LES FRÈRES DE SAINT-GABRIEL I · grand amour pour sa famille reliaieuse, amour qui, si surnaturel...

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358 LES FRÈRES DE SAINT-GABRIEL Un Frère R...-M..., Canadien du Canada, ne m'en- tendra-t-il pas, lui qui, bon écrivain, lança un journal pour Jécistes, dont i l était le directeur et principal rédacteur ? Et tel et tel antre encore ? De la France au Canada, par les mille moyens qui s'offrent à l'in- géniosité humaine, il importe de créer un courant cul- turel, puissant et continu. Ce beau, ce grand pays d'au delà des mers, qui a la croissance vigoureuse du chêne, qui sait rivaliser avec les plus puissants pays indus- triels, tout en gardant le primat aux valeurs spirituel- les, jusque dans sa structure politique, ce Canada, cher à nos cœurs, doit connaître les multiples témoi- gnages de notre vitalité intellectuelle et non pas ceux- là seulement que consacre chez nous le snobisme. Je me persuade notamment que notre magnifique renais- sance littéraire catholique, si mal connue, si mal sou- tenue, même en France, est loin de l'être au Canada comme il conviendrait. Dan3 l'ensemble de la produc- tion française, et à égalité de valeur littéraire, elle représente pourtant, sans conteste possible, par son ins- piration première comme par sa haute tenue religieuse et morale, ce qui s'adapte le mieux, en profondeur comme en étendue, au climat spirituel du Canada fran- çais. L'Institut de Saint-Gabriel, si fermement établi au Canada comme en France, peut, s'il le veut, jeter d'un pays à l'autre, par delà l'Atlantique, ce pont d'or. I CONCLUSION J'avais mis à ce livre le point final, quand me vint la nouvelle de la démission, pour raison d'âge et de santé, du Révérend Frère Benoît-Marie, qui succéda, en 1936, au Frère Sébastien, comme Supérieur général de l'Institut. Me voici libre pour en parler. Le Révérend Frère Benoît-Marie a gardé le gou- vernail de l'Institut jusqu'en janvier de l'année 1946, où j'écris ceci. Durant tout son généralat, le beau navire a été fortement secoué. La révolution de 1937 dévasta la province d'Espagne; quarante-neuf Frères fuient exterminés par les Rouges, et, parmi eux, tous les chefs. Du même coup, il fallut renoncer à un établis- sement dans l'Amérique du Sud, déjà préparé, mais qui ne pouvait être le fait que des Frères espagnols. La seconde guerre mondiale rompit toutes relations entre les religieux de France et ceux de l'étranger; partout elle sévit, elle détruisit ou paralysa les œuvres. D'ores et déjà, elle a hypothéqué l'avenir, en dispersant les sujets des maisons de formation ou en les réduisant à un nombre infime. Elle a empêché la formation, en Fiance, d'une province nouvelle de l'Institut, freiné l'expansion missionnaire. Le départ des déportés en Allemagne, l'absence des Frères pri-

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U n Frère R . . . - M . . . , C a n a d i e n du C a n a d a , ne m 'en-t e n d r a - t - i l pas, l u i q u i , bon écrivain, lança u n j o u r n a l p o u r Jécistes, dont i l était le d i recteur et p r i n c i p a l rédacteur ? E t te l et t e l antre encore ? D e l a F r a n c e au C a n a d a , p a r les m i l l e moyens q u i s'offrent à l ' i n ­géniosité h u m a i n e , i l i m p o r t e de créer u n courant c u l ­t u r e l , puissant et c o n t i n u . Ce beau, ce grand pays d 'au delà des mers, q u i a l a croissance vigoureuse d u chêne, q u i sait r i v a l i s e r avec les p lus puissants pays i n d u s ­tr ie ls , tout en gardant le p r i m a t aux valeurs s p i r i t u e l -les, jusque dans sa structure p o l i t i q u e , ce C a n a d a , cher à nos cœurs, doit connaître les m u l t i p l e s témoi­gnages de notre vitalité inte l lec tue l le et n o n pas ceux-là seulement que consacre chez nous le snobisme. J e me persuade notamment que notre magni f ique rena i s ­sance littéraire catho l ique , s i m a l connue, s i m a l sou­tenue, même e n F r a n c e , est l o i n de l'être au C a n a d a comme i l conviendrai t . Dan3 l ' ensemble de l a produc ­t i o n française, et à égalité de va leur littéraire, e l le représente pourtant , sans conteste possible , p a r son ins­p i r a t i o n première comme p a r sa haute tenue rel igieuse et mora le , ce q u i s 'adapte le m i e u x , e n p r o f o n d e u r comme en étendue, au c l imat s p i r i t u e l d u C a n a d a f r a n ­çais. L ' I n s t i t u t de S a i n t - G a b r i e l , s i f e rmement établi au C a n a d a comme en F r a n c e , peut , s ' i l le veut, jeter d ' u n pays à l ' au t re , p a r delà l ' A t l a n t i q u e , ce pont d'or.

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J 'avais mis à ce l i v r e le po in t final, q u a n d m e v i n t l a nouve l le de l a démission, p o u r ra ison d'âge et de santé, d u Révérend Frère Benoît-Marie, q u i succéda, en 1936, au Frère Sébastien, comme Supérieur général de l ' Ins t i tut . M e v o i c i l i b r e p o u r en par l e r .

L e Révérend Frère Benoît-Marie a gardé le gou­v e r n a i l de l ' Ins t i tu t jusqu 'en j a n v i e r de l 'année 1946, où j 'écris ceci . D u r a n t tout son généralat, le beau nav i re a été fortement secoué. L a révolution de 1937 dévasta l a prov ince d 'Espagne ; quarante-neuf Frères f u i e n t exterminés p a r les Rouges , et , p a r m i eux, tous les chefs. D u même coup, i l f a l l u t renoncer à u n établis­sement dans l 'Amérique du S u d , déjà préparé, mais q u i ne pouvai t être le fa i t que des Frères espagnols. L a seconde guerre m o n d i a l e r o m p i t toutes re lat ions entre les r e l i g i eux de F r a n c e et ceux de l 'étranger; partout où el le sévit, e l le détruisit ou paralysa les œuvres. D'ores et déjà, el le a hypothéqué l ' a v e n i r , en dispersant les sujets des maisons de f o r m a t i o n ou en les réduisant à u n n o m b r e in f ime . E l l e a empêché l a f o r m a t i o n , en F i a n c e , d 'une prov ince nouve l le de l ' Ins t i tu t , freiné l ' expans ion miss ionnaire . L e départ des déportés e n A l l e m a g n e , l 'absence des Frères p r i -

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sonniers cêna considérablement le fonct ionnement dos écoles. TTne s ituation aussi troublée a, de p l u s , comme i l était inévitable, causé des défections dans les ranss des Frères. E t ce fut encore sons le gouvernement du Révérend Frère Benoît-Marie que l a miss i on d 'Abys -s inie sombra .

Les circonstances m'avant fait v i v r e , pendant u n an et d e m i , dans l'intimité du fover gabriéliste, m 'ont permis d 'avo ir avec l u i de longues conversations, en ce b u r e a u net et l u m i n e u x où aff luaient, de tant de coins du m o n d e les nouvel les de ses F i l s dispersés... D e ces nouvel les , i l v i b r a i t , se désolait ou se réjouis­sait. Ce n'est pas assez d ire : ces lettres où s'épanchaient tant d'espérances et tant de peines, c'éta't sa v ie même. Quelque chose, par-dessus tout, f rappa i t en l u i : u n grand a m o u r p o u r sa fami l l e re l ia ieuse , a m o u r q u i , si surnature l qu 'en soit l ' o r i g ine , restait délicieusement sen­sible. J ' i m a g i n e que l ' h o m m e de gouvernement, q u ' i l fut p a r devoir , dut avo ir souvent fort à fa i re , contre ce cœur-là. L e b ienfa i t i n f i n i de l ' Incarnat i on est d 'avoir rapproché D i e u de nous. Jésus p l e u r a sur L a z a r e . N o u s aimons à sentir le cœur de c h a i r en l a ver tu de charité.

L e Révérend Frère Benoît-Marie est de Beaupréau, dans l a région d 'Angers . L a douceur angevine, dont s 'enchantait D u B e l l a y , n 'a pas supprimé en l u i une vivacité de réaction et d ' impressions q u i me semble plutôt des bords de m o n A d o u r et de m a N i v e . Ses soixante-dix-sept ans l ' ont laissée intacte et frémis­sante. T o u t au l o n g de son généralat. elle maintena i t ses co l laborateurs immédiats e n état d'alerte et, met­tant l 'accent sur des détails que l a paresse de l ' espr i t h u m a i n submergerait aisément, elle inc i ta i t à une activité cont inue . L e regard l ' e x p r i m e où domine d ' a i l ­l eurs une bonté tou jours en éveil.

U n j o u r , je l ' in terrogea i sur l 'œuvre de son généralat: « M o n généralat, me d i t - i l , n'est que l ' h i s to i re de mes projets . M a première préoccupation était d 'une for ­m a t i o n ascétique p lus forte p o u r nos re l i g i eux . Dans

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ce but , j ' aura is v o u l u d 'abord a jouter quelques mois au second novic iat institué par m o n prédécesseur. Dans la période où je me t rouva i chargé de cette ins­t i t u t i o n , j ' a i été à même d'en apprécier les avantages considérables. Ce second nov i c ia t , u n peu plus pro ­longé, étendu à de plus n o m b r e u x sujets, moins âgés par a i l l eurs que ceux q u ' o n y avait admis précédem­ment , eût certainement p r o d u i t les plus heureux frui ts et formé des re l i g i eux d'élite. »

L e Révérend Frère me l i v r a i t a ins i l a préoccupa­t i o n dominante de son gouvernement : f o rmer de par ­faits religieux-éducateurs. Ses c i rcula ires rappe la ient constamment les devoirs du gabriéliste, les vertus dont i l doit s 'armer et provoquaient à une v ie intérieure sans cesse appro fond ie . Dans cet espr i t , le Révérend Frère souhaitai t fonder en Espagne , en I ta l i e , au C a ­nada , en B e l g i q u e , u n nov ic iat doublant ce lu i q u i y existait déjà. I l en vou la i t également p o u r sa miss ion de l ' Inde , au pays de Coonoor , chrétienté très ancienne, et aussi en F r a n c e , dans l a Lozère ou l ' A v e y r o n , en Auvergne . . . Q u a n d i l s'agissait des juvénistes, son âme entrait en ébullition. L ' a v e n i r de l ' Inst i tut n'est-! ' po int en eux ? Sa m e i l l e u r e jo ie était de se t rouver au m i l i e u de ces enfants au cœur p u r , à l'âme généreuse, à l a piété fervente, pépinière de S a i n t - G a b r i e l . O u e l -que temps q u ' i l fît, s ' i l avait décidé de se rendre de S a i n t - L a u r e n t au juvénat de L a T r e m b l a y e , n u l ne l 'en aura i t p u empêcher. N e u f bons kilomètres ? N ' i m ­porte ! A u po int d u j o u r , i l prenai t sa canne et s'en a l l a i t . Je pense au cant ique de M o n l f o r t : « Le démon crie et la chair dit : restez au feu, restez au lit. » L e Révérend Frère n 'en avait cure et a l la i t où le menai t sa paternité.

A l ' entendre , on cro i ra i t q u ' i l n ' a p u fa ire et n 'a fa i t que p l eurer sur des ruines . Sa modestie l u i diss i ­m u l e que, appuyé s u r ses assistants, i l a fa i t face à l 'orage, sauvé tout ce q u i pouvai t l'être et m a i n t e n u , contre vents et marées, ce q u i devait être m a i n t e n u . A u j o u r d ' h u i , où son âge et son état de santé l'o/»t

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obligé à se démettre de sa charge, i l p o u r r a i t n o t a m ­ment , jetant u n regard e n arrière, se r a p p e l e r qu'avec 6 o n conse i l i l a provoqué, p o u r le p lus grand b i e n de l ' Ins t i tut et de l 'h i s to i re de l ' E g l i s e , une étude métho­d ique de l a filiation mont for ta ine des Frères, fa i te se lon les bonnes règles de l a c r i t i que h i s t o r i q u e ; d u même coup, l a b i o g r a p h i e de M o n t f o r t s'est enr i ch ie de chapitres inédits.

C o m m e n t ne pas associer, dans m o n souvenir ; au n o m d u Révérend Frère Benoît-Marie, ceux de ses trois assistants embarqués avec l u i p o u r l e m e i l l e u r et p o u r le p i r e ? L a sagesse, v e r t u essentielle de q u i p a r t i c i p e au gouvernement r e l i g i e u x , est répartie sur eux tro is , avec une a imab le abondance. E l l e se nuance de l ' u n à l ' autre , selon le tempérament de chacun.

L e Frère A . - J . . . , p r e m i e r assistant, est u n Vendéen de Vendée, j ' entends de l a v i e i l l e Vendée m i l i t a i r e , q u i t ient fortement sur les tranchées t rad i t ionne l les et ne se laisse pas entamer. Son b o n sens, q u i répand u n rare sentiment de sécurité, l ' avert i t i n f a i l l i b l e m e n t de ce q u i fa i t l ' h o n n e u r d 'une n a t i o n et d 'un h o m m e , de ce q u i les fa i t croître ou décroître et le défend die céder q u o i que ce soit aux divinités dévorantes d 'un i l l u s o i r e progrès. N u l l e r o i d e u r en ce la , ma is une santé mora le so l ide et équilibrée, comme son être p h y s i q u e lui -même, car i l n'est pas de santé, comme i l a ime à d i re lui-même, sans réaction; seul v i t c e lu i q u i réagit. E t pu is , s i b i e n assis que soit son ferme jugement sur d ' immuables pr inc ipes , i l a, dans l'appréciation' — d'une i m p e r t u r b a b l e f ranchise — q u ' i l porte sur les hommes et sur les choses, cet esprit de finesse, q u i est une des douceurs de l a c i v i l i s a t i o n et l a flexi­bilité que donne une expérience b i e n dirigée. L a sienne est r i c h e et transparaît en ses propos . I l est poète, je l ' a i d i t , et de l 'école de R o n s a r d , mais ses pieds restent calés sur l a terre natale . L e r e g a r d de ses y e u x b leus semble b i e n par fo i s dépasser son in ter l o cuteur et se perdre en ces nuées irisées où se font et défont les rythmes et les r imes . M a i s , dans ce même temps , l ' o b -

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servateur pénétrant q u ' i l porte e n l u i s'est approprié , sans q u ' i l y paraisse, du fort et d u fa ib le de quiconque p o u r en e n r i c h i r sa connaissance des hommes , et savoir m i e u x les a imer , c'est-à-dire d ' u n p l u s l u c i d e amour . A l o r s que l ' immense majorité des A n c i e n s Combattants paraît s'être à jamais tue sur l a guerre de 14-18, l u i , i l en par le sans cesse. C'est que, précisément, l e chasseur à p i e d q u ' i l fut a su v o i r , dans cette misère des misè­res, l ' h o m m e mis à n u par l ' i m p i t o y a b l e « ca fard » et l a détresse p h y s i q u e . L'expérience de la guerre l u i fut , on le sent, décisive. E l l e n'est pas étrangère, n o t a m ­ment , à sa l a rgeur de vues. E n ce temps-là, i l fumai t l a p ipe . J e l a vois , sur une photo , pointée en avant , en posture de combat ; comme le regard net et direct , e l le p r e n d l a l igne d 'hor i zon .

L e Frère A l . . . , troisième assistant, écoute p lus vo l on ­tiers les savoureuses histoires du Frère A . - J . . . q u ' i l n 'en raconte lui-même. M a i s n u l doute que les s i l e n ­ces où i l se complaît ne soient fort meublés. L u i aussi a sa be l le expérience h u m a i n e ; seulement, au l i e u de fuser e n propos abondants, e l l e mi j o te en l u i douce­ment , l onguement , sous le couvercle de son si lence, comme au ba in -mar ie . Son jugement , q u ' i l n ' e x p r i m e qu'à b o n escient, est également marqué au co in du b o n sens. De l a prudence aussi et même j ' i m a g i n e vo lont iers qu 'en ce moteur complexe qu'est l ' a d m i n i s ­t r a t i o n générale d 'un Inst i tut re l ig ieux , i l se chargerait p l u s vo lont iers , si on' l u i e n donnait le cho ix , d u f r e i n que de l'accélérateur. L e don d ' u n cœur généreux s 'exprime chez l u i p a r une amabilité q u i , depuis q u ' i l fut d i recteur d u pensionnat de S a i n t - G a b r i e l , est, à S a i n t - L a u r e n t , légendaire.

Ces deux Vendéens, le Frère A . . . , second assistant, et « h o m m e du N o r d » , les complète au sein d u C o n ­se i l . Les fonct ions de secrétaire général, q u ' i l assume, en sus de celles de second assistant, trouvent en l u i u n écrivain au style direct , à l a phrase souple , déliée, o r ­née comme une le t t r ine de misse l . I l par l e comme i l écrit et i l a le don , fort r a r e , de mener ses phrases,

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impeccablement bâties, jusqu 'au bout, quel que soit le nombre de parenthèses dont i l l u i a p l u de les émail-l er . E t voilà q u i me plaît à soul igner , face à nos conti mpora ins q u i . t rop souvent, avalent la moitié des mots et déshonorent l 'autre moitié. Poète délicat l u i aussi, excel lent à débanaliser dans ses vers les thèmes re l i g i eux , poète comme le Frère A . . . - J . . . , comme le Frère G . . . M . . . , mais , comme eux aussi, t rop pr is par les devoirs de sa charge p o u r sacrif ier à l a M u s e chrétienne de longs instants. C'est à l 'occasion de quelque solennité qu ' i l s y emplo i en t une p l u m e absor­bée p a r de tout autres écrits, mais , précisément, l a f o r m u l e très d i f f i c i le , et généralement exécrable, des « vers de circonstance » , j ' a d m i r e comme i ls la réu& sissent, c h a c u n dans u n genre très différent. L a con­versat ion d u Frère A . . . révèle une charmante i r o ­n ie , q u i est un sourire de l ' in te l l i gence , et que surve i l le de très près l a par fa i te urbanité de l ' e spr i t . T e l est le visage que p r e n d , chez l u i , cette sagesse q u i , avec l ' espr i t gabriéliste, fait de simplicité, de dévouement, d 'abandon confiant en l a Prov idence , est b i e n le tra i t c o m m u n des tro is assistants.

... J e pense à eux, à tant d'autres de l e u r Inst i tut , en ces dernières heures de m o n séjour à S a i n t - L a u r e n t , q u i fu ient comme l ' eau d 'entre les doigts. Je n 'a i jamais quitté des l i e u x q u i me sont chers sans avo ir rêvé, s o l i ­ta i re , dans leurs méandres fami l i e r s . A u pensionnat S a i n t -G a b r i e l , j ' a i passé et repassé, éprouvant que le pré­sent prena i t déjà l a f o rme du souvenir , r i c h e de ce que j ' a i gagné i c i , pauvre de ce que je vais qu i t ter , e m p l i d 'une pénétrante et reconnaissante mélancolie. E n cette cour d'entrée, dont le Frère T. . . , m o n i n t r o ­ducteur à S a i n t - G a b r i e l , me décrivit les fastes et que longent , intacts , les murs d u p r e m i e r pensionnat , l ' a n ­c ienne chape l le , devenue garage p o u r les bicyclettes, q u i e n débordent comme le f o in de greniers t rop p le ins , l a v i e i l l e maison Sup io t , surélevée d 'un étage mais , p o u r le reste, p a r e i l l e à elle-même, que de

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v i eux souvenirs dressés partout comme p o u r exorciser l a galerie trop neuve de« par l o i r s 1 Passée une voûte, q u e l éblouiesement tou jours nouveau devant cette cour d 'honneur q u i , sur tro is côtés, a l igne des bâti­ments rect i l ignes où s'encastre l a chapel le r omano -g o l h i q u e , dont l a pat ine se m a r i e à m e r v e i l l e à l ' a r ­doise b leue des toits ! Des parterres de fleurs et de plantes font chanter à l a be l le saison leurs couleurs vives, savamment orchestrées p a r u n j a r d i n i e r , fils s p i ­r i t u e l de L e Nôtre. L a be l le statue de M o n t f o r t , œ u ­vre de Guéniot, domine , b i enve i l l an te et massive. A u delà, une r u m e u r e m p l i t les vastes cours de récréa­t i o n . C'est l a jeunesse des pays d'Ouest q u i mène entre deux classes le j oyeux tapage de ses j eux . Je f ranch is une seconde voûte. Je dépasse à m a droite l a cour du juvénat, à m a gauche les bâtiments de l 'école professionnel le ; je m'engage sur l a co l l ine de l a Salette. C'est le haut l i e u de S a i n t - G a b r i e l d'où les élèves de dernière année, à l a ve i l l e de qu i t ter défin--t ivement le pensionnat , élèvent le fervent cant ique de i adieux. Moi -même, ne suis-je pas u n partant q u i a r r a ­che avec pe ine de ce v i eux sol les racines que j ' y a i poussées ? C'est b i e n i c i q u ' i l convient que je rassemble mes pensées éparses. J e suis au p i e d d u t u m u l u s où se dressent les statues de N o t r e - D a m e et de ses pâtres. T o u t le parcours « gabriéliste » de l a Sèvre est sous mes yeux , j ' e n caresse d u regard lea rives : m o u l i n , cascade, potagers et pra i r i es . C o m m e à Massab ie l l e , au l o n g d u Gave , une grotte s 'ouvre,

a u l o n g de l a Sèvre, dans u n massif n a t u r e l d'énormes rochers . L a êtatue de N o t r e - D a m e de L o u r d e s est b i e n à sa p lace , en ce domaine où le ronronnement des ave accompagne constamment le m u r m u r e des eaux . Pas ­sée l a grotte, l a Sèvre fa i t u n coude brusque p u i s , entre les col l ines escarpées, resserrées, s'en va vers le pays nantais . Là-haut, autour d u c locher , les chou­cas poursuivent l e u r ronde en cr iant . . .

D e ces l i e u x monte i n v i n c i b l e m e n t une leçon de féconde stabilité. S i le j oyeux dynamisme des Frère*

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de S a i n t - G a b r i e l m'assure qu ' i l s sauront s 'adapter aux besoins vra is et sains des temps nouveaux, comme aussi défendre eff icacement l e u r œuvre scolaire a d m i ­r a b l e , j e me persuade aussi qu ' i l s sauveront de l e u r t r a d i t i o n ce q u i doit être sauvé. L a spiritualité de M o n t f o r t , dont i l s se pénètrent de p lus en p l u s , sera l eur axe indéfectible. Q u e l q u e développement que p r e n ­nent dans l ' a v e n i r leurs prov inces autres que celles de l 'Ouest , et si puissante que devienne, p o u r le p lus g rand b i e n de l e u r Inst i tut , l a co l laborat ion d u N o u ­veau-Monde , puisse l e u r or ig ine vendéenne, marquée d ' u n sceau sacré p a r l e u r fondateur , imprégner l e u r développement f u t u r ! Ce collège de S a i n t - L a u r e n t - s u r -Sèvre, où je promène mes pas, c'est le conservatoire d u p lus p u r esprit vendéen. Q u ' i l reste p a r e i l à l u i -même ! I l ne sera jamais u n anachronisme parce q u ' i l représente des valeurs éternelles, et qu'à ces valeurs le monde , a u j o u r d ' h u i en f o l i e , r e v i e n d r a u n j o u r , s ' i l veut v i v r e .