Les hôpitaux ruraux souffrent de la T2A

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C’est sa semaine. Pas encore celle de son retour en politique. Mais celle de ses premiers pas de conférencier inter- national. Nicolas Sarkozy est attendu ce jeudi 11 octobre, à New York, par les prestigieux clients d’une banque d’in- vestissement brésilienne, « employeur » de l’ancien Prési- dent français. Une prestation payée plus de 100 000 euros, dit-on. Ses premiers mots resteront privés puisque cette conférence se déroule à huis clos. Nicolas Sarkozy, qui rêve de devenir l’égal de Tony Blair, l’ex-Premier ministre britan- nique devenu l’un des conférenciers les plus prestigieux, a promis de discourir en anglais. Un challenge pour l’ancien Président français qui a travaillé sa maîtrise de la langue de Shakespeare tout l’été. À Paris, il ne donne pas encore de conférence. Ni d’interview aux médias qui spéculent sur son retour en politique. Mais son nom s’étale à la une des magazines avec cette lancinante question : va-t-il revenir ? Trois sondages en moins d’une semaine alimentent la chronique de son match retour face à François Hollande en 2017. Des sondages qui marquent une remontée de sa cote. Même si la « sarkonostalgie » est plus forte chez les chroniqueurs que chez les Français. 55 % d’entre eux ne le regretteraient pas selon une enquête CSA-RTL. Enfin, la chronique du retour est entretenue par les confidences de ses visiteurs, anciens ministres et ex-collaborateurs qui distillent impressions et petites phrases de leur ancien champion. La palme revient à Bruno Le Maire. Formel, l’an- cien ministre de l’Agriculture rapporte que Nicolas Sarkozy lui aurait confié qu’il n’aura pas « d’autre choix en 2017 que de revenir ». Cinq mois après sa défaite, le plus jeune retraité de France, qui a passé son été à se refaire une santé, sait bien que tous ceux qui ont tenté avant lui de revenir après une défaite ont tous échoué. Revenir fut le rêve de Valéry Giscard d’Estaing. Battu par François Mitterrand en 1981, l’homme de Chanonat a longtemps rêvé de revanche avant de devoir se contenter de remords. Les circonstances étaient certes différentes. La droite était divisée et Jacques Chirac était le héros gaulliste. Mais Giscard a cru à un premier retour en 1988 avant qu’il ne doive s’incliner devant la popularité de son ancien Premier ministre Raymond Barre. Une situation qu’on pourrait revivre en 2016 lors de la pri- maire de l’UMP. Pour être désigné, Sarkozy sait qu’il devra devancer Fillon, l’homme politique préféré des Français. Pour réussir son retour, Nicolas Sarkozy doit donc se faire désirer. D’abord en poursuivant sa cure de silence média- tique. Ensuite, en laissant faire son successeur. Pour l’instant, François Hollande découvre les affres du pouvoir par temps de crise et s’enfonce dans la spirale de l’impopularité. En attendant de savoir si sa gouvernance sera payante, l’ancien député de la Corrèze est persuadé qu’il retrouvera sur sa route en 2017… Nicolas Sarkozy. Gérant-Directeur de la publication : Bruno Pelletier Rédacteur en chef : Joël Genard www.lhemicycle.com NUMÉRO 452 — MERCREDI 10 OCTOBRE 2012 — 2,15 ¤ CHARLY TRIBALLEAU/AFP PAUL J. RICHARDS/AFP THOMAS SAMSON/AFP Le système de financement des hôpitaux, basé sur la tarification à l’activité, pénalise plus durement les petites structures. Une réforme de la « T2A » s’impose pour enrayer le dérapage incontrôlé de leurs finances. PATRICK BERNARD/AFP THOMAS SAMSON/AFP Christine Boutin P. 3 Noël Mamère P. 2 L a tarification à l’activité, encore appelée « T2A », contribue à la dérive des finances des établisse- ments publics de santé. Elle favorise la concurrence entre hôpitaux et fragilise ainsi les plus petits, notamment en milieu rural. Les effets pervers actuels de la T2A, qui « touchent de plein fouet » ces établissements, ont déjà été soulignés dans un rapport récent du Sénat. Il y est indiqué que ces hôpitaux, « situés dans des bassins de population vieillissante et en diminution, ne peuvent pas aug- menter leur volume d’actes. Surtout, ils développent principalement une activité médicale, avec peu ou pas d’acte chirur- gical ou obstétrical », alors que la T2A favorise les actes techniques plus que le temps médical ou soignant. Le Sénat prône donc une suspension du passage à la tarification à l’activité, qui risquerait de fragiliser à terme les hôpitaux ruraux. Nombre d’élus locaux se sont élevés ces dernières années contre la fermeture des petits hôpitaux, dont plusieurs mater- nités : la Mission d’évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale (MECSS) du Sénat avait été la première à pré- coniser la suspension du passage à la tarification à l’activité des hôpitaux ruraux, prévue pour le 1 er janvier 2013. Il y a donc urgence à revoir ce mode de financement qui consiste à payer les établissements de santé selon leur acti- vité. Il faut – comme l’ont dit les deux rapporteurs Jacky Le Menn (PS) et Alain Milon (UMP) – non seulement que la T2A soit limitée à certaines activités médicales dans l’ensemble des établisse- ments de santé, mais qu’elle soit aussi a minima reportée ou réformée. >Lire le dossier de Tatiana Kalouguine en p. 6 et 7 Sarkozy, de l’art de revenir Les hôpitaux ruraux, premières victimes de la tarification à l’acte Et aussi Au sommaire Aux Quatre Colonnes : Mauvaise séquence pour le PS avec le traité européen par Pascale Tournier >p. 4 Reprendre la main… par Gérard Leclerc >p. 4 Économie : Impôts : l’overdose par Axel de Tarlé >p. 5 À distance : La guerre contre Aqmi, mode d’emploi par François Clemenceau >p. 10 Delevoye, entre le verbe gaullien et la chaleur chiraquienne DR Édito Bruno Jeudy Pour conserver la Maison-Blanche, les équipes de Barack Obama misent sur des outils informatiques ultra-sophistiqués capables de modéliser le comportement électoral de chaque Américain. >par Guillaume Debré en p. 12 L’ancien Médiateur, qui fut aussi ministre de Jacques Chirac, continue de déplorer la perte du sens collectif. Ce fasciné des mots et des convictions regrette le « choc des ambitions ». Il s’est construit une perception de l’homme avec une vision rousseauiste. >Lire l’Admiroir d’Éric Fottorino en p. 15 Obama 2.0 : du «Yes we can » au microciblage électoral États-Unis

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L'Hémicycle, octobre 2012

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Page 1: Les hôpitaux ruraux souffrent de la T2A

C’est sa semaine. Pas encore celle deson retour en politique. Mais celle deses premiers pas de conférencier inter-national. Nicolas Sarkozy est attenduce jeudi 11 octobre, à New York, par lesprestigieux clients d’une banque d’in-

vestissement brésilienne, « employeur » de l’ancien Prési-dent français. Une prestation payée plus de 100 000 euros,dit-on. Ses premiers mots resteront privés puisque cetteconférence se déroule à huis clos. Nicolas Sarkozy, qui rêvede devenir l’égal de Tony Blair, l’ex-Premier ministre britan-nique devenu l’un des conférenciers les plus prestigieux, a promis de discourir en anglais. Un challenge pour l’ancienPrésident français qui a travaillé sa maîtrise de la languede Shakespeare tout l’été. À Paris, il ne donne pas encorede conférence. Ni d’interview aux médias qui spéculent surson retour en politique. Mais son nom s’étale à la une desmagazines avec cette lancinante question : va-t-il revenir ?Trois sondages en moins d’une semaine alimentent lachronique de son match retour face à François Hollande en 2017. Des sondages qui marquent une remontée de sacote. Même si la « sarkonostalgie » est plus forte chez leschroniqueurs que chez les Français. 55 % d’entre eux nele regretteraient pas selon une enquête CSA-RTL. Enfin, lachronique du retour est entretenue par les confidencesde ses visiteurs, anciens ministres et ex-collaborateurs quidistillent impressions et petites phrases de leur ancienchampion. La palme revient à Bruno Le Maire. Formel, l’an-cien ministre de l’Agriculture rapporte que Nicolas Sarkozylui aurait confié qu’il n’aura pas « d’autre choix en 2017 quede revenir ». Cinq mois après sa défaite, le plus jeune retraitéde France, qui a passé son été à se refaire une santé, saitbien que tous ceux qui ont tenté avant lui de revenir aprèsune défaite ont tous échoué. Revenir fut le rêve de ValéryGiscard d’Estaing. Battu par François Mitterrand en 1981,l’homme de Chanonat a longtemps rêvé de revanche avantde devoir se contenter de remords. Les circonstances étaientcertes différentes. La droite était divisée et Jacques Chiracétait le héros gaulliste. Mais Giscard a cru à un premierretour en 1988 avant qu’il ne doive s’incliner devant lapo pularité de son ancien Premier ministre Raymond Barre.Une situation qu’on pourrait revivre en 2016 lors de la pri-maire de l’UMP. Pour être désigné, Sarkozy sait qu’il devradevancer Fillon, l’homme politique préféré des Français.Pour réussir son retour, Nicolas Sarkozy doit donc se fairedésirer. D’abord en poursuivant sa cure de silence média-tique. Ensuite, en laissant faire son successeur. Pour l’instant,François Hollande découvre les affres du pouvoir par tempsde crise et s’enfonce dans la spirale de l’impopularité.En attendant de savoir si sa gouvernance sera payante,l’ancien député de la Corrèze est persuadé qu’ilretrouvera sur sa route en 2017… Nicolas Sarkozy.

Gérant-Directeur de la publication : Bruno Pelletier Rédacteur en chef : Joël Genard

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Le système de financement des hôpitaux, basé sur la tarificationà l’activité, pénalise plus durement les petites structures.Une réforme de la « T2A » s’impose pour enrayer le dérapageincontrôlé de leurs finances.

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ChristineBoutin

P. 3

NoëlMamère

P. 2

La tarification à l’activité, encore

appelée « T2A », contribue à la

dérive des finances des établisse-

ments publics de santé. Elle favorise la

concurrence entre hôpitaux et fragilise

ainsi les plus petits, notamment en

milieu rural. Les effets pervers actuels de

la T2A, qui « touchent de plein fouet »

ces établissements, ont déjà été soulignés

dans un rapport récent du Sénat. Il y est

indiqué que ces hôpitaux, « situés dans

des bassins de population vieillissante

et en diminution, ne peuvent pas aug-

menter leur volume d’actes. Surtout, ils

développent principalement une acti vité

médicale, avec peu ou pas d’acte chirur-

gical ou obstétrical », alors que la T2A

favorise les actes techniques plus que

le temps médical ou soignant. Le Sénat

prône donc une suspension du passage

à la tari fication à l’activité, qui risquerait

de fragi liser à terme les hôpitaux ruraux.

Nombre d’élus locaux se sont élevés ces

dernières années contre la fermeture des

petits hôpitaux, dont plusieurs mater-

nités : la Mission d’évaluation et de

contrôle de la Sécurité sociale (MECSS)

du Sénat avait été la première à pré-

coniser la suspension du passage à la

tarification à l’activité des hôpitaux

ruraux, prévue pour le 1er janvier 2013.

Il y a donc urgence à revoir ce mode

de financement qui consiste à payer les

établissements de santé selon leur acti -

vité. Il faut – comme l’ont dit les deux

rapporteurs Jacky Le Menn (PS) et Alain

Milon (UMP) – non seulement que la

T2A soit limitée à certaines activités

médicales dans l’ensemble des établisse-

ments de santé, mais qu’elle soit aussi

a minima reportée ou réformée.

>Lire le dossier de Tatiana Kalouguine en p. 6 et 7

Sarkozy, de l’artde revenir

Les hôpitaux ruraux, premières

victimes de la tarification à l’acte

Et aussi

Au sommaire • Aux Quatre Colonnes : Mauvaise séquence pour le PS avecle traité européen par Pascale Tournier>p. 4 • Reprendrela main… par Gérard Leclerc>p. 4 • Économie : Impôts :l’overdose par Axel de Tarlé >p. 5 • À distance : La guerrecontre Aqmi, mode d’emploi par François Clemenceau >p. 10

Delevoye, entre le verbe gaullienet la chaleur chiraquienne

DR

ÉditoBruno Jeudy

Pour conserver la Maison-Blanche, les équipes deBarack Obama misent sur des outils informatiquesultra-sophistiqués capables de modéliserle comportement électoral de chaque Américain.>par Guillaume Debré en p. 12

L’ancien Médiateur, qui fut aussi ministre de JacquesChirac, continue de déplorer la perte du sens collectif.Ce fasciné des mots et des convictions regrettele « choc des ambitions ». Il s’est construit uneperception de l’homme avec une vision rousseauiste.> Lire l’Admiroir d’Éric Fottorino en p. 15

Obama 2.0 : du «Yes we can »au microciblage électoral

États-Unis

Page 2: Les hôpitaux ruraux souffrent de la T2A

Il y a cinq ans, l’hôpital deProvins, situé à 90 kilomètresde Paris, aux confins de l’Île-

de-France, passait à la « T2A inté-grale ». Autrement dit, cet établis se -ment, qui se reposait jusqu’alors sur une dotation forfaitaire an -nuelle de l’assurance-maladie pourfonctionner, devrait désormaiss’attendre à recevoir des sommescouvrant uniquement le coût es -timé de son activité. Un change-ment subtil, mais pourtant radical,pour cet hôpital de campagne pasvraiment préparé à basculer dansl’autonomie.Maxime Morin, alors fraîchementnommé directeur, se souvient dubouleversement qui s’est ensuivi :« L’hôpital avait conservé des effectifs

confortables. Son niveau d’équipement

était disproportionné par rapport à

l’activité, avec notamment deux lignes

de Smur [Service mobile d’urgenceet de réanimation, ndlr]. Tout ceci

était possible à l’époque de la dotation,

mais avec la tarification à l’activité, les

ressources ont commencé à décliner. »

À partir de 2009, l’établissement sedébat avec le déficit. Le directeurs’engage alors dans une réorgani-sation en profondeur. Développeles soins ambulatoires, crée unhôpital de jour et un hôpital desemaine pour limiter les gardes,ainsi que des unités de multispé -cia lités. Fait appel à des praticienslibéraux en contrats d’activité pourlimiter les recrutements.

Des coûts fixes plus élevésdans les zones peu peupléesCritiquée de toutes parts, la tarifi-cation à l’activité a contribué à la

dérive des finances des établisse-ments publics. Le choc a été violentmalgré son application progres-sive – la T2A s’applique depuis2004 mais couvre 100 % du bud getdes établissements publics depuis2008. Huit ans après la réforme, le déficit des hôpitaux publics n’est toujours pas soldé. Il s’élevaità 488 millions d’euros en 2011 etleur endettement a doublé cesdernières années pour atteindre24 milliards d’euros à la fin 2010.Comme à Provins, les petits hôpi-taux ruraux ou les CHU isolés ontparticulièrement souffert. Pour -quoi ? À la campagne, les coûts fixes des établissements sont bien

souvent plus élevés que dans leszones très peuplées.Dans son appel au secours de maidernier, Angel Piquemal, di rec teurdu CHU de Caen, pointait l’injus-tice de la T2A : « En 2011, 9 millions

d’euros ont été dépensés et jamais

couverts par les recettes, et avec des

liquidités en moins », déclarait-ildans Ouest-France. Le déficit cumu -lé du CHU de Caen est abyssal :118 millions d’euros. Et s’aggraved’année en année. Sans marged’autofinancement et faute d’accèsau crédit bancaire, il est aujour-d’hui au bord du dépôt de bilan et en appelle à l’intervention de l’État (lire encadré).

Les CHU de Martinique, territoireisolé par définition, offrent uneautre illustration de ce décalagecoût-recettes. Dotés de plateauxtechniques de pointe qui n’ontrien à envier aux meilleurs hôpi-taux de métropole – en cardiologie,imagerie ou grands brûlés – lestrois hôpitaux martiniquais sontconsidérés comme « surdotés » euégard à la population de l’île,inférieure à 400 000 habitants.« Ces services pourtant indispensa bles

génèrent automatiquement des défi -

cits », observe Serge Larcher, prési-dent de la délégation sénatoriale à l’Outre-mer. Résultat : le déficitcumulé des trois établissementss’élève aujourd’hui à 147 millionsd’euros. « Quand la situation est

grave dans l’Hexagone, elle est dra-

matique sur nos terres éloignées. L’am-

pleur des chantiers est effrayante »,

résume le sénateur.Après les CHU et les hôpitauxruraux de taille moyenne, ce pour-rait être au tour des 350 petits hôpi-taux « locaux » ou « de proximité »,censés appliquer la T2A au 1er mars2013. « Ils seront durement frappés,

car ils pratiquent principalement la

médecine gériatrique et peu d’actes

de chirurgie ou d’obstétrique », quisont les plus rémunérateurs au sensde la T2A, souligne Jacky Le Menn,sénateur (PS) d’Ille-et-Vilaine.Jacky Le Menn et Alain Milon (Vau-cluse), corapporteurs de la Missiond’évaluation et de contrôle de laSécurité sociale (MECSS), ont étudiéde près le système de financementdes hôpitaux publics. Dans leur

rapport, intitulé Refonder la tarifica -

tion hospitalière au service du patient,

les deux sénateurs jugent qu’il esturgent de réformer en profondeurce système inéquitable.

Revenir sur le calculde la tarificationPremier chantier à ouvrir : le calculdu tarif des actes, qui est actuelle-ment le fruit d’une moyenne na -tionale. « L’étude nationale des coûts

repose sur un échantillon trop faible

et pas suffisamment représentatif

de la diversité des établissements,note Jacky Le Menn. La classifica-

tion commune des actes médicaux

(CCAM) sous-cote les actes cliniques

qui demandent plus de temps médi-

cal. » Il propose de revenir sur laCCAM en introduisant des actesfinancièrement plus adaptés autemps médical.Le cas des départements d’Outre-mer est particulier. Le tarif des actesy est déjà réévalué d’un « coeffi cientgéographique » de 26 %, censé pren-dre en compte la réalité du coût de la vie. Un taux jugé insuf fi sant.« Tout le monde convient que ce coef-

ficient est sous-évalué et qu’il devrait

être de 30 %, avance Serge Larcher.Aujourd’hui, plus on réalise d’actes,

plus on continue à perdre de l’argent. »

Le gouvernement semble d’accordsur le constat : la T2A est « injuste

et ne tient pas compte des différences

fondamentales entre établissements

de santé », a reconnu DominiqueBertinotti, la ministre déléguée aux Affaires sociales et à la Santé, le 1er octobre au Sénat. Le mi nis tère

Les hôpitaux ruraux, premièresvictimes de la tarification à l’acte

6 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 452, MERCREDI 10 OCTOBRE 2012

Dossier

Les billets de trésorerie commesolution à la crise du crédit

La crise du crédit menacedésormais les hôpitaux déjà

fragilisés. Tandis que leurs déficitsse creusent, ils ne peuvent plus se financer à court terme pourassurer leur activité. En cause, lesbanques, soumises à de nouvellesrègles « prudentielles » plus restric-tives, qui renâclent à prêter auxhôpitaux déficitaires, ou le font àdes taux insupportables.La situation est devenue critiquedepuis un an. « Si nous n’avons

pas accès au crédit nous pouvons

nous retrouver en grave difficulté

compte tenu de l’importance de notre

déficit cumulé et de notre absence de

marge d’autofinancement », avertitMaxime Morin, le directeur duCentre hospitalier du Cotentin.En mai déjà, le CHU de Caen tiraitla sonnette d’alarme.Après la déroute de Dexia, laBanque postale est appelée ausecours, mais elle n’interviendra pas avant 2013. Pour sortir del’ornière, certains demandent àl’État d’intervenir auprès des banques. Or, celles-ci réclamenten retour que les crédits des hô -pitaux soient adossés à des res -sources stables, comme les dépôts

bancaires (actuellement, les hôpi-taux ne peuvent déposer leursfonds qu’au Trésor).Pour l’heure le gouvernementavance la solution des « billets detrésorerie ». Ces coupons, garantispar l’État, pourront être émis parcertains centres hospitaliers enéchange d’argent frais. « Le gou -

ver nement travaille avec les banques

pour débloquer les fonds nécessaires »,

a assuré la ministre déléguée à laSanté, Dominique Bertinotti. Maisla mesure ne concernera, dans un premier temps, que les plusgros hôpitaux.

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Page 3: Les hôpitaux ruraux souffrent de la T2A

annonce une opération « transpa -

rence et qualité » qui associera

l’ensemble des acteurs à l’élabora -

tion des tarifs et à la répartition des

crédits. Les conditions particulières

de l’Outre-mer devraient également

être à l’étude.

La T2A préjudiciableaux pôles régionauxLe second reproche fait à la T2A

est qu’elle favorise la concurrence

entre hôpitaux : chacun cherche à

attirer les patients pour s’assurer

des recettes et couvrir ses coûts.

Or, ceci contredit l’esprit de la loi

HPST (Hôpital, patients, santé et

territoires) de juin 2009, censée en -

courager le regroupement et la col-

laboration entre établissements.

Cet « effet pervers » est particulière-

ment préjudiciable aux hôpitaux

des zones rurales, qui tentent de

survivre en créant des pôles hos-

pitaliers locaux autour d’un ou

plusieurs CHU par le biais de Com-

munautés hospitalières de terri-

toire, les CHT.

Plusieurs hôpitaux excentrés ont

ainsi pu profiter de ces commu-

nautés hospitalières depuis trois

ans. Le CHU de Pau a ainsi tissé des

liens avec tous les établissements

de santé béarnais pour assurer une

continuité des soins : « Nous avons

mis en place des postes médicaux

partagés qui permettent à un médecin,

recruté à Pau, d’effectuer une partie

de son temps dans d’autres établis -

sements », explique le directeur

Christophe Gautier.

Précurseur dans ce domaine, le

CHU de Lille développe depuis

plusieurs années un système de

partage d’activités avec les autres

établissements du Nord-Pas- de-

Calais. Sur le même principe,

Maxime Morin, nommé en sep-

tembre à la tête du Centre hospi-

talier public du Cotentin, caresse

l’idée de se rapprocher un peu

plus du CHU de Caen pour relan -

cer son activité atone. « Notre offre

de soins ne permet pas de couvrir tous

les besoins de notre bassin de popula -

tion, mais comme nous sommes enfer-

més dans un territoire en cul-de-sac,

il est difficile d’attirer les médecins »,

regrette-t-il. Un partenariat entre

le CHU de Caen et les établisse-

ments de la région permet déjà

d’en courager l’installation de pra -

ticiens formés au CHU, l’Agence

ré gionale de santé (ARS) prenant

en charge 60 % du financement

pendant deux ans. Cette pratique

pourrait être planifiée et devenir

plus systématique à partir de 2013,

espère Maxime Morin.

Cependant, la tarification à l’acte

n’a-t-elle pas tendance à décourager

le partage d’activités plutôt qu’à

l’encourager ? C’est ce que sem-

blent penser plusieurs directeurs

d’établissements qui vivent les CHT

comme une perte de recettes.

Si l’on souhaite voir se développer

les communautés de territoires et

contrer l’effet individualiste de la

T2A, il faut « remuscler » les ARS

des régions rurales en augmen-

tant leurs dotations, proposent les

rapporteurs de la MECSS. « Ce sont

les ARS qui ont la vision la plus

précise de ce qui se passe dans les

hôpitaux de proximité, note Jacky

Le Menn. Il faut un investissement

initial qui permettra de réaliser plus

d’économies en bout de course. Sans

compter le retour sur investissement

humain. »

Le 2 février dernier, le candidat

François Hollande, en visite à l’hô -

pital Robert-Debré à Paris, livrait

sa profession de foi : « L’hôpital doit

être considéré comme un service pu -

blic et non comme une entreprise. »

Huit mois plus tard, la ministre

de la Santé, Marisol Touraine, se

veut rassurante. La convergence

des ta rifs sera abrogée et la T2A,

accusée de transformer l’hôpital

en entreprise, sera « améliorée ».

Mais pour connaître le contenu

précis de son « pacte de confiance

pour l’hôpital », il faudra attendre

la fin de l’année.

Tatiana Kalouguine

En juin vous dénonciez une série de

« partis pris et contre-vérités sur la

situation financière des hôpitaux ».

Quel est ce « procès à charge »

que l’on fait à l’hôpital public ?

On lit en effet souvent que les hôpi-

taux publics sont chroniquement

déficitaires et mal gérés. L’observa -

tion des chiffres dément cette idée

reçue : la majorité des hôpitaux

sont à l’équilibre financier, et le

déficit global est de l’ordre de 1 %

de leur budget, soit un montant

bien inférieur aux autres adminis-

trations publiques. Contrairement

à ce qui est parfois avancé, d’impor-

tants efforts de rationalisation et

de mutualisation des achats ont

également été engagés.

L’objectif d’atteindre l’équilibre

financier des hôpitaux publics

en 2012 n’est pas atteint.

Comment l’expliquez-vous ?

L’objectif fixé en 2007 d’un retour

à l’équilibre financier des hôpitaux

publics en cinq ans n’a pas été

complètement tenu parce que la

progression de l’Objectif national

des dépenses d’assurance-maladie

(Ondam) votée par le Parlement

n’a cessé d’être réduite, passant de

3,5 % à 2,6 %. Les hôpitaux publics,

qui ont réalisé plus de 2,8 milliards

d’euros d’économies sur cette pé -

riode, seraient largement excé-

dentaires si les « règles du jeu »

n’avaient pas changé, en raison de

l’aggravation de la conjoncture

économique.

En outre, les avantages financiers

concédés indûment aux cliniques

privées – par un processus de conver -

gence tarifaire – ont été payés par

les hôpitaux publics, ce qui a encore

représenté 150 millions d’euros

l’an dernier. Il suffirait d’instaurer

à la place une valorisation plus

juste des missions de service public

que nous assumons pour revenir

à l’équilibre.

Vous évoquez un déficit inférieur

à 1 % du budget global des

hôpitaux. Cela vaut-il la peine

de poursuivre une rationalisation

impopulaire qui divise les acteurs

du secteur hospitalier ?

La situation économique du pays

impose des efforts partagés. Nous

souhaitons qu’ils soient effectués de

manière transparente et équitable.

La « rationalisation » doit être

conduite avec le souci de préser ver

l’égalité des Français devant les

soins, mais la rareté des ressources

en personnels qualifiés comme les

progrès de la médecine nous obli -

gent à rassembler des plateaux

techniques : la médecine de de main

ne peut pas toujours se pratiquer

avec l’offre de soins d’hier.

Comment le gouvernement

peut-il aider les établissements

qui n’arrivent plus à obtenir

de crédits bancaires ?

Il est en effet indispensable d’aider

les hôpitaux publics, comme les

collectivités locales, à trouver des

ressources financières. Nous avons

proposé au gouvernement de pou-

voir émettre des billets de tré-

sorerie, ainsi que l’instauration

d’une forme de mutualisation par

la création d’un « livret H ». Au-delà,

nous attendons beaucoup de la

future banque adossée à la Banque

postale et à la Caisse des dépôts.

Qu’attendez-vous de l’État

aujourd’hui ?

La mise en œuvre de la T2A, qui

introduisait davantage d’équité

dans les financements, a été dans

l’ensemble une grande chance

pour l’hospitalisation publique,

qui a retrouvé son dynamisme et

sa place. Mais cette réforme a sus-

cité, hélas, de nombreux effets

pervers, qui doivent être corrigés.

Quant à la loi HPST, certains de

ses aspects, comme la création

des ARS, font consensus. Seule

la gouvernance interne et surtout

la notion de service public font

encore l’objet de débats.

Nous attendons de la ministre de

la Santé qu’elle réintroduise,

confor mément aux déclarations

de François Hollande, la notion de

service public hospitalier dans la

loi, car elle correspond à une réa -

lité incontestable pour l’ensemble

des Français.

Propos recueillis par T.K.

NUMÉRO 452, MERCREDI 10 OCTOBRE 2012 L’HÉMICYCLE 7

Dossier

« La notion de servicepublic hospitalier doitêtre réintroduite dansla loi »

Gérard Vincent, délégué général de la Fédération hospitalière de France (FHF). PHOTO DR

Jacky Le Menn, corapporteur avec Alain Milon de la Missiond’évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale (MECSS). PHOTOS DR