez trop et ça use. Vous avez toujours l'air si nerveux. (soucieux) Ce discours m'a éprouvé. Allez vous-en maintenant et ne courez pas comme ça. Descendez la rue tout doucement, tout au milieu de la chaussée et encore une fois, allez-y doucement, tout doucement! (Wozzeck sort)

Scène 2 Dans une campagne ouverte en fin d’après-midi. On voit la ville au lointain. Wozzeck et son collègue soldat Andres sont en train de couper du bois à la campagne. Wozzeck lui raconte des visions effrayantes qui le troublent: il entend des voix et il s’imagine le soleil couchant comme une gigantesque boule de feu qui va enflammer le monde. Un roulement de tambour au lointain les rappelle à la caserne alors que la nuit tombe. Scène 3 Le soir, dans la maison de Marie Les roulements de tambour se transforment progressivement en une marche militaire. Marie, la mère de l’enfant de Wozzeck, et sa voisine Margret, regardent les soldats défiler sous leurs fenêtres. Marie admire le beau Tambour-Major et Margret se moque d’elle. Marie se fâche et claque la fenêtre. Seule avec son petit garçon, Marie lui chante une berceuse inquiétante et tombe dans une rêverie, interrompue par l’arrivée de Wozzeck. Il lui raconte ses visions, qu’il interprète comme les signes prémonitoires d’un grand malheur. Marie essaie de le rassurer mais il repart en courant à la caserne sans même jeter un coup d’oeil à son fils. Bouleversée elle aussi par la crainte, Marie sort de la pièce en courant, laissant l’enfant seul. 2. MARIE (ORCHESTRE) La berceuse sinistre de Marie – palindromes à l’orchestre

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Acte 1, Sc. 2 Komm mein Bub ! La musique militaire qu’on entend depuis le début de la scène s’arrête brusquement et l’orchestre esquisse un motif musical descendant de tierce mineure en demi-tons, accompagné par des accords de quarte ou de quinte ouvertes qui progressent chromatiquement sur « Mädel, was fangst jetzt du an? ». Cette série musicale caractérise la musique de Marie. Alors qu’elle se laisse aller à la rêverie, l’orchestre se pose sur un accord statique fait de quintes ouvertes, dont la hauteur est presque aussi importante que l’harmonie. Ce thème de l’attente de Marie se termine sur un Si bécarre grave qui produit à la basse avec le Fa un intervalle de quarte augmentée, d’exactement trois tons, le fameux triton ou « Diable en musique ». Sur cette impression musicale sinistre, employée abondamment dans la musique de film d’horreur, le hard rock et le heavy metal, Wozzeck fait son entrée. MARIE (schreit sie an) Luder! (schlägt das Fenster zu. Die Militärmusik ist plötzlich, als Folge des zugeschlagenen Fensters, unhörbar geworden. Marie ist allein mit dem Kind.) Komm, mein Bub! Was die Leute wollen! Bist nur ein arm' Hurenkind und machst Deiner Mutter doch so viel Freud' mit Deinem unehrlichen Gesicht! (wiegt das Kind) Eia popeia… Mädel, was fangst Du jetzt an? Hast ein klein Kind und kein Mann! Ei, was frag' ich darnach, Sing' ich die ganze Nacht: Eia popeia, mein süsser Bu', Gibt mir kein Mensch nix dazu! Hansel, spann' Deine sechs Schimmel an, Gib sie zu fressen auf's neu, Kein Haber fresse sie, Kein Wasser saufe sie, Lauter kühle Wein muss es sein! (Das Kind ist eingeschlafen.) Lauter kühle Wein muss es sein! (Marie in Gedanken versunken. Es klopft am Fenster. Marie fährt zusammen.)

MARIE (à Margret) Sale garce! (Elle claque la fenêtre. Dès que la fenêtre est fermée, on n'entend plus la musique militaire. Marie est seule avec l'enfant.) Viens, mon petit! Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre! Tu n'es qu'un pauvre bâtard et pourtant tu donnes tellement de joie à ta mère avec ta petite frimousse malhonnête! (elle berce l'enfant) Eia popeia… Ma fille, qu'est-ce que vas faire Tu as un bébé et tu n'as pas de mari! Ah, à quoi servent toutes ces questions: Je pourrais chanter toute la nuit! Eia popeia, mon beau petit gars! Personne ne veut m’aider! Jeannot, attelle tes six chevaux blancs, Redonne-leur à manger, Ils ne mangent pas d'avoine, Ils ne boivent pas d'eau, Donnons-leur du vin bien frais. (L'enfant s'est endormi.) Donnons-leur du vin bien frais! (Marie se perd dans ses pensées. On frappe à la fenêtre. Marie reprend ses esprits.)

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Scène 4 Le cabinet du Docteur par un après-midi ensoleillé Wozzeck est chez le Docteur, qui le paye pour conduire des recherches médicales sur sa personne. S’imaginant sur le bord d’une grande découverte scientifique, le Docteur interroge Wozzeck sur son alimentation. Wozzeck essaie d’évoquer ses troubles mentaux et ses visions, mais le Docteur n’y prête aucune attention, disant que ce ne sont que des produits de son imagination qu’une alimentation correcte (faite de viande de mouton et de haricots) remettra en ordre. 3. WOZZECK, LE DOCTEUR (Sprechgesang) Science sans conscience : Wozzeck, victime de son médecin Acte 1, Sc. 4 Herr Doktor ! Alors que Wozzeck raconte au Docteur les visions et les émotions qu’il a ressenties alors qu’il coupait du bois avec Andres, la musique reprend plusieurs motifs de cette scène (Acte I, Sc. 2), avec de motifs circulaires et des palindromes pour accentuer l’effet de mystère des dessins des champignons qu’à vus Wozzeck. Quand le Docteur, après une ultime confidence du patient, pose le diagnostic final d’une idée fixe irrationnelle, c’est sur une musique de valse qui commence par un motif qui sera reprise quand le Docteur posera son diagnostic à l’acte II sur le Capitaine. Le motif du diagnostic rappelle un motif joué au cor à la scène 1 et évoque la ressemblance entre les personnages du Docteur et du Capitaine. Alors que le Docteur entre quasiment en extase en s’imaginant la gloire scientifique qui l’attend, lui et ses théories, la musique se déploie en une fanfare pompeuse, faite d’un accord composé de quartes parfaites superposées (symbolisant l’éternité dont le Capitaine avait si peur à la scène 1) et qui se termine quand le Docteur reprend brusquement ses esprits et ses airs d’homme de science. WOZZECK (bleibt nahe beim Doktor stehen, vertraulich) Herr Doktor. Wenn die Sonne im Mittag steht, und es ist, als ging' die Welt in Feuer auf, hat schon eine fürchterliche Stimme zu mir geredet. DOKTOR Wozzeck, Er hat eine Aberratio ... WOZZECK (unterbricht den Doktor) Die Schwämme! Haben Sie schon die Ringe von den Schwämmen am Boden gesehn? Linienkreise… Figuren… Wer das lesen könnte! DOKTOR Wozzeck, Er kommt ins Narrenhaus. Er hat

WOZZECK (reste debout à côté du Docteur, en confidence) Docteur, quand le soleil est tout en haut du ciel à midi, et qu’on dirait que le monde entier va s'embraser, une voix effrayante me parle. LE DOCTEUR Wozzeck, vous souffrez d'une Aberratio ... WOZZECK (interrompt le Docteur) Les champignons! Avez-vous déjà vu les anneaux que font les champignons par terre? Des cercles... Des figures... Si on pouvait seulement les lire! LE DOCTEUR Wozzeck, vous allez finir à l'asile. Vous avez une

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eine schöne fixe Idee, eine köstliche Aberratio mentalis partialis, zweite Spezies! Sehr schön ausgebildet! Wozzeck, Er kriegt noch mehr Zulage! Tut Er noch Alles wie sonst?: Rasiert seinen Hauptmann? Fängt fleissig Molche? Isst seine Bohnen? WOZZECK Immer ordentlich, Herr Doktor; denn das Menagegeld kriegt das Weib: Darum tu' ich's ja! DOKTOR Er ist ein intressanter Fall, halt' Er sich nur brav! Wozzeck, Er kriegt noch einen Groschen mehr Zulage. Was muss Er aber tun? Was muss Er tun? Was? WOZZECK (ohne sich um den Doktor zu kümmern) Ach, Marie! DOKTOR Bohnen essen, dann Schöpsenfleisch essen, nicht husten, seinen Hauptmann rasieren, dazwischen die fixe Idee pflegen! (immer mehr in Ekstase geratend) Oh! meine Theorie! Oh mein Ruhm! Ich werde unsterblich! Unsterblich! Unsterblich! (in höchster Verzückung) Unsterblich! (plötzlich wieder ganz sachlich, an Wozzeck herantretend) Wozzeck, zeig' Er mir jetzt die Zunge! (Wozzeck gehorcht.)

belle idée fixe, une délicieuse Aberratio mentalis partialis, du second type! Parfaitement développée! Wozzeck, vous allez avoir une augmentation! Sinon, vous faites tout comme d'habitude? Vous rasez votre capitaine? Vous continuez à attraper des salamandres? Vous mangez vos haricots? WOZZECK Tout est en ordre, Docteur ; la femme reçoit l'argent pour son ménage, c'est bien pourquoi je fais tout ça ! LE DOCTEUR Vous êtes un cas intéressant, continuez à bien faire, mon cher Wozzeck et vous recevrez un sou de plus de compensation! Et qu'est-ce que vous devez faire? Qu'est-ce qu'il faut faire? Hein? WOZZECK (sans faire attention au Docteur) Ah, Marie! LE DOCTEUR Manger des haricots, après ça manger du mouton, ne pas tousser, raser son Capitaine, et entre-temps s'occuper de l'idée fixe ! (dans un état de plus en plus extatique) Oh, mes théories! Oh, ma gloire! Je vais être immortel! Immortel! Immortel! (avec un transport extrême) Immortel! (redevient tout d'un coup très pratique, se tournant vers Wozzeck) Wozzeck, maintenant montrez-moi votre langue (Wozzeck obéit.)

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Scène 5 La rue devant la maison de Marie au crépuscule. Marie est sur le pas de sa porte, admirant le Tambour-Major qui lui fait des avances. Elle résiste au début, pour enfin lui céder: « Fais comme tu veux, ça m’est égal » et le fait rentrer dans la maison. 4. MARIE, LE TAMBOUR-MAJOR Séduction ou viol ? Acte 1, Sc. 5 Geh’ einmal vor Dich hin L’accompagnement musical identifie le Tambour-Major par une figure qui rappelle la marche militaire de la scène 3, jouée en rondo (alternance couplets/refrain). La musique évoque également l’ambiguïté des sentiments de Marie, quant à son désir d’avoir des relations sexuelles avec le Tambour-Major. Forte et piquée tant qu’elle lui résiste, elle devient liquide et évanescente au moment où elle lui cède. Comme si de toutes manières, la plupart des femmes victimes de violences sexuelles de la part de militaires avaient un choix…

MARIE (steht bewundernd vor dem Tambourmajor) Geh’ einmal vor Dich hin . (Tambourmajor in Positur, macht einige Marschschritte) Über die Brust wie ein Stier und ein Bart wie ein Löwe. So ist Keiner! Ich bin stolz vor allen Weibern! TAMBOURMAJOR Wenn ich erst am Sonntag den grossen Federbusch hab', und die weissen Handschuh! Donnerwetter! Der Prinz sagt immer: Mensch! Er ist ein Kerl! MARIE (spöttisch) Ach was! (tritt vor ihn hin. Bewundernd) Mann! TAMBOURMAJOR Und Du bist auch ein Weibsbild! Sapperment! Wir wollen eine Zucht von Tambourmajors anlegen. Was?! (er umfasst sie) MARIE Lass mich! (will sich losreissen. Sie ringen miteinander) TAMBOURMAJOR Wildes Tier! MARIE (reisst sich los) Rühr mich nicht an! TAMBOURMAJOR (richtet sich in ganzer Grösse auf und tritt

MARIE (debout devant le Tambour-Major, admirative) Fais donc quelques pas en avant ! (Le Tambour-Major rectifie la position, fait quelques pas cadencés) Il a une poitrine de taureau et une barbe de lion. Il n’y en a pas un comme lui. Je suis la plus fière des femmes ! LE TAMBOUR-MAJOR Et il faut voir le dimanche quand j’ai le grand plumet et les gants blancs ! Tonnerre de Dieu ! Le prince dit toujours : « Diantre ! Quel gaillard ! » MARIE (moqueuse) Vraiment ! (Elle s’approche de lui. Admirative) Dis-donc ! LE TAMBOUR-MAJOR Et toi aussi, t’es un beau morceau de femme ! Sacrebleu ! On va établir un élevage de tambours-majors, ou quoi ?! (Il l’enlace.) MARIE Laisse-moi ! (Elle essaie de se dégager. Ils luttent l’un avec l’autre.) LE TAMBOUR-MAJOR Petite sauvageonne ! MARIE (se dégage) Ne me touche pas ! LE TAMBOUR-MAJOR (Il se dresse de toute sa hauteur et vient se planter devant

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nahe an Marie heran; eindringlich) Sieht Dir der Teufel aus den Augen?! (er umfasst sie wieder, diesmal mit fast drohender Entschlossenheit) MARIE Meinetwegen, es ist Alles eins! (sie stürzt in seine Arme und verschwindet mit ihm in der offenen Haustür)

Marie ; pressant.) Tu as le diable dans l’œil, toi ! (Il l’enlace à nouveau, cette fois avec une résolution presque menaçante) MARIE Bon d’accord, après tout qu’est-ce que ça change ? (Elle lui tombe dans les bras et disparaît avec lui par la porte ouverte.)

ACTE II Scène 1 La chambre de Marie au soleil du matin. Marie admire les boucles d’oreille que le Tambour Major lui a données. Quand Wozzeck survient, elle essaie d’abord de les cacher, pour ensuite prétendre qu’elle les a trouvées dans la rue. Wozzeck est sceptique: « Je n’ai jamais rien trouvé de ce genre… et en plus les deux d’un coup ! ». Il donne son solde et l’argent reçu du Docteur à Marie et s’en va. Marie, honteuse, se dit que tout est en train de partir au diable: l’homme, la femme et l’enfant. Scène 2 Une rue de la ville en journée. Le Capitaine et le Docteur se croisent dans la rue et tiennent des propos morbides sur la maladie et la mort. Wozzeck passe à côté d’eux et ils le raillent au sujet de l’infidélité de Marie. Choqué, le soldat leur demande de ne pas se moquer de la seule chose au monde qui est vraiment à lui et s’éloigne en courant. 5. WOZZECK, LE DOCTEUR, LE CAPITAINE Railleries et brimades: Wozzeck n’en peut plus Acte II, Sc. 2 Was der Kerl für ein Gesicht macht! Après s’être moqués sans arrêt l’un de l’autre, le Docteur et le Capitaine retournent leurs moqueries sur Wozzeck. À l’orchestre et aux voix, une fugue à trois sujets commence, avec le motif du Capitaine comme premier sujet, le motif du Docteur comme deuxième et un nouveau motif, dérivé de la coda de la sonate de la scène précédente, représentant Wozzeck. Les railleries fusent jusqu’à ce que Wozzeck explose en Sprechstimme sur « Gott im Himmel! ».

HAUPTMANN Was der Kerl für ein Gesicht macht! Nun! Wenn auch nicht grad in der Suppe, aber wenn Er sich eilt und um die Ecke läuft, so kann Er vielleicht noch auf einem Paar Lippen eins finden! Ein Haar nämlich! Übrigens, ein Paar Lippen! Oh, ich habe auch einmal die Liebe gefühlt! - Aber, Kerl, Er ist ja kreideweiss! WOZZECK

LE CAPITAINE Il en fait une mine, le gars ! Bon, mettons qu’il n’y en avait pas dans la soupe, mais si vous vous dépêchez de tourner le coin de la rue, vous pourrez peut-être encore en trouver un sur une paire de lèvres ! Un poil de barbe, je veux dire. D’ailleurs, une paire de lèvres… Oh, moi aussi j’ai été amoureux autrefois ! Mais, mon vieux, vous êtes blanc comme la craie ! WOZZECK

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Herr Hauptmann, ich bin ein armer Teufel! Hab' sonst nichts auf dieser Welt! Herr Hauptmann, wenn Sie Spass machen ... HAUPTMANN (auffahrend) Spass? Ich? Dass Dich der … WOZZECK Herr Hauptmann, die Erd' ist Manchem höllenheiss ... HAUPTMANN Spass, Kerl? will Er sich erschiessen? WOZZECK ... die Hölle ist kalt dagegen. DOKTOR Den Puls, Wozzeck! (ergreift Wozzecks Puls) Klein ... hart . . . arhythmisch. HAUPTMANN Er sticht mich ja mit seinen Augen! WOZZECK Herr Hauptmann ... (entreisst seine Hand dem Doktor) HAUPTMANN Ich mein's gut mit Ihm, weil Er ein guter Mensch ist ... WOZZECK (vor sich hin, aber mit Steigerung) Es ist viel möglich ... DOKTOR (betrachtet Wozzeck prüfend) Gesichtsmuskeln starr, gespannt, Augen stier. HAUPTMANN (gerührt) ... Wozzeck, ein guter Mensch ... WOZZECK Der Mensch ... es ist viel möglich ... Gott im Himmel! Man könnte Lust bekommen, sich aufzuhängen! Dann wüsste man, woran man ist! (stürzt, ohne zu grüssen, davon)

Mon Capitaine, je suis un pauvre diable ! Je n’ai rien d’autre au monde ! Mon Capitaine, vous plaisantez ? LE CAPITAINE (explosant) Plaisanter ? Moi ? Que le diable t’emp.. WOZZECK Mon Capitaine, la terre est un enfer pour certains… LE CAPITAINE Vous plaisantez, mon vieux ? Vous voulez vous brûler la cervelle ? WOZZECK … l’enfer est froid à côté. LE DOCTEUR Le pouls, Wozzeck ! (Il lui prend le pouls.) Court… Dur… Arythmique… LE CAPITAINE Mais il me poignarde des yeux ! WOZZECK Mon Capitaine… (Il ôte brusquement sa main de celle du Docteur.) LE CAPITAINE Je vous veux du bien car vous êtes un honnête homme… WOZZECK (à lui-même mais en haussant le ton) Il peut arriver beaucoup de choses… LE DOCTEUR (examinant attentivement Wozzeck) Muscles faciaux rigides, tendus, yeux fixes. LE CAPITAINE (ému) … Wozzeck, un honnête homme… WOZZECK L’être humain… Il peut lui arriver beaucoup de choses… Dieu du Ciel ! C’est à avoir envie de se pendre ! On saurait alors à quoi s’en tenir ! (Il s’enfuit sans les saluer)

Scène 3 La rue devant chez Marie. Une journée couverte. Wozzeck fait part de ses soupçons à Marie et essaie de la forcer à reconnaître sa liaison avec le Tambour-Major. Il essaie de la frapper mais elle lui réplique brutalement qu’elle préfèrerait avoir un couteau planté dans la corps plutôt que sa main sur elle.

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6. MARIE, WOZZECK (Vertiges à l’orchestre) Le passé de Marie et le présent de Wozzeck : violence et abus sexuels Acte 2, Sc. 3 Du bist hirnwütig, Franz La scène est accompagnée par un orchestre de chambre (la partition se réduit à sept pupitres) que Berg, à ce moment central de l’opéra, compose exactement comme l’orchestre utilisé par Schoenberg pour sa Symphonie de chambre no. 1 (1906), en hommage à son maître. L’orchestre complet ne joue que sporadiquement. Bien que Marie fasse semblant de na pas comprendre les accusations de Wozzeck, l’accompagnement musical est presque entièrement fait d’extraits de l’acte I, sc. 5 (scène de la séduction) et de la marche militaire de l’acte 1, sc. 3, qui indiquent qu’elle sait très bien de quoi il parle. Lorsqu’il essaie de la frapper, la musique est la même que lorsque Marie a essayé de résister au Tambour-Major. Et lorsque Marie parle du couteau qu’il faudra lui planter dans le cœur, la musique dessine littéralement une « pointe de couteau » dans la partition (deux séries d’accords jouées ensemble, l’une décroissante, l’autre montante, se rejoignant à la fin). C’est le motif du meurtre qui reparaîtra plus tard dans l’œuvre.

MARIE Du bist hirnwütig, Franz, ich fürcht' mich ... WOZZECK Du bist schön wie die Sünde. Aber kann die Todsünde so schön sein, Marie? (zeigt plötzlich auf eine Stelle vor der Tür, auffahrend) Da! Hat er da gestanden, (in Positur) so, so? MARIE Ich kann den Leuten die Gasse nicht verbieten. WOZZECK Teufel! Hat er da gestanden? MARIE Dieweil der Tag lang und die Weit alt ist, können viele Menschen an einem Platze stehn, einer nach dem andern. WOZZECK Ich hab ihn gesehn! MARIE Man kann viel sehn, wenn man zwei Augen hat und wenn man nicht blind ist und wenn die Sonne scheint. WOZZECK (der sich immer weniger beherrschen kann, ausbrechend) Du bei ihm! MARIE Und wenn auch! WOZZECK (geht auf sie los, schreien)

MARIE Tu es fou furieux, Franz, j’ai peur! WOZZECK Tu es belle comme le péché. Mais le péché mortel peut-il être si beau, Marie ? (il désigne soudain un endroit devant la porte. Éclatant.) Là ! Est-ce qu’il était là ? (prenant une attitude) comme ça, comme ça ? MARIE Je ne peux pas interdire la rue aux gens. WOZZECK Enfer ! Est-ce que c’est là qu’il était ? MARIE Aussi vrai que le jour est long et que le monde est vieux, beaucoup de gens peuvent se trouver à un endroit, l’un après l’autre. WOZZECK Je l’ai vu ! MARIE On peut voir beaucoup de choses quand on a deux yeux, qu’on n’est pas aveugle et que le soleil brille. WOZZECK (qui peut de moins en moins se contenir, explosant) Toi avec lui ! MARIE Et alors ? WOZZECK (fonce sur elle en criant)

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Mensch! MARIE Rühr' mich nicht an! (Wozzeck lässt langsam die erhobene Hand sinken) Lieber ein Messer in den Leib, als eine Hand auf mich. Mein Vater hat's nicht gewagt, wie ich zehn Jahr alt war ... (ins Haus ab) WOZZECK (sieht ihr starr nach) Lieber ein Messer´ ... (scheu flüsternd) Der Mensch ist ein Abgrund, es schwindelt Einem, wenn man hinunterschaut (im Abgehen) mich schwindelt ...

Salope ! MARIE Ne me touche pas ! (Wozzeck laisse retomber lentement sa main levée) Plutôt un couteau dans le corps qu’une main sur moi. Mon père n’a pas osé lorsque j’avais dix ans… (Elle rentre dans la maison.) WOZZECK (la suit fixement des yeux) « Plutôt un couteau… » (chuchotant craintivement) L’être humain est un abîme, la tête vous tourne quand on regarde dedans. (en s’en allant) La tête me tourne…

Scène 4 Le jardin d’une taverne, tard le soir. Deux apprentis, complètement ivres, font les pitres pour les clients du jardin d’une taverne. Wozzeck survient et voit Marie et le Tambour-Major enlacés sur la piste de danse. Un fou s’approche de Wozzeck et lui dit qu’il sent une odeur de sang ce qui provoque chez Wozzeck une vision de gens qui dansent la valse, couverts de sang. 7. CHOEUR HOMMES, ANDRES Musique moderne et musique populaire (chanson folk, guitare, Ländler) Acte 2, Sc. 4 Ein Jäger aus der Pfalz Nous sommes dans ce que les Viennois appellent un Heuriger, une auberge à la campagne ou en banlieue, parfois dans la grange d’une ferme où l’on va boire et danser. Pour souligner cette atmosphère pittoresque, Berg va employer une guitare et mettre une mélodie de danse folklorique à trois temps dans la bouche d’Andres (c’est un Ländler). Le chœur d’hommes va entonner une chanson de chasse qui serait tout à fait joyeuse et entraînante, si on ne pressentait pas déjà que Wozzeck va bientôt se mettre lui-même en chasse. BURSCHEN, SOLDATEN Ein Jäger aus der Pfalz Ritt einst durch einen grünen Wald! Halli, Hallo, Halli, Hallo! Ja lustig ist die Jägerei, Allhie auf grüner Haid! Halli, Hallo! Halli, Hallo! ANDRES (die Gitarre ergreifend, spielt sich als Dirigent des Chores auf und gibt ein Ritardando, so dass er in den verklingenden Akkord des Chores einsetzen kann, leiernd)

APPRENTIS, SOLDATS Un chasseur du Palatinat Un jour allait à cheval dans une verte forêt ! Halli, Hallo, Halli, Hallo! Ah, qu’on s’amuse à la chasse, Ici sur la lande verte ! Halli, Hallo, Halli, Hallo! ANDRES (Saisissant la guitare, il se pose en chef du chœur et fait un ritardando, de sorte qu’il peut incorporer, dans l’accord qui s’éteint, d’un ton monocorde)

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O Tochter, liebe Tochter, Was hast Du gedenkt, Dass Du Dich an die Kutscher Und die Fuhrknecht hast gehängt? Hallo! BURSCHEN, SOLDATEN Ja lustig ist die Jägerei, Allhie auf grüner Haid! Halli, Hallo! Halli, Hallo! ANDRES Hallo!

Ô ma fille, ma chère fille, Qu’as-tu pensé En te pendant au cou des cochers Et des charretiers ? Hallo ! APPRENTIS, SOLDATS Ah, qu’on s’amuse à la chasse, Ici sur la lande verte ! Halli, Hallo, Halli, Hallo! ANDRES Hallo!

Scène 5 Le dortoir des soldats à la caserne, la nuit. Ce soir-là, à la caserne, Wozzeck est réveillé par le cauchemar terrible de ce qui s’est passé en soirée à la taverne. Il entend des voix qui lui parlent dans le mur et il a une vision d’un couteau étincelant. Il essaie de prier Dieu pour se calmer quand le Tambour-Major rentre à la caserne, ivre, et se vante bruyamment d’avoir couché avec Marie. Wozzeck se jette sur lui et ils se battent. Wozzeck est mis à terre par le Tambour-Major. ACTE III Scène 1 La chambre de Marie, la nuit à la chandelle. Seule avec son enfant, Marie lit la Bible. D’abord, le passage de l’évangile sur Jésus qui pardonne la femme adultère. L’enfant se réveille et elle lui raconte un conte de fées pour le rendormir. Elle reprend sa lecture avec l’histoire de Marie-Madeleine et implore la miséricorde divine. 8. MARIE Une prière sans espoir et un conte funeste Acte 3, Sc. 1 Und ist kein Betrug in seine Munde Berg utilise la forme ancienne de l’invention sur un thème, chère à J.S. Bach, pour structurer l’accompagnement de cette scène. Lorsque Marie raconte son histoire pas bien joyeuse à l’enfant, l’emploi de la Sprechstimme traduit son angoisse croissante. MARIE Und ist kein Betrug in seinem Munde erfunden worden ... Herr-Gott ! Herr-Gott! Sieh' mich nicht an! (blättert weiter) Aber die Pharisäer brachten ein Weib zu ihm, so im Ehebruch lebte. Jesus aber sprach: "So verdamme ich dich auch nicht, geh' hin, und sündige hinfort nicht mehr." Herr-Gott!

MARIE « Et sa bouche ignorait la tromperie… » Seigneur Dieu ! Seigneur Dieu ! Ne me regarde pas ! (Elle continue de feuilleter) « Alors les Pharisiens lui amenèrent une femme surprise en adultère. Mais Jésus lui dit : « Moi non plus je ne te condamne pas. Va et désormais ne pèche plus. » Seigneur Dieu !

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(schlägt die Hände vors Gesicht. Das Kind drängt sich an Marie.) Der Bub' gibt mir einen Stich in's Herz. Fort! (stösst das Kind von sich) Das brüst' sich in der Sonne! (plötzlich milder) Nein, komm, komm her! (zieht das Kind an sich) Komm zu mir! Es war einmal ein armes Kind und hatt' keinen Vater und keine Mutter ... war Alles tot und war Niemand auf der Welt, und es hat gehungert und geweint Tag und Nacht. Und weil es Niemand mehr hatt' auf der Welt ...

(Elle se couvre le visage des mains. L’enfant vient se presser contre Marie.) Le petit me perce le cœur ! Va-t’en ! (Elle repousse l’enfant.) Ça se pavane au soleil ! (soudainement plus douce) Non viens, viens ici ! (tirant l’enfant à elle) Viens vers moi ! Il était une fois un pauvre enfant qui n’avait ni père ni mère… Tout était mort et il n’y avait personne au monde, et il avait faim et il pleurait jour et nuit. Et comme il n’y avait plus personne au monde…

Scène 2 Un chemin dans la forêt, près d’un étang, au crépuscule. Marie et Wozzeck se promènent ensemble dans la forêt au bord d’un petit étang. Marie est pressée de rentrer en ville, mais Wozzeck l’oblige à s’asseoir un moment avec lui. Il l’embrasse et lui fait des remarques ironiques sur son infidélité. Quand elle cherche à lui échapper, il tire un couteau et il la tue. 9. WOZZECK Un dernier chant d’amour Acte 3, Sc. 2 Fürchst Dich, Marie ? Toute cette scène est construite sur une note, le Si bécarre (la même qui conclut de l’acte I, sc. 3) qui est annoncée au début de la scène par un arpège glacial sur la harpe et le célesta. Au moment où Wozzeck sort son couteau, un long crescendo commence, avec le Si bécarre en pédale repris par un roulement de timbales. WOZZECK Fürchst Dich, Marie? Und bist doch fromm? (lacht) Und gut! Und treu! (zieht sich wieder auf den Sitz; neigt sich, wieder ernst, zu Marie) Was Du für süsse Lippen hast, Marie! (küsst sie) Den Himmel gäb' ich drum und die Seligkeit, wenn ich Dich noch oft so küssen dürft! Aber ich darf nicht! Was zitterst? MARIE Der Nachttau fällt. WOZZECK (flüstert vor sich hin) Wer kalt ist, den friert nicht mehr! Dich wird beim Morgentau nicht frieren.

WOZZECK Tu as peur, Marie? Tu es pieuse pourtant? (Il rit.) Et bonne ! Et fidèle ! (Il la fait se rasseoir, il se penche vers elle, à nouveau sérieux) Quelles douces lèvres tu as, Marie ! (Il l’embrasse) Je donnerais le paradis et tout le bonheur céleste pour pouvoir encore souvent l’embrasser comme ça ! Mais je ne peux pas ! Qu’as-tu à trembler ? MARIE La rosée du soir tombe. WOZZECK (chuchotant pour lui-même) Celui qui est froid, n’a plus froid ! Tu n’aras plus froid à la rosée du matin.

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MARIE Was sagst Du da? WOZZECK Nix.

MARIE Que dis-tu là ? WOZZECK Rien

Scène 3 Une taverne aux plafonds bas et mal éclairée, la nuit. Wozzeck est en train de s’enivrer dans une taverne, pour oublier ce qui vient de se passer. Il danse un moment avec Margret, la voisine de Marie et lui demande de chanter. Son chant le perturbe et il lui met la main sur le bras pour l’arrêter. Elle voit le sang sur sa main et lui en demande la raison. Il essaie de lui faire croire qu’il s’est blessé lui-même par accident mais, tout comme il n’a pas cru aux prétextes de Marie, elle refuse de le croire et attire l’attention des autres clients de la taverne. Wozzeck s’enfuit, dans un accès de panique. Scène 4 Le chemin de la forêt, près de l’étang. Revenu sur les lieux du crime, Wozzeck cherche le couteau et le lance dans l’étang. Tout à coup, il s’imagine que la lumière de la lune va trahir son crime car le couteau est tombé trop près de la berge. Se croyant couvert de sang, il avance dans l’eau à la recherche du couteau et pour se laver, mais il perd pied et se noie, alors que le Docteur et le Capitaine passent par là et s’empressent de quitter les lieux, pour ne pas se mêler d’une affaire sordide qui ne les regarde pas. Scène 5 Devant la maison de Marie, le matin. Le soleil brille. Les enfants du quartier jouent ensemble dans la rue. Le petit garçon de Marie et Wozzeck est avec eux. Un enfant annonce qu’on a trouvé le corps de Marie et ils partent tous pour le voir. Le fils de Wozzeck et Marie reste seul un instant, puis part rejoindre ses amis en chantonnant. Fin

!