Les femmes dans les sociétés du Sud : la cassure...

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UNlVERSITÉ DE PARIS SORBONNE PARIS 1 IEDES Institut d'Études du Développement Économique et Sociale Sciences Sociales, Sociologie LES FEMMES DANS LES SOCIETES DU SUD LA CASSURE DU SAVOIR, JEANNE BI8ILLIAT Chargée de recherche OR8TOM THESE DE DOCTORAT (ARRETÉ DU 30 MARS 1992) DIRECTEUR DE THESE : Maxime HAUBERT Octobre 1996

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UNlVERSITÉ DE PARIS SORBONNE

PARIS 1

IEDESInstitut d'Études du Développement Économique et Sociale

Sciences Sociales, Sociologie

LES FEMMES DANS LES SOCIETES DU SUD

LA CASSURE DU SAVOIR,

JEANNE BI8ILLIATChargée de recherche OR8TOM

THESE DE DOCTORAT (ARRETÉ DU 30 MARS 1992)

DIRECTEUR DE THESE : Maxime HAUBERT

Octobre 1996

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REMERCIEMENTS

Je tiens avant tout à remercier le Professeur Maxime Haubert qui

m'a vivement encouragée à faire cette thèse sur travaux et qui a su m'aider

par ses remarques, observations et critiques tout au long de mon travail. Je

tiens également à remercier le Professeur R. Bastide et le Professeur Meyer­

Fortes qui m'ont également encouragée, il y a longtemps, à continuer mes

travaux en anthropologie sociale.

Mais cette thèse n'existerait pas si je n'avais pas eu la chance

merveilleuse de rencontrer sur le terrain des hommes et encore plus des

femmes qui fUrent des amies et des initiatrices. Je n'en citerai qu'une; son

nom symbolise pour moi toutes les autres: Zigli Nya du village de Sarando au

Niger.

Je souhaite également remercier les Organisations Internationales

qui me donnèrent la possibilité durant dix ans de diversifier mes

connaissances et d'approfondir mes hypothèses ainsi que l'ORSTOM (Institut

Français de Recherche Scientifique pour le Développement en Coopération)

qui, depuis 1983, me laissa toute liberté de prendre des initiatives don t

certaines engagaient son renom international.

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TABLE DES MATIERES

REMERCIEMENTS

INTRODUCTION

QUEL LANGAGE POUR LAL'OBSERVATEUR:CHAPITRE 1

DESCRIPTION?

1.1 La place de l'observateur et les conditions de l'observation

1.1.1 Le Niger (1966-1972)

1.1.2 Le Brésil (1986-1990)

1. 2 l'observation participante

1.3 Quel langage pour la description ?

CHAPITRE II LA CONSTRUCTION DE LA PERSONNE

2.1 Construction emblématique

2.1.1 les zamu ou poèmes sur les noms

2.1.2 l'excision

2.2 Construction notionnelle

2.3 construction sociale

CHAPITRE III LA DECOUVERTE DE L'ACTEUR INVISIBLE

3.1 Analyse d'un rite

3.2 La cassure du savoir

3.3 Implications théoriques

3.3.1 introduction du complexe

3.3.2 renouvellement de la conception de la causalité

3.4 La soumission comme opérateur logique de l'ordre culturel

3.5 Le fondement de l'exclusion

CHAPITRE IV RELATIONS DE GENRE ET DEVELOPPEMENT

4.1 De l'immersion à l'émergence: deux bilans

4.1.1 les femmes, partenaires du développement: bilan des 1u ttes

féministes

4.1.2 bilan des politiques orientées vers les femmes

4.2 Relations de genre et développement: tension entre deux savoirs

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CHAPITRE V L'EXCLUSION MOTEUR DU CHANGEMENT

5.1 le paradoxe de la maternité

5.2 l'impossible mobilité

5.2.1 le pythe et l'art

5.2.2 multirationalité et non mobilité des femmes

5.3 migration et urbanisation

5.4 féminisation de la pauvreté

5.5 pauvreté, démocratie, exclusion

5.6 les femmes dans un mouvement populaire

CONCLUSION

1. Regards rétrospectifs sur les recherches antérieures

2. Femmes, participation populaire et pouvoir politique

3. Perspectives de recherche

BIBLIOGRAPHIE GENERALE

BIBLIOGRAPHIE PERSONNELLE

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INTRODUCTION

Venue à l'anthropologie après des études d'anglais, j'effectue mon

premier terrain d'ethnographie au Niger, de 1966 à 1972, comme membre de

l'équipe de recherche de Télé-Niger, projet expérimental de télévision

éducative destiné aux enfants en âge d'entrer à l'école primaire. Ce faisant, je

m'inscris dès le début de mon travail dans le champ d'une anthropologie

appliquée et praticienne (Bastide, 1971). Je m'installe à Sarando, village situé

au bord du fleuve Niger, qui doit recev·oir une des 20 écoles de ce projet

d'éducation interculturelle. Je fais alors une enquête classique dont les

résultats servent de référence et de soutènement figuratif a u x

apprentissages des nouveaux codes dans le respect des valeurs et des

coutumes de l'enfant.

Parallèlement, ayant découvert lors de mes premières recherches

sur l'éducation traditionnelle l'existence du lakkal (l'équivalent . de

l'intelligence), nous décidâmes de créer un groupe d'études

interdisciplinaires formé d'un sociologue nigérien, d'une psychologue et

d'un psychiatre. Nous avons, chacun dans son optique différente fait nos

recherches qui furent soumises à des discussions de groupe et qui fu r e n t

publiées, dès 1967. Cela constituait à l'époque une inflexion originale de 1a

recherche.

Je décidai de continuer dans cette direction et travaillai sur la notion

de personne avec D.Laya, sociologue nigérien, puis, seule, sur les maladies.

Sans aucun doute, j'aurais poursuivi et me serais spécialisée dans ces

domaines d'autant plus que j'y étais encouragée par l'intérêt du Professeur

Meyer Fortes qui m'invita à venir exposer mes travaux sur la maladie au

Congrès des anthropologues britanniques en 1971. Mais, de retour en Fra n c e

en 1972 à la fin de la première phase de Télé Niger, je ne réussi s pas à t r 0 u ver

un moyen pour repartir au Niger. Je fus à ce moment invitée comme fellow à

Cambridge où je poursuivis la réflexion sur cette thématique. Néanmoins je

dus à mon retour accepter un travail, responsable des recherches, dan s

l'équipe de télévision éducative pour adultes qui se mettait en place en Côte

d'Ivoire. J'y restai deux ans. Les fonctions que j'exerçais alors ne me

laissaient pas la disponibilité nécessaire pour continuer ce type de

recherche.

C'est alors, à partir de 1975, que je commençai une carrière d'expert

international avec les Agences des Nations Unies, principalement la FAD, et

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que je me spécialisai sur les femmes et le développement, faisant des missions

de plus ou moins longue durée sur les femmes rurales des pays africains

francophones. Je devins ainsi une généraliste.

Pendant toutes ces années (de 1975 à 1983) ces diverses missions 0 nt

considérablement enrichi mon expérience et approfondi ma réflexion sur

Femmes et Développement et j'ai publié de nombreux écrits de littérature

grise. J'avais également pu constater, à mon grand regret, que la France

restait complètement absente, internationalement mais aussi nationalem~nt,

de cette nouvelle thématique.

C'est la raison pour laquelle, une fois nommée à l'ORSTOM en 1983

pour travailler sur les femmes, je décidai de tenter d'infléchir cet état des

choses: je créai un Réseau Femmes et Développement avec le premier bulletin

en français, j'organisai le premier Séminaire International sur Femmes et

Politiques Alimentaires dont les Actes furent publiés pour la Conférence de

Nairobi sur les femmes, je fis un séminaire de recherches sur ce thème et

lançai bien d'autres activités. Mais contrairement à de nombreux pays

européens et aux USA, la France se refusait toujours à voir l'intérêt et 1a

nécessité de créer une dynamique de recherche sur ce thème.

Je résolus alors en 1986 de repartir sur le terrain. Toutes ces années

m'avaient montré que la ville constituait un milieu propice à l'évolution de 1a

situation des femmes et les recherches ne faisaient qu'y commencer. Je

décidai non seulement d'abandonner le milieu rural que je connaissais b i e n

pour aller travailler dans une ville mais encore de laisser l'Afrique pour

l'Amérique Latine avec ses très grandes villes dont on commencait alors à

étudier les populations féminines.

C'est ainsi que je partis au Brésil et que je travaillai avec u n

Mouvement Populaire d'Habitation -les femmes constituant la force de ces

mouvements- à Sao Paulo. Avec cette recherche et celle que je mène à

Diadema (grand Sao Paulo) depuis 1995 sur "gestion urbaine, pouvoir local et

citoyenneté", mon intérêt pour le politique s'affirme: le politique et les

femmes dans le politique. Mais aussi ces recherches s'inscrivent dans

l'intérêt croïssant que l'on porte aux relations entre "logiques étatiques et

pratiques populaires...une grande importance est donc accordée aux réseaux

plus ou moins structurés et hiérarchisés qui organisent leurs relations, et

particulièrement aux acteurs et groupes sociaux qui interviennent comme

médiateurs ou courtiers entre un système politique et les groupes populaires"

(Haubert. M, 1993)

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La recherche se présente un peu comme un organisme vivant qui se

développe selon des lois qui, bien souvent, échappent en partie au chercheur.

En premier lieu, il yale hasard dont le rôle est si important et qui oriente les

travaux vers tel ou tel champ scientifique: ce sont les apports conjoncturels

qui furent particulièrement importants lors de mon premier terrain -ils

doivent vraisemblablement l'être pour tout premier terrain- et qui me

conduisirent à travailler sur la notion de personne et la médecine

traditionnelle dès le début du développement de ces thématiques .. Mais, 1e

hasard seul ne permet de construire à partir de tel ou tel matériau brut de

l'observation qu'à celui ou celle qui y est sensible ( la sensibilité, l'émotion, 1a

manière de regarder, les références anthropologiques mais aussi littéraires

pèsent sur la manière de trier dans les éléments de l'observation): les mêmes

conditions peu vent tout à fait aboutir à des "choix" différents; c'est un peu

comme les photographes qui, photographiant chacun la même réalité, en

donnent chacun une image dissemblable.

C'est ce regard, cet l'intérêt, cette sensibilité intellectuelle dont

j'expose l'origine dans le chapitre II, renforcée par une volonté

progressivement affirmée qui m'ont conduite à façonner, à partir d'apports

non homogènes, une unité structurelle qui me permet aujourdhui de

présenter mes travaux dans une perspective cohérente.

Le fait de travailler avec les femmes, d'observer leurs méthodes

culturales, de recueillir auprès d'elles les médicaments pour enfants, les

zamu ou louanges sur les noms, les chants et les contes de l'excision l me

permirent de constater qu'elles détenaient un véritable savoir. Dès 1968, lors

du Congrès sur les traditions orales de Ouagadougou, j'exposai ces faits mais je

n'obtins qu'avec beaucoup de difficultés, le sujet étant encore trop nou veau,

que les Recommandations mentionnent la nécessité d'enregistrer ces

connaissances au même titre que celles des hommes. Je découvris également

que les femmes jouaient un rôle important dans le système de parenté

songhay-zarma, considéré jusqu'alors comme uniquement patrilinéaire, 1u i

conférant un aspect assez fortement matrilinéaire.

C'est ainsi que s'est imposé à moi l'un des axes constructeurs de toutes

mes recherches: l'existence d'un acteur social invisible allant de pair avec 1a

cassure du savoir (Chapitre III). La volonté de le dévoiler, de montrer son

importance, d'expliquer son exclusion ont donné un sens unificateur à

l'ensemble diversifié de mes travaux exposés dans les Chapitres IV, V plus

résolument axés sur les problèmes de développement. Et s'il faut établir des

je prie le lecteur de se reporter à ma bibliographie personnelle

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liens, il Y en a un, fondateur, qui sans aucun doute s'enracine dans mes

travaux sur la société songhay-zarma mais il en existe un autre entre

l'exclusion des femmes de la société songhay-zarma et celle des pauvres des

mouvements populaires, les uns et les autres expliqués et décrits au neu tre

pluriel par tant de sociologues et d'anthropologues. Cette exclusion des

femmes du politique fut toujours, et continue d'être reliée, au niveau des

causes, à la fécondité que l'on retrouve aussi dans tout mon travail. Par 1e

chemin de l'exclusion j'ai été amenée à prendre en considération, les

phénomènes de la souffrance mais aussi de l'énergie, paramètre qui me

semble encore trop absent des études anthropologiques et sociologiques. De

façon plus précise, c'est grâce aux femmes songhay-zarma qui faisaient

souvent allusion à leur sentiment d'isolement, et de détresse provoqués par 1a

coutume de la virilocalité que je m'efforçais de cerner les aspects émotifs des

systèmes de parenté et de tout phénomène social. La souffrance, la fatigue

psychologique sont ainsi devenus des thèmes rémanents de ma réflexion.

Un autre axe constructeur qui doit être rapproché du premier est

celui du changement, et encore plus du temps du changement ce qui, au

moment où je commençai à le traiter ne faisait pas partie des idées admises

communément. Mon travail à Télé Niger s'inscrivait dans la volonté d'une

équipe d'élaborer une méthode d'enseignement permettant à l'enfant de

s'intégrer plus tard au développement de son pays; pour reprendre les mots

de R.Bastide, faire en sorte que l'enfant africain reste "poète" mais devienne

"ingénieur" (Bastide. R, 1962). Ce furent ensuite ma participation à

l'expérience de télévision pour adultes de Côte d'Ivoire ainsi que les missions

en Afrique - missions d'élaboration et d'évaluation de projets- qui me

permirent, au fur et à mesure des problèmes rencontrés de mieux mesurer les

graves erreurs commises en ce domaine. Le changement était en effet très

souvent pensé comme une conséquence automatique des mesures p réc ises

mises en oeuvre dans Je cadre d'un projet:le SI-DONC, ignorant des véritables

besoins, des contraintes culturelles, et du travail féminin opéra comme u n

réducteur simplificateur et mena à de nombreux échecs. La durée nécessaire

à toute transformation échappait à la logique des développeurs qui pensaient

que l'introduction d'un outil moderne suffisait à transformer les mentalités

dont ils ne percevaient pas les innombrables ramifications. Ils refusèrent 1e

complexe du social prétextant la soi-disant simplicité de l'économique. Dans

une attitude impérialiste, nous qui venons de sociétés qui mirent plusieurs

siècles à se transformer, nous imaginions que nous pouvions appliquer des

recettes capables d'agir instantanément sur des fragments du social

prédétermi nés au tori tai rement.

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Le thème du temps s'est de nouveau imposé à moi avec force lorsque

je fis mon étude du Mouvement Populaire d'Habitation de Vila Remo au Brésil.

La question qui consiste à se demander comment être pauvre et citoyen n e

peut recevoir de réponse qu'inscrite dans la durée. C'est là encore l'erreur

que firent bien des sociologues qui voulurent voir dans ces mouvements

populaires le ferment d'une révolution immédiate et plus radicale; la ré a li té

démentit leurs espoirs et provoqua chez eux désenchantement et désintérêt

dans les années 80. Le terrain que je mène à Diadema sur gestion municipale,

pouvoir local et citoyenneté démontre, d'une autre manière, que

l'apprentissage de la démocratie est long et que parmi les conditions

nécessaires à son établissement, un certain type de politiques et de façons de

gouverner doivent s'inscrire dans une durabilité assurée. Enfin, le thème du

changement lié au temps s'impose encore plus, si je peux dire, lorsque l' 0 n

réfléchit aux femmes et au système de division hiérarchique qui agit comme

un frein puissant et persistant à leur émancipation.

En ce qui concerne mon travail sur les femmes et le développement,

son principal mérite fut d'être un travail pionnier dans mon propre pays. Je

fus une des premières à substituer, dans le domaine du développement, 1a

notion de "relations de genre" (Chapitre IV) à celle de "femmes et

développement", à analyser sa richesse théorique, à montrer l'importance des

femmes dans les villes -le thème était déjà présent lors du Colloque de 1985-.

J'ai essayé d'imposer en France ce nouveau champ du savoir avec quelque

force mais ce que je fis, seule et avec d'autres (publications, conférences,

cours isolés, séminaires) reste jusqu'à ce jour sans effet ou presque au ni v eau

des politiques de développement. Les formations universitaires, les

programmes de recherche d'envergure restent l'apanage des autres pays

(c'est la Hollande qui, par exemple, propose des cours sur Relations de Genre

et Développement aux femmes du Sénégal), le notre préférant s'attacher à son

archaïque isolement même si quelques signes extrêmement timides semblent

vouloir apparaître. Voulant à tout prix créer une dynamique qui aurait i nc 1u s

un grand nombre, j'ai consciemment délaissé des travaux personnels plus

ciblés, utilisant mes connaissances générales acquises sur le terrain et par 1a

littérature presque exclusivement anglo-saxonne. C'est avec le Brésil, et

surtout avec mon dernier terrain que je me spécialise en me penchant sur 1e

thème de "femmes et pouvoir" au travers d'une étude fine des mécanismes de

participation populaire où l'importance des femmes est écrasante

Mes recherches m'ont donc toujours conduite à m'intéresser à ce que

j'appelerais la faiblesse dans le social: les femmes des milieux ruraux et

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urbaines, les groupes défavorisés mais aussi, à un autre niveau,

du ou des changements ainsi que les déclencheurs permettant

d'accéder à une plus grande autonomie.

les facteurs

aux faibles

une réflexion sur une double

et amplifiée par les lectures.

Le travail que je présente ici se veut

connaissance, acquise par le travail de terrain

Un certain nombre de choix ont été opérés:

- Je m'appuie nommément sur les textes issus de mes deux plus longs terrains,

celui du Niger et celui du Brésil éloignés de 15 ans environ. Mes autres

expériences de terrain, d'un caractère différent, nourrissent néanmoins 1a

réflexion en la diversifiant et, je le pense, en l'enrichissant;

- j'ai choisi l'ordre chronologique parce qu'il me permet d'éclairer ma

démarche scientifique tout en évitant les artifices dus aux recompositions

imposées par une volonté de synthèse;

- je ne me réfère dans le texte qu'à un petit nombre des ouvrages lus,

particulièrement en ce qui concerne les relations de genre et 1e

développement, pour éviter une trop grande et peut-être inutile surcharge.

On les trouvera dans les bibliographies de mes ouvrages;

- la construction de l'analyse fait apparaître dans tous les chapitres un th ème

récurrent, celui de la maternité et de la fécondité, abordé sous des angles

différents qui, chaque fois en montrent la redoutable complexité;

- malgré l'unité de la thématique présentée, je ne peux que rarement

effectuer une comparaison systématique Afrique/Brésil dans la mesure 0 Ù

ces deux lieux furent le support de recherches différentes; je n"ai pu le faire

que dans le chapitre l lorsque je présente, en les opposant, les relations

ob serv ate ur-o bservé;

Les résultats de ma dernière recherche au Brésil ne seront publiés

en portugais qu'au début de l'année 1997; j'ai néanmoins décidé de présenter

les principaux résultats relatifs aux relations de genre et au politique dans 1a

conclusion et cela pour deux raisons: d'une part parce qu'ils éclairent et

infléchissent mes conclusions générales sur les femmes et le développement

mais également parce que c'est dans cette direction que je souhaite con tin uer

mon travail dans les années qui viennent.

Pour plus de clarté, je mentionne, au début de chaque chapitre, les

travaux que j'ai écrits auxquels je me réfère plus particulièrement san s

toutefois faire figurer les textes de littérature grise qui se trouvent par

ailleurs dans l'ensemble complet de ma bibliographie.

la

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CHAPITRE 1

L'OBSERVATEUR: QUEL LANGAGE POUR QUELLEDESCRIPTION ?

LI· La place de l'observateur et les conditions de l'observation

1.1.1 Le Niger (1966-1972)

C'est en Novembre 1966, après 6 mois passés sur le terrain avec u n

.interprète homme, que je réussis, après d'énormes difficultés, à trouver une

jeune fille de 18 ans environ qui voulut bien venir venir vivre à Sarando,

village où je m'étais installée, pour me servir d'interprète; jusqu'alors

aucune de celles que j'avais pressenties n'avait accepté de prendre les

risques, notamment liés à la sorcellerie, de vivre en brousse. J'espèrais, par

ce moyen, pouvoir m'approcher des femmes du village, travailler avec elles

ce qui m'avait été rigoureusement interdit lorsque j'étais accompagnée d'un

interprète homme, les contacts entre nous se réduisant alors au strict

échange de formules de politesse. C'est ce que je fis pendant 4 ans tout en

continuant, mais dans une moindre mesure, à travailler avec les hommes; 1e

fait que j'ai pu travailler sur le gosi avec les sonance (magicien guérisseur)

et assister à l'ensemble des rituels secrets de cette initiation en est un exemple

parfaitement clair.

Il

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Si la relation entre un homme zarma (même accompagnée d' une

femme blanche), et une femme zarma est frappée d'impossibilité, celle d'une

femme blanche (même accompagnée d'une jeune fille africaine) et d' un

homme zarma reste libre. Cela ne représente aucune nouveauté puisque

presque toutes les femmes ethnologues ont travaillé avec des hommes; c'est

en fait l'assymétrie de la relation qui, dans ce cas extrême, montre que 1a

liberté de parole n'est pas distribuée également entre les hommes et les

femmes: la communication est sexuée, obéit à des règles strictes ce qui p.eu t

conduire à des interprétations erronées -que j'ai souvent constatées- faisant

de la femme une personne sans langage donc sans savoir donc sans pensée.

Qu' Alimatou Sibiri ait bien voulu assumer le risque de vivre en

brousse c'est, je pense, parce qu'elle appartenait à une famille Yarse de Haute

Volta, bien intégrée à Niamey mais continuant d'entretenir des relations très

profondes avec son village d'origine où elle jouissait d'une position

dominante, notamment sur le plan religieux. Les yarsé sont des musulmans et

des animistes, croyant à la force et à la supériorité de leurs propres génies ce

qui explique que les parents aient pu laisser partir en brousse une vierge

toujours plus exposée aux maléfices de la sorcellerie; d'ailleurs, à son arri vée

dans la concession, elle effectua un certain nombre de rites de protec tion

qu'elle renouvelait avec autant de discrétion que de régularité. Alimatou, de

par cette origine étrangère dont elle était fière, devint vite plus qu' une

interprète mais une assistante idéale: tout en connaissant très bien la langue

et la culture songhay-zarma puisque c'est à Niamey qu'elle fut élevée et

qu'elle alla à l'école, elle demeurait néanmoins une étrangère, fière de son

identité. Fine, intelligente, elle montrait toujours un vif intérêt et une

curiosité inlassable pendant l'enquête.

Aux aguets mais sans jamais se départir d'un certain regard, d' une

certaine forme de distanciation, souvent crItique, pour ceux qui, selon elle,

restaient, envers et contre tout, "les autres". Fréquemment, nous découvrions,

nous apprenions ensemble ce qui créa un merveilleux lien de conni vence

entre nous. Très souvent, elle m'expliquait comment les mêmes choses se

faisaient chez elle me permettant ainsi, d'accéder de surcroît à l'esquisse

d'une optique comparati ve. Ce fut notamment le cas avec l'excision que 1es

Kourtey de Sarando pratiquaient de la manière la plus simple, sans rituels n i

fêtes. Alimatou, elle-même excisée, en était presque scandalisée et ne cessait

de me raconter comment cela se passait chez elle, combien c'était "joli",

cherchant absolument à me convaincre d'aller dans son village pour assister

à ce qu'elle considérait comme une initiation véritable, un moment festif de

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valeur inestimable dans la vie des femmes. On peut mesurer la distance

infranchissable qui sépare nos représentations des leurs: pour Alimatou, il

ne s'agissait ni de cruauté (même si elle reconnaissait que "ça faisait très t rè s

mal") ni de barbarie; en fait, ce qu'elle considérait comme sauvage consistait

à pratiquer l'excision sans l'inscrire de façon marquante dans la vie sociale.

Je fis finalement, à sa grande joie, diverses missions dans son village et pus

observer les rituels tout en tournant un film (cf Chapitre 2).

Quelques mots sur la langue. On ne disposait à l'époque que d'une

méthode assez grossière préparée par le Peace Corps pour apprendre 1e

zarma. Cela me permit de pouvoir communiquer dans la vie quotidienne mais

non pas d'échanger sur des sujets plus élaborés; je pouvais cependant

vérifier, suffisamment, la justesse des traductions orales et, assez

précisément, celle des traductions rapides faites à partir des enregistrements.

Néanmoins, l'important travail de traduction (Les Zamu) que je fis en

collaboration avec Dioulde Laya, premier sociologue nigérien, me confirmait

les difficultés sémantiques qu'il fallait résoudre pour obtenir, après bien des

efforts patients, un texte français point trop réducteur. Ceci me con fi rm a

dans l'idée que je ne pouvais pas m'approprier, dans un temps court, 1a

compréhension orale sur des sujets difficiles et je continuai donc à travailler

avec une traductrice.

Quant aux femmes du village, elles furent manifestement ravies de

pouvoir enfin m'approcher et nouer des relations avec moi. Le jeune âge

d'Alimatou, et encore plus le fait qu'elle n'était pas encore mère leur posa

quelques problèmes au début mais elles acceptèrent assez vite de 1a

considérer comme mon simple truchement et, par conséquent, de s'adresser à

elle comme si c'était à moi. Il y avait encore une difficulté à surmonter: je

n'avais ni mari ni enfant ce qui, vu mon âge -33 ans- faisait de moi, dans ce

milieu culturel où la femme ne reçoit son statut que par la maternité, u n

phénomène étrange et même incompréhensible. Ce problème fut également

résolu, ou accepté, assez rapidement pour deux raisons: la première est que

j'étais une blanche ce qui, pour elles, semblait constituer une explication

suffisante à toutes les anomalies et déviations. La seconde, peut-être en core

plus importante, reposait sur le fait que non seulement j'étais le pre mie r

blanc/femme à vivre dans le village mais encore plus que je m'intéressais à

elles, les suivant dans leurs activités, faisant d'elles mes interlocutrices

privilégiées, et ceci après 6 mois passés avec les hommes. C'était pour elles

une source d'étonnement mais aussi de gaité et parfois d'orgueil "modeste" si

je puis m'exprimer ainsi: "comment peut-on être persan", comment peut-on

être une personne que l'autre -un autre auréolé de prestige- considère

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identique à 1a

les repères, les

les idéologies

lorsque l'on se

nettement plu s

comme doué de parole, de sentiments et de savoirs. Si ce comportement

(prendre les femmes comme des informatrices à part entière) des

ethnologues femmes est désormais devenu plus courant, il ne l'était pas à

l'époque. Il faut dire également que ce choix de travailler ainsi eut des

conséquences professionnelles que j'exprimerai de la manière la plus co u rte

possible: 5 ans de terrain avec des informateurs femmes ne sont pas jugés à 1a

même aune que 5 ans passés avec des informateurs hommes.

Ces raisons ont rendu l'acceptation de mes idiosync~asies bien plu s

aisée et beaucoup de femmes, après un certain temps, allèrent au devant de

mon désir -désir d'information et de communication- créant ainsi une

connivence, une complicité, une confiance, un certain sourire que j'ai

toujours retrouvées avec les autres groupes de femmes même lors de contacts

plus rapides, pendant des missions par exemple. Nous formons, d'emblée, u n

autre cercle culturel -nous les femmes qui possédons notre connaissance des

hommes- transtemporel, marginal certes mais fondé sur une expérience

commune. Dans ce cercle, aussi abstrait que terriblement concret, mon

altérité de race, de statut, de classe s'effaçait pour se fondre dans une iden ti té

que j'oserai nommer universelle.

I.I.2 Le Brésil (1986-1990)

Mon terrain à Sao Paulo présente une toute autre problématique que

celle du Niger pour un certain nombre de raisons:

- il Y a nécessité absolue pour le chercheur de connaître la langue. On n'a

donc pas besoin, dans l'élaboration de la relation avec l'autre, d'avoir u n

interprète ce qui ne veut pas dire qu'il ne soit pas nécessaire d'avoir un 0 u

une assistante ou collègue

- on se trouve immergée dans une société judéo-chrétienne,

notre, même si leurs histoires sont très différentes. On connaît

symboles, les angoisses, les manifestations des sentiments,

constituées. Il n'y a pas de dépaysement "ontologique" comme

retrouve dans une société africaine qui présente une altérité

radicale

- dans un tout autre ordre de réalités, j'ai fait à Sao Paulo un travail

d'anthropologie urbaine avec le Mouvement Populaire d'Habitation de Vila

Remo, zone sud de la ville. Ce Mouvement lutte pour que l'Etat ou 1a

Municipalité lui accorde l'usufruit d'un terrain ainsi que le droit d'y

construire des maisons en autogestion. Cela n'a absolument rien à voir avec

une société rurale nigérienne des années 70, encore peu touchée par le

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développement et jouissant encore d'une certaine stabilité dans 1eu rs

ressources.

Des sociologues brésiliens m'avaient précédée mais j'étais 1a

première étrangère à travailler de manière continue avec eux.

Les conditions d'acceptation sont différentes. Les africains ont subi,

au tout début, mon installation dans leur village; persuadés que ce n'é tai t

qu'une tocade et que je ne supporterai pas longtemps la vie en brousse, ils se

contentèrent de faire de la résistance passive, notamment en construisant

mal les cases dont la toiture ne' résista pas aux premières' pluies. Une

explication fut nécessaire, on me connaissait et les toitures furent réparées

parfaitement bien. Quant aux adhérents du Mouvement brésilien -le leader et

son petit groupe d'appui- ils veulent bien de ma présence mais me disent

nettement qu'ils souhaitent que cela les aide, leur soit utile. Je donne mon

accord sans que ni eux ni moi, en fait, ne sachions clairement le sens de cette

aide. Nous l'apprendrons ensemble au long de ces 4 années de travail en

commun.

Ma différence est fondée sur le fait que je suis une étrangère, mais

le brésilien est habitué à cela, et sur mon statut social dont les signes

principaux sont les vêtements si simples soient-ils (en Afrique cette

différence est plus violente - pantalon contre boubou- mais cette violence en

est la négation car le blanc, par "essence" est autre), la voiture, un grand

appartement dans un quartier central et élégant (appartement que bea u cou p

d'entre eux connaîtront, où nous mangerons, boirons et tra vai lIerons

ensemble à l'occasion de leurs déplacements pour rencontrer les autorités

politico-administratives) et bien évidemment ma façon de parler leur langue

dont ils font l'effort de comprendre la maladresse au début. Enfin, ce qui

diffère très profondément entre les deux populations c'est que les Brésiliens

défendent une "cause" à laquelle j'adhère, politiquement et socialement et

c'est cela qui m'aidera à trouver bien des moyens de les aider.

Un fait de hasard jouera un rôle fondamental dans mon intégration:

quelques mois après le début de mon travail, le leader est assailli et reçoit une

balle qui lui brise complètement le genou. Blessé depuis quelques heures, n i

la police nI les urgences n'ont fait quoique ce soit. Une personne du

Mouvement me téléphone -signe de confiance-. J'arrive et je le transporte

dans un des meilleurs hopitaux de la ville, un hopital privé, les autres étant

en grève ce jour là, où il est opéré et d'où il ressort après un mois, pl â tré

jusqu'à la hanche et dans l'incapacité complète de se mouvoir pendant 3 mois.

C'est alors qu'il me demande, autre signe de confiance, de prendre en charge

le suivi des mesures et des actions qui étaient planifiées. Ma voiture me

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permet de transporter des gens du Mouvement chez lui (il habite à une heu re

et demie du siège du Mouvement) pour qu'ils puissent tenir les réunions

nécessaires mais aussi recevoir de lui la force de sa conviction sur l'issue de

la lutte. Durant toute cette période qui m'apprendra tant de choses sur les

difficultés, les fragilités mais aussi la force d'un Mouvement Populaire, je

gagne la confiance des gens qui vivent dans l'angoisse intolérable de voir

échouer leur projet de maison et qui constatent ma volonté de les aider, mon

engagement à leurs côtés.

Il convient encore de noter une autre différence: dans u n

Mouvement Populaire, ce sont principalement les femmes qui en sont les

membres les plus actifs, la force vive pourrait-on dire. Je retrouve avec elles

cette connivence dont j'ai parlé plus haut mais j'ai affaire, cette fois-ci à des

femmes qui sont de farouches lutteuses contre les injustices de la société

globale. Leur besoin/rêve de maison pour elles et leurs familles leur transmet

le courage et le dynamisme sans lesquels rien ne pourrait se faire.

Je ne peux clôre cette partie sans aborder l'impact et l'influence que

j'ai eu sur le Mouvement (en Afrique, je n'ai laissé me semble-t-il que des

souvenirs). l'assistais pratiquement à toutes les réunions, officielles ou non,

mais en vertu de la règle de neutralité ou, si l'on veut d'objectivité, je ne

prenais presque jamais la parole dans les premières et très peu dans les

secondes sauf si l'on m'y invitait. Néanmoins, je parlais et discutais beaucoup

avec quelques adhérents, surtout ceux de l'équipe de coordination, et encore

plus avec le leader auquel me liait une véritable amitié. C'est à travers lui que

j'essayais de mieux comprendre ce qui se faisait, que je critiquais, que je

conseillais, que je prenais partie. Mais, bien évidemment, je l'ai toujours

laissé prendre les résolutions qu'il avait décidées sans montrer mes

désaccords éventuels auprès des autres. Mais mon discours, le fait que ce soit

moi qui produise ce discours, ma présence "intrigante" et quelque peu

prestigieuse n'a pas pu ne pas avoir de conséquences, positives et/ou

négatives, sur les uns et les autres.

Il est malaisé de discerner avec netteté comment mon influence a

pesé sur certaines orientations du Mouvement pendant ces 4 années. Il y eut

des crises graves, comme dans tout groupe humain, et je sais avoir pesé, avec

d'autres -notamment les architectes et ingénieurs de l'équipe technique­

pour que la résolution du conflit se fasse d'une façon plutôt que d'une autre.

Comment séparer dans ce travail partagé qui, de plus, est lié au pouvoir, ce

qu'il fallait faire de ce qu'il ne fallait pas ? Il Y a cependant un fait isolable,

aux conséquences multiples, dont je peux faire état et qui donne un bon

exemple de la complexité de la notion de responsabilité dans notre profession.

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Le leader populaire, que j'appellerai désormais par son nom, Olimpio, fu t

happé comme beaucoup de ses collègues par le désir de faire une carri ère

politique: posséder un charisme évident et reconnu de beaucoup don t

syndicalistes et militants importants du Parti des Travailleurs (PT), entendre

le discours de ce parti politique disant souhaiter avoir de plus en plus de

responsables populaires parmi ses candidats aux diverses élections

législatives et vouloir démontrer qu~ l'on peut· entraîner les foules de

pauvres derrière les bannières du PT relève d'une ambition tout à fai t

acceptable, tout en étant une ambition personnelle. Malheureusement, et cela

encore est compréhensible, cette ambition s'accompagne d'une auto­

évaluation défectueuse des compétences requises. En 1989, Olimpio décida

donc de se présenter aux élections législatives de l'Etat de Sao Paulo où il

remporta une défaite cuisante. Je n'avais jamais été d'accord avec ce projet et

le lui avais dit et expliqué mais il me semble clair que ma présence auprès de

lui et de son Mouvement pendant les années précédentes l'a aidé, de manière

quelque peu illusoire, à se convaincre de ses capacités et à renforcer sa

confiance en lui même. Il l'aurait probablement fait de toutes manières mais

j'ai la conviction, dans ce cas précis, d'avoir "précipité", au sens chimique du

terme, l'orgueil et une certaine démesure chez cet homme. Je cite assez

longuement cet exemple parce que cette candidature s'accompagna de 1a

décomposition progressive du Mouvement provoqué par les nouveaux

comportements d'Olimpio plus soucieux de sa victoire électorale que de

solidarité envers son Mouvement.

1.2 L'observation participante

Cette présentation des interrelations observateur-observé dans deux

terrains contrastés me permet d'aborder la notion d'observation participan te

dans le cadre d'un terrain ethnographique.

Le terme d'observation participante -même si l'histoire de 1a

discipline éclaire son apparition- est trop souvent utilisé comme une sorte de

sésame méthodologique, et ne résoud pas le problème puisque le syntagme est

donné comme tel sans que le statut de l'observation et encore moins celui de

la participation soient véritablement explicités. Dans l'implacable

démonstration qu'Aristote construit dans la Métaphysique (Aristote, p

134,135) il en arrive, après avoir examiné les différentes théories de ses

prédécesseurs à poser ce qu'il nomme le principe "le plus inébranlable ... le

principe qu'il faut absolument admettre pour comprendre quoil ue ce soit à 1a

réalité" à savoir "qu'il ne se peut jamais qu'en même temps une chose soit et

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ne soit pas". A la lumière de ce principe, le syntagme d'observation

participante (dont on ne peut sous-estimer, pour le deuxième terme, la déri ve

sémantique due à un certain romantisme lié au tiers-mondisme) révèle sa

contradiction interne et une certaine impossibilité logique.

Revenons à la langue: observer dit le Petit Robert "c'est 1a

constatation attentive des phénomènes tels qu'ils se produisent sans volonté

de les modifier"; on observe donc ce qui, humain ou chose, est en dehors de

soi. Quant à participer, la même source dit que c'est "prendre part", sans que

les limites de cette action ne soient posées clairement.

Quand j'accompagne les femmes aux champs, dois-je participer e n

plantant les tomates ou observer comment elles le font, mon intérêt n e

pouvant être d'apprendre à planter les tomates ou de piler le mil "à la mode

zarma", même si je peux le faire un peu sous forme de jeu ou de relations de

plaisanterie. Les femmes d'ailleurs n'attendent nullement que je le fasse. Ma

participation se résume alors simplement à me déplacer avec elles et à les

observer. L'expression relève dans ce cas de la tautologie. Pour prendre u n

exemple limite, participer à un rituel d'excision veut-il dire que je doive me

faire exciser, seule condition admise par la coutume pour avoir le droit

d'observer comment l'exciseuse pratique l'opération et connaître le secret

que les maîtresses de la cérémonie révèlent alors à la nouvelle excisée? Et si

non, en quoi réside la participation ? En un accompagnement minutieux des

occurences du rituel, mis à part le rituel central lié à l'opération ? C'est en

outre impossible la plupart du temps puisque, très souvent, les divers actes

d'un rituel se produisent de manière concomitante dans des lieux différents.

Au Brésil, j'ai assisté aux réunions, participé aux manifestations

publiques, j'ai campé une ou deux fois avec eux lors de l'occupation de 1e u r

terre, j'ai discuté et tenté d'analyser quelques problèmes avec les

représentants de diverses couches de la population, j'ai, avec eux et pour eux,

usé de mon statut et de mes compétences en faisant un livre, un film, une

exposition, un projet de coopération décentralisée. Ceci, je dois le dire, est

tout-à-fait éloigné de "l'intervention sociologique" que préconise A. Touraine

qui consisté à construire une situation de recherche permettant la lecture des

luttes sociales. Je n'étais pas dans un groupe de recherche mais dans u n

groupe social concret dont j'essayais de comprendre les relations sociales et la

logique opératoire qu'ils utilisaient (Touraine. A, 1978). Mon désir -et 1a

différence est énorme- n'était pas d'obtenir une maison pour moi mais

d'observer comment ils faisaient pour réussir à en obtenir une pour eux. Ma

position ne me semble pas non plus se rattacher à la recherche acti on

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(Desroche. H, 1982) sinon de façon fragmentaire: ma recherche, surtout au

Brésil, portait effectivement sur des acteurs sociaux mais n'était pas conçue

pour les équiper d'une pratique rationnelle (même si je m'y suis efforcée

dans quelques rares cas) et n'était pas assumée par ces acteurs (même si ils

ont été associés à la fabrication du livre). Je devrais inventer une

combinatoire très complexe pour réussir à me placer dans l'un de ses trois

types comme dans chacune des huit participations que cet auteur décrit. Je

choisirai plutôt, dans mon cas, de parler d'un accompagnement minutieux et

empathique que certains de mes collègues ont critiqué, préférant, au nom de

l'objecti vité scientifique, l'appeler"militantisme".

Où nous plaçons-nous? Comment peut-on utiliser un terme dont 0 n

refuse,dans certaines conditions, la praxis? A ce sujet, il m'apparaît que 1a

critique eut été infiniment moins forte si j'avais consacré beaucoup de temps

et d'énergie à planter des tomates avec les femmes zarma. Cela pose un au t re

type de problème: il semblerait qu'en ce qui concerne la participation, une

sorte de Janus pseudo-scientifique soit à l'oeuvre, décernant des bons points

pour la participation à des travaux matériels ou des rituels religieux par

exemple et des mauvais pour la participation politique.

Les ambiguités qui enserrent la notion d'observation partICIpante 1a

font exploser. Le mot "accompagnement" me semble, dans sa modestie et

son exactitude, nettement plus juste et logiquement, si l'on veut garder 1e

principe d'Aristote, plus opérateur. Sur ce point, la position de Bourdieu

m'apparaît proche et complémentaire: l'entretien dit-il -je dirai l'enquête­

"peut être considéré comme une forme d'exercice spritueL, visant à obtenir

par l'oubli de soi, une véritable conversion du regard que nous portons sur

les autres dans les circonstances ordinaires de la vie. La disposition

accueillante, qui incline à faire siens les problèmes de l'enquêté, l'aptitude à

le prendre et à le comprendre tel qu'il est, dans sa nécessité singulière, est

une sorte d'amour inteLLectueL." (Bourdieu. P, 1993)

1.3 Quel langage pour quelle description ?

La description, au sens large du terme, s'inscrit dans une

problématique complexe:

- elle s'inscrit dans une dialectique forte entre ce qui est su, ressenti au

travers de l'information écrite et ce qui est su, ressenti .par l'observation.

- en effectuant par nécessité un découpage du réel -qui n'équivaut pas à u n

puzzle-, la description d'un fait est consubstancielle aux lacunes qu'elle

introduit obligatoirement. Les critiques post-modernistes ( Clifford

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du problème qui

créant un effet

James,1986. Marcus George.E 1986. Rabinow Paul 1986. Marcus et Cushman

1982) ont insisté sur l'impossibilité, pour les anthropologues, de recréer une

totalité là où il ne peut y avoir qu'une polyphonie de perspectives diverses et

co n trad ictoi res.

- L'existence de ces lacunes interdit de donner une forme véritablement

globale, structurée. Par ailleurs, l'absence de l'émotion, présentée comme

devoir scientifique, empêche de saisir d'autres réalités produisant ainsi,

parallèlement, un autre système lacunaire.

- cet ensemble de lacunes est compensé par l'étouffement

prend souvent la forme d'une surcharge de l'érudition,

d'opacité.

- la description doit aussi affronter quelquefois le dilemne platonicien qui

oblige à choisir entre l'expression de la vérité et la satisfaction du peuple,

entre réalisme et utopie. Toute communication dans le domaine de 1a

philosophie politique que l'anthropologue aborde dans de nombreuses

situations d'enquête entraîne des risques, parfois forts. En effet la description

n'est pas neutre du point de vue du descripteur ce qui place ce dernier dans

une double difficulté: celle du vécu et de la compréhension et celle du risque

qu'il prend en parlant on tue Socrate, un chercheur perd son influence,

d'éventuels crédits, ou ne monte pas dans la hiérarchie... ).

Il faut donc à nouveau parler de l'observateur, de sa place et de son

implication. Nous n'aborderons ici qu'une situation limite, mais réelle, où 1a

présence de l'observateur à une situation provoque en lui divers sentiments

comme, par exemple, celui de la pitié, de l'indignation devant l'injustice

humaine, intellectuelle. Ce fut mon cas avec le Mouvement Populaire dont les

membres vivent dans un état d'extrême pauvreté qui est "un état de besoin

constant et de misère aiguë dont l'ignominie particulière réside dans son

pouvoir déshumanisant; la pauvreté est avilissante parce qu'elle place les

hommes sous les ordres absolus de leur corps, c'est à dire sous l'autorité

absolue de la nécessité" (Arendt Hannah, 1967).

Dans son Essai sur la Révolution, Hannah Arendt oppose 1a

compassion à la pitié. La première dit-elle concerne des êtres souffrants

singuliers, n'est pas "loquace" mais possède un caractère pratique dont 1e

langage "consiste en gestes et expressions du corps". C'est le fameux exemple

du Bon Samaritain. En opposition, une politique de la pitié vise la généralité

tout en ne pouvant s'affranchir de la pluralité des situations particulières de

malheur source de la pitié qui implique une double responsabilité morale et

causale s'exprimant par la parole -ce qu'elle appelle "l'éloquence de la pitié"­

pouvant produire un engagement de la part des autres.

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Par ailleurs dans "La Souffrance à Distance", Boltansky (Boltansky

Luc, 1993) expose la Théorie des Sentiments Moraux (Smith.A, 1982) qui pose

le problème de "la correspondance de sentiment entre le spectateur et 1a

personne intéressée". Pour cela, Le spectateur doit être défini comme non

engagé, impartial, comme radicalement différent du malheureux qu'il

observe. L'obstacle constitué par la distance est surmonté par un acte déli béré

d'i magination qui permet au spectateur de se donner à lui-même 1a

représentation des sentiments et des sensations du malheureux. A ces deux

premiers acteurs, Smith ajoute dëux autres actants: le pre"mier est u n

spectateur idéaL et intériorisé qui est le spectateur de soi et de ses propres

conduites, Le moi appréciateur et juge, le guide de la conduite morale de

chacun. Le deuxième a une action directe sur le malheureux. Il y a donc

opposition entre la singularité du spectateur ordinaire et la généralité du

spectateur idéal.

Si l'on essaye de placer l'anthropologue dans ce schéma on se heurte

vite à des contradictions qui naissent de l'opposition cette fois-ci entre la

personne humaine et la personne professionnelle: spectateur ordinaire mais

professionnel, il doit écrire ses descriptions de façon impartiale; spectateur

idéal, comme tous les hommes, il doit s'effacer de sa propre description

Enfin, il ne se croit pas autorisé -et sa formation le détourne complètement de

cette manière de faire- à assumer le rôle d'actant qu'il pourrait jouer au

bénéfice de ceux qu'il observe. Gymnastique de rupture souvent dommageable

et parfois stérilisante.

Pour mettre en langage, exprimer et communiquer ce qui est

horrible ou injuste, il faut que la relation réflexive entre les deux

observateurs soit acceptée, puis mise en paroles. La condition de production

du langage et le choix des langages sont déterminés théoriquement par cette

dialectique triangulaire Observateur 1-0bservateur2-objet observé avec les

réactions de ce dernier face à l'observateur mais aussi, dans le cas de

l'anthropologue, par la volonté délibérée de parler au nom des deux

observateurs.

Une certaine forme de théâtralité émerge qui pourrait permettre,

parfois, l'usage du tragique comme l'expression de la destruction des forces

sociales mais aussi comme le signe de la volonté de survivre face à un mode

ambigu d'élucidation ou de déchi ffrement du réel. Cependant le tragique, 1e

lyrique peuvent-ils entrer dans le langage admis de la recherche qui se veut

et se voit neutre, objectif,impassible?

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Par ailleurs, cette façon littéraire d'écrire n'est pas à la portée de tous.

Anthropologue ET artiste ou anthropologue ET homme public , deux réponses

qui ne peuvent servir de modèles à la majorité.

Une contradiction inquiétante se renforce avec l'évolution de 1a

discipline appelée de plus en plus à travailler sur des sociétés modernes

déchirées et souffrantes; comment pourra-t-elle continuer à revendiquer, et

à enseigner, l'observation impassible ?

En ce qui me concerne je me suis efforcée d'apporter quelques

réponses.

La publication des Zamu est mon premier effort de donner la parole

à un groupe, celui des femmes qui récitent les poèmes sur les noms des

enfants, qui en est privé par la société à tel point que cette dernière, c'est à

dire les hommes, l'entendent mais disent ne pas la comprendre. Refus terrible

lorsque l'on pense que les hommes comprennent, facilement semble-t-il, ce

que les pierres, les arbres, les dieux veulent bien exprimer mais pas ce que

leurs compagnes, les mères de leurs enfants récitent justement à ces mêmes

enfants. Dioulde Laya, ce sociologue homme avec qui je travaillais sur les

textes était lui-même si convaincu de leur incompréhensibilité qu'il ne

pouvait arriver à croire qu'il n'y eut aucune barrière, lexicale ou syntaxique,

l'empêchant de les déchiffrer.

Au Brésil, le premier article, le livre et le film relèvent d'une double

préoccupation: donner la parole aux pauvres, leur constituer une mémoire

qui ne soit plus seulement contenue dans la tête et la sensibilité de chacun,

par conséquent moins fragmentaire et moins vouée à l'oubli. Mais, ceci

faisant, assurer au Mouvement la permanence et la légitimité de toute action

humaine signifiante pour une collectivité et un monde qui la dépasse. Ce sont

-mais pas seulement- des récits qui "autorisent un IlQl!Linfrangible au dehors

duquel il n'y a que des fu" (Lyotard. J, 1988); c'est dans cette séparation que se

forge une identité particulière, celle de la lutte et de la victoire contre

l'injustice, rejoignant ainsi une identité civique universelle. Enfin, j'ai tenté

par le montage du film, par la composition polyphonique du livre permettant

de donner "une représentation complexe et multiple, fondée sur l'expression

des mêmes réalités dans des discours différents" (Bourdieu. P, 1993) et par

l'écriture du dernier chapitre d'accéder à un certain lyrisme pour expri mer

la douleur de la destruction de la ville et la nécessité de la déplorer.

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CHAPITRE II

LA CONSTRUCTION DE LA PERSONNE

Les zamu

La notion de lakkal dans la culture djerma-songhaï

Maladies de village et maladies de brousse

Représentation et connaissance du corps chez les songhai

Les enfants et la télévision

L'écologie

L'enfant africain et les méthodes actives

La notion d'intelligence chez les songhay-zarma

Des feuilles aux cauris

2.1 CONSTRUCTION EMBLEMATIQUE

2.1.1 les zamu ou poèmes sur les noms

Au dernier trimestre 1967,je me trouvais avec quelques femmes dans

une concession de Sarando, lorsque j'entendis l'une d'elle s'adresser à son

jeune enfant d'une manière rythmée, inhabituelle dans le langage parlé. Je

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m'en enquis auprès de mon interprète qui m'expliqua que la mère était e n

train de remercier son enfant pour un service qu'il venait de lui rendre "e n

louant son nom". Je venais de découvrir l'existence des zamu, forme

spécifiquement féminine de la tradition orale. A cette époque, il faut 1e

souligner, non seulement les traditions orales n'avaient été recueillies

qu'auprès des hommes, par des anthropologues hommes, mais une forte

incrédulité s'exprimait dès que l'on parlait de savoirs féminins sous quelque

forme que ce soie. Je dois d'ailleurs reconnaître que ma formation ne m'avai t

pas préparée à rechercher auprès des femmes des connaissances articulées

dans un langage codifié et que, seul, le hasard du terrain m'a fait comprendre

cette erreur. Diouldé Laya, seul sociologue nigérien à l'époque avec qui je

parlais de ma trouvaille fut très intéressé car, si lui connaissait l'existence des

zamu, il ne pouvait en tant qu'homme s'approcher des femmes pour pou voir

les recueillir. Nous décidâmes donc de travailler ensemble sur le matériel que

j'enregistrais et dont la langue,disait-on, ne pouvait être comprise que des

femmes, ce qui nous semblait être un sujet méritant une confirmation

sérieuse. On peut se référer à Freud qui écrit que toute parole non comprise

est une parole non sublimée c'est à dire une parole d'instinct. On aurait ici u n

exemple limite qui inscrit dans le langage les représentations qui font des

femmes des êtres d'instinct et non de raison. Le texte français que nous a von s

fait repose sur l'idée de Jakobson (Jakobson, Roman, 1961) que la traduction

est le modèle même de toute opération linguistique possible; nous avons donc

cherché avant tout à rendre le rythme prosodique, la syntaxe peu en c 0 m b rée

mais permettant aux images de se dévoiler de manière quelquefois

surprenante pour un lecteur français.

Les Zamu se présentent dans la langue comme une forme courte,

déterminée mais avec possibilités de variations. On eut, sans extrapolation

exagérée, les assimiler aux formes simples qu'a étudiées A.Jolles (Jolles,A,1972

) "qui ne sont saisies, ni par la stylistique, ni par la rhétorique, ni par 1a

poétique, ni même peut-être par 'l'écriture', qui ne deviennent pas

véritablement des oeuvres quoiqu'elles fassent partie de l'art, qui ne

constituent pas des poèmes bien qu'elles fassent partie de la poésie". Le u r

récitation permet de s'adresser louangeusement à quelqu'un qui vous est

proche et d'énoncer ses qualités, expression d'une réalité objective qui n e

2 Lors du Colloque de Ouagadougou sur les traditions orales en 1968, j'eus le plus

grand mal à faire adopter une recommandation portant sur la recherche et 1e

recueil des traditions orales connues des femmes.

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peut dans la plupart des cas, selon la culture songhay-zarma, être directe; 1a

parole doit énoncer les faits soit par le détour de la médiation, soit par 1eu r

contraire; "ton enfant est affreux" dira-t-on à la mère d'un joli bébé. Mais ce

système ne peut bien évidemment être toujours suivi avec rigueur; la société

oppose alors aux interdits certaines formes de langage qui, en instaurant u n

système compensatoire, résolvent cette aporie. Ainsi, l'emploi des zamu, en

tant que projection verbale des personnes idéales exprime dans un cadre

admis par le groupe, tout ce qu'une mère ne peut jamais dire directement à

son enfant et tous les voeux qu'elle souhaite formuler pour sa vie physique,

morale et sociale.

Le système de nomination songhay-zarma est complexe; il repose sur

cinq procédés dont la fonction principale paraît être d'éviter l'usage du nom

personnel choisi au moment du baptême, évitement lié à la force redoutable

de la parole qui, une fois prononcée, existe de façon autonome, bénéfique 0 u

maléfique. Parmi les nombreux interdits qui frappent les noms personnels, 1e

plus remarquable est celui qui empêche les géniteurs d'appeler leur premier

enfant par leurnom personnel. De son côté, l'enfant ne peut appeler ses

parents ni "père" ni "mère", ni par leur nom personnel. Quatre autre s

systèmes de nomination permettent d'éviter les obstacles que la nomination

pourrait rencontrer dans la vie quotidienne: les teknonymes, les termes de

désignation, les équivalents en nombre variable selon les noms, les surnoms.

Il faut tout de suite souligner que c'est aux femmes qu'échoit 1a

possibilité codée -d'une part, réciter un zamu à son enfant n'est pas une

obligation et d'autre part, repose sur la mémoire individuelle de chaque

femme- de célébrer ouvertement, publiquement, son enfant. On aime celui à

qui on parle, on le lui fait savoir sous la forme de ce don de paroles rythmées.

Le phénomène du codage, s'il atténue l'expression de l'émotion, joue par

ailleurs un rôle social important dans la construction des identités. car les

zamu captent des identités sociales types qui non seulement exaltent le nom et

modèlent dans l'imaginaire des qualités ou des absences de défaut liés au nom;

ils valorisent aussi des archétypes traditionnels de personnalités acceptées et

reconnues par la société.

Jolombi qui donne en souriant, le voilà qui arrive

Jolombi époux de Fiti

Jolombi le svelte

époux de Fiti

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1d e3 ange du ciel

maïs de la terre

jeune pousse d'oignon

salut Ide

Ide est plus beau que l'étoffe

qui n'a pas encore été lavée

nouvel enfant enfant forgé par la mère de Kaaka

salut Ide

La récitation de ce j'ai appelé des poèmes constitue une situation

atypique: en effet, elle permet aux femmes de lever quelques interdits comme

celui de dire que l'enfant leur appartient. Dans cette situation, les femmes

peuvent exprimer le désir, le rêve, la tendresse socialisés par un langage

reconnu. Le zamu joue ici le rôle d'emblème qui "peut ne pas seulement

signaler qu'un tout est composé d'une multiplicité d'éléments de détail; il peu t

signifier de par soi-même cette diversité en tant qu'assemblage distinct; dès

lors il est pour nous l'objet qui, investi d'une disposition mentale, l' i n carn e

dans l'univers des objets" (Jolles,A, 1972 p13). On est en droit de parler ici

d'une emblématique du. bonheur.

Mais pas seu lement car, nous l'avons déjà noté, il s'agit égal e men t

d'une emblématique identitaire qui va donc constituer, parmi d'autres, une

des manières du dressage différencié du féminin et du masculin et des

relations de genre4 qui les informent. Deux thématiques sont présentes, celle

de la beauté et celle des comportements, tout autant souhaités que réprouvés.

Si les signes de la beauté féminine sont traités avec beaucoup de détails

précis (embonpoint, démarche, ton de la voix, forme du nez, de l'oeil, des

sourcils, du cou, des dents, des épaules, de la taille), ceux de l'homme sont

traités de façon plus synthétique et peuvent être regroupés sous la double

valorisation de l'harmonie physique et du teint; on le voit la primauté de 1a

beauté est le lot des femmes. Un autre thème exclusivement féminin est celui

de la materni té et de la fécondité qui semble indiquer son uni que

responsabilité dans ce domaine, la stérilité masculine n'étant pas reconnue

par les croyances. Par ailleurs, les thèmes de la plénitude, de l'abondance, de

la richesse marquent clairement la différence entre les genres: la femme n e

peut les recevoir que de son mari car c'est lui seul qui peut avoir et ex e r c e r

3 Ide est l'équivalent de Jolombi

4 le genre désigne le sexe socialement construit; je reviendrai longuement sur

cette notion

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le pouvoir, pouvoir politique comme celui de la cheffferie ou pouvoir familial

avec son droit à la répudiation. La dépendance de la femme, qui va de pa i r

avec son angoisse et, parfois son désespoir de l'abandon, est toujours

clairement exprimée; Je ne donnerai ici qu'un seul exemple:

Maadugu qui a de beaux épis de mil aux abords du village

j'aime Maduugu

je n'aime pas la mère de Maddugu

la méchante mère de Maduugu

c'est elle qui lui a dit de me chasser

ce qu'on était l'année dernière on ne l'est pas cette année

l'année dernière à cette époque j'étais une patate douce

l'année dernière à cette époque j'étais une talhana

l'année dernière à cette époqie j'étais un nîme

l'année dernière je portais un pagne brodé

cette année ce sont des chiffons que je noue autour de mes reins

Mais les Zamu permettent également de procéder, en terme de g e n re,

à une mise en perspective des traditions orales masculines et féminines chez

les songay-zarma qUI éclairent leurs différences de nature et de statut. On

peut les énoncer sous forme de quelques oppositions principales:

- le temps festif est le support des récitations masculines à l'opposé du

temps quotidien qui est celui des femmes: un enfant qui revient à 1a

concession en ramenant un peu de bois par exemple.

- les destinataires de la tradition orale masculine sont des hommes et plus

particulièrement un chef ou un homme puissant, ceux des femmes sont de

jeunes enfants.

- le contenu des traditions orales masculines est héroique, épique, celui des

femmes appartient à la vie de tous les jours et raconte, de façon allusive et

elliptique les joies et les tristesses de la vie ordinaire.

La parole "publique" des femmes reste donc liée à un savoir de

"l'intimité". J'aurais l'occasion de revenir sur ce sujet en le développant plu s

longuement.

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2.1.2 l'excision

La pluie est tombée sur le pigeonS

Va dire aux mères des phallus aux bouches longues

Va dire aux mères des clitoris aux bouches longues

Qu'aucun ne passe au nord

Qu'aucun ne passe à l'ouest

L'excision ou clitérodectomie dont j'ai filmé les rituels chez les Yarsé

du Burkina Faso peut être également considérée, à l'instar de la ciconcision

masculine, comme une construction emblématique de la personne. Elle est

néanmoins tout à fait différente de celle des Zamu puisqu'elle opère en

impri mant des trans formations physiques indélébiles sur le corps ph Ys i que

des individus. Néanmoins les deux institutions expriment aussi bien des

règles de conduite qu'un idéal social.

Ce fut mon interprète Alimatou Sibiri qui me parla de l'excision que

l'on pratiquait chez elle et qu'elle même avait subie. Elle m'en parlait d'une

façon qui me semblait étrange, dans une double tonalité: celle de l'évocation

de la souffrance subie et terrible mais aussi, et surtout, celle de l'admiration,

je dirais presque de la jubilation, pour la beauté des rituels, des habits et des

bijoux dont sont revêtus les excisées. Il ne faisait nul doute que cette jeu n e

fille très jolie, exhubérante et pleine de vie était fière d'être excisée.

Chez les Yarse, l'initiation féminine liée à l'excision dure

environ trois ans. Le groupe de filles se constitue progressivement;

sa taille varie de 10 à 40 et l'âge des initiées varie également de 5,6

ans à 10, 15 ans. Lorsque le groupe est complet, le jour de l'excision

est fixé et cela toujours en saison froide. Le matin très tôt les filles se

dirigent vers la concession de la gunu, femme spécialiste de cette

opération alors que le responsable religieux est un homme appelé

barkoi. Accompagnées de la gunu elles se dirigent vers un marigot

habité par un génie protecteur du lignage. Au son d'un petit tambour

joué par une femme, la gunu "coupe" le clitoris en creusant:

"l'excision se fait d'un seul coup mais, arrivé au milieu, on dirait que

c'est un os, ça fait très mal "6. Chaque fille reçoit un nom spécial qui

S la lame a excisé les filles

6 récit enregistré qu'Alimatou Sibiri me fit de sa propre excision

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indique l'ordre chronologique dans lequel elle a été excisée, par

exemple Falanga, Wana pour les deux premières, nom qui seront

souvent utilisées durant toute sa vie. On lave la plaie et on y applique

un pansement rudimentaire imbibé d'huile de karité.

Puis la gunu prend 3 ou 4 brins de paille qu'elle attache à une

extrémité, le donne à la fille en lui disant qu'elle aura un garçon (3

brins) ou une fille (4 brins)..Elles quittent le marigot et partent en

chantant saluer les tombeaux des ancêtres, les habitats des génies

pour enfin arriver au camp, situé dans la brousse, non loin du

village. C'est une simple enceinte délimitée par des seccos dont

l'ouverture est orientée vers le nord-ouest. Les danses commencent

au son des tambours joués par des hommes. Les filles, appelées

bonkoysé ou enfants du marigot, entrent dans la période d'initiation

pendant laquelle elles sont comme séparées du groupe social:

habillées d'un simple tablier de feuilles de karité, arbre symbole de

la fécondité, elles ne peuvent chanter que les chants de l'initiation et

ne sont plus autorisées à jouer; néanmoins, à part quelques occasions

où elles dormiront dans le camp, elles restent dans leur famille 0 ù

elles continuent alors à aider leurs mères dans les travaux de 1a

maison. Elles doivent respecter quelques interdits alimentaires et ne

peuvent absolument plus entrer dans un marché. Elles doivent

également apprendre beaucoup de choses: le sens du langage

tambouriné, les paroles et les pas des danses et les paroles des contes.

Dans ces multiples apprentissages, elles sont guidées plu s

spécialement par deux femmes. Les contenus principaux des danses

et des contes portent sur la nécessité de l'excision et la répulsion que

doivent inspirer les non excisées et les non circoncis. Les fêtes de

sortie se déroulent trois ans après l'excision et la signification des

rituels est de réintégrer les enfants du marigot à leur société. La

veille au soir, chaque fille remet au barkoi l'équivalent du bébé­

symbole, reçu de la gunu, qu'une tante maternelle a décoré de fi 1

rouge et noir. Après une nuit de danses, elles sortent du camp qui

sera brûlé et se dirigent vers la brousse lointaine pour aller y saluer

différents génies. Puis on leur rase la tête afin qu'elles soient belles.

Le barkoi fait un sacrifice et prépare un talisman qu'il dépose sur 1e

futur lieu des danses. Puis, après avoir déposé tous les bébés symboles

dans le trou d'un vieux baobab (Dieu les emportera et les ramènera 1e

moment venu), il appelle les bonkoyse avec un tambour. Elles se

sauvent; cela se répète plusieurs fois jusqu'au moment où elles

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acceptent de suivre le barkoi en direction du village. Parallèllement,

les mères se dirigent vers l'aire de danse, chargées de paniers

remplis d'habits et de canaris remplis d'une eau dans laquelle 0 n t

macéré des herbes parfumées. Elles lavent leurs filles et les parent 1e

plus richement possible avec plusieurs espèces de pagnes, des bijoux

et des ceintures de hanches pour enfin les recouvrir entièrement

d'un grand pagne blanc. Le feu est mis aux feuilles et cordelettes qui

revêtaient les excisées; les filles attendent, placées de telle s p rte

qu'elles recoivent toute la fumée qui se dégage de leurs anciens

habits; elles vont devoir sauter par dessus le feu, saut qui témoigne,

symboliquement, de la rupture avec leur ancien état. Elles partent en

procession vers un arbre de karité, symbole de fécondité et symbole

de leur fécondité puis reviennent s'installer sous un abri de seccos

où elles doivent prendre de nombreux médicaments préparés par les

féti cheurs pour les protéger de leur vu lnérabi li té. Les mères 0 n t

amené une petite somme d'argent qui servira au rachat symbolique

de leur fille dont la nature et le statut ont été changés. Chacune

"reconnaît" son enfant, sort avec elle, lui enlève son pagne blanc et

les autres femmes poussent des youyous de joie pour saluer l'arri vée

de cette nouvelle femme. Plus tard, dans l'après-midi, certaines

d'entre elles, en fonction de la richesse de la mère, revêtent des

tabliers cérémoniels de cauris. Elles tiennent également une peti te

calebasse décorée de cauris par une tante maternelle qu' elle

rangeront soigneusement jusqu'à la naissance de leur premier

enfant car c'est dans cette calebasse qu'elles lui feront b 0 i re

certaines tisanes curatives. Les danses commencent auxquelles de

nombreuses femmes partcipent; c'est le moment où le fiancé

confirme officiellement devant la communauté rassemblée sa

volonté de se marier en remettant au barkoi un peu d'argent et u n

peu de kola. Le lendemain, le barkoi procède à des libations sur 1e

tombeau d'un ancêtre. C'est le prélude de l'acte final: elles revêtent

de nouveaux habits, sont recouvertes de pagnes et de couvertures

dont le nombre indique le statut socio-économique de la famille pou r

partir, munies de charmes et d'une tige de bois dans la bouche, vers

le marché, lieu social par excellence dont elles étaient ban nie s

depuis 3 ans. Elles en font trois fois le tour. Elles étaient des en fan t s;

la société, par l'excision et l'initiation, en a fait des femmes capables

d'assumer selon ses normes et ses représentations leurs rôles

d'épouse et de mère.

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A l'époque, dans les années 60, l'excision n'avait pratiquement pas

été étudiée ce qui n'est pas surprenant dans la mesure où les travaux

ethnologiques avaient été menés principalement par des hommes qui, e n

aucun cas, n'auraient pu observer ce type de rituel. On connaissait un peu les

travaux d'Audrey Richard (Richard, A.I, 1956), les thèses de Marcel Griaule

(Griaule, M, 1948) mais je peux dire que le vague et l'imprécision entouraient

cette matière. Il apparaissait néanmoins, au travers des bribes de savoir, que

les rituels d'excision étaient beaucoup moins élaborés et moins longs que ceux

liés à la circoncision. J'étais donc d'autant plus intéressée qu'Alimatou

m'affirmait que l'initiation chez les Yarse durait trois années. Ne pouvant

envisager de partir faire un terrain complet chez les Yarse, je décidais, étant

donné l'excellente position d'Alimatou dans son village puisque sa gr and­

mère maternelle faisait partie des "dignitaires" de l'excision ainsi que sur les

conseils et les encouragements de Jean Rouch, de procéder par missions et de

faire un film qui allait être un des premiers sur le sujet et recevoir le Prix du

Musée de l'Homme.

Je fis une mission de reconnaissance et trois autres correspondant

aux trois phases des rites de passage tels que les a décrits Van Gennep (Van

Gennep.A, 1909). On retrouve, on l'a vu par la description rapide que j'ai

fourni, chez les Yarse la séquence d'opérations symboliques constituée d' une

phase collective de séparation du groupe liée à l'opération elle-même, d' une

phase de "liminalité", de vie en marge (marquée par des signes tangibles, des

interdits et des apprentissages se faisant dans le camp des excisées) qui dure

environ 3 ans et d'une dernière phase, également collective, de réintégration

au groupe social: les fillettes sont devenues des êtres nouveaux dc'est-à-dire

des jeunes femmes pouvant se marier et encore plus pouvant avoir des

enfants. Il faut le dire: si au premier degré, l'atmosphère de fête, les beaux

habits, les bijoux rendent pour les fillettes l'excision-initiation désirable, au

deuxième degré ,les fillettes ne peuvent que souhaiter "être comme leurs

mères", Comment peuvent-elles imaginer d'adopter une autre conduite qui les

radierait du groupe puisqu'elle les assimilerait à des non-femmes, à des

futures non-mères. On a affaire avec ce type d'initiation à une construction

identitaire très forte de la femme qui constitue un exemple clair de 1a

construction sociale du genre. Il faut noter ici que c'est une femme qui

pratique l'excision, que ce sont des femmes qui s'occupent des initiées et de

leur camp, mais que ce sont des hommes qui sont les chefs de tambour qui

apprennent, par le langage tambouriné, les paroles des chants sur lesquelles

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les filles dansent. Les rapports de pouvoir sont donc très nets même dans u n

rituel féminin.

Je voudrais maintenant évoquer certaines des analyses de cette

coutume, parmi les plus courantes. Mais avant d'aller plus avant il faut

apporter deux précisions:

- il existe, mise à part l'infibulation, différents types d'excision, allant de 1a

simple ablation du clitoris à celle qui coupe également les petites lèvres et

celle qui va jusqu'à couper les grandes lèvres. Celle pratiqué~ par les Yarsé

correspond au deuxième type.

- je réprouve absolument cette pratique pour la douleur qu'elle cause, pou r

les effets à long terme qu'elle provoque souvent (difficultés lors de

l'accouchement pouvant entraîner la mort de l'enfant ou de la mère), pour 1a

mutilation du corps qu'elle impose; je ne peux souscrire néanmoins aux

discours outranciers (dont ceux assimilant l'excision à l'infibulation) et

réducteurs qui s'insurgent contre toute réflexion sous peine de "trahison" de

la cause féministe.

L'explication de Griaule est la plus répandue (Griaule. Marcel, 1948).

II explique que, selon les Dogon, la circoncision et l'excision ont pour but de

supprimer le principe féminin ou masculin afin de faire de l'homme et de 1a

femme des êtres sexuels corrects et efficaces. C'est le marquage emblématique

des corps. Si cette explication est métaphysiquement séduisante, elle ne peut

déboucher sur l'identité structurale des deux rites (Leach.E, 1976) que

N.Sindzingre réfute dans son article (Sinzingre.N, 1977) en s'appuyant sur le

fait que "les deux formes d'ablation sont absolument dissemblables, du point

de vue anatomique (au niveau embryologique, ce qui est ôté du corps féminin

correspond à la totalité de l'appareil génital masculin, excepté le scrotum)

comme celui des possibilités de jouissance subsistant après l'opération". Alors

que la circoncision, dénudant le gland, accentue la sensibilité sexuelle de

l'homme, l'excision, surtout du deuxième et du troisième type, limite

fortement celle de la femme. Les deux opérations n'ont pas la même fonction

positive pour les deux sujets.

On constate donc une différence de traitement dans ce marquage

emblématique des corps selon les genres: au niveau des représentations,

l'ablation du prépuce à la différence de celle du clitoris n'a aucune liaison,

réelle ou phantasmatique avec la future fécondité de l'homme alors que

l'ablation du clitoris et des lèvres est directement signifiante sur le plan de 1a

fécondité: la femme non excisée ne pourra pas avoir d'enfant ou bien tuera

son enfant lorsque, au moment de la délivrance, le nouveau né touchera 1e

clitoris et encore l'homme. en touchant le cliroris lors des rapports sexuels,

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deviendra stérile. On se trouve ici devant un exemple extrême de l'angoisse,

aussi forte qu'irrationnelle, dont les hommes sont porteurs face au corps de 1a

femme, cet autre terrifiant dont le sang coule et qui fait des enfants dont 0 n

ne peut jamais affirmer si le père social est aussi le père biologique. Mais

aussi, le fait d'assimiler le clitoris à une chose sale qui peut souiller le corps

de l'autre et qu'il faut enlever lors de rituels élaborés renvoie à Mary Douglas

(Douglas, M, 1981). Elle explique que la saleté "c'est quelque chose qui n'est

pas à sa place, c'est un bouleversement de l'ordre" et, selon elle, "là où il y a

saleté il y a système". L'excision se 'rapporte à cette angoisse de la souillure

qui constitue un système de protection symbolique de l'ordre culturel et" qui

fournit des institutions capables de le manipuler".

Du point de vue de l'analyse selon le genre, dans l'excision, l' é1é me nt

du plaisir est surqualifié alors que dans la circoncision il est obérée. Mais il

faut faire un pas de plus dans l'analyse, et souligner que dans l'excision c e

n'est pas le lieu du plaisir qui est visé mais le lieu du plaisir non

fécond, source d'un désordre encore plus dangereux et par conséquent d' u ne

réprobation et d'un refus encore plus forts et encore plus irrationnels. Par

ailleurs ce plaisir non fécond peut être ressenti solitairement, sans

l'intervention masculine. Par ce plaisir qu'elle se donne, la femme peut

dangereusement échapper à l'homme, à son devoir social universel de 1a

reproduction. Là encore, une non homologie forte existe avec les garçons

dont la circoncision n'empêche nullement, bien au contraire, 1a

masturbation. C'est seulement la masturbation féminine qu'il faut, à tout prix,

annuler comme étant intolérable: en effet, peut-on concevoir cette fem me,

déjà si dangereusement autre par sa capacité à fabriquer l'enfant, capable

également de se donner du plaisir ce qui pourrait sembler en faire un être

complètement autonome dans la sphère de la reproduction? Quelle serait alors

la fonction de l'homme ? inexistante ? Il se peut que nous ayons a v ec

l'excision des formes de dressage du corps féminin qui soient, en fait, 1e

masque de cette angoisse masculine de la stérilité.I1 faudrait étudier chez les

peuples qui pratiquent l'excision leurs théories sur la conception

établissent-elles, comme cela exista si longtemps dans nos sociétés, la liaison

nécessaire entre jouissance et conception ? (Laqueur, Thomas, 1990).

C'est, d'une certaine manière, cet argument de la privation du plaisir

qui alimenta la polémique féministe qui se développa à partir des années 80,

avec des outrances extrêmement regrettables utilisant des termes comme ceux

de sadisme masochiste, de barbarie, de torture, de mutilation qu'au cu ne

société n'utilise etc. Il faut ici noter que des femmes ayant été excisées par

l'ablation simple du clitoris assurent ressentir un plaisir clitoridien. Cette

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querelle toujours active et alimentée, ce qui est compréhensible, par

l'horreur que toute femme peut ressentir, dans son coeur et dans son corps,

devant cette mutilation permet d'aborder un dernier point.

L'excision n'est pratiquée en fait que dans une vingtaine de pays

d'Afrique occidentale et orientale7 alors qu'en revanche l'on peut affirmer

l'universalité de coutumes différentes imaginées et observées par les hommes

pour tenter de s'appropprier le corps des femmes (Tabet, Paola, 1985), pou r

tenter d'échapper à leur peur devant ce corps qui saigne et qui enfante. La

solution de l'ablation du clitoris afin de rendre les femmes "sages" est assez

simple, évidente même pour que l'on soit en droit de se demander pourquoi 1a

"cruauté sadique" des hommes donnée comme "naturelle" est si limitée

territorialement et n'a pas réussi à s'imposer universellement, par invention

répétée ou par diffusion. Ce marquage du corps féminin, si terrible, mérite

que l'on essaye de comprendre son existence autrement que

psychologiquement, mythiquement et symboliquement.

Pourquoi les catholiques qui n'ont cessé de lutter contre 1a

jouissance, séparée de la procréation, n'ont-ils pas adopté cette coutume ?

Pourquoi les musulmans dont certains respectent cette coutume ne l'ont-ils

pas fait respecter partout? Pourquoi chez les Yarse et pas dans une autre

ethnie limitrophe ? Pourquoi pas en Amérique Latine, en Asie ? L'excision

non circonscrite à une religion l'est par contre géographiquement8 •

Ne faudrait-il pas explorer d'autres pistes d'explication que celle de

la "cruauté masculine" qui, en vérité, n'explique rien mais qui remplace, si

l'on peut dire, la quasi absence étonnante de travaux d'envergure? La liaison

excision-plaisir stérile dont j'ai parlé plus haut en constitue une. Ne pourrait­

on émettre, par ailleurs, l'hypothèse que la diffusion limitée de cette c ou tu me

pourrait s'inscrire également dans des rapports économiques et serait alors

liée aux grands circuits des échanges. Qui dit commerce dit alliances

politiques par le biais d'alliances matrimoniales. Pour que les mariages

satisfassent aux exigences des deux parties prenantes, n'a-il pas fallu é ta b li r

des homologies dans la représentation du corps féminin et de son marquage

symbolique ?

7 ce qui exclut la majorité du monde

8 Ethiopie, Yemen, Djibouti, Soudan, Lybie, Guinée, Burkina Faso, Côte d'Ivoire,

Togo, Mali, Tchad, Mauritanie, Sénégal, Egypte, Kenya, Tanzanie, Ouganda. Cette

1i s te

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2.2 Construction notionnelle

Les Zamu, grâce aux figures symboliques qu'ils diffusent,

transmettent des valeurs physiques et morales utiles aux individus pour 1eu r

conduite en société; c'est un "bain sonore" qui sous-tend, dès le jeune âge,

l'apprentissage culturel. Leur récitation n'est pas réservée à certaines

femmes dont ce serait la fonction, et l~urs contenus peuvent, sans préjudice,

recevoir des ajouts ou des suppressions de la part de la récitante. Il suffit à

l'observateur d'être placé au bon endroit au bon moment pour les connaître.

Il n'en n'est pas de même avec· les connaissances dont nous allons

parler maintenant. Seuls, certains hommes les détiennent et possèdent

l'autorité de les exposer de façon articulée et discursive si l'observateur les

questionne; ce savoir est lié à leurs fonctions religieuses et thérapeutiques.

Les hommes du commun, quant à eux, ont le savoir sémantique des mots clés

de leur langue qui forment la charpente conceptuelle de ce savoir lié à

quelques notions le plus souvent vagues et imprécises.

Il s'agit donc ici d'élargir le champ et de voir comment,

dans une société, se fabrique la culture de la compréhension de ce qu'est

l'homme: comment se conçoit celui que j'observe et à partir de quelles

notions. La connaissance, support de cette compréhension, est détenue, no u s

l'avons indiqué, par une élite, celle de quelques médecins qui ont pou r

fonction de maintenir la société en bonne santé et pour cela de veiller sur

l'intégrité des trois constituants biologiques et notionnels de l'être humain: 1e

,corps, le biya (sorte de double), le hundi (le souffle). En cela ils se placent à

l'opposé des sorciers qui, en s'emparant du biya et en le dévorant,

désintègrent la personne, la font mourir. Cette conception trinitaire de 1a

personne où le biya est placé près ou loin du corps et le hundi près du co e u r

implique des solidarités duales qui s'inscrivent dans un espace topologique.

Ces représentations culturelles de l'homogénéité interdisent l'usage du

mesurable, du quantifiable dans le diagnostic mais permettent, en revanche,

d'éviter les difficultés liées à l'observation du malade.

Le sonance (magicien guérisseur) et le zima(prêtre guérisseur des

cultes de possession) décrivent un certain nombre de réalités physiques et

spirituelles, telles que le corps et le biya, vie lui-même et principe de vie. Les

informations réunies permettent d'aborder la question des normes sociales

dans leurs relations concrètes avec les perturbations plus ou moins graves du

comportement, elles-mêmes presque toujours liées à un dérèglement de la vie

affective dont le coeur est le siège.

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de lakkal (intelligence socialisée) un

points aux usages et aux coutumes. La

sanctions ni exclusions et considère

comme un fait normal, non menaçant

Un certain nombre de maladies font de la personne atteinte un être

accepté mais distinct. On n'attendra pas en effet d'un homme malade

émotivement ou d'un homme privé

comportement qui réponde en tous

société environnante n'applique ni

pratiquement l'anormalité de l'individu

pour le groupe ou pour lui-même.

D'autres maladies, au contraire, exposent le malade aux entrepr:ises

mortelles de ce que nous appellerons la société secrète des sorciers. Le malade

et son entourage vivent alors dans la peur et l'angoisse. Pour ces derniers, 1a

société a mis en place un système de protection dont la responsabilité est

justement confiée aux sonance et aux zimas. Vus sous cet angle, les êtres don t

le biya est fragile (à cause de leur proximité avec le sang), les circoncis, les

jeunes mariées, les femmes en couches, les veuves constituent une seule et

même catégorie exposée pour laquelle on n'imagine pas une absence de

protection ou de soin

L'homogénéité sur laquelle se fondent les représentations permet de

comprendre comment les médecins s'efforcent d'éviter les ruptures, les

dislocations et, le cas échéant, d'expliquer les échecs de la thérapie utilisée. Il

faut encore souligner que la connaissance de ces médecins est dépourvue

d'angoisse: ils acceptent ce qui est, en le situant dans un ensemble complexe

de causalités croisées et leur diagnostic n'est jamais une sanction sociale 0 u

individuelle du malade.

Enfin, la société a mis également en place un autre système de

protection: le culte de possession, pour neutraliser l'action perturbatrice des

génies sur le plan du comportement. Il existe cependant une catégorie

particulière de génies dont la nocivité ne peut être maîtrisée par les mêmes

moyens. Ce sont eux qui produisent la folie que le zima a la charge de gu é ri r;

s'il échoue, la société se protège de la conduite dangereuse du fou par 1e

moyen de la contrainte physique.

La société n'accuse ni le malade d'être malade, ni le médecin d'avoir

échoué. La maladie n'entraîne donc aucune sanction sociale, mais ses

perturbations sont très fortement ressenties. Les savoirs du sonance et du

zima sont, dans cette optique, des nécessités sociales.

Quelles sont les lignes de force qui sous-tendent la représentation

que les sonance et les zima se font de la personne ?

Il faut souligner que deux notions doivent être pensées ensemble: 1e

corps et le biya puisque l'un ne peut exister sans l'autre et vice versa. Ces

deux réalités ne se présentent pas sous le même aspect pour le médecin, pou r

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le sorcier et pour les autres hommes. En effet, pour les deux premiers, le b i Ya

est une évidence puisqu'ils ont reçu l'un et l'autre, de sources différentes, 1e

pouvoir de voir le biya, mais le médecin refuse formellement de l'assimiler à

l'ombre comme cela est souvent fait. Pour les autres hommes, le biya est u n

objet de croyance ce qui crée chez le malade par rapport au médecin une

dépendance de foi qui le met dans l'impossibilité de juger et de critiquer les

principes qui guident la connaissance sur lesquels se fonde la thérapeutique

utilisée à son égard.

Ces deux notions qui sont pensées comme analogues en entraînent

une troisième appelée hundi que nous traduisons par vie et qui es t

inextricablement liée aux deux autres. Toutes les descriptions du b i y a

sont positionnelles, qu'il s'agisse d'un espace où l'on pourrait disposer des

objets et que nous dirions concret (contre, autour, éloigné, parti) ou d' u n

espace non mesurable où les deux réalités se superposent, sans être dans u n

même lieu: n'est-il pas, sans être aucunement divisé, dedans et dehors ?

Ce système implique tout d'abord une certaine manière de v 0 i r

l'homme, l'homme complet ne pouvant être vu que par des initiés, bénéfiq ues

ou maléfiques. D'autre part, il implique une certaine façon de concevoir les

troubles qui peuvent affecter la vie physique et la vie mentale provoquant

des maladies que j'ai classifiées sous les termes génériques de maladies de

village et maladies de brousse. Si très souvent l'explication des troubles

requiert l'intervention des deux réalités, il reste un bon nombre de maladies

qui sont traitées en utilisant seulement la notion de corps.

Dans le système où l'on ne se réfère qu'aux notions physiques, 1a

maladie se comporte comme un être matériel qui a un logement, qui ci rc u 1e,

qui entre et qui sort. Cela implique toute une médecine de l'expulsion à base

de vomissements, d'éternuements, de purgations et des thérapeutiques

capables à la fois de provoquer, de contrôler et d'arrêter ces expulsions. Dans

ce système, le rôle curatif des plantes est essentiel; ce sont elles qui sous

forme de poudres aspirées ou ingérées ou d'onguents assurent la guérison.

Dans le système où l'on se réfère aux deux notions du corps et du

biya, la thérapeutique consiste essentiellement à lutter contre les forces de

dissociation, de séparation qui peuvent les disjoindre. Cela explique que 1a

lutte contre certaines maladies soit liée à la lutte contre les sorciers et 1es

génies, c'est-à-dire contre ceux qui ont le pouvoir d'opérer le rapt du biya.

Cela explique également qu'une grande partie de cette médecine soit

consacrée à la lutte contre la peur et ses conséquences qui peuvent être

mortelles.

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Les connaissances du médecin sont assurées par un apprentissage

extrêmement long puisqu'il est toujours lié, semble-t-il, aux circonstances.

Cela rend le contenu de cet apprentissage fluctuant selon les moments et

échappant à toute classification organisée selon des concepts directeurs.

Ces évidences des connaissances n'épuisent d'ailleurs pas les plans

de référence. Il y a celui de la volonté de Dieu liée à l'idée de chance qui

intervient pour expliquer l'origine, le cours ou la fin des maladies ainsi que

l'impossibilité de les soigner dans certains cas. Le médecin p~ut ainsi toujours

reporter la responsabilité de l'échec éventuel de ses cures sur la tradition et

les limitations des connaissances acquises ("nous ne savons pas...nous a v on s

hérité d'un certain chemin" répondent-ils souvent) ou, de manière encore

plus inéluctable, sur l'intervention divine. Deux explications que le malade

accepte et ne remet pas en cause; pour lui, son seul souci est de trouver 1e

médecin dont le chemin est le plus long et le plus complet.

Nous nous trouvons donc ici en face d'une connaissance d'où sont

absentes les hypothèses aussi bien que les doutes et les confrontations. Cette

connaissance accepte la coexistence avec d'autres connaissances aussi b i en

que ses propres limites sans ressentir le besoin que nous pourrions appeler

"déontologique" d'approfondir le champ des savoirs traditionnels (dans de

nombreux cas, il y a un autre sonance ou un autre zima plus puissants

desquels ils pourraient recevoir un surplus de savoir). Cette connaissance

sans angoisse, sans curiosité n'implique nullement qu'il s'agisse d'un savoir

rudimentaire mais, au contraire, d'un savoir très vaste, acquis lentement,

sans recours au discours ou à l'exposé.

L'exposé théorique, il le fait seulement en réponse à nos questions et

c'est alors que le langage très élaboré qu'il utilise constitue un discours

rhétorique, objet d'étude priviligié de l'anthropologue. En effet, dans ce cas,

ce dernier ne peut observer le malade en reliant les symptomes à cette

étiologie spécifique (et cela d'autant plus que le fait de voir le biya, si décisif

dans le diagnostic, relève d'un don et d'un charme hérités) mais seulement 1e

langage de l'autre qui construit et rend compte de la personne.

Je voudrais parler des explications fournies sur la pensée qui son t

limitées à un jeu d'organes dont le rôle n'est d'ailleurs pas analysé dans la

perspective de la création de la pensée. La pensée est localisée dans le coeur,

elle traverse la cervelle avant de ressortir par la bouche sous forme de

paroles.Sa santé se traduit par une parole droite, c'est-à-dire convenable 0 u

conforme aux normes sociales et ses troubles par une parole d'autrui c' e s t-à­

dire déréglée. Le mécanisme même de ce déréglèment semble ne pas

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intéresser le médecin qui, cependant, aime à s'arrêter sur les lieux possi bles

de ce déréglèment dans la mesure où ce sont ces lieux qu'il pourra soigner.

On ne peut parler de la pensée sans aborder le lakkal, notion fort

complexe . Le lakkal est distinct de la pensée sur le plan biologique m ê me

puisque la cervelle n'intervient pas dans son fonctionnement. Il n'est pas lié

non plus à l'organe de la bouche mais au contraire à une conduite socialisée

et, de ce fait, aux troubles affectifs. Si, comme dans la pensée, le lakkal est 1i é

au coeur, sa relation avec cet organe paraît bien différente. "C'est le coeur qui

pense et le lakkal se manifeste, mais 'ce n'est pas le lakkal qui fait que le co e u r

pense". La folie est un des cas les plus frappants de cette rupture d'équilibre

entre le coeur et le lakkal. La pensée est dans le coeur, elle part du coeur; 1e

lakkal lui, ne peut pas être localisé d'une manière précise: "personne n e

connaît son emplacement". Il s'agit donc là d'une réalité dont nous verrons

plus loin le rôle fondamental dans la vie sociale, qui paraît jouir d'un statut

tout à fait exceptionnel puisqu'elle est la seule à ne pas avoir de maison ou de

position.

Enfin, l'existence du biya ne peut suppléer l'absence de lakkal car, si

la personne n'a pas de lakkaJ, le biya n'en possède pas non plus. Du point de

vue social, cette notion a des applications morales très nettes, ce qui n'est pas

le cas pour le biya.

Il faut également parler d'une autre caractéristique de cette

médecine où le toucher et l'auscultation semblent exclus. Puisque le méd ec i n

voit la maladie, il n'a pas besoin d'avoir recours à des connaissances

anatomiques qui établissent une coordination des organes avec leu rs

fonctions.

On se trouve donc en face d'un savoir véritable, fruit de l'expérience

tout autant que de l'initiation. Ce savoir se place sur le plan du réel et ne fai t

pas appel au mystère pour le médecin, bien que la référence à la volonté

divine soit fréquente. Enfin, ce savoir ne s'affirme pas comme universel: il

est individuel autant que traditionnel et social et semble organisé selon une

cohérence interne rigoureuse. C'est enfin un savoir qui procure un pouvoir

énorme, sur la vie et la mort, un savoir ésotérique, un savoir exclusivement

masculin.

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2.3 construction sociale

La construction emblématique et notionnelle s'insèrent b i en

évidemment dans le continuum de la construction sociale des genres féminin

et masculin qui opère au travers de normes rigoureuses. A partir de

l'enfance, les comportements et conduites attribuées à chaque sexe sont

enseignées systématiquement par imprégnation et .répétition mimétique aux

garçons et aux filles. Parmi les notions permettant de définir la p ers 0 nne,

celle du lakkal joue un rôle opératoire majeur puisqu'il est, en fait, ce qui

permet l'apprentissage. La traduction la plus proche, tout en restant

approximative, en est l'intelligence.

L'enfant encore en gestation est déjà muni, ou non, de son lakkal: de

l'avis de tous c'est un don du ciel qui semble pouvoir être transmis

héréditairement, sans que cela constitue une règle absolue. Les paren ts

s'efforcent de savoir si Dieu a donné du lakkal à leur enfant pendant une

phase de dépistage qui commence vers 3,4 ans, dès que l'enfant sait marcher

et parler. S'il a du lakkal, il commence à savoir imiter le travail d'un adulte, il

obéit aux interdictions qu'on lui fait (ne pas manger chez n'importe qui par

exemple). Dès ce stade, le lakkal n'est pas une notion univoque puisqu'il

s'applique à des comportements qui mettent en jeu le discernement, le savoir­

faire, le savoir-vivre qui permet d'assimiler le code social dans ses plus

minutieux détails. Mais on ne commencera à dire qu'un enfant a du lakkal

qu'après 7 ans. S'il n'en a pas à 7 ans, c'est irréversible, il n'en aura jamais. A

cet âge là, le lakkal donne la mémoire, l'intelligence, la capacité' d'abstraction

nécessaire à l'acquisition du système décimal, la notion du bien et du mal.

Entre 7 et 18 ans, l'enfant puis l'adolescent va devoir maîtriser les

techniques de la vie matérielle d'une part, d'autre part, les règles de la vie

sociale et les diverses connaissances qui sous-tendent l'une et l'autre. Le

lakkal permet à l'individu de jouir pleinement de son statut social mais son

lakkal peut continuer à se développer: "celui qui pose des questions continue à

s'instruire, à apprendre, et son lakkal croît". Le lakkal influence les

comportements dans la vie conjugale considérée bien plus sous l'angle de 1a

vie sociale que de la vie du couple: la jeune femme doit observer les divers

interdits qui régissent ses relations avec ses beaux-parents, doit obéir aux

ordres de son mari et s'occuper convenablement de sa maison; le mari quant à

lui doit respecter ses beaux-parents et récompenser sa femme de son

obéissance en lui offrant quelques cadeaux. Le lakkal fonde et justifie les

relations de pouvoir entre les genres.

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Il faut noter deux cas où la perte du lakkal est reconnue, sans être

condamnée, par la société comme le mécanisme qui permet de rendre compte

des phénomènes de possession et des manifestations de la sorcellerie. Le

possédé, au moment où il devient le "cheval" de son génie, perd son lakkal qui

est remplacé par celui du génie, ce qui permet d'excuser, notamment chez les

femmes, des comportements gestuels et verbaux réprouvés en temps no rmal.

A la fin de la crise, le lakkal réintèg.re son propriétaire. Dans le cas des

sorciers (la sorcellerie s'hérite par la mère, en têtant son lait), mangeurs

d'âme, on considère qu'ils ont un lakkal normalement constitué dans la vie

courante. Mais, la nuit, "quand le lait· de leur mère devient comme de 1a

mousse dans leur ventre", leur lakkal les abandonne, le désir de faire le mal

s'empare d'eux et cette disparition du lakkal est la condition qui leur permet

de se transformer en êtres nuisibles.

Les trois types de construction de la personne, emblématique,

notionnelle et sociale contiennent les prémices de l'infériorité et de 1a

soumission de la femme que nous allons aborder dans le chapitre suivant. Ils

est rare de les voir présentés avec une telle clarté et une telle cohérence. Il

est vrai que la publicité et l'utilisation du corps de la femme et des qualités qui

lui sont étroitement liées peuvent être également vues comme une

construction emblématique qui s'impose aux femmes de nos propres sociétés

et de certaines autres où la télévision est présente dans tous les foyers comme

au Brésil par exemple. Mais, dans ce cas, les femmes ont une certaine li b erté

de ne pas s'y conformer soit parce qu'elles récusent cette image d'elles-mêmes

. soit parce qu'elles n'ont pas les moyens de s'y conformer tout en le désirant

bien souvent. La triple construction identitaire que je viens de décrire garde

donc toute sa force.

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CHAPITRE III

LA DECOUVERTE DE L'ACTEUR INVISmLE

Femmes du Tiers-Monde

Mots échoués sans contexte

Le système familial songhay-zarma

Ecrire un autre texte

Relations de genre et développement

The feminine sphere in the institutions songhay-zarma

3.1 ANALYSE D'UN RITE

Comme je l'ai expliqué, passant ma première année de terrain a v ec

un interprète homme, mes médiateurs ne furent, de ce fait, que des hommes

et je ne pus approcher les femmes. Mais ces dernières m'accueillirent avec

joie lorsque j'arrivais, la deuxième année, avec une interprète femme, et je

fus admise "dans leur monde", expression qui est loin d'être un cliché.

Un baptême était annoncé dans une famille que je connaissais bien.

J'en avais déjà observé pendant la première année, avais enquêté auprès de

mes informateurs hommes -que je considérais à l'instar de mes collègues

comme les seuls détenteurs du savoir- et pouvais donc en faire une

description et une analyse qui seraient apparues complètes. Cette fois-ci je

restai avec les femmes, c'est-à-dire dans la case de l'accouchée d'où je suivais

le rituel que je connaissais et qui s'exécutait dans l'espace public de la cour de

la concession. Je découvris alors avec étonnement que ce rituel ne pouvait et

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ne devait se dérouler qu'en complémentarité avec un autre, exécuté par les

femmes dans l'espace privé de la case et tout aussi fondateur (par exemple, si

l'homme, un marabout, est celui qui sélectionne un certain nombre de nom s

possibles pour l'enfant, c'est une tante paternelle qui les communiquera aux

femmes de la case qui en choisiront un et c'est une tante maternelle Qui

procède à l'imposition de ce nom; le mariage donne également lieu à

l'exécution de ce type de rituel parallèle. De l'extérieur, on ne voit qu' u n

rituel qui apparaît cohérent, de l'intérieur on comprend qu'il y a imbrication

des deux rituels et que ni l'un ni l'autre ne sont auto-suffisants. Deux

choses doivent être mises en évidence:

- les hommes ne m'avaient pas fait pressentir cette complémentarité et

encore moins sa nécessité. Il est problable néanmoins que, continuant à

travailler avec eux, ils auraient évoqué les rôles des femmes mais en nia n t

leur importance: "la femme n'a que sa parole, il ne faut pas perdre

son temps à l'écouter". Ce faisant tout un pan de la réalité sociale est

occulté puisque les hommes se refusent à placer les actes des femmes dans u n

discours constitutif et reconnu socialement.

- travailler avec les femmes m'a permis de découvrir progressivement les

aspects matrilinéaires qui imprègnent le système de parenté songhay-zarma

considéré et classé comme fortement patrilinéaire.

Si quelques-uns des aspects matrilinéaires sont repérables

ouvertement, notamment dans les obligations que l'oncle maternel doit

remplir envers les enfants de sa soeur, ces liens sont surtout actifs dans les

relations affectives, si importantes dans la constitution de l'identité, qui se

tissent entre frère et soeur: il se sent responsable du bien-être de sa soeur et

des enfants de sa soeur car "l'enfant de sa soeur appartient à sa lignée". C'est

cette appartenance au matrilignage qui fonde leur relation: "même si la soeur

a accouché d'un bâtard cet enfant est l'enfant de son frère" et il est souvent 1e

seul, lorsque l'homme refuse de le reconnaître, à accepter de lui donner u n

nom ce qui est très important puisque l'enfant privé de nom ne peut avoir

d'existence sociale. A partir de là, l'oncle utérin a le droit de donner de son

vivant tout ce qu'il veut à ses neveux et tout ce que ces derniers 1u i

demandent. On se trouve ici devant un ensemble de droits et de devoirs

implicites, non distribués de manière rigoureuse mais cependant très

prégnants. Rien n'est obligatoire mais tout a l'évidence du coeur. A

l'intérieur du système de parenté dont tous les éléments obéissent à une

combinatoire rigoureuse, il y a là un espace clos, irrationnel dans sa

singularité et son non-dit par les hommes, celui que crée la descendance par

la femme, la descendance par le lait.

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Ces relations affectives sont elles-mêmes fondées sur des croyances

et représentations que, seules les femmes, expriment au travers de petits

récits. Ces récits dont la forme est flexible ne sont révélés que dans l'espace de

l'intimité de la case, exclusivement devant des femmes et des enfants et jamais

devant des hommes, et surtout pas devant des hommes appartenant au li g nage

de l'alliance. Je donnerai deux exemples de ces récits qui montrent

clairement comment cet espace clos se projette même après la mort:

"Le jour du jugement, on a rassemblé tout le monde. On t'appelle, on

appelle ton père. Il ne vient pas. On l'appelle, il ne vient pas. On

appelle alors l'oncle utérin qui, lui, vient.

Le père dit alors: "ce n'est pas mon enfant, ce n'est pas du tout mon

enfant". L'oncle, lui, dit:"c'est mon enfant parce que c'est ma soeur

qui l'a enfanté, il est sorti de mes intestins".

Ce jour là, le père vomit son enfant, et c'est l'oncle utérin qui vie n t

faire le père. Personne ne sait pourquoi le père vomit son enfant;

l'oncle utérin, lui, vient parce que c'est son lait.

Après le jugement, si l'enfant va en enfer, la mère le suit, elle

presse son sein pour tuer le feu avec son lait

L'enfant est la moitié du corps de la mère, l'enfant est l'enfant de

l'argent du père. Le père a seulement épousé la femme, ce n'est pas

cela qui va lui faire aimer l'enfant. La mère en dépit de tout ce que

son enfant lui fera ne le maudira pas car c'est la moitié de son

corps.

Quand l'enfant meurt, on l'enterre dans le dos de sa mère. C'est v ra i

que c'est dans le dos qu'on l'enterre. Car lorsque son enfant meurt,

il est toujours dans le coeur de sa mère jusqu'à ce qu'elle aille le

retrouver à sa mort. Que ce soit la nuit ou le jour, il ne quitte pas

son coeur.

Le père s'en moque, c'est l'enfant de son argent. S'il se marie avec

une autre femme, il aura encore un enfant.

La concession où chaque femme a sa propre case renferme les

descendants "d'une seule semence, d'une seule racine" regroupés autour d' u n

certain nombre de femmes; tous les enfants d'un homme constituent en fait

des sous-ensembles "d'enfants d'une même mère" qui entretiennent des

relations complexes d'inclusion et d'exclusion sur le plan du droit et sur cel ui

du coeur. Il existe donc à côté du regroupement et de l'appartenance juridique

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autour du père social, un autre regroupement autour d'un espace

physiologique et symbolique constitué par le coeur, le ventre ou les intestins

et le lait. Ces trois termes renvoient à la mère, à la famille de la mère et, d' une

manière priviligiée, au frère de la mère. L'héritage ne les ignore pas puisque

l'on hérite de la sorcellerie seulement par le lait, ni la mort puisque les

derniers regroupements, éternels cette fois-ci, se font selon le ventre et 1e

coeur. Néanmoins, il nous faut constater qu'il existe chez les acteurs comme

chez les observateurs une cécité épistémologique des fondements réels du

social.

Cette déchirure signifiante entre le droit, la loi et le coeur que

l'étude du système de parenté songhay-zarma, au travers du prisme des

femmes, fait apparaître clairement permettra d'approfondir dans le chapitre

V une réflexion plus large concernant la maternité affrontée aux

changements socio-économiques.

3.2 LA CASSURE DU SAVOIR

Bien que trente rayons convergent au moyeu

C'est le vide médian

Qui fait marcher le char

Lao Tseu

Cette observation ,intervenue dès la deuxième année de terrain, et

confirmée dès lors de façon régulière dans des situations très diverses par

bien d'autres observations allait jouer un rôle fondamental dans ma pratique

tout autant que dans ma réflexion. Ce fait - le visible et son double qui presque

toujours doit être décrypté - devint une structure de référence, une image

symbolique puissante manifestant la part d'ombre où est tenue la femme dans

le théâtre social. C'est ainsi que j'en vins à étudier systématiquement cet

"acteur invisible", ce "moyeu vide" sans lequel aucune roue ne peut

tourner et que personne ne veut reconnaître.

Je commençai à travailler, à partir de 1968, sur la problématique de

l'unité: voir la cassure, l'établir dans les faits, la mettre en évidence dans u n

premier mouvement pour la refuser épistémologiquement dans un second

mouvement. Non seulement après presque un siècle de travaux

anthropologiques, on doit admettre l'universalité de cette cassure dans la

pratique sociale mais on doit, encore bien plus, récuser son existence dan s

l'élaboration et la pratique du savoir. Car, en refusant d'intégrer cette cas sure

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dans leurs analyses, les sciences sociales sont trop souvent le décalque et non

l'élucidation de la pratique sociale.

L'observation et la description de cette cassure s'est imposée de plu s

en plus, surtout depuis les années 1970, à certaines chercheuses comme une

nécessité porteuse de connaissances nouvelles. Ces dernières doivent être

diffusées, ré-injectées au niveau des pratiques, des projets et des politiques du

développement en même temps qu'elles doivent permettre, de façon

théorique, d'actualiser la pratique du savoir, de produire comme le dirait

Bourdieu une inflexion du savoir.

3. 3 IMPLICATIONS THEORIQUES

L'acquisition de nouvelles connaissances sur ce que l'on pe u t

appeler "l'envers des sociétés", une autre manière de les intégrer dans une

perspective historique vont permettre d'élaborer, peu à peu, un au tre

discours que nous apellerons féministe permettant avant tout d'interroger 1e

savoir établi et d'esquisser des questions sur le futur des sciences sociales.

Les femmes ne sont plus seulement des filles, des épouses, des mères,

c'est-à-dire des prolongements de père et d'époux. Elles ont commencé à

conquérir une identité et ont cessé d'être retranchées dans la sphère de 1a

reproduction.

On se doit désormais de replacer ces connaissances dans un 0 rd re

stochastique où la pensée, par définition, se donne le droit à l'évolution et au

refus de l'interprétation de la féminité par un pur déterminisme biologique.

3.3.1 introduction du complexe

L'introduction de la vision féministe brouille, obscurcit, sans au c u n

doute l'apparente clarté du discours fournie jusqu'alors par les t ra v au x

scienti fiques, mais cette complexité nouvelle qui s'inscrit dans le no u v ea u

cadre théorique de la notion de genre ou des relations sociales de sexe devrait

constituer plus un défi qu'un prétexte à renoncement.

C'est dans les années 70 que les féministes anglo-saxonnes commencent à

utiliser les termes genrel relations de genre ( Oakley, A, 1972) tandis que

les féministes francophones préfèreront la notion de rapports sociaux de

sexe. Ce n'est pas le lieu d'entrer dans cette discussion terminologique et

notionnelle. Ce qui est important c'est que l'on soit passé "de l'étude de 1a

di fférence sexuelle...à celle de l'étude des rapports entre les sexes, dans 1e

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double sens de rapport social et de relation conceptuelle"; (Hurtig. M. C, Kail.

M, Rouch. H. 1991). Si j'ai pour ma part adopté le terme anglais c'est, en grande

partie, parce que presque tout l'ensemble des travaux sur les femmes dans 1e

développement -champ dans lequel je me place- nous vient de travaux de

langue anglaise qui l'utilisent de manière prédominante. Mais je partage

depuis longtemps la critique portant sur l'usage "immodéré" du terme g e n r e

qui redevient alors le synonyme du mot sexe.

Le concept de genre induit:

- le rejet du déterminisme biologique sous-jacent dans le mot sexe, et dans

l'expression inégalité sexuelle qui apparaît "comme un alibi idéologique, pou r

le maintien de la domination, l'alibi de la nature" (Hurtig. M. C, Kail. M, Rouch.

H. 1991).

- le regroupement de toutes les différences constatées entre les hommes et les

femmes qu'il s'agisse des différences individuelles, des rôles sociaux ou des

représentations culturelles, c'est-à-dire le regroupement de tout ce qui est

variable et socialement déterminé. Il est également affirmé que les femmes n e

forment pas un groupe homogène mais un ensemble traversé par des

différences de classe, de race et d'ethnie.

l'assymétrie fondamentale et la hiérarchie entre les deux groupes, les deux

rôles, les deux sexes, les deux genres (Delphy. Ch, 1991).

- le déplacement de l'accent, des parties divisées vers le principe de partition

lui-même.

Le genre renvoie aux catégories sociales (féminin et masculin) et

non aux catégories sexuelles (hommes et femmes). Il implique un savoir sur 1a

différence sexuelle or, le savoir, selon M.Foucault, est une compréhension

produite par les cultures et les sociétés des interrelations entre hommes et

femmes. C'est aussi une manière d'ordonner le monde, inséparable de

l'organisation sociale de la différence sexuelle. Le savoir n'est ni fixe, ni fi ni,

il est variable et sujet à d'innombrables changements. Il en est de même pou r

les complémentarités et oppositions entre les genres qui peuvent se

transformer, évoluer vers d'autres significations, c'est-à-dire s'inscrire dan s

le changement social.

Le genre est un concept essentiellement dynamique permettant de

remettre en question l'apparente immuabilité et simplicité des rôles sociaux.

Mais la complexité ne peut exister sans "structure qui relie" (Bateson, G, 1984)

et c'est la notion de genre qui joue ce rôle. Cette structure permet de définir 1a

notion de contexte, sans laquelle les mots ou les actes n'ont pas de sens, et qui

est à l'oeuvre dans tout processus mental, dans toute communication. Selon

Bateson, cette structure qui relie n'est pas fixe, "elle est une danse d'éléments

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en interaction continuelle". Si l'on regarde l'évolution des sociétés, 0 n

constate un grand nombre de changements dans les relations entre hommes

et femmes -impliquant des changements chez les femmes et chez les hommes­

qui affectent bien évidemment les individus mais aussi les institutions dans

lesquelles ils sont insérés. Ceci conduit nécessairement à réfléchir sur les

problèmes d'ordre et de désordre en éliminant la notion de complémentarité

dont on a abusé en ce qui concerne justement la description des "fonctions"

masculines et féminines (la division sexuelle du travail) fondées sur des b.ases

biologiques, elles-mêmes manipulées par l'idéologie.

Mais aussi, l'usage de la complémentarité introduit insidieusement

l'idée d'une permanence que les faits infirment. Un exemple parmi d'autres.

Les anciens systèmes de régulation de la fécondité s'écroulent et les femmes,

dans ce que l'on pourrait appeler un désordre culturel, utilisent au hasard de

leurs connaissances et de leurs possibilités économiques, pilules, stérilet,

stérilisation ou avortement.

Pour s'efforcer de réfléchir sur ces nouvelles réalités, il apparaît

clairement que "deux descriptions valent mieux qu'une" et que,

déontologiquement, il devient de plus en plus nécessaire de savoir "quel est 1e

surcroît de compréhension que la combinaison d'informations apporte"

(Bateson.G, 1984). Si les changements, les évolutions peuvent être

appréhendés, ils ne le seront qu'en tenant compte de l'interaction des parties

multiples où doivent être dorénavant inclus le masculin et le féminin

Ce nouveau discours s'oppose, par sa propre nouveauté et l'espace

heuristique dans lequel il se déploie, à celui qui porte la marque masculine,

plus cohérent apparemment - il s'appuie sur au moins vingt siècles

d'énonciations - mais aussi plus fermé sur lui-même. Or, justement, 1a

cohérence est r e Cu sée à ce discours féminin qui s'ouvre, balbutie, se

rigidifie, se disperse, s'ensable à la recherche de lui-même, de ses fondements.

La notion de genre qui le sous-tend appartient à une transformation

théorique radicale dans la mesure où elle impose de nouveaux fondements à 1a

sociologie lien la détachant de l'idéologie de son passé et en révélant ce passé

comme idéologique" (Althusser: Pour Marx 9)

Ce refus est d'autant plus fort, peut-être, de par la présence d' u n

autre paradigme revendiqué par les femmes mais exclu par les stéréotypes

scientifiques masculins depuis le XIXème siècle, celui de l'émotion en tant que

l'un des moteurs de la pensée. La revendication de l'émotion par les femmes

comme l'un des outils de la conceptualisation est d'autant plus intéressante

9 cité par M. Foucault in Archéologie du Savoir, Gallimard, 1969

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que toutes les formes du pouvoir l'ont affirmé, pour justifier leur éviction,

qu'elles sont immergées dans l'univers du sensible et de l'émotionnel: effet de

retournement, producteur de sens.

Ce que A.Fage (Fage, A. 1986) écrit sur la description historique 0 Ù

"ce qui est sensible et émotionnel est sous haute surveillance" s'applique,

certes, à toutes sciences sociales qui l'évacuent de la parole rationnelle et

reconnue comme vraie. Or quoi de plus "sensible", de plus "émotionnel" que 1a

femme, privée de parole publique, si on l'envisage en adoptant les

représentations culturelles admises qui affectent de la définir?

L'enfantement, par exemple, entouré de pleurs, de bruit et de cris est u n

langage inarticulé; comme si le fait d'enfanter -réalité que la femme est 1a

seule à connaître- la privait du sens que ceux qui regardent, dans et hors de

leur propre société, essayent de fabriquer. Dans le bricolage du sens social, ce

ne sont pas les mots des femmes qui sont incorporés ou accolés aux mots des

hommes, mais la femme telle qu'elle est vue, pensée, décrite par l'homme.

Que peut dire une femme, chez laquelle l'intériorisation des valeurs

culturelles qui la place rigoureusement hors de la parole publique fait l'objet

d'un processus d'apprentissage continu, sinon sa propre vie? Si l'on peut 1ire

ce récit comme une description, on doit pouvoir également essayer de

décrypter le sens contenu au coeur de l'espace ouvert du politique dont elle

est exclue et ces formes d'ajustement social et économique qu'elle ne cesse de

rechercher et/ou d'inventer.

Il est donc scientifiquement important que les femmes, dans leurs

travaux, se réclament aussi de l'émotion vue "comme un mur de soutainement

sur lequel se fonde l'acte de comprendre et de chercher... comme une attitude

opératoire.. qui capte les mots, comme des instruments d'appréhension du

social et de la pensée" (Fage. A, 1986).

L'émotion permet également de donner un sens au petit, à l'humble ­

je me réfère aux travaux de plus en plus nombreux des historiens sur les

archives du quotidien-, à ces paroles de femmes qui ne portent pas

ouvertement sur la structuration du social mais qui, néanmoins, sont le re fi e t

du réel.

L'introduction des femmes dans la description des faits sociaux, et les

réflexions qu'elles induisent, en complexifie l'analyse car elle oblige à

prendre en considération non plus un monde, mais deux et encore plus les

relations qu'ils entretiennent entre eux ( les relations de genre). Par ailleurs

on ne peut se contenter de décrire les femmes dans des fragments de la société

(la famille, l'économie) - ce qui commence à être accepté - mais on doit

également chercher à comprendre, pour chaque situation, leur insertion

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et/ou leur éviction du religieux, du juridique, du politique par exemple.

Chaque femme, à l'instar de chaque homme, est un noeud de dynamiques qui

traverse l'ensemble des sociétés et qu'il faut s'efforcer de restituer si l'on veut

comprendre les phénomènes d'immobilisme et de changement.On avait déjà

bien des difficultés à comprendre les évolutions en prenant seulement en

compte les groupes sociaux constitués discursivement par les hommes, on en a

bien plus s'il faut ajouter à ce premier ensemble celui des femmes ainsi que

celui constitué par les relations solidaires mais souvent co~flictuelles en t r e

les deux ensembles.

Que la pensée féministe introduise du désordre dans le discours

masculin global, cela ne fait aucun doute mais on doit, par déontologie,

prendre en compte le mouvement dialectique qui va de l'ordre au désordre

pour aboutir à l'élaboration d'un nouvel ordre, même s'il est encore

largement inconnu.

3.3.2 renouvellement de la conception de causalité

Ce qui vient d'être dit induit le refus du fonctionalisme -pensée

conservatrice et réductrice du complexe- ainsi que le réexamen de 1a

conception de la causalité; les phénomènes n'étant plus conçus ni compris de

la même manière( en particulier le refus du déterminisme biologique) leur

enchaînement s'en trouve bien évidemment bouleversé.

Les deux catégories, logique et pré-logique, de la mentalité établies

par Levy-Bruhl (Levy Bruhl. L, 1922) si elles ne sont plus reconnues par 1e

discours scientifique restent néanmoins actives en ce qui concerne les

femmes; l'évolution de la réflexion semble se faire sur deux rythmes selon

qu'on a affaire aux hommes ou aux femmes. Ne sont-elles pas encore placées

dans la catégorie de l'innéité -le sentiment, l'instinct, l'obscurité de

l'irrationalité (il y a de par le monde de nombreuses structures

administratives nationales et internationales dont l'intitulé regroupe les

handicapés, les enfants et les femmes)- au contraire des hommes, placés dans

la catégorie du cultivé, c'est-à-dire de l'abstraction, de la lumière d'un système

mental. Dire ou sous-entendre l'irrationalité des femmes, la présenter sous 1e

mode si fréquent du constat permet d'éluder toute prise de conscience de 1a

logique de leur comportement social. Evoquer l'instinct comme raison

dernière permet d'échapper aux responsabilités de la raison. Vouloir dévoiler

ce processus d'offuscation n'est pas renoncer à la recherche des causes, mai s

l'enrichir.

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C'est ainsi que l'on peut réexaminer les concepts de soumission, de

dépendance, de révolte mais aussi de fécondité, de pauvreté au travers du

prisme féminin.

La fécondité par exemple n'est plus une fatalité biologique liée au hasard et

aux lois de l'espèce mais elle se trouve au croisement du biologique, du social

et de l'émotif (au sens de Diderot, système d'étonnement qui fait naître 1a

pensée). Le planning familial entraîne lui aussi de profondes ruptures dans

la chaîne de causalité qui avait abouti à la soumission des femmes. On

repense également la relation sociologique avec le concept de travail familial.

Ce réexamen des catégories d'analyse introduit une atti tude

épistémologique nouvelle: les sciences sociales sont considérées dans u n

déséquilibre permanent mais nécessaire.En celà le féminisme s'inscrit dans le

grand courant de pensée qui, depuis les années 60, privilégie notamment en

physique (Thom. R, Prigogyne. 1) en philosophie (Foucault. M) en hi s to i re

(l'Ecole des Annales avec Braudel par exemple) le discontinu. On ne peut plu s

accepter une théorie fixiste du savoir de même que l'on doit intégrer 1a

transformation de la notion de structure.

Il nous faut revenir sur la notion de refus dont nous avons déjà

parlé précédemment; en effet, il est désormais nécessaire d'inclure également

les principaux paramètres de l'exclusion des femmes dans l'analyse du savoir

constitué, exclusion qui s'enracine dans la soumission.

3.4 LA SOUMISSION COMME OPERATEUR LOGIQUE DE

CULTUREL

L'ORDRE

L 'habitude qui exerce en toutes choses un si g ra n d

pouvoir sur nous, a surtout celui de nous apprendre à

servir et, comme on le raconte de Mithridate, qui finit

par s'habituer au poison. celui de nous apprendre à

avaler le venin de la servitude sans le trouver amer.

La Boétie

La société songhay-zarma opère une classification des personnes

selon qu'elles ont plus ou moins de lakkal: un homme en a plus qu'une femme,

un aîné qu'un cadet, un mari qu'une épouse. La femme, qu'elle soit

considérée comme personne ou comme épouse possède donc moins de 1akkal

que l'homme ce qui lui donne également moins de droits. On attend d'elle,

avant tout, le respect, l'obéissance, la pudeur, bref, la plus exacte con f 0 rm i té

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de sa conduite aux modèles sociaux et aux représentations élaborées par 1a

culture. Il en est de même pour les hommes avec cette différence capitale que

l'on attend d'eux qu'ils intègrent les valeurs qui assureront leur domination.

Ce sont presque toujours les mêmes qualités qui sont exigées des

femmes dans toutes les cultures. C'est donc l'universalité de cette demande

sociale vis-à-vis des femmes et leur acceptation qu'il est intéressant de mieux

comprendre et, pour cela, il faut, au préalable, poser certaines équivalences:

- respect et obéissance = soumission

- soumission aux ordres = soumission aux donneurs d'ordre qui sont des

hommes (pères, maris, frères) c'est à dire aux représentants du pouvoir

- soumission aux ordres = travail domestique, productif, travail de la maternité

et de l'éducation des enfants.

Ce qui est en jeu, ce sont les liens indissolublement tissés entre le

sexe et le pouvoir. Il faut évidemment rejeter la neutralité fallacieuse de

formules telles que "le roi et ses sujets", "le président et les citoyens" où 1a

forme plurielle semble abolir, pour les dominés, l'appartenance diversifiée au

genre. Le dominant est quant à lui toujours au masculin.

La soumission a fait l'objet de nombreuses études, recherches,

analyses comme celles menées en psychologie sociale,fondées sur 1e

paradigme de la "soumission librement consentie" qui,sans aucun doute, se

trouve à la base de bien des systèmes d'éducation: la petite fille pour laquelle

on fabrique un petit mortier et un petit pilon afin qu'elle "joue à piler le mil

comme sa,mère" ce qu'elle fera plus tard "naturellement" mais cette fois-ci

pendant de longues heures ainsi que les nombreuses autres taches, rel e van t

de la division sexuelle du travail, idéologiquement fondée sur la différence

sexuelle. Ces fondements idéologiques apparaissent dans toute 1e u r

artificialité lorsqu'une société traverse une situation de crise, la guerre ou 1a

migration masculine par exemple, qui oblige les femmes à accomplir, très

bien généralement, les travaux dits masculins.

La construction sociale de cette "nature" est si achevée que des

femmes, la majorité, travaillant de 12 à 14 heures par jour (travail reproductif

et productif non salarié) se déclarent ménagères, lors des recensements,

c'est-à-dire improductives alors que l'on sait de plus en plus que leur travail

productif, notamment dans l'agriculture et le secteur informel, constitue

l'une des composantes essentielles de la survie familiale en milieu urbain et

rural: "la violence symbolique impose une coercition qui s'institue par

l'intermédiaire de la reconnaissance extorquée que le dominé ne peut

manquer d'accorder au dominant lorsqu'il ne dispose, pour le penser et pou r

se penser, que d'instruments de connaissance qu'il a en commun avec lui et

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qui ne sont que la forme incorporée de la relation de domination" (Bourdieu.

P. 1990).

On voit bien que le conditionnement des femmes à la soumission

relève d'un processus global qui s'inscrit dans les corps et dans les esprits,

dans les comportements et dans les représentations, dans la pratique et dans

le symbolique. Ce processus commence à l'intérieur de la famille. Toute société

a non seulement besoin de se reprod~ire mais cette reproduction s'inscrit

toujours dans des systèmes de parenté, nombreux et variés, aux règles et aux

prescriptions strictes que les anthropologues ont décrits et analysés de

manière extensive. Au centre du dispositif se trouve la filiation, no ti on

éminemment sociale, toujours encadrée, surveillée car "la reproduction des

hommes est un instrument de la reproduction de l'ordre social" (Heritier.F.

1996); dans ce système, et de manière quasi universelle, "la valence

différentielle des sexes" selon les termes de l'auteur, fait de la femme un être

différent -ce qui est biologiquement vrai- et inférieur -ce qui relève de "la

manipulation symbolique du réel" (Heritier, F. 1996). Hors les règles admises,

tout enfantement/naissance est donc atypique, dangereux et condamnable,

condamnation qui atteint la mère et l'enfant mais jamais le père. Le corps

fécond de la femme lui est une prison, sévèrement et même parfois

cruellement surveillé (Tabet.P. 1985). La fécondi té est l'un des piliers le plu s

puissant, le plus intangible sur lequel repose la domination masculine; il

suffit, pour s'en convaincre, de voir les batailles acharnées qui furent en core

livrées en 1994 et 1995 autour de la contraception et de l'avortement lors des

Conférences Internationales du Caire et de Pekin.

Mais il me semble que la structure sociale de la famille ne peu t

rendre compte de la "mise en soumission" des femmes que si l'on opère une

disjonction spéculative en s'appuyant sur deux autres paradigmes, ceux de

l'ordre et de la punition; ils permettent de mieux comprendre que "le sexe est

de l'ordre de la situation et ne s'explique que dans le contexte de la bataille

entre le genre et le pouvoir" (Laqueur. Th. 1991).

Je voudrais m'inspirer de deux des règles que Michel Foucault

énonce au début de son livre "Surveiller et Punir" (Foucault. M. 1975) à savoir

considérer la punition comme une fonction sociale complexe et considérer 1es

méthodes punitives comme des techniques spécifiques dans le champ plus

général du pouvoir. Si l'on 'considère les punitions, le plus souvent d'ordre

social, données aux femmes qui sont stériles, qui avortent, qui ont un en fan t

encore non mariées, ou à celles qui, en Inde, enfantent des filles au lieu de

garçons, qui deviennent veuves, on constate que dans toutes les cultures, 1eu r

corps n'est acceptable, -force utile-, que s'il est à la fois corps reproductif,

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corps productif et, pour celà, corps assujetti. Et si l'efficacité de la punition

réside dans le désavantage qu'on en attend -ordre des représentations-,

l'éducation donnée aux femmes sur leur fécondité et leur future maternité,

l'essence de son identité, produit obligatoirement des effets aussi profonds

que durables.

Le scalpel de l'analyse anthropologique sur les logiques sociales à

l'oeuvre dans les systèmes de parenté est nécessaire mais il laisse trop souvent

dans l'ombre la part de l'expérience, du vécu, de la sensibilité qui n'influence

pas les logiques formelles mais qui blesse le coeur et dévie la volonté. La

femme qui sait que, répudiée, elle devra laisser ses enfants à leur père (d ans

le cas le plus fréquent des sociétés patrilinéaires) est prête à accepter tout de

son mari et de ses beaux-parents; n'oublions pas que la résidence virilocale, la

plus répandue, oblige les femmes à vivre dans une situation d'extranéité qui

les rend psychologiquement plus fragiles et plus dépendantes.

Cruel sans violence, le système est parfaitement efficace dans son

dressage du corps et, ce qui est peut-être le plus important, de l'âme de 1a

femme. L'excision, bel exemple "d'anatomie politique" (Mathieu, N.e. 1991)

permet à la femme dominée de valoriser la souffrance et la mutilation

génitale afin de satisfaire aux normes et à la symbolique sociales. Dans toutes

les situations mettant en jeu le corps reproducteur de la femme, la société se

défend, se protège des désordres qui pourraient être introduits et de

l'incitation à recommencer si ces désordres n'étaient pas punis de façon

exemplaire. Ici, le pouvoir montre qu'il n'est pas seulement une catégorie

politique, mais également mentale, voire métaphysique.

3.5 LE FONDEMENT DE L'EXCLUSION

L'acteur social femme est restée invisible pendant des siècles grâce

aux systèmes de soumission et d'exclusion dans lesquels elle est enserrée à

partir de sa naissance.

Les fondements de cette exclusion .forment une chaine causale don t

les di vers éléments d'ordre métaphys ique, philosophique, poli tique, son t

inextricablament mêlés

Je n'aborderai maintenant que la matrice de cette triple exclusion

"ontologique". Elle repose sans aucun doute sur la différentiation

procréatrice entre les hommes et les femmes. Les conséquences de cette

évidence biologique, tels les cercles concentriques qui ne cessent d'émouvoir

la surface de l'eau dans laquelle un caillou a été jeté, sont toujours à l'oeuvre

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dans une danse rhétorique où la culture ne cesse de vouloir se faire passer

pour la nature.

La culture, la société, la religion ont toujours voulu maîtriser 1a

fécondité des femmes non seulement au travers de règles et de coutumes mais

aussi de systèmes de pensée très élaborés qui "justifient" l'infériorité

féminine. Je ne donnerai qu'un seul exemple, très ancien mais dont 0 n

retrouve encore les traces aujourdhui. Chez les grecs, selon le telos présumé

de la perfection, l'homme est plus parfait que la femme par son excès de

chaleur, car la chaleur est l'instrument premier de la Nature. En

conséquence, les mâles sont actifs, apportent la forme et l'âme dans 1a

génération tandis que les femmes, passives, n'apportent que la matière. Il en

est résulté un ensemble de représentations des corps masculin et f é min i n

fondé sur l'idéologie et non sur l'exactitude de l'observation qui a perduré

jusque vers la fin du 17ème siècle en passant par Vesale qui, en 1643, selon

Canguilhem, "entend restaurer la connaissance anatomique de

l'homme" (Canguilhem, G.1991). Dans ce système appelé par Laqueur "le

modèle unisexe" (Laqueur. TH. 1991), les femmes sont des hommes chez

lesquelles , selon Galien au 2ème siècle, le manque de chaleur vitale, c'est à

dire de perfection, a entraîné la rétention des organes qui sont visibles che z

le mâle; le vagin est un pénis intérieur et l'utérus un scrotum. On ne peu t

aller plus loin dans l'idée que la femme est tout à la fois la même et l'autre. lc i,

les différentiations de genre précèdent, historiquement, les différentiations

de sexe ce qui renforce de manière puissante la thèse de la constru ction

sociale des sexes.

L'introduction du complexe dont j'ai éssayé de donner quelques

éléments oblige le chercheur en sciences sociales à douter systématiquement

pour savoir: "les propositions auxquelles, comme envoûtés, nous sommes san s

cesse ramenés, je voudrais les extirper du langage philosophique

"(Wittgenstein,L. 1976). Ce réexamen continuel des causes et 1a

complexification qui en résulte constituent sans aucun doute un des fe rm e n ts

théoriques et épistémologiques les plus féconds de la pensée féministe.

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CHAPITRE IV

Relations de genre et developpement

travail féminin

Development Cooperation:

sans les femmes

L'échec de l'intégration des femmes

développement

Un projet d'auto-suffisance alimentaire

Femmes et Politiques Alimentaires

Choix technologiques, emploi du temps,

Rapport sur la France in Women in

dans quelques projets de

Europe 's unfinished business

Relations de genre et développement

Luttes et développement: perspective historique

Femmes du Sud, chefs de famille

Ce que je viens d'exposer sur l'exclusion et la domination masculine

permet de mieux comprendre le fait que les femmes aient été tenues "h 0 r s

développement" par les responsables internationaux et nationaux. Même si, à

partir des années 70, de nombreuses femmes ont fait des évaluations de

projets (Carloni.A, 1987), des recherches montrant l'importance socio­

économique des femmes pour mieux revendiquer leur intégration dans 1e

développement (voir par exemple les importants travaux du groupe

"Subordination des femmes" dirigé par Kate Young à l'Université du Sussex ,

même si un nouveau champ du savoir s'est constitué, cet ensemble de

connaissances aussi nouvelles qu'importantes est resté trop souvent isolé,

non intégré au savoir, ni aux politiques ni aux pratiques. Ce sont "des mots

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échoués sans contexte" (Le Goff. J, 1987), un sous-ensemble sémantique dont

personne à quelque niveau que ce soit, excepté les femmes, ne sait que faire:

à quoi le relier, comment, pourquoi, quelle est sa justification, sa cohérence ?

4.1 DE L'IMMERSION A L'EMERGENCE: DEUX BILANS

luttes

4.1.1 Les femmes, partenaires du développement: Bilan des

féministes

En 1948, Eleanor Roosevelt, Présidente de la Commission

nommée pour rédiger la première version de la Déclaration Universelle des

Droits de l'Homme réussit à ce que soit écrit dans l'Article Deux (2) de cette

Déclaration adoptée en 1948 : "Chacun peut bénéficier de tous les droits et

libertés sans aucune distinction, telle que la race, la couleur, le sexe, 1a

langue "(c'est nous qui soulignons).

Dans les années 1950, l'Organisation Internationale du Travail (OIT) obtient

que soient approuvées les Conventions sur " la rémunération égale à

travail égal" et sur "la non discrimination selon l'emploi et l'occupation".

Dès 1946, une Commission de la condition de la femme, à J'intérieur de 1a

Commission des Droits de l'Homme, est établie pour examiner les problèmes

spécifiques des femmes, veiller à la mise en oeuvre du p r in c i p e

d'égalité entre les hommes et les femmes. Elle détermine quatre

domaines, valables dans le monde entier, où les formes les plus fortes de

discrimination s'exercent contre les femmes:

les droits politiques et possibilités de les exercer

- les droits légaux, en tant qu'individus et membres de la famille

- l'accès des filles et des femmes à l'éducation, à la formation et à 1a

formation technique

- le travail

Ces dernières années, une quarantaine de Conventions, concernant

spécifiquement les femmes, ont été adoptées par les Nations Unies.

En 1973, le Congrès Américain vote le "Percy Amendment" qui fai t

obligation à l'AID (Agence Internationale de Développement américaine)

d'inclure les femmes dans tous ses projets de développement. Cet évènement

"législatif" a sans aucun doute pour base la renaissance et l'organisation du

mouvement féministe aux USA dans les années 60. Dès 1974 également, 1e

Conseil Social et Economique des Nations Unies déclare qu'il faut "réussir

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l'intégration des femmes comme des partenaires égales aux hommes dans

l'effort global de développement".

En 1974 en effet, deux évènements importants vont contribuer à

accorder plus de valeur au statut de la femme, le terme de statut étant

étroitement lié au contrôle que la femme exerce sur sa propre vie:

- La Conférence Mondiale de la Population montre l'importance des

interactions entre le planning familial et le statut de la femme. Cette

constatation s'appuyait sur des études concernant les problèmes de

population, considérés dans les années 60 comme l'un des problèmes

majeurs des pays en développement, études qui démontraient la position

centrale des femmes dans le contrôle des naissances et, par conséquent,

dans la limitation de l'accroissement de la population (démons tration

partiale sur laquelle je reviendrai).

- La Conférence Mondiale sur l'Alimentation, grâce à l'émergence récente

d'une prise de conscience de la contribution vitale faite par les femmes

dans l'approvisionnement de l'alimentation, reconnaissait que la situation

alimentaire mondiale ne pouvait être améliorée qu'avec la complète

intégration des femmes aux politiques de développement.

1975 est décrétée l'Année internationale de la femme à partir de 1a

proposition faite en 1972 par un groupe d'organisations féminines à 1a

Commission de la condition de la femme. Cette Commission sera responsable

de la préparation des trois Conférences de la Décennie. Il fallut commander

des études pour pouvoir tenter d'établir un bilan; en effet la documentation

était alors presque inexistante, tout autant que les données· quantitatives

puisqu'elles n'étaient pas désagrégées par sexe. Des 18 études de base, une

conclusion pessimiste se dégageait: "la situation des femmes s'est

détériorée malgré les efforts de développement réalisés dans de

nombreuses régions du monde...La production déterminée par les lois du

capitalisme et orientée vers le profit plutôt que vers le bien-être de 1a

population a rétréci la portée d'un grand nombre de programmes de

développement"(Rapport des Nations Unies, 1975) On le voit, dès avant 1975,

une corrélation est établie, qui ne cessera d'être réaffirmée: l'orientation

du développement vers la seule rentabilité économique doit être

abandonnée si l'on veut que les populations pauvres, et particulièrement

les femmes, accèdent à plus de bien être; l'économique, le politique sont

intimement liés au social.

L'Année de la femme commence avec la Conférence de Mexico à

l'ouverture de laquelle la Secrétaire Générale de la Conférence, Mme Helvi

Sipila déclare:" Nous n'avons que deux semaines devant nous pour mettre

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au point une stratégie appropriée pour surmonter des siècles d'oppression

et de discrimination". Parallèlement à la Conférence où ne siègeaient que

les gouvernements se tenait la Tribune à laquelle participaient des groupes

de femmes, des individus, des ONG. C'est le début de la mise en oeuvre de

nombreux réseaux nationaux et internationaux qui prendront, tout au Ion g

des années, une force de plus en plus grande et acquéreront une influence

certaine.

Un Plan d'Action Mondial est adopté à Mexico par l'Assemblée Générale des

Nations Unies qui déclarait en même temps la Décennie de la Femme sur les

trois thèmes déjà retenus pour Mexico: égalité, développement, paix. Ce

Plan indique les priorités assignées aux gouvernements et reflète les

principaux sujets de préoccupation concernant la condition et le rôle des

femmes.

Les problèmes des femmes furent également, à partir de ce moment,

discutés dans le cadre du Comité des Affaires Economiques et Humanitaires

qui s'occupe de la coopération et du développement. Par ailleurs, les

Agences des Nations Unies ainsi que les universités, les fondations, les

gouvernements de certains pays du nord et du sud initièrent des

programmes de recherche permettant le recueil systématique de données

sur les femmes et constituant ainsi un important matériel de référence qui

ne cessa de s'accroître.

En 1979 la Convention sur l'élimination de toutes les formes de

discrimination contre les femmes fut adoptée. Elle devient un Traité

International en 1981 qui établit non seulement une déclaration

internationale des droits de la femme mais aussi un programme d'action par

pays devant permettre de garantir ces droits. Un comité contrôlant

l'application par les Etats partenaires de la convention, le CEDAW, est crée.

La convention permit aux groupes féministes, dans certains pays du sud,

d'obtenir des changements dans les lois nationales. Au 1er Juin 1990, 102

pays sur 180 ont adhéré à cette Convention. Parmi les pays qui n'ont ni

signé ni adhéré à la Convention, notons le Saint Siège, l'Albanie et Malte.

En 1980, à la mi-décennie, une conférence internationale a lieu à

Copenhague. Un premier bilan est dressé, assez négatif ce qui entraîne une

redéfinition du Plan d'Action mettant l'accent sur l'emploi, la santé et

l'éducation considérés du point de vue des femmes.

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Notons également, pendant la Décennie, la tenue de que 1q ues

Conférences mondiales qui concernent les femmes au premier chef même

si elles ne leur accordent pas la même attention, signe d'un refus persistant

à reconnaître la place des femmes:

- celle sur l'Emploi, en 1976 où, pour la première fois les intérêts

spécifiques des femmes ainsi que les conflits liés aux choix entre les

investissements économiques ou sociaux furent débattus par 1a

communauté internationale.

- celle sur l'Eau, par contre, en 1977, fait une impasse complète sur le rôle

et l'importance, pourtant évidentes, des femmes dans ce domaine.

- celle sur les Soins de Santé Primaire, la fameuse conférence d'Alma Alta

qui promet la santé pour tous en l'an 2.000 garde le même silence sur les

femmes tout en prenant des résolutions sur la production alimen taire,

l'amélioration de la nutrition, l'eau, la santé...Bel exemple de la cécité

irrationnelle des décideurs.

Sur un autre plan, un ensemble de mécanismes in ternationaux et

nationaux sont mis en place:

- l'Institut international de recherche et de formation pour la promotion de

la femme (lNSTRAW)

le Fonds de Contribution Volontaire pour la décennie des Nations Unies de

la femme, placé jusqu'à la fin de la décennie sous la tutelle du centre pou r

le développement social et les affaires humanitaires de Vienne. Après

Nairobi, il sera relié au PNUD et prendra l'appellation "UNIFEM"( Fonds de

Développement des Nations Unies pour la femme).

- les commissions économiques régionales des Nations Unies (Afrique,

Amérique Latine et Caraïbes, Asie et Pacifique) disposent de centres de

recherche et de formation sur la femme.

- la Communauté Européenne, se dote, seulement en 1982, d'une cellule

Femmes et Développement placée au sein de la Direction des Ressources

Humaines de la Direction Générale du Développement (DG VIII).

- le Parlement Européen crée une Commission Parlementaire sur les Droits

des Femmes

- l'OCDE crée un Groupe d'experts femmes qui fonctionne dans le cadre du

Comité d'Aide au Développement (CAD) dont les Principes Directeurs sont

censés guider l'action des pays de l'Organisation en faveur des femmes.

- quelques pays du nord mettent en place des bureaux femmes au sein des

Ministères des Affaires Etrangères chargés de la coopération. Les plus

actifs et les plus efficaces sont ceux des pays nordiques et des Pays Bas.

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- quelques pays du sud font de même, créant des mécanismes ad hoc le plu s

souvent situés dans le cadre des ministères des Affaires Sociales.

D'une manière générale, ces nouvelles structures sont caractérisées par u n

faible pouvoir politique et des ressources financières encore plus faibles.

- Enfin, en 1985, a lieu la Conférence Internationale de Nairobi qui vient

clôre la Décennie. Le bilan, encore une fois négatif, oblige à lancer u n

ensemble de résolutions sous le nom de Prospectives d'Action pour 1a

Promotion de la Femme, signées par les 157 pays présents .et devant

valoir de référence légale jusqu'en 2.000. Le "Forum 85" qui l'accompagne

voit se renforcer les réseaux de femmes chercheuses, professionnelles et

d'ONG. Par ailleurs, la Conférence Internationale de la Femme qui s'est

tenue à Beijing (Chine) en 1995 correspondant au Cinquentenaire des

Nations Unies.Le document préparatoire, même s'il montre des avancées

particulièrement dans les domaines de l'égalité et de l'autonomie, répète, e n

les affinant, les mêmes revendications. Stagnation et progrès.

Les principales raisons de la stagnation viennent d'un certain

nombre de présupposés que Diane Elson regroupe sous le terme de "male

bias" ou biais mâle Elson.D, 1991)(

- le ménage, comme aux USA ou en Europe, serait composé d'un mari, d' une

femme et d'enfants

- il existerait au sein de la famille une division du travail clairement établie

entre les sexes, le mari chargé d'apporter un revenu à la famille et 1a

femme assumant les tâches de reproduction et les tâches domestiques

- il existerait, au sein du ménage, un contrôle égalitaire des ressources et

un pouvoir de décision égalitaire entre les hommes et les femmes.

Sur un autre plan les recherches montrent de plus en plu s

clairement que ce que l'on a coutume d'appeler le développement

économique et social a, dans les faits, coupé les femmes de leurs ressources

traditionnelles pour la subsistance, a augmenté leur charge de travail, 1e u r

a donné une responsabilité accrue dans la survie de leurs familles

(Buvinic. M, 1991). La pauvreté ne fait qu'augmenter - et ce sont les

femmes, particulièrement les 30% de femmes chefs de famille, qui sont les

plus pauvres. Or, leur pauvreté est perpétuée par la nature des relations de

pouvoir entre les hommes et les femmes qui a accordé à ces dernières u n

accès de plus en plus limité aux ressources dont elles ont absolument besoin

pour faire face à leurs responsabilités familiales qui, par ailleurs ne

cessent d'augmenter.

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Cette rétrospective historique, si rapide soit-elle, permet néa n moi n s

d'établir quelques constats: l'énorme déploiement de mécanismes,

structures, conventions, résolutions, stratégies n'a pas suffi pour que les

femmes, partenaires de facto du développement deviennent des

partenaires de jure. Les évidences quant à la participation économique et

sociale des femmes ont beau être flagrantes, criantes, ces évidences

continuent à se heurter à une surdité culturelle et politique obstinée. Il est

vrai que tout ce qui vient d'être dit représente une menace. pour le pouvoir

masculin et toute redistribution de ce dernier ne peut qu'entraîner une

opposition radicale. Malgré cela, les femmes sont sorties de l'invisibilité où

elles étaient confinées, un savoir s'est constitué et les discours politiques

des hommes se sont affinés, celui des femmes s'est renforcé, de telle sorte

que le discours sur le développement est peu à peu contraint à inclure les

femmes dans ses énoncés. La Banque Mondiale va jusqu'à écrire e n

1994: "l'expérience mondiale montre clairement que le fait de donner u n

plus grand rôle aux femmes contribue à la croissance économique" ... en

bref, investir sur les femmes devient un problème central pour u n

développement durable"(Rapport de la Banque Mondiale, 1994, ma

traduction). Le mouvement est désormais irréversible même s'il est loin de

suivre une progression linéaire.

Quelques mots sur la terminologie. Les actions entreprises en direction des

femmes pendant la première Décennie ont d'abord reçu l'appellation

Femmes et Développement (FED ou W&D en anglais) puis celle de

"Intégration des femmes dans le développement" (IFD ou Will en anglais).

Ces termes recouvraient une stratégie d'intégration des femmes au

développement dans laquelle les Etats devaient jouer un rôle important

pour favoriser l'émancipation des femmes sans qu'il soit tenu compte que

l'émergence même de ces Etats avait contribué substantiellement à 1a

subordination des femmes.

Une critique de la stratégie d'intégration des femmes au

développement va donc assez rapidement voir le jour: les politiques, en n e

visant qu'une moitié de la population semblent impliquer que le pro b lè me

de fond est constitué par les femmes alors qu'il s'agit bien plus d'une

allocation et d'une redistribution plus égalitaires des ressources entre le

groupe dominant des hommes et le groupe dominé des femmes. On remet

donc en cause les approches précédentes et l'on cherche des concepts

méthodologiques permettant de fonder une nouvelle réflexion. C'est ai n s i

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qu'en anglais l'utilisation du concept de genre a introduit peu à peu

l'expression Gender and development (GAD ou Relations de Genre et

Développement en français) dans l'ensemble des analyses, des actions et des

planifications concernant les femmes.

4.1.2 Bilan des politiques orientées vers les femmes

Ce qui suit doit être lu dans une double optique:

- 1 - les pays du Tiers Monde affrontent une crise économiqùe de plus e n

plus grave. Depuis que, dans les années 70, l'échec irrémédiable des

politiques fondées sur la "croissance" devant engendrer des "retombées

économiques", devenues mythiques, a été reconnu, les grands donateurs

ont fabriqué un discours tournant autour de termes comme "satisfaction

des besoins essentiels", "développement à visage humain" etc. Mais ce

nouveau discours fut simplement plaqué sur des décisions renforçant les

déséquilibres structurels. Par ailleurs, les pays du Sud doivent faire face au

remboursement inique de la dette: le flux des transferts nets de capitaux

depuis 10 ans va du sud vers le nord et les pays pauvres remboursent 50

milliards de plus qu'ils ne recoivent en termes de nouveaux capitaux. Le

FMI, suivi de la Banque Mondiale, a mis en place les politiques dites

"d'ajustement structurel" (PAS). Mais, comme on le sait, les PAS ne sont pas

élaborées pour répondre aux besoins des populations des pays qui son t

obligés d'adopter des modèles de production orientés vers l'exportation,

perpétuant ainsi les déséquilibres déjà existants. De plus, elb obligent

également les Etats à opérer un ensemble de compressions dans leurs

dépenses publiques notamment dans celles de la santé et de l'éducation qui

frappent de plein fouet les pauvres, et encore plus les femmes (notons que

l'on ne peut pas attendre un renversement de ces tendances avec 1a

nouvelle soi-disant panacée des actions de compensation dirigées vers les

pauvres puisque les options de fond restent inchangées). Enfin, les

décisions souveraines des Etats sont désormais entre les mains des

créanciers ce qui les placent dans une situation de dépendance accrue (p a r

exemple tout pays qui accepte un programme PAS doit en même temps

s'engager à mettre en place des politiques de limitation de la fécondité. La

fécondité devient ainsi un enjeu géo-politique. On peut donc affirmer, san s

crainte, que le remboursement de la dette ainsi que les PAS constituent 1e

plus récent mécanisme d'exploitation du sud par le nord.

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- 2 - c'est dans ce contexte politique et économique global que les femmes

du nord comme du sud ont mené leurs actions dans le cadre du

développement. Non seulement elles ont appris, grâce à l'identification de

plus en plus précise du système d'obstacles auquel elles devaient faire f ac e,

à se battre mieux, à imposer de nouvelles stratégies mais aussi elles 0 n t

infléchi leurs revendications vers des objectifs plus politiques. En effet

elles ont reconnu qu'un changement profond et durable de la situation des

femmes serait acquis si, et seulement si un autre modèle de société, plu s

juste, plus égalitaire, plus solidaire et plus démocratique était mis en place

à travers le monde. Cela implique de ne pas se contenter de "projets

spécifiques femmes" qui n'agissent, dans le meilleur des cas, que sur une

infime partie de la vie des femmes mais, au contraire, d'affronter dans son

entier la chaîne causale qui perpétue leur subordination .

Les différentes approches ou politiques utilisées pour que les

femmes deviennent des partenaires égales dans le développement sont les

suivantes (leur énumération ne suit pas un ordre d'apparition puisque

certaines sont parfois utilisées en même temps):

- l'approche b je n - ê t r e est la politique la plus ancienne et encore 1a

plus populaire: politiquement neutre elle ne remet pas en cause 1a

subordination des femmes. Elle cherche à aider les groupes les plus

vulnérables, où sont placées les femmes, en donnant la priorité à 1a

production industrielle et agricole à capital intensif, et en créant des

emplois pour les hommes. Les problèmes des femmes sont pris en main par

des ministères marginaux, des petites ONG. Selon C.Moser, cette approche

est fondée sur trois présomptions: les femmes sont des bénéficiaires

passives du développement, la maternité est le rôle le plus important pou r

les femmes et l'éducation des enfants est leur tâche la plus effective. Cette

approche se concentre donc sur la famille dans laquelle la femme est u n

agent de reproduction et l'homme un agent de production. Le principal

défaut de cette approche est de considérer que les caractéristiques

biologiques des femmes constituent à elles seules le problème et qu'il suffi t

d'influencer leur comportement pour le résoudre au lieu de leur donner

les moyens de transformer leurs rôles. Elle crée chez les femmes, v u es

comme des bénéficiaires et non comme des actrices, une dépendance

dommageable.

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- l'approche éealité, définie en opposition à la première, met l'accent

sur le rôle fondamental des femmes comme actrices à part entière dans 1e

processus de développement. Elle vise à réduire l'inégalité entre les

hommes et les femmes, surtout dans le domaine de la di vision du t ra vail

fondée sur le genre, et à augmenter l'autonomie politique et économique

des femmes. La difficulté de cette approche consiste à indiquer a ve c

précision les indicateurs permettant. de mesurer le degré d'augmentation

ou de diminution de l'égalité pour évaluer le succès d'un programme.

- l'approche anti-pauvreté, relie l'inégalité économique des hommes

et des femmes non plus seulement à hi subordination mais à la pauvreté. Il

faut donc augmenter la production des femmes pauvres, accroître 1eu rs

possibilités d'emploi et les occasions de gagner un revenu. Cette approche

reçut beaucoup de critiques y compris de la part des autorités nationales

qui croyaient déceler, dans ces tentatives, une menace de modifier

l'habituelle division du travail, base de l'ordre établi. On a également

reproché à cette orientation d'ignorer les rôles de reproduction des

femmes, leurs contraintes culturelles et sociales. La mauvaise foi de ces

reproches est facilement décelable et compréhensible.

- l'approche efficacité prédomine aujourd'hui. Elle considère les

femmes comme des ressources humaines sous-utilisées qui doivent être par

conséquent mieux intégrées dans le processus de développement afin de

mieux utiliser leurs différents potentiels. Cette approche part du p ré­

supposé qu'une meilleure participation économique des femmes 1e ur

confèrera automatiquement un meilleur statut leur permettant ainsi

d'atteindre progressivement l'égalité avec les hommes. Cette approche est

très discutée car elle repose, dit-on, sur trois présomptions discutables: une

participation économique accrue des femmes pourrait assurer l'égalité (de

nombreuses études montrent que ce n'est pas automatique); les fe m mes

auraient des disponibilités pour fournir un travail additionnel (toutes les

études y compris celles des budgets-temps, montrent qu'elles travaillent

déjà au moins 4 ou 5 heures par jour de plus que les hommes); les femmes

n'auraient pas encore été touchées par le développement. De surcroît, elle

ignore une autre charge de travail, très importante et incompressible,

celle qu'elles assument pour la reproduction et la production .

- l'approche "attribution du pouvoÎr"(empowermenO semblable à

l'approche égalité, est la plus récente. Contrairement à la première, issue

des féministes occidentales, elle est fondée sur l'expérience et la réflexion

des féministes du Tiers Monde. Elle souligne le rôle que l'oppression

coloniale et néocoloniale a joué dans la subordination des femmes et veut

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aider ces dernières à accroître leurs forces et à obtenir le pouvoir au que 1

elles ont théoriquement droit. Cette approche distingue les stratégies à

court et à moyen terme reposant sur les réalités des relations déterminées

par le genre. Les premières sont destinées à apporter une réponse a u x

crises actuelles dans la production alimentaire, dans les secteurs de

l'emploi formel et informel alors que les secondes cherchent à identifier

les structures d'inégalité entre les genres, les classes et les nations pou r

pouvoir les dépasser.Cette approche, très politique, n'a pas encore reçu,. 0 n

s'en doute, beaucoup d'appui ni de la part des gouvernements ni de celle

des agences multi et bilatérales.

Ce qui précède fait apparaître la force des résistances qui s'opposent

à l'émergence d'une véritable égalité entre les hommes et les femmes,

point de départ nécessaire à l'obtention d'un pouvoir partagé. Face à ces

résistances, les femmes se sont efforcées d'une part d'élaborer un appareil

critique de l'action et des politiques qui la sous-tendent et, d'autre part, de

placer cette critique dans le cadre d'un système conceptuel plus fin et plu s

pertinent au centre duquel se place la notion de genre. Cette dernière e n

permettant de dépasser la fausse immuabilité des rôles féminins, débouche

sur des analyses plus efficaces puisqu'elle identifie mieux les raisons des

blocages, des résistances, des complémentarités, des conflits, à court et à

moyen terme, entre les hommes et les femmes. Elle permet donc égal e men t,

et ceci en amont de l'action, que soient mieux adaptés à la réalité tous les

mécanismes de planification et d'évaluation des politiques et des actions,

les mesures nécessaires concernant l'harmonisation du droit coutumier et

du droit moderne dont l'actuelle juxtaposition est source de conflits et de

retards (Moser. C, 1993) .

Il faut revenir sur les principaux points des critiques

auxquelles on a fait allusion:

- l'utilisation de l'argument culturel pour "camoufler" le refus de

faire quoi que ce soit en vue de l'amélioration du statut des femmes

(Schrijvers.J, 1985); les nationaux refusent souvent d'introduire une

innovation, même garantie par la loi, qui pourrait aider les femmes sous 1e

fallacieux prétexte de la "coutume" c'est-à-dire de la culture.

Imposer les cultures de rente auprès des hommes qui 0 n t

bouleversé aussi profondément que gravement les structures familiales

n'induit, semble-til, chez les développeurs aucun problème culturel alors

que l'introduction du moindre petit puits pour les femmes leur pose aussitôt

un cas de conscience, toujours culturel, sous le prétexte qu'on ne doit pas

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intervenir en risquant de changer les modèles en vigueur. Cet us age

relativiste de la culture, étroitement corrélé à l'idéologie andocentrique des

développeurs,est hautement préjudiciable au succès des politiques de

développement qui considèrent les femmes comme des participantes

actives. C'est ce que Schrijvers appelle "l'effet sandwich": paradoxalement,

les revendications des femmes sont tout autant ignorées des conservateurs

pour lesquels les femmes n'ont rien à voir avec l'économie et la production

que par les hommes de gauche soudain passionnément attachés à ces

valeurs culturelles qui, dans les phases de mutation historique, d én i e n t

souvent aux femmes leurs droits fondamentaux.

A cette mauvaise foi systématique, on ne peut qu'opposer 1a

croissance du nombre de mouvements de femmes dans le Tiers Monde qui

ont réclamé, dans le cadre de leurs cultures respectives, que les droits des

femmes soient reconnus à l'exemple des droits de l'homme afin de

permettre leur émancipation politique et économique. Cette reconaissance

fut accordée lors de la Conférence de Beijing, en 1995.

- la mise en évidence de la triple journée de la femme (Moser.C,

1989). On a déjà dit que la femme doit accomplir, et ceci pre s que

universellement, son travail de reproductrice et de productrice. A cela il

faut ajouter le travail lié à la gestion de la communauté, en zone urbaine et

rurale. Les confrontations entre une organisation communautaire et les

autorités locales, les pressions que les femmes organisées de la bas e

exercent sur l'Etat ou sur une ONG pour obtenir l'installation de crèches, de

postes de santé, de programmes de construction populaire son t

principalement le fait des femmes qui se mobilisent massivement et

efficacement, considérant ce travail comme une extension de leurs tâches

domestiques. Ce qu'il faut souligner ici c'est que les femmes sont

sévèrement contraintes, dans l'organisation de leur temps, par l'obligation

d'équilibrer simultanément ces trois rôles. Or, le temps des femmes, toutes

les études le soulignent, est leur ressource la plus rare (Whitehead. A and

BJoom. H, 1992).

- la remise en cause d'un concept utlilisé abondamment, celui du

"besoins des femmes": jusqu'à quel point les femmes ont-elles des

intérêts communs et identifiables dans des espaces sociaux différenciés (

par exemple des mères ouvrières ou des femmes de fermiers ou des femmes

travaillant dans J'économie informelle) ? On se réfère généralement, de

manière assez floue, aux différences entre les femmes actrices sociales

alors qu'il faudrait également s'intéresser à celles qui séparent les femmes

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regroupées

problème d'

dans des catégories déterminées par le genre. Il s'ensuit u n

identification de ces différents types de besoins.

Une autre difficulté vient du fait qu'il n'existe pas u n

consensus sur les principales structures qui informent (donnent forme) 1a

vie des femmes et déterminent leurs problèmes. Pour certaines, le coeur du

problème réside dans l'inégalité entre les groupes sociaux qu'elle soit

structurée par les classes, l'ethnie, la religion ou le genre. Si l'on adopte ce

point de vue, très présent dans la littérature sur les femmes face au

développement, les différences entre les vies des femmes et des hommes à

l'intérieur d'un même groupe sont moins importantes que celles entre les

différents groupes de femmes et d'hommes. Pour les autres c'est à dire 1a

majorité de la littérature féministe, toutes les femmes, dans une culture

donnée, partagent une expérience commune de la subordination fondée

sur la division sexuelle du travail (qui leur attribue les tâches de 1a

reproduction de l'unité domestique et les exclut du profit des valeurs et du

pouvoir sociaux) et sur l'organisation de la sexualité et de la procréation

(qui permet l'appropriation des capacités de reproduction biologique des

femmes, limitant leur autonomie et leur liberté d'action). En fait, la na t u re

de la dynamique de la subordination des femmes est encore mal comprise

en grande partie parce que les formes de cette subordination varient

beaucoup selon les cultures. Il reste donc difficile de découvrir la logique -

d'établir une théorie générale - de la différentiation sociale entre les

hommes et les femmes et par voie de conséquence de proposer des

politiques qui aient des effets prévisibles et bénéfiques dans toutes les

cultures.

- la planification pour les femmes pauvres, les plus nombreuses, doit

être fondée sur leurs intérêts c'est à dire sur leurs préoccupations qui

doivent être hiérarchisées pour pouvoir être traduites en objectifs de

planification. Pour ce faire il est nécessaire de distinguer les intérêts

pratiques et les intérêts stratégiques déterminés par le g e n r e

(Moser.C, 1989). Les besoins stratégiques déterminés par le genre son t

formulés à partir de l'analyse de la subordination des femmes aux hommes

( ils varient donc selon le contexte culturel et sociopolitique) et identifiés

comme une alternative, une organisation plus satisfaisante de la société.

Historiquement, il est prouvé que la capacité de s'opposer à la nature de

l'inégalité déterminée par le genre ne peut venir que de la lutte des

femmes à la base et non des seules interventions de l'état.

Quant aux besoins pratiques déterminés par le genre, ils sont formulés à

partir des situations concrètes de la vie des femmes, de leur expérience

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modelée par le genre dans la division sexuelle du travail. Contrairement

aux autres, ces besoins peuvent être formulés directement par les femmes

car ils répondent à une de leurs nécessités immédiates soit dans le domaine

de la vie domestique, soit dans le domaine économique, soit dans le domaine

communautaire. Ces besoins pratiques satisfaits peuvent, dans certains cas,

déboucher sur la formulation des besoins stratégiques. On comprend

aisément l'importance de la distinction entre ces deux types de besoins

dans les approches "efficacité" et "attribution du pouvoir".

- de façon plus générale on critique le fait d'avoir . présumé que

l'ensemble institutionnel, international et· national, dont la fonction est de

traiter du développement ait été de nature à pouvoir contribuer au

développement et à la libération (n'oublions pas le mot égalité dans les

objectifs des deux Décennies) des femmes. En réalité, cet ensemble

d'institutions devrait transformer profondément ses approches et son

idéologie en même temps qu'un nombre accru de femmes devrait y

travailler pour qu'il soit capable de remplir les objectifs qui lui ont été

assignés. Jusqu'à présent, les termes de référence destinés à l'i ntégration

des femmes sont décidés par des hommes, les femmes étant encore t r 0 p

souvent absentes des organes de décision quels que soient leurs ni veau x

(Les femmes dans le monde, 1970- 1990).

Une interrogation qui s'est fait jour assez rapidement n'a cessé de

s'amplifier: le développement tel qu'on l'entend communément

correspond-il à celui que les femmes souhaitent?

C'est ainsi qu'à Nairobi les discussions entre les femmes du monde

entier ont rejeté les bases idéologiques de la stratégie d'intégration en

faveur d'une autre stratégie non seulement destinée à ouvrir un espace 0 Ù

les femmes pourraient définir les changements qu'elles désirent mais aussi

à construire un monde où les êtres humains pourraient vivre mieux.

Utopie? Certes, mais seules les utopies réussissent à transformer la réalité.

Utopie sans aucun doute lorsque l'on considère, 10 ans après Nairobi, 1e

contenu, presque identique. de l'introduction de la Plate-Forme d'Action

destinée à la 3ème Conférence Internationale de Beijing. Après a v oi r

réaffirmé que l'égalité entre femmes et hommes n'est pas seulement une

question de justice mais le seul moyen de construire un monde meilleur, les

auteurs énumèrent les principaux obstacles qui s'opposent à 1a

participation des femmes dans toutes les sphères de la vie y compris

l'économique et la politique: féminisation croissante de la pauvreté, accès

inégal à l'éducation. aux soins de santé, effets de la violence dont celle des

conflits armés sur les femmes. accès inégal à I~ définition des structures

69

j.

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économiques, des politiques et du processus productif, accès inégal au

partage du pouvoir et aux prises de décision, mécanismes insuffisants pou r

promouvoir à tous les niveaux l'avancement des femmes etc

Il semble donc évident que le processus de prise de conscience,

commencé officiellement en 1975 débouche depuis déjà quelques années

sur le renforcement du concept d'autonomie sans lequel il ne peut exister

de véritable égalité. Bien sûr, si l'a~tonomie est un but en soi sur le pla n

personnel, elle est aussi une méthode sur le plan théorique et

organisationnel; cela implique que les femmes ne veulent pas créer u n (

mouvement séparé du reste de la société mais qu'elles revendiquent, de,

manière légaliste, __ .de_ participer, sur des bases égalitaires et de façon )r-- - -. "~ .._--- --,--' - ....._- -

autonome, à la définition politique d'un autre développement qui n e

s'accompagnerait plus d'une détérioration de leurs conditions de vie, de

celle de leurs enfants et de leurs familles. C'est la raison du choix qui

privilégie l'inclusion des femmes dans les grands projets .inscrits dans les

politiques des pays (mainstream projects) et qui refuse les "projets

femmes" qui les marginalisent et les tiennent à l'écart. Réunies avant 1a

Conférence de Rio sur l'environnement, elles ont rappelé dans un texte

appelé "Agenda 21 des Femmes" qu'un environnement sain et durable

exige la paix mondiale, le respect des droits humains (c'est à dire les droits

des hommes et des femmes), la démocratie participative, l'au to­

détermination des peuples. Peut-on leur donner tort ? peut-on persister à

penser que de tels objectifs puissent être réalisés sans les femmes ?

Entre Nairobi et Beijing, le discours des féministes du Nord et

du Sud renvoie de plus en plus à la contradiction structurelle entre les

politiques néo-libérales mises en oeuvre et l'apparente volonté de produire

des politiques centrées sur les personnes; le Sommet Social de

Copenhague en 1995 a montré les limites de cette contradiction. Etablir

des priorités dans tous les secteurs possibles sans remettre en cause

l'intouchable priorité économique nous rassure sur notre volonté de

justice mais ne résout pas le problème. "Nous avons besoin que 1e

féminisme s'établisse à une échelle globale". Cette revendication fu t

massivement exprimée lors de la Conférence de Beijing et ne cessera de se

développer dans les années à venir et de gagner du terrain. En effet, grâce

à la mise en relation de plus en plus efficace des nombreuses associations

féministes aussi bien nationales qu'internationales, on voit s'inventer sous

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nos yeux une nouvelle forme de démocratie, la démocratie en réseau.

L'avenir dira si cette "citoyenneté planétaire" permettra aux femmes de

conquérir, enfin, le droit d'être, au même titre que les hommes, les sujets

des "Droits de l'Homme".

4.2 RELATIONS DE GENRE ET DEVELOPPEMENT:TENSION ENTRE

DEUX SAVOIRS

Deux savoirs, deux compréhensions s'affrontent: un savoir

universel qui fonde le pouvoir -celui des hommes- et un savoir naissant ­

celui des femmes- qui, malgré l'hostilité ou l'indifférence dont il est

entouré, construit progressivement son axiomatique, s'impose dans 1e

discours dominant par la critique épistémologique qu'il en fait.

Si l'on considère les deux dates 1945-1995 et que l'on regarde,

comme on vient de le faire ce qui s'est passé nationalement et

internationalement avec les femmes dans les pays du Sud, on ne peut être

que frappé par les raccourcis étonnants que l'histoire du développement

présente. Cette histoire courte offre un miroir grossissant, un prisme

déformant de la problématique des femmes depuis des siècles. Accélération

historique rendue encore plus sensible grâce à la caisse de résonnance

constituée par le système des Nations Unies et par la mondialisation de

l'économie.

On est au théâtre et, comme au théâtre, l'intrigue se déroule

rapidement (40 ans au lieu de 20 siècles), les traits des caractères sont

exagérés, les personnages typés. leurs rôles s'inscrivent dans un texte dont

on connaît la' trame, l'intrigue se déroule avec ses heurts, ses

retournements, ses lenteurs selon les lois du destin. L'originalité de 1a

pièce? la coexistence aporétique d'un passé très ancien qui perdure encore

où les femmes sont invisibles en tant qu'acteurs sociaux et d'un présent 0 ù

le discours féministe revendique leur existence. Discours féministe in s c ri t

depuis longtemps, au Nord, dans une pratique, dans le cadre juridique de

droits acquis, même si ces derniers, obtenus dans un climat de gue r re

froide, restent soumis à de possibles retours en arrière (Fa1udi.S, 1991) et

celui, semblable et différent car plus récent, du Sud.

Le discours du développement, principalement proféré par

des hommes blancs, développeurs, planificateurs, fut et continue d'être

relayé puissamment par celui des responsables nationaux qui partagent,

avec tous les hommes, les mêmes idées sur la femme. Tous sont unanimes à

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ne voir en la femme, en dépit des faits, qu'une ménagère et une éducatrice.

On ne saurait sous-estimer cette cécité structurelle masculine: au Congo,

lors d'entretiens avec une paysanne (dans ce pays les femmes sont les

agricultrices) et d'une sage-femme en présence de leurs maris, ce sont ces

derniers qui, contre toute logique, veulent répondre aux questions précises

que je pose; je dois intervenir fermement pour qu'ils laissent parler celles

qui savent et dont ils savent, bien évidemment, qu'elles savent. On ne peu t

écarter cet exemple (un parmi tant d'autres) en disant naïvement qu'il est

humoristiquement paradoxal car cette cécité non seulement constitue 1e

plus fort pilier de la domination mais fonde aussi l'échec de tant de projets

de développement:

- on forme des hommes à la culture du riz alors que dans cette région ce

sont les femmes qui en furent toujours responsables (Dey. J, 1980); elles

perdent du fait de cette inversion l'usufruit des terres à rizière et doi vent

travailler au projet comme simple main-d'oeuvre familiale non rémunérée

tandis que leurs maris continuent à faire tout autre chose. Le projet est

abandonné au bout d'un certain temps lorsque les femmes se refusent à

continuer de travailler pour rien. Le même projet conçu au bénéfice des

femmes eut très bien marché.

- dans les zones à karité, ce sont les femmes qui, de tout temps, ont ceuilli

et transformé les fruits (travail très long quand il est effectué à la mai n)

pour en faire du beurre destiné à la consommation familiale et à u n

commerce relativement lucratif. Mais on décide de moderniser, à l'aide de

machines, la fabrication du beurre lorsque ce produit commence à être

utilisé dans la composition des cosmétiques. Qu'arrive-t-il ? A partir du

présupposé que seuls les hommes, même ceux qui n'en n'ont jamais vu,

sont capables de comprendre le fonctionnement des machines et de les

utiliser, la production devenue nettement plus rentable grâce à 1a

mécanisation, passe alors aux mains de ces derniers. Les femmes devront se

contenter de la ceuillette, gratuite, et chercher d'autres activités lucratives

notamment pour acheter un oléagineux de remplacement, cher car non

produit sur place, afin de faire la cuisine. Il faut répéter ici que, d' une

façon générale, les hommes redistribuent beaucoup moins leurs bénéfices

pour leurs familles que les femmes (d'innombrables études dans le monde

entier l'attestent) faisant passer la satisfaction de leurs besoins personnels

en premier.

Dans les deux exemples, les décisions prises par

développeurs apparaissent linéaires et rationnelles mais sont en

simplificatrices et réductrices puisqu'elles ignorent l'existence

72

les

fait

d'une

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multirationalité apportée par le travail des femmes et qu'elles en t ra în e n t

ainsi des effets négatifs qui agissent en synergie (Sfez.L, 1984). Les femmes

préconisent un autre type de décision, prenant en compte les intérêts des

deux genres, leurs égales possibilités d'apprentissage dès la conception du

projet qui doit être défini avec les hommes et les femmes.

Un discours porteur de dysfonctionnements graves s'oppose à

un autre plus soucieux de cohérence sociale et économique. Les études

menées par les femmes sur les effets, différenciés sel,on le genre, de

l'aggravation des situations économiques dues aux crises et aux PAS

commencent (Unicef, 1987; Gladwin Christina H, 1991) à faire osciller 1a

résistance monolithique des hommes à considérer que les femmes sont

incluses, si l'on peut dire, dans l'homo economicus. En fait, l'enjeu n'est pas

mince. Grâce à leur triple journée de travail, elles amortissent, quelque

peu, pour leur famille et leur entourage le choc de la grande pauvreté.

Quand on examine ces faits, on ne peut bien évidemment

penser sérieusement qu'il s'agit d'un complot, consciemment ourdi par les

hommes chargés du développement contre les femmes. Il faut plutôt, dans

un premier temps, se tourner vers l'histoire des mentalités caractérisée

"par les éléments inertes, obscurs et inconscients d'une vision du monde

déterminée. Les survivances, les archaïsmes, l'affectivité, l'irrationnel;

tout cela délimite (son) champ" (Ginzburg.C, 1980) et détermine plus 0 u

moins inconsciemment celui du discours masculin.

La fécondité des femmes offre un autre exemple. l'un des plu s

évidents, de l'emprise masculine sur la réalité féminine.

Depuis l'émergence des grandes peurs de l'Occident devant 1a

poussée démographique des pays pauvres, l'autorité du Nord n'a fait que se

renforcer puisque bien des pays doivent accepter la limitation des naissances

pour obtenir des crédits de l'aide internationale: c'est par exemple l'une des

conditions de l'obtention des prêts accordés dans le cadre des politiques

d'ajustement structurel. Les Etats, gouvernés par des hommes imposent 1e u r

loi, au nom d'intérêts soi-disant supérieurs, avec autoritarisme,

irresponsabilité et sans tenir compte des désirs et des besoins des femmes.La

fécondité est devenue un enjeu géo-politique.

En Chine, la politique de l'enfant unique crée parallellement 8

millions d'enfants dits "hors-plan", non déclarés, dont on peut se demander

quelle sera leur intégration.

En Iran, une série de mesures entraîne une baisse du taux de

croissance de la population de 3,1 à 2,7% entre 1966 et 1976. Mais la révolution

islamiste impose des changements juridiques et sociaux dont la conséquence

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est l'augmentation du taux de croissance de 2,7 à 3,8% en 1986, soit dix ans plus

tard.On comprend la brutalité des mesures.

Singapour donne un exemple criant du conflit entre po li tique

démographique et justice sociale tout en montrant une tendance

extrêmement dangereuse vers l'eugénisme: en effet, l'état a instauré depuis 5

ans une politique différenciée en fonction des catégories socio­

professionnelles: la fécondité ayant baissé, on encourage les riches à a v 0 i r

des enfants tout en décourageant les pauvres de procréer et cette politique

discriminatoire s'appuie sur une série de mesures concernant· par exemple

l'accès au logement, aux allocations familiales.

Cet exemple ne doit pas être considéré comme une exception mai s

plutôt comme l'avant-garde d'un vaste mouvement de sélection biologique

dont nous pouvons voir les premiers signes avec la mise en oeuvre des NTR,

nouvelles techniques de procréation, dans les pays riches. La volonté

eugénique n'est pas morte.

Il faut mentionner ici le cas des mères célibataires: 30% des familles

dans le monde sont dirigées par une femme: augmentation lourde de sens sur

l'effondrement de ce que l'on pensait être les piliers inamovibles de 1a

famille. Sous le coup des crises économiques, des guerres avec leur cortèges

de réfugiés (80% sont des femmes), et des violences, le modèle familial, si

rassurant pour le pouvoir masculin, se fissure, se délabre et met à nu des

contradictions de plus en plus insupportables du point de vue de l'équité, de 1a

justice. Par exemple, les mères adolescentes dont le nombre ne cesse

d'augmenter sont l'objet de mesures de rétorsion fondées sur le retour d' u n

moralisme puritain particulièrement aux USA, que l'on croyait disparu et qui

fait d'elles et de leur dépravation les seules responsables de leur grossesse.

Les violences de toutes natures (physiques, psychologiques) fai tes

aux femmes est en train de se constituer sous l'action conjuguée des

recherches abondantes et de la constitution d'institutions, gouvernementales

ou non, comme l'un des thèmes majeurs de la fin de ce siècle. A l'automne

1996 par exemple aura lieu une grande rencontre internationale en

Angleterre dont le titre, révélateur de la globalité de l'approche, est:

"Violence,mauvais traitements et citoyenneté des femmes"

Que ce soit l'eugénisme, la stérilisation, le planning fami liaI,

obligatoire ou défendu, la remise en cause incessante du droit à l'avortement

qui se heurte au refus aussi obstiné qu'obsessionnel des forces c onserv atri c es

et religieuses, où se trouve la volonté des femmes, la maîtrise de leurs corps ?

Des millions d'entre elles, des millions de femmes pauvres n'ayant pas 1a

possibilité d'utiliser des contraceptifs ne peuvent exercer leurs droits d'être

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humain, de personne responsable et cela constitue un scandale dont n e

parlent pas les grandes institutions d'aide qui se limitent à un discours q u as i

abstrait préconisant la réduction des naissances pour améliorer la santé et le s

conditions socio-économiques des femmes. Ce qui est vrai mais insuffisant.

La fécondité, la maternité doivent, pour être comprises dans leu rs

relations avec le monde, s'analyser en termes de pouvoir.

Le régime binaire licite/illicite qui régit. la sexualité (Foucault.M,

1976) apparaît clairement tout en se compliquant. En effet, aux interlocuteurs

traditionnels (Etats, chefs de famille) il faut ajouter, nous l'avons vu, les

instances internationales (BIRD, FMI, FNUAPS etc) qui exercent de fortes

pressions sur la volonté et le désir des premiers complexifiant ainsi les li e n s

de dépendance. L'éloignement des centres de décision accroît l'abstraction du

système de surveillance et de régulation. Abstraction ne veut pas di re

impartialité dans la mesure où elle est informée par des schèmes mentaux

archaïques. A tel point que la femme, toujours considérée comme 1 a

seule responsable du nombre d'enfants, constitua et constitue

encore l'unique cible des programms de population. Conception à la

source de nombreux échecs. Inversion étrange mais signifiante qui accorde,

dans l'obscur domaine du sexe, la décision rationnelle aux femmes qui sont

justement condamnées socialement à cause de leur irrationali té, ce qu' 0 n

appelle aussi leurs comportements instinctifs.

Dans ce domaine de la fécondité, les chercheuses et praticiennes

commencent à se faire entendre, à faire entendre raison; elles revendiquent

leurs droits en matière de sexualité et de procréation. La Conférence de

Beijing leur accordera, enfin, d'être des sujets de droit en reconnaissant 1e

droit à la santé reproductive . Mais l'on sait que dans ce domaine, encore plu s

que dans les autres, la mise en oeuvre de politiques nouvelles est toujours

longue et la pérennité des accords toujours fragile.

Deux discours s'opposent: le masculin fondé sur la néces s i té

d'aménager une sexualité économiquement utile et politiquement

conservatrice, le féminin s'appuyant sur la nécessité d'aménager enfin une

sexualité humainement non destructrice et respectueuse des relations en t re

les deux genres.

L'analyse de la tension entre deux savoirs, dans le champ du

développement, ne serait pas complète si l'on n'abordait pas la question du

progrès et de la tradition.

Le développement, lié à un progrès linéaire et continu se veut u n

concept neutre; la tradition souvent assimilée à la culture et opposée au

changement fait l'objet d'un traitement différencié selon les sexes.

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Personne ne questionne la validité et la nécessité d'apprendre aux

hommes paysans de nouvelles techniques culturales: usage de pesticides et

d'engrais, de semences sélectionnées, de la culture attelée, introduction de

produits d'exportation tels le coton ou le café qui entraîne dans les faits une

forte désorganisation de la division sexuelle du travail et, par conséquent,

une transformation des structures familiales et parfois des règles d'héritage

avec l'évolution des sociétés matrilinéa~res vers la patrilinéarité. Mais tout 1e

monde concorde pour dire qu'il serait dangereux, lorsqu'il s'agit des femmes,

de toucher à la tradition: elles doivent rester mères et ménagères, ne pas aIle r

à l'école, ne pas apprendre à mieux cultiver les terres dont elles recoivent

l'usufruit pour améliorer le bien être de leur famille, ne pas accéder au crédit

sous peine de bouleversements culturels qui mettraient en danger l'ordre

social.

Avant d'analyser ces opposItions, un exemple parmi tant d'autres: 1a

brousse reculée d'un pays africain où seules les femmes ont la charge de 1a

culture des vivriers, de leur transformation pour l'alimentation familiale et

le commerce. Elles accomplissent tous les travaux à la main,

traditionnellement, sans recevoir le moindre appui qui pourrait les aider à

améliorer leur productivité pour faire face à l'ensemble de leurs devoirs.

Néanmoins un projet est conçu pour elles. En quoi consiste-t-il? On 1eu r

impose de rencontrer une fois par mois une monitrice qui vient 1eu r

apprendre à tricoter, et qui plus est, à tricoter de la laine (la monitrice

amène des pelotes pour la démonstration) qu'elles ne peuvent évidemment

pas acheter, faute d'argent.Ces femmes assistent au cours et se lamentent

auprès de moi de devoir gâcher un temps si précieux qu'elles pourraient

utiliser à faire quelque chose de plus rentable.

Quelques constatations:

- la valeur de la tradition, de la culture n'est donc pas déc 1inée

pareillement selon qu'on s'adresse aux hommes ou aux femmes ce qui laisse

supposer qu'elle est formée de deux sphères différentes et intangibles. Quelle

théorie de la culture peut rendre compte d'une si extraordinaire dichotomie?

II faut souligner que cette dichotomie, dans les pays du Tiers Monde, est toute

récente; auparavant, le niveau technique et économique des hommes et des

femmes était semblable, ce sont les projets de développement qui introduisent

la scission. En cela les développeurs révèlent, avec cette candide imposition

de l'inégalité, qu'ils font abstraction de l'évolution des femmes dans les

sociétés occidentales. Le fantasme du "bon vieux temps" retrouvé est dans leur

camp. Ce n'est plus le progrès mais la régression qu'ils imposent sans m ê me

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se donner la peine de se justifier. Contrairement à ce que dit Héraclite, 1e

temps des femmes est le seul à être arrêté.

- les femmes que l'on met toujours du côté de la nature (être non doué d'une

intelligence suffisante, de raison à cause de son immersion diffuse dans une

sorte d'irrationalité congénitale) se voie, par un coup de baguette magique,

assigner au rôle de gardienne de la culture, sous les espèces du tricot, dan s

notre exemple, technique parfaitement inconnue des africaines sur

l'ensemble du continent. Mais le tricot, toujours fait par les femmes

occidentales "pour passer le temps" n'acquiert-t-il pas ainsi un statut

ambivalent de culture-nature? Un pas de plus permet de dire que lorsque la

femme fait un acte technique, donc culturel, elle le transforme de par son

incapacité innée en acte naturel. C'est d'ailleurs ce que disait une publicité en

Malaisie pour attirer les investisseurs étrangers: . une femme est mie u x

qualifiée par nature et par héritage "biologique" à l'efficacité d'une

production d'assemblage. On n'accorde la culture à la femme que dans la

mesure où elle n'est, aux yeux des hommes, qu'un avatar de la nature.

- Ce sont des hommes qui ont été responsables du développement et des

projets. On doit se demander, et cette question n'a rien de rhétorique, par

quelle abberration mentale ils ont refusé de voir, tout simplement, que leu r

rêve passéiste contredisait si ouvertement la réalité, finançant, très

faiblement il est vrai, des actions comme celle de l'apprentissage du tricot. Ne

faut-il pas plutôt reconnaître que dans ce type d'exemple, drôle et tragique, ce

sont les hommes qui adoptent une conduite "naturelle".

N'est-ce pas encore la nature masculine qui rend si difficile

d'obtenir que soient révisés les questionnaires de recensement afin de faire

apparaître, par exemple, le travail féminin ou le nombre de femmes chefs de

famille? Les données actuelles sont encore très fragmentaires et incomplètes.

Reconnaître que les femmes puissent être entièrement responsables de leurs

enfants est , selon eux, métaphysiquement plus dangereux que de leur donner

le droit de vote car c'est accepter une identité de culture entre les hommes et

les femmes et cela au coeur de l'institution sociale.

Les hommes sont soumis, eux aussi, dès leur plus jeune âge à

l'apprentissage de la domination et, de ce point de vue, l'exercent aussi

"naturellement" que les femmes la subissent. Admettre, analyser cette

"nature" masculine permet, en complexifiant le problème, non seulement

d'apporter un peu d'ordre dans la confusion venant de l'usage discriminatoire

du terme mais aussi de mieux comprendre l'acharnement avec lequel des

hommes intelligents ont crée, amplifié des dysfonctionnements socio­

économiques pour concevoir la domination masculine selon d'autres termes.

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Sur cette nature masculine pèsent de très vieux schèmes mentaux que l' 0 n

croit oubliés telle l'opposition chaleur-dynamisme! froid-passivité qu' 0 n

évoquait au Chapitre III. Le dévelopement est une affaire d'hommes qui

possèdent en eux l'énergie sociale nécessaire pour impulser le change me n t,

l'orienter, le faire naître. Ce sont eux seuls qui fécondent la femme, comme on

l'a cru si longtemps, et, qui fécondent le monde. L'histoire du développement,

ramassée sur un temps très court, permet de mettre au jour ce type de

rémanence.

Reconnaître la "nature" masculine permet également de mieux

comprendre une autre contradiction: en voulant obstinément que les femmes

restent les gardiennes de la tradition et de ses valeurs, les hommes nient 1e

changement qu'ils revendiquent. Ils souhaitent le progrès, sans aucun dou te,

mais ce progrès s'inscrit dans une dualité qui le rend très difficile à atteindre

puisque seules les femmes sont assignées à la stagnation. Ce schéma a

fonction né durant des siècles mais de manière douce, permettant d' ail 1e urs

une réelle évolution. Avec la contraction temporelle il montre une décadence

inacceptable, et par là-même dénoncée de plus en plus vigoureusement.

Le cadre général et les grandes tendances qui s'y in scri ven t

apparaît d'autant plus sombre que les femmes ont pris la parole, décidées à

démontrer les manques, les failles qui, dans tous les domaines -de la famille à

l'économie globale- continuent à disqualifier les femmes.

En 1969, M. Foucault notait que depuis les années 30 se faisait j 0 u r

une attirance vers les phénomènes de rupture permettant enfin de dissocier

les longues séries de l'histoire des idées ou des mentalités collec ti ves

(Foucault. M, 1969); cette tendance accompagne la crise de l'autorité, c'est-à­

dire de l'ordre hiérarchique qui entraîne elle aussi une discontinuité

(Arendt, H, 1972).11 recommandait, en s'y essayant lui-même, de "mettre ho r s

circuit les continuités irréfléchies" par lesquelles on organise, par avance, 1e

discours qu'on entend analyser. C'est un des buts de l'analyse et du combat

féministes, particulièrement révélateur dans le contexte du développement.

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CHAPITRE V

L'EXCLUSION MOTEUR DU CHANGEMENT

La construction populaire au Brésil

Migration féminine à Sao Paulo et Changements

Les rôles de l'équipe technique architecturale d'un Mouvement

Populaire d'Habitation

La culture de ceux qui n'en n'ont pas: un mouvement populaire

d'habitation

Comment être pauvre et citoyen

Pauvreté, exclusion et citoyennet&

Impact de la mobilité sur le statut des femmes

Uma casa

La thématique femmes s'inscrit, j'ai tenté de le montrer, dans u n

ensemble de paradoxes dont on ne doit pas sous-estimer les liens structurels

qui les font naître, les renforcent et les font perdurer, produisant ainsi u n

phénomène global d'exclusion auquel les femmes sont affrontées, repris et

amplifié par les politiques de développement, gravement préjudiciable au

corps social dans son entier. Dans bien des situations, cette exclusion n e

relève pas seulement de l'équité mais tout autant de l'efficacité économique.

Néanmoins, c'est justement dans cet affrontement que les femmes tracent de

nouveaux chemins, découvrent des alternatives qui leur permettent de

s'intégrer quelque peu dans la société.

Je voudrais, en premier lieu, approfondir le plus important des

paradoxes, celui de la maternité, pour pouvoir ensuite aborder d ifféren ts

aspects de la mobilité dont les femmes sont exclues.

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5-1 LE PARADOXE DE LA MATERNITE

La maternité, présentée "comme une donnée immédiate de 1a

féminité" (Mathieu.N.C,199l) offre un remarquable exemple d'exclusion­

inclusion: la femme-mère fabrique le matériel social tout en restant exclue de

la société. Le désordre potentiel lié à la fécondité fabrique l'ordre de 1a

soumission. Exemple fondateur démontrant que la maternité matérialise 1a

téléonomie universelle de l'exclusion des femmes reposant sur le refus d'une

altérité essentielle.

La coutume de la couvade illustre ce refus de façon paroxlStIque mai s

très éclairante. Les hommes miment les douleurs de l'accouchement et

reçoi vent toutes les attentions, puis les félicitations qui devraient ê t r e

accordées à celles qui, réellement, mettent au monde un nouvel en fan t.

Nouvelle inversion à ajouter à celles qui ont déjà été relevées mais cette

dernière montre le regret, je serais tentée d'écrire poignant et désespéré,

qu'ont les hommes de ne pas avoir la maîtrise suprême de la reproduction

sociale. Expression du désir impossible de l'androgynie. En face de cette

réalité bioiogique irréversible, il ne peut y avoir, comme d'habitude, cette

occurence de cécité masculine. Les hommes ne peuvent échapper à 1a

"trahison" du monde.

Les femmes songhai racontent une petite histoire également

significative de ce rêve totalitaire: Dieu, au début, avait donné l'enfantement

aux hommes mais ces derniers pleuraient, criaient, faisaient un tel tapage

qu'il en eut les oreilles cassées et que, pour avoir la paix, il don n a

l'enfantement aux femmes. Ce conte drôle met en place un triple mouvement

dialectique que l'on retrouve, sous des formes différentes, dans toutes 1es

cultures. Une volonté extra humaine accorde tout d'abord, dans une sorte

d'évidence ontologique, la fonction biologique reproductrice aux hommes

puis, décou vrant, qu'ils n'en supportent pas les conséquences la remet a u x

femmes; celles ci s'enorgueillissent de mieux supporter les douleurs de

l'enfantement; les hommes vont alors valoriser leur exclusion en rejetant les

femmes dans l'univers du sensible et de l'émotionnel, indissociablement lié à

l'accouchement et à l'élevage des enfants, insertion qui justifie l'éviction

dont elles sont l'objet.

Cette situation aporétique, source d'explosion sociale, sera

manipulée, au plan du discours, par une survalorisation de la maternité qui

renforce chez les femmes le sens des devoirs familiaux, de la responsabilité

et du dévouement qu'elles doivent assumer. La soumission est non seulement

consentie mais, plus encore, elle est revendiquée comme seule source

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d'identité positive face à la société. Pensons à la malédiction des femmes

stériles, au scandale de l'avortement. On a affaire ici à un mécanisme de

régulation sociale aussi puissant que complexe.

C'est "l'exercice social de la maternité" (Tabet.P, 1985) auquel les

femmes ont été dressées qui explique un fait universel: l'intériorisation par

les femmes d'une responsabilisation biologique, valorisante, inéluctable et

intangible envers les enfants, opposée à une croissante irresponsabilisation

des hommes accompagnant les nouvelles déstructurations familiales que les

bouleversements économiques introduits par le développement provoquent:

comme le disait métaphoriquement un africain: "le cacao divise le sang et

détruit la parenté". Ce double fait a des conséquences pratiques innombrables

dont la plus importante est la suivante: contrairement à l'idée reçue chez les

développeurs, l'homme et la femme ont souvent des budgets séparés qui

permettent à chacun de s'acquitter de ses devoirs et l'homme dont les r ev en u s

économiques sont presque toujours supérieurs à ceux des femmes, est loin de

les redistribuer équitablement pour le bien être de sa famille. La

bienheureuse théorie du "trickle down" ne fonctionne pas plus au ni veau

global qu'au niveau micro-économique. On a coutume de dire que l'homme a

des besoins de prestige à remplir même si ces besoins correspondent souvent

à la consommation d'alcool, à l'achat de radios ou autres biens de

consommation. Avec la désorganisation des systèmes de production,

l'introduction des cultures d'exportation qui monétarise l'économie, u n

déséquilibre plus radical s'introduit e'ntre les gains des hommes et des femmes

tout en gardant l'ancien partage des responsabilités et; souvent, en

augmentant celles des femmes (NG Cecilia, 1994).

Que se passe-t-il alors? Pour nourrir les enfants, les femmes

s'engagent dans des petites activités, dévoreuses de temps mais très peu

rentables et les multiplient (Lecarme.M, 1992). Malgré cela, elles apportent

souvent davantage d'argent au budget familial ce qui autorise les hommes à

abandonner des pans entiers de leur participation (Carloni. A, 1987). Ce sont

donc elles qui vont acheter des céréales, en période de soudure, avec 1e u rs

maigres économies, payer l'école et les frais de santé. En dépit de ces faits

désormais bien connus, non seulement elles ne recoivent aucune aide dans 1e

cadre du développement mais se heurtent à toutes sortes d'obstacles dont 1e

principal est leur non accès au crédit par manque de titre foncier à présenter

comme garantie. Par ailleurs on oublie trop souvent que les femmes, comme

les hommes, ont des frais importants de participation aux cérémonies de 1e ur

propre lignage (baptême, mariage, décès par exemple) et qu'elles ne pe u ven t

s'y soustraire sous peine de perdre la face, honte qui rejaillirait sur leurs

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familles, de procréation et d'alliance, et leurs enfants. Elles jonglent a v ec

leur temps, leur fatigue ce qui a des répercussions graves sur leur santé et

celle des nourrissons, elles jonglent également avec leur "trois sous-trois

francs" quotidien, tout cela dans l'indifférence des hommes -les leurs et les

responsables des projets- qui estiment que c'est dans l'ordre des choses, c'est­

à-dire dans l'ordre de la nature. Le fait de ne pas vouloir considérer les

femmes comme des partenaires égales et de ne pas les inclure dans les gr and s

projets a de multiples conséquences.

• la santé

Les problèmes de santé touchent spécifiquement les femmes en tan t

que catégorie de genre et sont liés à leur fonction de reproduction. Tout

d'abord, un constat: les femmes sont épuisées par la charge excessive de 1e u r

travail et mangent souvent moins, notamment des protéines, que les hom mes

alors qu'elles ont des besoins spécifiques précis. Dans certains cas 1a

malnutrition des femmes est très élevée: dans la majeure partie de l'Asie et de

l'Afrique, les deux tiers des femmes enceintes et la moitié des autres

présentent des signes d'anémie qui compromet leur santé et les expose à

donner naissance à des enfants d'un poids insuffisant qui seront plus exposés

à une mort précoce et à toutes sortes de maladies y compris de gr a v e s

déficiences mentales. Cette anémie peut provoquer des complications lors de

la grossesse, responsables de chiffres élevés de mortalité maternelle. Les

femmes des régions pauvres courent 80 à 600 fois plus de risques de mourir

que celles des régions riches: 650 morts pour 100.000 naissances en Asie du

Sud, 1.700 au Bouthan contre 2 en Irlande et 9 aux USA. Dans le domaine de

certaines carences liées à la malnutrition, notons quelques chiffres globaux ­

les statistiques désagrégées par sexe n'existant pas - concernant

l'avitaminose A qui provoque la cécité définitive de 250.000 enfants par an et

la carence en iode de la mère qui provoque chez 120.000 enfants par an des

lésions cérébrales graves.

Cinq cent mille femmes meurent dans le monde des suites de 1e u r

grossesse dont 200.000 des suites d'un avortement clandestin (or, on sait que si

les statistiques ne sont pas fiables en général elles le sont infiniment moins

dans ce domaine). Une des causes de la mortalité maternelle est le manque

d'infrastructures et de personnel médical, renforcé par la diminution des

investissements publics dans ce domaine suite aux politiques d'ajustement

structurel: pénurie de médicaments et d'équipements hospitaliers. Le taux de

mortalité des enfants de moins de 5 ans est également un indicateur

important de la détresse des femmes dans la mesure où il est désormais pro uv é

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qu'elles ne souhaitent pas réduire le nombre de leurs enfants tant qu'elles e n

perdent beaucoup. Ce taux va de 5 pour 1.000 en Suède contre 43 en Chine, 81

au Guatémala ou 292 pour 1000 au Mozambique.

- le travail

Dans les villes, non qualifiées du fait de leur manque d'éducation

les femmes exercent très souvent des emplois de domestiques ou des emp)ois

dans l'industrie, ces derniers pour un salaire inférieur d'un tiers à celui des

hommes à travail égal. Cette inégalité des rétributions que l'on retrouve

partout se perpétue au nom d'un autre principe qui corrobore le dogme de

l'homme chef de famille: le salaire de la femme est "naturellement" un salaire

d'appoint parce que leur travail est toujours considéré comme une aide, u n

appoint. La majorité s'adonne surtout à des activités informelles souvent très

peu rémunératrices, et dans des conditions de forte exploitation comme par

exemple tous les travaux de sous-traitance effectués à la maison pendant 8 0 u

10 heures. Les femmes ne choisissent pas librement ces activités qui sont

encore mal connues car elles échappent aux mesures statistiques, elles 1e

font par obligation; c'est pour elles le seul moyen de concilier la garde des

jeunes enfants et l'obtention d'un revenu. On connaît trop de cas où, obligées

de gagner un meilleur salaire à l'extérieur, ne trouvant pas de crèche ou ne

pouvant pas la payer, elles enferment leurs enfants à la maison pendant 1a

journée ce qui peut entraîner des conséquences désastreuses, parfois

mortelles.

- Les femmes chefs de famille

Quand il s'agit de femmes chefs de famille, de plus en plus étudiées

(Khoury El. A, 1996) le tableau non seulement ne change pas mais il

s'assombrit encore soit avec l'abandon pur et simple du mari ou du

compagnon, soit avec son désengagement financier plus ou moins complet.

Une étude faite à Santiago sur un échantillon de 295 ménages pauvres dirigés

par une mère adolescente montre que 6 ans après la séparation, 39% des pères

n'ont jamais contribué financièrement, 42% ont abandonné

l'enfant(Buvinic.M, Valenzuela.J, Molino.T, Gonzalez.E, 1992). Et pourtant,

malgré ces conditions, de nombreuses études montrent que les enfants de

familles monogames dirigées par une femme vont plus à l'école que ceux des

familles dirigées par un homme dont les revenus globaux sont supérieurs.

Dans la conduite parentale, il existe une très forte différenciation sexuelle

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sur laquelle on commence à se pencher; des études récentes menées par 1e

Population Council (Bruce.J, Lloyd.C.B, 1992) recommendent que des cours de

formation et de conscientisation soient donnés aux pères afin qu'ils

n'abandonnent pas leurs enfants ou qu'ils continuent à soutenir

financièrement leurs familles.

En tout état de cause, la conduite des femmes sous l'effet de

l'intériorisation de leurs charges de procréation mais, peut-être aussi, parce

qu'elles ont porté les enfants dans leur ventre durant 9 mois et leur ont fait

franchir les plus grands dangers de la toute petite enfance par l'allaitement,

ce qui crée un lien puissant entre elles et leur progéniture, montre qu'elles

assument le mieux possible, même dans des conditions catastrophiques, 1a

charge de les mener vers l'âge adulte. On peut s'interroger sur la nature de

cette responsabilité: est-elle seulement acquise ou inclut-elle également une

part biologique, innée, instincti ve? Le récit des femmes songhay (déjà ci té

dans le Chapitre 3) semble confirmer, de manière saisissante, la part

importante du biologique: "après le Jugement, si l'enfant va en enfer, la mère

le suit, elle presse son sein pour tuer le feu avec son lait. L'enfant est 1a

moitié du corps de la mère, l'enfant est l'enfant de l'argent du père".

On doit néanmoins essayer de comprendre, sur le plan du

social, ce désengagement des hommes. Pour l'instant on dispose de données

mais de peu d'analyses. Il ressort un fait indubitable: affronté à une situation

exceptionnelle qui mine son autorité (chômage, accident de travail) l'homme

adopte trop souvent une conduite de fuite en avant, que ce soit dan s

l'alcoolisme, dans la violence domestique, ou l'abandon. Si, dans l'adversité, 1a

femme tout en étant éduquée à la soumission se bat et résiste, même au prix de

grandes souffrances l'homme qui l'est à la· domination ne sait comment

réagir à des situations qui le privent de cette "rente culturelle". La force

psychique, le courage moral ne sont pas toujours là où la "culture" les a vai t

"naturellement" prévus.

Ce qui doit retenir l'attention c'est que les femmes, acculées à des

situations difficiles, ne désespèrent pas et se battent, trouvant de nouvelles

réponses, inventant de nouvelIes solutions, se regroupant avec d'au tres

femmes pour mieux organiser leur quotidien: crèches-garderies alternati ves,

nouvelles recompositions familiales (soeurs, mère et filles par exemple),

nouvelles activités (organisation du ramassage d'ordures à Bamako). Aux

crises qui les frappent, aux changements socio-économiques qui accentuent

leur exclusion, elles ne cherchent pas une solution dans la tradition mais au

contraire dans la modernité

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5.2 L'IMPOSSIBLE MOBILITE

Qu'entend-on par mobilité? Est-elle unique ou revêt-elle des formes

différenciées selon les sexes qui renforcent les oppositions entre le mas c u li n

et le féminin? Je me laisserai guider par la définition biologique, plu s

dynamique que la sociologique, à savoir "le caractère de certains microbes

capables de se déplacer par leurs propres moyens".

Dans les années 70, des recherches menées par des femmes

anthropologues (Zimbalist Rosaldo.M, Lamphere.L, 1974) remettent en

question le schéma universel de la division sexuelle des tâches que l' 0 n

jugeait jusqu'alors évident et "naturel": les hommes n'ayant pas à s'occuper

des jeunes enfants peuvent se déplacer, aller chasser pour nourrir 1e ur

famille, faire la guerre pour la protéger. Schéma aussi simple que vertueux.

Mais, affirment ces chercheuses, la cueillette, faite par les femmes, a

probablement précédé la chasse et, en tous cas, reste toujours importante:

"but in only few instances is the hunting of animaIs as productive as the

gathering of seeds, roots, fruits, nuts and berries ...Dc M. J. Meggitt calculates

that in aborigenal Australia, vegetables make up 70 to 80% of the people's diet

-collected, of course, by women." (Service. E.R, 1966).

C'est par ce biais que je voudrais introduire le thème du sexage de 1a

mobilité: aux femmes, l'espace privé et restreint de la maison, de l'échange

verbal intime; aux hommes, l'espace libre et ouvert de la chasse, de la guerre,

de la parole publique et politique. Ce sexage de la mobilité fut toujours justifié

par des raisons culturelles et religieuses; il n'a presque rien à voir avec des

différences biologiques -il suffit de constater que les femmes exécutent les

travaux masculins en temps de guerre ou lors des migrations masculines-. Il

repose sur la préservation du corps féminin, c'est à dire, de la fécondité des

femmes et de l'honneur des hommes, deux catégories de nature différente. La

nécessaire pureté de ce corps ne peut s'accomoder de la mobilité, synonyme

de dévergondage et de trahison de l'honneur masculin. Le corps de la femme

et de la petite fille, propriété du père exclusivement destiné à son mari doit

donc rester dans l'espace circonscrit de la surveillance et de la punition. C'est

une des raisons qui, dans certains pays musulmans par exemple, obligent 1es

parents à ne pas envoyer leurs fillettes à l'école lorsqu'elle est un peu trop

éloignée de la maison (Zouari.F, 1993).

Je voudrais tout d'abord, pour continuer cette analyse, l'éclairer par

deux exemples, l'un mythologique et l'autre esthétique.

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5.2.1 le mythe et l'art

Le premier exemple est tiré de "l'Ancien Testament" (La Sainte Bible, 1956)

, texte fondateur de la majorité des sociétés occidentales et de quelques pays en

développement, notamment en Amérique Latine. Si on perçoit concrètement

dans le mythe le travail de la pensée appliqué à l'organisation systématique

de l'univers, il ne faut pas oublier pour autant, comme l'a écrit Levi-Strauss,

que "les spéculations mythiques ...cherchent en dernière analyse, non à

peindre le réel mais à justifier la côte mal taillée en quoi il consiste" (Levi­

Strauss.C, 1976). Que dit le texte? Avant d'avoir crée la femme, Dieu a vai t

donné l'ordre à Adam de ne pas manger de l'arbre de la connaissance du b i e n

et du mal sous peine de mort.Plus tard, le serpent tenta la femme et "la femme

vit que l'arbre était bon à manger et qu'il était, cet arbre, désirable pou r

acquérir l'entendement". On connaît la suite. Ils seront tous les deux chassés

du Jardin d'Eden. Ils quittent le Paradis, espace d'innocence, espace

bienheureux, espace clos pour l'espace infini de notre monde, espace ouvert,

espace de la douleur. Deux éléments sont à retenir: l'humain n'existe qu'à

travers cet acte fondateur de la mobilité, de ce déplacement irréversible; ce

n'est qu'une fois arrivé dans cet espace qu'Adam nomme la femme Eve, qui

veut dire la vie, puisque, en punition, elle est condamnée par Dieu à enfanter.

En second lieu, cet avènement de l'humain par la mobilité dans l'espace se

produit grâce à la femme, à la mobilité de son esprit, puisque c'est elle qui

"voit que l'arbre est désirable pour acquérir l'entendement", puisque c'est

elle, en fait, qui en voulant comprendre permet la translation ontologique de

l'être-Paradis en être-humain. Extraordinaire paradoxe qui place la femme à

l'origine de la volonté de la connaissance tout en l'excluant obstinément, et

cela pendant des siècles, de l'accès à cette connaissance.

Ce refus qui ne pouvait pas être énoncé ouvertement sera "déguisé";

il empruntera les habits de la subordination universelle de la femme fondée

sur sa "faiblesse" -elle ne sait résister à la tentation du serpent- et sur le 1i e n

entre sa propre nature et le mal -c'est elle qui séduit l'homme-. Le passage

mythique de l'intelligence au sexe est achevé; la faute et la culpabilité morale

de la femme fondent sa privation de l'entendement et de la mobilité que

j'appellerai mobilité intérieure.

L'exemple précédent déploie l'amplitude philosophique du terme

mobilité. Je voudrais maintenant me référer à un exemple artistique qui

introduit, symboliquement, le thème du non-accès des femmes à 1a

connaissance. Il s'agit d'un tableau de Vermeer, "l'Officier et la jeune fille".

Dans une pièce, une toute jeune femme regarde une carte du monde

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accrochée à un mur. Près d'elle, un officier, dont on voit à peine le visage, 1u i

raconte ce monde dont elle ne perçoit qu'une image abstraite, faite de lignes

et de taches colorées.

La parole masculine, est ici la médiation obligatoire de 1a

connaissance du réel. Elle qui, nous l'avons vu dans le mythe, a ouvert 1e

chemin du monde est désormais prisonnière de l'espace fermé de la chambre

et c'est l'homme qui conduit, oriente son esprit.. Elle· n'est plus mobile ni a v ec

son corps ni avec son esprit. Il faut retenir . cette forme offusquée de

l'interdiction à la mobilité car c'est elle la plus générale et la plus forte, 1a

plus ancrée dans la culture.

5.2.2 multirationalité et non-mobilité des femmes

L'accès sexuellement différencié à l'espace peut avoir des

conséquences économiques graves pour les femmes, que j'ai déjà évoquées,

qui les oblige à s'investir dans le secteur informel non structuré où les gains

sont particulièrement faibles: presque 60% des femmes actives en Afrique

sub-saharienne et 50% en Asie du Sud par exemple - l'Asie étant la région du

monde où vit plus de la moitié des femmes du monde soit 1,8 milliard (Les

femmes dans le monde, 1970-1990). Seules, quelques-unes arrivent à

commercer sur de longues distances (Lambert.A, 1992).

L'assignation des femmes à l'espace privé de la sphère domestique

produit d'autres répercussions fondamentales sur le plan du pouvoir et du

politique. En effet la mobilité des hommes n'est pas simplement matérielle,

elle se double d'une mobilité verbale, discursive. L'homme a le droit et mê me

le devoir de parler dans les espaces ouverts qu'il fréquente et qui sont liés au

fonctionnement des institutions alors que les femmes sont privées de cet

espace-parole public. Les justifications culturelles et religieuses de cette

forme d'exclusion se sont diversifiées au fur et à mesure des changements

survenus dans l'histoire politique des nations. C'est ainsi qu'il faut

aborder une des dernières formes prises par l'imposition culturelle de la non­

mobilité, celle qui concerne la Raison. Je me référerai pour cette question à

ce qui s'est passé en France. Etant donné l'immense diffusion des idées du

Siècle des Lumières et de la Révolution aussi bien en Europe qu'en dehors de

l'Europe, on est en droit d'affecter à cet exemple une valeur générale.

Au lendemain de la Révolution et de la Déclaration des Droits de

l'Homme, la pensée démocratique reconnaît l'identité des êtres humains tout

en repoussant l'égalité sociale et politique. "Si on ne doute plus de l'âme des

femmes, et si celles-ci sont des êtres de raison, on ne croira pas pour au tan t

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que l'usage de cette raison est semblable chez les deux sexes ... la raison des

femmes n'est pas à elle-même sa propre fin; sa raison est en elle pour lui faire

comprendre en quoi sa nature, c'est-à-dire son corps, l'emporte sur son

esprit,( ... )elle obéit toujours à autre chose qu'à elle-même"(Fraisse.F, 1992).

Une femme ne saurait échapper aux impératifs de la conservation de l'espèce

et de l'affinement de sa société par l'éducation. "Il y a celles qui font les

moeurs et ceux qui font les lois".

La dépendance de la femme et son impossibilité naturelle à

l'autonomie sont réaffirmés: sa raison, prisonnière de son corps et dominée

par lui, ne peut que rester immobile, uniquement consacrée aux soins de 1a

maison et des enfants, et là se limite le perfectionnement qui lui est permis.

N'est-ce pas à cette époque que Sylvain Maréchal, disciple de Baboeuf, rédige

en 1801 une brochure ayant pour titre "Projet d'une loi portant défense

d'apprendre à lire aux femmes" ? Projet de loi imaginaire bien sûr mais qui,

structuré autour de considérants et d'articles, montre bien l'enjeu de ce texte

provocateur: empêcher les femmes d'accéder à la vie publique en 1eu r

interdisant les moyens, la lecture mais encore plus l'écriture, de l'égalité

intellectuelle. C'est à la même époque que Kant, dans le "Caractère du Sexe"

écrit ce qui suit: 'Pour ce qui est des femmes instruites, elles usent des livres à

peu près comme de leur montre; elles la portent pour qu'on voie qu'elles e n

ont une; peu importe qu'à l'ordinaire elle soit arrêtée ou ne soit pas réglée sur

le soleil". Ne retrouve-t-on pas l'écho lointain mais immuable de ce que me

disait cet homme songhay: "la femme n'a que sa parole, cela ne vaut pas 1a

peine de perdre son temps à l'écouter" ? La parole de la femme n'a pas de sens,

reste en dehors de la raison; elle se dissout dans le silence qui est sa voix.

Nous sommes à l'aube du XIXème siècle, la pensée féministe va se

constituer peu à peu, revendiquant pour les femmes le droit à la mobilité de 1a

raison et à son égalité avec celle des hommes et cela dans tous les espaces,

privés, publics et plus particulièrement celui du politique. Dans ce domaine,

rien n'est encore acquis définitivement et les études sur les relations de

genre éclairent toujours mieux cette ultime exclusion, toujours prégnante

dans les mentalités collectives même si elle commence à être battue en

brèche.

Cette exclusion de la raison ne fait que confirmer avec d'autres

notions et d'autres mots la pensée philosophique de la Grèce antique qui a

nourri toutes les cultures judéo-chrétiennes, et bien d'autres par le biais du

colonialisme, et qui continue à être active même si l'on ne se réfère plus

directement à elle. Pour les grecs, la polis, la cité à laquelle nous continuons à

nous référer est constituée d'un petit nombre d'hommes, des hommes libres

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c'est à dire des chefs de famille qui, selon Aristote, sont établis comme

monarques chez eux et font exécuter par les esclaves et les femmes tous les

travaux nécessaires à la maîtrise des "nécessités élémentaires" de la vie.

Affranchis du travail, dégagés de ces "nécessités", ces hommes, devenus

citoyens, peuvent se consacrer aux affaires publiques. L'autorité qu' i Is

exercent sur leur famille -différente de la persuasion qui suppose un 0 rd re

égalitaire- se fonde sur un ordre hiérarchique. "La relation autoritaire en t re

celui qui commande et celui qui obéit ne repose ni sur une raison co m m.u ne,

ni sur le pouvoir de celui qui commande; ce qu'ils ont en commun, c'est 1a

hiérarchie elle-même, dont chacun reconnaît la justesse et la légitimité, et 0 Ù

tous deux ont d'avance leur place fixée" (Arendt.H, 1972). Ce fut et c'est encore

trop souvent la situation des femmes, toujours persuadées que l'infériorité de

leur place -ce qu'elles pensent être leur statut biologique- est juste et

légitime. Son sexe la condamne à veiller aux "nécessités élémentaires" ce qui

la disjoint ontologiquement des affaires publiques.

A notre époque. la perpétuation de la double journée de travail

phénomène très lentement évolutif- est encore fondée non seulement sur

cette exigence de libérer les hommes des "nécessités" mais aussi sur cette idée

de Platon d'une séparation radicale entre les deux fonctions du "savoir quoi

faire"(le maître) et du "faire"(l'esclave, la femme). Les projets de

développement et les politiques qui les sous-tendent n'ont su que considérer

les femmes comme des êtres qui font et non qui savent quoi faire. Cette

conception, sous l'influence des grandes Conférences internationales et de

l'introduction de la notion de genre par les féministes mais aussi grâce à 1a

prise de conscience de l'efficacité des femmes, notamment en temps de crise,

commence enfin à perdre de sa force.

5.3 migration et urbanisation

Tout ce qui vient d'être dit sur la subordination et la non mobilité des

femmes a autorisé la "mal mesure" (Gould.J, 1983) des migrations féminines

que l'on avait, par pétition de principe, ignorées (la femme ne pouvant que

suivre passivement son mari). Cette ignorance a fait place à de nombreuses

études et dès 1991, on pouvait dire que les femmes constituaient la moitié des

émigrants (Oso. L, Catarino. CH, 1996).

En effet, depuis vingt ans, de plus en plus de femmes rurales partent

en ville à la recherche d'un travail et de meilleures conditions de vie. Ce rêve

se réalise pour très peu d'entre elles, la majorité restant très pauvre. Dans les

régions en développement, plus de 70% de ces femmes ont moins de 25 ans et

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40% d'entre elles moins de 15 ans. les recensements réalisés depuis 1970

montrent que 48% des 77 millions de personnes nées à l'étranger sont des

femmes. A ces chiffres, il faut ajouter ceux des réfugiées puisque 70 à 80% des

14 millions de réfugiés sont des femmes dont 745.000 en Europe (Desrues. I,

1996). Ces mouvements migratoires, avec ceux des hommes, ont contribué au

puissant mouvement d'urbanisation que l'on connaît. En 20 ans, le nombre

des citadines a augmenté de 71% -3 citadines pour 1 femme rurale- dans les

régions développées et dans la région d'Amérique Latine et Caraïbes.

Les chiffres sont énormes mais ils ne disent rien sur l'ensemble des

phénomènes, parfois infimes, vécus par ces femmes, agissant sur elles et

provoquant en elles une transformation graduelle.

L'arrivée de ces femmes rurales en ville correspond souvent, comme

me l'ont dit beaucoup d'entre elles, à un sentiment d'effroi, de panique même.

Venant d'un espace ouvert, amorphe, paisible, elles pénètrent dans un espace

clos, compartimenté, bruyant, animé d'une intense agitation. C'est aussi, b i e n

sûr, un espace inconnu aux règles inconnues, un espace effrayant. La

mesure du déplacement qui était la marche à pied devient celui du transport

en bus ou en métro. Le temps vécu sur des rythmes longs - les saisons, 1a

course du soleil, les récoltes - se transforme en un temps brisé, fragmenté,

éclaté, sans continuité évidente. Cette expenence spatio-temporelle

provoquée par le déplacement migratoire ne peut être ignorée même si, t r ès

peu étudiée, on n'est pas en mesure d'appréhender son importance dans

l'élaboration d'une nouvelle personnalité. Par ailleurs, cette pre m iè re

expérience est amplifiée par un double phénomène structurel. D'une part, ces

migrantes rurales, pauvres par définition, ne trouvent à se loger que dans 1a

périphérie des villes, dans les bidonvilles - à Sao Paulo par exemple,

mégalopole de 16 millions d'habitants où j'ai travaillé- il y a environ 60

kilomètres entre la gare routière située centralement et ces quartiers

éloignés. D'autre part, la logique de l'offre et de la demande fait qu'elles n e

peuvent trouver un travail que dans le centre des villes, ce qui accroît 1a

longueur et le prix des déplacements quotidiens ainsi que les difficultés liées

à la garde de leurs enfants.

Les femmes rurales arrivent dans les villes souvent très jeunes, 0 n

l'a vu, avec, dans le meilleur des cas, une très faible scolarisation et san s

qualification professionnelle. Cela explique que le premier emploi qu'elles

trouvent soit celui de domestique. Que se passe-t-il alors? Tout d'abord, 1e

temps et le rythme du travail change, assuJetls à de nouveaux horaires

imposés de l'extérieur. Les tâches domestiques, même si elles ressemblent

apparemment à celles qu'elles accomplissaient chez leurs parents, changent

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également et s'exécutent avec des technologies inconnues (frigidaire,

aspirateur, mixer etc). Qu'y a-t-il de commun entre une maison rurale pau v re

et un appartement avec moquette, rempli de meubles et d'objets parfois

précieux, entre la pauvre nourriture monotone de leur campagne et 1a

diversité des plats que mangent les citadins aisés chez qui elles travaillent?

Tout cela donne lieu à des apprentissages plus ou moins difficiles selon 1a

nature des relations avec l'employeur, une femme comme elle, mais tout à fai t

autre de par son appartenance à la bourgeoisie.

Le statut du travail change: de solidaire à la campagne - il se fai t

avec les autres membres de la famille qui sont tous "semblables"- il de vie n t

solitaire, dans une situation de différenciation et d'inégalité sociales. La

pauvreté vécue jusqu'alors en tant que groupe familial dans un contexte

social élargi et nivelé -là encore, tous sont semblables et affrontent les

mêmes difficultés- est ressentie individuellement. Les vêtements, les

chaussures sont différents et la femme, comme l'homme, apprend à se v 0 i r

par les yeux, les paroles de l'autre. La perception qu'elle a de sa propre

personne se transforme, les bases de son identité chancèlent et elle devra

s'en "bricoler" une autre avec des morceaux du passé et du présent. Si son

statut était peu valorisé, cette sous-valorisation prenait place dans le cadre

familial et la touchait en tant que mère, fille ou épouse. Désormais, les termes

changent et c'est Madame X la migrante qui est dévalorisée par des étrangers.

On conçoit que ce type d'ouverture de l'espace social puisse être traumatisant.

Les pesanteurs socio-économiques qui freinent le travail féminin

sont générales. La ségrégation des emplois par sexe existe dans le monde

entier puisque dans toutes les branches d'activité, les femmes occu pe n t

presque toujours les emplois les moins prestigieux. Autour des années 70,

90% des personnes employées dans les catégories sulbalternes dans 24 pay s

développés sont des femmes, moins rémunérées que les hommes et

rencontrant plus de difficultés pour bénéficier de promotion: ayant franchi

quelque peu les obstacles de la mobilité horizontale, elles se heurtent

maintenant à ceux de la mobilité verticale, source plus efficace de

l'amélioration du statut. Une tension se met en place orientée vers u n

progrès, souvent indéfini mais rendu théoriquement possible en ville, par

des cours du soir de formation. Le sentiment d'avoir accès à ce type de

mobilité, si souvent présent chez les femmes, ne saurait exister dans le monde

rural qui, de ce point de vue, représente un espace social plus figé.

Il faut ici parler de la scolarisation, base incontournable de 1a

mobilité sociale, au sens classique du terme. Les villes offrent, sans aucun

doute, plus d'infrastructures -écoles publiques du premier et deuxième degré,

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universités- que la campagne mais les conditions d'enseignement y sont

souvent si mauvaises que les enfants ne peuvent guère y progresser une fois

acquis les rudiments indispensables. Si dans une grande partie du monde, les

taux de scolarisation des filles se rapprochent de ceux des garçons à tous les

niveaux d'enseignement, des écarts considérables persistent entre le ni veau

d'instruction des hommes et celui des femmes notamment en Asie du Sud et e n

Amérique Latine. Toutefois,· il n'est peut-être pas inutile de souligner le fai t

suivant: d'une part, les progrès énormes réalisés dans les pays du nord et dans

certains pays du Sud où il y a autant" sinon plus de filles que de garçons dans

les universités sont très récents et datent des années 60 en France. Mais les

statistiques globales, poSItIves il est vrai, dissimulent une redoutable

différenciation par genre: aux filles la littérature, les sciences humaines, les

langues pour dire les choses rapidement, aux hommes les mathématiques, 1a

physique. Lesquelles de ces disciplines sont et seront pourvoyeuses d'emplois

valorisés et bien rémunérés?

C'est à la lumière de ces biais qu'il faut relever quelques indices

montrant une certaine volonté de donner un coup d'arrêt à l'émancipation

des femmes par l'emploi, renforcée sans aucun doute par les cri ses

économiques et le chômage qui touchent nos pays. Est-il anodin qu'en France,

l'Etat encourage l'augmentation de la fécondité des femmes et dans le même

mouvement, mais subrepticement, fasse obstacle à la mise en oeuvre de 1eu rs

carrières en promettant un petit salaire à celles qui mettront au monde mai s

aussi éduqueront à la maison un troisième enfant? Est-il anodin que les

congés de maternité soient passés en Russie, au moment où l'économie de

marché fait son apparition, d'une année à trois ans, loi accompagnée d' un

tout nouveau discours sur la place de la femme comme "gardienne du feu

familial"? La femme au foyer permet non seulement de récupérer des emplois

mais encore plus d'effectuer des économies en construisant moins de c rè c he s

et d'écoles maternelles. Qu'elle retourne là d'où elle n'aurait pas du sortir. On

le voit, telle la tapisserie de Pénélope, l'accès à la mobilité, particulièrement

socio-professionnelle, n'est jamais obtenu une fois pour toutes.

II est par conséquent intéressant de continuer à réfléchir sur 1a

nature des obstacles qui s'y opposent. L'exemple précédent montre assez

clairement que les réticences ne s'attachent pas tant à l'éducation en elle

même qu'à l'usage qui peut en être fait. En Afrique sub-saharienne et en Asie

du sud et de l'ouest, 70% des femmes de 25 ans et plus sont analphabètes. Dans

bien des cas, le travail des fillettes -soins aux enfants, soins ménagers- est

vital pour que leurs mères puissent disposer de la mobilité matérielle même

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si elle reste minime en termes d'étendue des déplacements, nécessaire à 1eu rs

activités productrices garantes de la survie familiale.

La difficile alternative devant laquelle une femme pauvre est placée

-mettre sa fille à l'école pour qu'elle ait une chance d'avoir une vie meilleure

ou la garder à la maison pour qu'elle l'aide à assumer la subsistance familiale

immédiate- conduit à aborder un double problème. L'urbanisation

s'accompagne en effet d'un éparpillement de la famille dans des espaces

différents et, en conséquence, d'un éclatement des solidarités familiales. Les

femmes ne peuvent plus avoir recours à leurs mères, soeurs ou tantes pou r

garder leurs jeunes enfants; par ailleurs, le nombre des crèches officielles

restant tout à fait insuffisant, elles cherchent un travail qu'elles puissent

faire chez elles ou pas trop loin. La pauvreté accule donc les femmes à une

certaine forme d'enfermement, les privant des échanges d'idées,

d'expériences qu'elles pourraient avoir avec un travail partagé avec d'autres.

Les biographies que j'ai recueillies à Sao Paulo montrent que l'extrême

dureté des conditions de travail s'assortissent de discussions entre collègues

qui, parfois, leur ont permis aux femmes d'obtenir quelques légères

améliorations. L'augmentation du nombre des femmes dans les syndicats

ainsi que la création de nouvelles branches féminines est un indicateur de ce

phénomène d'autonomisation aussi bien que l'engagement des femmes dans

les mouvements populaires. La pauvreté peut aussi agir comme un facteur de

mobilité intellectuelle.

Cette double nécessité: faire garder les enfants et obtenir un travail mie ux

rémunéré a une autre conséquence. Mes observations personnelles me

conduisent à partager l'hypothèse de Maria Cosio-Zavala selon laquelle il

existerait dans les franges pauvres des populations d'Amérique Latine u n

malthusianisme de la pauvreté.( Cosio-Zavala.M, 1992). A Sao Paulo, par

exemple, qui n'a mis en place aucune politique de population, le changement

intergénérationnel entre mères et filles est très fort puisque ces dernières

ont environ 3 enfants là où leurs mères en avaient une dizaine. Elles utilisent

la stérilisation largement mise à leur disposition et qui plus est, gratuite à

partir du troisième enfantlo . Cette baisse de la fécondité, même si elle s' 0 père

sous la contrainte économique, n'en constitue pas moins une profonde

transformation des valeurs -la femme n'était-elle pas "reconnue" avant tout

comme mère de nombreux enfants - et des représentations. La femme

rurale,encore soumise, une fois arrivée en ville, décide pour le bien de

l'enfant d'en avoir moins et s'arrange pour faire respecter sa décision quitte

10 cette disposition légale vient d'être annulée

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à prendre le risque d'un avortement. La maîtrise de sa fécondité représente

pour elle l'étape la plus fondamentale dans cette "mobilité intérieure"

puisque, ce faisant, elle se distancie de son devoir "naturel" que la société

veut lui imposer.

En poussant le raisonnement un peu plus loin, il semble que l' 0 n

puisse établir une relation de cause à effet entre cette maîtrise de la fécondité

et l'augmentation du nombre de femmes chefs de famille, ph é nom è ne

observable dans l'ensemble du monde développé et en développement. Dans

les pays du Tiers Monde, ces femmes sont les plus pauvres parmi les pau v r e s

mais elles acquièrent, en refusant les amarres culturelles du mariage lequel

s'accompagne de façon croîssante de violences domestiques, une

responsabilité ouvertement déclarée et assumée. Cette part de liberté à

laquelle la ville les autorise est liée, de façon concomitante, à leur accès à de

nouvelles formes du juridique: le divorce par exemple, s'il est inscrit dans les

lois de certains pays, est néanmoins plus pratiqué en ville. En milieu ur bai n,

la fragilisation des normes culturelles, et la multiplicité des cas de divorce 0 u

de séparation le rend plus acceptable et plus accessible. Il faut également

mentionner les structures mises en place dans de nombreuses grandes villes ­

services d'aide offerts par la police, associations d'avocats, üNG- auprès

desquelles les femmes peuvent recevoir des informations et trouver des

recours. Ces nouvelles possibilités les éclairent également sur le fait qu'elles

sont des personnes et, par conséquent, qu'elles ont des droits. Bi e n

qu'encore timide, cet accès au juridique, démultiplié par le grand nom b re

d'exemples quotidiens est certainement un accélérateur puissant de

l'autonomisation et de la mobilité des femmes.

5.4 la féminisation de la pauvreté

Les trois quarts de l'humanité, 5 milliards et demi, vivent dans 1a

pauvreté et l'on peut affirmer que les femmes sont les plus pauvres. Les

crises, en les frappant plus durement, ne font qu'aggraver 1eu r

pauvreté:"nous pensons que la présente crise de désinvestissement social est

principalement financé par les ressources d'un fonds social fourni par les

efforts surhumains des femmes pauvres" (Unicef, 1987).62% des femmes

vi vent dans des pays ou des régions où le PIB est inférieur à 1000 dollars 0 r ,

dans les années 80, la croissance annuelle du PIB de ces pays a été inférieure

à la dollars et, dans bien des cas, négative. En 1984, en Argentine, le revenu

des femmes est tombé de 50% au dessous de celui des hommes.En 1985 au

Mexique, le père, la mère et un enfant devaient travailler pour obtenir u n

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revenu équivalent à celui que le père, seul, gagnait en 1975. Toujours dans les

années 80, les femmes pauvres travaillent de 60 à 90 heures par semaine pou r

conserver le même niveau de vie misérable qu'elles avaient il y a 10 ans

(Nations Unies, 1970-1990).

Les politiques et les programmes d'ajustement structurel mis e n

place par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale dans u n

grand nombre de pays, tout en apportant, selon certains, une certai ne

amélioration aux économies nationales produisent en même temps des effets

pervers: 25% des ménages ruraux dirigés par des femmes ne bénéficient pas

de leurs avantages (Due. J. M, 1991). Ces politiques ne sont pas neutres du

point de vue du genre. Par rapport aux ménages dirigés par un homme, ce ux

dirigés par une femme sont souvent, il est vrai, de taille plus réduite,

produisent moins, n'ont pas accès au crédit pour payer la main-d'oeuvre

supplémentaire qui serait nécessaire (Roberts.P.A, 1988), pour acheter les

variétés à haut rendement. Elles doivent donc acheter la nourriture aux prix

du marché, lesquels, avec l'inflation, ont beaucoup augmenté.

On ne doit pas oublier que 30% environ des femmes en milieu ru raI

ou urbain sont chefs de famille, pourcentage pouvant aller jusqu'à 45% au

Botswana par exemple. Ce groupe non homogène, constitué de femmes don t

les maris sont partis en migration, de veuves plus ou moins âgées, de

divorcées, de femmes abandonnées par leur mari, de célibataires et

d'adolescentes, est presque toujours plus pauvre que les autres.

Développement et sous-développement continuent d'être les deux faces de 1a

même réalité pour les femmes (Labrecque M. F, 1994)

A cette énumération, il faut ajouter les 18,6 millions de réfugiées

(hors de leurs frontières) et les 21 millions de personnes déplacées (à

l'intérieur de leurs frontières) dont on sait qu'ils sont constitués, à 80%, de

femmes dont la majorité a pour statut celui de chef de famille de facto,

Malgré celà, les hommes restent les principaux destinataires et utilisateurs

de l'aide internationale, les femmes dans ce domaine restant invisibles

(Desrues.I, 1996).

On doit donc souligner que les femmes pauvres, tout en ayant des

si tuations et des statuts différents, forment néanmoins en termes de re1a t ion s

de genre, un bloc homogène soumis à d'identiques inégalités: temps de

travail nettement plus long, revenus plus faibles, éducation et fo rma ti 0 n

inférieurs. En Afrique subsaharienne, en Asie du Sud Est et en Asie de l'Est,

plus de 70% de femmes sont analphabètes et cet analphabétisme ne cesse de

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croître en grande partie parce que les femmes, pour faire face à la sur vie

quotidienne ont besoin de l'aide de leurs fillettes qui travaillent souvent 7

heures par jouLEn outre, l'augmentation des coûts des équipements scolaires

rend encore plus difficile la décision d'envoyer les fillettes à l'école.

5.5 Pauvreté, démocratie, exclusion

Cette exclusion générale est renforcée, redoublée pour les millions

de femmes démunies par un autre type d'exclusion, celui qui frappe

globalement tous les pauvres: la violation du droit qui constitue une violence.

"Etre exclu, c'est être fondamentalement non-partenaire de ces modèles

d'inclusion qui régissent la partenariat ordinaire du lien social" (Ricoeur.P,

1993). Les démocraties sociales sont des systèmes de gestion d 'i négali tés

comprises et acceptées par tous mais dont le vice caché est de dissimuler qu'ils

ne fonctionnent que si quelques-uns, les pauvres extrêmes dont les femmes

font partie, n'y sont pas inclus. C'est bien ce modèle qui sous-tend, de pu i s

tant d'années, les politiques de développement du FMI et de la BIRD. Mais 1e

fait nouveau dans les sociétés du Tiers Monde c'est que "lors des émeutes de 1a

faim, des invasions de terrain, des réclamations d'équipements collectifs, les

pauvres réclament leur pauvreté" (Lautier.B, Salama. P, 1995).

L'idéal du pacte social repose sur les rapports horizontaux du

"vouloir vivre ensemble", clé du lien social dont les exclus sont rejetés. En

effet leur droit à l'identité est nié et c'est ce qui les exclut des droits de

l'homme car ces droits ne peuvent exister que pour ceux qui ont place dans

un système d'appartenance. C'est ainsi que "l'extrême pauvreté marque

l'exclusion des systèmes d'inclusion les plus libéraux: l'exclusion constitue

une violence par déni des droits de l'homme, une violation durable de

l'ensemble des droits de l'homme" (Ricoeur,P, 1993).

Cette chaine causale entre l'i nclusion et l'exclusion ne concerne pas

seulement des individus pauvres, des petits groupes régis par les relations de

genre mais aussi des grands ensembles, des pays, des régions. "Ce rapport

exclusion-inclusion est central: les systèmes qui prônent l'inclusion à

l'extrême sont ceux qui hypocritement sont les plus silencieux, par omission,

sur le coût à payer, qui est l'exclusion" (RicoeuLP, 1993). Les politiques

d'ajustement structurel, tous les discours insidieux de nos propres pays,

comme de certains pays du Tiers-Monde sur l'Etat-minimum, l'irruption

brutale de l'économie de marché dans de nouveaux pays, constituent 1e

prélude redoutable et probablement irréversible à l'abandon des liens sociaux

horizontaux et par conséquent à l'impossibilité que je qualifierai de

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mécanique du "vouloir vivre ensemble". Les habitants des quartiers pauvres,

hantés par la peur de leurs semblables, se renferment sur eux-mêmes tandis

que les très riches, hantés par la peur des autres, les pauvres, érigent des

cités fortifiées à l'intérieur des villes avec gardes armés, surveillance

électronique, chiens policiers, pour mieux vivre entre eux et oublier le reste

du monde. Une division permanente et accrue entre les riches et les pauvres

est en train de s'instaurer qui semble pouvoir être de moins en moi n s

endiguée par des repères moraux acceptés de tous et qui acc1;1lera les pauvres

dans sa logique cruelle à toujours plus d'exclusion. Il suffira que

"l'arithmétique du malheur"(Booth.C, 1889) puisse continuer paisiblement à

chiffrer la pauvreté, balisant notre bonne conscience. Néanmoins on dispose

de nombreux témoignages sur les comportements solidaires des femmes

pauvres envers leurs voisins plus démunis, spécialement les vieilles

personnes et les handicapés. Il faut cependant souligner qu'une fois de plus

l'aide informelle apportée par les femmes permet le désengagement de l'Etat,

situation dangereuse à terme.

Face à cette situation la parole sur le malheur quotidien des femmes

ne réussit pas à se constituer. Seul son corps et celui de ses enfants sert de

support à une emblématique des apparences qui émeut, passagèrement. Ce

faisant, et ce n'est pas un hasard, cette production d'images redouble 1a

situation d'oppression des femmes et renforce aux yeux de tous "un état

d'infériorité, caractérisé par le fait que celui qui vous impose une condition,

en même temps vous impose une image, et vous oblige à

l'i ntéri ori ser" (Ranc ière.J, 1994).

5.6 les femmes dans un mouvement populaire

Les mobilités, horizontale et verticale, que j'ai évoquées son t

principalement fondées sur la confrontation solitaire d'un individu, femme

et/ou mère, à des situations nouvelles qui l'obligent à se redéfinir, à repenser

sa relation à la famille, au travail, au monde. S'inscrire dans un mouvement

populaire relève d'une démarche toute différente. Elle y adhère comme les

autres, pour tenter de trouver une réponse à un besoin aussi précis

qu'urgent: l'eau, l'électricité dans les bidonvilles, un logement décent. Les

autres, ses compagnes et ses compagnons -le nombre des femmes excède

largement celui des hommes ainsi que leur détermination- malgré 1a

différence de leurs origines ethniques, de leurs professions, sont semblables

à elle. Elle n'est plus dans une situation d'affrontement individuel mais dans

celle d'un affrontement suivi d'une négotiation collective avec l'institution,

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où tous luttent ensemble pour obtenir ce dont chacun a besoin. Elle en t r e

dans une communauté conviviale qui crée une inversion des valeurs: au

chacun pour soi répond le chacun pour tous. Elle y apprend, sur un au tre

registre, qu'elle a des droits, qu'elle peut les revendiquer publiquement et

que l'Etat a des devoirs envers elle. La volonté démocratique qui anime ces

mouvements lui fait également comprendre qu'elle peut s'exprimer à ha u te

voix dans différents espaces publics. Le temps des luttes, souvent très long, va

lui permettre enfin de comprendre qu'elle est une personne, un sujet de

droit, une citoyenne.

Ces mouvements que l'on rencontre presque exclusivement en

Amérique Latine ont été étudiés, jusqu'à ces dernières années, comme les

autres faits sociaux sous l'angle trompeur d'un pluriel trompeur. Les

chercheurs brésiliens y font peu allusion même ceux qui, comme P. Jacobi

ont travaillé sur les mouvements populaires de santé. Et pourtant, on ne pe u t

objectivement passer sous silence le fait qu'ils sont massivement constitués de

femmes qui font leur force et leur efficacité; c'est la partie consacrée au

travail communautaire de leur triple journée de travail. Le Mouvement

d'Habitation de Vila Remo, zone sud de Sao Paulo, avec lequel j'ai travaillé ne

fait pas exception. Les femmes dont 30% sont chefs de fami Ile y assument de

nombreuses tâches: coordination des petits groupes de 25 familles, présence

dans les diverses commissions constituées durant la période de lutte (de

négociation, de santé, d'éducation etc), responsables du secrétariat et du

ménage. Ce sont encore elles qui assurent le succès des divers actes publics

comme les manifestations dans la rue et les campements durant de 6 à 10 j 0 urs

non seulement par leur nombre mais aussi parce qu'elles exécutent ces

"nécessités élémentaires" telles que la préparation et l'organisation des repas,

la surveillance des enfants etc. Lorsque la construction des maisons en

groupes commencera, elles effectueront exactement les mêmes travaux que

les hommes (maçonnerie, menuiserie, charpente, électricité) avec, en plus,

le transport manuel des matériaux de construction et de l'eau, ces deux

dernières tâches rendues très dures par le terrain en forte déclivité seront

néanmoins considérés comme l'extension des travaux ménagers. Seule 1a

manipulation de la bétonneuse, seul objet technique du chantier

problablement considéré "d'essence masculine", est réservée aux ho m mes

mais ce sont elles qui l'alimentent.

Si les femmes font avancer le chantier au même titre que les

hommes, et souvent plus, grâce à leur présence très régulière, elles

n'exercent cependant pas de responsabilités au sein des groupes techniques

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qui sont constitués et les relations hiérarchiques entre les genres s'exercent

toujours de manière identique. Néanmoins, elles sont conscientes d'avoir

assumer correctement tous ces travaux de construction considérés comme "un

travail d'homme" et en sont très fières. Comme le reconnaît le leader du

Mouvement, Olimpio da Silva Matos, "la femme a la volonté de réussir des

choses nouvelles. L'homme pense que c'est bien comme c'est, que les enfants

vont grandir comme lui; la mère souhaite d'autres. choses pour ses enfants,

qu'ils aillent à l'école, qu'ils aient un meilleur emploi" exemple de ce que

j'aimerais appeler la mobilité oblative. Il ne s'explique pas la plus grande

participation des femmes mais il la reconnaît et sait d'ailleurs parfaitement

bien s'en servir.

Si l'on essaie de faire une évaluation, un certain nombre de

constatations s'imposent:

- la participation a permis à beaucoup de femmes de sortir de l'isolement de

leur maison, de l'isolement où les tient la peur qui règne dans les favélas

(peur de la drogue, des violences, des meurtres et donc une méfiance trè s

forte envers les autres, les voisins). Elles apprennent à nouer de nou veaux

liens sociaux, des liens de convivialité qui permettent de travai 11er,

d'échanger, de s'amuser ensemble: "j'étais révoltée. Depuis que je suis en trée

dans le mouvement, que je partage avec les autres qui sont pour moi comme

une famille, des parents, que je m'intéresse à eux, que je parle avec eux, je me

suis ouverte. C'est bon pour ma vie".

- elles ont accès à l'espace public, à des actions nouvelles, à la construction de

l'affrontement entre la société civile et l'Etat, fondé sur la reconnaissance et

la revendication de leurs droits de citoyens. Prise de conscience qui suppose

du temps mais qui leur montre des possibilités qu'elles ne soupçonnaient pas

posséder, dans leur adaptation à de nouveaux rôles. C'est le début de la ru p t u re

avec l'image et la représentation qu'on leur donne d'elles-mêmes et

auxquelles elles adhéraient jusqu'à présent. "Quand on participe à quelque

chose, cela devient une partie de soi. Ce fut très intéressant pour ma vie. Je n e

sais comment t'expliquer. Le travail de construction fatiguait beaucoup mai s

le jour suivant je ne voyais pas l'heure. Physiquement j'étais en dessous de

tout mais psychologiquement je me sentais très bien parce que si tu ne

participes pas, tu te sens inutile. Tu as réfléchi ? J'ai une maison ici, j'ai aidé à

faire le ciment de cette maison, des fondations. Je l'ai fait. Tu sais ce que c'est

"moi" ? Ce moi des personnes qui est rempli de vie".

- le fait d'avoir enfin une maison décente (53 mètres carrés) qui les met, elles

et leurs enfants, à l'abri du cauchemar de l'expulsion à cause d'un loyer trop

cher leur donne un sentiment d'ascension sociale et la conviction d'avoir

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contribué à cette amélioration fondamentale de leurs conditions de vie. Elles

ont gagné une certaine confiance, elles ont appris qu'elles peu ven t

construire une action politique pour elles et pour les autres, aussi démunis

qu'elles. Mais le Brésil, à la différence du Pérou par exemple, n'a pas vu

naître des mouvements sociaux composés presqu'exclusivement de femmes 0 Ù

elles ont initié, entre autres, cette puissante et durable action des cuisines

populaires (Rodrigo. J. M, 1990). Néan~oins, que ce soit au Pérou, en Colombie

ou au Brésil, la participation des femmes à une action collective provoque e n

elles-mêmes des résultats semblables.

Elles ont compris avec cet apprentissage de la double mobi li té

qu'elles ne sont pas seulement des mères, des ménagères mais aussi, comme

elles le disent si souvent, "des personnes", ou comme nous le disons "des

citoyennes". Grâce à leur participation dans ces mouvements, un certain

nombre d'entre elles a su mettre en oeuvre un processus de subjectivation

c'est à dire "une capacité d'énonciation, inédite, dans un champs d'expérience

donnée" et, du point de vue politique " la capacité de "produire un pluriel, u n

collectif" (Rancière.J, 1994). Pour des exclues, c'est une victoire importante.

Néanmoins, il faut introduire une réserve importante. Ni pendant 1a

période de lutte, ni pendant celle de la construction, ces femmes n' 0 n t

développé "cette conscience de classe de sexe qui entraîne une politisation de

l'anatomie" (Mathieu, N. C, 1991). Elles ont compris que leur implication était

plus radicale que celle de leurs hommes mais n'ont pas été intéressées à e n

faire une force pour elles-mêmes. A différentes reprises, elles ont, il est vrai,

évoqué avec moi la possibilité de créer un groupe femmes à l'intérieur du

mouvement mais leur désir ne fut jamais assez fort pour concrétiser ce projet

ou, il serait plus juste de dire qu'elles ont donné la priorité à

l'accomplissement de leur désir immédiat, une maison, rendu possible par u n

combat fondé sur la mixité. Dans ce combat que j'ai suivi pendant deux an s,

les femmes avaient la lucidité du politique la où les hommes gardaient 1e

pouvoir. Sur ce point de la lucidité, lorsqu'il fallait prendre des décisions

importantes pour la suite de la lutte, ce furent toujours les femmes qui, lors

des réunions ou des assemblées, ont proposé les solutions les plus pertinentes

et les plus hardies alors que celles des hommes restaient souvent

prisonnières d'actions plus formelles, plus institutionnelles (camper sur 1eu r

terre contre envoyer une lettre au maire de Sao Paulo).

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Mais l'appartenance à un mouvement populaire a une fin; dans ce

cas précis la fin est arrivée après 4 ans (2 ans de lutte et 2 ans de

construction). Ce temps est-il suffisant pour forger définitivement une

nouvelle personnalité qui puisse échapper aux pesanteurs culturelles de 1a

société ? On ne saurait l'affirmer. On peut cependant faire l'hypothèse que

cette expérience si profonde doit laisser des traces en elles-mêmes, dans leurs

vies et dans ce qu'elles seront amenées à transmettre à leurs enfants. On peut

légitimement espérer que, si de nouvelles raisons de lutter surgissent, çlles

seront les premières à participer et, cette fois-ci, peut-être en tant que

groupe de femmes constitué, renforçant ainsi leur expérience et leurs acquis

politiques.

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CONCLUSION

1 Regards tétrospectifs sur les recherches antérieures

D'une communauté et d'une société traditionnelles encore peu

touchées par le changement, le village zarma-songhay de Sarando au Niger, à

une communauté en gestation, le Mouvement Populaire d'Habitation de Vila

Remo au Brésil et à une société en pleine mutation, la ville de Diadema du

grand Sao Paulo, mon chemin socio-géographique a croisé bien des obstacles

mais aussi bien des étapes au cours desquelles le sens des expériences de

terrain a oscillé entre le doute et la certitude.

Il en est ainsi de "la cassure du savoir" qui m'est apparue comme par

hasard et qui ne cessa, par la suite, de me guider dans mes différentes

recherches. Cette cassure épistémologique dans le savoir (qui correspond

dans la recherche féministe aux notions de genre et de relations de g e n re)

débouche sur l'exclusion du savoir, mais aussi sur la cassure dans le social et

sur l'exclusion du social, de l'économique et du politique, subie et encore plu s

souvent acceptée et même créée par les politiques nationales et

internati onales.

Le développement, quelles que soient les théories qui nou rri s sen t

sémantiquement ce terme, provoque ces phénomènes de séparation

différenciée entre le Nord et le Sud, entre les régions d'un même pays, entre

les hommes et les femmes d'une même société. Et la différence, la création de

l'AUTRE, s'origine toujours dans la dépendance, la soumission avec pou r

corollaire lelles pouvoirs à l'oeuvre dans n'importe quel lieu.

Cette faiblesse dans le social, je l'ai étudiée avant tout chez les

femmes en relation avec les hommes mais aussi, de manière transversale, au

travers de la thématique qui relie l'analphabétisme, le manque de formation

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qualifiée, la pauvreté aux difficultés d'émergence du politique et de 1a

citoyenneté dans les mouvements populaires et les sociétés du Tiers-Monde.

Travaillant ainsi, j'ai participé au plus formidable retournement de

sens de mon époque redevable aux études féministes, à leur définition d' u n

objet d'étude heuristique, pour moi-même et pour les sciences sociales. Les

descriptions, les analyses faites globalement, au neutre ou au masculin

pluriel relèvent désormais, pour bon nombre d'entre elles, de moeurs

grammaticaux mais ne permettent certainement plus la. compréhension

scientifique du dynamisme des faits sociaux et des changements qui ne

cessent de travailler à leur transformation.

2-Recherche

pouvoir politiqu

actuelle: Femmes, Participation populaire et

Les deux missions que j'ai effectuées à Diadema en 1995 et 1996 sur

"gestion municipale, participation populaire et pouvoir local" font suite au

travail de 4 ans sur les mouvements populaires d'habitation dont je n'ai

évoqué dans ce travail que le thème des relations de genre. Mais cet aspect

s'inscrit dans une étude approfondie du Mouvement, de son fonctionnement,

des pouvoirs dont il est l'enjeu, de son devenir possible; sur ce dernier po i nt

je concorde avec A. Touraine pour penser qu'ils "restent avant tout dans 1e

domaine historique" (Touraine.A, 1988) et ne constituent pas le ferment

révolutionnaire que certains ont voulu leur accorder.

A Diadema où la recherche englobe les mouvements dans la gestion

locale, j'ai voulu, fidèle à mes options, me pencher sur les relations de g e n r e

impliquées par cette thématique, ce qui constitue encore, à notre époque, une

innovation dans ce domaine. C'est l'esquisse de l'analyse de ces données que je

donne ici dans cette conclusion 'l .

Présentation de Diadema

Une présentation rapide de Diadema s'impose. Ville de 310.848

habitants, elle fait partie du Grand ABC, région Sud Est de Sao Paulo de plus de

2 millions habitants et zone très fortement industrielle. C'est là que

commencèrent les grandes grèves qui aboutirent à la défaite du régime

Il le texte qui suit a fait l'objet d'une

la Recherche Féministe Francophone

du 24 au 28 Septembre 1996

communication au Colloque International de

organisé par l'Université Laval du Québec,

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pour les plus démunis notamment à

de la ménagère et légumes et fruits) à

des boutiques ordinaires

dictatorial et à l'avènement de la Nouvelle République; c'est de cette région

que vient le grand leader syndical Lula de Silva, c'est dans cette région que

fut créé le Parti des Travailleurs (le PT) en 1981. Dans cet environnement

historico-politique, Diadema est la première ville du Brésil à élire un maire

pétiste en 1983 et reste la seule v i Il e du Brésil ayant continué d'élire u n

maire de ce Parti pendant deux autres gestions. Diadema, exemple uni que

est donc gouverné par le PT depuis 13 ans.

Cette municipalité pauvre -50% des chefs de famille gagne entre 1 et

5 salaires minimum c'est-à-dire moins de 3.000 francs et seulement 4,5%

reçoit plus de 20 salaires minimum-, a accompli un travail extraordinaire de

gestion urbaine transformant cette "ville dortoir" en véritable ville dont 1a

devise, méritée, est: "Diadema, chaque jour meilleur" et dont les hab i tan t s

commencent à être fiers.

Pour ne citer que quelques réalisations12:

- le taux de mortalité infantile est descendu en 13 ans de 90 à 20 pour 1.000,

l'un des plus bas du Brésil; le système de santé publique composé d'un Hopital

Municipal et de 15 UBS (Unité de base de santé) est gratuit (ainsi que les

médicaments essentiels); il offre également de plus en plus de services

spécialisés de très bonne qualité

- 160 des 190 favelas furent urbanisées c'est-à-dire qu'elles sont devenues des

"noyaux habitationnels" pourvus de l'assainissement de base, de rues

asphaltées (98% des rues sont asphaltées contre 20% en 1983), d' une

illumination publique et d'une collecte régulière des ordures

- création de nombreuses écoles maternelles et primaires appelées Ecoles

Municipales d'Education Infantile qui répondaient à 15% de la demande en

1983 et 65% en 1995, de crèches, de cours professionnels, d'une ample

campagne d'alphabétisation en partenariat avec le Syndicat des

Métallurgistes, d'une politique culturelle qui fait de Diadema une des villes les

plus intéressantes de la région (par exemple, les 12 bibliothèques

municipales sont, depuis le début 96, informatisées et reliées à la Bibliothèque

Nationale de Rio de Janeiro, et disposent chacune d'environ 10 micro­

ordinateurs à l'usage du public)

- une politique d'approvisionement

travers 2 marchés municipaux (panier

des prix nettement plus bas que ceux

12 l'étude complète des politiques publiques et des moyens sera faite dans l'ouvrage

qui doit paraïtre au Brésil début 1997

104

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- un système d'assistance juridique gratuite

- une réforme du recouvrement des impôts qui permit d'augmenter les

recettes. Presque 50% de ce budget de 140 millions de reais13 est consacré à 1a

santé et à l'éducation, ce qui est très rare mais ce qui montre la clarté des

engagements politiques.

- une politique salariale dans la fonction publique qui en fait une des villes

les plus recherchées de la région ce qui permet aussi d'exiger des servi teurs

publics un travail plus efficace

Dans ce souci constant d'améliorer la qualité de vie de tous et surtout

des plus pauvres, de leur donner accès à une citoyenneté la plus complète

possible dans le cadre d'une démocratie effective, les divers gouvernements

se sont résolument appuyés sur la participation populaire: par exemple, 1e

Plan d'Occupation des sols avec la détermination de zones d'intérêt social

réservés au logement social de même que la municipalisation de l'eau qui

permit d'améliorer la distribution et de diminuer les prix de 30% furent votés

par la Chambre Municipalel4 (camara municipal dont les députés, vereadores,

sont élus en même temps que le Maire) grâce à une forte pression populaire.

Les mécanismes de participation

Si l'on examine les moyens par lesquels s'organise et fonctionne 1a

participation populaire, on trouve le schéma suivant:

les moyens informels: des mouvements populaires dans presque tous

les secteurs: santé, éducation, transports, eau, environnement . et habi ta ti on.

Les revendications de ces mouvements sont toujours très liées aux besoins des

quartiers ou même des sous-quartiers dans lesquels ils s'inscrivent

territorialement. Ils constituent la base dynamique et renouvelée de toute

participation et la présence des femmes y est majoritaire.

les moyens formels: les Conseils populaires dont les membres sont élus

tous les 2 ans par la population et particulièrement par les participants des

mouvements, élections organisées avec l'aide de la Mairie (salles de vote,

publicité, fabrication des bulletins etc), et les Conseils Municipaux qui on t

une représentation tripartite, consistant de membres de la Mairie, de la

13 le real, reais au pluriel, est l'équivalent du dollar

14 au Brésil le Conseil Municipal est un organe législatif ayant le droit de

présenter et de voter des lois

IDS

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société civile et de la population (il n'y a pas de conseil municipal au Brésil,

au sens que nous lui donnons,puisque les personnes élues en même temps que

le Maire constituent une Chambre dont ils sont les députés; la structure de

représentation tripartite appelée Conseil Municipal à Diadema pourrait

porter un autre nom; celui qu'il a le distingue suffisamment du Conseil

Populaire. On trouve ces deux types de Conseils conseils dans le domaine de 1a

santé, du budget participatif (l'élaborat.ion du budget annuel de la mairie se

fait avec la mairie et ce Conseil Populaire du budget participatif élu par

quartiers), des transports, de l'environnement, du droit des Enfants;

(l'éducation prépare les siens actuellement). Il existe des Conseils

Tutélaires pour le respect des droits de l'enfant et de l'adolescent qui sont

également tripartites mais dont les membres sont les seuls à recevoir u n

salaire. On trouve enfin des Fonds (pour l'habitation et l'environnement)

gérés par des représentants de la population et de la Mairie. Pour terminer, il

y a des For u m s qui se réunissent de manière irrégulière et qui sont ouverts à

tous mais où la représentation des mouvements est forte. Les décisions sont

prises par la Mairie après consultation et discussion avec les CM et les CP qui

se réunissent régulièrement entre eux après avoir pris avis de leur base.

Enfin il existe une structure d'action par quartier appelée "Pe na rua"

(un pied dans la rue). Préparée par une Assemblée Générale à laquelle

participent le Maire et les secrétaires généraux pendant laquelle 1a

population, simples habitants appartenant ou non à des mouvements ou à des

conseils, exprime ses revendications. Toutes sont notées et chaque secrétaire

concerné y répond en expliquant ce qu'il est possible ou impossible de fa i re

. pendant les 15 jours où une équipe multi-départements de la Mairie se ra

présente. Il s'agit toujours de petits travaux et non d'investissements lourds

qui sont, eux, décidés par le Conseil populaire du budget participatif inter­

quartiers et la municipalitél5• Un comité de quartier est élu, à main levée, lors

de cette assemblée, qui aura la charge de surveiller l'exécution des travaux

décidés. C'est une occasion de rapprochement physique et de dialogue entre 1a

municipalité et la population, très prisée des habitants. Pe na rua passe deux

fois 15 jours par an dans chacun des Il quartiers.

15 le déroulement de Pe na Rua est trop complexe pour qu'il soit décrit finement

dans cette conclusion

106

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Les politiques publiques et les femmes

la santé. C'est dans ce domaine que des programmes d'assistance ont été

mis en place:

programme d'assistance pré-natale. dans chaque UBS, avec consultations

cliniques, création de groupes pré-nataux auxquels médecins et infirmières

donnent des informations générales et une formation sur l'intérêt de

l'allaitement fondées sur les spécificités physiologiques. Le même type. de

groupes est constitué à la maternité avec les femmes qui vie n n e n t

d'accoucher. Les femmes enceintes à haut risque reçoivent u n

accompagnement spécial

prévention du cancer du sein et de l'utérus dans chaque UBS (avec des

campagnes de diffusion importantes)destinée à des groupes de femmes avec,

entre autres, examens cytologiques, apprentissage du toucher des seins et

conseils sur le traitement des MST pour elles mêmes et leurs compagnons. Des

repérages se font également par des visites à domicile.

planification familiale. Elle se fait soit individuellement soit en groupes dans

chaque UBS et consiste non seulement à expliquer les différents moyens de

contraception (et à les fournir lorsque la femme a fait son choix) mais aussi à

conscientiser les femmes sur leurs droits.

la stérilisatio n. La loi qui la permettait, avec tous les abus possibles, lors du

3ème accouchement a été annulée. Il y a à Diadema un Comité d'Ethique crée

en 1992 et composé de 3 femmes et de 3 hommes, médecins, psychologues et

assistantes sociales, qui procède à une évaluation des demandes. Ces dernières

ont augmenté de 17 à 135 entre 1992 et 1995 et il y eut environ 35%

d'acceptations après examen et prise en compte de la situation socio­

économique de la femme.

l'avortement. Il est toujours condamné au Brésil malgré le combat acharné

des féministes; il existe néanmoins quelques rares services d'avortement

légal comme à Sao Paulo; Diadema a envisagé d'en créer un mais la proxi mi té

des élections a fait reculer ce projet jugé trop polémique. Les seules données

dont on dispose sont celles des curetages effectués après avortement

clandestin faits à l'Hopital Municipal: 730 en 1995

l'assistance juridique. Bien qu'elle ne soit pas conçue exclusivement pour les

femmes, ce sont ces dernières qui les utilisent majoritairement pour des

motifs de séparation, de divorce, de pension alimentaire, de propriété. Elle est

donnée gratuitement par des avocats payés par la municipalité et cela dan s

des lieux différents. Par ailleurs les Commissions de l'Habitation, de la Santé,

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de l'Education ont des avocats dans leurs services qui écoutent les problèmes

des femmes et les envoient vers d'autres collègues lorsque c'est nécessaire.

la violence. La Mairie a crée une maison "a casa Beth Lobbo" (nom d'une

sociologue féministe de gauche morte dans un accident "bizarre") qui reçoit

les femmes en détresse, le plus souvent des femmes battues, les envoie à

l'hopital lorsque c'est nécessaire, les conseille, leur fournit un avocat et les

aide à constituer leurs dossiers, le premier étant celui lié à la plainte qui doit

être déposé à la Délégation féminine relevant de la police de l'Etat de Sao

Paulo. Cette maison, tout en reconnaissant l'importance des problèmes

économiques de ces femmes n'a pas encore réussi depuis plusieurs années à

mettre sur pied des programmes de qualification professionnelle. Par ailleurs

la municipalité a déjà demandé plusieurs fois qu'une Délégation soit créee à

Diadema mais s'est heurtée au refus des autorités étatiques; elle a pour p roj et

de construire une maison où les femmes pourraient vivre pendant le temps

nécessaire à leur récupération physique et psychologique leur permettant

ainsi de prendre tranquillement une décision sur les suites qu'elles

entendent donner (les femmes qui décident d'intenter une action en justice

sont celles qui travaillent ou qui, à l'occasion de cette crise, réussissent à

trouver un emploi; les autres reculent devant les difficultés économiques et la

solitude). Les problèmes de violence sont également traités au siège du Conseil

Tutélaire pour les enfants et les adolescents où les femmes qui vie n n en t

exposer les problèmes de leurs enfants sont souvent amenées à parler des

leurs.

la formation professionnelle. Il y a, bien entendu à l'Ecole Professionnelle,

des cours de coupe et de couture destinées aux femmes. Mais, plus intéressant,

cette école organise, depuis 1995, des cours professionnels g ratui ts

notamment en électricité, maçonnerie, menuiserie, peinture en bâtiment,

panification seulement en 1996. Ces cours ont été annoncés dans de nombreux

lieux publics notamment dans les autobus et les affichettes disaient

clairement "ouverts aux hommes et aux femmes". A la grande surprise des

responsables, des femmes sont venues s'inscrire.

En 1995: , 12 en menuiserie, 4 en peinture, 5 en électricité, 2 pou r

la maçonnerie

A la mi- 1996: 7 en menuiserie, 8 en électricité, 33 e n

panification contre 28 hommes et 14 en maçonnerie. J'ai pu discuter

avec un groupe de 8 élèves maçonnes (femmes d'environ· 40 ans) et beaucoup

d'entre elles m'ont dit, très tranquillement, avoir choisi cette formation

considérée exclusivement masculine parce qu'elles veulent faire ou finir

leur maison et que leurs maris ou compagnons refusant de s'y mettre elles

108

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ont décidé de ne plus être dépendantes mais aussi parce qu'elles ont vu que les

activités traditionnellement féminines de couture et tricot auxquelles elles se

livraient ne rapportaient plus d'argent (en effet, la Chine est entrée en 1995

sur le marché de la confection et a fait chuter les prix de 50%). Cette

dévalorisation du travail "féminin" par les femmes elles-mêmes constitue à

mon avis un indice de changement très profond. Il faut ajouter qu'elles se

regroupent à plusieurs corps de métier pour faire des petits chantiers dans 1e

voisinage et que ces initiatives, fortement innovatrices semblent marc h e r

très bien.

le proiTamme "Femmes en Mouvement". Ce programme initié en 1991 par la

Commission de l'Education, de la Culture, des Sports et des Loisirs, il se

développe surtout depuis 1994, touchant actuellement environ 2.000 femmes,

dans tous les quartiers de la ville et à des horaires très souples. Les femmes

qui y partIcIpent sont principalement des femmes au foyer entre 30 et 40 ans

qui, pour la première fois, sortent de chez elles pour s'occuper d'elles-mêmes.

Elles pratiquent des sports tels que le volley, le hand-ball, un peu le foot-ball

et de la gymnastique. Il s'agit, pour les responsables, de construire une

nouvelle image du corps féminin, différente de celle offerte par la télévision,

un corps "citoyen". Les femmes se retrouvent entre elles, se font des amies,

bavardent, découvrent que leurs problèmes sont identiques à ceux des autres;

elles sortent de leur solitude, de leur enfermement et découvrent une autre

sorte de joie de vivre (pour cela d'ailleurs, elles sont souvent obligées de se

cacher de leurs maris ou de se disputer avec eux). Il y a également des

causeries sur le cancer féminin, sur les droits des femmes, des sorties et des

voyages. En 1995, une commission de femmes fut créée, composée de 52

femmes en 96, chargée de l'organisation et de la communication des

évènements sportifs comme le Festival annuel organisé chaque année. Les

responsables espèrent qu'en apprenant ainsi aux femmes à se

responsabiliser, elles seront capables de se battre contre le nouveau Maire au

cas où ce dernier voudrait interrompre ce programme.

On peut donc dire que la Mairie se préoccupe de sa population

féminine et développe des actions nécessaires, relativement diverses,

soucieuses de la dignité et des conditions de vie des femmes. Mais il fa u t

souligner qu'aucun programme d'habitation destiné aux femmes chefs de

famille n'a été mis en place, ce qui est assez souvent le cas.

Femmes et statistiques

Et pourtant il n'existe aucune donnée chiffrée sur les femmes

(celles que je viens de donner, je les ai moi-même recueillies en consultant

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les noms de toutes les fiches d'inscription, ces dernières ne mentionnant pas

le sexe). Tous les responsables des Commissions de la Mairie auxquels j 1 ai

demandé des données désagrégées par sexe m'ont répondu négativement,

étonnés de cette étrange curiosité; même l'éducation ne dispose pas des tau x

de redoublement par sexe.

Diadema a fait faire en 1995 une enquête socio-économique afin de

pouvoir élaborer des actions économiques sur laquelle je fondais de grands

espoirs. Mais je dus constater que toutes les données, sur l'état civil, l'emploi,

les revenus, le niveau d'éducation,' la main-d'oeuvre par secteurs d'acti vi té

étaient fournies globalement. Qui plus est, en même temps que cette grande

enquête était faite, une autre, sur échantillon composé de 300 hommes et 300

femmes, était également lancée mais, là encore de façon plus paradoxale ou si

l'on veut plus caricaturale, les données sont fournies globalement. La jeu n e

femme responsable des statistiques à la Mairie parut un peu convaincue de

mes exigences et me promit de demander à l'Institut chargé de l'enquête par

échantillon de procédéer à la désagrégation des données. Au jour où j'écris, je

n'ai encore rien reçu et doute fort de jamais les recevoir.

Par ailleurs, les fonctionnaires de la Mairie ont fourni un énorme travail

en visitant TOUS LES DOMICILES pour savoir avec exactitude le nombre de

déficients physiques et mentaux, le nombre d'analphabètes et leurs

conditions socio-économiques, mais les questionnaires conçus au neutre

pluriel fournissent des données peu utilisables. La santé présente la même

situation et si l'on dispose du nombre de visites médicales par jour et par UBS,

on reste dans l'impossibilité de connaître le sexe du patient et le motif de sa

visite; ces renseignements sont disponibles pour les hospitalisations. Seule 1a

division de la santé mentale dispose de données par âge, sexe et maladie et par

mois. Il n'est pas possible de faire ici une analyse fine des renseignements

qui m'ont été fournis. Une seule constatation: au mois de Mai, 109 hommes

contre 7 femmes sont soignés pour alcoolisme et 16 hommes contre 72 femmes

le sont pour des troubles liés à l'hystérie. Ces déséquilibres se retrouvent

chaque mois et confirment le constat général que les femmes restant à 1a

maison sont très facilement sujettes à des troubles nerveux.

Si l'on considère les statistiques comme une caisse de résonance

idéologique, comme je l'ai toujours fait, l'exemple de Diadema montre de

manière parfaitement claire qu'une ville de gauche, voulant que tous les

habitants puissent exercer leurs droits et devoirs de citoyens, continue à

penser sa population au masculin. Sur un autre registre: la ville a participé à

la Conférence Habitat II d'Istambul avec une délégation officielle de 5

fonctionnaires de la Mairie alors que personne n'a été envoyé à 1a

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Conférence de Beijing bien que plusieurs responsables femmes en aient fai t

la demande. Notons que les femmes de la Mairie étaient complètement

ignorantes de l'excellente préparation des femmes de tous les pays pour 1a

Conférence sur l'Habitat et qu'elles n'ont fait aucune tentative pour que 1a

thématique femmes soit intégrée aux publications préparées par 1a

Municipalité à cette occasion, et cela en dépit des efforts du Bureau National

des femmes du PT qui, isolément, a élaboré un document.

L'accès des femmes au politique, à la politique

Cette question est peu facile à appréhender (aucune méthodologie

n'a encore été élaborée à ma connaissance) et je ne disposais que de peu de

temps pour la traiter puisque ma recherche portait sur l'ensemble des

problèmes d'une gestion municipale démocratique. Mon objectif était de voir

comment les femmes réussissaient à sortir de la base des Mouvements et à

exercer des rôles de plus en plus importants.

J'ai donc procédé de la manière suivante: j'ai étudié:

- la répartition par sexe et par fonction dans les différents services de 1a

Mairie. En effet, une mairie au Brésil est composée de techniciens et de

politiques, qui sont des militants de plus ou moins haut niveau du Parti qui a

élu le Maire. Diadema est donc un lieu et une émanation du PT avec ses

différentes tendances, ses luttes ou querelles intestines.Lors des campagnes

électorales, les fonctionnaires consacrent autant de temps,' y compris 1e

samedi, le dimanche et les soirées, à leur travail administratif qu'à 1e ur

engagement militant. Il n'est donc pas sans intérêt de voir comment le Maire

distribue sa confiance en fonction des sexes.

- la répartition des femmes dans les Conseils Populaires et les Conseils

Municipaux, faisant l'hypothèse que le fait d'être élu dans un Conseil et, de ce

fait de représenter la population devant la Mairie, constituait un premier pas

sur l'échelle du politique. Ce faisant, et demandant des renseignements sur les

femmes qui y figuraient, je découvris qu'un certain nombre d'entre elles

étaient, en même temps, conseillères 1 assesseurs de députés pétistes. Chaque

député a droit à 4 conseillers qui reçoi vent un bon salaire (2.000 reais par

mois) mais beaucoup d'entre eux arrivent à convaincre ces derniers de

partager leurs salaires, disposant ainsi de nombreux conseillers qui les aident

à démultiplier leur action sur le terrain. Le rôle d'intermédiaire de ces

conseillers entre le législatif et la population m'apparut important comme

moyen de formation politique.

III

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le nombre de députés femmes et d'assesseurs femmes de députés, par parti

- enfin, j'ai procédé à des entretiens guidés avec quelques unes de ces. f e m mes

dans les catégories citées précédemment ainsi qu'avec des femmes jouant u n

rôle à la base (ces entretiens n'ont pas été enregistrés) mais aussi avec 3 des

jeunes femmes qui venaient d'être élues avec 4 autres au Directoire du

Syndicat des Métallurgistes contre 60 hommes.

Avant de poursuivre il faut .apporter une précision nécessaire: il

n'existe pas de Mouvement populaire de femmes alors qu'il en existe sur tous

les autres sujets possibles. Toutes celles à qui j'ai posé la question sur 1e

pourquoi de cette absence l'ont déplorée; ou regrettée tout en disant que 1es

premiers efforts des années 80 ne furent pas suivis d'effet parce-que 1es

femmes ne purent jamais se mobiliser pour lutter pour elles-mêmes. "Ce

serait égoïste de lutter pour soi alors qu'il-y-a tant de choses à faire pour les

autres". Cet argument bien connu, si évident dans les apparences de l'action

immédiate, ne fait que corroborer insidieusement la catégorisation imposée

par la division sexuelle du travail, dans laquelle la femme travaille "pour" les

autres. L'intériorisation des devoirs empêche encore souvent les femmes de

s'organiser pour el1es-mêmes. Ce phénomène est d'autant plus fort que

l'idéologie du PT, Parti des Travailleurs, est fortement connotée par celle de

l'Eglise (le don de soi, le dévouement, l'aide etc). Agissant en synergie avec les

deux facteurs précédents, il faut noter qu'environ 60% des affiliés du PT sont

des femmes.

Les femmes dans la mairie

Conseillers du gouvernement: 11H / 6F

Secrétaires généraux: 9H /2F

Présidents de Départements: 18H / 7F

Chefs de Division: 31H / 26F

Chefs de Service: 51H / 34F

A tous ces échelons importants où sont placés des militants du Parti,

les femmes sont relativement bien représentées, selon les critères mondiaux,

ce qui corrobore ce que j'écrivais sur la forte présence des femmes dans le PT.

Il faut mettre à part les Secrétaires généraux où elles sont minoritaires; par

ail1eurs, les deux femmes présentes dirigent l'Education, profession très

féminisée et les Affaires Juridiques, le Droit étant fortement investi par les

femmes au travers des ONG et des Associations où elles peuvent mettre 1e u rs

compétences au service des faibles, des marginaux, des exclus.

112

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Les femmes dans les Conseils Populaires(CP)

Municipaux (CM)

et les Conseils

-CP du budget participatif: 32F / 25H

4 de ces femmes sont conseillères de députés, les autres sont actives soit dan s

un mouvement populaire, soit dans un "nucleo" (noyau) de quartier ou de rue

du PT, soit dans Pe na Rua de leur quartier, soit plus rarement dans un grQupe

d'appui pour l'élection d'un ou d'une député.

Parmi les hommes, 3 sont conseillers et 4 sont candidats à la députation en 96

- CP de la Santé: 43F / 7H

5 de ces femmes sont conseillères de députés

- CM de la Santé: 9F / SH

3 sont conseillères de députés

- CM des Transports

3F / IIH

parmi ces hommes, un conseiller de député, un député, un ancien député

- CM des Droits des Enfants

8F /4H

- Fonds de l'Habitation

4F / IIH

2 de ces hommes sont députés

Conseil Tutélaire de l'enfant et de l'adolescent

6F /4H

l'un de ces hommes est suppléant d'un député

On le voit, la répartition dans ce cadre de démocratie élective, est

positIvement inégale en faveur des femmes à l'exception de l'Habitation et des

Transports. Nul doute que les femmes seront majoritaires dans le CP et le CM

de l'Education qui vont procéder à leur élection à l'automne. La spécialisation

traditionnelle des femmes dans les champs de la santé, de l'éducation, des

enfants est respectée ainsi que leur moindre intégrati on dans les CM qui, de

par leur composition tripartite, peuvent être considérés plus institutionnels.

Quant à la forte représentation des femmes dans le CP du budget participatif

qui peut, à première vue, paraître insolite il faut l'interpréter, me semble-t­

il à la lumière de la participation massive des femmes dans les luttes pou r

revendiquer des équipements en vue de l'amélioration de la qualité de vie de

leur quartier; or, les membres de ce CP sont élus par quartiers et 1a

population, ayant de grandes difficultés à accéder au degré d'abstraction

113

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impliqué dans le budget d'une ville garde une approche ponctuelle des

problèmes, ce qui laisse théoriquement un "espace" aux femmes.

La fonction principale de ces Conseils est d'assurer une

démocratisation plus efficace du pouvoir local. Lors des réunions mensuelles,

ils transmettent aux responsables de la Mairie les plaintes, doléances et

revendications de la population, prennent avec eux les décisions et e n

contrôlent l'exécution. Au travers de ces structures, les femmes, toujours plu s

présentes que les hommes l6 peuvent véritablement participer à l'élaboration

et à l'organisation de la vie politique de la ville.

Les femmes à la Chambre Municipale des Députés

Il Y a 3 femmes députés sur 21 hommes; 2 appartiennent au

PMDB contre 5 hommes et 1 au PT contre 7 hommes; cela prouve, s'il le fallai t,

que les partis de gauche, malgré un discours plus ouvert apparement, son t

tout autant sinon plus machistes que les autres.

Les élections d'Octobre 1996 se préparaient lors de mon deuxième

séjour et c'était le moment de composer les listes. Sur 3 listes du PT, seule l' une

d'entre elles présentait un nombre suffisant pour devoir respecter la loi qui

oblige à inscrire 20% de femmes parmi les candidats. Dans ce cas, il s'agissait

de 4 femmes dont 2 étaient connues et représentatives; les deux autres, jeu ne s

et sans expérience, furent nommées d'office pour leurs qualités d'obéissance

et non pour leurs convictions ou leur programme. Une autre de ces listes

avait réussi à conserver une femme mais, du fait de manoeuvres de dernier

moment, les membres furent obligés de la rayer. Il est donc plus que

problable que la composition de la Chambre ne sera pas bouleversée cette foi s

encore.

Quant aux assesseurs des députés, ils se répartissent de la man i ère

suivante:

9H 1

démocratique

brésilien):

mouvement

démocrate

pour 7 députés du PT: 16H :llF

pour 5 députés du PMDB (parti du

brésilien): 8H llF

pour 6 députés du PSDB (parti social

13F

pour 1 député du PTB (parti travailliste brésilien): 2H 1 2F

pour 2 députés du PSB (parti socialiste brésilien): 5H :3F

16 j'ai pu constater ce fait en assistant à bon nombre de ces réunions

114

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Deux remarques qui gagneraient en pertinence si elles pou vaient

être placées dans une perspective comparative:

- les deux partis situés le plus à droite de l'échiquier politique, le PTB et le PSB

ont moins de femmes assesseurs

- les deux seuls députés à n'avoir aucune femme assesseur sont du PT, une

femme (contrairement aux deux autres femmes députées) et le Président de 1a

Chambre qui est du PT.

Les femmes parlent

Les entretiens furent réalisés avec 18 femmes appartenant à des CP

ou des CM, ou/et conseillères de députés c'est-à-dire avec des représentantes

de la communauté. Mises à part 3 d'entre elles, elles n'ont reçu qu'une

éducation minimum; leur moyenne d'âge est de 38 ans; presque toutes ont des

enfants et vivent avec un mari ou un compagnon; plus de la moitié travaille.

Leur trajectoire :"s'occuper seulement de la maison, des enfants, ne

fait que vous tuer à l'intérieur,,17

La trajectoire de leur engagement présente beaucoup de similitudes:

c'est souvent la maladie ou l'éducation d'un de leurs enfants qui les amène à

connaître, dans leur quartier, le groupe d'un Mouvement dans lequel elles

commencent à s'investir. Elles vont connaître d'autres personnes, d'autres

femmes, parler, se rendre utiles:"rester derrière ses fourneaux, ce n'est pas

possible". A partir de là elles ne s'arrêteront plus, s'engageant dans toutes les

actions, ou les mettant en oeuvre: "voir le résultat enthousiasme et donne 1a

force de continuer" Le mari de l'une d'entre elles lui dit: "tu n'es jamais

satisfaite, tu veux ceci, tu veux cela et quand tu l'obtiens, tu veux encore plus"

et cette autre ajoute " il Y aura toujours quelque chose à vouloir, à

revendiquer; le temps du changement ne s'arrête jamais". Leur emploi du

temps est surchargé avec les réunions du soir, du samedi, du dimanche plu s

toutes les activités de la semaine, plus les soins du ménage et des enfants. Elles

parlent de leur travail avec joie, passion, presque "goulûment", les yeux

brillants et avec fierté de leur autonomie conquise.

17 les citations sont extraites des entretiens à partir de mon choix

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Peu de maris acceptent vraiment cet investissement et très peu

aident à la maison, sauf parfois le dimanche. Cela pose de nombreux

problèmes de relations face auxquels on peut classer les femmes en 3

catégories:

- celles qui s'accommodent à regret de cet état de fait

- celles qui savent que l'échéance est proche où elles devront prendre une

décision de séparation mais qui savent, même si elles en sont tristes, qu' elles

ne rentreront pas à la maison derrière leurs fourneaux

- celles qui se sont séparées. Un exemple: le mari d'une femme débutant sa vie

publique lui fait de telles scènes qu'ils se quittent. Quelque temps après, il

revient pour essayer de reprendre la vie commune; elle lui pose alors ses

conditions qu'il refuse et elle reste avec ses 4 enfants. Elle a, depuis, lors

d'une occupation de terre, retrouvé un autre compagnon qui, très sagement,

la laisse faire ce qu'elle veut. Il y en a bien d'autres qui restent seules; toutes

les responsables de la mairie qui travaillent avec les femmes parlent du

nombre élevé de femmes chefs de famille ce qui confirme le lien dont parle G.

Fraisse entre l'autonomie de la femme et la dissolution de la famille

traditionnelle (Fraisse. G,1993). Le regret qu'elles expriment souvent est de ne

pouvoir s'occuper suffisamment de leurs enfants; l'une d'entre elles me dit:

"je m'oblige, quelles que soient mes occupations, à conduire mon fils à l'école

le matin". On perçoit la contradiction structurelle auxquelles ces femmes

militantes sont confrontées: elles veulent et imposent une nouvelle division

sexuelle du travail et de nouvelles relations de genre tout en souhaitant

garder une vie familiale qui les protégerait en tant que femmes. Problème

insoluble dans le moment historique qu'elles contribuent à créer.

Ces militantes sont de plus en plus connues des gens de leur quartier

qui ont confiance en elles, qui connaissent leur dévouement: "quand 0 n

t'appelle dans une favela, il faut oublier que l'on a des chaussures propres" et

qui les choisissent lors des élections aux CP ou CM. Les mandats étant de 2 ans

dans les différents Conseils, ce sont les habitants qui souvent font pression

pour qu'elles se représentent. Parallèllement, les députés les remarquent et

proposent à certaines de venir travailler avec eux.

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quelle

pas de

L'expérience des différences hommes 1 femmes

A ma question sur une différence éventuelle dans la participation

entre les hommes et les femmes, ces dernières répondent toujours oui san s

aucune hésitation:

- "la femme est plus patiente

- la femme est plus accessible aux autres, a une. meilleure compréhension des

problèmes de ceux qui les entourent

- la femme va plus au fond des choses, se débrouille de n'importe

manière, se dévoue pour atteindre son but, elle ne se fatigue

participer, l'homme si

- les femmes sont plus gentilles avec les gens, sont moins fermées avec eux,

parlent plus facilement

- la femme participe pour améliorer la vie de la population alors que l' h 0 m m e

participe plus pour le Mouvement en lui-même

- les femmes sont beaucoup moins incertaines que les hommes"

A ces remarques générales qui confirment la spécialisation des

femmes dans les actions d'aide, elles ajoutent d'autres constats:

- " ce sont les femmes qui font tout mais ce sont nos hommes qui apparaissent

- les femmes souffrent plus de la société, cela les rend plus objectives dans les

luttes

- un député va donner à ses conseillères femmes des invitations à distri b uer

car au fond il a honte de faire cela. Il ne veut pas taper aux portes parce que

c'est la réalité mais il veut faire des discours, se montrer, monter sur l'estrade

- les hommes réussiraient mieux s'ils travaillaient plus avec les femmes

- la vie politique serait meilleure avec les femmes car elles désirent plus 1a

résolution des problèmes que le pouvoir" Néanmoins, chaque fois que

j'ai posé la question sur leur stratégie vis-à-vis du pouvoir j'ai touj ou rs

obtenu une réponse négative, à l'exception d'une jeune mère syndicaliste

nouvellement élue à la Commission Exécutive du Syndicat des Métallurgistes

qui m'a dit: "oui, je veux du pouvoir, j'en veux le plus possible et j' y

arri verai":

- "non, je ne veux pas entrer dans cette confusion

- je veux bien mais seulement à l'échelle du quartier, (le territoire du

quartier peut être vu, sans aucun doute comme l'extension du territoire de 1a

maison; c'est un espace de proximité, référence préférée des femmes, mai s

elles acceptent de travailler, lorsque c'est nécessaire, sur le territoire plu s

large de la ville comme avec le Mouvement pour la municipalisation de l'Eau,

la réforme foncière, celle des impôts, le budget participatif, également au

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travers de la participation aux Forums qui réunissent tous les quartiers par

exemple. Il faut donc traiter le thème de l'espace avec beaucoup d'attention.)

- si je voulais -c'est une conseillère de député qui parle- c'est moi qui serais

élue car je suis bien plus populaire que lui, mais je ne veux pas lui faire de 1a

peine, il a été très gentil avec moi et m'a appris beaucoup de choses

- ce que je veux c'est continuer à travailler dans mon quartier (il faut noter

que les femmes sont très actives dans .les groupes d'appui qui se constituent

pour soutenir tel ou tel candidat aux élections; elles le font tout à fai t

conscientes des avantages que leur candidat, s'il est élu, sera obligé de leur

accorder et des facilités que cela leur donnera dans les négociations à ven i r;

cela n'a rien à voir avec une quelconque naïveté mais avec une stratégie

politique bien pesée)

- je ne veux pas car je serais obligée de me plier aux ordres du parti qui

peuvent être contraires à ce que je pense devoir faire pour le bien de 1a

population. Je veux rester libre de mes choix et de mes actions"

Dans les faits, elles ont du pouvoir, elles exercent un vrai pouvoir

politique et elles le savent mais ne veulent pas encore, ou ne savent pas

encore, l'inscrire dans les formes officiellement reconnues et faire le pas

décisif qui les conduirait à se porter candidates comme député. Dernière

hésitation devant cette transgression radicale de la division sexuelle des

tâches: on ne peut oublier le faible niveau de scolarité de ces femmes leaders

qui peut également agir comme un frein.

Elles ont une conscience positive d'être femmes, elles sont 1uc ides

sur l'inégalité dans les relations de genre et sur ce qui doit changer, mais

elles parlent toujours du changement comme devant être impulsé par les

femmes:

- "les femmes doivent comprendre qu'elles sont capables de faire beaucoup de

choses

- les femmes doivent comprendre que la vie publique leur appartient, qu'elles

ont des droits à vivre, à participer, à apprendre hors du foyer

- pour qu'un vrai changement arrive, il ne suffit pas qu'il y ait une femme à

un poste élevé mais beaucoup; c'est dans la maison que les choses doivent

commencer à changer"

mais elles reconnaissent, parfois avec un petit sourire:

- les hommes laissent les femmes organiser car ils savent qu'elles le font

mieux mais, au moment de prendre la direction, les femmes pensent en core

trop souvent que les hommes le feront mieux.

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Laissent-elles les hommes agir ainsi pour leur faire plaisir, avoir la paix et

s'assurer la liberté de continuer ce qui est devenu l'essentiel de leur vie ?

Ces femmes ont une expérience riche et diversifiée, ayant appris à

mobiliser les gens, à manoeuvrer, à faire des alliances, à négocier avec tou tes

sortes d'autorités -municipales, étatiques, fédérales-. Elles connaissent les

faiblesses des uns et des autres, les phénomènes de clientélisme, de cooptation

qu'elles peuvent critiquer mais qu'elles savent utiliser à leurs fins, elles.o n t

appris à être populaires parce qu'elles savent écouter, "ne souffrent-elles pas

de la vie dans leur propre peau?", qu'elles savent parler et que pour elles "la

joie fait partie du politique". En écho lointain, on repense à Poulain de 1a

Barre: "les femmes, au contraire (des hommes), disent nettement et a vec

ordre ce qu'elles sçavent; les paroles ne leur coOtent rien; elles commencent

et continüent comme il leur plaït; et leur imagination fournit toüjours d'une

manière inépuisable, lorsqu'elles sont en liberté" (Poulain de la Barre. F,

1973). Serait-ce l'une des raisons de leur popularité?

Mais, ce qui me semble être le plus important et peu souligné jusqu'à

présent, elles ont appris "à vouloir". Ce mot, anodin en apparence, cache en

fait un bouleversement culturel énorme. Il n'est pas question de nier que 1a

femme ne sache souvent imposer sa volonté dans sa propre maison, mais c'est

une volonté captive que j'appellerais domestiquée car elle ne peut s'appliquer

que dans les limites du foyer. L'entrée de la femme dans l'espace public et son

efficacité ne sont rendus possibles que par l'affirmation d'une volonté

libérée, ayant un objectif quasi abstrait, celui de l'intérêt public. Ces femmes

qui souvent ne pouvaient dire à leurs maris "je veux sortir seule" disent "je

veux" à un Maire, à un Gouverneur d'Etat, à des Présidents de Départements, à

des députés etc et ces hommes les reçoivent, les écoutent et, avec le temps,

font ce qu'elles veulent. Quelle différence d'échelle entre vouloir un buffet

par exemple et vouloir une école, une Unité de Base de Santé, de l'eau moins

chère, une maison. La soumission de sa volonté à l'homme dans laquelle elle a

été élevée devient imposition de sa volonté à l'homme, l'Etat-Père (sur ce

point d'ailleurs, l'Etat est vu comme le père, le pourvoyeur aussi bien par les

femmes que par les hommes). On comprend leur enthousiasme et 1eu r

pugnacité. On comprend également mieux cette fatique de l'homme dans 1a

participation populaire à la base; lui qui a été éduqué à vouloir, seul, à

imposer sa volonté dans sa maison et à sa famille et non pas à accompagner 1a

volonté explosive et toujours renouvelée de sa femme.

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L'exemple de Diadema montre, une fois de plus, si c'était nécessaire

que les mouvements sociaux sont sexués, que les femmes militantes

deviennent des individus femmes, des citoyennes et qu'elles exercent, en tan t

que telles, des responsabilités politiques. Elles se situent dans cette nouvelle

orientation où "le mouvement social, sans abandonner l'objectif de 1u Uer

pour des améliorations urbaines au niveau local, agit dans la perspective de

passer du particulier au général, rompant avec la tradition d'atomisation des

mouvements sociaux urbains, et cela à travers diverses formes" (Bicudo

Veras. M & Bonduki. N, 1986). Ces mouvements permettent "la formation d'un

sujet social femme, sujet social qui a formulé des objectifs de l'ordre du

politique où ont pu se retrouver des hommes et des femmes"(Kergoat. D, 1991).

La situation que je viens d'exposer comporte une différence

fondamentale avec ce que j'écrivais à la fin du chapitre V, différence dont les

principales raisons sont les suivantes:

- Diadema a conservé un gouvernement pétiste pendant 13 ans; or, le PT

depuis sa création a toujours revendiqué de gouverner démocratiquement

avec l'aide de la participation populaire (Bittar. J, 1992). Arrivé au pouvoir en

1983, le premier maire a encouragé et suscité l'organisation de la population

qui existait de façon encore fragmentaire et les deux autres maires suivants

ont intensifié cette politique.

- on a donc vu, sur le territoire restreint de la ville de 30.7km2 divisés en Il

quartiers, une éclosion forte de mouvements populaires, dans tous les

domaines, mais qui restaient plus ou moins peu structurés

- progressivement se sont constitués des Conseils Populaires, forme plu s

institutionnelle d'organiser un dialogue effectif entre le pouvoir et la base;

des échanges entre les réussites et/ou échecs des différents quartiers se son t

instaurés.

Dans ces conditions, les femmes toujours présentes dès le début des

mouvements revendicatifs et bien souvent à leur origine, mais aussi les

hommes, ont pu se doter d'une expérience, d'un passé politique et s'affirmer

dans les nouvelles structures qui se mettaient en place. Elles ont su utiliser

l'innovation politique et profiter de la durée exceptionnelle d'un pouvoir

local gardant les mêmes objectifs.

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3 Perspectives de recherche

Comme le dit Danièle Kergoat, il reste sur ces questions de

nombreuses questions d'analyse et de méthodologie à résoudre au cours d'une

réflexion collective. C'est ce à quoi j'aimerais me consacrer dans les an née s

qui viennent, incluant dans la problématique un certain nombre de points:

- dans les quelques pages que A. Touraine consacre aux femmes et à 1a

modernisation, il note que le féminisme a peu touché les classes populaires

mais que la forme d'intervention des femmes dans la vie publique établit Il u n

lien extrêmement fort entre vie privée et vie publique" sans que l'action des

femmes "pénètre dans le monde des forces politiques organisées, qu'il s'agi sse

de partis ou de syndicats" (Touraine. A, 1988). Ma recherche avec 1e

Mouvement Populaire de Sao Paulo confirme cette opinion. Mais ce que j'ai pu

observer à Diadema permet, 10 ans après la publication de ce livre, de

nuancer fortement ces propos. Dans une ville dont la gestion, fortement

orientée par le parti du PT, repose sur une intense participation populaire,

les femmes ont investi largement ce parti et ses structures de soutien

(d'ailleurs, il faut souligner que le PT est constitué, au niveau national, de

plus de 51% de femmes) sans occuper encore, il est vrai, les postes du pouvoir.

On pourrait donc émettre l'hypothèse que les femmes entrent plus volontiers

dans un parti qui revendique -et qui observe ses revendications- honnêteté,

morale, amélioration des conditions de vie, démocratie et participation,

constatation qui devrait être renforcée par le fait, si peu courant, que ce parti

est resté au pouvoir durant 13 ans. Il serait donc urgent de mieux établir, par

des enquêtes comparatives dans différentes villes, les variables pertinentes

qui rendent compte de l'engagement politique des femmes.

- un autre sujet de réflexion devrait être celui du féminisme: il est peu

contestable que les femmes de Diadema, qui n'utilisent pas le terme ou 1e

récusent si on leur en parle, sont pourtant des féministes, ou plus justement,

des femmes en train de construire un certain féminisme. Comment garder au

terme ses spécificités historiques et théoriques tout en lui intégrant de

nouvelles expériences ?

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- il faut se pencher sur l'importante question de l'autonomie et/ou de 1a

tutelle -ce que B.Appay appelle "autonomie contrôlée" (Appay. B, 1993)- de la

participation populaire, vue sous l'angle double de l'articulation individuel­

collectif et des relations de genre. Il y a là toute une reconsidération

théorique à effectuer.

- il faudrait également se livrer à un réexamen approfondi de la notion de

participation populaire. Concept polysémique par excellence, il s'applique de

manière indifférenciée à tant de situations contradictoires qu'il en devient

flou et, par conséquent manipulable. En Amérique Latine, la participation

populaire qui a crée et soutenu les mouvements sociaux fut toujours composée

majoritairement de femmes mais leur histoire récemment écrite observe

presque toujours le silence sur ce fait social. C'est donc un concept théorique

asexué que nous utilisons et qui devrait être soumis à une nouvelle analyse

épistémologique.

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projets deFemme etau masculin

perspectiveune

-1974, L'Enfant Africain et les méthodes actives:les enfants de la TVdu Niger, in Les Dossiers Pédagogiques, N° 11-1- 1975, Ecologie et enseignement: l'étude du milieu à Télé-Niger,Dossiers Pédagogiques, N° 15- 1983, The Feminine Sphere in the institutions of the Son g h a y­Zarma, in Female and Male in West Africa.George Allen and Un win,London- 1983 L'échec de l'intégration des femmes dans quelquesdéveloppement un essai d'interprétation, inDéveloppement ou les métamorphoses d'un développement, EADI BOOK SERIES, Tilburg- 1983, Un projet d'auto-suffisance . alimentaire sans les fëmmes u nexemple au Niger, in Le rôle des femmes dans la production v i v r i ère,FAO, Rome

1985, La parttecipazione della donna allo sviluppo un tentativo diinterpretazione deI fallimento in L'integrazione delle donne in alcuni projetti disviluppo, Fratelli Palombi, Rome- 1985, "Choix technologiques, emploi du temps, travail féminin: 1esfemmes seraient-elles partie prenante dansl'indépendancealimentaire? in Nourrir les Villes: En Afrique Sub-saharienne",L 'Harmattan, Villes et Entreprises- 1987, Rapport sur la France in Women in Development CooperationEurope' s Unfinished Business, EADI BOOK SERIES- 1989, La situation des femmes in l'Etat du Tiers Monde, Maspero,- 1992, " Comment être pauvre et citoyen ", in Recompositions socialesen Amérique Latine, Cahiers des Sciences Humaines, vol. 28-no 3,Orstom- 1992, "Le système familial songhay-zarma ", en collaboration a v e cDiouldé Laya in "Mémoire de Sable ", numéro spécial du Journal desAfricanistes, tome 62, fasc 2- 1993, "Ecrire un autre texte ? " in Développement Internationall'étude des rapports sociaux de sexe. Documents de Re che r che,Université Laval, Québec- 1994, "Ecrire un autre texte ?" in L'Egalité devant Soi: sexes, rapports sociaux etdéveloppement international, CRDI Ottawa- 1994, "Migration Féminine à Sao Paulo et Changements" in 3Changes in Daily Life" Liber Amicorum for Clio Presvelou, ed Kees deHoog & Johan A.C. van Ophem, Université de Wageningen1996, Pauvreté, exclusion et citoyenneté in Femmes du Sud chefs defamille, dir J .Bisilliat, Karthala

1996, Luttes féministes et développement:historique ( à paraître)- 1996, La cultura di coloro che non ne hanno: dal Nordeste a San Paolo inLa CittàIneguale: Pratiche culturali e organizzazione della marginamità in Africa eAmerica Latina, sous la dir de Cattedra R et Coppola P, Ediziono Unicopli

DIRECTION D'OUVRAGES DE SYNIHESE

- 1985, Femmes et Politiques Alimentaires, dir J.Bisilliat, Actes duSéminaire ORSTOM-CIE, Colloques et Séminaires, Orstom• 1992, Relations de genre et développement : femmes et sociétés ", dirJ .Bisilliat, collection Orstom Colloques et Séminaires, 327 p- 1996, Femmes du Sud chefs de famille, dir J.Bisilliat avec A.Khoury ElDoumit, Karthala

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Articles de Revue ( à Comité de lecture)

- 1969, La notion d'intelligence chez les songhay-zarma in Revue dePsychiatrie, Dakar- 1979, Présentation d'une expérience de télévision communautaire à Bonoua,Côted'Ivoire in Revue Tiers Monde, tome XX, n079,

1979, Le tourisme dans les pays en voie de développement, in PeuplesMéditerranéens, N° 7- 1982, Maladies de village et maladies de brousse in Cahiers desSciences Humaines, voIXVIII, N04, 1981-1982, Orstom- 1985, Les Femmes dans la ville in Les Enfants du Monde, N° 76, 1er trimestre- 1989, Qu'est-ce qu'un Mouvement Populaire d'Habitation? Un exemple : celui deVila Rémo, zone sud de Sao Paulo in Orstom Actualités, Orstom

1989, Les rôles de l'équipe technique architecturale d' unMouvement Populaire d'Habitation in Les Cahiers Orstom : Pratiquessociales et travail en milieu urbain, Cahiers N° 8,- 1989, Mots échoués sans contexte, in Cahier Sciences Humaines. 25(4):511-518

1991" La culture de ceux qui n'en n'ont pas: un mouvementpopulaire d'habitation à Sao Paulo "Colloque International "GrandesMétropoles d'Afrique et d'Amérique Latine " Toulouse, Novembre

1993, " Femmes, partenaires obligées d'un développement durable ", i nChroniques Sud, nO 9, Orstom- 1993, "Les femmes, partenaires du développement" in Module deformation à la vulgarisation, CEE, Programme Nectar- 1995, "Douter pour savoir" in Femmes du Sud: sources d'informationpour le développement, Ibiscus-Orstom- 1995 "Impact de la mobilité sur le statut des femmes" in Familia etmobilité humaine dans l'espace de l'UE, Ministère de l'Emploi,Lisbonne

Bibliographie a udia-visuelle

- 1985, Des Feuilles aux Cauris, film 16mm en couleurs sur l'initiationdes filles Yarse ( Burkina Faso ), en collaboration avec BernardNantet. Iheure. Prix du Musée de l'Homme,1985- 1989, Uma Casa, film vidéo en portugais et en français sur la lutte d uMouvement Populaire d'Habitation de Vila Remo.Deux versions deIheure 30 et de 55 minutes . Production Audiovisuel- 0 Sonho de Morar: la construction en commun faite par un MouvementPopulaire.Version portugaise. La version française doit être faite.ProductionORSTOM- 1990, Exposition "0 Povo Constroï Sao Paulo ", Orstom-Secretaria daCultura, 31 Aout·15 Septembre, Sao Paulo

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Littérature ~rise

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1979, Femmes, Population et Développement au Burkina Faso,Rapport Général du projet Etude de Folk Demography comme bas ed'une politique de population au Burkina Faso, FNUAP- 1982, Les femmes rurales au Congo dans les districts d'Abala, Kindamba, Mindouli(Régions des Plateaux et du Pool), FAO, 38 P- 1982, Rapport sur les villages de Ekouassende, Ngoueme, Assengue (districtd'Abala), FAO, 27 P- Rapport sur les villages de Moutessi et d'Inkala-Matiba (district de Kindamba),FAO, 42 P- 1982, L'impact du projet de développement intégré de Dosso sur les femmes auNiger en collaboration avec C.Rambaud. Rapport de mission, Ministère Français dela Coopération- 1982, Le Travail de la Femme et ses Conséquences sur la Famille, Séminaire CIE sur"Alimentation du jeune enfant et urbanisation rapide dans les pays en voie dedé ve 1oppem en t- 1983, Participation des femmes aux activités coopératives au Bénin, BIT,20 p- 1985, Bilan de la Décennie de la Femme, Colloque CFCF, Paris- 1990, Développement et Subordination des Femmes, Assises Mondiales, Tours, 16 p

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