Les habitants du Sahel face à la déforestation

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Courrier de l'environnement de l'INRA n°41, octobre 2000 91 autres repères, autres paysages Les habitants du Sahel face à la déforestation Activités quotidiennes et lutte des femme s par Fleur Enriquez-Sarano fleursaraone @ hotmail, com La sécheresse qui a touché les pays du Sahel entre 1968 et 1985 a eu des conséquences désastreuses sur la végétation et pour les populations car des pluies dépendent les récoltes, l'état des pâturages, la croissance du bétail et, donc, la survie des hommes. Le Sahel est une vaste région d'Afrique sub-saharienne au climat aride à semi-aride où les sécheresses sont récurrentes, une bordure, un rivage entre le Sahara et les pays tropicaux humides. La majeure partie des habitants du Sahel sont agriculteurs, éleveurs, ou combinent ces deux activités ; la sécheresse fait partie de leur histoire. Nous pourrions la retracer grâce aux textes arabes, les chroniques de Tombouctou qui à travers les Tarikh 1 es-Soudan, Tarikh el-Fettach et Tedzkiret en-Nisan, ont couvert les régions d'Afrique de l'Ouest du X V f au XVIII e siècles. Les écrits de voyageurs ou les rapports des administrateurs coloniaux sont aussi des outils indispensables pour comprendre les conséquences des sécheresses sur les hommes et leur environnement. Les sources provenant de la tradition orale montrent que les sécheresses appartiennent à la mémoire collective. Entre 1900 et 1903, par exemple, en raison du manque de pluie, les habitants de la boucle du Niger ont connu une période de famine. Ils l'ont appelé « Ize Necre », la vente des enfants 2 . Le dernier grand cycle de sécheresse (1968- 1985) apparaît comme l'un des plus ravageurs, parce qu'il était particulièrement long et étendu. C'est cette période de sécheresse qui a révélé le phénomène de la désertification au Sahel. La désertification est, au sens strict du terme, la transformation d'un milieu en zone désertique. Théodore Monod disait « le désert est un fait d'origine climatique, puisque le désert c'est avant tout l'aridité » 3 . Cette transformation peut se produire sous l'effet d'une longue évolution, d'un changement véritable de climat ; mais 1 Les tarikh sont des textes arabes qui se fondent sur la tradition orale et relatent l'histoire des pays concernés. 2 Boureima Alpha Gado, p. 45. 3 Théodore Monod, p. 8. elle peut aussi se produire suite à des fluctuations plus courtes et temporaires. Dans le cas du Sahel, la désertification se vit au jour le jour. C'est une dégradation des terres, un appauvrissement de la végétation, de la faune et des ressources en eau. Elle concerne les zones sub-humides sèches, semi-arides et arides et peut être irréversible. Cette notion doit être comprise à l'échelle de la vie d'un homme ; la dégradation est irréversible quand les terres sont improductives pour une génération. Un fait d'origine climatique accentué par l'homme Le manque de pluie et la hausse des températures, facteurs climatiques, sont des causes de la désertification. Les activités humaines en sont d'autres, dues en partie à l'augmentation de la population qui se répercute sur les besoins en produits agricoles et, donc, sur l'utilisation des terres. Un boom démographique s'est produit au Sahel, au cours des années 1970-1980. L'agriculture étant de type extensive, il y a eu accroissement des terres cultivées, diminution des temps de jachère et épuisement des sols. Cependant, le phénomène de surexploitation des ressources naturelles au Sahel ne date pas d'aujourd'hui. Durant près d'un siècle, les pouvoirs coloniaux ont exploité les forêts à des fins commerciales et les cultures de rente ont été imposées. Les quantités exigées ont mis à mal les terres, peu fertiles, du Sahel. La dégradation du couvert ligneux est l'une des facettes de la désertification. La cause première de la déforestation est la péjoration climatique et l'assèchement que provoque le manque de pluie. Des essences disparaissent, d'autres, comme Acacia senegal, voient leur production diminuer. La savane tend à se transformer en steppe et seules les espèces les plus résistantes, Balanites aegyptiaca par exemple, peuvent perdurer (voir encadré 1). Les hommes au Sahel sont aussi d'importants utilisateurs de bois. Le bois couvre entre 60 et 93% des

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autres repères, autres paysages

Les habitants du Sahel face à la déforestationActivités quotidiennes et lutte des femmespar Fleur Enriquez-Saranofleursaraone @ hotmail, com

La sécheresse qui a touché les pays du Sahelentre 1968 et 1985 a eu des conséquences désastreusessur la végétation et pour les populations car des pluiesdépendent les récoltes, l'état des pâturages, la croissancedu bétail et, donc, la survie des hommes. Le Sahel est unevaste région d'Afrique sub-saharienne au climat aride àsemi-aride où les sécheresses sont récurrentes, unebordure, un rivage entre le Sahara et les pays tropicauxhumides.

La majeure partie des habitants du Sahel sontagriculteurs, éleveurs, ou combinent ces deux activités ;la sécheresse fait partie de leur histoire. Nous pourrionsla retracer grâce aux textes arabes, les chroniques deTombouctou qui à travers les Tarikh1 es-Soudan, Tarikhel-Fettach et Tedzkiret en-Nisan, ont couvert les régionsd'Afrique de l'Ouest du X V f au XVIIIe siècles. Lesécrits de voyageurs ou les rapports des administrateurscoloniaux sont aussi des outils indispensables pourcomprendre les conséquences des sécheresses sur leshommes et leur environnement.

Les sources provenant de la tradition oralemontrent que les sécheresses appartiennent à la mémoirecollective. Entre 1900 et 1903, par exemple, en raison dumanque de pluie, les habitants de la boucle du Niger ontconnu une période de famine. Ils l'ont appelé « IzeNecre », la vente des enfants2.

Le dernier grand cycle de sécheresse (1968-1985) apparaît comme l'un des plus ravageurs, parcequ'il était particulièrement long et étendu. C'est cettepériode de sécheresse qui a révélé le phénomène de ladésertification au Sahel.

La désertification est, au sens strict du terme, latransformation d'un milieu en zone désertique. ThéodoreMonod disait « le désert est un fait d'origine climatique,puisque le désert c'est avant tout l'aridité »3. Cettetransformation peut se produire sous l'effet d'une longueévolution, d'un changement véritable de climat ; mais

1 Les tarikh sont des textes arabes qui se fondent sur la traditionorale et relatent l'histoire des pays concernés.2 Boureima Alpha Gado, p. 45.3 Théodore Monod, p. 8.

elle peut aussi se produire suite à des fluctuations pluscourtes et temporaires.

Dans le cas du Sahel, la désertification se vit aujour le jour. C'est une dégradation des terres, unappauvrissement de la végétation, de la faune et desressources en eau. Elle concerne les zones sub-humidessèches, semi-arides et arides et peut être irréversible.Cette notion doit être comprise à l'échelle de la vie d'unhomme ; la dégradation est irréversible quand les terressont improductives pour une génération.

Un fait d'origine climatiqueaccentué par l'homme

Le manque de pluie et la hausse destempératures, facteurs climatiques, sont des causes de ladésertification. Les activités humaines en sont d'autres,dues en partie à l'augmentation de la population qui serépercute sur les besoins en produits agricoles et, donc,sur l'utilisation des terres.

Un boom démographique s'est produit au Sahel,au cours des années 1970-1980. L'agriculture étant detype extensive, il y a eu accroissement des terrescultivées, diminution des temps de jachère et épuisementdes sols.

Cependant, le phénomène de surexploitation desressources naturelles au Sahel ne date pas d'aujourd'hui.Durant près d'un siècle, les pouvoirs coloniaux ontexploité les forêts à des fins commerciales et les culturesde rente ont été imposées. Les quantités exigées ont mis àmal les terres, peu fertiles, du Sahel.

La dégradation du couvert ligneux est l'une desfacettes de la désertification. La cause première de ladéforestation est la péjoration climatique etl'assèchement que provoque le manque de pluie. Desessences disparaissent, d'autres, comme Acacia senegal,voient leur production diminuer. La savane tend à setransformer en steppe et seules les espèces les plusrésistantes, Balanites aegyptiaca par exemple, peuventperdurer (voir encadré 1).

Les hommes au Sahel sont aussi d'importantsutilisateurs de bois. Le bois couvre entre 60 et 93% des

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besoins en énergie et n'est plus vraiment une ressourcerenouvelable. La productivité de la forêt sahélienne seraitde 0,3 à 1,3 st/ha/an alors que la consommationindividuelle en milieu urbain est de 0,6 st/an et, en milieurural, de 1,5 st/an . La forêt peut donc difficilement serégénérer.

En présentant les activités humaines quiutilisent ou ont un impact sur les arbres, nous voulonsfaire le lien entre environnement et société. Quels sontles besoins en bois des peuples du Sahel, quellesutilisations font-ils des arbres ? Quelles sont les pratiquesqui nuisent à la forêt ? Quels sont les moyens de luttecontre la déforestation et plus largement contre ladésertification ?

Un milieu contraignant

Le Sahel s'étend, d'ouest en est, du Sénégal àl'Ethiopie. Nous avons choisi de nous limiter aux payssahéliens de l'Afrique de l'Ouest : le Burkina Faso, leCap-Vert, la Gambie, la Guinée-Bissau, le Mali, laMauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad. Ces pays sesont regroupés au sein du CILSS, Comité inter-États delutte contre la sécheresse au Sahel, créé en 1973.

Les géographes déterminent trois zonesclimatiques : la zone saharo-sahélienne (100 à 200 mmde pluie annuelle), la zone sahélienne (200 à 600 mm depluie annuelle) et la zone soudano-sahélienne (600 à800 mm de pluie annuelle). Il y a une saison des pluiesau cours de l'année, entre les mois de mai et d'octobre,mais sa durée connaît de fortes variations interannuelles

1 Philippe C. Chamard, Marie-Françoise Courel, p. 17.

et interrégionales. Plus on va vers le nord, et à latitudeégale de l'ouest vers l'est, plus la saison des pluies estcourte.

Les ressources en eau sont celles fournies parles fleuves allogènes (Sénégal, Niger, Gambie et Chari),les nappes superficielles, en profondeur, mais aussi leslacs, les rivières et les oueds. Ces ressources sont limitéesdu fait de la faiblesse des pluies mais aussi d'uneévapotranspiration supérieure à la pluviométrie.

Ce sont les savanes, de type arbustive et arboréequi dominent. 114 espèces d'arbres et d'arbustes serépartissent selon les caractéristiques des sols et durégime pluviométrique. La forêt est forméeessentiellement d'arbustes épineux, comme Acacia ouZiziphus mauritiana. Des arbustes non épineux sont aussiprésents, comme Combretum micranthum ou Combretumaculeatum. Les arbres que l'on peut rencontrer sont, entreautres, des figuiers {Ficus gnaphalocarpa), destamariniers (Tamarindus indica).

La forêt a des effets bénéfiques sur le milieu,elle permet de préserver la biodiversité, d'améliorer lescapacités d'infiltration et de stockage de l'eau, de réduirele ruissellement et, donc, l'érosion hydrique. Elle permetaussi de limiter l'érosion éolienne, la perte des éléments

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nutritifs du sol, contribue à leur fertilité et limitel'ensablement. Les sols déboisés, dans les pays tropicaux,peuvent se transformer en cuirasse latérite stérile. Lesespaces déboisés qui deviennent des terres cultivablessont de mauvaises qualité, du fait de l'érosion.

Si la déforestation a des conséquences néfastessur les terres, l'eau et les animaux, elle en a aussi sur leshommes. D'abord pour l'agriculture et les pâturages,mais aussi pour tous les services rendus au quotidien parles arbres. Les groupes humains au Sahel sont multiples

et leurs rapports à l'environnement, leurs connaissanceset l'exploitation qui en est faite, le sont tout autant.Certaines activités et modes de vie qui sont liés à la forêtpeuvent néanmoins être généralisés à l'Afrique del'Ouest sahélienne.

Les hommes et la forêt

Au Sahel, les deux plus importantes activitéséconomiques sont l'agriculture et l'élevage. L'agricultureest de type itinérant (roulement des terres utilisées etmise en jachère d'environ 10 ou 15 ans), extensive etpluviale. C'est essentiellement à l'échelle familiale quese cultivent les terres ; c'est une agriculture peu ou pasmécanisée, les outils principaux étant la houe et lacharrue. Très peu de terres sont irriguées et seul dufumier est apporté. Un accroissement des récoltes vanécessiter le défrichage de nouvelles terres et donc lacoupe d'arbres. Les cultivateurs ont presque abandonné

la jachère, ce qui ne laisse pas le temps à la végétation dese reconstituer.

L'agriculture itinérante en se modifiant, pourdes raisons climatiques et socio-économiques, serait unedes causes principales de la déforestation dans le monde.

Il faut rappeler que les paysans ne coupentjamais tous les arbres d'un terrain, ils laissent ceux quiprocurent de l'ombre, des fruits ou qui ont unesignification sociale ou religieuse. Les cultivateurspratiquent aussi, dans certaines régions, le système decultures sur brûlis et de feux de brousse pour défricher.Ce système prête à controverse. Bien utilisés, les feux debrousse peuvent être un élément de stabilité pourl'écosystème et, mal utilisés, ils peuvent être néfastes.

Les éleveurs nomades n'ont pas la mêmeconception de leur environnement que des cultivateurssédentaires. Ils gèrent d'immenses parcours en sedéplaçant pour faire paître leur bétail. Après lesdifférents passages des troupeaux et des hommes, lavégétation a le temps de repousser.

Certains arbres et arbustes produisent dufourrage « aérien ». Les espèces sempervirentes(Balanites aegyptiaca) ou ayant des feuilles pendant lasaison sèche (Ziziphus mauritiana) fournissent unealimentation complémentaire essentielle pour le bétailpendant cette période où il ne pleut pas.

Les alentours des points d'eau sont des zonesfragiles en raison du piétinement des troupeaux quiviennent s'abreuver. Un pasteur qui possède un puitscontrôle et limite l'accès aux pâturages environnants. Lespolitiques d'installations de pompes démarrées dans lesannées 1950 laissaient l'accès libre et gratuit auxéleveurs. Il y a eu, autour de ces pompes, dénudation dessols à cause de la surcharge de bétail, du piétinement etdu déchaussement des arbres. L'accès à certaines pompesest, depuis, devenu payant.

La richesse des éleveurs, ce sont leurstroupeaux. Pendant les années de sécheresse, nourrir lebétail est difficile, les pâturages étant de mauvaisequalité. La nécessaire survie du bétail peut alors pousserles éleveurs à oublier les règles de gestion traditionnellesdes ressources naturelles. Les animaux, par exemple,mangent les jeunes pousses d'arbres, rarement protégéespar un système de clôtures.

Des groupes d'éleveurs sont devenus en partiesédentaires et pratiquent l'agriculture. Pour qu'unnouveau venu puisse cultiver, il va emprunter une terre àun habitant ou en défricher de nouvelles. L'habitat despeuples nomades est une maison faite de paille, ou unetente. Une sédentarisation à long terme implique aussides modifications de l'habitat et les tentes vont devenirdes maisons en adobe (d'une terre argileuse appelée« banco »). Au Tagant, en Mauritanie, pour la couverturedu toit les habitants utilisent Calotropis procera (pommede Sodome), résistant aux termites. Pour les poutresmaîtresses, la préférence est au palmier-dattier (Phoenixdactylifera) et, s'il n'est pas disponible, aux Balanites

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aegyptiaca, Acacia tortilis et Acacia radiana. Si le boisest rare, toutes les espèces pourront être utilisées5.

L'arbre fournit donc du bois, utilisé ici commebois de construction. Ce sont en général les hommes quivont chercher les gros troncs d'arbres qu'ils véhiculentsur une charrette ou un vélo. Ce sont aussi eux quipeuvent disposer des permis de coupe des Eaux et Forêts.Le bois d'œuvre peut être utilisé à titre individuel oucommercial. Les entreprises de bois de construction sontparmi les plus importants utilisateurs de bois.

Le bois sert aussi de combustible dans l'espacedomestique. Il est source de chaleur et de lumière quandil n'y a pas l'électricité, permet de faire cuire les repas oude faire chauffer de l'eau.

Il se présente sous la forme de bois de chauffeou de charbon de bois qui est surtout utilisé dans lesvilles. Ce sont les femmes, en général, qui sont chargéesde la collecte du bois et leur préférence va vers le boismort et les petits branches qu'elles transportent sur leurtête, ou à vélo si elles en ont un. La cuisson se fait sur unfoyer de type traditionnel, à trois pierres, qui nécessited'importantes quantités de bois. Le feu doit êtreconstamment maintenu par les femmes, lors de lapréparation des repas (un à deux par jour).

L'arbre a de multiples fonctions et utilisations,en dehors du bois. Il a non seulement une fonctionécologique, fourragère, énergétique, mais aussialimentaire, sociale et économique. L'arbre est utilisépour la pharmacopée locale, il fournit la gommearabique.

Les fruits sont des compléments alimentairesindispensables pour les gens pendant les « périodes desoudure »6, d'autant plus que, dans la brousse, ils sont àla portée de tous. Les arbres fournissent de l'ombre, sontdes abris contre le vent, des lieux de palabres.

La cueillette des fruits, des feuilles, desbranches est, en général, une activité féminine. Cetteactivité, qui répond à des besoins quotidiens, est aussiune activité économique source de revenus. Les femmespeuvent vendre les fruits des arbres et obtenir ainsi desressources monétaires. Lorsque le bois tend à manquer, ilfinit par devenir l'objet d'un commerce ; les femmes, oules hommes d'ailleurs, qui vont chercher du boispourront en vendre une partie sur les marchés. Lesfemmes savent aussi transformer les produits des arbres ;l'amande du karité donne ainsi du beurre, de l'huile et dusavon.

Les arbres sont aussi utilisés par les artisans,potiers, fabricants d'instruments de musique, forgeronsmais aussi les bûcherons et les charbonniers (voirencadré 2). Parmi les artisans on peut rencontrer desboisseliers, pour qui ce travail fournit un revenucomplémentaire, ou permet de vivre en milieu urbain.

5 Mireille Gravier, Sécheresse, 7(3).6 la période de soudure est l'époque entre la fin des récoltes del'année passé et l'attente des prochaines récoltes à venir.

Dans certaines zones, comme dans le nord duSahel, le bois mort permet encore de subvenir auxbesoins des populations, mais on peut constaterd'importantes auréoles de déforestation autour des villeset des villages.

Pour aller chercher du bois, en zone rurale, ilfaut parcourir des distances de plus en plus longues et la« corvée » de bois peut durer entre 4 et 12 heures.

Dans les zones arides, la collecte du bois dechauffe serait la cause principale de la déforestation.D'une part, en raison des besoins croissants d'unepopulation qui augmente et des ressources qui diminuentet, d'autre part, en raison de l'abandon de techniquestraditionnelles de coupe et de conservation des ressourcesnaturelles (choix des espèces, émondage sélectif). Lesactivités artisanales peuvent conduire à unesurexploitation pour répondre à des besoins financiers.C'est le cas, par exemple, aux environs de Kano (régionde Tombouctou, au Mali) où les doums (Hyphaenethebaica) ont disparu pour la sparterie.

L'abandon des techniques traditionnelles est liéà la raréfaction des arbres. Pour répondre aux besoins dela préparation du repas, alors qu'elles ont parcouru deskilomètres pour trouver du bois, les femmes nereviendront pas les mains vides. Il est donc possiblequ'elles coupent des arbres verts. Les femmes manquentaussi d'outils pour couper les grosses branches, elles vontdonc couper les plus jeunes pousses et le peuplement dela forêt va vieillir. Certains interdits liés aux arbres et quisont fonction de la classe sociale, de la classe d'âge, sontencore respectés et d'autres ne le sont plus. Nous avonsvu que l'arbre est fondamental dans la vie quotidiennedes hommes, et pourtant ceux-ci sont facteur dedégradation de la forêt. La raréfaction des arbres liée aumanque de pluie restreint les possibilités de choix desespèces tandis que les besoins sont sans cesse croissants.Un cercle vicieux entre diminution du potentiel ligneux,dégradation du niveau de vie et déforestation s'établitalors.

La lutte contre la déforestation et les femmes

Les femmes, parce que leurs activités sont liéesaux domaines forestiers, ont une conscience accrue deschangements qui peuvent intervenir dans la végétation.Elles savent quelles sont les espèces utiles quidisparaissent, celles qui se font rares ; elles reconnaissentleur rôle, et celui des hommes, dans le processus dedéforestation.

L'intervention des populations semble doncnécessaire pour que ce phénomène n'aille pas ens'amplifiant et les femmes sont des actrices privilégiéesde la protection de l'environnement. Elles possèdent desconnaissances étendues sur le couvert végétal et la forêt,et des techniques d'exploitation respectueuses del'équilibre des ressources naturelles. Les femmes ont desdifficultés à maintenir la viabilité de ce savoir, commenous l'avons vu, mais il devrait être exploitable dans le

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cadre d'une gestion à long terme des ressourcesnaturelles.

Dans la pratique, rien n'est aussi simple. Lesprojets de sauvegarde de l'environnement sont deplusieurs types : il y a les projets d'organisationsinternationales telles que la FAO, l'UNESCO oul'UNIFEM (Fonds des Nations unies pour la femme) ;des projets régionaux comme ceux du CILSS (Comitéinter-États de lutte contre la sécheresse au Sahel) et desprojets nationaux et locaux.

Accepter la participation des populations dansles différents programmes d'aménagement forestier n'aété que tardif. Il a fallu, d'une part, reconnaître, au niveaudes instances internationales qui financent les projets, lesimplications socio-économiques de la désertification.D'autre part, reconnaître qu'une gestion del'environnement n'est pas viable si elle ne fait pasintervenir les habitants d'un pays. Ce type d'approchen'est apparu que dans les années 1980 et lesgouvernements des pays du Sahel ont commencé àprendre position pour les femmes dans les années 1970-1980.

La prise de décision dans un ménage sahélienrevient aux hommes, mais la plus grosse charge detravail, aller chercher l'eau, le bois, préparer les repas,s'occuper des enfants, cultiver, revient aux femmes.Rares sont celles qui ont pu aller à l'école ou bénéficierde formations au même titre que les hommes.

Du fait de la désertification, on a pu constaterun exode des hommes dans les villes ou les pays côtiers.Les femmes qui deviennent chef de famille sont biensouvent parmi les personnes les plus pauvres et pourtantles plus présentes pour réhabiliter leur environnement.

Il est reconnu aujourd'hui que, sans les femmes,le développement durable au Sahel ne sera pas réalisable.Les statistiques économiques ne mettent pourtant pas envaleur leur part importante de travail. Les femmes nesemblent pas prendre part au développement socio-

économique de leur société, alors que c'est bien souventd'elles que dépend le bien-être d'une famille.

Il existe différents types de projets de luttecontre la désertification : reboisement, foyers améliorés,opérations de CES (conservation des eaux et des sols),culture de contre-saison. Les femmes sont trèsnombreuses, sinon majoritaires, à y participer. Lereboisement s'effectue sous la forme de plantationsindividuelles et collectives, d'agro-foresterie, protectionde la régénération naturelle, pépinières, vergers, mise endéfens, élagage contrôlé, réensemencement, entretien desforêts.

Les projets de reboisement ont, semble-t-il,commencé à embaucher les femmes à partir de la fin desannées 1980. C'est-à-dire qu'elles étaient formées àtravailler en équipe, à la coupe des arbres et qu'ellespouvaient en commercialiser les produits.

Les femmes se sont organisées en associations,groupements et coopératives à partir du début des années1970. Elles ont mis en place, au titre de groupement,quelques plantations collectives. Leur intérêt est depouvoir bénéficier des produits de l'arbre, ce que nepermet pas toujours la plantation individuelle qui se fait,en général, sur les terres du mari.

Il serait difficile ici de faire une liste exhaustivedes différents projets de sauvegarde de l'environnement.Les projets spécifiques aux femmes sont peu fréquents, ils'agit bien plus de projets mixtes ou d'un volet fémininau sein d'un projet plus vaste.

La promotion du statut de la femme est toujourssous-jacente. La volonté d'intégrer la femme auxprocessus de décisions, aux équipes techniques, desensibiliser la population à leurs besoins, nous paraîtréelle. Ce sont les actions concrètes qui sont beaucoupplus rares.

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Conclusion : une alternative

Un programme spécifiquement féminin est celuide la construction de foyers améliorés qui doit permettred'économiser le bois de chauffe. La première phase, quia débuté en 1979, avait pour objet de sensibiliser etformer les femmes. Il semble y avoir eu une bonneadhésion à ce type de foyer et les femmes rurales lesconstruisent elles-mêmes en terre banco. Il nous sembleque, malgré les progrès accomplis, c'est vers la recherchede sources d'énergies substituables qu'il faut se tourner.Des programmes de promotion du gaz ont été mis enplace, dans le cadre du CILSS. Il est surtout utilisé dansles villes car, dans les campagnes où il n'y a pasl'électricité, le gaz paraît trop cher aux femmes.

Le soleil est une source d'énergie disponible etgratuite toute l'année et des cuiseurs solaires existent.Les différents types de cuiseurs ont été testés par lesfemmes en Afrique du Sud, où elles ont montré qu'ellesétaient tout à fait prêtes à accepter ce mode de cuisson.Un cuiseur coûte entre 180 et 700 F (soit environ entre30 et 110 ) et l'expérience montre que les femmes sontprêtes à se mobiliser pour réunir cette somme d'argent si

leurs intérêts sont enjeu et si elles sont bien informées.Le temps gagné sur la collecte du bois ou la préparationdes repas permettrait aux femmes de s'investir dansd'autres activités, comme le commerce, la restauration dumilieu ou des activités de formation. Ce qui pourrait êtrebénéfique pour elles, mais aussi pour les membres despays sahéliens et les futures générations .

Fleur Enriquez-Sarano, étudiante en anthropologieà l'Université de Paris 8, s'est proposée de croiserle regard de sa discipline avec celui desenvironnementalistes et des sociologues, à proposd'un problème qui lui tient à cœur et à la suited'un bref séjour sur place, en Afrique de l'Ouest.La ME&S l'a accueillie en stage durant l'été 2000et le Courrier de l'environnement a ouvert sescolonnes au résultat de son travail.

Dessins de Claire Brenot :- p. 92 : « Parc à Faidherbia albida, clé de l'équilibre pastoral et écologiqueau sahel - Pays Senofo, d'après une photographie de Claude Dejaux(1RD) ;- p. 95 : Transport du bois à usage domestique récolté en brousse. Al'aube, sur la digue du lac de Sologo », d'après une photographie deChristian Lévêque (IRD).

Ressources bibliographiques et internautiques