Les internes seront ils bientôt inscrits à l’ordre

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14 N° 05 - Mars 2010 Déontologie Les internes seront-ils bientôt inscrits à l’Ordre ? Depuis plusieurs années, les structures représentatives des jeunes médecins, des internes et des étudiants en médecine travaillent en partenariat avec le Conseil National de l’Ordre des Médecins pour réfléchir aux aspects déontologiques liés à notre formation et à l’exercice futur de notre profession. C es travaux, souvent très riches, donnent lieu chaque année à l’édition d’un rapport officiel validé par la session plénière du Conseil National. Cette année, j’ai eu l’honneur de présenter ce rapport au nom de l’ISNIH et le Président de l’Ordre National, le Dr. Michel Legmann, a pris le ferme engagement de suivre un certain nombre des préconisations que nous y avançons. C’est ainsi que nous devrions connaitre prochainement une modification du Code de Déontologie médicale (et donc du code de la santé publique qui le contient), et que nous nous verrons certainement bientôt proposer une adhésion symbolique à l’Ordre à titre probatoire comme c’est déjà le cas au Canada par exemple. L’intérêt de ces mesures sera important pour nous au quotidien puisqu’elles vont permettre une protection renforcée lors de notre exercice quotidien, une clarification de nos autorisations d’exercer la médecine « sous la responsabilité » d’un tiers et surtout, une possibilité de recourir à l’Ordre pour régler les problèmes qu’il nous arrive de rencontrer avec nos « seniors » en cas de manquement déontologique de leur part à notre endroit (refus de formation, pressions, harcèlement, chantage, non respect de notre statut,…). Vous pouvez lire plus en détail ci-dessous les conclu- sions de ce rapport relatif à ce que nous avons choisi d’appeler « la déontologie du compagnonnage » Conclusions Session CNOM jeunes médecins 2008-2009 « […] Je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours, je partagerai avec lui mon avoir et, le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins ; je tiendrai ses enfants pour des frères, et s’ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je ferai part des préceptes, des leçons orales et du reste de l’enseignement à mes fils, à ceux de mon maître et aux disciples liés par engagement et un serment suivant la loi médicale, mais à nul autre […] » Serment d’Hippocrate, IVème siècle avant JC, traducon par E. Liré Malgré les siècles nous séparant de cette version originelle du serment d’Hippocrate, les préceptes qui y sont énoncés sont plus que jamais d’actualité aux yeux des jeunes médecins. En effet, les étudiants et internes en médecine d’aujourd’hui sont très attachés à cette notion de « compagnonnage » dans l’apprentissage de l’Art Médical. L’excellence de la formation médicale française s’explique en partie par cette logique d’accompagnement qui est mise en œuvre au cours de nos études, par cette formation professionnalisante, à nulle autre comparable, réalisée directement au lit du malade. Revue AVM 05.indd 14 24/02/2010 16:00:22

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14 N° 05 - Mars 2010

Déontologie

Les internesseront-ils bientôt

inscrits à l’Ordre ?Depuis plusieurs années, les structures

représentatives des jeunes médecins, des internes et des

étudiants en médecine travaillent en partenariat avec le

Conseil National de l’Ordre des Médecins pour réfléchir

aux aspects déontologiques liés à notre formation et à

l’exercice futur de notre profession.

C es travaux, souvent très riches, donnent lieu

chaque année à l’édition d’un rapport officiel

validé par la session plénière du Conseil National.

Cette année, j’ai eu l’honneur de présenter ce rapport

au nom de l’ISNIH et le Président de l’Ordre National,

le Dr. Michel Legmann, a pris le ferme engagement de

suivre un certain nombre des préconisations que nous

y avançons.

C’est ainsi que nous devrions connaitre prochainement

une modification du Code de Déontologie médicale

(et donc du code de la santé publique qui le contient),

et que nous nous verrons certainement bientôt proposer

une adhésion symbolique à l’Ordre à titre probatoire

comme c’est déjà le cas au Canada par exemple.

L’intérêt de ces mesures sera important pour nous au

quotidien puisqu’elles vont permettre une protection

renforcée lors de notre exercice quotidien, une

clarification de nos autorisations d’exercer la médecine

« sous la responsabilité » d’un tiers et surtout, une

possibilité de recourir à l’Ordre pour régler les

problèmes qu’il nous arrive de rencontrer avec nos

« seniors » en cas de manquement déontologique

de leur part à notre endroit (refus de formation,

pressions, harcèlement, chantage, non respect de notre

statut,…).

Vous pouvez lire plus en détail ci-dessous les conclu-

sions de ce rapport relatif à ce que nous avons choisi

d’appeler « la déontologie du compagnonnage »

Conclusions

Session CNOM jeunes médecins

2008-2009

« […] Je mettrai mon maître de médecine au même rang que les auteurs de mes jours, je partagerai avec lui mon avoir et, le cas échéant, je pourvoirai à ses besoins ; je tiendrai ses enfants pour des frères, et s’ils désirent apprendre la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je ferai part des préceptes, des leçons orales et du reste de l’enseignement à mes fils, à ceux de mon maître et aux disciples liés par engagement et un serment suivant la loi médicale, mais à nul autre […] »

Serment d’Hippocrate, IVème siècle avant JC, traduc�on par E. Li�ré

Malgré les siècles nous séparant de cette version originelle du serment d’Hippocrate, les préceptes qui y sont

énoncés sont plus que jamais d’actualité aux yeux des jeunes médecins.

En effet, les étudiants et internes en médecine d’aujourd’hui sont très attachés à cette notion de « compagnonnage »

dans l’apprentissage de l’Art Médical.

L’excellence de la formation médicale française s’explique en partie par cette logique d’accompagnement qui est

mise en œuvre au cours de nos études, par cette formation professionnalisante, à nulle autre comparable, réalisée

directement au lit du malade.

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Déontologie

Pourtant, depuis quelques années, les jeunes médecins

ne peuvent que déplorer un recul de cette démarche de

compagnonnage.

Plusieurs causes à ce fléchissement peuvent être

évoquées au premier rang desquelles l’inadéquation

numérique entre formateurs et formés au regard de

l’augmentation récente du nombre d’étudiants en

médecine. Pour cette première cause, peu de

remèdes peuvent être suggérés sinon de conseiller à

nos dirigeants la prudence et le discernement lors de

l’établissement des numerus clausus.

Le manque de terrains de stage pour les plus jeunes

d’entre nous est également générateur de difficultés

avec des services hospitaliers qui accueillent parfois

plus d’une dizaine d’externes simultanément, situation

regrettable et délétère et surtout peu propice au déve-

loppement d’un réel compagnonnage (sans parler du

problème évident posé pour l’intimité des malades).

Le même problème est rencontré par les internes de

certaines régions françaises (celles considérées comme

médicalement « sous dotées ») dans lesquelles on les a

affectés en trop grand nombre sans évaluation préala-

ble des capacités de formation et d’encadrement. C’est

dans ce cadre que les internes ont demandé et obtenu

récemment un rééquilibrage dans les lieux d’affectation

et la possibilité de faire des stages en milieu libéral.

Enfin, une certaine individualisation des comportements

est à déplorer depuis quelques années et les jeunes se

heurtent de plus en plus souvent au refus de certains

praticiens de prendre une part active dans cette

transmission des savoirs au prétexte que cela ne re-

lève pas de leur statut, au prétexte qu’ils ne sont pas

« universitaires ». S’il est logique que cette mission

d’enseignement incombe en premier lieu à ceux qui

en ont reçu mission de par leur statut, il nous semble

important aujourd’hui que le CNOM rappelle à tous les

médecins, libéraux comme salariés, universitaires ou

non, qu’il s’agit là d’un vrai devoir incombant à tout

médecin.

A cet effet, la commission a réfléchi à plusieurs

moyens :

Le plus important à nos yeux passe par une proposition

de modification du code de déontologie médicale

pour y réintégrer explicitement la notion de « devoir

de compagnonnage » qui a malheureusement disparu

de la rédaction actuelle du serment d’Hippocrate et

ne figure plus dans le code.

Dans le titre I du Code de déontologie sur les

devoirs généraux des médecins, nous proposons

ainsi de rajouter un article prévoyant pour tout

médecin, qu’il soit universitaire ou non, un devoir de

formation de ses pairs et en particulier de ses jeunes

confrères. Nous pourrions suggérer la rédaction

d’un nouvel article qui préciserait par exemple:

“Dans la juste et sincère mesure de sa disponibilité, un médecin a le devoir moral de former à l’intégralité de son art les étudiants ou internes en médecine et les confrères qui le sollicitent”

Pour une bonne pratique de la part de l’ensemble des

formateurs, il convient de fixer un cadre à cet article

avec quelques règles simples concernant la transmis-

sion des connaissances. Ce cadre pourrait prendre la

forme d’une « charte du médecin formateur » que nous

pourrions rédiger ainsi :

CHARTE DU MEDECIN-FORMATEUR

1) Quel que soit mon mode d’exercice, quelle que soit ma spécialité, que je sois ou non universitaire, parce que je suis médecin, je suis aussi formateur.

2) En tant que médecin, j’accueillerai ainsi avec bienveillance les demandes de formation de mes pairs ou de mes futurs confrères.

3) Conformément aux préceptes édictés par le serment d’Hippocrate, j’ai le devoir de transmettre à ceux qui m’en feront la demande l’intégralité de mon savoir dans la juste et sincère mesure de ma disponibilité.

4) Je m’engage à m’inscrire tout au long de ma carrière dans une dynamique de compagnonnage indispensable à l’apprentissage de l’art médical tant en formation initiale qu’en formation continue.

5) Quel que soit leur statut, je considèrerai toujours avec respect et bienveillance ceux qui seront mes élèves.

6) Je ferai preuve à leur égard de considération, d’équité et de dévouement et m’assurerai du respect de leur statut et de leur condition.

7) Je définirai à l’avance avec eux des objectifs clairs de formation et accepterai le principe d’être évalué.

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Déontologie

Si les médecins formateurs se doivent de se plier à ces

quelques recommandations comme à un devoir, et si le

droit à la formation des futurs médecins apparaît comme

incontestable, il n’en demeure pas moins que ces futurs

médecins ont aussi des devoirs et des obligations.

En l’état actuel des choses, le statut particulier des

internes, médecins sans être encore docteurs, qui

exercent la médecine « sous la responsabilité d’un

praticien responsable », ne les assujettit pas, sur le

papier, aux devoirs et obligations de confraternité

prévues par le Code de Déontologie.

En particulier, rien dans le code de déontologie ne

précise les rapports qu’ils doivent entretenir avec les

médecins séniors, rien n’est précisé non plus concernant

les règles déontologiques de cet exercice médical de la

part d’un médecin étant en situation de subordination.

Pourtant, à l’instar de ce qu’on peut parfois tristement

déplorer dans les rapports entre médecins seniors, les

rapports internes/seniors ne sont pas épargnés par des

situations conflictuelles toujours préjudiciables tant aux

patients qu’à l’image et à l’honneur de la profession.

La difficulté de l’apprentissage de la médecine, la

pression et les rythmes de travail imposés à tous

par l’hôpital, la compétition parfois malsaine pour

obtenir des gratifications universitaires sont autant

d’ingrédients à un mélange pouvant être détonnant et

les représentants des jeunes médecins connaissent mal-

heureusement tous dans leur ville des services hospita-

liers où la problématique n’est pas le respect du devoir

de compagnonnage mais le simple respect des droits

fondamentaux des individus !

Le code de déontologie précise pourtant de manière très

extensive dans son titre III non seulement les rapports

que doivent entretenir les médecins entre eux (article

56)1, mais aussi ceux qu’ils doivent entretenir avec les

1 Article 56 (article R.4127-56 du code de la santé publique) : « Les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité. Un médecin qui a un différend avec un confrère doit rechercher une conciliation, au besoin par l'inter-médiaire du conseil départemental de l'ordre. Les médecins se doivent assistance dans l'adversité. »

autres professions médicales (article 68)2. Il serait peut-

être souhaitable de préciser aussi ce que doivent être

leurs rapports avec les internes en médecine qui, même

s’ils sont encore en formation, n’en demeurent pas

moins de réels praticiens de l’art médical au quotidien.

A cet effet, deux possibilités ont pu être envisagées par

notre groupe :

1- Un alinéa pourrait être ajouté à la suite de l’article 56

du code de déontologie pour le compléter en impliquant

les internes. Une rédaction de ce type pourrait être

proposée :

« Les devoirs et obligations prévus entre confrères dans le présent code sont également opposables entre médecins et internes en médecine. »

De ce fait, les premiers seraient tenus au respect des

seconds, dans la limite de leur savoir, en faisant preuve

à leur égard de considération, d’équité, de dévouement

et en s’assurant du respect de leur statut. Les seconds

seraient réciproquement tenus au respect et à la

considération des premiers et au respect des missions

qui leur sont par eux raisonnablement confiées.

2- Une deuxième alternative, plus simple bien que

plus novatrice, serait d’intégrer tout simplement les

internes en médecine à l’Ordre des Médecins selon des

modalités à définir. L’ensemble des droits et des devoirs

des médecins incomberaient dès lors très logiquement

à tous ceux qui pratiquent effectivement la médecine

qu’ils soient diplômés ou non.

Philippe CATHALA

Président de l’Union des Internes du Languedoc-Roussillon

Secrétaire Général de l’ISNIH

Chargé des

rela�ons avec le

Conseil

Na�onal de

l’Ordre des

Médecins

2Article 68 (article R.4127-68 du code de la santé publique) : « Dans l'intérêt des malades, les médecins doivent entretenir de bons rapports avec les membres des professions de santé. Ils doivent respecter l'indépendance professionnelle de ceux-ci et le libre choix du patient. »

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