Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

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Cahier de prospective Les générations et la transformation numérique de l'entreprise sous la direction de Carine Dartiguepeyrou Think Tank Futur Numérique

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Cahier de prospective

Les générations et la transformation numérique

de l'entreprise

sous la direction deCarine Dartiguepeyrou

Think Tank

Futur Numérique

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Les générations et la transformation numérique

de l’entreprise

Sous la direction de Carine Dartiguepeyrou

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© Fondation Télécom, Institut Mines-Télécom, mai 2013Edition : Uniqueness

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Sommaire

Préface de Francis Jutand .............................................................................................................................................. 5

Partie 1 - Synthèse des ateliers

•Démarcheetparticipantsauxateliers...................................................................................................... 9

•Leprogrammedesateliers .............................................................................................................................. 11

•Miseenperspectivedestravaux ................................................................................................................. 15

Partie 2 - Contributions des chercheurs aux ateliers

•MarieBiaFigueiredoetChantalMorley,«LagénérationYenentreprise, unelecturecritiquedumanagementintergénérationnel»................................................. 29

•AncaBobocetJean-LucMetzger,«TIC,seniorsetformesdetravail àlaretraite» ............................................................................................................................................................... 37

•CarineDartiguepeyrou,«Lesgénérationsàl’èredesréseaux:facteur d’émergencesocioculturelle» ..................................................................................................................... 45

•DominiquePasquier,«Lesnouvellesformesduconflitdesgénérations: cadragesociologique» ....................................................................................................................................... 51

Partie 3 - Expériences des entreprises partenaires

•HélèneDelahousse,OrangeFrance,«L’intergénérationnel,levier d’innovationdanslesentreprises».......................................................................................................... 59

•VirginieMauhourat,Alcatel-Lucent,«Latransformationnumérique, unequestiond’étatd’espritplusquedegénération» ............................................................ 63

•GuillaumePeter,SFR,«Numériqueetintergénérationnel:traitd’union etaccélérateurdenosvies» ......................................................................................................................... 67

•MatthieuSoulé,BNPParibas,«Managementdesjeunesgénérations: empowermentetvaleursdel’Internet» ............................................................................................. 73

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Part ie 4 - Visions prospectives des dirigeants des entreprises partenaires

•DorothéeBurkel,Google,«L’èredel’interdépendancedesgénérations» ............. 81

•FrancisHintermann,Accenture,«Lesjeunesdiplômés,unfacteur fondamentaldelaperformancedel’entreprisenumérique» ........................................... 85

•ElisabethKarako,BNPParibas,«L’intergénérationnel,unequestion devivreensemble» .............................................................................................................................................. 89

•SébastienLebreton,Alcatel-Lucent,«Desculturesinformationnelles auservicedelatransformationintergénérationnelle» .......................................................... 93

•Marie-ChristineThéron,SFR,«Quanddiversitérimeavecgénérations»............... 97

•Jean-PhilippeVanot,GroupeOrange,«L’impactdesdigital natives autravail:quandlesObélixarriventenmasseauvillage» ........................................... 101

Part ie 5 - Témoignages de dirigeants et d’experts

•MarcRaynaud,OMIG,«Dixcléspourunmanagementintergénérationnel efficace» ..................................................................................................................................................................... 107

•LaetitiaRiccietAlexandreMerza,PSA,«Lesdigital natives : uneapprochegénérationnelledel’entreprise3.0» ............................................................... 113

•AnneThévenet-Abitbol,Danone,«Octave,unprogramme intergénérationnelpouroserêtresoi» ............................................................................................ 119

•JustinZiegler,PriceMinister,«PriceMinister-Rakuten:unegénération enaction» ................................................................................................................................................................ 123

Conclusion ......................................................................................................................................................................... 129

Remerciements ............................................................................................................................................................ 131

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Préface

Penser la transformation numérique

Lenumériqueaentamé ilyaplusdesoixanteans latransformationdumonde.Lerythmes’estrégulièrementaccéléréselonlaloideMoore,impulséparlatechnologiequipoussaitetquipousseencore.Mais,depuisl’an2000,unseuilaétéfranchietcesontmaintenantlesusagesquitirentl’évolutiondumondeversunnouvelordreéconomiqueetsocial.Latransformationnumériquetouchetouslessecteursd’activité:lenouveau

secteur quaternaire constitué par la communication et les contenus asso-ciés ; le secteur tertiaire des services, qui voit se transformer sa base deproductionets’ouvrir,quasimentà l’infini, lechampdesnouveauxservicesnumériques ; le secteur secondaire, enfin, car lenumérique transforme l’organisationdelaproduction,lacommercialisation, lesrelationsclientset lefonctionnementinternedesentreprises.Faceàcemouvementdedéstabilisationsystémique,placéquiplusestsous

le feu de lamondialisation et d’une compétitionmondiale,multirégionaleintense,nousdevonsanalyser les transformations radicales, voire lesbifur-cations de notre société, dans un esprit de prospective alliant observationdeschangements, inscriptionhistoriqueetprojectionversunavenirprocheet lointain.C’est lerôleduThinkTankFuturNumérique,unthinktankderecherche

associantlesressourcesdel’InstitutMines-Télécom,delaFondationTélécomet de ses partenaires. Il se donne trois axes de travail : penser et éclairerl’évolutiondelasociétéetdel’économienumériques,analyserlesnouveauxsecteurs de business et leurs leviers de croissance, et évaluer l’impact destransformations numériques en termes de management, d’activités et decompétences.L’InstitutMines-Télécom,en relationavecd’autrespartenaires,prenden

charge letravailderechercheà longtermesur laprospectivede lasociété

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numérique, pour en assurer le recul académique. La FondationTélécom etsespartenairesfondateurspilotentlechoixdessujetsdeprospectivesurles nouveauxbusinessetsurlatransformationnumériquedumanagementdesactivitésetdescompétences,quidonnelieuàlamiseenplacedenouveauxgroupesdetravail.La dissémination du travail du Think Tank Futur Numérique s’effectue

selondifférentsmodes,lespetitsdéjeunersFuturNumérique,descolloques,les Cahiers de Prospective, celui-ci étant le troisième, des rapports issusdesgroupesdetravail,ainsique l’ouvragecollectifquivientdeparaître,La Métamorphose numérique (sous la direction de Francis Jutand, Editions Alternatives,avril2013).La transformation numérique marque véritablement la naissance d’une

étapenouvelledansl’évolutiondel’humanitépourlaproductionetl’accèsauxconnaissances,pourlacommunicationetl’organisationsociale,pourl’évolu-tioncognitiveetphilosophiquedel’êtrehumain,pourlaprisedeconsciencedudéveloppementde l’hommeetdesonenvironnement.Onditqu’ilvautmieux « penser le changement que changer le pansement », c’est l’ambi-tionduThinkTankFuturNumériquequed’ycontribuerd’unefaçonoriginaleassociantchercheurs,ingénieurs,manageurs,cadrespublicsetprivésdansunespritd’ouvertureinternationale.

Francis Jutand

Directeur scientifique de l’Institut Mines-Télécom.

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Partie 1

Synthèse des ateliers

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Démarche et participants aux ateliers

Contexte

LaFondationTélécomregroupedesentreprisesdel’universdesTélécomsquicontribuentfortementaudéveloppementdesTechnologiesdel’Informa-tion et de la Communication (TIC). Les mutations technologiques, écono-miques, écologiques et socioculturelles obligent les entreprises à s’adapterpourresterdanslacourse.Entantqu’acteursresponsablessocialement, lesentreprises ne peuvent rester indifférentes à ces mutations et cherchentaujourd’huiàenmesurerlesimpacts,voireàlesanticiper.L’enjeuestdetaillepuisqu’ils’agitderedonnerdelaplace«auvivant»,ausens,àcequ’ilyadechaleureux,voired’affectifdanslesrelationshumaines.Celapasseaussipardenouveauxmodesdemanagement.

Participants

La FondationTélécom initie le premier cycle de travaux du programme«Transformation numérique » en 2010 avec ses partenaires fondateurs :Accenture, Alcatel-Lucent, BNP Paribas, France Télécom Orange, SFR. Celaaboutità lapublicationdupremierCahier de prospective,«Transformationnumérique et nouveauxmodes demanagement », en juin 2011. En 2011,laFondationTélécomest rejointeparGoogle.Le travailcontinueen2011-2012avecleprogramme:«L’entrepriseouverte,nouveauxcontoursetmodesd’organisationàl’èrenumérique.»L’année2012-2013estconsacréeàl’étudedesgénérationsautravail.

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Le programme des ateliers

Lathématiquedesnouveauxmodesdemanagementestàprendreausenslarge.Parmanagement,nousentendonsàlafoislesquestionsdesystèmes,destructure,demanagementetdeculture.Nousnoussommescentréssurl’étudedesnouvellesexpressionsetdesnouveauximpactsdelatransforma-tionnumériqueentermeshumains.Cetteannée,nousavonscherchéàrépondreà laquestionsuivante :Les

générations sont-elles un bon décrypteur de la transformation numérique de l’entreprise ?

Atelier 1 : La génération Y au travail, une lecture critique du management intergénérationnel

• LagenèsedelanotiondegénérationYetledéveloppementdumanage-mentgénérationnel.• LagénérationYautravailetlaquestiondelareconnaissance.• Lesgrandesconclusionsd’unerecherchefinancéeparlaFondationCigref.

Atelier 2 : TIC, seniors et formes de travail à la retraite : quels liens avec la vie active ?

• QuelcontextepourlesseniorsenFrance?• Quelles sont les différentes formes d’activitésmenées par les jeunesseniorsàlaretraite(rémunérées,associatives,familiales)?• Quellesreconfigurationsidentitairesautourdelaretraite?• Quels sont les rapports auxTIC des jeunes seniors actifs retraités etquelleévolutiondelaplacedesTICdansleursactivités?

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Partie 1 – SynthèSe deS atelierS

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Atelier 3 : Les évolutions socioculturelles et démographiques à l’échelle mondiale

• Quellessontlesgrandestendancesenmatièredémographiqueàl’échellemondiale?• Quelssontlesévolutionsetlescourantssocioculturelsémergents?• Quelssontlesimpactsentermesdesystèmesdevaleurs?

Atelier 4 : Le renforcement des transmissions culturelles horizontales

• Comment les transmissions culturelles évoluent-elles du mode hiérarchiqueaumodetransversal?• Commentlesjeunesgénérationsinfluencent-ellescesnouveauxmodes?• Commentlesdifférentesgénérations(jeunes,seniors)sesituent-elleslesunesparrapportauxautres?

La démarche proposée

L’objectif de ces ateliers était de recenser les expérimentations, projets,solutions et pratiques existantes et innovantes dans le domainedumana-gement et de l’organisation du travail demanière à dégager une série de questionsclés,dessolutionspratiquesetdespointsdevueprospectifs.La démarche a fait appel à la contribution des partenaires. Chaque

correspondantdesentreprisesétaitencharged’identifierdesinitiatives intéressantesetdesolliciterdesporteursd’expériences.NousremercionslesreprésentantsdespartenairesfondateursdelaCommissionThinkTankFuturNumérique,Jean-PhilippeVanotetMichelAllovon(FranceTélécomOrange),PhilippeAxus(BNPParibas),MichelBenard(Google),Jean-LucBeylat(Alcatel-Lucent),Pierre-EmmanuelStruyvenetGuillaumePeter(SFR).

L’objectifétaitégalementdepartagerdesidéesvenantdechaqueentreprise partenaire,quisoientsourced’inspirationpourlegroupe.Laméthodeprivilé-giaittroisaxes:•ledécloisonnement:lesporteursd’expérimentationvenaientd’horizons

divers,defonctionsetd’unitésd’affairesdifférentes,parmilesquelleslesRH,lesRH2.0, l’innovation, lesrelationsécoles, lesbusiness units, la formation,etc. In fine,unecommunautédepratiqueaémergé;• l’innovation: lesexpériencesdevaientavoirfait l’objetd’unedémarche

singulièreetinnovanteauseindesentreprisespartenaires;• la prospective : au-delà du partage de pratiques, l’ambition était de

dégagerdesquestionnementsprospectifsàl’horizondedixans.

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Le programme des ateliers

Lesexpériencesontétéanalyséesàlalumièredescritèressuivants:•innovation;•facilitédemiseenœuvre;•efficacité(entermesd’impact,parexemple);•capacitéévolutive(detransformationetdemiseàjour);•fortpotentield’extensionoudepérennisation.

Nous avons fait intervenir des chercheurs endébut de séance :ChantalMorley et Marie Bia Figueiredo, Anca Boboc, Carine Dartiguepeyrou etDominiquePasquier.Nousavonsorganisélesateliersentroistemps:•untempsd’inspiration,ouvertparlaprésentationd’unchercheur;•untempsdepartage,pendantlequelchaquepartenairedelaFondationest

invitéàtémoignerd’expériencesmenéesdanssonentreprise;•untempsdequestionnement,oùl’onchercheàdéfinir lesgrandes

problématiquesquiseposerontàdixans.

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Mise en perspective des travaux

Noussommespartisdelavolontédefairelepointsurlespremiersbilansquiexistentenmatièred’étudessociologiquessurlesgénérations.Beaucoupd’étudesontétémenées,maisàdesniveauxdeprofondeurtrèsinégaux.Nousavons cherché à mieux comprendre en quoi la dimension générationnellepouvaitéclairerlatransformationnumériquedesentreprisesetquelsétaientles impacts potentiels en termes demanagement. Notre horizon de réflexionprospectiveresteàdixans.EnFrance,lesmoinsde20ansetles20-59ansvoientleurseffectifsbaisser

aubénéficedes60-74ansetdesplusde75ans.Lenombredes20-59ansdevraittomberaudessousde50%d’ici2030.Levieillissementdelapopu-lationestunphénomènemondialetlesplusde60ansdevraientreprésenter30%danslespaysdéveloppéset20%danslespaysendéveloppementd’ici2050. Même si leur poids démographique relatif tend à décroître, les jeunes

constituentunvecteurimportantdelatransformationnumérique.Maisquelleest-elleréellement?Qu’est-cequelesgénérationsXetYnouspermettent d’appréhenderdansl’universdutravail(entréedanslavieprofessionnelle,équi-libreentrevieprivéeetvieprofessionnelle,rapportautemps)?Quellelecture critiquedumanagementgénérationnelpeut-onfaire?Lesseniorsreprésententunepart importantedelapopulationactive,en

FrancecommeenEurope.Entermesdémographique,lecontinenteuropéenest le seul à vieillir. Plusieurs autresdynamiques influent sur lemarchédutravail.Toutd’abord, l’augmentationde l’espérancedeviedevrait s’accom-pagnertrèscertainementd’unallongementdeladuréedutravail(ontravail-lerapluslongtempsdansletemps,pasforcémentplusentermesd’intensité).D’autrepart,l’augmentationdelapaupérisationetdesdisparitésderevenusrendraprobablementnécessaireuneredistributiondesrichesses.Enfin,lasoli-daritégénérationnelle,quiveut,qu’enFrance,lepoidsrelatifdesretraitessoit

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Partie 1 – SynthèSe deS atelierS

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portéparlesjeunesgénérations,conduiranécessairementàunrééquilibrage mécanique des retraites. Dans ce contexte de vieillissement démographique, nous souhaitions

aborderlerapportdesseniorsaumondedutravailet,enparticulier,aux technologies de l’information et de la communication. Comment lesmodesdecommunicationsont-ilsentraind’évoluer?Enquoilesseniorsy contribuent-ils?Undesvoletsessentielsdenotretravailaétéd’analyserenquoilerapport

auxtechnologiesdel’informationetdelacommunicationpouvaitvarierselonlesgénérations.Peut-onentrevoirdesusagesetdespratiquesspécifiquesàcertainesgénérations?Peut-ondirequ’ilyadesvaleursetdescomporte-mentspropresauxgénérations?Nousnous sommeségalementposé laquestion, encore insuffisamment

abordéedansl’universdel’entreprise,des«seniors»etdel’intergénérationnel.Cesproblématiquesconstituentdefortsenjeuxpourlesgrandesentreprises,impactéesparunefortedensitédesseniors,maisaussipourlesentreprisespluspetitesetnotammentpourlesjeunesstart-upsqui,parchoixetfacilité,s’oriententversunestratégiederecrutementauseindesjeunesgénérations.D’oùnotresouhaitd’adresserégalementlaquestiondel’intergénérationnel,à savoir, l’intergénérationnel est-il souhaité et pratiqué ?Quelles sont les expériencesdanscedomaine?Lagestiondesconnaissancesarticulantlacompétencedesseniorsetdes

juniors, letutoratoulementoringsedéveloppent,maisrestentencorepeupratiqués.Lareprésentationquel’onsefaitdesseniorsvarieselonlessociétés.Onn’entretientpaslemêmerapportaveclesanciensenAllemagne,enFranceouauJapon.L’espérancedevieenRussieétantpluscourtequedanslespaysEuropéens, les seniors y sont nombreux,mais restentmoins longtemps envie.AuxEtats-Unis commedansdenombreuxpays endéveloppement, lesseniorsrestentpluslongtempsenactivité,fautederetraiteetdecouverturemédicalepublique.Danslespayscommel’IndeoulaChine,lesseniorsviventavecleursenfantsetsontprisenchargeparlafamilletandisqu’enEurope,l’indépendanceestderègle.Enfin,siladimensiongénérationnellenepeutàelleseuletoutexpliquer,

quelssontlesautresfacteurssocioculturelsetdémographiquesconcourantàlatransformationnumériquedel’entreprise?

Les tendances démographiques mondiales à 2030

Signalonstoutd’abordquel’Europeconstitueuneexceptiondanslemondepuisquec’estleseulcontinentoùlacroissancedémographiqueestamenéeàbaisser.

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Mise en perspective des travaux

Lesplusde65ansdevraientconnaîtreuneaugmentationdeplusde65%,excepté enRussieoù l’espérancede vie est plus faible. Lesplusde60ansdevraientreprésenter30%danslespaysdéveloppés,20%danslespaysendéveloppement.L’Italieest,parmilesprincipalesnations,«laplusvieille»:eneffet,presque20%delapopulationyestâgéede65ansetplus.LeJapon,laGrèceetl’Allemagnenesontpasloinderrière1.Lesmoinsde20ansetles20-59ansbaissentaubénéficedes60-74ans

etdesplusde75ans.Lenombredes20-59anstomberaaudessousde50%dès20302.Letauxd’emploides15-24ansetdes55-64ansenFranceestleplusfaibled’Europe.Pourles15-24ans,ilestsupérieurà32 %contre37,6%dansl’Unionà27et52,4%enGrande-Bretagne3.Pourles55-64ans,ilestde38,3%contre45,6%dansl’Unionà27et58%enGrande-Bretagne.Lespaysméditerranéensontleplusfortdechômagedesjeunes.L’Afriqueseralecontinuentleplusjeunepuisquelapartdelapopulation

au-dessousde15ansreprésenteraplusdecinqfoislapopulationdesEtats-Unisetde l’Europeréunie.95%delacroissancedémographiquemondialeestabsorbéeparlesrégionslesmoinsdéveloppées.AuNiger,enOuganda,auMalietenAngola,lesmoinsde15ansreprésententpresquelamoitiédelapopulation.L’Inde devrait devenir le pays où la population en âge de travailler (15-

64ans)seralaplusimportante4.LapopulationactivedelaChinedevraitsemaintenirautourde970millionsdepersonnes,maissapartdanslapopula-tiontotalechinoisebaissera.

Le contexte de la situation professionnelle des jeunes en France

Lapopulation«jeunes»estdéfiniecommelacatégoriedes15-24ans,oucommelacatégoriedes15-29ans,cequirendpeulisibleslesrésultatsdesenquêtesetpermetdifficilementdescomparaisons.Par ailleurs, la jeunesse est plurielle et ne forme pas, loin de là, un

groupe homogène. D’une part, de grandes différences existent en fonc-tion des tranches d’âge : la plupart des jeunes âgés de 15 à 24 ans sontencore dans le système éducatif, une grande partie de ceux entre 19 et24 ans est en phase de transition éducation-emploi et les 25-29 ans sontdavantage en situation d’emploi. D’autre part, la situation des jeunesau regard du chômage et de l’emploi diffère selon qu’ils sont ou non

1. World population prospects,NationsUnies.2. Alternatives économiques,horssérien°85,Insee.3. Ibidem.4.“Citizens inanInterconnectedandPolycentricWorld,GlobalTrends2030”,ESPAS report, mars 2012.

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Partie 1 – SynthèSe deS atelierS

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diplômés–etselonleniveauet lanaturedesdiplômes–,maisaussiselonleurs origines sociales ou les territoires. L’OCDE pour sa part distinguetrois groupes de jeunes : les performants, les laissés-pour-compte et les débutants enmal d’insertionqui sont diplômés,mais qui tardent à se stabiliserdansl’emploi5.Si l’onsortdu registredes statistiquesetque l’on retientuneapproche

plus sociologique, la jeunesse est en fait une phase de transition, variabledanssadurée,entreformationinitialeetinsertionsocialeetprofessionnelle,marquéeparlarecherchedel’accèsàl’autonomie.SelonlesociologueOlivierGalland6,cetteautonomiesecaractériseparunemploistable,unlogementindépendant,desrevenustirés,pourl’essentiel,del’activité,etlaconstructiond’unefamille(conjoint,enfant).Onobserveunallongementtemporeldelajeunesse–quiprovientnotammentdel’augmentationdeladuréemoyennedes études –, la difficulté de passer au « statut d’adulte » et d’accéder à l’emploietàl’autonomiefinancière,toutcommelaformationdeplusenplustardiveducouple7. Au1ertrimestre2012,letauxdechômage–ausensduBureauinternational

dutravail(BIT)–desjeunesactifsde15à24ansestde22,4%contre9,6%pour l’ensemblede lapopulationactiveenFrancemétropolitaine.L’accèsàl’emploidépendaussidelafilièreetdeladisciplinechoisies.Lesjeunesissusdespécialitésindustriellesouscientifiques,enparticulierpourdesspécialitésdébouchantsurdesmétiersdansdessecteursdepointe,s’insèrentplusaisé-mentqueceuxissusdespécialitéstertiairesoudesscienceshumaines.Atitred’exemple, lesdiplômésdesécolesd’ingénieursetdecommerce, lesjeunesissusde formations liées aubâtimentet, plus encore, ceuxdes formationsconduisant à des professions réglementées, comme le secteur de la santé,connaissentunfaibletauxdechômage.Surlestroisdernièresdécennies,lestauxdechômagedesfemmesetdes

hommesendébutdevie active se sontprogressivement rapprochés. Ils sesontmême rejoints depuis 2002, voire inversés à partir de 2007.Ainsi, en2008,lesfemmessontmoinssouventauchômagequeleshommes(respecti-vement14%et16%).Cettetendanceglobalerésulteduniveaudeformation plus élevé des jeunes femmes, favorisant leur insertion professionnelle. En2008,plusdelamoitiédesfemmesendébutdevieactivesontdiplôméesdel’enseignementsupérieur,contre37%deshommes.Parailleurs,fortementexposéauchômageetauxcontratstemporaires,un

5. Des emplois pour les jeunes,OCDE,2009.6.OlivierGalland,«Entrerdanslavieadulte:desétapestoujoursplustardivesmaisresserrées»,Economie et statistiques,n°337-338,2000.7.Jean-BaptistePrévost,«L’emploidesjeunes»,CESE,septembre2012.

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Mise en perspective des travaux

nombreimportantdejeunessetrouveensituationdeprécaritécroissante.En2008,plusde20%des18-25ansdisposaientderevenusinférieursauseuildepauvreté, contre13%pour l’ensemblede lapopulation. Entre1996et2008,leurrevenudisponiblemoyenn’aaugmentéquede7%,contre14%pourl’ensembledelapopulation(11%pourles25-34anset22%pourlesplusde55ans).Les jeunes sont ainsi fortement surreprésentés parmi les titulaires d’un

emploi temporaire (CDD, intérim, apprentissage, contrats aidés). En 2010,dans lesentreprisesdu secteurprivéou lesentreprisespubliques,5%desjeunesâgésde15à29anssontintérimaireset26%titulairesd’unCDD(ycomprisemploisaidés),contrerespectivement3%et10%pourl’ensembledesactifsoccupés.Demême,danslafonctionpublique,lesjeunessontplussouventcontractuels (contrat temporaireoucontrataidé) :pour les15-29ans,c’estlecasde40%d’entreeux,contre15%pourl’ensembledesagentsdelafonctionpublique.Il n’existe pas de schéma unique d’entrée dans la vie active, mais des

trajectoires complexes, de moins en moins linéaires. La phase d’insertion professionnellesematérialiseparunesuccessiondeplusieursétats:chômage,stages, formation,emploisprécaires, emplois stables…L’analysedes trajec-toiresd’entréedans lavieactivemontredoncune fortesegmentationdesparcoursd’insertion.Pourcertains,enmajeurepartiedesdiplômés,l’accèsàunemploistablesefaitassezrapidementaprèslasortiedusystèmeéducatif.D’autres,enrevanche,sontobligésdepasserpardesemploisplusoumoinsprécaires, parfois pour un temps assez long.D’autres, enfin, ont complète-mentétéexclusdumarchédutravailaucoursdeleurstroispremièresannéesdevieactive.Une forte proportion de jeunes est concernée par le décalage entre

formation initiale et niveaud’emploi, avec cependant une grandediversitéselonlesdiplômes.

Les jeunes générations au travail

Lorsquel’onparledegénérationsautravail,onparleplusparticulièrementdelagénérationXnéeentre1960et1970,c’est-à-direlesquarantenaires.LesYsontnésdanslesannées1980et1990etontentre18et30ans.C’estcettemêmegénérationquel’onqualifiede«digital native»carnéeavecInternet.PourlesauteursdeLa génération Y,«lacommunicationparoxystique,mobi-litéincessante, informationinstantanéesontdansl’ADNdesY»8.Onparle

8.Myrial Levain et JuliaTissier, La Génération Y par elle-même, quand les 18-30 ans réinventent leur vie,FrancoisBourinEditeur,2012.

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Partie 1 – SynthèSe deS atelierS

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aussidelagénérationGoogle,pourceuxnésen1998,etdelagénérationZ,néeàpartirde1995avecleWeb2.0.Pour les jeunesde lagénérationY,on insiste sur leur souhaitd’avoirun

plusgrandéquilibreentrevieprivéeetvieprofessionnelle.Ilssontconsidéréscommeàlafoisindividualistesetcoopératifsautravail.Ilsapportentaveceux,auseindel’entreprise,unusageprécocedunumériqueacquisàlamaison.Parcomparaison,lagénérationsuivante,lagénérationZ,seraithyperconnectée,maisplutôt«Web2.0»(social networking),avecungoûtpourleludiquequise retrouveaussiau travail. Ils seraientencoreplus«zappeurs»que leursaînés.Inventéespardessociologuesoutre-Atlantique,cestypologiesontfaitl’objetd’unegrandemarketisationetaujourd’hui,ellessontsouventcaricatu-réesparlesmédias.Ilfautdoncgardersesdistancesparrapportàelles.Habituésàsedébrouillerseuls,lesjeunesontunrapportétroitetinnéaux

TICetuneculturedel’instantanéité.Plusinstruitsetdiplômésqueleursaînésaumêmeâge, ilsprivilégient l’apprentissagepar l’action, ledéveloppementpersonneletlaquêtedesens.Rétifsauxcontraintes,maisdotésd’unespritcommunautaire,ilsjonglentaveclesréseauxsociaux,lesportablesetl’infor-matiquedemanièreintuitiveetinnée.Le nombre de personnes nées approximativement entre 1980 et 2000

représenteenviron16millionsd’individusenFrance,dont13millionspourlespersonnesnéesentre1978et1994,soit21%delapopulationfrançaise9. CommelesouligneAncaBoboc,lesdigital nativesremplacerontles30%dedépartsàlaretraited’ici2020.50%delapopulationactiveserareprésentéeparlesmoinsde40ans10. Plusde23%desjeunesdansl’Unioneuropéennesontàlarecherched’un

emploi.Lestauxontaugmentéen2012.L'EspagneetlaGrècesontparticuliè-rementtouchéesparlechômagedesmoinsde25ansetenregistrentuntauxcatastrophiquede55,9%et57%(donnéespouraoût2012)respectivement,alorsquel'Allemagnetiresonépingledujeuavec8,1%dejeunesauchômage,suiviede l'Autriche (8,5%)etdesPays-Bas (9,8%).LaFrance (25,5%), lePortugal(39,1%),l'Irlande(29,9%),l'Italie(36,5%)etlaSlovaquie(30,1%)dépassentlamoyenneeuropéenne11.EnFrance,lesYontsouventleurpremierCDIvers28ans.Cependant,comme

lenotentMyriamLevainetJuliaTissier12,certainsdéveloppentégalementune

9. Vous avez dit Génération Y,Carif,Oref,PaysdelaLaLoire,décembre2012.10.AncaBoboc, FabienneGire,AlexandreMallard,« Les jeunesde laGénérationY,vont-ilsbouleverserlemondedel’entreprise?»,présentationdu14septembre2012auThinktankFuturNumérique.11.http://www.touteleurope.eu12. La génération Y par elle-même, op.cit.

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Mise en perspective des travaux

nouvelle formedemultiactivités : on les appelle les slashers (en référence à la barre /). Ils peuvent, en effet, avoir plusieurs boulots, comme c’est lecas pour Jacques qui travaille trois jours par semaine comme webmasterpour une banque et le reste du temps comme DJ avec le statut d’auto- entrepreneur. Tous ne se retrouvent pas dans les parcours professionnels classiquesdesgrandesentreprises.LagénérationY,àladifférencedelagénérationX,estnéeaveclesoutils

numériques.100%desjeunesentre18et24ansontuntéléphonemobileet91%disposentd’aumoinsunordinateuràlamaison.Lesjeunesde18à24anssontdoncpluséquipésquelamoyennedesFrançais,maiségalementplusactifsentermesd’usage13.LesYontunefacilitéplusnaturelledanslesusages,maistousn’ontpasdescomportementsspécifiquesdanslemilieudutravail.SelonlesenquêtesetanalysesmenéesparlesauteursdeLa Génération Y

dans l’entreprise, la frontière générationnelle en entreprise n’existerait pas.Poureux,lestroisseulescaractéristiquesquel’onpeutbrosserdelagénéra-tionYsont:l’autonomie,l’importancedugroupeetl’instantanéité14.Les nombreuses études récentes montrent que la génération Y ne se

comporte pas de manière radicalement différente des autres générationslorsqu’il s’agitdemenerdesprojetsenentreprise.Onse rendcomptequeles jeunes sont souvent caricaturés, d’ailleurs demanière assez contradic-toire, comme à la fois plus individualistes et plus collaboratifs !Mais toutceladépenddeleurssystèmesdevaleurs,del’environnementetducontextedel’entreprise.Enfin,certainesdecescaractéristiquesseretrouventchezlesplus seniors (quarantenaires, quinquagénaires) car certains d’entre eux se distinguentparuneforteagilitédansl’usagedesTIC.CescaractéristiquesnesontdoncpaslemonopoledelagénérationY!Lesappréciationsvarientselonlegenre,leniveaudediplôme,leniveaude

rémunérationdesjeunes,ainsiqu’enfonctiondelaconjonctureéconomique.Iln’yadoncpasune spécificitédu rapportdes jeunesau travail,nimêmeun clivage entre générations, mais des différences d’attentes résultant de plusieursfacteurs,indépendammentduseulcritèred’âge.

Les seniors et les TIC

Les seniorsontétémoins touchéspar le chômageque lesautresactifs,mais la durée du chômage pour cette tranche d’âge est plus longue. En

13.AncaBoboc,op. cit.14.ChantalMorley,MarieBiaFigueiredo,EmmanuelBaudoin,AlineHrascinecSalierno,La génération Y dans l’entreprise, mythes et réalités,Pearson,2012.

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Partie 1 – SynthèSe deS atelierS

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2011, 44,4%des personnes âgées de 55 à 64 ans sont actives en France métropolitaine, 41,5 % le sont en occupant un emploi et 2,9 % sont au chômage15.Letauxdechômagedesseniorss’établitfin2011à6,5%,soitunniveauidentiqueàceluidelafin2010.De2005à2011,letauxd’emploidesseniorsestpasséde38à44%,serapprochantainsidel’objectifde50%fixéparl’Unioneuropéenne.Letauxd’activitédes55-59ansestde69%,prochedeceluides18-64ansquiestde70,4%.Enrevanche,letauxd’emploides60-64ansrestefaibleà19,8%,contre17%en200516.Lapopulationdesseniorsautravail,c’est-à-diredespersonnesàpartirde

55ans,secaractériseparunefortehétérogénéité.Ontrouvelecasduseniorqui resteenactivitéà tempspleinoupartiel après sondépartofficielà laretraite,endehorsdesonentreprised’origine(créationd’uneentreprisedeconseil,parexemple)ouauseinmêmedesonentreprise(sousformelibéraleousalariée).Ilexisteégalement lecasduprofessionnelquiquitte l’universdutravail

pourvivreautrechose,unengagementassociatifouunsoutienàsesenfants,voireàsespetits-enfants.Pourceuxquipartenttôtenretraitecommepourceuxqui«meurentàlatâche»,lanotiondetransitionapparaîtplusintéres-santeencequ’elleéclairelepassaged’uneactivitéàuneautresurplusieursannéesavecunepériodedemixageetderecoupementd’activités.Pourcequiestdesoutilsproposésparlestechnologiesdel’informationetdelacommu-nication, peu prennent en compte cette dimension de transition.On peutdoncs’attendreàcequeceladeviennelecas.Lesseniorsrestenttoutdemêmeunepopulationnégligéedesentreprises.

Ilsnefontpasnonplusl’engouementdesmédias,aucontrairedelagénéra-tionY.SileurdépartàlaretraiteestgénéralementanticipéparlesservicesRH,lereportdudépartàlaretraiteimpliquequ’ilsseformentetcontinuentàévoluerprofessionnellementbienau-delàde50ans.Denombreuxtémoi-gnagesdansnosateliersdeprospectivemontrentqueleurcapacitéd’adapta-tionauxnouvellestechnologiesestréelle.LesseniorssonttrèsactifssurlesréseauxetsurleWeb.Onlevoitnotammentchezlesjeunesretraitésaméri-cains ou européens. Cependant, lorsqu’il s’agit de développer de nouveauxproduitsouservicesnumériques, lesentreprisescommeGooglevontnatu-rellementchercherchezlesplusjeunesl’avant-gardedel’usagenumérique.Dans une société vieillissante comme la France, la question des seniors

dépassent largement le cadrede l’entreprise.Dansdenombreuxdomainesoùlasolidaritéestimportante(communautédesaidants,membresactifsdesassociations),lesseniorssonttrèsprésents.Tousneviventpasbienleurvie

15.www.travail-emploi.gouv.fr16.«Emploietchômagedes55-64ansen2011»,DARES,juillet2012.

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Mise en perspective des travaux

aprèsleursalariat,surtoutlorsqu’ilsontétépoussésàprendreleurretraite.A travers notre réflexion sur le numérique, nous voyons se dessiner une possibilitédelissercesrupturesenlestransformanten«tempsdevie».Lepassaged’un statut salarial àun statutd’entrepreneur social, par exemple,pourrait être facilité avec l’usage desTIC. Il y a un réel intérêt à valoriserles seniors dans des sociétés qui reposent fortement sur leur contributionéconomiqueetsociale.Lenumériqueapparaîtsous-estimédanssacapacitéàanticiperetàsuivrelesdifférentsâgesdelavie.Notreréflexionsurlesseniorsamontréàquelpointl’usagedesTICnepouvaitpasêtre,pourcesgénérationsenparticulier,laseuleréponseetquebeaucoupdechosesrestentàconstruire.

Les autres facteurs

Parmi les facteurs autres que générationnels figurent les systèmes devaleurs,quipeuventexpliquerdesdifférencesautresquecellesduesàl’âge.Lacapacitédesecentrersursespropresintérêtsouaucontraired’avoirunsensprononcépourl’altruismen’estpaslemonopoledesjeunes!Ontrouvecelaàtouslesâges.La volonté d’équilibrer sa vie professionnelle et sa vie personnelle, trait

régulièrement évoqué comme caractérisant la génération Y, est aussifréquentechezd’autrespopulationscomme lesmères,qu’ellessoientYounon.Lamaternitéestunedescausesprincipalesdudécrochagedesfemmesentermesdeparcoursprofessionnel.Onsaitàprésentquelesfemmessontéquitablementreprésentéesauxpostesdemiddle management, mais que leur nombredécroîtdemanièredrastiquedansceuxdutop management.Parmiles femmes qui réussissent lemieux à équilibrer vie professionnelle et viepersonnelle,ontrouvecellesquiontunetrèsbonneorganisationàlamaison.Certains secteurs d’activité permettent plus facilement le décalage des

heuresdetravail.Lorsqu’ilestdéveloppé,letélétravailnerépondpasunique-mentàunedimensionéconomique(baissedescoûtsimmobiliers),maisaussiàlavolontéderendreleschosesplusfacilespourlesemployés.Engénéral,labonnesolutionesttoujourspersonnaliséeetrépondàunaccordmanagé-rial.Cetypedesouplesseestrarementinstituéentantqueteldanslespoli-tiquesd’entreprise.EnFrance,lesmentalitésrestenttrèsconventionnellesparrapportàd’autrespays,commelespaysnordiques,quilaissentuneflexibilitéetuneresponsabilitébienplusgrandeàl’employé.Lacapacitéà travaillerenéquipeestdevenueunélément indispensable

dumanagement.C’estpresqu’unacquisaujourd’hui.Cequinel’estpas,c’estplutôtlatendanceàprendreduplaisirdanscequel’onfaitetsurtoutavecquionlefait.D’oùdesculturesd’entreprisetrèsdifférentesàcetitre.Certaines

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Partie 1 – SynthèSe deS atelierS

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mettent l’emphase sur la coresponsabilité et la nécessité de favoriser lecollectif,d’autressurlanécessitédedévelopperuneculturedel’innovationenfavorisantlesinitiativesindividuelles.Toutdépenddelaculturedel’entrepriseetdesnouveauxleviershumains(compétences,savoir-faire,attitudes,valeurs,etc.)qu’ellesouhaitedévelopperàunmomentdonné.Nous nous sommes demandés si des évolutions socioculturelles ne

pouvaient pas également expliquer un certain nombre de tendances etd’émergences.Parmicelles-ci,ontrouvel’importancedel’authenticitéetdelacongruence,lefaitdechercherunalignemententresondireetsesactions.Uneautrevaleurquisemblerallierungrandnombred’entreprisesestl’écouteet le dialogue, quitte à favoriser les polémiques. L’ouverture sur lemonde,laporositédudedansetdudehorsdel’entreprise,étudiéesl’annéedernièredanslecadredenotreprogrammeannuelsurl’entrepriseouverte,demeurentunetendancedefond.L’intrapreneuriat, le mentoring,laformationtransfor-mationnelle17sontautantd’actionsfavorisantl’intergénérationnel.

Les impacts en termes d’organisation et de management

Le recrutement

Selon le baromètre de l’humeur des jeunes diplômés réalisé par l’IFOP,77%desjeunesdiplômésenrecherched’emploiconsidèrentquelesrecru-teursprennenttropencompteleCVetpasassezlapersonnalitéducandidat.De plus, de nombreuses entreprises n’embauchent plus et les jeunes sontamenés,pourceuxqui lepeuvent,àdébuter leurcarrièreprofessionnelleàl’étranger.

La diversité

Les générations sont souvent considérées dans les entreprises commeparticipantà ladiversitéaumêmetitreque laparitéhomme-femme.Ellesparticipentduvivreensemble. La fracturegénérationnellen’estpasperçuecommeuneréalitéparlesentreprisesayantparticipéànostravaux.Ellerelèvelàencoreplusdumythequedelaréalitédelavieenentreprise.

Le management intergénérationnel

L’enjeu est de taille et a amené la Commission européenne à désignerl’année2012«Annéeeuropéenneduvieillissementactifetdelasolidarité

17. Comme l’aborde Danone à travers son programme interentreprise Octave, enfaisanttravaillerlesgensàunniveaudedéveloppementpersonnelcommecollectif.

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Mise en perspective des travaux

intergénérationnelle ». Les stratégies intergénérationnelles se développentcar elles constituent une démarche efficace pour mêler les différencesenmatière d’usage numérique, de rapport à l’information, d’adaptation et d’apprentissage.Ellesprennent la formedementoringplus souventquedetutorat,considérécommenefavorisantpaslaréciprocité.Lamiseenplacedebinômessedéveloppedanstouslesmétiersetfonctionneparticulièrementbiendanslesmétierstechniques.Les expériences innovantes enmatière de gestion des générations sont

déjàcellesoùladimensionintergénérationnelleestpriseencompte.EllessedéveloppentdansdesentreprisescommeAlcatel-Lucent,BNPParibas,maisaussiDanone.

Les grandes incertitudes à l’horizon de dix ans

Ladimensiongénérationnelleneprovoquepasentantquetelledegrandeincertitude. Les tendances sont établies et les entreprises doivent gérer lerallongementdudépartà laretraiteet les impactsquecelaaentermedeformationetdemotivationprofessionnelle.Laquestionmajeureconcernel’emploidesjeunesplusqueleurintégration

dansl’entreprise.Lesnouvellesgénérationsfontpreuved’unegrandecapacitéd’adaptationetleurintégrationsenouedanslerespectdesseniors.Les incertitudes relèvent d’autres facteurs, plus difficiles à appréhender,

commelesévolutionscognitivesetnotrecapacitéàêtreàlafoisdansl’accé-lération,l’instantanéitétoutenprenantletempsderéfléchiretd’anticiper.Enfin,unedesgrandesincertitudesconcerneladateàlaquellelesdigital

nativesprendrontlepouvoirdanslesorganisations.Celui-ciestgénéralementdétenu à l’heure actuelle par les X, voire par les seniors. D’ici une dizaine d’années,onpeuts’attendreàcequelagénérationYsoitplusimpliquéeentermesdeleadership.

Carine Dartiguepeyrou

Responsable du programme « Transformation numérique » du Think Tank de l’Institut Mines-Télécom et de la Fondation Télécom.

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Partie 2

Contributions des chercheurs aux ateliers

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La génération Y en entreprise, une lecture critique du management

intergénérationnelMarie Bia Figueiredo et Chantal Morley

«Capricieuse génération Y»18,«Comment bien manager les nouvelles générations»19,«Je suis de la génération Y, et alors ?»20,«Les “Y” : une généra-tion prometteuse ?»21.Figurantdepuis2013danslePetit Robert,la«généra-tionY»donnelieuàdenombreuxdiscoursdansl’espacepublic,enparticuliersursonrapportautravail,sesattentesetsescomportementsenentreprise.Derrière ces discours apparaît l’image d’unmanager parfois déconcerté etdémuni face à une génération dont les codes, les valeurs et les pratiquestranchentavecceuxde leursaînés. La solution résideraitdansunmanage-ment«intergénérationnel»quiadapteraitsespratiquesauxcaractéristiquesspécifiquesdechaquegénération.Celaexigeraitaussidelapartdel’entrepriseuneévolutiondesonenvironnementtechnologiqueetdesesmodesd’organi-sationdutravail,pourtendreverslemodèledel’entreprise2.0,supposéplusconformeauxlogiquesd’actiondesjeunes.Peut-être…Cependant,aufonde-mentdecesdécisions,ontrouvedeshypothèses troppeusouventexplici-téessurcequidifférencievraimentlagénérationYdesautresgénérations.Enoutre,lesdonnéesnesontpastoujoursmisesenperspectivedansl’environne-mentsocio-économiqueettechnologiquedanslequelontgrandicesjeunes.Leproposquisuitviseàprendredeladistanceavecles«représentations

spontanées»quientourentlagénérationYetàproposerauxmanagersuneanalyserigoureusedelajeunegénérationenentreprise,étayéeparlesrésul-tatsderecherchesrécentes22.

18.F.Boutier,01 Informatique,5juillet2012.19.C.Piédalu,Le Figaro,25juin2012.20.B.Deschodt,Libération,26juin2012.21.A.Mlanao,Les Echos, 29 mai 2012.22. Propos développés dans La Génération Y au travail, C.Morley,M. Bia Figueiredo,E.Baudoin,A.HrascinecSalierno,Pearson,2012.

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Partie 2 – Contributions des CherCheurs aux ateliers

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La « génération Y » en France

Ensociologie,letermede«générationsociale»s’appliqueàunensembled’individusappartenantàlamêmetranched’âge,quiévoluentauseind’unmêmeenvironnementgéographiqueetcultureletquiontétéconfrontésàdesréalitéséconomiquesoupolitiquesoùilsontexpérimentédesavancéestechniques, intellectuelles ou sociales dont les conséquences sont particu-lièrespoureuxdufaitdeleurâge.Si les bornes temporelles retenues pour définir la générationY ne font

pasconsensus,1975peutêtreconsidéréecommeunedatecharnièrepouraumoinstroisraisons.D’abord,cetteannéemarqueuntournanttechnolo-gique majeur (téléinformatique, Minitel, Internet, micro-processeur, ordi-nateurspersonnels,etc.)conduisantà l’entréemassivedestechnologiesdel’informationetdelacommunicationdanslavieprivée.Ensuite,1975marquel’émergencede la sociétéde la connaissance, caractériséeentre autresparuneélévationglobaleduniveaudeformation(40%desjeunesnésàpartirde1975vontobtenirundiplômedel’enseignementsupérieur)etledévelop-pementdelaformation«toutaulongdelavie».Enfin,grandirenEuropedel’Ouestàpartirdesannées1980,c’estvoirprogressivements’élargirleterri-toireoùl’onpeutcirculersansentraves.Cependant,qu’ils’agisseduniveaude formation, de l’accès aux technologies ou de lamobilité internationaleetgéographique,d’importantesdisparitésexistentselonlesmilieuxsociaux.Quandonparlede«lagénérationY»enFrance,onseréfèregénéralementaux jeunes ayant grandi dans une culture occidentale et appartenant auxclassesmoyennesousupérieures.

La « génération Y » au travail

L’examen des caractéristiques marquantes de l’environnement socio-économiqueetdesonévolutiondepuis1975inviteàpenserquelescompor-tements au travail doivent avoir changé : distance vis-à-vis de l’entreprise,affirmationdesonindividualité,exigencedereconnaissancedesescompé-tences, rêve d’une réussite rapide… En effet, 1975 représente un tournantdanslavieéconomique,notammentenFrance,etcetournantaeuunimpactdirectsur lasituationdes jeunesdans lemondedutravail. Il leurfautfaireuneffortaccrud’insertion,alorsqueleniveaud’étudesn’ajamaisétéaussiélevé,etl’instabilités’estgénéralisée.Depuislesannées1990,lesjeunessontconfrontésàuneformedenon-reconnaissancesurlemarchédutravail;defaçongénérale,lediplômen’estuneprotectioncontrelechômagequ’àpartirdebac+5.Deplus,onnoteunedévalorisationdustatutdecadre,lesécartsde salaires avec les non-cadres tendant à diminuer.Notons toutefois deux

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Marie Bia Figueiredo et Chantal Morley

particularités françaises.D’abord, les relationsde travail avec lesmanagerssontsensiblementplusdifficilesenFrancequedansd’autrespays,enraisonde la persistance de relations hiérarchiques fortes. Ensuite, lorsqu’ils sontinterrogéssurcequiestmarquantdansleuridentité,lesFrançaisseréfèrentlargementautravail.C’estpoureuxunevaleurquiarrivejusteaprèslafamille.Mais,malgrél’importancedelavaleurtravail,lavieprivéeoccupeuneplacecroissante parmi les préoccupations des cadres, notamment en raison desdoublescarrièresauseindescouples.Plusleniveaud’étudesestélevé,plusl’articulationentrevieprofessionnelleetvieprivéeestproblématique.Les générationsnées après1975ont subi deplein fouet ces évolutions.

Ont-ellespourautantdesattentesetdescomportementsdifférentsdeceuxde leursaînés?Lesconclusionsdeplusieurs recherches récentesmontrentquelesdifférencessontloind’êtreaussiprononcéesquecequel’onentenddire.UnerechercheréaliséeenBelgique23montrequedesattentesquel’onattribuehabituellementàlagénérationY(sensautravail,équilibreentrevieprivéeetvieprofessionnelle,reconnaissance,etc.),sontenréalité«transgé-nérationnelles », c’est-à-dire qu’elles sont des préoccupations communesà toutes les générations, sans différence significative quant à leur degréd’importancepourlesunesoupourlesautres.Demême,l’attachementauxformesdetravailcollectives(modeprojet,travailenéquipe,collaborationetpartage,etc.)n’estenaucunemanièrel’apanagedesplusjeunes.Visantàcomparerlesreprésentationssurl’emploietlacarrière,uneautre

étude24ainterrogétroispopulations:desétudiants,desjeunescadresrécem-mentdiplômésetunepopulationdecadresplusâgés.Lesreprésentationsdesétudiantssontdifférentes,tandisquecellesdesjeunescadresetdescadresplusâgés tendentà se rapprocher. Lechercheurconclutque« l’effetde lasocialisationestbeaucouppluspuissantquel’effetgénérationnel».Rompantavec l’idée d’une confrontation ou d’un « choc générationnel », l’auteurdéfendl’idéed’uneadaptationdesjeunesaumomentdeleurintégrationdanslemonde«professionnel».Uneenquêterécente25nousinformeenfinsurlafaçondontlesmoinsde

trenteanssontperçusdanslesentreprisesprivéesenFrance.Enrésumé,lanotiondegénérationYestmiseendouteparunemajoritédechefsd’entreprise

23.F.PichaultetM.Pleyers,«Pourenfiniravec lagénérationY…enquêtesurunereprésentationmanagériale»,XXIecongrèsdel’AGRH,2010.24.«L’imagedutravailselonlagénérationY:unecomparaisonintergénérationnelle»,Revue internationale de psychologie,39(16),2010.25.«Regardscroisésdesdirigeantsetdessalariés:lesjeunessalariés»,Observatoiresocialdel’entreprise–IPSOS/LogicaBusinessConsultingpourleCESIetenpartenariatavecLe FigaroetBFM,2012.

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Partie 2 – Contributions des CherCheurs aux ateliers

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etdesalariés,jeunesetmoinsjeunes.L’idéepourtantrépandueselonlaquellelesattentesetlesbesoinsdecettegénérationcoïncidentdifficilementaveclefonctionnementactueldesentreprisesestglobalementpeupartagéeparlespersonnes interrogées.Seuls lesdiscoursattribuantdes caractéristiquesdedésengagementdesjeunesautravailsemblentêtrerelayés,maisunique-mentparlesplusâgés,quienrevancheparaissentmoinssensiblesquelesplusjeunesàdesexpressionsdenon-reconnaissance.La forte demande de reconnaissance exprimée par la générationY est

parfoisjugéeparl’entourageprofessionnelcommeprématuréeetexacerbée.Lesjeunesdemoinsde25ansseretrouventdanslestroistypesdereconnais-sanceclassiquementreconnus:lareconnaissanceaffective,lareconnaissancejuridiqueet la reconnaissancesociale. La socialisationdes jeunesnés ilyamoinsde35ansadonnélieuàdesexpériencescommunesdereconnaissanceoudedénidereconnaissancedanschacunedecestroissphères.Dansledomaineaffectif,lesenfantsdelagénérationYenFrancesonten

généralbienlotis.Lapsychanalyseetdelapsychologiedel’enfantonttouchélegrandpublicàpartirdesannées1980etlesparentsontportéuneattentionaccrueàl’épanouissementdeleursenfants.Grâceautéléphonemobile,puisauxmédiassociaux,cettegénérationaégalementétablides liensavecdes«groupesd’amis»choisis,sousuneformenouvelle(onestprochesmêmequandonest loin)etavecune intensitéélevée (on restepresque toujoursensemble).Cesrelationsaffectivesoccupentuneplacetrèsimportanteetlesinteractions soutenues avecdes groupesdeprochesont contribuéàdéve-lopperuneplusgrandeconfianceensoidesjeunesdecettegénérationparrapportàleursaînés.Dans ledomaine juridique, lagénérationYavusedévelopper lesdroits

liés à l’égalité, au respect de tous, à la non-discrimination, notamment lesdroitsdesenfants.Enrevanche,dansledroitdutravail,quijusque-làs’appli-quaitàtouslesadultes,sontapparusdenouveauxcontratspourlesjeunesadultes,restreignantlesavantagesetlaprotection,ainsiquedesdérogationspermettantledéveloppementdestatutsprécaires.Cesdispositions,destinéesenprincipeàenrayerunchômagequilesfrappaitparticulièrement,peuventavoirétécollectivementvécuescommeundénidereconnaissancedeleursapportsàl’entreprise.Cecipeutexpliquerpourquoi,danslemondedutravail,lebesoindereconnaissancedelagénérationYestsouventperçuparl’entou-rageprofessionnelcommeparticulièrementmarqué.Silareconnaissancejuridiqueestcelled’ungroupe,lareconnaissancesociale

distingueenrevanchelesqualitésspécifiquesdesindividus.Lesjeunesadultesnésàpartirde1975ontentendudesdiscoursnouveauxsurladisparitiondumodèledecarrièrepatiemmentconstruitedans l’entreprise. Il leur faudrait

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Marie Bia Figueiredo et Chantal Morley

changernonseulementd’entreprisemaisaussidemétierplusieursfoisdansleurvieprofessionnelle.Parallèlement,lesréussitesrapidesdejeunesentre-preneurs,médiatiséesnotammentparlebiaisd’Internet,laissentàpenserquelesuccèspeutêtreobtenurapidement.Microsoft,Apple,Yahoo!,eBay,Google,Facebook,Twitter…onttoutesétéfondéespardesmoinsdetrenteans.Cesjeunes entrepreneurs sontdeshérosqui peuvent faire rêver les jeunesnésà partir de 1975.Ces nouveauxmodèles de réussite via Internet semblentbeaucoupplusouvertsquelesparcourstraditionnelsdansdesentreprisesquisontmoinsattirantes.Enoutre,laréussiten’estpasconfinéeaupérimètredel’entreprise:nonseulementonréussit,maisenplusonacquiertunecélébrité.Enfin,l’âgedesfondateursdecertainesréussitesentrepreneurialesmondialeslaissepenserqu’avec lesnouvelles technologieset Internet, lesplus jeunesontuneplaceprivilégiée.Enconclusion, lesdifférentesétudessurlerapportdelagénérationYau

travailtendentànuancerfortementlesdiscoursquiattribuentàcettegéné-rationdesattentesetdesbesoinsspécifiques,autresqueceuxliésàl’âge.Cesrésultatstendentàaffaiblirl’idéed’uneconfrontation«générationnelle»,aufondementdetouslesdéveloppementsactuelssurlemanagementintergé-nérationnel.Seuleressortl’idéed’unedemandedereconnaissanceplusforte-mentexpriméepar lagénérationY.Ellepeutsansdoutes’expliquerparunsentimentdeconfianceensoinourridèsl’enfancepardesrelationsaffectivesfortesetsoutenuparlestechnologiesdelamobilitéetlesréseauxsociaux.Lesuccèsrapidedejeunesutilisantlepotentield’Internetpourinnoveretsefaireconnaîtreapuégalementcontribueràdévelopperuneestimedesoientantqu’appartenantàungrouped’âge.Enfin,faceàunavenirincertainauseindesentreprises,uneréussiterapide,dueàsesseulescapacités,peutparaîtreplusaccessiblequ’unelonguecarrièreponctuéedejalonsquidépendentd’autrui,dontlabienveillancen’estpastoujoursassurée.

La « génération Y » et l’entreprise 2.0

Lemodèledel’entreprise2.0estunenotionassezfloue,baséesurl’idéequel’outillageduWeb2.0permettraitderepenserenprofondeurlefonction-nementdel’entreprise.Ilfavoriseraitlesprocessuscollaboratifs,sansfrontièretechniqueougéographique,àl’intérieurcommeàl’extérieurdel’organisation.Lamiseenœuvred’uneinfrastructurepermettantuneconnectivitécomplèteetunefluiditéde la circulationdes informations conduirait àdenouvellesfaçons de travailler, plus efficaces, plus coopératives, plus créatives, plus réactivesetmenantàuneproductionaccrued’innovations.Danslaréalité,ladiffusiondestechnologies2.0n’apasencoretransformé

enprofondeur lesentreprises françaises.D’aprèsuneenquête récente,bien

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Partie 2 – Contributions des CherCheurs aux ateliers

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qu’exprimantdes intentionspositives, les entreprisesn’utilisent lesmédiassociauxquedefaçonlimitée.Onobserveunretraitdesdirigeantsfaceàdestransformations organisationnelles pressenties comme importantes, maisqui peuvent échapper au contrôle. Il faut imaginer en effet des dispositifsnouveauxetdesrèglespourconcilier:1. unecollaborationgénéraliséeaveclemaintiend’unehiérarchie;2. desprocessusdeplusenplusstandardisés,avecunelatitudelaisséeà

chacunpourpersonnalisersesmodalitésetsonenvironnementdetravail;3. une incitation à s’appuyer sur un réseau ouvert à l’extérieur et des

exigences de protection liées à un environnement commercial fortementconcurrentiel.QuelssontalorslerôleetlaplacedelagénérationYdanscesévolutionset

danscesinterrogations?Lestechnologiestellesqueletéléphonemobileetlesms,lesjeuxvidéos

ou,plusrécemment,lesmédiassociaux,ontjouéunrôleimportantdanslastructurationdespratiquessocialesdelagénérationY,mêmesicelles-cisesontensuitepluslargementdiffuséesdanslasociétéfrançaise.L’usagemassifdecestechnologiesparlagénérationYasansdoutecontribuéàvoirsedéve-lopperchezelleunevéritableculturedelacommunicationpersonnelle,delacommunautéetdel’immédiateté.L’expression«digital natives»,largementreprise par les médias en opposition à l’expression « digital immigrants »qualifiantlesplusâgés,induittoutefoisuneconfusion.Enfait,s’ilssonttrèsfamiliersaveclesoutilsdontilssesontemparés,c’estprincipalementpourrépondreàdesbesoinspersonnels(sesocialiser,sedivertir,chercherdutravail,etc.).Ilnefautdoncpasattendred’eux,s’ilsn’ontpasreçuuneformationdanscesens,unecapacité spontanéeàmanipuler les logicielsclassiquementenusagedanslesentreprises.Encequiconcernelarecherched’information,uneinvestigationrigoureuseneselimitepasàduvagabondagenumérique.Uneétudemenéeen2008pourlaBritishLibrary26surdesadolescentsfaitétatdelacunes importantes qui contrastent avec la confiance et l’assurancequ’ilsaffichent en ce qui concerne leurs capacités à rechercher de l’information.Chezlesjeunesadultes,mêmesil’acculturationàlarecherched’informationsestindéniable,laqualitéetlasécuritédesrecherchesdoiventfairel’objetd’unapprentissageexplicite.Ensuite,lapropensionàêtreconnectéencontinuestévidentechezlesmembresdelagénérationY.Celalesconduitàintercalerdesfenêtresprofessionnellesoupersonnellesendehorsdestempsofficiels.Maisonpeutrappelerqu’ilsnesontpaslesseuls.Ainsiunchefdeprojet(lorsd’unfocus groupréalisél’andernier)parle-t-ild’une«démocratisation»dutravail

26.“Informationbehavioroftheresearcherofthefuture”,UCL,2008,rapportenligne:www.jisc.ac.uk/.

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Marie Bia Figueiredo et Chantal Morley

àlamaison.Parailleurs,celanesignifiepasquel’onsecomportedanslavieprofessionnellecommeonlefaitdanslavieprivée.Onobserveraitplutôtuneadaptationauxpratiquesdéjàimplantéesdansl’entreprise,parexempleencequiconcernelepartaged’informations.

En résumé,différentsexemplessuggèrentque lagénérationYnevapasimporterspontanémentunerévolution2.0dans l’entreprise.Leursattentesen la matière ne sont d’ailleurs pas si marquées. En revanche, les jeunespeuvent répondretrès favorablementà lamiseenplaced’undispositifquifaitéchoàleursociabilitédansleurvieprivée,notammentlorsquelesinte-ractionsenlignerépondentàdesliensdanslavieréelleetlesrenforcent.Uncas27peutvenir illustrercette idée.Celui-cisedérouleentre2008et2010,dansuneentreprisetexanespécialiséedanslesproduits(banque,assurances,retraites,etc.)pourlesmilitairesetleursfamilles.Problème:commentretenirles jeunes développeurs peu motivés par leur travail ? Les dirigeants ontpousséàlamiseenœuvred’unoutil2.0tournéverslesjeunesembauchés(troispremièresannées).Cetteinnovationaétéimpulséeparladirectiondel’entreprise,maisensuiteunespacedeliberté,avecdesrègles inhabituellesdanslecadred’unegrandeentreprise,apermisuneappropriationdusystèmepar les jeunes. Leur motivation première était de se constituer un réseaud’amisauseindel’entreprisepardesrencontresréellesetvirtuellesautourd’activitéspartagées.Celles-cifurentsoutenues,pourunepartied’entreelles,directementparlesdirigeants,quiontacceptéquedesactivitésdeliensocial s’insèrentdanslestempsdetravail.

Conclusion

Depuisquelquesannées,denombreuxstéréotypescirculentsurlagénéra-tionYdansl’entreprise.Notreobjectifétait,àpartird’étudesetderecherchesrigoureuses, d’essayer de rompre avec les idées reçues, notamment en cequi concerne le rapport que cette génération entretient avec le travail et,plus largement, l’entreprise,mais aussi en ce qui concerne ses attentes etson rôle dans la diffusiondumodèled’organisation2.0. Plusieurs résultatsont retenunotre attention. Parmi ceux-ci, l’idéequebeaucoupde caracté-ristiques de la générationY, notamment en termes d’attentes, de besoinset de comportements dans l’entreprise, sont en réalité « universelles » etpartagées par toutes les générations. Lorsqu’elles apparaissent commespécifiques, les mettre en perspective dans le contexte socio-économico-

27.D.Leidner,“AssimilatinggenerationYnewhiresintoUSAA’sworkforce:theroleofanenterprise2.0system”,MISQ Executive,9(4),2010.

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Partie 2 – Contributions des CherCheurs aux ateliers

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politique dans lequel a grandi cette génération donne du sens à certainscomportementsouréactions,quecertainsjugentcomme«déconcertants».Notonsnéanmoinsquelapreuved’unvéritableeffet«générationnel»n’estàcejourpasrigoureusementapportée.Ilfaudraitpourcelapouvoircomparerlesattitudesetlescomportementsdedifférentesgénérationsaumêmeâge,cequiexigeraitunprotocoleméthodologiquesurplusieursdécennies.

Marie Bia Figueiredo et Chantal Morley

Marie Bia Figueiredo et Chantal Morley sont respectivement maître de conférences et professeur à l’Institut Mines Telecom / Telecom Ecole de Management.

Elles sont co-auteurs du livreLagénérationYdansl’entreprise:mythesetréalités (avec E. Baudoin et A. Hrascinec Salierno, Pearson, 2012).

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TIC, seniors et formes de travail à la retraite

Anca Boboc et Jean-Luc Metzger

Si,engénéral, lessalariésâgésdeplusde55ansaspirentà«prendre»leur retraite et si une largemajorité des retraités n’entend pas poursuivred’activitéprofessionnelle,letempsdelaretraiteneconstituepaspourautantunepérioded’inactivité.Bienaucontraire,certainsretraitésdemeurentactifsaupointquel’onpeutparlerde«néo-professionnels»:ilss’engagentdansle secteur associatif avec le sérieux des professionnels ; ils accompagnentetparfoisprennentencharge leursparentsâgésdépendants ;et,pourunefractioncertes faible, ilsexercentuneactivitéprofessionnelle rémunérée,àtitred’entrepreneursoudesalariés.C’estl’occasionpourchacunderepenserla succession et la hiérarchisation des différents temps sociaux (familiaux,«néo-professionnels»,poursoi,etc.),ens’appuyantsurdescapitauxprofes-sionnels,relationnelsetde«santé»,ainsiquesurlavolontéderéactualiserdesprojets«enjachère».Cetarticleseproposed’apporterquelquesélémentsdecontexteconcer-

nantlesseniorsfrançais,d’éclairer lesdifférentesfacettesdeleursactivitésaprès la retraite, ainsi que la recomposition identitaire qui s’opère lors dudépartà la retraite, toutenanalysant l’usagedesTICdans le cadredecesnouvellesactivitésderetraitéactif28.

28.Lesdonnéesprésentéesicisontissuesdegrandesenquêtesquantitativespubliques,ainsi que d’une enquête qualitative (entretiens en face-à-face, d’une heure trenteenviron) réalisée par des chercheurs du département de sciences sociales (SENSE)d’OrangeLabsauprèsdevingtjeunesretraités(depuismoinsdecinqans),ayantdesactivitésprofessionnelles(rémunéréesounon)et/ouassociativesetétanttrèsactifssurInternetdanslecadredecetteactivité(parexemple,envoidemails,alimentationd’uncomptesurunsitederéseausocial–LinkedIn,Facebook,etc.–,participationàdesforums,blogs,etc.).

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Partie 2 – Contributions des CherCheurs aux ateliers

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Les seniors : des tranches d’âge vers des trajectoires individuelles

Avantd’entrerdanslevifdusujet,ilestimportantdepréciserquela définition dumot « senior » est ambigüe.Ainsi, en fonction desmesuresprisesparlespouvoirspublicsouparlespartenairessociaux,lesentreprisesdisposent de définitions plurielles pour aborder les problématiques desseniorsautravail.Parexemple,lastratégieeuropéennepourl’emploidésignepar«seniors»lesindividusde55à64anstandisque,dansledécretd’appli-cationdelaloidefinancementdelasécuritésocialede2009,lesseniorssontlessalariésdeplusde50oude55ans;quantàlaformationcontinue(entre-tiendesecondepartiedecarrièrepréconisédansl’accordnationalinterpro-fessionneld’octobre2005),elleconsidèrecommeseniorslesplusde45ans.Enfonctionduparcoursantérieurdechaquesenior,laclassificationdansune

mêmetranched’âgepeutrassemblerdesréalitéstrèsvariées.Pourdépasserleslimitesdesraisonnementsentermesdecatégoriesd’âge,certainsauteursontdéveloppédesapprochesentermesdetrajectoires,enregardantlevieil-lissementcommeunprocessus«continu»quisedérouletoutaulongdelavie.Ainsi,enpartantdesâgesauxquelsseproduisentdesévénementsmajeursdel’existence(findelascolarité,départdudomicileparental,constitutionducouple,premieremploi,naissancedupremierenfant),desétudes29 ont mis en évidenceplusieurstypesdetrajectoiresindividuellesenfaisantémergerunevariétédecomportementsetenanalysantl’impactdecesévénementssurleparcourspersonnel.Prenonsdeuxexemplespour illustrer cettearticulationentrevieprivéeetvieprofessionnelledanslestrajectoiresindividuelles:•A l’une des extrémités de la typologie, les « précoces » sont définis

commeétantceuxquiontquittétôt l’école,sontentréstôtsur lemarchédutravail,ontvitevécuencoupleeteutrèsjeunesleurpremierenfant.Leurtauxd’emploiestlimité.Ilssontsatisfaitsdeleurdépartàlaretraiteetsonttournésversunprojetderetraite.Quantàleurdécisiondepartiràlaretraite,elledépendplusdelapositiondesconjointsetdesenfants.•A l’autre extrémité, les « modernes » sont définis comme ceux pour

lesquels l’âge du début du parcours conjugal et familial est supérieur à lamoyenne.Ilssecaractérisentégalementparunâgedefindescolaritéetdedébutdeparcoursprofessionnelplusélevé.Leurtauxd’emploiseraplusélevé(CSP+).Danscettecatégorie,laretraite«obligatoire»(imposéeparl’em-ployeur)estplusfréquentecarilssouhaitentcontinueràtravailler.Dansleurcas,laretraiteestmoinsassociéeàl’idéedeliberté,ladécisiondepartiràlaretraitedépendantmoinsdelapositiondesconjointsetdesenfants.

29.S.RenautetJ.Ogg,«Parcoursdevieetsituationprofessionnelleensecondepartiedecarrière»,dansA.Régnier-Loilier,Portraits de famille,INED,Paris,2009,p.344-363.

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Anca Boboc et Jean-Luc Metzger

Activités des seniors à la retraite

Selon lesprojections INSEEd’octobre201030, lapartdesseniorsdans lapopulationfrançaisedevraitaugmenterdefaçonsignificativetoutaulongduXXIesiècle.Eneffet,parmiles73,6millionsd’habitantsquedevraitcompterlaFranceen2060(soit11,8millionsdeplusqu’en2007),unepersonnesurtroisauraplusde60ans(de21%en2007à32%en2060).Cesseniorssontdeplusenplusdynamiquesetenmeilleureformequeles

précédentesgénérationsaumêmeâge;certainsd’entreeuxsontprofession-nellementactifsdanslespremièresannéesderetraite.Notons que, d’unemanière générale, le taux d’emploi des seniors (55-

64ans)enFranceaaugmentédefaçoncontinueentre2000et2009.Cecis’expliquenotammentparlahaussetendancielledel’activitéfémininechezlesgénérationsnéesaprès-guerre.Parailleurs,lahausserécentedutauxd’em-ploides60-64ans,quitendentàreporterleurdépartenretraite,s’expliqueaussibienpar l’allongementde laduréedesétudesdans lesannées1950-1960,quiadécalél’entréedanslavieactive,queparlesréformesdesretraitesquisesontsuccédéesdepuis1993etquiontentraînéuneaugmentationdela durée de cotisation31. L’activitéprofessionnellerémunérée,pratiquéelorsdespremièresannéesde

retraite,estfavoriséeparlanouvellelégislationenmatièredecumulemploi- retraite(janvier2009)etparlacréationdustatutd’auto-entrepreneur(janvier2009),mêmesilesretraitésnereprésententque5%desauto-entrepreneursenregistrés32. Pour les retraitésqui le souhaitent, l’auto-entrepreneuriatestunemodalitéleurpermettantdemaintenirlelienavecl’entrepriseenconti-nuantainsiletransfertd’expertiseversl’entreprisedanslaquelleilsontexercéunepartiede leur activitéprofessionnelle.Dupointdevuede l’entreprise,lesseniorsretraitésreprésententunpotentieldecompétencesqu’ellepeutmobiliser en casdebesoin. Par rapport àd’autres compétencesexternesàl’entreprise,lesretraitésont,deplus,l’avantagedebienlaconnaîtrepuisqu’ilsyontexercéunepartiedeleuractivité.

30.N.BlanpainetO.Chardon,«Projectionsdepopulationàl’horizon2060»,INSEE Première,n°1320,octobre2010.31.C.ThévenotetC.Minni,«Evolutiondutauxd’emploidesseniors(55-64ans)entre2000et2009»,NoteduMinistèredel’Economie,del’Industrieetdel’EmploietduMinistèreduTravail,delaSolidaritéetdelaFonctionPublique,avril2010.32.Enquête réaliséeen juin2010par laDirectionGénéralede laCompétitivité,del’IndustrieetdesServices(DGCIS–Ministredel’Economie,desFinancesetdel’Indus-trie)auprèsdel’ensembledelapopulationdesauto-entrepreneursenregistrés.

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Partie 2 – Contributions des CherCheurs aux ateliers

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Ilestimportantdesoulignerquelaproportionderetraitésquiperçoiventunsalairerestenéanmoinstrèsmarginale33.Une autre facette des activités des seniors après la retraite est la vie

associative.Laretraiteapparaîtcommeletempsprivilégiédel’engagementsocial, commeune« transition naturelle » lors de la sortie dumarché dutravail.Ainsi,selonl’enquêteINSEE2008surlesconditionsdeviedesménages,l’adhésionàuneassociationpassede26,3%pour les16-24ansà36,9%chez les60-74ans.Lapratiqueassociative régulièrepermetd’accroîtresescontactssociaux,des’engagerdansl’actionsociale,humanitaireoucaritative,voired’assumerdesresponsabilités(président,trésorier).Letyped’associa-tionauqueladhèrentlesseniorsvarieavecl’âge:les60-74anssontdavan-tageimpliquésdansdesactionssanitaires,sociales,humanitaires,caritativesetdesactivitésdecultureetloisirs,alorsqueles75ansetplussontdavantageimpliquésdansdesclubsdetroisièmeâge34. Unautrepandesactivitésdesseniorsàlaretraiteestliéauxexigencesde

solidaritévis-à-visdesaînésdeplusenplusâgés(allongementdel’espérancedevieenbonnesanté)etdescadetsquientrentdeplusenplustarddanslavieprofessionnelle.Lecontextedecesliensintergénérationnelsauseindelafamilleévolueégalement,àcausedelabaissedunombred’aidantsapportantdusoutienauxpersonnesâgées,qu’ils’agissedesaidantsfamiliaux(femmesmoinsprésentespourassurerlerôled’aidantfamilialcardeplusenplusenemploi,moinsd’enfants, ruptures conjugales,périodesdechômage,finsdecarrièredifficiles)oudesaidantsprofessionnels (départmassifà la retraitedanslesdixprochainesannéesetdifficultésderecrutementquis’expliquentparlescaractéristiquesdeleuractivité,difficileetfaiblementqualifiée).Ceschangementssetraduisentpardescontraintesplusfortesàgérerducôtédeces«seniorspivots»àlaretraite.

33.En2010,laFrancecompte12,88millionsderetraités.Aucoursdel’année2008,207000retraitésdurégimegénéralontperçuunsalaire.Ces«retraitésactifs»repré-sententainsi1,8%de l’ensembledes retraitésou4,3%desretraitésdemoinsde70ans,selonl’étudeprésentéeauConseild’orientationdesretraites.Bienquelimité,lenombrederetraitésayantuneactivitésalariéecontinueàaugmenter.Ainsi,lecumulemploi salarié et retraite, « libéralisé» en2009, concernait 245700 assurés de laCNAV(Caissenationaled’assurancevieillesse).http://www.pourseformer.fr/emploi/remuneration/formation-continue/h/ afd407d505/a/le-cumul-emploi-retraite-en-clair.html; http://emploi.france5.fr/emploi/droit-travail/retraite/10035449-fr.php34.F.LuczaketF.Nabli,«Vieassociative:16millionsd’adhérentsen2008»,INSEE Première,n°1327,décembre2010.

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Anca Boboc et Jean-Luc Metzger

La retraite, une recomposition identitaire

Les années qui précèdent et qui suivent le départ à la retraite formentunepériodeparticulièrementintéressanteàregardercarellesconstituentunmomentderéinventiondesoi.Unnouveléquilibreentrecontraintesprivéeset«néo-professionnelles»seconstruiteninvestissantdescapitauxacquis:lecapitalprofessionnel(compétences,réseaurelationnel…);lecapitalfami-lial,auseinduquellastructuredufoyeretlesréseauxrelationnelsfamiliauxvontjouerunrôleessentiel;lesprojets«différés,enjachère»,correspondantàdesactivitésabandonnées«parlaforcedeschoses»dansleparcoursdevieantérieur;enfin,lecapitalsanté,lui-mêmeenpartiesocialementconstruitetliéauxcapitauxprofessionneletfamilial.Pourl’instant,lescontraintesfinan-cièresnesemblentpasunemotivationfortepourretrouverunemploirému-néréchezlesretraités35.Certainsretraitéscherchentàavoirdesactivitésnéo-professionnellesavant

toutpoureux-mêmes,pourseprouverqu’ilsontencoredela«valeur»surle«marchédutravail»,tantencequiconcernelavaleurmarchandedutravailréalisé(larémunérationdecetravail)queparlareconnaissanceinformelledescompétences. Par contraste, d’autres retraités s’engagent dans des activitésnéo-professionnellespourserendresocialementutiles(luttecontreladiscri-minationautravail,pour l’insertiondeschômeursdelonguedurée,contre laconstructiond’unelignedeTGV,etc.)etce,qu’ils’agissed’uneactivitérému-néréeoudebénévolatdansuneassociation.Pourrendrecomptedeladiversitédestrajectoiresd’activitéautourdelaretraite,deuxaxesd’analysenoussontapparusstructurants:letyped’activitéetlecontexte.Lepremieraxedésignelaruptureoulacontinuitéaveclemétieroulesfonctionsdesannéesprécédantledépartenretraite.Lesecondaxeconcernelaruptureoulacontinuitévis-à-vis du contextedans lequel s’exerçait l’ancienneactivitéprofessionnelle. Parcontexte,nousentendons: lerapportàl’organisationdanslaquellel’individutravaillaitavantdepartirenretraite,lasociabilitéprofessionnelleliéeàcetteorganisationetleniveauderevenuqueprocurelapensionderetraite.Enfonctiondumoded’investissementdescapitauxaccumulés(enprolon-

gement,décrochageouruptureaveclatrajectoireantérieure)etderessortsdel’investissement(poursoioupourautrui),nousavonsidentifiésixtypesdedynamiquesidentitairesautourdelaretraite36 :

35.B.Rapoport,«Agededépartsouhaité,âgededépartprévuetlibertédechoixenmatièred’âgededépartàlaretraite,Perspectivesetcomportementsenmatièrederetraite»,Dossiers solidarité et santé,n°3,DREES,juillet-septembre2006,p.31-50.36.A.Boboc,J.-L.Metzger,«Transmettreautourdelaretraite»,communicationàlaBiennaleinternationaledel’éducation,delaformationetdespratiquesprofessionnelles duCNAM,6juillet2012.

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Partie 2 – Contributions des CherCheurs aux ateliers

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a)d’entreprise, lorsque les individus investissent leur capitaux dans leprolongementdeleurtrajectoire(mêmeactivité,mêmecontexte);b)d’auto-entrepreneurdesoi,quandlesindividusengagentun«décrochage»

deleurtrajectoire,enprolongeantleuractivité,maisdansuncontextemodifié;c) néo-professionnelle,silescapitauxprofessionneletfamilialsontmisau

serviced’unerupturesignificativedeleurtrajectoire,enexerçantdesactivitésdifférentesdansuncontextetransformé;d)de militant, quand le réinvestissement des capitaux accumulés

s’inscritdansleprolongementdelatrajectoireantérieureetqueleressortdecetinvestissementestavanttoutautrui;e)deprofessionnelaidant,lorsqueleprolongementdel’activitéestmisau

serviced’autrui,impliquantunchangementdecontexte;f) enfin,néo-associative,lorsquelesindividusconvertissentleurscapitaux

professionnels en s’investissantdansdenouvelles activités associatives, auserviced’autruietdansuncontextemodifié.Ils’agitlàd’idéaux-types,chaqueindividunecorrespondantpasexactement

àtelouteltype,maisplussûrementélaborantunecombinaisondecesformesidentitaires,dontune,vraissemblablement,domine.

Retraite et technologies de l’information et de la communication (TIC)

Dupointdevuedel’usagedesTIC,nousnotonsuneforteaugmentationdutauxd’équipementdesseniorsdanslasphèreprivéecesdernièresannées37. Ainsi,àtitred’exemple,laproportiond’individusde60à69ansdisposant:– d’untéléphonemobile,passede54%en2005à85%en2012;– d’unordinateur,passede25%en2005à70%en2012;– d’uneconnexionInternet,passede17%en2005à68%en2012.Notonsqueledépartàlaretraiteinduitsouventunenouvelleattitudevis-

à-visdesTIC.Eneffet,pendantleurvieactive,lesseniorsontétééquipésde factoparleurentrepriseetontdoncutilisédesoutilschoisisparleurentre-prise.Legaindetempslibreàlaretraite,coupléàlacuriositéetàlalibertéde choisir, amèneunepartiedesnéo-retraités à adopteruneattitudeplusactive,parfoisàmanifesterunvéritableengouementpourcestechnologies.Parailleurs,lebesoindes’équiperàdomicileetdefairefaceàdesproblèmesinformatiqueslespousseaussiàs’intéresserdeplusprèsauxTIC.

37. R. Bigot, P. Croutte, « La diffusion des technologies de l’information et de lacommunicationdanslasociétéfrançaise»,CREDOC,décembre2010.

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Anca Boboc et Jean-Luc Metzger

AussibienlesactivitésdesseniorsàlaretraitequeleurusagedesTIContdesretombéesentermes:– demaintienouderéinventiond’unestructurationdutemps(parexemple,

l’envoidesmailsàdesmomentsprécisdelajournéestructurel’organisation temporelle);– demaintiendescontacts,doncd’unecertainesociabilité,carlapratique

des activités néo-professionnelles constitue une source de rencontres régulières(toutensachantquelasociabilitédécroîtavecl’âge);– dereconstructiond’unéquilibreentresphèresprivéeetprofessionnelle

aprèslaretraite(co-constructionencoupledesactivitésfamilialesetprofes-sionnellesaprèslaretraite,co-constructiondesactivitésprofessionnellesaveclesenfants,notammentlorsqu’ilsdémarrentdanslavieprofessionnelle).D’une manière générale, la place accordée aux TIC dans les trois pans

d’activitédesseniorsretraitéscroît.Cetteaugmentations’explique,d’unepart,parlefaitquelesseniorssontdeplusenplusutilisateursdesTIC,étantdonnéqu’ilsonteuletempsdesefamiliariser,voiredebienlesutiliserpendantleurvieprofessionnelle.Précisonsdanscesensquelesrelationsfamilialesjouentunrôle importantdans l’acquisitionet l’utilisationdestechnologiespar lesseniors. Lamotivationde s’équipern’est pas tant l’économiedu tempsoulacommodité,mais surtout lemaintienducontactavec leurspairset leurentouragefamilial,àleurtourdeplusenplusconnectés.D’autre part, cette augmentation s’explique par l’élargissement de la

gamme d’activités des retraités dans lesquelles lesTIC sontmobilisées etauront un rôle de plus en plus important à jouer (par exemple, nouveauxtypesderéseauxsociauxplusfonctionnels,TICdanslacoordinationfamiliale,produitsdee-santé).

Conclusion

Toutes les études le soulignent : la période de la retraite constitue demoinsenmoinsune«mortsociale»etdeplusenplusunnouveaudépart38. Prolongeant ce constat,nosobservationsmontrent, àproposd’une fractiontrèsminoritaire et sans doute privilégiée de la population (pour la plupart,membresdescatégoriessocioprofessionnellessupérieures,enbonnesantéetsansparentsdépendantsàcharge),que lepassageemploi-retraiteoffredesoccasionsimportantesderecompositionidentitairedontnepeuvent,toutefois,sesaisirquelesindividusquionteudesparcoursbiographiquesspécifiques.

38.A.-M.Guillemard,«De laretraitemortsocialeà laretraitesolidaire.Laretraite,unemortsociale(1972)revisitéetrenteansaprès»,Gérontologie et société,2002/3,n°102,p.53-66.

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Partie 2 – Contributions des CherCheurs aux ateliers

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D’unemanièreplusgénérale,quellepourraitêtrel’évolutiondecesactivitésprofessionnellesaprèslaretraite?Si,dansd’autrespays(Etats-Unis,Japon…),laquestiondutravailaprèslaretraiteseposed’unemanièreprégnanteparceque les pensions de retraite ne permettent pas de faire face aux besoins,aujourd’hui, seule une minorité de retraités français souhaite poursuivreleuractivitéprofessionnelle39.SelonleCentred’AnalyseStratégique,danslapopulationderetraités,lapartdespersonnesquipratiquentlecumulemploi-retraiteestactuellementinfimeetnedevraitpasaugmentersensiblementàl’avenir.Mêmesiletauxd’activitédesplusdesoixanteansdevraitcontinuerà croîtredans lesprochainesannées,notamment sous l’effetdes réformesdesretraites(1993et2003),ils’agirapourl’essentieldepoursuited’emploiavantliquidationdelaretraite(âgededépartàlaretraiteretardé)plusquedecumulemploi-retraite40.Laréformede2010surlereportdel’âgelégalpourlaliquidationdesdroitsàlaretraiteagira,sansdoute,danslemêmesens.Mêmesilatendanceàlabaissedumontantdespensionsrisqued’inciter

les retraités à chercher à travailler, les entreprises, qui ont parfois dumalàmaintenir les seniorsenemploi avant l’âgededépartà la retraite,pour-raientavoirencoreplusdemalàlesrembaucheràunniveauderémunéra-tionconvenable.Plusgénéralement,lefuturdutravailaprèslaretraitepourdesraisonsfinancièresestintimementliéauxloisquiserontvotéesdanscesens.Ildépendradoncdestransformationsdescadressociaux,économiquesetpolitiquesdupays.

Anca Boboc et Jean-Luc Metzger

Anca Boboc et Jean-Luc Metzger sont sociologues, chercheurs à Orange Labs. Ils travaillent notamment sur les usages des TIC à la frontière entre vie privée

et vie professionnelle et sur les aspects générationnels des usages des TIC.

39.B.Rapoport,2006,op. cit.40.J.Ferhenbach,F.Granel,D.Dufort,T.Klein,J.-L.Loyer,«Ledéveloppementdutélé- travaildanslasociéténumériquededemain»,rapportduCentred’AnalyseStratégique,novembre2009.

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Les générations à l’ère des réseaux : facteur d’émergence socioculturelle

Carine Dartiguepeyrou

La générationY fait beaucoup parler d’elle. Comment expliquer cela ?Est-ce qu’en son temps la générationX a autant attiré notre attention etque nous l’avons déjà oublié ? Est-ce plutôt parce qu’elle est née avec lenumérique (digital natives)?OnremarquequelagénérationYgranditdansuncontexteoù lenumériquesedéveloppeen termesd’accès individueletderéseauxsociaux.OnpeutdoncdirequelagénérationXaouvertlavoieaunumérique,quelagénérationYs’enestemparéeavecleWeb2.0etquelaprochainegénération seraprobablement celleduWeb3.0etdesagentsintelligents.JoëldeRosnayparlemêmedeculturenumériquespécifiqueàlaNetGen41.Cependant,derrièrecesélémentspropresauxdigital natives liés à l’évolutionmêmede la technologienumériqueetde sesusages, se tissentd’autres facteurs portés par l’évolution de nos sociétés. Nous chercheronsdans cet article à comprendre les différents facteurs socioculturels, bienau-delàdelaseuleculturenumérique,quiexpliquentl’évolutiondesvaleursetdescomportementsdesgénérationsàvenir.

Les aspirations des digital natives

La génération Y au travail est associée de manière générale à l’idéed’une génération en quête d’équilibre entre vie privée et vie profession-nelle. Cependant, au-delà de l’immédiateté et de l’impatience notées parde nombreux auteurs ou attestée dans des témoignages, cette générationse caractérise par un certain nombre de traits récurrents. Ces généralitéssontbiensûràprendreavecdespincettescarlesjeunesneformentpasunblochomogène.D’autrepart, ce sont souventdespersonnesauxmultiples

41.JoëldeRosnay,Surfer la vie, comment sur-vivre dans la société fluide,LesLiensquiLibèrent(LLL),2012.

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Partie 2 – Contributions des CherCheurs aux ateliers

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facettesavecdesviesparallèlesquis’articulentbienplusagilementquecellesdes générations d’avant.Cequi expliquepeut-être pourquoi on les perçoitcommepouvantplusfacilements’adapterauxmutations,àcommencerparla transformationnumérique.Les jeunesgénérationsaspirentàplusdesimplicitéetd’authenticité. La

crisefinancière,socio-économiqueetécologiquefaitpartiedeleurcontextedenaissance.Elleestinhérenteàleurquotidien.Cequicomptepoureux,c’estd’avoirdesrelationsauthentiquesetdepouvoiraccéderàdeschosessommetouterelativementsimples:avoirunboulot,pouvoirhabiterunappartementsansattendreleurstrenteans,avoirsuffisammentdemoyenspourvoyageret sortir, etc. Ilssontfriandsderelationsnumériquesoùl’échangesenouerapidement

(etsedénouetoutaussirapidement),d’happenings ou de flashmobs.Cettegénération utilise abondamment les outils numériques pour échanger demanièrediverse et variée.Denouveauxmodesdepartage se tissent aufilde l’eau à lamaison, dans les transports ou au bureau. Les jeunes aimentse retrouver pour danser,marcher, écouter de lamusique. Lamusique, parexemple, reste un élément incontournable de la culture chez les jeunes etcontinuedereprésenterunelargepartdeleurspratiquesculturelles.La liberté et l’autonomie sont importantes pour eux. L’alternance entre

travailfixeetmobileestnaturelle.Les«tiers lieux»,ces lieuxnumériquesoùl’onvienttravailleretéchanger42,sontappréciés,surtoutparlesentrepre-neurs.Etreconnnectéenpermanenceestuneindispensableévidence.Mais lagénérationYn’estpas si individualisteque lesmédiasdemasse

veulentbiennouslefairecroire.Nousavonsmontréàplusieursreprisesque,derrière cet invidualisme, se cachait en fait une individuation, une volontéd’êtreautonome, indépendantetépanoui. Les jeunescherchentavant toutà«trouver leurgénie»43pourêtreutilesetreconnus.L’espacedudonestimportant,qu’il soitdans ledomainedusang,dutemps,destalentsoudel’argent.La participation des jeunes aux associations est proche de lamoyenne

decelledesFrançais44.Ilsnesontpasmoinsconcernésparlesquestionsde

42. Par exemple, la Cantine à Paris.Voir notamment la contribution de ChristopheAguiton«Tiers lieux et“coworking“, les nouvelles façons de travailler à l’heure dunumérique » au Cahier des Entretiens Albert-Kahn, Numérique et innovation dans l’espace public, 2013.43. Michel Saloff-Coste, Carine Dartiguepeyrou, Guy Laurence, Trouver son génie, valoriser ses talents, trouver son projet de vie,GuyTrédanielEditeur,2002.44. Enquête IFOP pour France Bénévolat, 2010. Le total des jeunes bénévoles, ycomprisinformels,représente33%pourles18-25anscontre36%pourl’ensembledes Francais.

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Carine Dartiguepeyrou

citoyenneté,aucontraire.Ilssontnésavecunenouvellevaguedelamondia-lisationquinelesrendpasindifférentsàcequisepassedanslemonde.Ilsressentent(àdéfautderaisonner),peut-êtreplusqueleursaînés,cequeveutdirel’interdépendance.Ilstrouventdifficiledevivresuruneplanètequiaccu-mulelescontradictionsetlesextrêmesderichesseetdepauvreté,deprogrès technologiqueetdedestructionécologique.

Evolution et émergence socioculturelle : vers l’expression de nouvelles valeurs ?

Silesjeunesévoluentdansuncontextededéveloppementdunumérique,ils ne sont pas hermétiques aux évolutions ni aux émergences sociocultu-relles.D’ailleurs,ilss’ennourrissenttoutautantqu’ilsycontribuent.Al’échelleplanétaire,nossociétéssecaractérisentpar lesvaleursdites«modernes»,quinourrissent lesévolutionsduXXesiècle,maisstagnent,voirerégressentpourlaisseradvenird’autresvaleursmoinsmatérialistesetpluscentréessurl’émancipationetl’interdépendance.Lesvaleursmodernessontcellesduprogrès,delafoidanslatechnologie,

du goût pour la consommation et les marques. Elles sont représentativesd’une vision cartésienne dumonde et ont nourri le développement indus-trieldesXIXeetXXesiècles.Lesvaleurstraditionnelles,cellesquisecaracté-risentparunattachementau terroir,à la famille,à l’autorité, tendentà seréduire. Selon les estimations du sociologue Paul Ray, la catégorie« tradi-tionnels»représenterait20%delapopulationdespaysdéveloppésetseraitenbaisse.Unenouvellecatégoriesocioculturelle,qu’ilappelle les«créatifsculturels»45, serait apparuedans lesannées1990, encoreminoritairemaisenfortecroissance;ellepourraitatteindreplusde30%delapopulationdespaysdéveloppés.Les«créatifsculturels»seretrouventdansledéveloppementpersonnel,

ontungoûtprononcépourlesvoyagesetlaculture,unrespectprofondpourlanature,unesolidaritépourlesminorités(ethnique,raciale,degenre,etc.),unecuriositépourlesspiritualités.Cettecatégorieestencoredifficileàcernertantelleesthétéroclite.Trèssouvent,les«créatifsculturels»sesententseulsdansleurenvironnementetparviennentàcréerdescommunautésdepartagevialeWeb.Derrièreces catégories socioculturelles,on retrouvedenouvellesaspira-

tionsetdonc,denouvellesattitudes.Celles-cinourrissent l’ensemblede lasociété,pasuniquementlesjeunesgénérations.D’oùl’idéeerronéedecroire

45.DunomdeleurouvrageThe Cultural Creatives,PaulRayetRuthAnderson,HarmonyBooks,2000.

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Partie 2 – Contributions des CherCheurs aux ateliers

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qu’unjeuneseraforcémentprogressistedanssesvaleursalorsqu’ilpeutêtreaussitraditionnalistequ’unepersonneplusâgée.Trèssouvent,despréjugésetdescroyancesexistentdanscedomaine.Uncontre-exempledecelaestlefaitqu’unnombreimportantdejeunesenFrance–paysquirelèvedel’exceptiondanscedomaine–aspireàrejoindrel’administrationfrançaiseoudesentre-prisessoustutelleétatiqueenespérantainsisatisfaireleurbesoinsécuritaired’emploiàduréeindéterminée,mêmesicelarelèveàprésentd’unimaginairedépassé46.Onretrouvelàl’expressiondevaleurstraditionnelles.De même, les seniors peuvent très bien être porteurs de valeurs post-

modernesencherchantàfairesensdeleurvieens’engageantauprèsdeleurfamille ou dans des associations et en dépassant le cadre stricto sensu du travailpourgagnerleurvie.Lesseniorssonttrèsreprésentésparmilesutili-sateursdeslogicielslibrescommeparmiles«geeks».L’âgen’estdoncpasleseulfacteurexplicatifd’uneévolutiondesvaleursetdescomportementsdans nos sociétés.

Les valeurs à l’ère des réseaux sociaux numériques au travail

Lelancementderéseauxsociauxnumériquesd’entrepriseouledéploiement d’outils numériques pour favoriser les échanges en interne apportent desremontéesd’expérienceutilespouréclairerlesvaleursémergentesautravail.On remarque que plusieurs valeurs importent dans ces exercices où

l’expérimentationestun incontournableetoù lesrèglessedéveloppentenfonctiondesobjectifs,etnonpaslecontraire.Lescommunautéssontsouventlesmieuxplacéeselles-mêmespourédifierdescodesdeconduite.Quelquesvaleursreviennentdemanièrerécurrente.Celledurespectestindispensableet s’appliqueà toute l’entreprise : respectde chaque collaborateurpour ladifférencede l’autre, respectde l’entrepriseentantqu’institutiondanssonprojetcollectifetsesrègles,respectdesdirigeantsdansleursvisionsetleurschoixstratégiques,respectdesmanagerspourfavoriserl’accompagnementetleliendeproximité,etc.Lavaleurderespectestimportantecarelleconstitueuneconditionnécessairepourqu’unclimatdeconfiancepuissesedévelopper.Laconfianceestunevaleurfragile,ellemetdutempsàseconstruireetpeutdisparaîtretrèsrapidementàlamoindreerreuroumaladresse.L’expérienceduWebmontrelanécessitédefairelapartdel’information

etdeladésinformation.Devantlepoidscroissantd’informationspastoujoursfiables, il importe de renforcer son esprit critique.Apprendre à apprendre

46.30%des18-24anssouhaitentprincipalementêtrefonctionnaires(+4pointsparrapportàlamoyennenationale),révèleuneenquêteréaliséeenligneles9et10mai2011parl’InstitutHarrisInteractive.

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Carine Dartiguepeyrou

devientunélémentessentieldansuncontexteoù l’informationestthéori-quementaccessibleàtous.La liberté d’expression est également un principe essentiel duWeb 2.0.

Elle n’est pas acquise partout puisque certains pays cherchent encore àcontrôler les échanges sur leWeb. Travailler avec le numérique impliquesouvent une nouvelle approche de la transparence. Dans une entreprise,les règles de transparence ne sont pas les mêmes pour tous. Par contre, l’aspirationàuneplusgrandevalorisationdesdonnéesestunetendancegéné-rale,quel’onremarqueenparticulierdanslesenvironnementsàfortevaleurajoutéecréative.C’estbien l’enjeupour les jeunes, commepour lesmoinsjeunes,departagerdesvaleursadaptéesaumonde«High-Crea»47etnonpasuniquement«High-Tech».C’est-à-direunmondequireconnaîtetvaloriselacontributiondechacun,songéniecréatifetsacapacitéàtransformerl’infor-mationenconnaissance. L’enjeude lamétamorphosenumériquequenousvivonsrelèvebiendelaconnaissanceetdelacoopération48.Elleimpliqueunenouvelleapprochedel’engagementetdelaresponsabilité.Enfin, les valeurs à l’ère des réseauxmettent en avant la dimension de

volontariat. Rien ne semble pouvoir se faire sans le consentement, sans laconfiancedescontributeurs.C’estbiencettedimensionqui,souvent,déroutelesdirectionsdesressourceshumainesquicherchentàtrouverlesressortsdelamotivationchezlescollaborateurs.Expérimenterdevientunélémentclédelatransformationdesentreprises.

Et demain ?

MichelMaffesoli,théoriciendelapostmodernité,rejointl’idéeselonlaquellenossociétésévoluentenprofondeur.C’estbiennotrerapportautempsquiévolueet,aveclui,l’aspirationà«cueillirlesrosesdelavie»,àl’«icietmain-tenant». Lapostmodernitémarque lafinde lamodernitéet, avecelle,del’individualisme.Lapersonnedevient«plurielle»,ellen’estplusuniquementêtrederaisonmaisaussid’émotion.Aveclapostmodernitédisparaîtlavéritéuniqueetuniverselleetémergel’èredurelativisme.Lenumériquefavoriseledéveloppementdes identitésmultiples.Lesfrictionsdeviennentnécessairesetc’estdans«l’harmonieconflictuelle»quelesnouveauxmodesdegouver-nancesontàentrevoir.Neretrouvons-nousdoncpasdanscettedescriptionsynthétiquedelapostmodernitél’expressiondelagénérationY?

47.Nousappelons«High-Crea»,unenvironnementfortenintensitécréative.48.Francis Jutand(dir.),La Métamorphose numérique, vers une société de la connais-sance et de la coopération,EditionsAlternatives,2013.

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Partie 2 – Contributions des CherCheurs aux ateliers

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La mutation de notre monde nous amène à nous intéresser à nos évolutionssociétalespourcreuserprofondémentetcomprendrelesrouagesdelarévolutiontechnologique,faceémergéedelarévolutionculturelle.Unemétamorphoseestentraind’advenirauniveaucognitifcarcestechnologiestransforment aussi notre esprit. Les générations constituent une grille delecturequinousdonneàvoirunecertainereprésentationdelatransformation numérique.Ellessontintéressantescarellesexprimentdesémergencessocio-culturellesmaisrestent,pardéfinition,àêtreconfirmées.Sommes-nous en train de voir l’émergence d’une culture numérique

spécifique,d’unecultureparticulièredesjeunesgénérations?Ilnoussemblequelenumériquefavoriseplutôtcertainesvaleursetcomportements,voireaccélèreunecertaineexpressiondesémergencessocioculturelles.Lechange-mentdeconscience,quantàlui,transcendepluslargementlesgénérations.

Carine Dartiguepeyrou

Carine Dartiguepeyrou, docteur en sciences politiques, prospectiviste (www.carine-dartiguepeyrou.com) et membre du Think Tank Futur numérique de l’Institut Mines-Télécom. Elle est co-auteure de plusieurs ouvrages en prospective dont Prospective

d’unmondeenmutation et LesVoiesdelarésilience (L’Harmattan, Coll. Prospective, 2010 et 2012) et a contribué récemment à l’ouvrage LaMétamorphosenumérique

(dir. Francis Jutand, Alternatives, 2013) par un article « Evolutions sociétales et émergences socioculturelles sur Internet, une métamorphose avant tout sociétale ».

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Les nouvelles formes du conflit des générations : cadrage sociologique

Dominique Pasquier

C’estaucoursdesannées1980quesesontamorcéstroisprocessussociauxtrèsimportantspourcomprendrelesculturesjuvénilesactuelles.Le premier tient aux nouveauxmodes de régulation des relations fami-

liales.Lemodèleducontrataremplacédanslafamillelemodèledel’autorité:aurespectdesnormesdictéespar lesadultess’estpeuàpeusubstituée lavalorisationdel’individualitédel’enfant.PourAnthonyGiddens,ceprocessusde « démocratisation de la sphère privée », qui affecte aussi les relationsentreconjoints,estunecaractéristiquedenossociétéspost-traditionnelles:leprojetréflexifdusoiaprisuneimportanceconsidérable49. C’estaussiaucoursdesannées1980queleprinciped’uncursusscolaire

danslesecondaires’estvraimentgénéraliséàl’ensembledesmilieuxsociaux.Parexemple, laproportiond’enfantsd’ouvriers réalisantuncursuscompletaucollègeestpasséede58%parmilesélèvesentrésensixièmeen1980à91%parmiceuxquiysontentrésen198950.Lepaysagescolaireactuelestfondamentalementdifférentdeceluidesannées1960et1970.D’unepart,lesétudesaccompagnentdésormaistoutleparcoursjusqu’àlamajoritélégale,souventmêmeau-delà:l’âgemoyendefind’étudess’eststabiliséàunniveauprochede21anspourlesgénérationspostérieuresà1975,aprèsunehaussecontinueethomogènepourlesgénérationsantérieuresà1975.D’autrepart,lapopulationdesdiplômésestbeaucoupplushétérogènesocialement,dufaitmêmedesonaugmentation.Untroisièmeprocessuss’estenclenchédurantlamêmedécennie1980:le

développementexponentield’uneculturecommercialecibléespécifiquement

49. Antony Giddens, TheTransformations of Intimacy, Stanford, Stanford UniversityPress,1992.50.NicoleCoëffic, «Amélioration des carrières scolaires au collège,maismaintiend’orientationsdifférenciéesenfinde3e»,Données sociales,INSEE,1996,p.68-75.

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Partie 2 – Contributions des CherCheurs aux ateliers

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surlesjeunes.Ensoi,cen’étaitpasunphénomènenouveau:depuisquelesmédiasdemasseexistent,certainscontenus,dansl’éditionoul’industriedufilmnotamment,étaientdestinésauxjeunesgénérations.Deplus,laculturejeuneavaitprisunessorconsidérabledanslesannéesdel’après-guerreautourde lamusique rock, sous la formed’émissionsde radioetdetélévision,demagazines ou de vêtements. Pas nouveau donc,mais différent, et ce pourplusieursraisons.Lapremièreestl’ampleurcommercialedecemarché,sansprécédentdufaitdelamultiplicationdeproduitsassociésauxproduitscultu-rels eux-mêmes,notammentdans le secteur vestimentaire. La secondeestquecesindustriesculturellesendirectiondesmoinsdevingtansciblentdesconsommateursdeplusenplusjeunes.Depuisunedécennie,denombreusesrecherches se sontpenchées sur cephénomènede l’enfant consommateuret ont montré que, si le marketing commercial adressé aux enfants n’estpasunphénomènerécent,l’intérêtpourlesjeunesenfantsafortementcrûcesdernièresannées,àlafoisentantquemarchéàpartetcommemoyen d’atteindrelesmarchésadultes51.

Un déport du conflit de génération vers l’école

Ces trois processus ont eu des effets considérables sur la façon dont ilfaut aborder aujourd’hui la question du conflit de génération. Le conflitparents-enfantsquiaétéaucœurdesmodèles familiauxde l’après-guerrejusqu’auxannées1970n’estplusd’actualité–saufexceptions,biensûr.Lesjeunesdisententretenirdebonnesrelationsavecleurentouragefamilial,êtreattachésà leursparentsetaimerdiscuteraveceux. Ilsontdes liensétroitsavecleursfrèresetsœurs,ycomprisdanslesfamillesrecomposées.Danscesnouvellesfamilles«démocratiques»,pourreprendreuntermedeGiddens,la cohabitation culturelle, largement encouragée par l’individualisation despratiquesetdeséquipements, est la règle.De fait, les chambresàcoucherdes jeunes sont aujourd’hui de véritables univers technologiques. Ils y ontpresquetousunappareild’écoutemusicale,chaîne,baladeuroulecteurMP3.Prèsdestroisquartsontégalementuneradio,untierspossèdeuntéléviseurpersonnel (et ce pourcentage croît dans lesmilieux populaires), beaucoupontuneconsoledejeuxvidéo.Onconstateaussiuneforteimplantationdel’ordinateurdanslachambre:c’estlecasde41%des9-16ansenFrance,et la moyenne européenne est encore plus élevée, près de 50 %52. Enfin,

51.Voir entre autres auteurs David Buckingham, The Material Child : Growing up in Consumer Culture,Londres,PolityPress,2011.52.EnquêteEUKidsOnline,2011.VoirSoniaLivingstone,LeslieHaddon,AnkeGörzig,Children, Risk and Safety Online,Bristol,ThePolicyPress,2012.Onremarqueaussique

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Dominique Pasquier

l’équipementmassifdesadolescents–etmaintenantdespréadolescents–entéléphonesportablesacontribuéàindividualisercomplètementlescommu-nicationsavec l’extérieur :avec l’utilisationdecesmoyensdecommunica-tion,lesparentsneconnaissentplusdésormaislesréseauxamicauxdeleursenfants. L’autonomie relationnelle qu’ils ontobtenue, d’abord avec le télé-phoneportable, puis avec les technologies de communication sur Internet,représente une véritable rupture dans la gestion des relations intergénéra-tionnellesauseindelasphèredomestique,maisentraîneaussiunaffaisse-mentquasimécaniquedestransmissionsculturellesverticalesauprofitd’unrenforcement des transmissions horizontales. Les jeunes passent plus detempsavecleursgroupesdepairs,dufaitdel’allongementdelascolaritéetdufaitdelafortepénétrationdanslefoyerdescommunicationsàdistanceintragénérationnelles.D’unautrecôté,l’autoritéparentaleestmoinsforteetlatoléranceauxculturesséparéesdanslecadredomestiqueplusgrande.En revanche,même si l’école affiche une relative tolérance à l’égard de

l’éclectismedespratiquesculturelles(lesmanuelsdefrançaispuisentdanslabandedessinéecommedanslesgrandstextesdelalittérature),ellen’enapasmoinsmaintenuunmodèled’apprentissagequi favorise singulièrement lesélèvescapablesd’entretenirunrapportàlaculturesurlemodèleencyclopé-diste.C’estdoncàl’école,etnondanslesfamilles,quel’antagonismeculturelestaujourd’huileplusvivace.Carlaculturescolaireabeaucoupmoinsbougéentermesderéférencesculturellesetresteengrandepartiefondéesursonlien à la tradition humaniste. La « culture jeune » y est infinimentmoinstolérée qu’elle ne l’est dans les familles.Or, cette culture jeune repose entrèslargepartiesurdesproduitsculturels«partagés»defaçongénération-nelle:desémissionsderadioetdetélévisionconsomméespartousaumêmemomentetdontonpeutdiscuter le lendemain53, lesfilmsà l’afficheet lesmusiquesdonttout lemondeparle, lesderniers jeuxvidéosortis, lesblogsquiontdusuccèsou les sites Internetqui créent la rumeur sur leWeb. Lalecturedelivresestlegrandperdantdecesouciderentabilitésocialedelacultureentrejeunes.Laculturedulivreresteliéeàlaréussitescolaire,maisellen’estplusunobjetdedistinctionsocialeendehorsducadrescolairecarilnesemblepasfaciledeconvertircecapitalculturelenclassementsocial.

lesordinateursdanslachambredel’enfantsontproportionnellementplusrépandusdanslesfamillesfavoriséesalorsquecesmêmesfamilles,onlesait,étaienttrèsréti-centesautéléviseurpersonnel,cequienditlongsurladifférencedestatutsocialdontjouitchacundecesdeuxmédias.53.Pourlatélévision,voirDominiquePasquier,La Culture des sentiments. L’expérience télévisuelle des adolescents,Paris,EditionsdelaMaisondesSciencesdel’Homme,1999.Pourlaradio,voirHervéGlevarec,«Lemomentradiophoniqueadolescent.Ritesdepassageetnouveauxagentsdesocialisation»,Réseaux,2003,vol.21,n°119.

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Partie 2 – Contributions des CherCheurs aux ateliers

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Lesenseignantssontchargésdetransmettreuneculturequirestefondéesurlesoclehumanisteetquiestdésormaistrèsétrangèreà leursélèves.C’estaveclesenseignantsquelesjeunessontdésormaisenconflit,beaucoupplusqu’avecleursparents.La prime à la culture partagée se double d’une forte dépréciation des

produitsculturelsassimilésauxgénérationsantérieures.Arendtfaisaitunlienexpliciteentreautoritéetrapportaupassé:«lacrisedel’autoritédansl’édu-cationestétroitementliéeàlacrisedelatradition,c’est-à-direàlacrisedenotreattitudeenverstoutcequitoucheaupassé.Pourl’éducateur,cetaspectdelacriseestparticulièrementdifficileàportercarilluiappartientdefairelelienentrel’ancienetlenouveau:saprofessionexigeunimmenserespectdupassé»54.Or,commelemontrentplusieursrecherchesrécentes,enmatièredeculture,lepasséagitplutôtcommeunrepoussoirpourlesjeunes.

Le renforcement des cultures intragénérationnelles sur le Web

Les jeunes se démarquent des pratiques adultes en ce qui concerne l’Internetcommunicationnel:nonseulementilsontunusagedumailbeau-coupplusfaible,maissurtoutilsont,toutaulongdesannées2000,développéetentretenudifférentsmodesd’échangesprivilégiés,àchaquefoisplacésaucœurdessociabilitésintragénérationnelles.Onnoteraquetouscessystèmes,aussidifférentssoient-ilsentermesdedispositifssociotechniques,permet-taient toujours de pratiquer l’échange à plusieurs et de façon synchrone,contrairementaumailquireposesurleprinciped’unecommunicationinter-personnelleendifféré.Cen’estévidemmentpasunhasard.Au début de la décennie 2000, les chats ont été largement investis par

lesmoinsde18ans,puis,àpartirde2003,cefutlamessagerieinstantanée,viaMSN,unserviceferméqui fonctionneparsélectionpréalabledes inter-locuteursetsurlemêmeprincipedelapossibilitéd’échangesengroupe.Onnoteraquecetteformedecommunicationrestetrèspopulaireaujourd’hui,maisuniquementchezlesmoinsde20ans.Dans lesmêmes années, l’essor des blogs a été particulièrement grand

chezlesadolescentsfrançaisdufaitdelapopularitédelaplateformeSkyblog.En juin 2006, Médiamétrie recensait 5,7 millions de skyblogs : 97 % desskyblogueursavaiententre12et18anset60%étaientdesfilles55.

54.HannahArendt,La Crise de la culture,Paris,Gallimard,1986,p.247-248.55.Médiamétrie,«Lestendancesdelablogosphère»,juin2006.En2008,lerapportBigot etCroute signalequ’au cours desdouzederniersmois, la pratiquedublog aaugmentéde8pointschezles12-17ansetde7pointschezles18-24ans(citéparDelaunay,2010,p.121).Commel’expliqueClaireBalleys(2012),lasituationdequasi-monopoledesskyblogschezlesadolescentsestenpartiedueaufaitque«seulsles

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Depuis 2006, les réseaux sociaux, qui reprennent le principepropre à lamessagerieinstantanéedudialogueentreinterlocuteursquisesontchoisis,occupentunepositiondominantedanslepaysage.Lesétudesmontrentquec’estsurtoutl’âgequiexpliquequel’onfréquenteounonlesréseauxsociauxsurInternet: ilssontutilisésparplusdestroisquartsdesmoinsde25ans,contre un quart seulement des 40-59 ans56.Lesréseauxontmêmeattirédesenfantstrèsjeunes,endépitdeschartesquiinterdisentl’accèsauxmoinsde13ans :en2010,unquartdesjeunesfrançaisâgésde9à12ansdéclaraitutiliserunréseausocial, trèsmajoritairementFacebook57.Enréalité, il s’estjouéautourdeFacebookunphénomènecomparableà celui des skyblogs :àl’adolescence,ilfallaityparticiperpourêtreenphaseavecsonentourage.Les recherchesmenéessur lesdispositifsdecommunicationduWeb2.0

chez les adolescents soulignent la place centrale qu’ils occupent dans lagestiondeleurvierelationnelleetàquelpointilsontcontribuéàrenforcerlanécessitédeprouversavaleursocialeauxyeuxdesautresdeleurâge.Ilyadésormaisdeschiffresaucompteurdelapopularité:combiend’amissurFacebookoudefollowerssurTwitter,combiendecommentairessursonblog,combiend’appelsreçussursonportable,combiendemessagessurMSN…Paruneffetspirale,debonschiffresentraînentdemeilleurschiffresàvenircarlapopularitéadeseffetscumulatifs.Ilestd’abordfrappantdevoiràquelpointsont valorisés les signesde réussite en termesdeparticipationà la viedugroupeplutôtquelesperformancesindividuelles.Goffmanécrivaitque«lebesoinhumaind’avoirdescontactssociauxetdenouerdesrelationsamicalesrevêtdeuxformes:lebesoind’unpublicdevantlequelmettreàl’épreuvelesdifférentspersonnagesque l’onseflatted’incarneret lebesoind’équipiersaveclesquelsétablirdesrapportsd’intimitécomplices»58.Fairesociété,c’estbienétablirdesliensavecetdevantd’autresindividus.Maisdanslecasdesadolescents,cetteconstantedelaviesocialeaprisuncaractèretrèsimpératifets’exprimepard’incessantstestsdepopularité.Cenesontévidemmentpaslesnouvellestechnologiesrelationnellesqui

ont créé ce phénomène, il a de tout temps été observé dans les cours derécréation,maisellesluiontdonnédesoutilsdemesurebienplusdursqueceuxquiexistaientavant.Enligne,onsefaitévaluerenpermanence,parun

liens renvoyantàd’autres skyblogspeuventêtre référésdans la listedes“amis”del’utilisateur,cequiestégalementvalablepourtoutcommentairepostéenréactionàunarticle»,p.65.56.RégisBigotetPatriciaCroute,«Ladiffusiondestechnologiesdel’informationetdelacommunicationdanslasociétéfrançaise»,RapportCREDOC,2011.57.Pour82%des13-16ans,chiffresEUKidsOnline,enquêtecitée.58.ErvingGoffman,La Mise en scène de la vie quotidienne, Paris, EditionsdeMinuit,1973,p.195.

Dominique Pasquier

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Partie 2 – Contributions des CherCheurs aux ateliers

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publicbeaucouppluslargequeceluid’uneinteractionordinaireetdefaçonbeaucoupplusprécise.C’estsansdoutelàuneffetperversdecettesociétédesenfantsqu’HannahArendtdénonçaitilyaprèsdesoixanteans.

Dominique Pasquier

Dominique Pasquier, sociologue, directrice de recherche au CNRS, membre du département Sciences Economiques et Sociales du LTCI à Télécom ParisTech.

Ses travaux portent sur la sociologie de la culture, des médias et des nouvelles technologies de communication et elle a particulièrement étudié leurs usages

par les jeunes générations. Parmi ses ouvrages on peut citer : « Cultures lycéennes : la tyrannie de la majorité », Editions Autrement, 2005. Elle a récemment codirigé

un numéro spécial de la revue Réseaux sur le thème « Pratiques culturelles et enfance sous le regard du genre ».

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Partie 3

Expériences des entreprises partenaires

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L’intergénérationnel, levier d’innovation dans les entreprises

Hélène Delahousse

Les générations, source de diversité

Une seule cause ne peut expliquer la mutation que nous vivons. La dimensiongénérationnelleestuneclédelecture,maisellen’estpaslaseuleà expliquer la transformation socioculturelle des entreprises numériques. Ils’agitaussid’unphénomènesociétal.Chez Orange, toutes les générations sont représentées. Chacune d’elle

a ses propres caractéristiques. Les seniors ont un attachement particulierà l’entreprise et y ont fait pour la plupart un long parcours. La générationdes quarantenaires, qui a connu la crise, a une relation très structurante àl’entreprise et se retrouve dans la satisfaction d’objectifs, par exemple.Ce n’est pas tout à fait la même chose pour les plus jeunes qui ont une relationpluscontractuelleavecl’entrepriseetmontrentuneplusforteagilité.Parailleurs,l’entreprisedevientplusporeuse,larelationlinéaireavecelle

nesepratiqueplus.Ilyaencorequelquesannées,unparcoursprofessionnelsetraduisaitparuneentréedans l’entreprise,puisuneprogressionincluantdesmomentscléscommelaparentalité,puissepoursuivaitjusqu’àlaretraite.Les nouvelles générations s’inscrivent donc dans une relation moins

linéaireàl’entrepriseetellesamènentégalementcelle-ciàproposerd’autresapproches.Deplus, si lesgénérationsYnous interpellentetnousamènenten effet à ré-interroger certaines approches établies, l’enjeu principal pourOrangeestlacoopérationentrelesgénérationsauseindel’entreprise.

La génération Y n’est pas un bloc monolithique !

Onatendanceàenvisager lagénérationYd’unemanièreglobale.Or,cen’est pas un blocmonolithique. Le phénomène concerne généralement les

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Partie 3 – exPériences des entrePrises Partenaires

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jeunesayantfaitdesétudesdansl’universdesservices,etbeaucoupd’analyses mettentl’emphasesurlesbac+5.Or,unjeunequientredansuneentreprisepourtravaillerdansunmétier

opérationnel peut avoir un autre type de fonctionnement qu’un jeune quitravailleausiège,parexemple.Dansuneboutique,lerapportautempsesttrèscourtetlaréactivitédoit

être forte. La relation aumétier n’est donc pas tout à fait lamêmequ’enplateauclient.Danslessièges,danslesfonctionsplustransverses,lesjeunesgénérationsdéveloppentuneautreformed’expérience.Toutefois, la générationY a un certain nombre d’exigences communes

vis-à-visdel’entreprise,parrapportnotammentauparcours,maisaussiàlaproximitéetlacollaboration.Selonnous,elleseretrouveplusdansunfonc-tionnementdecontributioncollectiveoùchacunpeut«apportersapierreàl’édifice»dansunenjeucommun.LagénérationYnoussembleaspireràuneplusforteco-constructioncommesourced’énergie.Eneffet,cettegénérationaétéhabituéeàcontribueretàêtreécoutée.Si

notresystèmeéducatifrestemalgrétoutrelativementindividualiste,notam-mentaucollègeetaulycée,cettegénérationagrandi,danssoncadrefamilial,selonlemodedel’échangeetareçuunefortevalorisation.Elleaspiredefaitàs’exprimer,àdonnerunavis,àcontribuer.Encontrepartie,elleattendaussiqu’onluidonnedufeedback.AlalecturedulivreLa Génération Y vue par elle-même,oncomprendbien

qu’il y a des certitudes qui ne sont plus là, contrairement à la générationdes40-50ansquiagrandietcommencéàtravaillerdansdesschémasplus«écrits»,malgré lacriseet lechocpétrolier.Les jeunesquiarriventsur lemarchédutravailontdonc«intériorisé»l’incertitudeetlanécessitéd’agilité.

Le nouveau visage de l’entreprise

LesnouvellestechnologiesontsouventétécitéescommeayantcausélaruptureassociéeauxgénérationsY,maisils’agitplutôtd’unerupturedanslerapportà l’entreprise :uneplusforteexigenceetunerecherchederapportéquilibréentrecequel’entreprisevaleurapporteretcequ’ilsluiapporteront.Cetteexigenceestpositivecarelleconcerneaussilacapacitéàapporterde

lanouveauté,àinterpeleretàco-construire.

De la cohabitation à la collaboration des générations

ChezOrange,nousaccompagnonstouteslesgénérationsdansl’entreprise. NoséquipesRHontvocationàsuivrechaquesalariédanssonévolution.Nousveillons,parexemple,àlabonneintégrationdesjeunesdansleséquipesoùla

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Hélène Delahousse

moyenned’âgeestplusélevée.C’estnotammentlecasdanscertainssecteursd’activitéscommelesservicesauxclients,lesplateauxtéléphoniquesoulesinterventionstechniques.Laquestionquiseposealorsest:commentcréerdulienauseindeséquipes

etentreleséquipes?Demanièreconcrète,nousavonsinitiédeséchangesetdesréflexionsavec

noséquipesopérationnellesenrégionafindepartagernosinitiativesetnosretours d’expérience. Nous avons aussi participé à des programmes inter-entreprises commeOctave (initiéparDanone59).Demanièreplus large, auseind’OrangeCampus,nousintroduisionslaquestiondel’intergénérationneldansnosmodulesdeformationmanagériaux.NousvenonsdesignerunnouvelaccordSeniorsetaccueillonsplusde5000

alternantsparan.Dans lecadrede ladiversité,nousmenonsdesactionsdebénévolatauxquellesparticipentnossalariésgrâceàdesassociations(PasseportAvenir,Energiejeune,Actenses,NosQuartiersontdestalents).Demanièreindi-recte,cettedémarchepermetdemieuxcomprendrelesdifficultésetlesques-tionsdesjeunesencoreétudiantsouentrantsurlemarchédutravail.Cen’estpassifaciledemodéliserlestransfertsdeconnaissance.D’ailleurs

plusquede lesmodéliser, c’est très souventaumanageropérationnelquerevientl’initiativedelesmettreenplaceetdecréerdesbinômes,sibesoin.

La diversité générationnelle, moteur du changement

Queseral’organisationdel’entreprisedansdixansetenquoilesnouvellesgénérationsaccéléreront-ellessatransformation?Quantauxnouvellestechnologies,ellessesontprogressivementancrées

dansnosprocessusd’entrepriseet,dansdixans,chacundenousseraglobale-mentfamiliariséavecelles.Plusqu’unerupturesurlesoutilsentantquetels,lanouvellerupturerési-

dera,ilmesemble,plutôtdansleformatdel’informationetdanslarelationdesplusjeunesgénérationsàl’information:l’externedevientinterne,lafron-tièreentrelemondeextérieuretmondeintérieurs’efface.Lemédiaestégalementimportant:aujourd’hui,nousrecherchonsplutôt

l’informationécrite.Lesjeunesgénérations,quantàelles,irontplusnaturelle-mentchercheruneinformationsousformed’imageoudevidéo.Enmatièredevaleursetd’attitudes,lesattentesdesnouvellesgénérations

amènerontlemanagementàdévelopperunecertaineréactivité,unetranspa-rence,àallerplussystématiquementversdeslogiquesdeco-constructionetdetransversalité.

59.Voirlacontributiond’AnneThevenet-AbitboldansceCahier,p.119.

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Partie 3 – exPériences des entrePrises Partenaires

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Jecroisbeaucoupdanslesjeunes,jesuisoptimiste.Carlesjeunespeuventaussinousaiderànousinscriredansuncertainentreéquilibrevieprivéeetvieprofessionnelle,dansununivers technologiquequi leur ressemble.Demain,l’entreprisechercheraprobablementàêtreplusauthentique,àfavoriseruneorganisation et un équilibre de vie (horaires flexibles, télétravail, etc.) et àpermettreàsescollaborateursdepartirunantravaillerdansuneassociation!L’imbrication du personnel et du professionnel impliquera aussi proba-

blementunchangementdeposturedansl’entreprise.Laisserpercevoirplusfortementunepartiede soi, commeparler de seshobbies, de ses engage-ments,peutaussiréintroduireunedimensiondeplaisirautravail!Les grandes entreprises restent attractives pour les jeunes. Elles leur

permettentdevivreunparcoursricheetvarié.Maisl’intergénérationnelestclépourassocierl’ensembledestalentsdel’entreprise.

Hélène Delahousse

Hélène Delahousse est Directrice du Management, des Projets RH et de la Diversité chez Orange France / DRH. Diplômée de Télécom Paris (1993), Hélène a travaillé

dans les réseaux (Transpac), dans les ventes B2B (aujourd’hui Orange Business Services) puis a contribué à plusieurs programmes clés dans l’univers des contenus et de nos relais de croissance (lancement et développement de la TV d’Orange, lancement de nouvelles

activités dans l’univers du jeu online et création d’une filiale, structuration du vertical eHealth chez Orange Business Services au sein des équipes IT / Global Services)

avant de rejoindre Orange France fin 2011 dans une mission centrée sur l’accompagnement du management et de la diversité.

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La transformation numérique, une question d’état d’esprit

plus que de générationVirginie Mauhourat

L’âge ne me paraît pas être essentiel pour décrypter la transformationnumérique des entreprises. Certes, les générations ont des approches dutravaildifférentes.Les«GenY»sontplusdansl’immédiatetéetportenthautl’exigence d’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. On remarquequ’après avoir passé beaucoup de temps au travail, les seniors ont envied’avoirplusdetempspoureuxégalement.Latendanceversplusd’individua-litéestdoncgénérale.ChezAlcatel-LucentFrance,nousappelons«Seniors»lesplusde45ans

et«GenY»lesmoinsde30ans.Lamoyenned’âgeestde46ans.Lesseniorsreprésententprèsde50%deseffectifsdel’entreprise.L’enjeuactueletàvenirpourl’entrepriseestquelescollaborateurspuissent

gérer leurvieprofessionnelleet leurviedans l’entreprise.Car,que l’onsoitGenYouSenior,l’intérêtestlemêmedepouvoirs’épanouiretsedévelopperprofessionnellementauseindesonentreprise.Les générations neme paraissent pas être le principal décrypteur de la

transformation numérique de l’entreprise. C’est avant tout une questiond’appétence.

Les générations au sein d’Alcatel-Lucent France

Notrepaneld’âgesestassezlargeet,pournousRH,vadoncimpacterlamanièred’organiserletravail.Nousavonsprisconscienceasseztôtdel’impor-tancedel’intergénérationnel.Notreprogramme«GénérationsetTalents»,orientéSeniors,adéjàquatreans.Ilviseàpartagerlesavoiretàrenforcerlacommunicationentrelesgénérations.

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Partie 3 – exPériences des entrePrises Partenaires

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L’âgemoyen de 46 ans dans notre entreprise nous oblige à aborder les questionsdeformationetdegestiondecarrière.Defait,onserendcomptequechaquecollaborateur,quelquesoitsonâge,estconfrontéaumêmeenjeuprofessionnel,quiestdegérersacarrièreetd’êtrevéritablementacteurdeson destin. Le programme « Générations etTalents » est organisé autour de trois

volets:•Lepremiervoletestl’entretiendemi-carrière,quifaitintervenirl’APEC

commepartenaireextérieur.Souvent,lesSeniorsontfaittouteleurcarrièreauseind’Alcatel-Lucent.Pourtouslessalariésdeplusde45ans,lapossibilitéd’avoirunentretiendecarrièrepermetdefairelepoint.Chezcertains,celavamêmesusciterdenouvellescuriositésoumotivations.•Lesecondvoletduprogrammeestledéveloppementdescompétenceset

desqualifications.Apartirde50ans,lesgensonttendanceàmoinsseformer.Ils n’osent peut-être plus demander.Nous avons donc souhaité faciliter lademandeetsensibiliserànouveaulescollaborateursàcesujet.•Le troisièmevoletest lepartagedescompétences.Nousavonsmisen

place le « Programme deMentorat » pour favoriser les bonnes pratiques.Pourfaciliterlesrelationsentrementoret«mentoré»,nousallonsjusqu’àproposerdesformationsaumentoring.L’ensemble du programme«Générations etTalents » fonctionne sur la

baseduvolontariat.L’objectifétaitd’ouvrirlecollaborateuràcequisepasseendehorsdel’entreprise,qu’ilpuissesepositionnerdemanièrepluslargequeparrapportàsaseuleentreprise.DéjàuntiersdesSeniorsabénéficiédeceprogramme.Notre«Plan1000Jeunes»estdestinéauxstagiairesetapprentis.Nous

accueillons unmillier de jeunes par an. Par exemple, dans le cadre de nosrecrutements,nousutilisonsbeaucoupnotreréseausocial«Engage»pourfavoriserl’intégrationdesplusjeunes.L’intergénérationneln’estdoncpasunefinensoi,c’estunefacettedeplus

dudéveloppementRHdenotregroupepourfavoriserledécloisonnement,lacommunicationet la formation.C’estunmoyensupplémentaired’insuffleruneambitiondecarrière.

L’intergénérationnel, une clé pour sortir des préjugés

Lemélangedesgénérationsestimportantetnousavonségalementd’autresactionsquifavorisentl’intergénérationnel.Ellesrelèventleplussouventd’unedémarchespontanéeetvolontaire.Parexemple,leprogramme«Collège@work»permetd’accueillirchaque

année des classes de 3eayantprisl’option«Découvertedel’entreprise».Des

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Virginie Mauhourat

opérationnelstoutesgénérationsconfonduesprennentl’initiatived’organisercettesemaine.Etlesvolontairessontnombreux!Atravers«PasseportAvenir»,descollaborateurssuiventetcoachentdes

jeunesissusdemilieuxdéfavorisés.Ilyadelafiertéàtransféreretàpartagersescompétences.L’intergénérationnelpermetégalementdesortirdespréjugésconcernant

lesdifférencesentregénérationsetdefavoriserunevraiecohésionintergéné-rationnelle.Onserendcompteàquelpointlesconflitssontfinalementinexis-tantsentrelesgénérations.Etpourtant,lasociétéatendanceàprésenterlesrelationsentregénérationscommeconflictuelles,àcréerdessilosartificielsentreelles.Cen’estpascequel’onrencontreauseindel’entreprise.Defait,lesjeunesetlesseniorspartagentlemêmetypededifficultés.Par

exemple,lecasdujeunediplôméquisetrouvesansemploiestassezprochedeceluiduseniorquiadumalàrebondiraprèsavoirperdusonemploi.Toutcelamontrebienl’intérêtcommunpourlesmembresdecesdeuxgénérationsdesedévelopperprofessionnellementetd’êtreacteursdeleurdestin.ChezAlcatel-Lucent,nousavonsmisenplacedesplansd’actionsconcrets

surcessujetsdepuisplusieursannées.Le«ContratGénérations»n’estpasnouveau,maisilnousdonnel’opportunitéderediscuteravecnospartenairessociauxpouraméliorerleschoses.

Le numérique par-delà les âges

ChezAlcatel-Lucent,lesSeniorssontaussiàl’aiseaveclestechnologiesdel’informationetdelacommunicationquelesGenY.NotreréseausocialnumériqueEngageestunformidableoutilpourfavo-

riserl’intergénérationnel.Parexemple,desWikicaféssontorganisésparlesGenYpourexpliquerlaraisond’êtredeceprogrammeetéchanger.L’utilisationd’outilsdecetypechezAlcatel-Lucentmontreclairementque

cela ne relève pas d’une question d’âge. Les plus grands contributeurs surEngagesontdesseniors!Onserendcomptequ’ils’agitdoncavanttoutunequestiond’appétenceetd’étatd’esprit.Tout lemonde peut communiquer avec tout lemonde ; il est facile de

proposerdesinitiativesviaEngage,etaussiavecnotreDG.Lacommunicationest donc aisée. Noussommesuneentrepriseàdimension internationale, l’utilisationdu

télétravail et du travail à distance fait donc partie de notre quotidien. Ladimensioninternationalenouspousseàutilisercesoutils.Plusde4000sala-riésenFrancesontentélétravail;celaconcernedemanièreéquilibréeàlafoisleshommesetlesfemmesetlespersonnesdetoutesgénérations.

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Partie 3 – exPériences des entrePrises Partenaires

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L’AccordTélétravailsignéen2006toucheàprésent45%deseffectifspourunàdeuxjoursdetélétravailparsemaine.Aujourd’hui,celas’organisebien,chaqueéquipealapossibilitédecadrercetélétravaildemanière,parexemple,à organiser les réunions d’équipe un certain jour de la semaine, etc. Le télétravaila investidorénavanttous lesmétiersde l’entreprise.Lebilanesttrèsbon.Globalement,lesgenstravaillentmieuxetl’étatdestressbaisse.

Les autres facteurs de transformation de l’entreprise

Au-delà des générations, il y a les valeurs partagées. L’état d’esprit meparaîtparticulièrementimportant.Parexemple,audébutdel’applicationdel’accordsurletélétravail,certainsmanagersn’avaientpasconfiancedanscetaccord.Mêmes’ilsconstituaientunetoutepetiteproportion,ilsopposaientuneformederésistance.Ontrouvaitégalementunegénérationplusâgéequiculpabilisaitdenepasvenirtravaillerautravailetavaitpeurd’êtremalperçue.Pourlesdixansquiviennent,lacléestlamotivation.Jecroisquecequi

compte, plus que tout, c’est d’avoir envie d’évoluer et d’avancer, de restercurieuxetouvert.C’estcequej’entendsparétatd’esprit.L’entreprise doit offrir les conditions nécessaires pour que la personne

puisseêtreelle-mêmedanssonenvironnementdetravail.Lacléestd’êtresoiautravail.Sil’onsesentbien,onvavouloiravancerdanssavieprofessionnelle.ChezAlcatel-Lucent,noussavonsqueladiversitéestnécessairepourinnover.De manière générale, l’entreprise de demain aura la responsabilité de

promouvoir une ambiance de respect mutuel qui valorise les différences.Et cela commence par le management. Aux directions donc de montrerl’exemple!

Virginie Mauhourat

Virginie Mauhourat est Directrice Diversité et Egalité des chances chez Alcatel-Lucent France en 2012. Auparavant,

elle était DRH Après vente chez Alcatel-Lucent France.

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Numérique et intergénérationnel :trait d’union et accélérateur

de nos vies Guillaume Peter

Depuisvingt-cinqans,laviedesactifsàtraverslemonde,commecelledelasociétéengénéral,s’estprofondémentetdéfinitivementtransforméesousl’influencedunumérique.L’acquisitiondesnouvellestechnologiesdel’infor-mation et de la communication soulève de nombreuses questions à causede l’accélération puissante de leur diffusion. Des tranches d’âges entièrespeuvent rester complètement exclues de ces nouveaux usages : on parlecertes de digital natives,maisausside«fracturenumérique».Celaposeunesériedequestions:commentlesgénérations«anciennes»dansl’entreprisevont-elless’approprierlesnouvellesfaçonsdetravailler?Commentlesgéné-rations«nouvelles»,aguerriesauxoutilsnumériques,vont-elless’intégrerauseindeleurentreprise,souventenretarddansleurutilisation?Commentcesdeuxtypesdegénérationsvont-ilscohabiter,évoluer,contribuercollective-mentàlaréussitedeleurentreprise?Enfin,quelbénéficelesgénérationsquivontquitterl’entrepriseenpartantàlaretraitevont-ellestirerdelatransfor-mationdeleurvieprofessionnelleparlenumérique?Etquelbénéficel’entre-priseelle-mêmepeut-elleenattendreaprèsavoir«misàniveau»etentraînéaunumériquesescollaborateursplusanciens?Lavied’uncolblancs’estcomplètementtransforméeenvingt-cinqans.

Entrelafindesannéesquatre-vingtetaujourd’hui,lacorbeillecourrierentrée-sortieposéesursonbureauaétéremplacéeparunsmartphonepermettantd’accéderà sesmessageriesélectroniquesproetpersoà toutmoment ; lecadreestpassédesnotesqu’ildictaitàsonassistanteetsignaitlelendemainàlaréponseinstantanéeàunemaildepuissoniPaddansuntaxiàl’autreboutdu monde.Ilestindéniablequelesnouveauxoutilsdel’interactionintellectuelle(ordi-

nateurportable,smartphone,tablettenumérique)sontrapidementdevenus

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Partie 3 – exPériences des entrePrises Partenaires

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des moyens de performance individuelle et collective. Une étude sur le numérique60amontréqu’ilsapportaientdesgainsdeproductivitéd’aumoins15% aux entreprises. Les premiers à en bénéficier sont leurs utilisateurs.Aufinal, lenumériquen’ani«freiné»,nihandicapélesactifssurlesvingtdernièresannées,ilss’ysontmêmeremarquablementadaptésetleurvies’enesttrouvéeamélioréesurtouslesplans:emploi,santé,éducationetculture,viecitoyenne,liensocial,etc.Ainsi, lejeunecadredumilieudesannées1980esten2013un«senior

branché». Iln’aplusd’agendapapieretgèresonemploidutempssursontéléphone. Ilypilotetoutessesactivités,tantprofessionnellesqueperson-nelles.Ilaprisl’habituded’utiliserleWebàtouteoccasionpourrechercheruneprécision,uneorthographe.Ilsesentpluslibrecarconnectéenperma-nencedanssamobilitéetencontrôledesesprojetsparlamaîtriseconstantede son agenda, lamise en relation permanente des parties prenantes, quecesoientses fournisseurs, sesclients, sescollègues, sa familleousesamis.Ilsuitsansdifficultédesmodulesdeformationendistanciel(e-learning). Iljongle avec lesfichiers et les emails, il tape tous ses comptes-rendus sansavoirprisdecoursdedactylographieetlesdiffusefacilement.Sonmanagerhiérarchiquepourraitêtresonfils,leurrelationdeconfianceestbienétablie.Faitnouveaudansl’itinérairedujeunecadredesannées1990,ilestdevenuàtempspartielformateurinterne : ilaconçuetdispenséunmodulesur le«bonusagedel’email».Sesformationsontdébouchésurunecommunautéen lignedepartaged’astuces pour bien gérer sa boîtemail et trouver desalternativesàl’envoitropsystématiqued’email,devenule«couteausuisse»dutravail intellectuel.Dans lecadredemissionssociétalespoursonentre-prise, ilestaussimentord’étudiantsentélécomparticipantàdesconcoursd’innovation numérique. Son expérience de la création d’entreprise ou defilialesetdelagestionmultiprojetsycontribuebeaucoup.Onassisteiciaupremiercroisementd’unecompétenceprofessionnelle–l’expérience–etdunumériqueetainsiàunecoopérationintergénérationnelle.Celle-cipeutaussijouer dans l’autre sens, lesdigital natives indiquant aux anciens des applispourremplacerPowerPoint(Prezi),pourgérerdesagendaspartagésendehorsd’Outlook(Doodle)oupourdesenvoisdefichiersvolumineux(Dropbox).Lenumériqueestaufinal le lieuderencontredetranchesd’âgesautour

d’impératifsdeperformanceduXXIesiècle:apprendrevite,travaillerenéquipe,échanger,partager,êtreouvertauxinnovations.C’estnaturelpourlagénéra-tionYetpourlagénérationZdesréseauxsociaux,c’estpresqueunequestiondesurviepourlesplusâgés.Lenumériquealadoubleparticularitédedicter

60.EtudedeMcKinseysur leNumérique,« Impactd’Internetsur l’économiefran-çaise»,mars2011.

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Guillaume Peter

desimpératifsdeperformanceetdeproposerlesoutilspouryarriver.Toutlemondepeutygagner!Cettesynergiebrisetoutéventuelaffrontementdegénérationetvaau-delàdelatempérancerégulatricenormalementattenduede lapartdesplusanciens.digital natives et digital immigrants sont réunis dansunmêmeprojetoù lesétiquettes sontgommées.Cettecohabitation,sansaffrontementetenrichie,dejeunesetd’anciensautravailrenvoieàladiversitédelasociété,maisaussiàunenécessairedynamiquedeco-construc-tion.Elleestrenforcéepardessolutionspolitiquespouraccroîtrel’embauchedes jeuneset freiner le chômagedes seniors : le contratdegénération.Auseindel’entreprise,leréseausocialnumérique(l’intranetparticipatif),sertdeplateformed’expressionàtouslesâges,touteslesidéessontpossibles,touteslescompétencesysontréunies,ladifférenced’âgeimportepeu.Laséparationavecl’entreprisepourrasefaireprogressivementpardutemps

partielchoisi,sanspassagebrutalàunagendavide,etsuivantlesnouvellesformescontractuellesquiémergentpourlesplusde55ans,facilitéesparladiffusiondeplusenplusrépandueetorganiséedutravailàdistance.Au sortir définitif de l’entreprise, que deviendront ces actifs, voire acti-

vistes,dunumérique?Leurinfluenceenpériphériedeleurdernieremployeurpeutprendre la formed’ambassadeurs, de« followers »oudedétracteursenpuissancesurlesréseauxsociauxquideviennentleurnouveauliensocialnumériquelorsqu’ilsquittentleréseaudel’entreprise.Facebookoudesalter-nativesplusrespectueusedelavieprivée,commePath,deviennentleréseaudes isolés,des indépendantsoudes«sortisduRSE».Chargeéventuelleàl’entreprisedeprévoirdeconserverleuraccès!Les créations d’activités numériques pour des seniors par des seniors,

portéesparlareprisedesactivitésassociatives(+40%d’adhésionàdesasso-ciationsentre60et74ans)pourrontégalementfaireflorès.Elless’appuientsur leurmaîtrise technique,mais aussi sur celle de leur descendance, celledesplusjeunes,jusqu’auxpetits-enfantspréados.Inscritesdanslecadredessolutionsd’entreprisepourgérerlescompétencesetleseffectifsparl’essai-mage,ellessontaussidesmoyensd’encouragerlesseniorsenpréretraiteversl’entreprenariatsocialparlenumérique.Ainsi,pouraccompagnerlesseniorsdansleurvieconnectée,laFondation

SFRsoutientdesdémarchesassociativesporteusesdeprojetsnumériquesenleur faveur.Objectif :permettreàchacun,ycompris lespersonnes lespluséloignéesdelaviedigitale,de«monterdansl’ascenseurnumérique»etdebénéficierdesopportunitésde laviedigitale.LaFondationSFR, lorsdesondeuxièmeappelàprojets,«Lenumériquesolidaireenfaveurdespersonnesâgées»,arécompensécinqlauréats,dontl’associationLesPupillesdel’Ensei-gnementPublicde laSommeavecsonprojet«Le relaisde lasolidarité»,

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Partie 3 – exPériences des entrePrises Partenaires

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l’associationCentre Social etCulturel duPaysdeMareuil (Dordogne) avecsonprojet«Desclicsetdesâges»,l’associationTous<->branches.comavecsonprojet«Tousbranchésnumériques».L’associationOldup–plussijeuneset pas si vieux –, également soutenue par la Fondation SFR, propose desformationsd’informatiqueauquotidienpour les«grands seniors» (appa-reilsphotos,GPS,iPad,bornesinteractivesdansleslieuxpublics,jeux,vidéos,réseauxsociaux,etc.).Unegénérationadeshabitudes,descomportements,desmodesdepensée,

deconsommationetdevieetdonc,uneculturespécifique.Onpeutparlerde«lagénérationdesesgrands-parents»carilsvivaientilyaplusde50ans,quasimentdansunautremonde.Lagénérationdeleursarrière-petits-enfantsne retrouve riendesonmondedans le leur. L’intergénérationneldevrait iciêtreconsidérécommeunerelationentretranchesd’âgesdifférenteset,danslemondedutravail,entredescollaborateurs,jeunesetplusâgés,nouveauxetanciens,maisaussi«entregenres»,entrehommesetfemmes,lesfemmesétantunfacteurfavorablededéveloppementduliensocial.Lelienintergé-nérationnelpassepar la solidaritéau seind’équipesetpar le réseausocialde l’entreprisecarc’est le lieud’expressiond’idées, lamiseencommundecompétencesoùlanotiond’âgen’existeplus.Sil’intergénérationnelenentre-priseestfacilitéetrenforcéparlaresponsabilitésocialedel’entreprise,ilestclairqu’ilsertlatransformationnumériqueendynamisantlesoutilsnumé-riques et, par extension, toutes les solutions digitales : blog, réseau social,forum,livrenumérique,applisseniorssursmartphone, etc. SFR Business Team a lancé en février 2013 une solution Machine-to-

Machineadaptéeauxbesoinsdesécurisationdespersonnes,quis’adresseàlafoisàdesactivitésprofessionnellesspécifiquesetàdessituationsdomes-tiquesquotidiennes.Baptisée«m-alert»,ce«boîtier»conçupoursécuriserdes personnes en activité (travailleurs isolés, professions exposées, commelesburalistes, lesmédecinsou lesVIPs)peutserviràdespersonnesfragilesetdépendantes (maladesatteintsd’Alzheimer, enfants). Il s’appuie surunedoubletechnologiedelocalisation(parleréseauSFRpardéfautetparGPSsinécessaire)etsurl’intelligenceduréseauSFR(lalocalisationparleréseauSFRnenécessitantaucunéchangetélécom).Enfin,lenumérique,avecsesapplicationsintergénérationnelles,trouvedes

débouchésdanslesecteur«Health and Well-Being».Ilestprisenchargeausein de la Fondation Telecom vialeprogramme«Triptyque»:troisstart-ups (Santech,Handco,Sensorfit)sontencontactavecleséquipesInnovationdeSFR.Parlerdunumériqueetdulienintergénérationnel,c’estparlerdelacourte

histoiredunumérique,desanaissanceverssonavenir,desvingt-cinqdernières

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Guillaume Peter

années et de notre XXIe siècle !Tout cela au cœur de nos vies, à tous lesinstants,cequilesrendàlafoispassionnantesetrichesdeprojetsnouveaux.L’avantagedesanciens,c’estlamémoire:jemesouviensdeMichelSerresqui,enl’an2000etcontrelesmauvaiseslanguesdelafracturesociale,voyaitdansl’UMTS(notre3G!)unformidableoutildesavoiretdeliensocial,toutcelaaucreuxdesamain!Mainetlien,main-tenant!Tenirlemondedanssamain,icietmaintenant,donnerlamain,uncoupdemain,pourunechaînehumaine.Rien n’a démenti le philosophe, comme en témoigne son dernier ouvrage,Petite Poucette61.Danslesannéesquiviennent,leschercheursdevrontmontrer scientifiquement l’ampleur des bénéfices d’une corrélation de l’usage dunumériqueetdelavitalitéduliensocial,a fortioriintergénérationnel.

Guillaume Peter

Guillaume Peter est responsable Benchmark et Innovation à la Direction Transformation Expérience Client Multicanal de SFR.

Il est en charge des opérations avec la Fondation Telecom.Ancien élève de Sciences Po Paris, il est titulaire d’une maîtrise de géographie

urbaine, diplômé du groupe HEC (Executive MBA) et certifié Black Belt en Six Sigma.Il occupe depuis 25 ans des fonctions Marketing et Ventes, Relation client

et Management d’expérience client au sein de grands groupes internationaux (Thomson, Bosch, Vodafone, Vivendi).

61.MichelSerres,Petite Poucette,ManifestesLePommier!,2012.

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Le management des jeunes générations : empowerment

et valeurs de l’Internet Matthieu Soulé

L’appréhension de l’arrivée à l’âge « adulte » de la jeune génération,cristallisée autour de son entrée sur lemarché du travail, tourne parfois à l’opposition stérile entre ancien monde et nouveau monde. Force est deconstater que l’onprojette souvent sur la jeunesse les valeurs émergentesdelasociété;lefaitqu’elleseralemondededemainamènelesentreprisesquicherchentavanttoutàsurvivreàtraverslesâgesàs’yintéresserdeprès.Onsouhaiteainsicomprendrecesjeunestoutenévitantcependantqu’ilsneprennenttropdeplace.LajeunegénérationactuelleenFrance,dontjefaispartie,faitsagrande

entréedanslemondedutravailtirailléeentresespropresdifficultésàpouvoiryaccéderetlepessimismeteintédenostalgievéhiculéparsesaînés.Cetétatd’esprit,enpartieliéàlacrise,peutêtrepousséàl’extrêmeetengendrerdesréactionscommelatribune«JeunesdeFrance,votresalutestailleurs:barrez-vous !»publiéedansLibération62enseptembre2012, incitant les jeunesàsortirdupayspourpouvoirdécouvrirlemondeetprofiterdesesnouveauxcentresdynamiques.Jesouhaitedansunpremiertempsexpliquerlecontextedanslequelnotregénérationperçoitlemondedutravailactueletversquoielletendpourréconciliersesaspirationsaveclemondedel’entreprise.

Faire ses preuves et préparer sa « future carrière » – la défiance de l’entreprise vis-à-vis de la génération entrante

Comme les générations passées, l’actuelle jeunesse découvre avecperplexitéque,silaméritocratieetl’investissementsontproclaméscomme

62.«Barrez-vous»,Libération,3septembre2012,http://www.liberation.fr/societe/2012/09/03/jeunes-de-france-votre-salut-est-ailleurs-barrez-vous_843642

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Partie 3 – exPériences des entrePrises Partenaires

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valeurs fortes dans la société et les entreprises, leur traduction par la reconnaissanceet l’autonomiedans cesdernièresne se fait qu’auboutdeplusieursannées,voirededécennies.Alorsqu’avoir25anssembleenviablepartousdansnotresociété,enentreprise,enFrance,avoirmoinsde35anssembleselimiterà«seprépareràsafuturecarrièrequidécolleraforcémentaprès».Cettegénérationdécouvreaussinaïvement le règnetoujoursexis-tantdelarétentiondel’informationàchaqueéchelonetlesluttespolitiquesperpétuelleseninterne,commed’autresontdûlesvivreparlepassé;maiscelaluisembleplusdifficilementsupportable.Cettesituationestd’autantplusdélicatequ’ellesetrouveêtreencontra-

dictionavec cequenotre générationa reçu commeenseignement à l’uni-versité ou au cours de ses études sur les nouvelles façons de travailler enentrepriseauXXIesiècle,àgrandrenfortdecollaboration,d’outilsnumériquesfavorisantl’échanged’information,l’innovationetl’interdisciplinarité.Pourenfiniravecceconstat,nousremarquonsquenotregénérationaété

encouragéeàmultiplierlesdiplômesetàfaireautantdestages63quepossiblepourpouvoirêtre«prête»àentrerenentreprise.Cependant,onexpliqueaujourd’huiàceuxquiont«eulachance»detrouverunemploiquec’estdéjàbeaucoup:pourleursrevendicationsdereconnaissanceetdenouveauxmodesdetravail,ilsdevrontrepasser.Ainsi les nouveauxmodèles d’organisation du travail centrée autour du

partagedesconnaissancesetducroisementdesprofilsvariéssont-ilssérieu-sementbattusenbrèchedansungrandnombred’entreprisesquisemblentpercevoircesinitiativescommedes«modes»nonfondéesetparceque,dansuncontexteincertain,mieuxvautnepasserisqueràdenouvellesfaçonsdefaire–aprèstout,pourquoichanger?

L’accès aux réseaux sociaux dits « externes », symbole de la culture d’entreprise ouverte et de la confiance placée dans l’individu

Unedesillustrationsdecetteincompréhensionentrelanouvellegénération et l’entreprise est la question de l’accès aux réseaux sociaux dits externes(FacebooketTwitterétantlesplusemblématiques)auseindesentreprises.Cequenecomprennentpasforcémentcesdernières,cen’estpasquel’accèsàFacebookouTwitterseraitconsidéréparmagénérationcommeunecondi-tion indispensablepourtravaillerenentreprise(j’aiaccèsàmontéléphoneportablepersonnelpourpallierceblocage,commelaplupartdemescollègues,

63.«Générationstagiaire, lesdamnésdupremieremploi»,Les Echos, 9 Juin 2011, http://www.lesechos.fr/09/06/2011/LesEchos/20950-40-ECH_generation-stagiaire-les-damnes-du-premier-emploi.htm

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Matthieu Soulé

jeunesoumoinsjeunes),maisqueceblocagedémontreplutôtuneposturededéfiancedelapartdel’entreprisevis-à-visdesescollaborateursetunétatd’espritperçucommeinfantilisant.Laconfiancen’exclutcertespaslecontrôle,maisassisterencoreaujourd’hui

àdesdiscussionsdansdiversesinstancespoursavoirsil’ordinateur,l’emailetlesréseauxsociauxsontdesoutilsdeproductivitéou,aucontraire,d’oisivetégénéralisée révèlequelquepartundénide lanature socialedescollabora-teurs:personneaujourd’huinepenseraitàenleverlamachineàcafé,sourcedenon-productivité,sicen’estqueceséchangessontcequiconstitueunepartdes liens interpersonnelsauseind’uneéquipeet instaurentunecollé-gialitéqu’aucunoutil nepeut fournir.Commenous le verronspar la suite,cetterecherchedesens,cedésirdedestinéecommune,propresauxgrandscollectifs,manquentcruellementànotregénérationdanslemilieudutravail.

Les aspirations des jeunes : les pays émergents, la création d’entreprise et la révolution numérique comme nouvelles frontières

Enl’absenced’évolutionrapideauseindesentreprisestraditionnelles,lesjeunessetournentverslarecherched’unnouveauparadigmepourconstruirelemondededemaindanslequelilssouhaitents’épanouir.Leursaspirationss’articulentautourdel’émergencedenouveauxeldoradosallantdeSaoPauloà Shanghai, des aventures entrepreneuriales et de la révolution numériqueincarnéesparles«barbaresdudigital»delaSiliconValley.Mêmesilenombredejeuneschoisissantunedecestroisalternativesnereprésentequ’unfaiblepourcentagedenotregénération,ellesétablissentnéanmoinsdans l’imagi-nairecollectiflepointdecomparaisonetlestandardàatteindreentermesdevisiondumondedutravail.Ainsi, ladynamiquedespaysémergentsamèneàrepenserlafaçondont

notresystèmedesociétéévolue,ycomprisdanssacapacitéàrepousserseslimites actuelles et à résoudre ses problèmes inhérents. L’aventure entre-preneurialepermetdepouvoirassumerlaprisederisqueetl’autonomiedeprojets qui peuvent se transformer en belle réussite personnelle et collec-tive.Quantaux«barbaresdudigital»,thèmequinoustientàcœuràl’Ate-lier,ilspermettentundécloisonnementdumondeetunerecompositiondeschaînesdevaleursdansdenombreusesindustries,devenusundessymbolesdumondeenmouvement.Parmicesacteursayantvaleurdemodèles,Google,né en 1998, et Facebook, né en 2004, dont l’âgemédian des effectifs estrespectivementde31anset26ans64,incarnentchacuncesnouvellesformes

64. Payscale, Company Culture, Top IT employers : http://www.payscale.com/

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Partie 3 – exPériences des entrePrises Partenaires

76

d’organisationsquisontdécriéesparcertainsetlouéespard’autres:Googlea été numéro 1 du classement “100 Best Companies to Work For”dumagazine Fortune deux années de suite (2012 et 2013)65 et Facebook vient d’êtrenomménuméro1parunautreclassement,“Best Places to Work”deGlassdoor(2013)66.

« Nous construisons un monde plus ouvert et connecté. Vous voulez y contribuer ? » (Facebook)67 – l’empowerment 68, ou donner aux individus la capacité d’agir

Alorsquelesentreprisesdetoutestaillessedisentrechercherlestalentsde demain, quelles sont celles qui oseraient proclamer, comme Facebook,des slogans aussi aguicheurs que “We’re making the world more open and connected. Want to help?”69. Non contente d’émettre unmessage collectif capable de résonner avec

lesaspirationsdechacun,l’organisationcommelaculturedutravaildecettejeuneentreprisedeplusde4600employés70impressionnentparlemélanged’efficacitéetdesatisfactionexpriméparlesemployésquiytravaillent.C’estpourtantununiverstrèsrigoureuxavecunsuiviconstantdesactionsmenées,le couperet des arbitrages, où les rythmes de travail sont en permanencesoutenus. Monproposn’estpasicidedirequetouteslesentreprisesdevraientêtre

desFacebookoudesGoogleenpuissance,notammentparcequelapérennitéde leursactivitéset l’éthiquede leurmodèled’affairepeuventêtresujetàcaution,mais que leurmodèled’organisation centré autourde l’empower-mentdesemployésestquelquechosequirenvoieàuneprofondeattentedela jeunegénérationactuelle.Cetteconfianceplacéedansles individuspourqu’ilspuissentsesaisircollectivementdesprojetsdel’entrepriseetfaireleurspreuvesavecvérificationa posteriorideleursapportsestvucommelibérateurcarellepermetàchacundesaisirsachance.

top-paying-it-employers/company-culture65.“100BestCompaniestoWorkFor”,Fortune,2012et2013,http://www.greatplace-towork.com/best-companies/100-best-companies-to-work-for66.“BestPlacestoWork”,Glassdoor,2013,http://www.glassdoor.com/Best-Places-to-Work-LST_KQ0,19.htm67. Traduction de “We’re making the world more open and connected. Want to help?”,sitederecrutementdeFacebook,https://www.facebook.com/careers68. Empowermentpeutsetraduirepar«pouvoiretcapacitéàagir»;pourallerplusloin:http://fr.wikipedia.org/wiki/Empowerment69.SitederecrutementdeFacebook,https://www.facebook.com/careers70.4619employésau31décembre2012, FacebookNewsroom,http://newsroom.fb.com/content/default.aspx?NewsAreaId=22

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77

Matthieu Soulé

Les valeurs de la jeune génération coïncident avec les valeurs de l’Internet : la nécessaire transition de l’ère du contrôle et de la restriction à celle de la confiance et de l’empowerment

Jecroisqu’ilestdeplusenpluscompliquéaujourd’huidecernerquellessontlesvaleurspropresànotregénérationetlesquellessontpropresàl’environ-nementduWebetdunumérique.Lesvaleursd’ouvertureetd’échangesentrepairs, lapossibilitéd’accéder à l’informationet, notamment, à comprendrecommentlesdécisionssontprisessurleréseauoudanslemondepolitique,depouvoiruserdesalibertéd’actionetdeparticiperàunprojetcollectifporteurdesensfontpartiedesaspirationsdesjeunesdanslemonded’aujourd’hui.Si l’entreprisearriveàfournircetespaced’expressionetderéalisationà

sescollaborateurs,ellepeutparveniràsesfinsetfairefructifiersaressourcelaplusprécieusetoutensatisfaisantl’ensembledesespartiesprenantes.Cetempowerment vitaldontnousparlionsprécédemmentestlaseulefaçondeconstruire ensemble les conditions du travail au sein des entreprises et deredonner leur noblesse aux dirigeants et auxmanagers qui s’assurent quetoutes lesconditionssontbienréuniespour la réussitedesprojetstoutendéveloppantunevisionclaire.Ilfautainsipasserd’uneèreducontrôleetdelarestrictionàuneèredelaconfianceetdel’empowerment. Enl’absencedecenouveaucontratsocial,lajeunegénération,netrouvant

aucuneréponsesatisfaisanteàcesaspirations,ferapreuved’unopportunismesansfinettenterademaximisersonintérêtindividuelauxdépendsdetoutprojetauquelelleadhèrera.

Matthieu Soulé

Analyste Stratégique de l’Atelier BNP Paribas, Matthieu Soulé a plus de cinq ans d’expérience dans l’analyse des usages et des business model du Digital au service

des entreprises et, notamment, des services financiers. Diplômé d’Audencia Nantes avec une spécialisation en Consulting et International Strategic Management,

il s’intéresse plus particulièrement aux écosystèmes de l’innovation à l’international, notamment à celui de l’Inde, qu’il a découvert pendant ses études à Bangalore, et à celui

de la Silicon Valley, qu’il a étudié depuis la filiale de l’Atelier à San Francisco. Matthieu Soulé a successivement travaillé dans différentes cellules d’innovations de

BNP Paribas, dont le Centre d’Innovation et de Technologies (CIT), la cellule d’innova-tion digitale de la banque de détail et au sein de l’Atelier à Paris et à San Francisco.

Il est également directeur de programme au sein de Youth Diplomacy, un think tank jeune, en charge du programme « Relations Internationales et Nouvelles

Technologies ». Il participe activement aux deux programmes de prospective de la Fondation Télécom.

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Partie 4

Visions prospectives des dirigeants des entreprises

partenaires

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81

L’ère de l’interdépendance des générations

Dorothée Burkel

La génération Google, une génération bien réelle

ChezGoogleEurope,lamoyenned’âgeestassezjeune(latrentaine),maiscequimeparaîtleplusintéressantestlefaitquelapopulationsoithomogène.Lamoyenned’âgedépenddel’activitédessites.Parexemple,l’undenos

centres d’activités de Dublin rassemble une pépinière de jeunes diplômés.Onsecroiraitàl’université!Danslesbureauxdesautrespayseuropéens,ontrouveplutôtdestrentenaires.Ilyadesquarantenaires,maisonlescherche!En fait, nousavons tout simplement l’âgedenotre industrie.AuxEtats-

Unis,oùl’antérioritésurInternetestplusgrande,lescollaborateurssontunpeuplusâgés.EnEurope, lescollaborateurssontsystématiquementunpeuplusjeunes.Google est né en 1998, dans la foulée des grandsmédiasonline ; nous

sommesaujourd’huiàl’èredesréseauxsociaux,quiestportéeparunenouvellegénérationd’internautesplusjeunes.LagénérationGoogleestdoncunpeuplusjeunequelagénérationYahoo

etAOL,etunpeumoinsquelagénérationFacebookouTwitter.En termes d’usage, les réseaux sociaux rassemblent les deux extrémités

de lapyramided’âges (les jeuneset les seniors,qui sont trèsactifs sur lesréseaux–celaleurpermetderesterenlienavecleurfamille,mêmeàdistance),maisdèsquel’onparledenouveauxusages,lespremiersàlesadoptersontlesplusjeunes,beaucoupplusagilesetfluidesdansl’utilisationdesnouveauxoutils.Cequicompte,c’estlarapiditéd’adoptiondesusages.C’estpourcelaque,mêmesinosservicessontdestinésàtouslesâges,ilestclairquelespluspromptsàlesadoptersetrouventenmajoritéparmilesplusjeunes.Dansnotremétier,celuidel’usagesurInternet,lephénomènedelatrans-

formationparlenumériqueestpardéfinitiongénérationnel.Sinousenétions

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Partie 4 – Visions ProsPectiVes des dirigeants des entrePrises Partenaires

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restés làoùnousenétions ilyadixans,nousserionsdéjà«morts» !Laquestiondelagénérationconstituepournousunvéritabledécrypteurdelatransformationnumérique.

Les générations, une histoire de savoir-faire

Lesgénérationssonttrèsliéesauxnouvellestechnologiesetàleursusages.Il y a quatre ou cinq ans, l’appropriation et l’utilisation d’un nouvel outilétaient très homogènes.Aujourd’hui cela commence à changer : certainespersonnescommencentàêtredébordéesentermesdetechnicité.NoussommesentraindequitterlagénérationduPC,dumail,dumoteur

derecherchequiétaitcelledesannées2000.Nousentronsàprésentdansl’èredessupportsmultiplesetdesapplicationsaffinéesavecunegénérationqui utilise aumaximum les réseaux sociaux et qui est extrêmement agileentrelesdifférentssupports.Iln’estpasfaciledequalifierlanaturedecetterévolution.Lagénérationdes

réseauxsociauxconstitue-t-elleunerupturemajeurepourquelquesannéesencoreàvenir?Oubien,ceschangementsàlafoistechniquesetculturelssont-ilsamenésàcontinuerd’évoluerdeplusenplusrapidement,c’est-à-direquenousentrerionsdansuneèreoù l’obsolescenceseraitsanscesseaccé-lérée?Cequiestsûr,c’estqueceschangementsinduisentunetransformationmajeuredansdeuxdimensionsessentiellesdelavieenentreprise:l’accèsàl’informationetlacommunication.C’estencelaqu’ilsconstituentundéfitrèscomplexepourlesacteursdel’entreprise.

La recherche de l’autonomie et de la complémentarité

ChezGoogle,nouscherchonsàconservernostalents;nousreconnaissonsl’expertise.Nous avons besoin de gens plus jeunes car c’est leur vision dumondequinouspermetdefaireévoluernotreoffre.Jeremarquequeles35-40ansviennentdeplusenplussouventaccompa-

gnésdeplusjeuneslorsquel’onparledesujetstrèsprécisettechniquescarl’usagedesnouvellestechnologiesestbeaucoupmieuxmaîtriséparlesplusjeunes, naturellement et sans efforts…Des binômes se forment spontané-ment.Nousvoyonsapparaîtreuneinterdépendancedesgénérationsquimesemblevraimentintéressantecarelledéplacelaresponsabilitédumanagerdefaçonévidente.Ilnepeutplusêtre«celuiquisaitmieux»…La prise de recul est le propre des plus seniors, mais l’expertise et

l’innovationsetrouvent,mesemble-t-il,chezlesplusjeunes.Jelevoisaussidansd’autresentreprises.Cheznous, l’intergénérationnel faitnaturellementpartiede lacultureet

semet enplacedemanière très spontanée. Lapositionhiérarchiquede la

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Dorothée Burkel

personneetdesonâgenecomptentpasentantquetels.Noustravaillons defaçonvraimenthorizontaleenrecherchantlacomplémentarité.Lesjuniorsapprécientunmanagementdequalité,leretoursurleurtravail,delarecon-naissance, l’accompagnement de leur développement et de leur parcoursprofessionnels ; de l’autre côté, les managers ont besoin d’expertise, qu’ildevient impossible d’actualiser en permanence au niveau de granularitésouhaitée:ilsdoivents’appuyersurd’autres.

L’entreprise de demain, un autre rapport au pouvoir

Unfacteurquimeparaîtessentielpourcomprendrelatransformationdel’entreprisenumériqueàdixansestladécorrélationdupouvoirsymboliqueetdusavoir.L’autoriténepeutpasvenirduseulsavoirparcequel’autoritén’estpluslaseuledétentricedusavoiretellenepeutpascontrôlersadiffusion.Lesrôlessontentraindechanger.Lalégitimitédumanagernepeutplusvenirdesaseuleexpertisetechnique,

ellen’estpastoujoursnécessaireet,lorsqu’elleestprésente,elleestinsuffi-santedetoutefaçon.Noustravaillonsdansdesuniverstropcomplexesetnosoutilsmettentàportéedemaintoutlesavoirdumondevia les moteurs de recherche,Wikipedia,outoutsimplementlesconseilsdesréseauxsociaux…L’autoritédumanagervientdesacapacitéàécouter,àmettreencohérence–simplifierlacomplexitépourlarendreintelligibleetl’orienter–etàrassem-blerautourdelui.Sonrôleestdesélectionnercequiestpertinentdecequinel’estpas,de

réduirelescontradictions,dedéfinirunedirectionetdeprendredesrisquesendécidant,puisenaccompagnantlamiseenœuvrepourgarderlecap.Celaimpliqueaussidelaclartéetdelacohérencedesapart.

Communication : l’enjeu de l’autorégulation

L’autregrandetransformation induitepar l’apparitiondesoutilsde communicationnumériqueest ledéveloppementde lacontribution :c’est-à-dire toutceque l’onaappelé leWeb2.0,dans lequelchaque internautedevientunacteur,producteurdecontenu.Celanes’arrêtepasauxportesdel’entreprise…Uneincroyableénergieproductrices’est libéréeilyamainte-nantprèsdedixansetn’apasfaibli.Silesentreprisesnecomprennentpasqu’ellesnedoiventpasmuselermaisorchestrercesfluxascendantsettrans-versauxdecommunication,ellesrisquentdepasseràcôtédusujetetdesepriverd’uneopportunitéinestimable.Leproblèmequel’onconstatedansdenombreusesentreprisesestqu’elles

raisonnentdansunparadigmedépassé,«lamaîtrisedelacommunication».

Page 76: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

Partie 4 – Visions ProsPectiVes des dirigeants des entrePrises Partenaires

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Cetteépoqueest toutsimplement révolue.Les frontièresentre l’entrepriseet lemondededehors sont totalementporeuses. Les collaborateurs ne sepriventpasdedonnerleuropinionsurleursemployeursetlesfuturscandidatsn’hésitentpasàsolliciterleursréseauxpoursavoircequisepasseailleurs.Delamêmemanière,lescollaborateursontenvied’exprimeretdepartager

leuropinion,deposerdesquestions,dechercherdesinformationssansavoiràpasserparunsystèmedefiltragecompliqué.Rendrecetteexpressionpossibleestunvéritableenjeudecommunication interneainsiqu’undéfiposéauxdirectionsgénérales,auxorganisations représentatives,auxdirectionsde lacommunicationetauxdirectionsdesressourceshumaines.Google a ignoré le sujet enposantd’embléequ’àpartir dumomentoù

l’entreprise recrutait des collaborateurs de très grande qualité, il n’y avaitaucuneraisondenepaslesécouter.L’entreprises’estainsiconstruitesurunelogiquedeforumouvertoùlesseulsoutilsderégulationsontleplussouventréclamésparlesutilisateurseux-mêmesdefaçonàéviterlechaosd’informa-tions.Maisleslistesnesontpasmodéréesa priori…etfinalement,lemeilleuroutildemodérations’avèreêtrelacommunautéelle-même.Cesflux vivantsontune autre fonction essentielle : ils entretiennent et

fontvivrelacommunautédescollaborateursenrenforçantleliensocialautraversd’unéchangeproductif,delacréationdesous-réseauxd’affinités,eten rappelant à tout lemonde qu’une entreprise est un corps social vivantaniméauniveaudechacunedesespartiesdansuntoutbiensupérieuràsasomme.Googleestlasommedesescollaborateursetcelledeleurscommu-nautésd’intérêtsquiviventautraversd’échangesdesavoir,decompétences,deréseauxétendus.Ilscommuniquentendirectindépendammentdetouterelationhiérarchique,géographique,générationnelleoufonctionnelle.Cesréseauxn’ontbesoinquedepeudechosespourexister:laspontanéité

et laconfiancequigénèrent la responsabilité.En faisant leparide l’intelli-gencecollective, l’entrepriseamisenplaceunecultured’entreprisequiestaujourd’huil’undesesavantagescompétitifslesplusoriginaux.

Dorothée Burkel

Dorothée Burkel a rejoint Google en février 2008 comme DRH Europe du Sud, après avoir été DRH et Communication Corporate de AOL France.

Elle dirige aujourd’hui les ressources humaines de la fonction commerciale pour l’Europe, le Moyen Orient et l’Afrique.

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Les jeunes diplômés, un facteur fondamental de la performance

de l’entreprise numériqueFrancis Hintermann

Lapolitiquederecrutementconstituel’undesenjeuxmajeursdecompéti-tivitéetdedéveloppementd’Accenture:nousrecevonsplusdedeuxmillionsdeCVparanet,en2012,nousavons recruté70000personnes,dontuneimmensemajoritédejeunes. Intégrer lesmeilleursdansnotreentrepriseetidentifierpoureuxlesopportunitésdesedéveloppersontnosprioritéscarledéveloppementdenotreentreprisereposesurlestalentsquilacomposent.

Le recrutement des jeunes, un levier de compétitivité pour Accenture

Accenturesecaractériseparunestructuredémographiqueparticulièrequis’expliqueengrandepartieparsonmétier.Onentrefréquemmentcommeanalyste,puisl’ondevientconsultantavant30ans,pourensuiteévoluerversdespostesdemanagement(managers et seniors managers).L’âgemoyenyestd’unetrentained’années.Lepourcentagedesplusde50ansyestminimeetestprincipalementreprésentéparlesdirigeants(managing directors).Cettestructureetnotremétierdeconseiletserviceinformatiquesexpliquent

que nous accordions une attention particulière au recrutement.AccenturerecruteraenFrancecetteannéeenviron700personnes,dontunetrèslargemajoritédejeunesdiplômés,âgésde22à25ans.Lesaspirationsetlesattentesdecettetranched’âgenousintéressentdonctoutparticulièrementetnouscherchonsàaccompagnerlepluspossiblelesjeunesdansleurparcoursprofes-sionneleninvestissantdansleurformation,enleurdonnantplusdeflexibilitédanslamanièredetravailleretenrenforçantleur«employabilité».Tousneresterontpascheznousdurantlatotalitédeleurcarrière,maistousdoiventpouvoirdévelopperunavenirprofessionnelconformeàleurtalent.

Page 78: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

Partie 4 – Visions ProsPectiVes des dirigeants des entrePrises Partenaires

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Lesparcoursdes femmes,qui représentent lamoitiédenos recruesà lasortiedel’école,sontunpointd’attentionparticuliercarledéfiestd’éviterle«décrochage»quiapparaîtrégulièrementaumomentdelamaternitéetdeleuroffrirdespossibilitésd’accéderauxpostesdemanagementcomparablesàcellesdeshommes.

S’adapter aux nouvelles attentes des jeunes

Lesjeunesdela«générationnumérique»ontdescomportementsetdesattentes très spécifiques auxquels nous répondons par la structuration deparcourspersonnalisésetuneapprochenouvelledutravail.Parmilesattentesdesjeunes,ilyalavolontéd’avoirunéquilibresatisfai-

santentrelavieprivéeetlavieprofessionnelle.Accentureafavorisélamiseenplacedu«télétravail»(travailàdistancedepuisledomicile),quipermetaux consultants de travailler de chez eux lorsqu’ils ne sont pas chez leursclientsetauxemployésdesservicessupportsdetravaillersystématiquementunàdeuxjoursparsemaineàleurdomicile.Nousavonségalementdéveloppéuneculturedutravailmoinshiérarchique

quepar le passé, en accordantuneplace importante aux initiatives indivi-duelles,dansletravailpourlesclients–lesjeunesanalystestravaillentchezlesclientstrèsrapidement,commelesautres–etendemandantrégulièrementdes feedbackssurlemanagementauxmembresdeséquipes.Enparallèle,lesjeunesanalystesreçoiventrégulièrementdesfeedbackssurleurperformance.Dans le domaine numérique, nous avons parallèlement ouvert, de façon

progressive, la possibilité d’utiliser les appareils informatiques personnels autravail(PC,tablettes,smartphones,etc.).Nousnesommesplusàl’èredel’uni-formité,quandtouslesemployésavaientlemêmeordinateursurleurbureaudetravail,mêmesi,évidemment,lasituationvarieencoreenfonctiondespays.Ladiversitése retrouveégalementdans ledomainevestimentaire. Ilya

encoredixans,leconsultantd’Accentureétaitperçucommetrèsuniforme.Cetteuniformiténecorrespondplusàl’attentedesrecrues.Ladiversité,onlaretrouvetoutsimplementdansl’aspectvestimentairedesconsultantsquin’aplusrienàvoiraveclecostumegrisouletailleurdroitdesannées1980!

Une nouvelle forme d’école du leadership

La diversité s’exprime enfin dans les comportements, les attentes etles parcours. Là encore, nous misons sur la personnalisation des parcoursprofessionnels.Ceuxquiveulents’engagerpourunecausehumanitairepeuvent lefaire.

Nousavonsdéveloppédesmissionspro bono enproposantaux jeunesqui

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sont volontaires demener des actions caritatives pendant quelquesmois.C’estpournousunemanièred’êtrecohérentsetd’incarnernotreresponsa-bilitésocialed’entreprise.C’estunengagementd’Accenturevis-à-visdesonécosystème.Notreprogramme«Skills to succeed»estambitieuxpuisqu’ilproposede

former500000personnesàl’horizon2015,defaçonàleuroffrirunepossibi-litédedévelopperuneactivitéprofessionnelledurableetdesubveniràleursbesoins.Nosconsultantssoutiennentfortementceprogramme,quidonnedusensàleurengagementprofessionnel.Cetteécoledeleadershipdonnedel’élanànos«intrapreneurs»quidissé-

minentensuiteau seinde l’entreprisedes facultésd’innovation trèsutiles.Celaconcerneprincipalementlesjeunes,lenombrede«cultural creatives»71 yétantplusparticulièrementreprésenté.

Le métier de conseil, un apprentissage par définition intergénérationnel

Uneautremanièrede répondreauxattentesdes jeunesestde favoriserleurparcoursprofessionneletdeleurproposerdesformations.L’objectifestclairementdedévelopperl’employabilitédesconsultants.Les

formationsconcernantlesoutilsnumériquessontnombreuses.Nousaidonsnosclientsàsetransformertechnologiquement.Nousdevonsêtreàlapointedesusagestechnologiques.Unedesvaleurs clés (core values)d’Accentureest le« stewardship», le

savoir-fairequisetransmetpar lesgénérations.C’estcommecelaque l’onapprenddansnotremétier,parune formedecompagnonnage.Letransfertd’unegénérationàl’autrefaitpartieintégrantedenotreactivité:ellenousvientdesoriginesde«partnership»del’entrepriseetnousavonsfaitextrê-mementattentionàlaconserverdanslanouvelleorganisation.Nousavonségalementunengagementtrèsfortsurlecollaboratifcarc’est

cequifaitlesuccèsd’unemissionchezunclient.Nousmenonsdesenquêtes«360°»depuisuncertainnombred’années,quipermettentauxplusjeunesdedonnerunretourauxplusseniors.Laperformanceestévaluéeselontroisaxes : value creation (création de valeur),business operations (efficacité etgestiondeprojets),people development(relationavecleséquipes).Cedernieraxe,quicompteautantquelesautresdanslesévaluations,incarneleplusladimensionintergénérationnelle.

71.VoirladéfinitiondanslacontributiondeCarineDartiguepeyrouàceCahier,p.45.

Francis Hintermann

Page 80: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

Partie 4 – Visions ProsPectiVes des dirigeants des entrePrises Partenaires

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Les critères transformationnels de l’entreprise de demain

Au-delàdeladimensiongénérationnelle,d’autresfacteursontunimpactsur la transformationnumérique. Ilyadescontextesorganisationnelsplusrétifsauchangementqued’autres.Certainesentreprisesontplusdemalàsetransformerqued’autres.Ce qui a changé depuis dix ans, c’est qu’à présent, la quasi-totalité des

entreprisesontacceptéquelenumériqueallaitjouerunrôlefondamentaldansleurbusiness.Aujourd’hui,cetaspectestquasimentacquispour l’ensemble desgrandesentreprises.Làoùilresteunpasàfaire,c’estd’intégrerceladanslastratégiedel’entreprise.Mettrelenumériqueaucœurdelastratégien’estpasencoresystématique.Ilyaunprogrèsàmenersurcequecelaveutdirepourlesemployés,parfoisilyaaussiuneacculturationdesdirigeantsàopérer.Cen’estpastoujoursgagnécarlatransformationnumériqueremetencauselesschémastraditionnels.L’avenir, c’est donc demettre le numérique au cœur de la stratégie de

l’entrepriseetdepromouvoirlaréflexionsurlesnouveauxbusinessmodèles.Derrièrecela,ilyalechoixdesbonnestechnologies,desbonsprocessus,desbonnespersonnes.C’estunetransformationdegrandeampleur.Lesmoyensàmettreenplacesontconsidérablesetvontstimulerlemarchéduconseiletdesservicesinformatiquesdanslescinqprochainesannées.Plusparticulièrement,surleplandeladimensionhumaine,lepointessentiel

est d’éviter les clivages entre lemanagement et les employés. Il existe unrisque paradoxal de fossé entre les jeunes, très acculturés technologique-ment,quiveulentallervite,etlesgénérationsmanagérialesplusseniorsquidétiennentlesclésdelastratégiedel’entrepriseetsontfréquemmentpluslentsàadopterleschangementsradicauxrendusnécessairesparlatransfor-mation numérique.

En conclusion, les générations sont un décrypteur fondamental chezAccenturecarellesfontpartiedenotrebusinessauquotidien.C’estunenjeuclépournousdecontinuerd’attirerdesjeunesdiplômés,delesformeretdecontribueràleurévolutionprofessionnelle.

Francis Hintermann

Francis Hintermann, Managing Director, est responsable au niveau mondial des Etudes Stratégiques d’Accenture. Le Département des Etudes Stratégiques,

qui est composé de 200 personnes réparties dans le monde entier, publie des études économiques sur tous les secteurs et tous les pays dans lesquels Accenture

est présent aux côtés de ses clients. Francis enseigne parallèlement la Stratégie d’Entreprise à Sciences Po Paris.

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L’intergénérationnel, une question de vivre ensemble

Elisabeth Karako

BNP Paribas a commencé à s’intéresser à la question des seniors avantdes’intéresseràlaquestiondel’intergénérationnel.Parallèlement,nousnoussommesrenducomptequelaquestiondel’âgen’étaitpasunangled’attaquesuffisantetqu’ilfallaits’intéresserauxattentesdetouteslesgénérations.Ilfallaitréagiràunesociétéquiétaitenmutation,àl’allongementdeladuréedutravail,auxpostesquiétaientamenésàdisparaître,auxenjeuxdesantéetdepréventiondustress.Chaqueannée,leGroupeBNPParibaseffectueunGlobalPeopleSurveyet

l’onconstatequelesréponsesdesjuniorsetdesseniorsnesontpassiéloi-gnées.Unegrilledelectureparl’âgen’estdoncpaspertinente.

L’âge, un facteur discriminant plus que pertinent

ChezBNPParibas,lamoyenned’âgedenoscollaborateursvariebeaucoupentre les différentes entités.Nous avons des populations très jeunes danscertainesentités,trèsseniorsdansd’autres.Les30-34ansreprésentent17%enEurope.Ilyatrèspeudemoinsde25ansettrèspeude60-65ans.Cequel’onappellecheznousles«seniors managers»ontenrèglegénéraleentre45 et 60 ans.EnFrance,lessalariésâgésde45ansetplusreprésententplusde47%des

effectifs.Latranchedes45-55ansdiminue,celledesplusde55ansaugmente.L’âgenemesemblepasconstituerun facteurpertinentpar rapportà la

capacitéd’innovationd’uncollaborateur.Cequiimporte,c’estl’étatd’espritdespersonnes,leurcapacitéd’influence,lepostequ’ellesoccupent,letypedemanagementdeleuréquipe.

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Partie 4 – Visions ProsPectiVes des dirigeants des entrePrises Partenaires

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Etre en capacité d’anticiper

Aujourd’hui, en France, les collaborateurs vont travailler jusqu’à 65 ans.Plusieurs générations (quatre, voire cinq) vont devoir travailler ensemble,collaborer sur des projets. Les entreprises doivent anticiper cette nouvelleorganisationetcomprendrelesbesoinsdesunsetdesautres.

Comment favoriser cette mixité des âges

Chez BNP Paribas, par exemple, les jeunes recrues Bac+5 commencentparfois leurcarrièrecommedirecteurd’agenceet se retrouventàmanagerdes personnes de plus de 50 ans qui ont plus d’expérience qu’eux. Savoirmixerl’expériencedesanciensetlescompétencesdesjeunesdiplômésdansunclimatharmonieuxestunvéritableenjeu.

Le rapport aux technologies

Ilexisteundécalageentre lesgénérationsnéesavec lestechnologiesdel’informationetdelacommunicationetcellesnéesavant.LagénérationYestcelledesréseauxsociaux.Laconnaissancenesefaitplusdemanièredescen-dante,ons’informemutuellementvialesréseauxsociaux.Lerôledumanagerachangé.Ildoitêtrereconnugrâceàsonleadership,ses

compétencesetplusseulementpoursapositionhiérarchique.Lajeunegénération,parexemple,necomprendpaspourquoidenombreux

accèsà Internetouàdesréseauxsociauxnesontpasautorisés.L’idéequeles réseaux sociaux sont, par exemple, dangereux et font perdre du tempsdoit évoluer.Des outils commeTwitter peuvent avoir une vraie utilitéprofessionnelle.

Favoriser l’intergénérationnel

Nousvenonsdesignerunaccord«Seniors»etnousallonsaujourd’huiconclureunaccordpourrépondreaucontratdegénération.L’enjeupourBNPParibasestàprésentdedévelopperl’intergénérationnel.

Ilmesembleplusintéressantdecréerdesbinômesquedututorat,oùlesenior«apprend»aujeune.Lesjeunesetlesseniorsontbesoinlesunsdesautres.Laquestionestdesavoircequechacunpeutapporteràl’autre.Danslessujets«Diversité»,différentsprojetspourrépondreausujetdel’intergénérationnelsontàl’étude.LedéveloppementdudigitaldansleGroupepeutaussiêtreunmoyenderapprocherlesgénérations.LagénérationY,considéréepluségoïsteparbeaucoup,fonctionneenfait

davantageselonleconcept«win/win»(gagnant/gagnant) :«J’apporte

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quelquechoseàmonentreprise,maisilfautqu’elleaussim’apportequelquechose.»Lesjeunesaspirentàdenouvellesformesdereconnaissance.Ilsnecherchentplusseulementunerémunération,maisaussià«donnerdusens»à leurtravail,àrecevoirde laformationpourgarantir leuremployabilitéetleurmobilité.

Des nouvelles aspirations… aux valeurs

Danscecontextemutationneloùl’onnecomprendplustout,onchercheavanttoutàavoirunimpactpositifsurlemonde.Lessalariés,ettoutparti-culièrementlesjeunesgénérations,veulentvivredansunesociétédemanière«macro»pourprotéger laplanète,pouvoiravoirun impactpositifsur lesgrandescauses,faireensortequelemondes’amélioreetquelesentreprisesparticipentàdesactionsdeproximité.ChezBNPParibas,denombreuxprojetssociétauxsonttrèsappréciésdesjeunes,maisaussidesseniors.C’estlecasdenotreactiondepartenariatavecl’associationNosQuartiersontdesTalents,quiimpliquenossalariés.Danscecontexte,lavaleurquimeparaîtlaplusporteused’avenirestsans

aucundoute lerespect.Cettevaleurs’appliqueaussibienà lagénérationYqu’auxseniors.Lerespectdusalariécommeêtrehumainsignifieque«jenesuispasqu’unmatricule»,que«jesuisinsérédansuneentrepriseetdansunesociété».Lemotréciprocitéestessentiel.Aufinal,c’estunequestiondevivreensemble!

Elisabeth Karako

Elisabeth Karako est Directeur Diversité du Groupe BNP Paribas. Elle a commencé sa carrière comme enseignante à l’International School of Paris

où elle est restée de 1984 à 1989. En 1989, elle rejoint le Cabinet Heidrick and Struggles comme consultante en recrutement dans le secteur financier. En 1997, elle est recrutée chez Paribas comme Responsable du recrutement,

en charge du « Young Executive Program » de la banque. Après la fusion avec BNP, elle devient Gestionnaire Individuelle de Carrière au sein de la RH Groupe et, en 2007,

elle est nommée au poste de Directrice Diversité du Groupe BNP Paribas. Elle est responsable de l’ensemble des sujets de lutte contre les discriminations

et de promotion de la Diversité pour le Groupe.

Elisabeth Karako

Page 84: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

93

Des cultures informationnelles au service de la transformation

intergénérationnelleSébastien Lebreton

Culture générationnelle ou culture spécifique de l’information ?

ChezAlcatel-Lucent,lapopulationestreprésentéepar80%d’ingénieursetdecadres.Dufaitdenotreactivité,lessalariésontungoûtouuneappé-tencenaturellepour lestechnologies,enparticulier lesnouvellestechnolo-gies.Lemétierd’Alcatel-Lucentestd’inventerlamanièredontlesgensvontcommuniquerdemain.Nouscherchonsdoncàfaireévoluerlestechnologiesenpermanence.Noussommesuneentreprisequineseretrouvenidans lacaricaturedesjeunes«geeks»nidanscelledesseniorsquiseraientcomplè-tementréfractaires.Iln’yadecefaitpasdefracturenumériquequiseraitliéeàdesdifférencesgénérationnelles.L’apprentissage des nouveaux outils collaboratifs est peut être moins

natureldanslapopulationplusseniorquechezlesjeunes.Lesdigital natives sontnésavecInternet,leurapprentissageesta prioriplusrapidequepourlesseniors. Pourautant, chezAlcatel-Lucent, toute lapaletted’outilsde typescollaboratifsetsociauxestutiliséepartous.Surnotreréseausocialinterned’entreprise«Engage»72,lesplusgrandscontributeursnesontpasforcémentlesmoinsdetrenteans!Ce que l’on observe, c’est plutôt que l’usage des outils et le rapport à

l’information sontdifférents. Les jeunes générationsontplusbesoind’êtreinforméesdansl’immédiatetéetd’êtredanstouslesflux.Ilsvonteux-mêmes

72.Leréseausocial«Engage»afait l’objetdeplusieursarticlesdans leCahierdeprospective2011.

Page 85: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

Partie 4 – Visions ProsPectiVes des dirigeants des entrePrises Partenaires

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chercherettrierl’information.Al’inverse,lesseniorsapprécientpeut-êtreunecommunicationplusfiltréeoùl’entrepriseciblesesmessages.Lesseniorsseplaindrontplusdutroppleind’informationsquelesjeunes,parexemple.

Les facteurs transformationnels autres que générationnels

L’accompagnementdanslaphased’apprentissageesttrèsimportant.C’estmêmelaclédusuccèspourunefortemobilisation.Des«caféswiki»ontainsiétéorganiséspour le lancementdenotreréseausocialEngagepar lessalariéslesplusfamiliersdesmédiassociaux.Pariréussipuisque,sur70000collaborateurs,plusde60000sontaujourd’huiprésentssurEngageet2000sontmêmetrèsactifs.Autrefacteurdesuccès,lefaitquel’outilsoittrèssimpled’utilisation.Ila

lavertuderegrouperlesavantagesd’unTwitter,d’unFacebook,d’unLinkedInetd’unYoutubepourlesvidéos.Engageadefaitétéutilisétrèsrapidementcommeunoutild’échangespourunecommunicationbottom uppermettantàchaquesalariédes’exprimer,d’échangerdesidées.Celan’apaspourautantsupprimélesemailsquirépondentàunautreobjectifdecommunication.

L’approche intergénérationnelle chez Alcatel-Lucent

Lesjeunesgénérationsarriventsurlemarchédutravailavecuneconnais-sancedestechnologiesetavecdesusagesdifférents.L’enjeuestdoncpournous de pouvoir continuer à travailler ensemble.Mais attention, il faut seméfierdespréjugés:ontrouvebeaucoupdegeekschezlesseniors!Nousdévelopponslementoringcommeapprochebilatérale.Pournous,le

mentoringn’estpasletutorat,c’estunelogiquedepartagedusavoiretdusavoir-faire.C’estdel’intergénérationnel,maisaussidel’intragénérationnel.Qu’est-ce qui fait que l’on parvient à favoriser l’intergénérationnel ? Je

croisquecequicompte,c’estdefaireconfianceauxjeunes.Denombreusespersonnesontdespostesàresponsabilitéquelquesoitleurâge.ChezAlcatel-Lucent,onn’apasàattendredix,quinze,voirevingtansdansl’entreprisepouraccéderàcertainesresponsabilités.Celaaidebeaucoupaumessageintergé-nérationnel.Onpeutêtrevisibleetexposéàn’importequelâgeetlesseniorsnerejettentpaslesplusjeunes.N’oublionspasquelemondedestélécomsestundomaineoùlesinnovationsfoisonnent.

Les valeurs clés de la transformation à venir

Selonmoi, lesgrandesvaleursquidoiventêtretravailléesà l’avenirsontl’innovationetl’agilité.Ilfautfairemontredesouplesseetdevitesse.Cequiestimportant,c’estd’avoirdeshommesquiincarnentcequ’ilsdisent.

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Lesautresvaleursfortessontlaperformance,l’espritd’équipeetlafiabilité.Ellessontcléspouraccompagnerlespersonnesverslatransformation.L’enjeupourlesentreprisesestbiendemainteniruncertainniveaudemotivation.Resterouvertsurlemonde,favoriserl’intrapreneuriatetlesrelationsavec

lesPMEdemeurentlesactions lesplusefficacespourfavoriser l’adaptationdesentreprisesetcultiverunterreauintergénérationnel.

Sébastien Lebreton

Sébastien Lebreton est DRH d’Alcatel-Lucent en France depuis janvier 2012. A ce titre, il a la responsabilité de la politique sociale et du développement RH ainsi que de la marque employeur pour l’ensemble des filiales françaises et des activités basées en France (9 500 salariés). Il était auparavant Directeur des Relations Sociales d’Alcatel-

Lucent France depuis 2007. Précédemment, il a exercé différentes fonctions de responsable des Relations Sociales chez Conforama, LVMH et a été consultant chez Lamy Lexel. Sébastien Lebreton est titulaire d’un DESS Droit et pratique des

relations du travail, Droit du travail et RH de l’Université Panthéon Assas (Paris II).

Sébastien Lebreton

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Quand diversité rime avec générations

Marie-Christine Théron

Décrypter le changement de contexte

Enpréambule,ilfautrappelerquelaquestiondesgénérationsneseposesansdoutepasdelamêmefaçondansunegrandeentreprisequedansunePME.Aveclanouvelleloisurlesretraites,nousallonsdevoirtravaillerquasi-mentdixansdeplus.Avant,ilétaitpossibledepartirenpré-retraiteà58ans,maintenantilfaudraattendre64ans.Celasignifieque,dansunemêmeentre-prise,onpeutdésormaistrouverlegrand-père,lepèreetlefils.Orcequiestsûr,c’estquel’onneparlepasdelamêmemanièreàdifférentespersonnesselonleurâge.L’autreélémentquimeparaîtessentielestceluidumodeorganisationnel

del’entreprise.Ilyadesentreprisesoùlapromotionpeutêtrerapide,oùlescompétencesnes’acquièrentpasqu’avecl’âge.Levraichangementintervientlorsquel’onessayed’écraserlesniveauxhiérarchiquespourparveniràunmodedefonctionnementplustransverse.Celapermetdefluidifierlesprocessus,maiscelaadesconséquencessurlespossibilitésd’évolutiondecarrièreetdonc,desconséquencesparrapportauxgénérations.Celaappelleradenouvellescompé-tences.C’estunerévolutionetilvafalloirquel’onentiennecompte;elleestaussiimportantequelepassageauxnouvellestechnologies.OnparlebeaucoupdesgénérationsXetYparrapportàleuragilitéenmatièredetechnologiesdel’informationetdelacommunication,maisleursimpactsseretrouventaussiauniveaudesorganisationsdevenuesplustransversalesqueverticales.

Créer un melting pot

ChezSFR,les«jeunes»ontentre25-35ans.Les«middle»ontentre35et45ans;autourde50ansetau-delà,nousparlonsde«seniors».L’âgemoyendenoscollaborateursestde38ans.

Page 88: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

Partie 4 – Visions ProsPectiVes des dirigeants des entrePrises Partenaires

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L’entreprisedoitêtrelerefletdesesclients.Nouscherchonsladiversité, car la diversité, c’est aussi celle de nos clients. De là naît notre capacitéd’adaptation.Nousrecrutonsaussibiendans lesécolesquedans lesuniversités.Nous

favorisonségalement le recrutementpar l’apprentissage.Notreobjectifestde créer un melting pot.Acetitre,nousnoussommesnotammentassociésàMozaikRHpourpouvoirrecruterdesapprentisquiviennentd’horizonstrèsdivers.ChezSFR,untiersdesjeunesrecrutéssontissusdel’apprentissage.Les générations de « jeunes », moins insouciantes que les générations

précédentes,n’ontpasdutoutlemêmequestionnementparrapportàleurtravail.Etlorsquel’onachoisisonentreprise,forcémentonaplusd’attentesvis-à-visd’elle.En interne, cela impose d’adapter nos modes de fonctionnement.

L’éducationrestetrèsthéoriqueetc’estbienainsi.Dès lors, l’entrepriseestobligée de prendre en compte, dans sesmodes de fonctionnement et sesservices,l’intégrationdesjeunes.Cela faitquatreansquenousavonsmiscettepolitiqueenplaceetSFR

était déjà engagée dans le développement de l’apprentissage depuis long-temps.Aujourd’hui, notrepolitiquede ladiversitépasseparune formationen management de la diversité et par un parcours d’intégration pour lesnouveauxapprentis.

Privilégier le mode projet

Nousessayonsd’avoirunfluxquipermetteauxcollaborateursdeconti-nueràévoluer.Cefluxdemobilitéestimportantcarilpermetdemaintenirlamotivation.ChezSFR,noussommes10000collaborateurs,c’estuneentre-priseencoreàtaillehumaine.Evoluerneveutpasforcémentdireprogresserentermeshiérarchique.Dans

lediscoursambiant,onaencoretendanceàprivilégierlemodèledesannéespasséesquiconsistaitàmettrel’accentsurlemanagement.Orlafilièreverti-calepuren’estpaslaseule,onpeutégalementprogresserparlemodeprojet.Sortirdelapenséeuniquedevientunenjeumajeur,d’autantplusqueles

jeunesarriventencoredansl’entreprisebaignésdecetidéalmanagérialprônéparleursformationsinitiales.Lesconvaincredel’importancedumodeprojetfaitpartiedemespriorités.C’estd’autantplusimportantquelahiérarchieneparlepasauxplusjeunes.

Ilsn’ontpasétéélevéscommeleursparents.Cequileurparle,c’estdepouvoirapporterquelquechoseàl’entreprise,deserviràquelquechose.Ilsapportentaussicettecapacitéàêtredansl’instantanéitéetàutiliserdemanièreagilelestechnologies.

Page 89: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

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Marie-Christine Théron

Lorsque vous managez, ce qui compte est de développer un mode de fonctionnementquis’adapteauxâges.Nouscherchonsàmettreenplacedesformationsquifacilitentcetteadaptationetl’accompagnent.Laclén’estpasuniquementl’âgeoulesexe,c’estaussidesavoirgérerlapersonnedanssonaltérité.C’estdeprendreencomptelesdifférentscodesetlescomportementsindividuels.Lerespectréciproqueestessentieletpasseparlareconnaissance.Avecl’intergénérationnel,onserendcomptequel’apprentissagedelavie

autravailestdifférent.D’oùl’importancedelacultureet,derrièrel’intergéné-rationnel,dubesoindegarderunecertainehumanité.

Favoriser l’intergénérationnel, c’est valoriser l’interculturel

Commeje ledisaisprécédemment, l’âgemoyenestde38anschezSFR.LesSeniorssontpeunombreuxcarl’entreprisen’aque23ansd’ancienneté.Cependant,cesSeniorssontimportantsentermesd’expérience.Toussesontadaptéssansproblèmeauxtechnologiesdel’informationetdelacommuni-cation.Maisilestquandmêmeplusdifficiled’embaucherdesSeniors.LagénérationYsecaractériseparuneformed’impatience.Ellecorrespond

mieuxaumodeprojetcarelleabesoind’êtrereconnueenpermanence,etpasforcémentsousformed’argent.LagénérationXetlesSeniorsneprésententpasdegrandesdifférencesetsontpeudanslesplansdecarrière.LeshommesetlesfemmessontàpartégalechezSFR.DansnotreTop300,

ilya25%defemmes.Laproportiondesfemmesvarieselonlesmétiers.18%desingénieursàlasortiedesécolessontdesfemmes.Nousavonsbesoindegénéralistes,maisaussid’experts.Côtéexperts,cesontplutôtdeshommes.D’où l’importance de favoriser le développement des filières scientifiquesauprèsdesfemmes.Lesfemmesn’ontpasforcémentenviedelamêmechosequeleshommes.

Ellesn’ontpasnécessairementlamêmeapprochedupouvoir.Cequicomptelepluspourelles,c’estdefaireavancerl’entreprise.Lesfemmessontainsiplusreprésentéesdanslafilièreprojetsquedanslemanagement.Pourdenombreusesfemmes,responsabilitéhiérarchiquerimeencoreavec

contraintes.Ellesnepensentpasquelejeuenvaillelachandelle.Ilyaaussilefaitquelesfemmesn’aimentpasspécialementla«solitudedupouvoir».Ellespréfèrenttravaillerenéquipe.Lesgénérationssontdoncunbondécrypteurdelatransformationnumé-

rique, mais elles ne sont pas les seules. Les autres différences culturelles,notammentcelledesgenres,sontaussiimportantes.

Page 90: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

Partie 4 – Visions ProsPectiVes des dirigeants des entrePrises Partenaires

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Anticiper les facteurs clés d’évolution

Sil’onseprojettedansunhorizonàdixans,ilestimportantdecomprendrelanouvellegénérationquivaarriversurlemarchédutravail.Sesvaleursetsescomportementsvontêtredifférents.Parviendrons-nousnotammentà fairevenirplusdecollaborateursdel’étranger,àdevenirréellementeuropéenouresterons-nousunechapelle franco-française?Quelsera ledroitdutravailparrapportauxpolitiques?Parexemple,laFrancetientàladéfensedesesavantages acquis par rapport à laGrande-Bretagne ou à l’Allemagne. Il luifaudrapeut-êtreparveniràplusdeflexibilitépourlescontratsdetravail.Aujourd’hui, plusde jeunes souhaitentpartir à l’étrangerpour vivreune

première expérience. Cela aura également des conséquences pour nous,employeurs.Dans un contexte où cette crise économique dure plus que la précé-

dente,elleauraforcémentdesimpactssurlesjeunes,surleurschoixetleurscomportements.Lorsquel’onregardelecasdenosvoisinsscandinaves,onserendcompteàquelpointnotrelégislationestbloquanteetnousempêchedefairecertaineschoses.NousavonscedéfautenFrancedereveniràtoujoursplusderigueur.Lesvaleurstellesquelerespectpeuvents’inculquer.Lesvaleursd’engage-

mentetd’adaptabilitémeparaissentégalementêtredesvaleursd’avenirclés.Maislavaleurquimeparaîtlaplusimportanteestcelledutravail.A terme, l’enjeu est de maintenir des entreprises à taille humaine qui

permettent d’avoir des contacts, de la proximité et pas que du virtuel.Denepasdevenirdesrobots !D’où l’importancededévelopper ladiversitéetl’intergénérationnelquivontcréerdelavaleurpourl’entreprise.Lerôledel’entrepriseestégalementceluidel’apprentissagedelavie.Cela

impliquedesentirlapersonne.Ilnefautsurtoutpasperdrelecôtéhumain,laproximitéetl’interaction;lenumériquedoitnouspermettred’emmenernoscollaborateursdansl’aventuredel’entreprise,maissurtoutn’oublionspasquecesontleshommesnotreprincipalerichesse.

Marie-Christine Théron

Marie-Christine Théron est DGRH de SFR. Elle a rejoint Cegetel en 1998 en tant que Directrice de la Communication. En 2004, elle devient Directrice des Ressources

Humaines et de la Communication. Suite au rachat de Cegetel par SFR, Marie-Christine Théron prend en charge l’Innovation Sociale et la Formation chez SFR et est nommée Directrice Générale Adjointe Ressources Humaines et Développement de SFR Service

Client. Juriste de formation, Marie-Christine Théron a débuté en tant que Conseiller technique et Chargée de Communication auprès d’élus locaux et nationaux, ainsi

que dans les cabinets ministériels de Dominique Perben et François Baroin.Elle est Chevalier de l’Ordre National du Mérite et de la Légion d’Honneur.

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101

L’impact des digital natives au travail :quand les Obélix arrivent en masse

au villageJean-Philippe Vanot

Les générations chez Orange

La question des générations n’est pas abordée de manière globale et systématiquechezOrange.Cecis’expliqueparlefaitquelasituationdespaysdanslesquelsnoussommesprésentsesttrèshétéroclite.Lamoyenned’âgedescollaborateurschezOrangeFranceestde47anstandisque,danslespaysémergents,elleestde28-29ans.Lesproblématiquesn’ontdoncrienàvoir.Nousmenonsdesactionsautourdel’insertiondesjeunes,dudépartdes

anciensetdelatransmissiondusavoir-faire.Encequiconcernel’insertiondesjeunes,jemerendscompteàquelpoint

ladélimitationentrevieprofessionnelleetvieprivéedevientfloue.Lesjeunesconsidèrentquetravaillerchezsoiesttoutàfaitnormal;a contrario,fairedeschosespoureuxautravailesttoutàfaitnormal.Ilsnevoientpaspourquoiils ne pourraient pas aussi utiliser au travail des outils qu’ils utilisent chezeux, notamment leur smartphone. Il y a doncun aspect d’interpénétrationvieprivée–vieprofessionnelleet,pluslargement,uneévolutiondesusagesquenousdevonsappréhender.Le faitquenosplus jeunesemployéssoientporteursdecelaestimportant.Nouscréonsdesbinômes jeune-seniorcar lesseniorsontemmagasiné

beaucoupde connaissancesqui sont dans leur tête et pas forcémentdansnosbasesdedonnées.Ilfautdoncuncertaintempspourquel’ancienpuissetransférerprogressivementsonsavoir.Ceciestvitalpournous.Nousn’avonspas encore de stratégie intergénérationnelle en tant que telle, mais nousfaisonsdesexpériencesunpeupartoutdanscedomaine.

Page 92: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

Partie 4 – Visions ProsPectiVes des dirigeants des entrePrises Partenaires

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Les caractéristiques des digital natives

Jenepensepasque laquestionde l’âgesoit intéressanteensoi.Cequiest intéressant, c’est plutôt le fait d’avoir des générations qui ont vécudansunenvironnementnumériquedepuis l’origine, lesdigital natives.Leurs comportementssontdifférentsparcequ’ilsbaignentdedansdepuisqu’ilssontpetits.C’estcommesipleind’Obélixarrivaientenmasseauvillagegaulois!Ce n’est pas l’âge en tant que tel qui est intéressant, c’est l’impact sur levillage.C’estlefaitqu’unegénérationentièrearriveavecdesusagesdifférentsquiimpactentlacommunauté.Leboncôtédesdigital natives, c’estqu’ilsontunecuriositénaturelleet

instantanée.Unautreaspect, jenesaispassic’estd’ailleursunebonneouunemauvaisechose,c’estqueleurvieprivéeetleurvieprofessionnellesontcomplètementinterpénétrées.Dumauvaiscôtédeschoses,onrencontredetempsentempsunefaiblesse

del’espritcritique.Poureux,siuneinformationestdisponible,c’estqu’elleestvraie.C’estlephénomèneWikipedia:«c’estsurWikipedia,doncc’estvrai.»C’estlemondedel’instantanéitéquiprévaut,etnonplusceluidelaréflexioncritique.OnregardesurGoogleetonalaréponse,maisonneréfléchitplusassez.Toutcela influesur le fonctionnementdesentreprises,de la relationclients.Parmilesaspectspositifsdeschoses,ilyaenrevanchelarechercheplus spontanéedepartenariatsetd’alliances. L’attitudedes jeunesgénéra-tions change la donne car ils osent demander, notamment aux personnesqu’ilsneconnaissentpas.

Une transformation clé à venir : la relation clients

Ilestunechosequivatransformerlesentreprisesetquiestlaconséquencedelamontéeennombredesdigital natives:alorsque,jusqu’àprésent,l’entre-prisemaîtrisaitsesCRM(dispositifsderelationsaveclesclients)quifaisaientpartie de son système d’information et qu’elle contrôlait entièrement, ons’orientemaintenantversunsystèmecomplètementdiffusdanslesblogsetlesforumscarcesontlescanauxdecontactqueprivilégierontlesclientsdigi-taux.Ilfautquel’entrepriseysoitprésente,maissanspouvoirlescontrôlercommeellelefaisaitavant.Dans ledomainede la relation clients, jepenseque lemétierqui va se

développer le plus estWeb conseiller. LeWeb conseiller fait de la relationclientsurleWeb,dansdesforumsquinesontpasdel’entreprise,maisauquelilparticipeentantqu’Orange,parexemple.Celachangebeaucoupdechosesparceque,lerapportautempsdevenantcomplètementdifférent,laréponsedoitêtreimmédiateetvalablepourtoutlemonde–cequiestcompliqué.

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L’évolution duCRMdes entreprises par les réseaux sociaux sera un vraisujetdetransformationetpasseulementpourlesopérateurstélécom,pourtoutlemonde.Eneffet,deplusenplussouvent,leCRMdel’entrepriseseferaàtraversunpartenairedel’entreprise.Dansledomainedel’hôtellerie,onvoitque lapartdesclientsarrivéspasun intermédiairecommelastminute.comestentraindecroîtredemanièreconsidérable.Iln’yaplusdeface-à-face.Ondoittransmettrelesvaleursdesonentrepriseàl’intermédiaire.Cetaspectdeco-constructionavecdespartenairesvadoncdevenirunvraisujet.C’estunetransformationenprofondeuret l’enjeumeparaîtconduireàunevéritablemutation.

La responsabilité sociale, une approche par l’engagement

Dansledomainenumérique,maisaussipluslargement,nousavonsconnulavagued’innovationportéeparlesnouveauxmodèleséconomiques,puislaprisedeconsciencequel’entrepriseestavanttoutuncorpssocialetque,ducoup, performance économique ne peut qu’aller de pair avec performancesociale.AuseinduGroupeFranceTélécomOrange,noussommespleinementconscients de cela. Par ailleurs nos jeunes générations, soucieuses à juste titre du futur de

notremonde,sonttrèsdemandeusesdepolitiquesambitieusesenmatièrederesponsabilitésocialedel’entreprise(RSE).ChezOrange,nousavonsdécidédeprendrequatreengagementsdanscedomaine.Lepremiergrandengagementestdereconnaîtrenoscollaborateursetde

les accompagner. Cela passe par la promotion de la diversité : l’un de nosobjectifsestd’augmenterlepourcentagedefemmesdansl’entrepriseetàdespostesdedirigeantsdefaçonàparvenirà33%defemmestop executives–nousensommesactuellementà20%,maisnotre«vivier»comprendprèsde50%defemmes.Ledeuxièmegrandengagementestceluidela«transparence,sécuritéet

qualité»pournosclients.Parexemple,ils’agit,pourlasécurité,delaprotec-tiondesenfantsvis-à-visdesdangersd’Internet,delaprotectiondesdonnéespersonnellesdesclients,etc.;pourlaqualité,ils’agitd’êtreleaderenmatièrederelationsdeservice.Le troisième engagement est tourné à la fois vers le client et vers la

société,si j’osedire :rendreaccessiblelenumériqueauplusgrandnombre.Celasetraduit,danslespaysémergents,parlefaitdedévelopperl’économie numériqueet,dans lespaysplusmatures,par le faitde faciliter l’accèsaunumériqueauxpersonnesquiontunhandicap.Nousfaisonségalementbeau-coupdechosesenAfriquedans ledomainede la santé.Nousessayonsdetrouver commentutiliser les technologiesde l’informationpourprogresser

Jean-Philippe Vanot

Page 94: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

Partie 4 – Visions ProsPectiVes des dirigeants des entrePrises Partenaires

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danslesuiviàdistancedesfemmesenceintesparunmédecin,dansledépistage des cancers, etc. Ledernierengagement,lui,estpluscentrésurl’innovationauserviced’une

nouvelleéco-citoyenneté.Nousparlonsicid’éco-conceptionetd’économiesd’énergies.Celaconcernenotreconsommationd’énergieetnotreempreintecarbone propre, celle de notre activité. EnAfrique, nous possédons 1 500stationsd’énergiemobilesquinesontalimentéesquepar l’énergiesolaire.Nous nous sommes fixés un objectif difficile à atteindre, celui d’arriver àmoins20%d’émissioncarboneà l’horizon2020, sachantque la tendancenaturelleestàlacroissancepuisquelesusagessedéveloppenténormément.Le téléphonemobile fait partie aujourd’hui des produits électroniques lesmoinsrecyclésaumonde.Nousdevonsdoncprogresserénormémentsurcesujet.

Enconclusion,nousconstatonsunimpacttrèssignificatifdesdigital natives, caractériséparplusd’ouverture(réseauxsociaux),plusd’interpénétration(vieprivée, vieprofessionnelle),plusde responsabilité sociale. LapotiondenosObélixadécidémentbeaucoupdegoût.

Jean-Philippe Vanot

Jean-Philippe Vanot est Directeur Général Adjoint Qualité et Responsabilité Sociale d’Entreprise et membre du Comité exécutif du Groupe Orange. Entré dans cette entreprise en 1977, il y a exercé plusieurs fonctions dans les domaines du réseau

international, du marketing, de la recherche & développement et de l’innovation. Il est également Vice-Président et Président du Comité d’orientation stratégique

de la Fondation Télécom.

Page 95: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

Partie 5

Témoignages de dirigeants et d’experts

Page 96: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

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Dix clés pour un management intergénérationnel efficace

Marc Raynaud

30 juin2023,70ans,Raymondprend sa retraite. Lemotestdétestableet ne vaut pas jubilación, l’équivalent en espagnol. Comme le dit PhilippeBouvard qui continue d’animer fièrement son émission culte à 93 ans, cemotestpourluiencore«plushaïssablequepourunmilitaire»73.Raymondvoudraitmettrelaretraiteàlaretraite,ilnecomptepass’arrêterlà.Encetteannée2023,deuxmillionsderetraitéstravaillentencore,leplussouventpourdesraisonséconomiques.Les«petitsboulots»,réservésauxjeunesautrefois,fontmaintenantl’objetdeconcurrenceentrejeunesetretraités.Desconflitsdegénérationsémergentlàoùonnelesattendaitpas.

Raymond rayonne

Depuisdixans,Raymondn’aeudecessedefavoriserl’adaptationdesonentreprisedemenuiserieàlanouvelledonnegénérationnelle.Avecl’allonge-mentdeladuréedevieetsoncorollaire,l’intérêtduvieilliractif,Raymondaperçutrèsjeuneque,dansunmétiermanuelcommelesien,l’usurephysiquedeviendraitunenjeudetaille.Profiterdelacroissancedumarchédesmétiersmanuels–malconsidérés

dansuneculturenationaleconceptuelle74–étaituneidéepartagéeaveclaplupartdesesconfrères,maistirerpartidelanouvelledonnegénérationnellefutlaposturequiluiapermisdefaireladifférence.Régulièrement, à la réunion de la Chambre des métiers, ses confrères

paraissaient dépourvus, désarçonnés face aux attitudes et aux compor-tements inattendus de la génération Z. Raymond voyait cela comme unsignededécalageentreceschefsd’entrepriseet la société. Il ressortaitde

73.CitédansLe Point,7février2013.74.2%desAnglo-saxonsseconsidèrentcommedesintellectuels,20%desFrançais.

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Partie 5 – témoignages de dirigeants et d’exPerts

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cesrencontrestoujoursplusdéterminéàcultiversonapprochedemanager intergénérationneléclairé.Audébutdeladécennie,ils’étaitfixédeuxgrandesdirections:promouvoir

lacoopérationintergénérationnelle,centréesurlespersonnes,etadaptersonentrepriseaunouveaucontextegénérationnel.Cesvoiesont imposéà sonéquipededirectionuneremiseencausedesespratiquesdemanagement.Aucoursdeleurpremierséminaire,inhabitueldanslemondede2013,les

managerss’étaientengagéssurdiversespistespourfairetravaillertouteslesgénérations ensemble. Progressivement, lemanagement intergénérationnelestapparucommeuneconditiondepérennitéde l’entreprise. Enquelquesannées, il s’estmêmeplacéaucœurde laphilosophiemanagériale«pourtransmettrelessavoirsetfairegrandirleséquipes».Aujourd’hui,aveclereculetunebonneréflexionsursonexpérience,Raymondl’autodidacteénumèrefièrement«ses»dixclés:

1. Utiliser les différences à votre avantage

En 2013, faire connaître, gérer et valoriser les différences entre généra-tionsdevaitapportercréativité,innovationetperformance.C’étaitlenouveaumotto.Pourdonneruneréalitéàcepressentimentqu’ellepartageait,ladirec-tionavaitconfiél’analysedufonctionnementdelamenuiserieàuneéquipemultigénérationnelle de représentants de différentes fonctions. Ce groupeinattendu avait rapidement dressé une vision très complète des constatset produit une liste fort riche de solutions possibles. En généralisant cettepratique de groupes multigénérationnels, l’entreprise bayonnaise a depuisdéveloppédenouveauxproduitsetdesservicesavantlesautres.

2. Miser sur l’apprentissage mutuel

Avecletutoratréciproque,dèsleurintégrationdansl’entreprise,lesjeunessont mis en situation d’apporter aux anciens leurs connaissances et leurssavoir-fairespécifiques.Ilsontapprisàl’écoleletravaildenouveauxmatériauxetutilisé lestoutesdernièresmachines. Intégrésàunbinôme junior-seniordèsleurarrivée, ilsontdesobjectifsd’intégrationetd’apprentissageprécis.Cecicréed’embléeunebonnedynamiquecarlesseniorssesententvaloriséspourleurmaîtrisedumétieretlesjuniorspourleursnouvellesconnaissances.Lamiseenplacedetroiscommunautésdepratiquesapermisauxdiffé-

rentesfonctionsdeseconseillermutuellementetdes’entraider.Ensemble,ilstrouvententempsréel,via leursoutilsportables,desidéesetdessolutionspoursurmonter leursdifficultés.Audébut,certains«role models »ontétémisenscèneparleschefspourmontrerdenouveauxchampsdepossibilités.

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3. Profiter du Web

Ilyadixans, lesplus jeunesavaient reçupourmissionde faireprofiterl’entreprise duWeb 2.0. Ils avaientmontré aux anciens comment l’utiliserpourtrouverdenouveauxfournisseursd’accessoires innovantsetdécouvrirdenouvellestechniquesdefabrication.Dansundeuxièmetemps,ilsavaientmisenplaceunpetitréseausocialinternepourcréerdulien,dontonseserttoujourspourrésoudredesproblèmesentempsréel.

4. Combiner l’interne et l’externe

Enliantlesactionsdecommunicationinterneetexterne,l’entrepriseasumobilisertoussestalentsauservicedel’externe.Touslessalariéssontdevenusvendeursetytrouventleurcompte.Pourdévelopperlatransparence,comptetenu de rapports à l’information très différents d’une génération à l’autre,lemanagementadûfairepreuvedepédagogieetdeconfiance.Ilaprisdesrisquesetdenouvellesrègles,jusqu’alorsimplicites,ontduêtreexplicitées.

5. Aller découvrir et s’enrichir ailleurs

Après une bonne année de reprise en 2014, pour remercier son équipe,lepatronainvitésescadresaupaysdubois,auCanada.Ilsyontdécouvert beaucoupdechosessurcenoblematériau,maissurtoutd’autrespratiquesmanagériales et d’autres enjeux. Ils furent surpris de réaliser la difficultéqu’avaientlesdirigeantscanadiensàtrouverdejeunesmanagers.GénérationYoblige,ilfallaittrouverdessolutionspourcréerdenouvellesvocationsmana-gériales.Cetteprisedeconscience leurapermisd’anticiperunphénomènearrivédepuisenFrance.

6. Oser de nouveaux modes pédagogiques

Dansundomaineoù80%desconnaissancess’apprennent«surletas»,parlapratiquequotidienneàcôtéducompagnon,l’entrepriseaoséproposerdesformationsadaptéesauxmodesd’apprentissagenaturelsdesplusjeunes.Développésauniveaudelaprofessionetavecdesfournisseursd’avant-garde,desmodulesd’e-learning techniquesontpermisd’acquérirplus rapidementdenouvellescompétences.Touteslesgénérationsontappréciécettemanièrenouvelled’acquérirdesconnaissancesquipermetdemesurerlaprogressiondesonapprentissage,àsonproprerythme.CettenouvelletechnologieéducativeafavorisélafameuseVAE,quipermetdevoirsonniveauprofessionnelreconnuparundiplôme.Dans cetuniversoù l’ona souventquitté l’école tôt, cettepossibilitéacrééunemotivationsurprenanteparmilesanciensopérateurs.

Marc Raynaud

Page 99: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

Partie 5 – témoignages de dirigeants et d’exPerts

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7. Faire confiance aux femmes

Lamontéeenpuissancedesfemmesdanscetteentrepriseaétéremarquéeparlaprofession.Lesfemmesontcontribuéàchangerlespratiques.Sensiblesà l’intérêt commun,à la jonctiondesbesoinsde l’entrepriseetdesaspira-tionsnouvellesdesindividus,desfemmesdevenuescadresontsuencouragerl’expressiondesaspirations–parfoisinavouées–decertainsindividus,cequiafinalementserviàtous.Concernantladiversificationverslesservices,quipermetaujourd’huiàdessalariésâgésdepoursuivreuneactivitéentroisièmepartiedecarrière,lesfemmesontétéclairementmotrices.C’étaitunchampàconquérirquiapermisàdesambitionsfémininesdeserévéler.

8. Investir dans l’ergonomie

Grâceàuneécouteinterneplusfine,dansunmondetraditionnellementtrèsmasculinetphysique,uneplusgrandeattentionaétéportéeà l’ergo-nomie. Elle a permis d’adapter les conditions de travail des seniors et derendreleurtravailsupportablepluslongtemps.Lessolutionstrouvéesparlesseniorspourrépondreàleurproblématiqueparticulièreprofitentàtouteslesgénérations.

9. Apprendre l’art délicat de la transmission

Face aux départsmassifs desbaby-boomers, détenteurs d’expérience etdesavoirsimportants,latransmissiondescompétencesaétél’undesprojetsstratégiquesquelepatronmenaitpersonnellement.Lesseniorssontvaloriséspar l’attentionportéeà leurexpérienceet lesplus jeunessontmotivésparl’acquisitionparl’entreprisedenouvellescompétencesnécessaires(nouveauxoutillages).

10. Préparer la suite

Unetransitionverslaretraitebiengéréepermetaujourd’huiàdesanciensenformedevenirdonneruncoupdemainenpériodedefortecharge.Ilssontfiersquandonlesappelleetrépondenttoujoursprésent.Laresponsabledesressources humaines a su garder le contact avec eux, après leur départ, etc’estunbonheurpoureuxetpourleurscollèguesdeseretrouverpourservirensemble. Les jeunesZsontépatéspar lamotivationet ladisponibilitédeleursaînésqui leurracontent,après letravail,autourdetapas, l’histoiredeleurentreprise.En les écoutant, Raymond jubile et se rappelle les débuts du Contrat

Génération.Aumilieuduscepticismegénéral,en2013,ilavaitétélepremier

Page 100: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

111

Marc Raynaud

àsignerunContratGénérationdanslesPyrénéesAtlantiques.Ill’avaitd’abordfaitpourtoucherlaprime,biensûr,maiscecil’avaitencouragéàrecruter.Ilfallaitbienaugmenterlenombredejeunespourqu’ilspuissentrecevoirlescompétencesdesanciensquiallaientbientôtpartir.Etpuis…dansundépar-tementquiavaitrécemmentchangédecouleur,celanefaisaitpasdemaldes’afficherpourlePrésident!Aveclerecul,Raymondneregrettevraimentrien.Cequiestdevenu,depuis,

unepolitiquedemanagementefficaceapermisàsonentreprisedetirerdenombreuxbénéficesetderéduiresescoûts:lesrecrutementsontétéfacilités,le turnoverdesapprentis réduit.Desconflitssesontapaiséset iln’yapaseude«clashes»degénérations.Lescompétencesdisponiblesdansl’entre-prisesontmieuxutilisées.Lessavoirsetl’expertisedelamenuiseriesontnonseulementpréservésmaisenrichis.LamotivationdesXd’hier,dontbeaucoupsontdevenusseniors,estplusfortequejamais.L‘absentéismeestréduitetilyamoinsd’accidentsgrâceauxinvestissementsréalisésenergonomie. Iln’yaplusdecongésmaladiedelonguedurée.Uneplusgrandeefficacitédelacommunicationpermetuneréactivitéaccruedel’entrepriseetuneadap-tation plus rapide à son environnement. Décidemment, au Bar Basque, onn’arrêteplusRaymond!Sonentrepriseestprêteàêtretransmise.

Marc Raynaud

Marc Raynaud est directeur associé, fondateur d’InterGénérationnel www.intergenerationnel.fr et auteur de l’étude « Management intergénérationnel :

faire travailler efficacement les générations ensemble et capitaliser sur leurs différences » publiée dans LesEchos75.

Il préside l’Observatoire du Management InterGenerationnel.

75.«Management intergénérationnel : faire travailler efficacement les générationsensembleetcapitalisersurleursdifférences»,Les Echos Etudes,www.eurostaf.fr

Page 101: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

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Les digital natives : une approche générationnelle de l’entreprise 3.0

Laetitia Ricci et Alexandre Merza

« La grandeur d’un métier est peut-être, avant tout, d’unir les hommes. Il n’est qu’un luxe véritable et c’est celui des relations humaines. »76

La transformation numérique, au cœur de la dynamique socioculturelle,estsourcedetransformationanthropologiqueetellesetrouveaccéléréedufaitdesonadéquationauxaspirations individuelles.Ceuxqu’onappelle lesdigital nativessontlapremièregénérationdontl’éducationaintégré,dèslestoutpremiersapprentissages,lestechnologiesnumériques,etilssontentrain d’arriver sur lemarchédu travail. Enquoipeuvent-ilsnousorienter sur lesdéfismajeursadressésàl’entreprised’aujourd’huietsurlesressourcesnéces-sairesàl’entreprisededemain?Quelleestlapérennitédesapportsdecettegénérationetquellesserontlesautresressourcesàactiverpourfairefaceàcesdéfismajeurs?LagénérationYregroupecommunémentlesindividusquiontentre15et

30ansen2010.Ellereprésente1,7milliardsd’individus,environ25%delapopulation,quidès2014,constituerontplusde50%delapopulationactivemondiale.LagénérationYestcelledesdigital natives77(natifsdigitaux)paranalogie

avec la notion de natif géographique, pour qui la culture, la langue et lescoutumeslocalessontnaturellesetvontdesoi.Citoyensd’unmonde incertain, ils fontpreuved’ungrandpragmatisme.

Poureux,latechnologiedoitpermettredesesimplifierlavie,d’allerau-delàdescontraintesetdeslimites.Ilsenattendentsimplicitéetbénéficesconcrets.

76.AntoinedeSaint-Exupéry,Terre des hommes, 1939.77.MarcPrensky,On the Horizon,MCBUniversityPress,Vol.9,N°5,October2001.

Page 102: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

Partie 5 – témoignages de dirigeants et d’exPerts

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Au-delàdescaractéristiquesquilesrassemblentdansleurrapportàla technologie, il existede fortesdisparités selon lespayseuropéens, très liéesaux différences de contextes économiques et socioculturels. En Allemagne,sociétéplustraditionnelle,dansuncontexteéconomiquequifavorisel’inertiedesattitudesetcomportements,onnoteunecertainenostalgied’une«sociétésanstechnologie».Al’autreextrémité,enFinlande,oùlespratiquessontplusévoluées, lademandevaverstoujoursplusdetechnologie,à larecherchedumaximumdeperformancegrâceàdesservicessûrs,pratiquesetgratuits.Lesdigital nativesn’essaientpasdechangerlemonde,ilsnel’ontjamais

connuautrement.Si,poureux,latechnologien’estpasunevaleurensoi,lesmondesnumériquesontfaçonnéleurpropresystèmedevaleursautourdesnotions d’équité, de partage et de cosmopolitisme. Fluidité, transparence,collaborationhorizontaleetpuissanceducollectiffondentleurculturenatu-relleetconstitutive,celledel’immatériel,avecsesimaginaires,seslangages,sesritesetpratiques.Elleadétrônélemythemécaniste(contrôle,cloisonne-ment,maîtrise),fondateurdenossociétés industrielles,etest leterreaudel’entreprisededemain.Parleurconnectivitépermanente,lesdigital nativesontunecapacitéàfaire

vivreetàanimerdesréseauxinformelsévolutifsquileurpermettentdemobi-liserungrandnombrede ressources,en tempsquasi réel.Cettecapacitéàagrégerinformationsetexpertisesplurielles«just in time »,mettantàprofitledécloisonnementetlacomplémentarité,créedefortesagilitéetréactivité.Mais qu’éprouvent-ils dans un monde professionnel où ils n’ont pas

toujoursd’outilsaussiperformantsquelesleurs?Touterupturenondésiréeestvécuecommeunesourcedestress,unedéperditiondepotentiel,véritableamputationdeleurqualitéd’individu«augmenté».Pourcesjeunesquiontgrandiavecunmobile,lesnotionsd’absenceetde

différésontdevenuesobsolètes.Leursappareilsnomadescontiennentleurvienumérique:toutespaceestainsisusceptiblededevenirunespacepersonnel,l’individuembarquantavecluisonréseauetsesrepèresnumériques.Ilsserontlespremiersàadopterlespossibilitésnouvellesliéesàlamiseen

réseaudesespacesetdesobjetsintelligents,leWeb3.0;lespremiersàdéve-lopperlesaptitudesnécessairespournaviguerefficacementdansdesespaces-tempsnondédiés,enperpétuellemodification,etàposséderlescompétencespourunecollaboration«physico-numérique»aboutie.Au-delà des outils, les digital natives ont développé une expertise dans

l’artdeseraconterautraversdesréseauxsociaux.Ilsymettentenscènelesdifférentes facettes de leur identité, au sein de diverses communautés quiseformentlibrementetparaffinités.Ilsjonglentainsiavecdessystèmesdecodesmultiplesqu’ilsmaîtrisentparfaitement.Unfortlevierdemobilisation

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deleurengagementestlavalorisationdeleurdifférence,deleuroriginalitéetdonc,deleurpotentieldecréativité.Les accès numériques, le libre réseautage hors des processus, ainsi que

l’horizontalitédesrapportsetdeséchangessontlesconditionssine qua non deleurefficacitéetdeleurengagement.C’estbiendansl’entrepriseagileetouvertequ’Ilspourrontréellementmettreàprofitleurscompétences,tellesquelapensée«out of the box »oulescompétencesdemiseenscènemulti-média.Aujourd’hui,faceàdesrèglesounormespuissantesetcontraignantes,àunehiérarchiequiresteencoretrèsverticale,ilscherchentàcontournercesobstacles.Allantplusloinqueleursaînésdanslarecherched’unéquilibreentrevie

privéeetprofessionnelle,c’est l’adéquationentre lesvaleursde l’entrepriseet leurs valeurs personnelles et circonstanciées qui déterminera leur enga-gement.Unengagementquis’inscritdanslemoyenterme,comptetenudeleurfaibleinclinationàseprojeterdansdesplansdecarrièreàlongterme,renforcéeparledéveloppementdelaprécarisationetdelamultiactivité.D’unpointdevueprospectif,éclairerlelienentregénérationsettransfor-

mationnumérique au sein de l’entreprise nécessite également de le situerdansunedynamiqueglobaledechangement.Lesdigital nativessontlefruitdelatransformationdenossociétés.Latechnologieestinvestieaujourd’huiparleplusgrandnombreàlafois

commelevierdecroissanceéconomiqueetcommesolutionspourlaplanète.Elle doit permettre d’en faire toujours plus avec toujours moins et sanscontraindrelesindividus.Les technologies duWeb 2.0, en particulier, démultiplient le champdes

possibles.Ellessontleréceptacleetletremplindesaspirationsindividuellesstructurées autour de trois moteurs : le besoin d’émancipation (aller verstoujoursplusd’autonomieetrejeterlacontrainte),leplaisircommecontratdebaseduquotidienetlaquêtedesenspourguidernosactesetnosrelations.Outilsdeconnexionauxautres,auxdifférentescommunautés,aumonde

danssonensemble,maisaussioutilsdecollaborationetdecréation,lesoutilsduWeb2.0donnentdesaccèsillimitésàl’information,auplaisir,aujeu,àlamiseenscènedesoi,àl’expressiondesapropreoriginalité,procurantainsidusensaujourlejour.C’estautraversdedeuxprocessusd’appropriationquiserenforcentquela

créativitédesindividuseststimuléeetpermet,enretour,defaireémergerdenouveauxoutils :unpremierprocessusdecréationetunprocessus,itératif,de réaction. La convergence du développement des technologies numériques avec

la globalisation est un axede transformationmajeur. Il agit auniveau

Laetitia Ricci et Alexandre Merza

Page 104: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

Partie 5 – témoignages de dirigeants et d’exPerts

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anthropologique,engendrantdesmodificationsdéterminantesetirréversiblesdenosrapportsautemps,àl’espaceetauxautres.Nousvivonsdansunmonderéelfaitd’interdépendancesauniveauplané-

taire. Ilestdoubléd’ununiversnumériqueenpleinecroissanceoùtoutestpossible,toutletemps,partout,entretenantunflotpermanentdedonnéesetd’informations.Cetenvironnementdémultiplielesdegrésdecomplexitéetd’incertitudeauxquellesl’entreprisedoitfaireface.L’âge du tout écran individuel et portable, qui permet en permanence

d’êtreicietailleurs,effacelesfrontièresspatialesettemporelles,signifiantlararéfactiondesespacesettempsdédiésetséquencés.Noussommespassésd’untempslinéaireetprogressifàuntempsaccéléré

etfragmenté,quigénèreunesurvalorisationdutempsprésent,uneculturedel’immédiatetéetdelaréactivité.Nousdevonsenpermanence,àlarecherched’adaptation et d’improvisation, faire face à l’imprévisibilité. Cette hyper-vitessedoitêtrearticuléeavec le temps long,celuide la réflexionetde laconstructiondufutur.Cestransformationscréentdestensionsetdes réactionsquis’incarnent

danslesaspirationsàlalenteur,autempspoursoiets’associentàunnouvelinvestissement de la sensorialité, pour un bien-être et une technologiehumaineetchaude.Dansuncontextedecompétitivitéetd’innovationintensives,l’entreprise

agileetouverteestune réponseà la complexitéetà l’incertitude. Il s’agitd’unvéritablechangementdeculture,d’organisationetdelogiquedetravail.«L’agilitédevraitdevenirpourlessociétésavancéescequeletaylorismeaétéàlarévolutionindustrielle78.»Elle s’appuie sur l’intelligence collective79, l’usage optimal des nouvelles

technologiesetl’améliorationencontinu.L’open innovationenestunecompo-santemajeure.Ellepermetd’associerlesdifférentsacteursd’unécosystèmeglobalafind’améliorerl’accèsàlaconnaissanceetlarapiditédemisesurlemarchéet,ainsi,decréerplusdevaleurpourl’ensembledespartiesprenantes.Entermesdecompétencesetdepostures, il faudraactiver l’Intelligence

computationnelle,l’artdecréerdusensàpartirdu«Big Data»etlatransdis-ciplinarité,quiresteaujourd’huidifficileàmettreenœuvre.«Sérendipité»etdesign thinkingsontappeléesàremplaceruneexhausti-

vitédeplusenplusillusoireouchronophage.Toutefois,cesdémarchesnesontperformantesquesil’entreprisedisposedegrillesdelectureetdedécodage

78.JeanPierreVickoff,Estimation et architecture des développements Agiles,Hermès,2005.79.DelonleFING,c’est«lacapacitéhumaineàcoopérersurleplanintellectuelpourcréer,innover,inventer».

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Laetitia Ricci et Alexandre Merza

opérantes et partagées. La prospective peut en fournir, permettant ainsi d’inscrirel’agilitédansletempslongetlaréactivitédanslastratégie.L’articulationdecesnouvelles formesd’organisationetdecompétences

doitnécessairements’accompagnerd’uneévolutiondumanagementetdupassage d’un pouvoir hiérarchique traditionnel au leadership d’influence.Caractéristique dumanagementmoderne, ce dernier s’appuie sur l’intelli-gencesocialeetémotionnelle. Ilobligechaquemanagerà transformer sonrapport aux autres. Il s’agit d’expliquer, de convaincre, de faire adhérer etprincipalementd’écouter.Ferventpartisandutravailenéquipe,cenouveaumanagers’attacheàrévélerchezsescollaborateursdespotentialitésetdesqualitésquileurétaientinconnues:«Lanouvelleforceestdes’autoriseràêtresoi-même,fortetfaible,solideetvulnérable,raisonnableetirrationnel,humainensomme80.»Au-delà de l’accompagnement de l’évolution de l’entreprise, il s’agit de

répondreàlacrisedel’autorité.Samissiondeprotéger,d’apprivoiserlespeursarchaïques,de conduireversdesobjectifs collectifs consentis est indispen-sableàlasauvegardeetlamiseenmouvementdugroupe.Ornilesdifférentescommunautés,ni«lePère»nepermettentplusd’apprivoisersuffisammentcespeurs.Ilnousfautfaireappelàd’autresfiguresdel’autorité,quipourraientêtreautantdesourcesd’inspiration,tellesquelechamane,lechefd’orchestreoulecompagnon.Faceàcesnouveauxbesoinsdel’entreprise,onvoitbienl’adéquationavec

l’expertise,compétencesoutalents,quelesdigital nativessaurontapporterà l’entreprise.Dansune visionplus prospective, c’est bien leur systèmedevaleurs,quilesaccompagneratoutaulongdeleurexistence,etnonlescarac-téristiques liéesà leurâgeouà l’époqueà laquellenousvivons,quisera levéritablemoteurduchangement.Enphaseaveclesvaleursliéesauxmondesnumériques,équité,partageet

cosmopolitisme,qu’ilconvientdecompléterparl’hédonisme,leursaspirationstournentautourd’unmondeplushumain,moinsstressantetplustournéversle lien social. Pour eux, simplicité et bien-être sont de puissants leviers detransformationdenossociétés.Ilsnousalertentsurunenjeumajeuretdéter-minant,celuideredonnerdusens,deremettrel’humainaucœurdesévolu-tionsetdécisionsassociées,derecréerducollectif:«Passerdelacompétitiondansl’individualismeàl’individualitédanslacoopération.»Pourreleverl’ensembledesdéfisàvenir,enparticulierceluidetransformer

l’accélérationexponentielledestechnologiesenrichessepourl’êtrehumain,ilnousfaudramobiliserl’ensembledesressourceshumaines.Sortirdelapensée

80.MeryemleSaget,Le Manager intuitif : une nouvelle force,Dunod,2006.

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Partie 5 – témoignages de dirigeants et d’exPerts

118

cartésienne, qui cherche à réduire la complexité plutôt qu’à l’appréhenderdanssaglobalitéetcontinueàpoursuivrelemythedel’exhaustivité.Donnerleur justeplaceauxdigital natives pourqu’ilsdéveloppentet transmettentlesaptitudesnouvellesdont ils sontporteurs.Mettre lesvaleurs fémininesd’empathie et de sociabilité au cœur des nouvelles formes de leadership.Favoriserledéveloppementdesprincipesetdescompétencesinterculturelspourtransformerladiversitéenrichesse,créerdessynergiesparlepartageetl’apprentissagedel’autre.

Laetitia Ricci

Responsable de la cellule de Prospective Stratégique Internationale pour le Groupe PSA Peugeot Citroën depuis 2010. Son rôle est de fournir au Groupe des visions prospec-

tives en matière de Mobilité. Maître Expert en Intelligence Marketing et Prospective.Secrétaire général de Créa-France, Association française pour le développement de

la créativité et, depuis 2012, membre de l’Institut des Futurs Souhaitables.

Alexandre Merza

Digitalnative lui-même, membre de la Cellule de Prospective Stratégique internationale du groupe PSA Peugeot-Citroën ainsi que de différents think tanks,

il observe les transformations de notre monde, plus particulièrement sous l’angle des populations porteuses des évolutions

en matière de demande Automobile et de Mobilité.

Page 107: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

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Octave, un programme intergénérationnel pour oser être soi

Anne Thevenet-Abitbol

Une approche empirique des générations

Travaillersurlesgénérations,c’estd’abordtravailleràmieuxcomprendrelesdifférencesdefonctionnementdesunsetdesautres.Maisc’estaussiaiderles organisations à s’adapter auxmutations de leur environnement et, enparticulier,àcellesgénéréesparlesnouvellestechnologies.Je suisDirectrice Prospective etNouveauxConcepts, rattachée à Franck

Riboud, le PDGdeDanone.A ce titre, je suis chargée de développer toutenouvelleidéesusceptibledefaireavancerlegroupe.Lepremierprogrammedeformationquenousavonscrééàl’initiativede

FranckRiboudetaveclesoutiendeMurielPénicaud,DGRHdeDanone,estleProgrammeEVE,consacréàlaprogressiondesfemmesenentreprise.Faceausuccèsdeceprogramme, jemesuisensuitedemandées’iln’yavaitpasd’autrespopulationsquiconnaîtraientaussidesdifficultés.Et, trèsvite, j’aipenséauxseniors.Eneffet,après50ans,sil’onn’estpasdéjààunbonposte,pluspersonne

nemisesurvous.Dansnosstructuresverticales,onseretrouveassezvitedansunesituationd’entonnoiroùilfautfairebougerlatêtepourfairemonterlessuivants. Je résumeainsi laproblématiquedesseniors :c’est«up or out»,jemonteoujesors.Quantauxjeunes,onatendanceàlesformateraulieud’utilisertoutleurpotentiel:c’estunpeulaformule« in or out»,jem’intègreoujesors.Encemoment,c’estlagénérationdumilieu,celledesX,quiestaupouvoir,

quiestsouspressionetn’utilisepasassezlestalentsdesautresgénérations,quej’appellerais«octavesgraves»et«octavesaiguës»,paranalogieaveclepiano:l’entrepriseseraitcommeunpianodontonnejoueraitquesurles

Page 108: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

Partie 5 – témoignages de dirigeants et d’exPerts

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octavescentrales,négligeantlesoctavesgravesetaiguës.C’estpourquoij’aiproposé leprogrammeOctave,quinouspermetde réfléchir à« commentmieuxtravaillertousensemble».

Octave, ou comment prendre en compte toutes les octaves de l’entreprise

LasecondeéditionduprogrammeOctavevientdesedérouler(avril2013)à Evian81. Cet événement chercheà rassembler toutes les générations et àmieuxexploiterlepotentieldesunsetdesautres.LeprogrammeOctaveaétéconçudès ledépartcommeunmixgénéra-

tionnelettravaillesurdeuxleviers:laprisedeconsciencecollectiveetlaprisedeconfianceindividuelle.DansleprogrammeOctave,25%del’audienceontmoinsde30ans,25%ontplusde50ansetles50%sontentrelesdeux.Letauxdesatisfactionesttrèsimportantetpartagéparl’ensembledesinterlo-cuteurs,quelquesoitleurâge.CeprogrammeneconcernepasuniquementDanone;nousavonssouhaité

associerd’autresentreprisesetnousontdéjàrejointGDFSUEZ,OrangeetL’Oréal.Lespartenaireschoisissent leursparticipantssoitpour lesstimuler,soitpourlesgratifier,soitpourleurdonnerplusd’outilspourgérerdeséquipesmultigénérationnelles.Comment faire en sorteque les générations travaillentmieuxensemble

pour la performance collective ?Tel est l’objectif de ces rencontres qui sepoursuiventpardestravauxenéquipetoutaulongdel’année.

Comprendre comment fonctionnent les différentes générations

Onconstateque,selonsonâge,onn’estpasconsidéréparlesautresdelamêmefaçon.Ilestnécessaired’abordcombattrelespréjugésetcomprendrepourquoionneréagitpasdelamêmemanièreselonl’âgedesoninterlocu-teur.SelonTammyErikson,unedenosconférencières,cequel’onvitenfantentre7et15ansconstituelesocled’expériencedechaquegénération,d’oùdesattentesdifférentesd’unegénérationàl’autre.Acela,ilfautajouterl’impactdesnouvellestechnologies,quel’onn’apas

encoremesurésuffisamment.CécileRouault,uneautreconférencière,nousamontrél’évolutiondurapportausavoir,aupouvoir,autravailetautemps.Au-delàdelagénérationY,c’estunecultureYquifaittâched’huilesurl’en-sembledelasociété.Etjelevoisbien,carjemesenstotalementdelacultureYalorsquejenesuispasdelaGenY!

81.http://programmeoctave.com/category/programme/

Page 109: Les générations et la transformation numérique de l'entreprise

121

Anne Thevenet-Abitbol

Parexemple,danslesannées1990,celuiquiavaitlepouvoirétaitceluiquiavaitl’information;aujourd’hui,c’estceluiquisaitrepérerquelleestlabonneinformationetquisaitenfairequelquechose.Autreexemple:notrerapportautempsachangé.Avant,ilyavaitletempschezsoietletempsdansl’entre-prise.Maintenant,cesfrontièressontporeuses.Deplus,avecleséchangesdetypeemailouTwitter,lerapportautempsseraccourcit.Enfin,unYvaavoirbesoind’unfeedbackplusrégulierqu’unsenior. Ilva

allerchercherl’informationlàoùelleest,sansforcémentsepréoccuperdelarelationhiérarchique.LerapportàlaconnaissanceetàlahiérarchiechangedoncaveclaGenY.

Oser être soi pour pouvoir agir

Oserêtresoiquelquesoitsonâgemeparaîtessentiel.Plusonsaitcequel’onveut,plusonsaitl’exprimeret,plusonestsolidedanssesconvictions,plusonestfortpourvivreleschangements.Nousnoustrouvonsaujourd’huientreunmondequidisparaîtetunautreentraindenaître,maisnousnesavonspasforcémentoùnousallons.Celacréedeladéfianceetdel’anxiété.Favoriserlesinteractionsentregénérationsréduitlestressetaméliorelacollaboration.L’enjeupourchacunestd’êtreleplusprèspossibledesavéritéetdenepas

chercheràjouerunrôle.Ilnefautpashésiteràécoutersesintuitionsetsi,parfois,onsesentmaldansunesituationdonnée,ànepasl’accepter.Ceserasalvateuretpoursoi-mêmeetpoursonentreprise.Danscertainesentreprises,leprogrammeOctaveestconsidérécommeun

programmepersonnelauservicedel’entreprise.Chercheràtirerlemeilleurpartidechacunmeparaîtbonpourtous!Nous utilisons également la communication non violente dans notre

programmecarelleesttrèsutilepourleverlesrésistances.

Adaptabilité et ouverture, les valeurs de demain

D’autresfacteurs,autresquegénérationnels,vontimpacterl’entreprise.Lamondialisationenestun,évidemment,etquifaitquel’onsesentparfoisplusen accord avec une personne à l’autre bout dumonde qu’avec son voisin.Nous allons devoir forcément évoluer vers des organisations plus ouvertesetcollaboratives.Cesnouveauxmodesd’organisationserontfacilitésparlesnouvellestechnologiesdel’informationetdelacommunication.Enmatièredevaleurs,uneentreprisequinefaitpasconfianceàsessalariés,

quimaintient artificiellement les silos, ne sedonnepas lesmoyensd’évo-luer.Illuifautavoirunevision,garderunalignementverticaletfavoriserlesparcourstransversaux.

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Partie 5 – témoignages de dirigeants et d’exPerts

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Uneautrevaleuressentielleestcelledel’adaptabilité.Lavéritablevieillesse arrivequandonnesaitpluss’adapterniaccepterdechosesnouvelles.C’estcela qu’il faut combattre dans les entreprises. Je pense, en effet, quenoussommesen traindevivreunemétamorphose.Nousavonsunpieddans laculture d’entreprise des baby boomers, structurée, hiérarchique, régulée, leseconddanslacultureY,quivaloriselesparcourstransversauxetlesmodesprojets.Toutl’enjeuestderéussiràgarderl’alignementverticaltoutenfavo-risantlacréativitéhorizontale.Enfin, pour réussir, des valeurs comme l’enthousiasme, la curiosité et

l’énergiemeparaissentcapitales.Toutlemondealacapacitédes’ouvrirauxautres,ilfautjustelasusciter.

Anne Thevenet-Abitbol

Anne Thevenet-Abitbol est Directrice Prospective et Nouveaux Concepts depuis 1998 chez Danone. Elle est aussi Directrice Editoriale et Artistique des Programmes EVE

et OCTAVE, programmes de formation interentreprises sur le leadership féminin et le leadership intergénérationnel. Anne dirigeait auparavant le planning stratégique

de l’agence de publicité CLM/BBDO. Elle est diplômée du Celsa-Sorbonne.

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PriceMinister-Rakuten : une génération en action

Justin Ziegler

Le contexte générationnel chez PriceMinister

L’âgemoyendessalariésdePriceMinister-Rakutenestdemoinsdetrenteans,alorsquelasociétéfêtecetteannéesesdouzeans…C’estpourquoi laquestiondesrapportstransgénérationnelsn’existepasàproprementparlerauseindenotresociété.Cependant,cecontexte–cettestart-up Internet a grandiviteetarejointilyadeuxanslegéantjaponaisRakuten,acteurgloballeader du e-commerce–esttrèspertinentpourétudierlaquestiondesjeunesgénérationsenentreprise.Eneffet,latrèsfortehomogénéitédespersonnes,toutdumoinsentermesd’âge,limitelapopulationàuneseulegénération,cequireprésenteunatoutpourlagestiondesressourceshumainestoutenconstituantunrisquequ’ilfautsavoirprévenir.La culture d’entreprise chez PriceMinister est donc façonnée et appré-

hendéeparlagénérationdes25-35ans,quisontsouventdesdigital natives, trèsfamiliersduNetetdesnouvellestechnologies.Auniveaudutravail,la«culturePriceMinister»estfondéesurdeséléments

rationnels et quantitatifs d’analyse de l’action et des résultats : lemondenumériqueaimeleschiffresetfaciliteleurproduction:KPI (Key Performance Indicators),Big Data,mesurepermanentedesrésultats,culturedelaperfor-mance tangible et factuelle…Autant de repères objectifs qui fédèrent les salariés:tousontaccèsau«back office»pourobserverlesindicesetsuivrelesopérationsencours,analyserlessemainesécouléesetoptimiserl’actionà conduire. Cetaccèsdetousaux«chiffres»permetnonseulementàchacundese

rendre compte des performances de l’entreprise,mais aussi demesurer sacontributionpersonnelle et celle de son équipe.Au lieude créer du stress,ceclimatderesponsabilisationaccruedechacunvis-à-visdenotreactivitécréeunclimatdeplusvivecollaborationet,in fine,deconfiance.C’estl’effet

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vertueuxdelatransparencequandelleestbienencadrée,danslerespectdel’individuetl’assignationd’objectifsraisonnables.Portéeparnotrecontextede croissance de l’activité et de conquêtes de nouveaux marchés, cette possibilité de pouvoir mesurer les résultats de son travail génère plus de satisfactionquedefrustration.L’autreélémentnotabledûàl’homogénéitédel’âgeestquel’autorité

n’estpasliéeàcedernier,maisauxcompétencesdumanager.L’organisation hiérarchiqueestbeaucoupplushorizontale,avecuntravailcollaboratifomni-présent,desdécisionsparfoiscollégialesetunmodedegouvernancebasésurlaconvictionetleleadership.

Un management qui fait de la place au fun

Au-delà du travail, la culture d’entreprise est entretenue par un certainnombredemomentsdevenusaufildutempsdestraditionsdignementfêtées,aussibiensurlelieudetravailqu’endehors.Laréuniongénéralehebdoma-daire est un premier temps fort pendant lequel les managers reviennentsur les faitsmarquantsde l’activitéet invitentàtourderôle leséquipesàprésenterleursprojets.C’estdevenutraditionnellementlemomentduritedepassagedechaquenouvellepersonnerecrutée,quidoitprendrelaparoleenpublicpourseprésenterauxautresetinterpréterunechansondesonchoix,danslabonnehumeurgénérale.Denombreuxautresmomentsvontrythmerlaviedelacultured’entre-

prise,commelesdéjeunersmensuelsquiinvitenttouslessalariésàpartagerunbuffetconvivialetpermettentainsiauxdifférenteséquipes(techniques,marketing, commerciales, etc.) de se côtoyer. A ces événements régulierss’ajoutentdesséminairesannuelsparéquipeetunweek-endPriceMinisterannuel pour la totalitédes salariés, pendant lequelune journéeestdédiéeàdes loisirspratiquésensemble.Aufildesans,ce«biorythme»socialdel’entrepriseafaçonnéuneculturedécomplexée,oùchacunpeuttrouveruneplacedansl’organigrammequinesoitpasseulementétablieparsonposteousonniveauhiérarchique,maisaussiparseshobbies,sesgoûtsenmatièredepratiquessportives,voiresestalentsartistiques…Ledépartd’uncollaborateurdonnetoujours lieuàunpot,parfoismémo-

rable,cequiattestedel’attachementfortdesindividuspourlegroupe.Laviesocialeestd’autantplusinfluencéeparl’interpénétrationdessphèrespubliquesetprivéesqu’estconsacréel’utilisationdesréseaux.Legoûtdecettegénérationpourl’accèsàl’informationurbi et orbi,surlesécrans,permetfacilementauxunsetauxautresdeseretrouveretd’organiserleurviesocialeàcôtédeleurvieprofessionnelle.Lesévénementsdel’entreprisesontrelayéssurFacebook,cequinourritlacultureparticulièredel’entreprisedanslemondedigital.

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Justin Ziegler

Lorsque l’âge change la relation de l’individu à l’entreprise

Lesjeunesdecettegénérationconnaissentunindividualismetrèsdéveloppé.Pourautant,ladimensioncollectiveestbienréelle,cequipeutsemblerpara-doxal.Aujourd’hui,chacunaintégrélefaitqu’ilallaitvraisemblablementvivreplusieurscarrièresaulieud’une,pratiquerplusieursmétiersaucoursdesavieprofessionnelleetconnaîtredifférentsemployeurs,oumêmecréersapropreentreprise.LacultureentrepreneurialeesttrèsfortechezPriceMinisteretdenombreuxancienssontpartispourcréerleurentreprise,seulsouàplusieurs.Lesplusjeunesquicommencentfontpreuved’uneambitionetd’uneimpa-

tiencenaturellesqu’il fautpouvoir accueillir et satisfaire, sanspourautantperturberl’organisationhorizontaledestâches.Lesaugmentationsdesalairenepouvantêtrelaseuleréponseapportéependantlespremièresannéesdelavieprofessionnelled’uncollaborateur,laréponseprincipalesetrouvealorsdansledéveloppementdel’autonomieautravail,lastimulationdesinitiativesetlaresponsabilisationdechacun.D’autantplusqueledynamismedusecteurdel’Internetetlabonneréputationdel’entrepriseconduisentlesspécialistesdurecrutementàchassersurlesterresdePriceMinister.Avecl’arrivéesurlemarchédutravaildesdigital natives,uneautrevisionde

l’entrepriseentantquelieudetravails’installe.L’endroitpréférépourl’efficacitéetlaconcentrationn’estplusforcémentlebureau:l’outilinformatiquepermetdetravaillerpartout,àcommencerparchezsoi,dansunplusgrandconfort.Etreprésentsurlelieudetravailn’estplusdirectementassociéàlanotiondeproductivité,tantlaqualitédutravailmesurévas’exprimersurd’autresplans:réactivité, pertinence, efficacité, résultat…En revanche, le travail d’équipe anécessairement lieu au bureau et via les outils de communication Internet (chat,visioconférence,voixsurIP,etc.).Laculturedel’entreprisevaalorsjouerunrôletrèsfortpourcréerunespritdecorpsetdonnerenvieauxmeilleursderesteràbordetdeprolongerl’aventure,quitteàrefuserdespropositionsallé-chantesvenuesdel’extérieur.Cetteculturedevientmêmeunenécessitédanslaréflexionsurlagestiondesressourceshumainesdel’entreprise.

Nos enjeux de développement RH en termes de générations

Avec notre arrivée à un plus grand niveau dematurité, aussi bien dansnotreoffredeservicesquedansnosméthodesetnotreorganisation,nousressentonsaujourd’huilebesoindestructurercertainesfonctionsavecl’ajoutde compétences plus seniors, en particulier dans des fonctions transver-salesouconnexesànotrecœurdemétier–sansoublierledéveloppementà l’international, qui demande de pouvoir s’appuyer sur des compétences aguerries et de confiance. Il s’agit de conserver l’esprit start-up – toujours

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soucieuxd’êtrelepluséconomepossibledansl’efficacité,quiregardedeprèstous les investissementsenposant laquestionde leur rentabilité–, cequiexigedescompétencesopérationnellesdèslepremierjouravecunfortniveaudetechnicité,doncdesprofilsplusexpérimentés.Auniveautechnique,lasophisticationdel’environnementcréeégalement

lebesoinderecruterdesseniorsquiontplusd’expériencepourencadrerdeséquipesdetravailetontdescompétencesenmanagement.Lanotiondemiseenœuvrede«best practices»déjàéprouvéesendehorsdel’entrepriseinter-vientdeplusenplus,sesubstituantaumodèleplusapproximatif–maisaussiparfoispluscréatif–del’apprentissageparl’actionetlacorrectiondecelle-cienfonctiondelacourbed’expérienceinterne.Un des risques du contexte «monogénérationnel » trop exclusif pour-

rait être en effet de s’enfermer dans une sorte de référence à la « bandede jeunes » qui se ferait plaisir en oubliant lemonde extérieur. L’absencedehiérarchie etd’autorité, une sortede« trop cool attitude», pourraientvenirentraverl’organisationetlaproductivité.Demême,l’absencedeleadersvaloriséspourleurexpérienceprofessionnellepourraitgênerlaformationetdésemparer ceux qui ont besoin d’exemples à suivre pour progresser.Toutdevientalorsunequestiondedosageetd’intégration réussieauseinde lamêmecultured’entreprise.LerachatdePriceMinisterparRakutenetsoninstallationdansdenouveaux

bureauxad’ailleurs facilité laprisedeconscience,collectiveetgénération-nelle, que l’entreprise franchissait un cap et devait d’une certainemanièreseréinventer.Lorsquecesétapessesontégalementconcrétiséessurl’écranduNet par de nouvellesmoutures successives du sitemarchand et par lamultiplicationdenouvelles fonctionsonline,enparticulieràdestinationdenotregaleriemarchandederevendeursprofessionnels,alorsl’entrepriseasufacilementetrapidementtrouverunnouveaucap,àlafaveurdelasouplessedesagénérationdejeunesprofessionnels.

Les autres leviers de la transformation numérique de l’entreprise

Le premier quime vient à l’esprit est celui du rapport à la technologie,rapport intellectuel aussi bien que pratique. Il est évident qu’il faut unecertainedosed’atavismepour lesnouvelles technologies,etmêmepour lanouveauté en soi. Les progrès technologiques et applicatifs font qu’il fautsans cesse s’informer et sepencher sur les propositionsnouvellespouvantprofiterauprojetdel’entrepriseoulemenaçantdirectementviatouteformedeconcurrence,elleaussitrèsfortementtechnologique.Sil’onestréticentàl’innovationouàl’adaptationpermanenteàlaréalité

mouvantedesonenvironnement,mieuxvautnepastravaillerdans leNet.

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Justin Ziegler

L’entreprisededemain,qu’ellesoit«pure player»duNetounon,estdeplusenplusinfluencéeparcelui-ci,aussibienpoursagestionquepourl’appareildeproductionenlui-même,étantdonnélapénétrationdel’informatiqueetdunumériquedanstouslessecteursetdanstouteslesfilières.Danscescondi-tions,onpeutprédirequelesréflexesacquisdanslesentreprisesdel’Internetaujourd’huiserontvalablesdemaindanstouteslesentreprises…Laquestiondelaformationpermanenteauxnouveauxoutilsdevientalors

essentielle pour maintenir son degré de professionnalisme. La formationinitiale doit rapidement être complétée par une formation professionnellecontinuequipeutrevêtirdemultiplesformes.L’entreprisequinepermetpasàsescollaborateursdeseformerenpermanencedansleurtravailauquotidiencourtlerisquedeperdresacompétitivitéetsesbonséléments.Unautrefacteurnotableestl’importancedela«viesocialenumérique»:

le recoursquasipermanentaux réseaux sociauxpermetde tisserdes liensdifférents avec ses collègues de travail, l’interpénétration vie privée et viepubliqueestmanifeste, surtout chez lesplus jeunesgénérationsde céliba-tairesquin’ontpasencoreétablidecellulefamiliale.Danscette transformationnumérique,plusieursattachements s’opèrent,

celuià l’entreprised’unepart,celuiàsonéquipeetàsescollèguesd’autrepart.Lafidélitéàl’entreprisepeutpasseraprèslesrelationsaveclesindividus,c’est encoreunequestionde cultured’entreprise…Unenouvelle formedemobilitéprofessionnelle s’observe : cellede lamobilitéen réseau, voireentribu.Ilarrivedeplusenplusd’assisterauxdépartsetauxarrivéesd’équipesdéjàformées,quipeuventremplacerdesrecrutementsindividuelssurcandi-daturesspontanées.L’utilisationintensivedetous lesoutilsdecommunicationnumérique, la

multiplicationdesmessageset lapermanencedes informationssur leNet,que chacunpeut chercheret retrouver, facilite l’informationen temps réelde toutpar tous. Le secretdes couloirsdebureaux isolés a complètementdisparuaveclesopen spacesultraconnectés,cequichangeprofondémentlerapportau travail. L’émulationet lamotivationnaissentde labonne lisibi-litépermanenteetpartousdesprogrèsduprojetcollectifdel’entreprise.Laculturegénéralesur lemétierde l’entrepriseestbienplusgrandedepar laquantitéd’informationsquitransitentetquisontpartagées.Enrevanche,trop d’informationtuel’information,etlesrisquesdechronophagieetdedisper-sionsontbienréels,susceptiblesdedéconcentrerl’attentiondeséquipes.Sansparlerévidemmentdesexpressionscollectivesdecommunicationsfutilesouinutilesdanslecontextedutravail,maisquisontprincipalementdesexutoiressalutairesàlapressionetaurythmedetravailimposésparleNet.

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Quelques principes d’action clés pour l’avenir

Nous pouvons reprendre plusieurs principes d’action déjà énoncés plushaut:–le«collaborative working»,fortementliéà…–…l’organisationplushorizontaledel’entreprise:l’autoritévientparl’ad-

hésion,lapédagogieetlacapacitéàconvaincreplutôtqueparl’ordredonné.Lemanagerdoittrèsbiensavoircommuniquer,ildoitaffirmerunleadership;–le«reporting»etlaculturedeschiffres,devenusomniprésentsdansle

mondenumérique:toutdevientquantifiableetsourced’analysestatistiquepourmieuxcomprendreetpiloterl’action;– l’autonomie : la culture entrepreneuriale chez chacun et à tous les

niveaux– sensde l’initiative,passageà l’acte, capacitéopérationnelle, fortpragmatisme,souplesse,réactivité,vitesse,etc.;–laconcentration,le«stay focus»faceàlamultiplicationdesmessages

quiinterrompentetsollicitentenpermanencesurdessujetsdivers(voirparexemplel’irruptionmassivedessmsetdesemailsenréuniondetravail).Demême, savoir rester concentré sur sesobjectifs principauxdansununiversprofessionnelmarquéparlamultiplicationdesdonnéesetdesindicateurs.

Dansunmondeprofessionneldeplusenplusconnectéetdeplusenplusdéterminépar l’Internet,ceuxquisaurontmaîtriser lesoutilsets’organiserautravailserontd’autantplusperformants.Autantdedéfisàreleverpourlesressourceshumainesdel’entreprisequiaurontàgérertouteslesgénérations,cellesd’aujourd’huietcellesdedemain.

Enconclusion,lesgénérationssontunbondécrypteurdelatransformationnumérique.L’aventureInternetestuneaventuretrèsfortementgénération-nelle.LesmétiersduNetn’ontpasdixans,voiremêmepascinqanspourlaplupart.Lesintitulésdepostessontparfoisincompréhensiblespourlesautresgénérations.Latransformationnumériquecontinued’opéreravecl’arrivéedel’Internet

mobilecheztout lemonde,ycomprischez lesenfants.Lesfuturesgénéra-tionsserontencoreplusconnectéesetleursréflexesprofondsseronttoujoursplusintimementliésaunumérique:communiquer,obteniruneinformation,s’exprimer,sedistraire,acheter,vendre…

Justin Ziegler

Justin Ziegler est actuellement Chief Technology Officer de PriceMinister-Rakuten et a cofondé PriceMinister en 2000. Il est ingénieur civil des mines et a fait toute

sa carrière sur Internet en créant une première entreprise dès 1995. Depuis 2010, il est aussi businessangel et investit dans de jeunes start-up du Web.

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CONCLUSION

L’étude sociologiquedes générations a fait l’objet, ces dernières années,d’unegrandemarketisation.Onconnaissaitlagénérationdes«baby boomers»(personnesnéesdans lesannées1950).Onaparléde la«générationX»(personnesnéesdanslesannées1970),puisdela«générationY»(personnesnéesaprès1980),lesfameux«digital natives».La«générationGoogle»,ou«générationZ»,apparaîten1998.Cestypologiesdonnentl’impressionquel’onchercheà justifier,unpeutropdemanièrecaricaturale, lesdifférencessocioculturellesendistribuantdesrôlesàchaquegénération.Certeslarévolutiondigitaleentraîneavecelledeseffetsquel’ondécouvre

aufildutempsàcommencerparuneagilitédesjeunesquinaissentetgran-dissentavec les technologiesde l’informationetde la communication. Lesjeunescontribuentfortementàfaireévoluerlesusages,toutcommeilssonteux-mêmesinspirés,voireinfluencésparcesnouvellespossibilités.Ilyadoncbienco-évolution,maiscelle-cin’estpasréservéeauxplusjeunes.LetempspassésurInternetparcertainsretraitéspeutfacilementsecompareràceluidesadolescents,étudiantsenherbe.L’avant-gardesocioculturelle,qu’ellesoitdansledomainedel’open sourceoud’autresinnovationsmajeures,n’estpaslaseulepanacéedesplus jeunes,aucontraire.Lesgeeks, ces férusduWeb,sont très fortement représentés aussi chez lesX, voire chez les seniors. Latransformationnumériquenepeuts’expliquerparleseulâge.Auniveaudesjeunesgénérations,leconstatdominantestquelesusages

individuels dépassent bien largement les possibilités offertes par lemilieuprofessionnel.Desentreprises,commeGoogleouPriceMinister,quicherchentactivement les jeunes talents, font tâched’huile etmontrent l’exempleenreconnaissant l’expertise des très jeunes. D’un autre côté, les entreprisesplus classiques s’orientent vers des enjeux de management intergénéra-tionnelpourfavoriserlevivreensembleetmaximiserlesressourcesencapitalhumain,àcommencerparceluidesseniorsquipartirontplustardàlaretraite.Enfin, lamixitéentremétiers,employeursetstatuts iraens’accentuant,ce

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ConClusion

quiimpliquerad’offrirdessolutionsetdesservicestechnologiquesfavorisantl’autonomieets’adaptantauxdifférents«tempsdevie».L’élémentdifférenciantsesituepeut-êtreplusdans lerapportautemps.

Lesjeunesgénérationsdisposentd’uneagilité,d’uneréactivité,d’unefacultéd’apprentissagebienplusrapideparrapportauxnouveauxdevices ou inter-faces technologiques.Ainsi, la différence entre les âges semarque dans lerapportàl’information,àcequel’onpeutappeler«cultureinformationnelle».Alaquestion«peut-onentrevoirdesusagesetdespratiquesspécifiques

àcertainesgénérations»,onpeutrépondreprobablementoui.Alaquestion « peut-on dire qu’il y a des valeurs et des comportements propres aux générations»,onpeutrépondresûrementnon.LeréelchangementauralieulorsquelagénérationYprendralepouvoiret

que«PetitePoucette»82neserapluslaseulemétaphorecréatricedeMichelSerres!

Carine Dartiguepeyrou

82.VoirMichelSerres,op. cit.,«Le monde a tellement changé que les jeunes doivent tout réinventer, une manière de vivre ensemble, des institutions, une manière d’être et de connaître…»

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Remerciements

Francis Jutand, Directeur scientifique de l’Institut Mines-Télécom et VéroniqueDeborde,DirectricedéléguéedelaFondationTélécom.LespartenairesdelaFondationTélécometduThinkTankFuturNumérique.TouslescontributeursàceCahier.AnneAndraultpourlacorrectionetlamiseenpagedeceCahier.Nicolas Basset pour le graphisme de la couverture des Cahiers de

Prospective.

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Les Cahiers de Prospective du Think Tank Futur Numérique ont pour mission d’élargir les horizons temporels de la réflexion sur la transformation numérique. Ils cherchent à aborder les sujets de manière décloisonnée et interdisciplinaire en reliant les apports des praticiens, dirigeants, managers, chercheurs, experts et partenaires de l’Institut Mines-Télécom et de la Fondation Télécom.

www.fondation-telecom.orgwww.mines-telecom.fr

ISBN : 978-2-9156-1823-2