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Les fées Conte de Charles Perrault (1628 – 1703) Charles Perrault est un auteur français du XVIIe siècle, célèbre pour ses Contes de ma mère l’Oye (prononcer « oie »). Perrault a consacré beaucoup de temps à collecter des contes issus de la tradition orale populaire (les histoires qu’on se racontait de génération en génération dans les campagnes françaises). Il les a ensuite adaptés à l’écrit. Le conte « Les Fées » met en scène une seule fée, mais qui prend tour à tour l’apparence d’une vieille magicienne ou d’une belle princesse.

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Les fées Conte de Charles Perrault (1628 – 1703)

Charles Perrault est un auteur français du XVIIe siècle, célèbre pour ses Contes de ma mère l’Oye (prononcer « oie »). Perrault a consacré beaucoup de temps à collecter des contes issus de la tradition orale populaire (les histoires qu’on se racontait de génération en génération dans les campagnes françaises). Il les a ensuite adaptés à l’écrit. Le conte « Les Fées » met en scène une seule fée, mais qui prend tour à tour l’apparence d’une vieille magicienne ou d’une belle princesse.

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Il était une fois une veuve qui avait deux filles. L’aînée était moralement le portrait de sa 5  mère : fière, orgueilleuse, dure et paresseuse. La plus jeune, au contraire, était tout comme son père : douce, humble*, courtoise*. De plus, elle possédait une beauté extraordinaire. Etant donné que « qui se ressemble s’assemble » la veuve aimait beaucoup l’aînée et détestait la plus jeune. Elle lui témoignait son aversion* en l’astreignant aux besognes* les plus basses et les plus fatigantes de la maison. 10  La pauvre petite supportait tout sans jamais se plaindre. Un soir, alors que le soleil était déjà couché à l’horizon, la mère lui ordonna d’aller à la fontaine chercher une cruche* d’eau. Pour la première fois de sa vie, la jeune fille hésita à obéir et pria sa mère de lui éviter cette charge : la fontaine était fort éloignée de la chaumière, au cœur de la forêt. A cette heure, elle avait peur de pénétrer sous les arbres qui semblaient cacher derrière leurs troncs, un ennemi 15  invisible et inconnu. La mère fut intraitable* et la pauvrette, le cœur battant, alla à la fontaine. La forêt commençait à s’éveiller pour sa vie nocturne et mille bruits étranges et inexplicables augmentaient la terreur de la jeune fille. Finalement, elle s’arma de courage et arriva au bord de la source. Elle allait plonger la cruche dans l’eau limpide, quand elle entendit une voix qui l’appelait : 20  -Belle jeune fille, peux-tu m’offrir à boire ? C’était une vieille femme que la jeune fille n’avait pas vu arriver. Elle répondit gentiment : -Bien volontiers, grand-mère. Elle rinça la cruche, la remplit d’eau au plus bel endroit de la fontaine et la 25  tendit à la vieille femme en la tenant à deux mains pour qu’elle boive plus facilement. La femme but avec plaisir et dit : -Tu es vraiment gentille et courageuse. Tu mérites une récompense. A chaque parole que tu prononceras, une fleur et une pierre précieuse sortiront 30  de ta bouche. Sur ces mots, elle disparut et la jeune fille rentra chez elle. La mère qui l’attendait sur le pas de la porte, lui cria, dès qu’elle la vit : -Pourquoi as-tu mis si longtemps ? Ne savais-tu pas que nous t’attendions, ta sœur et moi ? Comme punition, tu iras au lit sans souper ! 35  -Je vous demande pardon ma mère, d’avoir autant tardé, murmura la jeune fille. Et de sa bouche sortirent deux roses, deux perles et deux gros diamants. Imaginez la stupeur de la mère devant un tel spectacle. -Que vois-je ? lui demanda-t-elle brusquement. D’où vient cela, ma fille ? (Ce fut là la première fois qu’elle l’appela sa fille). 40  La jeune fille raconta son aventure à la fontaine tandis que des flots de diamants, de rubis et de fleurs en tout genre sortaient de sa bouche. Aussitôt, la mère s’exclama : -Vraiment, il faut que j’y envoie ma fille. Tiens, Fanchon, vois ce qui sort de la bouche de ta sœur quand elle parle. Ne serais-tu pas heureuse d’avoir le même don ? Tu n’as qu’à aller 45  puiser l’eau à la fontaine, et quand une pauvre femme se présentera, donne-lui gentiment à boire. -Il me ferait beau voir, répondit la brutale, aller à la fontaine. -Je veux que tu y ailles, et immédiatement, dit la mère. Bien à contrecœur, la jeune fille alla prendre le plus beau flacon d’argent du logis et se rendit 50  à la fontaine, toujours en grondant. Elle était à peine arrivée qu’elle vit sortir du bois une dame magnifiquement vêtue qui vint lui demander à boire. -Je ne suis pas venue jusqu’ici pour vous servir, madame, répondit la jeune fille d’un ton peu aimable, si vous avez soif, buvez vous-même, ce n’est certes pas l’eau qui manque ici !

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La belle dame, qui était la même fée que celle apparue précédemment et qui avait changé 55  d’apparence pour éprouver la gentillesse de la jeune fille, sourit et dit : -Tu n’es guère courtoise. Comme punition, à chaque parole que tu prononceras, une vipère et un crapaud sortiront de ta bouche. Vous pouvez imaginer l’indignation et la rage de la veuve quand elle vit rentrer sa fille bien-aimée plus laide et plus âcre* que jamais. Quand elle vit les horribles bêtes sortir de sa 60  bouche, elle accusa son autre fille d’être responsable de ce malheur et dans un accès de colère, elle la chassa de la maison. C’était la nuit et la pauvrette ne savait où se réfugier. En pleurant, elle se dirigea vers la forêt dans l’espoir de rencontrer de nouveau la fée qui lui avait déjà fait un si beau cadeau. Mais au lieu de la vieille femme, elle vit un jeune cavalier : c’était le fils du roi qui revenait de la chasse. 65  -Pourquoi pleurez-vous belle jeune fille ? lui demanda le prince quand il fut auprès d’elle. -Parce que ma mère m’a chassée de la maison et je ne sais où aller, répondit la jeune fille, tandis que des rubis, des fleurs et des perles lui sortaient de la bouche. Le fils du roi, lorsqu’il vit ces merveilles, la pria de lui dire d’où cela lui venait. Elle lui conta toute son aventure. Le prince en devint amoureux, et considérant qu’un tel don valait mieux 70  que tout ce qu’on pouvait donner en mariage à un autre, l’emmena au palais du roi, son père, où il l’épousa. Pour sa sœur, elle se fit tant haïr, que sa propre mère la chassa de chez elle. Et la malheureuse, après avoir bien couru sans trouver personne qui voulût la recevoir, alla mourir au coin d’un bois. 75  

D’après Charles Perrault Histoires ou Contes du Temps Passé, 1697.

Editions Piccoli, Milan 1968.

Lexique : humble : adj. modeste, discret, qui n’aime pas se vanter. courtois, courtoise : adj. poli, gracieux, bien élevé. aversion : n. f. dégoût, haine. besogne : n. f. corvée, tâche, travail souvent pénible. cruche : n. f. pot, carafe d’eau en terre cuite. intraitable : adj. qu’on ne peut pas faire changer d’avis. âcre : adj. désagréable, de mauvaise humeur.