Les facteurs de l´elimination et de la sélection différentielles dans les études de sciences

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Association Revue Française de Sociologie and Sciences Po University Press are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue française de sociologie. http://www.jstor.org Association Revue Française de Sociologie Les facteurs de l'élimination et de la sélection différentielles dans les études de sciences Author(s): Monique de Saint Martin Source: Revue française de sociologie, Vol. 9, Numero Special: Sociologie de l'Éducation 2 (1968), pp. 167-184 Published by: on behalf of the Sciences Po University Press Association Revue Française de Sociologie Stable URL: http://www.jstor.org/stable/3320362 Accessed: 17-11-2015 22:27 UTC Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://www.jstor.org/page/ info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. This content downloaded from 148.206.159.132 on Tue, 17 Nov 2015 22:27:46 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Les facteurs de l'élimination et de la sélection différentielles dans les études de sciences Author(s): Monique de Saint Martin Source: Revue française de sociologie, Vol. 9, Numero Special: Sociologie de l'Éducation 2 (1968),

pp. 167-184Published by: on behalf of the Sciences Po University Press Association Revue Française de

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R. frang. Sociol. IX, No special 1968, 167-184

MONIQUE DE SAINT MARTIN

Les facteurs de l' limination et de la selection diff6rentielles dans les etudes de sciences*

Les statistiques montrent que la part des fils d'ouvriers et d'agri- culteurs est plus forte dans les facultes des sciences que dans les autres facultes et qu'elle s'y est accrue plus rapidement. Ainsi, la part des fils d'ouvriers y est passee de 8,5 % a 13,5% entre les ann6es 1960 et 1965, alors que, durant la meme periode elle passait de 7 % a 11% dans l'en- semble de 1'enseignement sup6rieur. On sait aussi que les fils d'ouvriers dont les chances d'acces A 1'enseignement superieur sont trets faibles (1,4 %) ont, lorsqu'ils y accedent, plus de chances de faire des etudes de sciences en facult6 (plus d'une sur deux) que les 6tudiants de toutes les autres categories (1). On est d'autant plus enclin a s'en tenir A ces chiffres et a en conclure que les facultes de sciences ont un recrutement plus d6mocratique que les explications de cette exception apparente semblent se livrer immediatement: on peut supposer en effet soit que la transmission des connaissances obbit A des normes plus rationnelles dans les 6tudes scientifiques que dans les autres types d'6tudes (litt6raires notamment), soit que la culture scientifique est, par sa nature meme, plus facile a transmettre, ou plus facile a assimiler pour les 6tudiants d'ori- gine populaire, du fait de son affinit6 avec la culture technique, soit encore que la transmission en est facilitee dans les facultes de sciences

* Cet article s'appuie principalement sur les r6sultats de deux enquetes portant sur un 6chantillon repr6sentatif de 3 000 etudiants en sciences du premier cycle et de 3 000 6tudiants en sciences entrant pour la premiere fois dans le second cycle de 12 facult6s et colleges scientifiques universitaires. Ces enquetes menses sous la direc- tion de Pierre Bourdieu, en collaboration avec L. Boltanski, R. Castel, M. Lemaire, a la demande de l'Association d'Etudes pour I'Expansion de la Recherche scienti- fique et du Ministere de l'Education nationale ont fait l'objet de deux comptes rendus detailles auxquels on pourra se reporter. Cf. SAINT MARTIN M. de, BOLTANSKI L., CASTEL R. et LEMAIRE M., sous la direction de BOURDIEU P., Les etudiants en sciences du premier cycle, Paris, Centre de Sociologie europ6enne, juin 1966, xI-116 p., 65 tabl., et CASTEL R., LEMAIRE M., S.INT MARTIN M. de, sous la direction de BOURDIEU P., Les tudionts en sciences de premiere anne du second cycle, Paris, Centre de Sociologie europ6enne, fevrier 1967, 60 p., 29 tabl.

(1) Cf. BOURDIEU P. et PASSERON J.C., Les heritiers, Paris, Ed. de Minuit, 1964, pp. 12-21.

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par un ensemble d'ameliorations p6dagogiques qui n'ont cess6 de se developper au cours des dernieres annees: s6ances de travaux dirig6s, de travaux pratiques, de corrections d'exercices, examens partiels, << colles >. A la limite, les inegalites de reussite ou les differences de carriere ne seraient plus imputables qu'a des inegalites d'aptitudes ou, au mieux, aux conditions de travail plus ou moins difficiles des 6tudiants.

Peut-_tre faut-il d'abord contrl81er les faits que l'abondance meme des explications porte parfois a admettre sans examen. On oublie en effet trop souvent que la population reelle des etudiants en sciences comprend non seulement les 6tudiants des facult6s mais aussi les 6l6ves des classes preparatoires aux grandes 6coles et ceux des grandes ecoles. Or, les classes preparatoires accueillent environ le tiers des 6lves acc6dant a l'enseignement superieur scientifique. Ainsi, en 1964-1965, si le nombre des 6tudiants inscrits pour la premiere fois dans les facultes des sciences 6tait de 22 822, on peut estimer que le nombre effectif ne devait guere depasser 15 000 (2). La meme annee, les classes preparatoires scienti- fiques comptaient 8244 6lves en premiere annee (3). En outre, les individus ainsi prelev6s sur la population globale des 6tudiants des disciplines scientifiques ne se distribuent pas au hasard selon l'origine sociale; la representation des 6tudiants originaires des classes populaires 6tait plus faible dans les classes pr'paratoires et plus encore dans les grandes 6coles que dans les facultes. On ne comptait en effet en 1964-1965 que 6 % de fils d'ouvriers dans les classes preparatoires, 3,8 % parmi les scientifiques de l'Ecole normale superieure de la rue d'Ulm et 2 % a 1'Ecole Polytechnique. Si l'on considere maintenant 1'ensemble de

l'enseignement superieur scientifique (et non plus les seules facultes de sciences), on voit que la part des fils d'ouvriers se situe autour de 11,5 % (4), soit une proportion plus forte que dans les facultes de pharmacie (3 %), medecine (4,5 %), droit (9 %) mais a peu pres 6quivalente a celle

(2) Il faut en effet tenir compte d'une part des doubles inscriptions provenant pour la plupart d'6l&ves des classes preparatoires qui ne suivent pas 1'enseignement de la facult6 (environ 3500), d'autre part des abandons en cours d'ann6es, difficiles a evaluer, mais dont les statistiques concernant la facult6 des sciences de Paris permettent de d6finir grossi rement l'ampleur: on sait en effet que 24 % des 'tu- diants inscrits en d6but d'annee ne s'inscrivent pas a l'examen. Sans meme tenir compte des 6tudiants qui s'inscrivent l1'examen et ne s'y presentent pas, on peut estimer que le nombre des 6tudiants abandonnant leurs etudes en cours d'annee doit etre de l'ordre de 5 000.

(3) Ce chiffre correspond a peu pros au nombre reel puisque la quasi-totalit6 des elves inscrits y suit les cours et que les abandons en cours d'6tudes y sont rela- tivement rares.

(4) Encore convient-il de priciser que les fils d'ouvriers ou d'agriculteurs accedant a la faculte des sciences ne sont pas representatifs de leur categorie puisqu'ils pro- viennent de la fraction la moins d6favorisbe de leur classe. Le nombre moyen de membres de la famille 6tendue, c'est-a-dire du groupe forme par les grands-parents, les freres ou les sceurs des parents, les cousins et les cousines du premier degre, a avoir fait des 6tudes superieures ne varie que du simple au quadruple lorsque l'on passe des 6tudiants dont l'origine sociale est la plus basse, a ceux dont l'origine sociale est la plus 6levee, alors que les chances objectives d'acceder a l'enseigne- ment superieur sont Quarante fois plus forte pour un fils de cadre superieur que pour un fils d'ouvrier. La presence dans la famille d'un parent ayant fait des 6tudes superieures prouve que ces familles ouvrieres se distinguent du reste de leur cat6- gorie par une situation culturelle originale, ne serait-ce que dans la mesure oui elles proposent une esperance subjective plus forte d'accider a l'universit6.

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de l'enseignement superieur litteraire (11,5 % environ) (5). Tout se passe done comme si le handicap des fils d'ouvriers 'tait aussi grand devant les etudes de sciences que devant les 6tudes de lettres.

Il semble bien que dans l'heritage culturel des 6tudiants en sciences, la part des savoirs particuliers dont l'utilisation scolaire est immediate- ment rentable est moins importante qu'elle ne 1'est dans celui des etu- diants en lettres puisque la culture scientifique telle que I'enseigne 1'Ecole n'est pas, comme la culture litteraire, dans le prolongement imme- diat de la culture vehicul~e par la famille. Quels sont, dans ces conditions, les mecanismes par lesquels s'opere dans les etudes de sciences comme dans les autres enseignements, et a peu pres au meme degre, une selec- tion differentielle selon l'origine sociale ?

Les micanismes d'dlimination

L'enquete men6e aupres des 6tudiants en sciences montre que 1'atti- tude des 6tudiants et de leur famille A 1'agard de 1'Ecole qui n'est autre que l'interiorisation sous forme d'esperance ou de desespirance subjec- tive des chances objectives d'accider aux differents types d'enseigne- ment, constitue le facteur determinant de leur s6lection et de leur 1limi- nation (6). Tout semble indiquer que, lorsqu'ils decident d'entreprendre tel ou tel type d'etudes, d'entrer dans tel ou tel etablissement, les 6tu- diants se ref rent, m me s'ils ne les estiment pas consciemment, aux chances objectives qu'ils ont en faisant ce choix, de mener jusqu'au bout leurs 6tudes. Si les etudiants originaires des classes populaires sont si faiblement represent6s dans les classes preparatoires aux grandes 6coles, cela tient sans doute plus encore qu'aux seules contraintes g6ogra- phiques (7) a ce qu'ils ont des aspirations strictement mesurees aux chances de leur categorie. Ainsi, l'enquete montre que 61% d'entre eux d6clarent ne pas avoir envisage d'entrer dans une classe preparatoire

(5) La part des fils d'ouvriers est de 12,5 % dans les facultis de lettres et de 5 % dans les classes preparatoires litteraires. En tenant compte du pr6lbvement oper6 par ces classes qui est de l'ordre du 1/10 (en 1964-1965, 29 777 6tudiants s'inscrivaient pour la premiere fois a la facult6 des lettres et 2 700 61eves en hypokhigne) et des abandons en cours d'annee on peut estimer a 11,5 % la part des fils d'ouvriers dans l'ensemble de 1'enseignement sup6rieur litt6raire. (6) Pour l'ensemble de cette analyse: cf. BOURDIEU P., < La transmission de 1'he- ritage culturel >, in DARRAS, Le partage des bndefices, Paris, Ed. de Minuit, 1966, pp. 383-420

(7) L'etude de la r6partition g6ographique des classes pr6paratoires montre qu'elles sont concentr6es

" Paris et dans les villes de facultis. Alors que les facult6s de Paris et Orsay rassemblent 23,5 % des 4tudiants, les lycees parisiens comptent 44 % des classes de Maths Sup. et de Maths Sp6. D'une manibre gendrale, plus un 6quipement scolaire est prestigieux, plus la province apparait d6favorisbe par rap- port a Paris. De plus, il existe des diff6rences qualitatives trbs fortes entre les classes preparatoires de Paris et celles de province; a 1'Ecole normale superieure de la rue d'Ulm, 60 % des 61ves proviennent des classes pr6paratoires de Paris, 37 % des classes pr6paratoires etablies dans des villes de faculte et 3 % seulement de classes pr6paratoires implant6es dans des villes n'ayant pas de facult6. Aussi les fils d'ouvriers et d'agriculteurs qui h6sitent souvent a s'6loigner de leur region d'origine ont-ils peu de chances d'entrer dans une classe pr6paratoire et encore moins dans une grande 6cole.

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contre 36 % seulement des 6tudiants issus des classes superieures (8). C'est sans doute parce qu'ils procedent a une evaluation < realiste >) de leurs chances d'entrer dans une classe preparatoire que les 6lbves origi- naires des couches les plus modestes ne s'y dirigent que s'ils ont obtenu de tres bons resultats scolaires dans l'enseignement secondaire, tandis qu'une reussite scolaire mediocre ne suffit pas a 6loigner de 1'esprit des 6lves originaires des classes moyennes ou superieures l'id6e d'entrer dans une classe preparatoire (9); il faut aux 6lves issus des classes populaires une reussite exceptionnelle pour qu'ils osent envisager une telle 6ventualit6. En tenant pour d6raisonnable ou ambitieux le choix d'entrer dans une classe preparatoire oil les 6tudes sont objectivement plus difficiles qu'en facult6 et leur issue plus incertaine, les 6tudiants originaires des classes populaires, qui, on le verra mieux par la suite, sont les plus sensibles " la recherche de la securit6 et les plus mesurbs dans leurs esperances, manifestent ici, comme en toute autre occasion similaire, une attitude resign6e mais realiste devant I'Ecole. Leurs aspi- rations se voient ainsi bornees par les conditions objectives qui excluent la possibilit6 du souhait de l'impossible. Ils n'envisagent qu'exception- nellement de faire des 6tudes de medecine ou de droit qui leur paraissent difficiles, longues, cotiteuses, reservees aux 6tudiants des autres cate- gories; ils h6sitent a faire des 6tudes de lettres pour lesquelles ils s'estiment peu doues: < Moi, je n'ai jamais 6t6 fort en lettres. 11 faut etre doue, il y a quand meme des dispositions > (fils d'ouvrier, M.G.P., Paris). < Dans le secondaire, je n'6tais pas dou6 pour les lettres, je n'aurais donc pas pu faire lettres>> (fils de contremaitre, S.P.C.N., Lille). Bien que leur reussite en lettres, mesuree au nombre de prix dans les matieres litteraires obtenus en classe terminale, soit, a peu de chose pres, equivalente A celle des fils de cadres superieurs (respective- ment 31 % et 34 % des 6tudiants des classes populaires et des classes superieures ont obtenu au moins un prix dans ces disciplines), les etu- diants originaires des classes populaires declarent plus souvent que ceux qui sont issus des classes superieures ne pas etre bons en franqais. Ainsi, 62,5 % des fils d'agriculteurs et 59 % des fils d'ouvriers se disent mauvais en frangais, contre 48 % des fils de cadres superieurs et 37 % seulement des fils de professeurs.

Les esperances scolaires propres a chaque categorie sociale paraissent bien constituer un des principes fondamentaux de la repartition differen- tielle des 1~lves originaires des differentes classes entre les diff6rents types d'6tudes et d'6tablissements. A chaque niveau du cursus, 1'attitude

(8) S'agissant d'analyser en l'espace d'un article les resultats essentiels de deux enquetes, la place nous a manque pour pr6senter l'ensemble des tableaux statisti- ques que 1'on trouvera dans les deux rapports d'enquete cites plus haut.

(9) 11 s'ensuit que les facultes de sciences constituent un refuge pour nombre d'etudiants issus des classes sup6rieures dont les r6sultats scolaires etaient mediocres et qui n'ont pas ete admis dans les classes preparatoires. L. Liard note d'ailleurs que les facultes de sciences cr66es trop tard servirent des l'origine a recueillir le rebut des grandes 6coles. Cf. L. LIARD L'enseignement superieur en France. Tome II. Il semble bien qu'a l'interieur mnme de la facult6 des sciences chaque discipline regoive une proportion d'etudiants << rfugies >) d'autant plus forte que l'on va vers les disciplines situees au bas de la hierarchie.

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realiste et resign~e devant l'Ecole propre aux membres des classes popu- laires est responsable au moins pour une grande part d'une auto-6limina- tion qui vient renforcer l'action des mecanismes de selection scolaire dont la contrainte s'exerce d'autant plus fortement sur les sujets qu'ils sont d'origine sociale plus modeste: 68 % des fils de salaries agricoles, 55 % des fils d'ouvriers n'entrent pas en sixieme contre 6 % seulement des fils de cadres superieurs (10). Pour ceux qui survivent a cette 6li- mination, le passe social se transforme en passif scolaire grace a des mecanismes de relais tels que les choix precoces et souvent mal informes. En effet, des le moment de l'entree en sixieme, la probabilit6 objective de faire des 6tudes secondaires qui est fonction de la categorie socio- professionnelle du pere se retraduit en probabilites de faire des etudes dans un 6tablissement plutot que dans un autre, dans une section plutat que dans une autre, d'etre 6limin6, ou non en cours d'6tudes, d'acc6der ou non A l'enseignement sup'rieur, les avantages ou desavantages sociaux se convertissant progressivement en avantages ou en d6savantages sco- laires. Plus on descend dans la hibrarchie sociale, plus on a de chances d'entrer dans des 6tablissements et des sections offrant une faible proba- bilit6 de reussite. Ainsi parmi les 6tudiants en sciences, 59 % des fils d'ouvriers, 51% des fils d'agriculteurs sont rentres dans un collage d'enseignement general en sixieme (11) contre 14 % seulement des fils de cadres superieurs qui, a l'inverse, 6taient beaucoup plus nombreux dans les lycees. Tout conduit en effet les 6lves des classes populaires a entrer dans un collage d'enseignement g6neral, le lycee ne faisant pas partie de leur univers concret: 15 % des familles des 6lves des collages d'enseignement general ignorent meme le nom du lycee le plus proche, le taux atteignant 36 % pour les familles des 6lves de classes de fin d'etudes primaires (12). Ainsi, les enfants originaires des classes popu- laires qui ne disposent guere d'informations sur les differents 6tablisse- ments et qui, lors meme qu'ils les connaissent, h6sitent souvent a se diriger vers les 6tablissements et les sections dont le prestige est le plus grand et qui offrent les plus larges possibilites, doivent, la plupart du temps, payer de leur relegation dans un collage d'enseignement general leur entree en sixieme tandis que les enfants des classes aisles a qui une reussite mediocre interdit le lycee trouvent de toute facon asile dans 1'enseignement priv6. Plus encore, les fils d'ouvriers ou d'agriculteurs se dirigent plus souvent vers les sections modernes et ceci meme lorsque l'dtablissement leur propose plusieurs sections. Ainsi, les fils d'agricul- teurs et d'ouvriers acc6dant a la Facult6 des sciences en provenance des lycees, ont fait une section moderne dans 54 % et 48 % des cas

(10) Cf. SAUVY A., GmARD A., << Les diverses classes sociales devant l'enseignement. Mise au point g6nerale des resultats >. Population, (2), mars-avril 1965, p. 210

(11) Cette enquite ayant 6td realisbe en 1965-1966, il s'agit d'6l&ves entres dans l'enseignement secondaire avant la creation du cycle d'observation et des colleges d'enseignement secondaire. Les observations faites ici sur l'entr6e en sixieme seront peut-6tre A nuancer dans quelques annies; cependant dans l'immediat, il ne semble guere que la situation s'en soit trouvee modifiee profond6ment.

(12) Cf. CLERC P. <<La famille et l'orientation scolaire au niveau de la sixieme. Enquite de juin 1963 dans I'agglombration parisienne>>. Population, (4), aoeit-sep- tembre 1964, pp. 655-57.

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respectivement, contre 23 % des fils d'instituteurs, 21% des fils de cadres sup6rieurs et 5 % des fils de professeurs. L'experience et la per- ception de 1'Ecole ne peut etre la meme pour des 6tudiants de diff&- rentes classes sociales parce qu'ils ont aborde 1'enseignement de fagon diff6rente, les uns empruntant des le depart la <<petite porte>>, les autres la voie royale.

L'Ecole n'est 6videmment pas 6trangere a ce processus d'orientation et de s6lection des 6leves, puisqu'elle contribue a transformer les ine- galit6s sociales en inegalit6s scolaires qui sous l'influence de ses juge- ments sont retraduites en in6galit6s d'aptitudes aux diff6rentes disci- plines. II faut ici rappeler que les instituteurs puis les professeurs tendent a agir, sans toujours en avoir conscience, dans le meme sens que les familles en consacrant leur choix; a r6ussite scolaire 6quivalente, ils orientent les enfants des milieux favorises vers des 6tudes longues et prestigieuses plus souvent que ceux des autres milieux (13). Qui plus est, les instituteurs, tres sensibles aux difficult6s en frangais des e61ves originaires des classes populaires, contribuent par leurs jugements a leur donner concience de cet handicap et les encouragent a r6ussir en math6- matiques. N'ayant rien a opposer aux jugements de 1'instituteur ou du professeur, ne recevant guere d'avis ou de conseils de leur famille, bref, attendant tout de 1'Ecole, les 61eves originaires des classes populaires accueillent comme des verdicts indiscutables les jugements ou les nota- tions decern6s par les professeurs. Au moment de 1'entree dans l'ensei- gnement sup6rieur, l'influence des professeurs continue a se faire sentir et s'exerce d'autant plus fortement que l'on descend dans la hierarchie sociale: 19 % seulement des fils de cadres scientifiques, et 25 % des fils de cadres sup6rieurs d6clarent avoir 6t6 conseill6s par leurs pro- fesseurs contre 45 % des fils d'agriculteurs, 44 % des fils d'ouvriers, 50 % des fils d'employ6s. Les fils de cadres sup6rieurs d6clarent au contraire plus souvent avoir 6t6 conseilles par leurs parents. Les etu- diants dont le

plre a un dipl6me superieur scientifique cumulent tous

les avantages: outre l'aide directe qu'ils recoivent de leur famille pour l'accomplissement de leurs tiches scolaires, ils disposent en effet d'un large capital d'informations et peuvent d6battre des avantages subtils et imperceptibles aux non initi6s que pr6sente telle classe pr6paratoire ou telle 6cole par rapport a telle autre; ils ont en effet souvent des amis ou des parents qui ont << integr6 > dans les 6coles les plus prestigieuses; ils connaissent aussi les meilleures filibres comme les moyens et les m6thodes les plus rationnels pour se pr6parer

% une carrire scien-

tifique. Avant meme qu'ils soient en Age de choisir, les fils d'ouvriers ou

d'agriculteurs voient se refermer I'6ventail des choix alors que les fils de cadres superieurs, nombreux dans les sections et les 6tablissements o~ est dispens6 un savoir polyvalent, peuvent diff6rer jusqu'au bacca- laur'at et parfois meme au-del" l'instant de la d6cision. Les premiers se trouvent en quelque sorte pris dans un engrenage qui les conduit, s'ils

(13) Cf. GIRARD A., BASTIDE H., <<La stratification sociale et la d6mocratisation de i'enseignement >>, Population 18 (3), juillet-septembre 1963, p. 443.

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ne sont pas 6liminds en cours d'6tudes, vers les sections M, M' en seconde puis vers le baccalaureat Sciences experimentales; les choix operes au moment de l'entree en sixieme scellent une fois pour toutes les destins scolaires en convertissant 1'heritage culturel en passe scolaire. Le choix force que la plus grande part des 1~lves originaires des classes popu- laires font ia ce moment-li est aussi un mauvais choix qui compromet irreversiblement leur avenir. On s'en convaincra si l'on sait qu'en classe de premiere, 86 % des 6tudiants en sciences fils d'ouvriers, 80 % des fils d'agriculteurs, d'employes, d'artisans et commercants 6taient inscrits dans une section moderne ou technique contre 50 % des fils de cadres superieurs et 29,5 % seulement des fils de professeurs. Or, les 6lves issus des sections modernes ont beaucoup plus de chances d'etre contraints d'abandonner leurs 6tudes en cours de scolarit6 que les 6lves issus des sections classiques. Alors qu'ils 6taient en 1962-1963 deux fois plus nom- breux en classe de premiere que les 6l6ves des sections classiques, les lves des sections modernes ne representaient en 1964-1965 que 25,6 % des 6tudiants inscrits en premiere et deuxieme annie a la facult6 de medecine, 45 % des 6tudiants " la facult6 des lettres et 40 % seulement des 6lves des classes preparatoires elles-memes.

De plus, aux diff6rents types de filibre scolaire correspondent des formations de qualit6 diff6rente: la hibrarchie de la qualit6 des ensei- gnants (mesuree au taux d'agreg6s dans chaque 6tablissement) correspond a la hibrarchie de la qualit6 des 6tablissements et des sections (14). Le systeme reserve a son elite les meilleures sections, le plus souvent les sections classiques vers lesquelles se portent les professeurs les plus aptes a faire des bons 6lves les 6lves les meilleurs. Au niveau du bacca- laureat, les 6tudiants touches par 1'enquete ont choisi d'autant plus sou- vent Mathematiques 6lmentaires qu'ils provenaient de ces sections: les l16ves originaires des sections modernes (M' notamment) se dirigent plus souvent vers l'option Sciences experimentales et ceci d'autant plus fr&quemment qu'ils sont d'origine sociale plus modeste. Ainsi, ceux qui n'ont pas t et'liminds dans le cours de leurs 6tudes secondaires ont toutes chances, s'ils font des 6tudes superieures, d'etre conduits vers les facultes de sciences (15). A l'interieur meme de la facult6 des sciences,

(14) La representation traditionnelle de la hierarchie des sections commence a peine aujourd'hui a perdre de son influence. La pricellence des sections classiques 'tait telle que l'on pouvait

' peine parler d'orientation puisque le cursus scolaire

'tait d6termin' de fagon quasi-automatique par une r'ussite mesur'e selon une echelle de valeurs unique et indiscutee et que l'entr'e dans la section moderne etait perque par tous, et par les interess6s eux-memes comme une relegation et une decheance. On lit dans la preface des instructions relatives l'application du plan d'6tudes secondaires de 1925: <<Cet isolement (des 6lves <<modernes >) auquel vinrent d'ailleurs se joindre d'autres causes parmi lesquelles la plus importante fut sans doute la mediocrit6 de recrutement de la section B fit beaucoup pour perpetuer la d6faveur qui, des 1'origine, s'6tait attach6e ' l'enseignement sans latin et main- tenir les 6~lves qui le suivaient dans une situation humilice. Il fut cause que subsiste encore aujourd'hui, vivace, le prejuge que la valeur d'un enseignement depend des matieres qui le composent, et que si l'enseignement classique est pre- cellent, c'est parce qu'il comporte dans ses programmes le latin et le grec. >> (Journal Officiel du 3 septembre 1925.)

(15) Dans une etude de la carriere de 150 scientifiques de cinq universites diff6- rentes des Etats-Unis, D. Crane a mis en evidence un phenomene du meme ordre. Elle montre comment les meilleures 6coles selectionnent les meilleurs 6tudiants

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les chances de s'inscrire dans une section plut6t que dans une autre dependent directement du passe scolaire, lui-meme conditionn6 par l'origine sociale. Les etudiants ont d'autant plus de chances de s'inscrire en M.G.P., section qui fait une large part

" l'enseignement des math6-

matiques, qu'ils sont d'origine sociale plus 6lev6e, qu'ils ont commence leurs 6tudes dans les lycees plut6t que dans les colleges d'enseignement g6n6ral, qu'ils ont suivi les sections classiques plutot que les sections modernes: 37 % des fils de cadres sup6rieurs, 48 % des fils de cadres scientifiques et 56 % des fils de professeurs sont inscrits en M.G.P. contre 24 % seulement des fils d'agriculteurs, 28 % des fils d'ouvriers, 27 % des fils d'employ6s (16). A l'inverse, on compte 45 % des fils d'agri- culteurs, 49 % des fils d'ouvriers ou d'employes en M.P.C., oi l'enseigne- ment de la physique et de la chimie sont pr6pond6rants, contre 39 % des fils de cadres superieurs, 31 % des fils de cadres sup6rieurs scien- tifiques et 21% des fils de professeurs. Au moment de l'entr6e dans le second cycle, les 6tudiants font des choix d'autant moins risques et manifestent d'autant plus de realisme et de prudence raisonnable qu'ils sont d'origine sociale plus modeste: les 6tudiants issus des classes supe- rieures se dirigent proportionnellement plus souvent vers les licences de math6matiques ou de physique que les dtudiants issus des classes popu- laires qui se dirigent plus souvent vers les licences de chimie ou de sciences naturelles (17).

Les mecanismes qui sont responsables de la r6partition diff6rentielle des filles et des garqons entre les diff6rents types d'6tudes et d'6tablis- sements ne sont pas sans rappeler les mecanismes de repartition des etudiants de diff6rentes classes sociales quoique leur fonctionnement obbisse a une logique un peu diff6rente. Les filles sont, on le sait, moins nombreuses dans l'enseignement scientifique sup6rieur que les garqons: elles repr6sentaient en 1964-1965 31,6 % des effectifs de la facult6 des sciences et 12,6 % de ceux des classes preparatoires. C'est sans doute pour une large part parce que les 6tudiantes, leurs familles et sans doute aussi les maitres continuent a adherer a une image des qualites ou des dons sp6cifiquement feminins qui reste dominee par le moddle tradi- tionnel de la division du travail entre les sexes que les filles se dirigent si souvent vers les facultes de lettres (oui elles repr6sentent 65,8 % des 6tudiants) et beaucoup moins souvent vers les 6tudes de sciences. L'action

parmi lesquels les meilleurs sont form6s par les meilleurs scientifiques et deviennent a leur tour les scientifiques les plus productifs. D. CRANE, Scientists at major and minor universities: a study of productivity and recognition >. American sociolo- gical Review 30 (5), octobre 1965.

(16) La reforme actuelle ne modifiera sans doute pas profond6ment la situation; il y a toutes chances pour que la r6partition des 6tudiants entre les quatre sections de premiere ann6e du premier cycle cre'es par la r6forme, math6matiques et phy- sique (M.P.), physique et chimie (P.C.), chimie et biologie (C.B.), biologie et geo- logie (B.G.), se fasse selon la meme logique et en fonction des memes m6canismes; en effet ces quatre sections se hidrarchisent exactement de la meme fagon que les trois sections ant6rieures a la rdforme.

(17) 27,5 % des ills de professeurs, 24,5 % des fils de cadres scientifiques se dirigent vers la licence de math6matiques pures contre 15 % des fils d'ouvriers, 10,5 % des fils d'agriculteurs. En licence de chimie on compte 30,5 % des fils d'agriculteurs, 28,5 % de fils d'ouvriers contre 16,5 % de fils de cadres scientifiques, 17,5 % de fils de professeurs.

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de ce module s'exerce, semble-t-il, par la mediation de la croyance en l'inegalit6 des dons qui porte a pr6ter aux filles moins d'aptitudes pour les sciences que pour les lettres et aussi de la representation selon laquelle les professions auxquelles ouvrent les etudes scientifiques (mis a part celle de professeur) ne conviennent pas aux femmes: bref, on tend a considerer que les filles ne sont pas faites pour les sciences et que les professions scientifiques ne sont pas faites pour elles. Si, choi- sissant de faire des 6tudes de sciences, elles se dirigent moins souvent que les gargons vers les classes preparatoires, cela ne tient pas a un handicap initial dui une mauvaise orientation de depart: elles se recru- tent en effet en proportions 6quivalentes dans les differentes categories socio-professionnelles et proviennent dans la meme proportion des differents types d'etablissements et de sections. On ne peut non plus attribuer cette difference a une r6ussite scolaire moins bonne puisque, tout a l'oppose, les filles inscrites a la facult6 des sciences ont une r6us- site anterieure meilleure que les gargons. Si les 6tudiantes en sciences n'envisagent que rarement de se diriger vers les classes pr6paratoires, cela tient d'abord " ce que ces classes pr6parent a des ecoles qui leur sont fermies pour la plupart et a des professions traditionnellement reservees aux hommes (18). Ayant de leur avenir professionnel et surtout intellectuel une image moins assur6e que les garcons, faisant aussi preuve de plus de modestie dans leurs choix et dans leurs estimations de leur propre valeur, les filles h6sitent souvent a entreprendre des 6tudes qui leur sont present6es comme le plus difficiles (19). Si a I'int6rieur de la facult6 des sciences, elles sont plus nombreuses (57,7 %) que les gar- gons en S.P.C.N., section oi pr6domine 1'enseignement des sciences natu- relles et ' 1'inverse moins nombreuses en M.G.P. (23,7 %) cela tient sans doute a ce qu'elles ont int6rioris6 la definition sociale des 6tudes feminines selon laquelle a d6faut de faire des 6tudes de lettres, elles doivent au moins se diriger vers les 6tudes qui requibrent du travail, de la minutie, des qualit6s de m6moire plutSt que vers celles qui font surtout appel aux capacites d'abstraction, de synthese et d'invention.

L'explication par l'int6riorisation des chances objectives ne vaut pas seulement dans le cas du choix des 6tablissements et des sections aux difflrentes etapes de la carribre scolaire mais doit encore etre invoqube pour rendre compte des comportements quotidiens des 6tudiants des differentes classes sociales, de leurs attitudes a l'6gard de l'enseignement

(18) Une enquete r6alis6e aux Etats-Unis aupres d'un 6chantillon d'6tudiantes diplombes a mis en 6vidence le meme ph6nombne. Interrog6es sur les professions qui conviennent aux femmes, les 6tudiantes ont manifest6 la d6sapprobation la plus forte a l'6gard des deux professions d'ing6nieur et d'homme d'affaires. Les obstacles au choix de cette profession operent trbs tot car les parents d6couragent leurs filles de s'y preparer. Cf. A. S. RossI, < Barriers to the career choice of engi- neering, medecine, or science among American women. > In HATTFELD J. and VAN AKFN C. Women and the scientific professions. Cambridge, Mass. and London, The M.I.T. Press, 1965, pp. 51-127.

(19) Elles envisagent aussi des 6tudes moins longues que les gargons; 39 % pensent s'arr6ter au niveau de la licence contre 17,5 % seulement des gargons; elles se des- tinent plus souvent l1'enseignement (dans 87 % des cas au niveau du premier cycle contre 48 % des gargons) moins souvent a la recherche ou a l'industrie.

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dispense a l'int6rieur des facultes et de l'avenir professionnel (20). Lorsqu'on leur demande par exemple d'evaluer les chances de reussite au prochain examen, les etudiants originaires des differentes classes sociales ne prennent pas seulement en compte leurs 6checs ou leurs succes passes. L'enquete montre que, paradoxalement, les fils d'agri- culteurs ou d'ouvriers qui ont eu, avant d'entrer en facult6, une reus- site scolaire 6gale, sinon superieure a celle des 6tudiants issus des classes superieures, se montrent plus incertains de l'issue de leur examen (21). Les indices d'une attitude assur6e ou satisfaite s'observent surtout chez les 6tudiants originaires des hautes classes: ceux dont le pere a un diplome 6gal ou superieur la licence d&clarent plus souvent (dans 40 % des cas) que les autres 6tudiants (dans 29 % des cas) avoir suivi facile- ment l'enseignement de la faculte l'annee precedente. Ce sont eux qui prennent aussi la distance la plus grande a l' gard de 1'enseignement qui leur est dispense et ont les comportements les moins << scolaires>> : ils sont un peu moins nombreux a se presenter aux examens partiels ou aux colles que les 6tudiants originaires des autres categories: 76,5 % des fils d'ingenieurs et autres cadres scientifiques se sont presentes soit aux partiels, soit aux colles, soit a ces deux types d'6preuves contre 85,5 % des fils d'ouvriers ou d'agriculteurs. Tout donne ' penser qu'il faut se garder d'opposer globalement, comme on le fait communement, le serieux des scientifiques au dilettantisme des litteraires. En effet a

l'interieur meme des facultes de sciences, plus on s'6lve dans la hierar- chie sociale, plus les 6tudiants entretiennent un rapport detach6 avec

l'enseignement: les fils de cadres superieurs ont la representation ia plus libre de leur temps de travail. << J'aime etre libre et j'ai horreur

d'etre contraint a travailler pendant certaines heures, pendant lesquelles je pourrais m'occuper a d'autres activits >> (fils d'ing6nieur, M.G.P., Lille). <<L'organisation du travail, c'est tres bien. Au depart, on a pu choisir les seances d'exercices qu'on voulait, ensuite si on n'a pas envie d'aller aux cours, on n'y va pas > (fille de pharmacien, M.G.P., Lille). A l'inverse, les fils d'ouvriers ou d'agriculteurs manifestent le d6sir d'etre suivis de plus pres par les professeurs, d'etre mieux et plus etroitement encadres et voient souvent dans les cours un << moyen de gagner du temps >.

On n'est pas assez suivis quand meme. Les colles, c'est embetant, mais ga force a apprendre. En prepa., c'est mieux, les etudiants sont tenus de travailler, sont pousss >> (fils d'ouvrier, S.P.C.N., Lille). << Le contr6le du travail est insuffisant. Ca depend de l'assistant, du nombre d'6tudiants dans le groupe. Les devoirs surveilles, c'est int6- ressant>> (fils d'ouvrier, M.G.P., Paris). Comme les conduites scolaires, les representations que les 6tudiants ont de leur avenir sont l'expression

(20) Les attitudes a l'1gard de 1'enseignement des etudiants en sciences des diff6- rentes classes sociales obeissent a ia meme logique que celle qui a 6te mise en evidence ' propos des etudiants en lettres. Cf. BOURDIEU P., PASSERON J.C., Les 'tu- diants et leurs 6tudes, Paris, La Haye, Mouton, 1964, Cahtiers du Centre de Sociologie europeenne, 1, pp. 63-68.

(21) 7 % des fils d'agriculteurs et 5,5 % des fils d'ouvriers seulement considerent qu'ils ont des chances de reussite fortes ou tr's fortes contre 18,5 % des fils de cadres scientifiques ou 21% des fils de professeurs.

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d'un systeme de valeurs socialement determine. Pour les 6tudiants issus des classes populaires, la poursuite et l'achevement des 6tudes n'est jamais chose acquise; ce qui se joue, a chacune des 6tapes du cursus universitaire, ce n'est pas seulement le travail d'une annie sanctionn~e par u'n examen, mais la totalit6 de l'avenir scolaire et professionnel. Comme si leur avenir scolaire et professionnel etait a chaque instant suspendu aux verdicts de 1'Ecole, nombre de ces 6tudiants ne prennent la d6cision de poursuivre leurs 6tudes qu'apres avoir eu connaissance des resultats de l'examen (22).

Les succes continus qu'il leur a fallu obtenir dans le passe pour se maintenir (on sait en effet qu'ils doivent a une reussite scolaire plus forte que celle des 6tudiants issus des classes superieures leur entree en facult6) ne parviennent pas a avoir raison d'une prudence r6aliste qui c6toie souvent la resignation. Au contraire, tout se passe comme si les 6checs repetes ne suffisaient pas a 6branler la confiance des 6tudiants originaires des hautes classes, pour qui une annie redoubl6e n'est jamais au fond qu'une ann6e perdue; parce qu'ils ont tout le temps devant eux, ils ont aussi la certitude de parvenir un jour a leur but (23). Invites au moment d'entrer dans le second cycle a indiquer jusqu'a quel niveau ils envisagent de poursuivre les 6tudes, les 6tudiants qui se destinent a 1'enseignement souhaitent passer I'agregation dans 73 % des cas lorsque leurs parents occupent le sommet de la hierarchie sociale (pere et grand- pere de classe superieure) et dans 39 % des cas seulement lorsqu'ils sont issus des classes populaires (pere et grand-pare de classe populaire) (24).

C'est dans la logique de la necessit6, plut6t que dans celle de la vocation, qu'il faut interpreter le choix des carrieres de 1'enseignement, au moins lorsqu'il est le fait des 6tudiants issus des classes populaires. On se destine d'autant moins souvent a l'enseignement que l'on est d'origine sociale plus dlevee: il s'agit 1a d'une loi gendrale a laquelle font seuls exception les fils d'instituteurs et de professeurs, chez qui les valeurs h6rities du milieu familial, en particulier l'adh6sion aux valeurs sco- laires, vient contrarier l'influence des normes de classe. L'enseignement represente pour les fils d'ouvriers ou d'agriculteurs l'option sinon la plus rationnelle, ou la plus raisonnable, du moins celle qui offre le plus de securite. Les d6bouch6s industriels restent en effet al6atoires pour les etudiants des facultes et supposent, outre un reseau de relations que les

(22) Cette fille d'employe qui prepare une licence de sciences biologiques " Paris

nous en donne une illustration parfaite: << Apres le cours complementaire, je suis entree au lycee. La, je visais le Bac. Apres l'avoir reussi, je me suis dit: je vais essayer S.P.C.N. et quand je l'ai eu, j'ai decide de continuer. J'ai tente S.P.C.N. parce qu'avec on pouvait etre professeur dans un cours complementaire. Je m'6tais donnee 2 ans pour passer S.P.C.N., je l'ai eu en un an, aussi je me suis dit: si ga marche pourquoi ne pas continuer et faire la licence. >

(23) 62 % des fils de professeurs par exemple declarent vouloir redoubler en cas d'echec, contre seulement 45 % des fils d'ouvriers et 35 % des fils d'agriculteurs.

(24) A partir d'une enquete men&e dans quatre 6tablissements du Missouri, W. S. Bennet et N. P. Gist ont montre que les 6tudiants semblent percevoir les possibilites reelles qui leur sont offertes selon leur milieu et ajustent en consequence leurs projets professionnels: 74 % des 6tudiants issus des classes superieures font les projets faisant preuve du plus haut niveau d'aspiration contre 45 c des 6tudiants issus des classes inferieures. Cf. BENNET W. S., GIST N.P., <<Class and family influences on student aspirations >, Social Forces 43 (2), decembre 1964, pp. 167-174.

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etudiants des milieux modestes savent ne pas pouvoir mobiliser (25), tout un ensemble d'aptitudes socialement conditionn6es (26). Quant

, la

recherche, elle est le plus souvent perque comme un mythe prestigieux, comme une eventualit6 heureuse mais irreelle ou irrealisable, et, en tout cas, fort mal connue. Aussi, le choix de l'enseignement parait-il souvent n'etre que le resultat de l'interiorisation r6sign6e d'un destin social: se destiner a l'enseignement, c'est par 1l meme et dons l'etat actuel des choses, s'assurer un avenir professionnel stable sinon brillant, en se m6nageant la possibilit6 d'abandonner les 6tudes a n'importe quel niveau du cursus universitaire. Ainsi, les choix en apparence les plus libres, demeurent-ils sous la dependance des conditions objectives (27).

Si la relation entre l'esperance subjective et la probabilite objective permet d'expliquer aussi bien les comportements les plus quotidietis des

6tudiants originaires des differentes classes sociales que leurs attitudes a l'6gard de l'enseignement et de l'avenir professionnel ou que les grands choix scolaires, c'est que chaque sujet social prend toujours en compte quand il se d6termine le systeme des relations objectives qui le determine, c'est-a-dire ici un certain nombre de m6canismes responsables en parti- culier de la rel6gation des 6tudiants originaires des classes populaires dans les facultes de sciences. L'ethos, dont l'esp6rance subjective comme interiorisation des probabilites objectives est la structure fondamentale, concourt ainsi " definir les conduites scolaires et les attitudes devant

l'Ecole des 6tudiants en sciences et de leurs familles.

Attitudes l'a gard du systeme scolaire et valeurs scolaires

Cependant, 1'action par laquelle l'Ecole transforme les inegalit6s sociales en in6galit6s scolaires et consacre par ses verdicts les diff6- rences d'orientation ne s'exerce pas moins dans l'enseignement sup6rieur scientifique que dans 1'enseignement secondaire. On le verra en compa-

(25) Le poids de l'heritage social est en effet tel qu'on a pu observer des ccarts considerables entre les salaires des cadres sup'rieurs du secteur priv4 et des indus-

tries nationalisees imputables "a leur origine sociale: les cadres superieurs fils d'employds recevaient en 1962 un salaire annuel moyen de 18 027 F, contre 29470 F pour les cadres superieurs fils d'industriels ou de gros commergants. (Cf. PRADERIE M., < Heritage social et chances d'ascension , in DARRAS, Le partage des benefices, Paris, Ed. de Minuit, 1966, pp. 346-47.)

(26) L. Boltanski et J. C. Chamboredon ont montre par exemple comment dans la carriere de photographe <<les bonnes manieres et les grandes manieres, l'allure et le style qui font l'homme a la mode [et qui sont des] conditions indispensables pour pn~ntrer

dans le monde des grands et y demeurer, sont, de tous les biens que les fils de haute classe regoivent de leur famille et de leur milieu les plus impor- tants et les plus utiles >. Cf. BOLTANSKI L., CHAMBOREDON J. C., << Hommes de m6tier ou hommes de qualit6s a, in: BOURDIEU P., Un art moyen, Paris, Ed. de Minuit, 1965, pp. 263-278.

(27) C'est pourquoi, s'agissant de faire la sociologie de la vocation, on a cherch6 a mesurer les d6terminants sociaux de ce qui est vecu comme vocation, et a con- fronter les d6terminations objectives et la repr6sentation v6cue de la vocation au lieu de demander aux enquet6s de faire leur propre sociologie et de d6finir eux- mimes la consistance et la precision de leur projet comme on tend souvent " le faire. (Cf. notamment J. DAVIs, Undergraduate career decisions, Chicago, Adline Publishing Company, 1965.)

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rant la repartition en fonction des principales caracteristiques sociales et scolaires des 6tudiants du premier cycle, et celle des 6tudiants entrant pour la premiere fois dans le second cycle. Les 6tudiants fils ou filles d'ouvriers et de paysans sont represent6s dans une proportion moins forte en premiere annie du second cycle (25 % des 6tudiants) qu'en prop6- deutique oh ils representaient 30 % de l'6chantillon. De la meme fagon, on note une elimination relativement importante des 6tudiants issus des sections modernes des collages d'enseignement general et ayant passe le baccalaurbat Sciences exp6rimentales (28). L'ann6e de prop6deutique constitue en fait un barrage important pour les 6tudiants, et d'autant plus efficace qu'ils ont 6t6 moins prepares par leur milieu familial ou par leur carriere scolaire a faire des 6tudes sup6rieures. Bien que l'on se trouve a une 6tape avancee du cursus scolaire, les inegalit6s sont encore tres marquees et 1'Ecole ne fait que les sanctionner. Ceux des etudiants qui, issus des sections modernes des colleges d'enseignement general, se dirigent vers les 6tudes sup6rieures de sciences, ont fait l'objet d'une selection moins rigoureuse (relativement) que ceux qui parviennent a acceder a la facult6 des lettres (29). En effet ils n'ont fait que suivre la pente qui devait les conduire normalement " la relegation dans les facultis des sciences. Qui plus est, ayant requ dans le passe la moins bonne formation dans les moins bons 6tablissements, ils se d6tour- nent des classes preparatoires et se dirigent vers les facultes oi0 le nombre des 6tudiants, le type de savoir transmis, les techniques de travail qui laissent aux 6tudiants une assez grande autonomie tendent a accroitre leur d6sarroi. On comprend facilement que, dans ces conditions, ils soient 6limines en grand nombre pendant l'ann'e de prop6deutique. De plus, les 6tudiants ont 6t6 inegalement prepares par leur milieu familial et leur carriere scolaire a manier la langue d'enseignement et les structures abstraites. Or, I'heritage linguistique constitue, on le sait, une part importante de l'hdritage culturel. Ce que les 6tudiants en sciences doivent a l'heritage linguistique 16gu6 par le milieu familial, c'est moins d'ailleurs un vocabulaire qu'un systhme de categories plus ou moins complexes (30). L'aptitude au dechiffrement et surtout ' la manipulation de structures

(28) Ainsi, les 6tudiants issus des colleges d'enseignement g6n6ral repr6sentent 38 % des 6tudiants du premier cycle et seulement 32,5 % des 6tudiants entrant en second cycle (alors que la proportion des 'tudiants issus des lyc6es passe de 47 % a 52,5 %). De la meme fagon, les 6tudiants ayant pass6 le baccalaur6at Sciences expe- rimentales qui repr6sentaient 30,5 % des 6tudiants du premier cycle ne repr6sentent plus que 24 % des 6tudiants entrant dans le second cycle (alors que la proportion des etudiants ayant passe le baccalaur6at math6matiques elmentaires passe de 55,5 % a 65,5 %).

(29) Les 6tudiants en lettres originaires des classes populaires ont en effet fait l'objet d'une selection rigoureuse due notamment aux exigences du systeme scolaire quant au maniement de la langue d'abstraction. (Cf. BOURDIEU P., PASSERON J. C., SAINT-MARTIN M. de, Rapport pedagogique et communication, Paris, La Haye, Mou- ton,, 1965, (Cahiers du Centre de Sociologie europeenne, 2), pp. 44-47.

(30) Contrairement a ce que l'on croit commun6ment, les 6tudiants en sciences n'ont d'ailleurs souvent qu'une connaissance tres superficielle de la langue utilis&e dans l'enseignement. En t6moigne par exemple cet extrait d'une lettre d'un pro- fesseur de mathanatiques: <<Le probleme du langage se pose aussi ' nous scienti- fiques. Nous avons beau nous efforcer de d6finir tous les termes que nous employons, il arrive fort souvent que nous pr6sentions a nos 6tudiants une chaine d'une dizaine de d6finitions 'en cascade' of ils perdent rapidement pied. Ils en retirent cependant

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complexes parait en effet directement fonction de la complexit6 de la structure de la langue initialement parlee dans le milieu familial. En outre, le discours scientifique est pour une part non negligeable discours commun et le professeur ne juge pas le seul contenu mais aussi, bien souvent, le rapport

" la culture que traduit la maniere d'exposer. Les 6tudes de docimologie qui ont montr6 que les 'carts de notations entre les professeurs sont plus faibles en sciences qu'en lettres n'autorisent pas pour autant ' voir dans les appreciations des enseignants scientifiques des jugements parfaitement rationnels et purs de toute distorsion. L'etu- diant issu des classes populaires ou moyennes qui est relegu6 dans ces faculths sera souvent jug6 sur les criteres de l'6lite scientifique par des professeurs issus des grandes 6coles, habitues a privil6gier la virtuosit6, le brillant et peu prepares par leur experience scolaire a comprendre les 6tudiants dotes d'une experience scolaire toute diff6rente et places dans des conditions de travail qui n'ont rien de commun avec l'atmosphere des < taupes > ou des grandes 6coles. I1 est significatif que les professeurs de sciences soient nombreux " reprocher

" leurs 6tudiants de ne pas savoir s'exprimer. Les rapports d'agregation, en sciences naturelles notamment, accusent souvent les candidats d'etre < trop scolaires >>, de << manquer de culture>> sans pour autant preciser nettement les exigences professorales en la matiere (31); on voudrait que les 6tudiants ridigent une veritable ? dissertation > < composee >, << quilibrie > et < construite avec art >. En mathematiques, les exigences paraissent generalement mieux definies, plus rationnelles; l'plgance n'y est pas exigee pour elle- meme mais par souci de simplification. Cependant les professeurs de mathematiques eux-memes ne sont pas indifferents aux qualites de r'daction et il arrive parfois qu'ils leur accordent une importance d'ci- sive (32). Tout concourt ' indiquer qu'a l'oral, peut etre plus encore qu'a l'crit, les enseignants privilegient, inconsciemment sans doute, les 6tu- diants capables de s'exprimer avec aisance et de mener leurs demonstra- tions avec virtuosit6 et brio. Ainsi des qualit6s de forme finalement assez proches de celles qui sont exigees dans 1'enseignement des lettres sont, a un moindre degr6, implicitement ou explicitement exigees des etudiants

quelques mots clefs et l'analogue du: 'Descartes a renouvel6 la methodologie et 1'6pistimologie' des copies litt~raires, pourrait bien etre le 'car la convergence est uniforme' des copies de mathematiques.)>

(31) Ce n'est sans doute pas un hasard si 1'enseignement des sciences naturelles est moins rationnel que celui des mathematiques; il s'agit en l'6tat actuel de la discipline la moins contraignante, la plus facile a assimiler; l'enseignement y est le plus traditionnel et le plus proche de celui que dispensent les facultes de lettres.

(32) En temoigne par exemple, de fagon caricaturale, sans doute, mais partant tres significative, les conseils qu'un professeur de M.G.P. joignait r&cemment

'

l'enonce d'un probleme. <<Faire un probleme est une operation en deux phases. La premiere consiste a lire (et comprendre) l'enonce et a se lancer a la recherche de demonstrations des propriet6s a 6tablir. En cas de succes, on passe A la seconde phase cfi il s'agit d'exposer la solution la plus claire et la plus breve possible (solu- tion exacte, bien sur, par rapport au systeme de riferences dans lequel on se place). Pour 6laborer une redaction valable, il faut, et souvent cela suffit, suivre Boileau: 'Vingt fois sur le metier remettez votre ouvrage. Polissez-le sans cesse et le repo- lissez'. Dans le cas particulier de ce probleme, il convient de censurer tout texte qu'un correcteur non familier de l'interpr6tation des raves ne pourrait pen6trer en dix minutes. Pour obtenir un tel r6sultat, il est admissible, apres avoir pass6 plusieurs demi-heures a trouver la solution, d'en passer autant a la rediger.>>

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en sciences. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les enseignants scienti- fiques accordent, au moins implicitement, une telle valeur la culture litteraire; agissant ainsi, ils ne font que se conformer a la tradition scolaire qui privilegie les etudes litteraires au d6triment des 6tudes scientifiques ou techniques (33). Durkheim faisait remarquer < le r6le subalterne et la physionomie humiliee [de] l'enseignement des sciences dans notre systeme scolaire >>, et cherchait dans une tradition specifique les causes de l'6chec de la tentative de creation, a la fin du xvIne siecle, d'Ecoles centrales, organisees a l'image des Realschulen allemandes qui reservaient une place preponderante aux disciplines scientifiques (34). A. L6on rappelle par ailleurs que les sections scientifiques appelees fami- librement < classes d'6piciers > constituerent des leur creation un lieu de relegation pour les elves ayant de mauvais resultats scolaires (35).

De meme que la tradition scolaire privilegie l'enseignement des lettres par rapport a celui des sciences, de meme elle valorise les disciplines qui exigent une plus grande aptitude a manier l'abstraction au d6triment des disciplines faisant davantpge appel aux connaissances concretes et aux qualites de memoire. Tout se passe comme si, a l'interieur de la facult6 des sciences, le prestige accord6 aux differentes sections 6tait lie au degre d'abstraction du savoir qui y est transmis: si S.P.C.N. est tenue pour la section la moins prestigieuse, c'est sans doute d'abord parce que, selon le stereotype, elle est censee exiger des 6tudiants des qualites de memoire plut6t que de la virtuosite ou du < brio > dans le maniement des connaissances abstraites; si M.G.P. est au sommet de la hierarchie et si M.P.C. occupe la position intermediaire, c'est parce que 1'enseigne- ment des mathematiques occupe une place beaucoup plus importante dans la premiere que dans la seconde.

Les professeurs eux-memes, dans la mesure oui ils ont une repre- sentation traditionnelle des diff6rentes disciplines, ne peuvent que contri- buer a perpetuer cette hierarchie des prestiges en la rappelant implicite- ment ou explicitement a leurs 6tudiants. De plus, l'enseignement de la facult6 des sciences privilegie la formation theorique du futur chercheur par rapport a l'apprentissage des differents metiers qu'exerceront effecti- vement les etudiants en sciences. Si la preparation a la vie professionnelle constitue l'un des objectifs que s'assigne explicitement l'enseignement scientifique, il semble pourtant qu'il ne le fasse qu'd regret. On comprend par 1 que les valeurs de 1'Ecole paraissent au contraire en affinit6 avec celles des 6tudiants originaires des classes cultivees.

(33) Il semble bien que cette tradition scolaire ait encore aujourd'hui force de loi. Ainsi malgre la lente revalorisation, liee a des changements 6conomiques, des car- rieres scientifiques, la culture litteraire demeure pour la plupart, y compris pour nombre de scientifiques, la culture par excellence. C'est bien ce qu'admettent impli- citement les el6ves issus des classes superieures qui poursuivent chaque fois qu'ils le peuvent les 6tudes secondaires dans les sections oi sont prodiguees une double formation scientifique et litteraire et qui reculent a l'entree dans l'enseignement superieur le moment des choix ultimes Et si les membres des classes populaires et ceux des classes moyennes sont les seuls a se satisfaire de la culture scientifique, c'est en quelque sorte par force, et sans necessairement remettre en question la sup6riorit' de la culture litt'raire.

(34) DURKHEIM E., L'evolution pedagogique en France, Paris, F. Alcan, 1938, tome II, pp. 148-170.

(35) LEON A., Histoire de l'enseignement en France, Paris, P.U.F., 1967, pp. 85-86.

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Interroges sur I'aspect de l'enseignement qu'ils souhaiteraient voir approfondir, les 6tudiants citent d'autant plus souvent les fondements theoriques qu'ils sont d'origine sociale plus 6levee. A l'inverse, la pro- portion de ceux qui demandent a 1'enseignement des sciences de les preparer plus directement et plus completement

" 1'exercice de la pro- fession croit au fur et a mesure qu'on descend dans la hierarchie sociale (50,5 % des 6tudiants originaires des classes superieures, 59 % des etu- diants issus des classes moyennes et 64 % des etudiants issus des classes inferieures). Selon la meme logique, les fils d'agriculteurs ou d'ouvriers sont les plus nombreux " voir dans les travaux pratiques la forme d'enseignement la plus utile et citent moins souvent les cours ou les travaux diriges. Les etudiants fils de cadres superieurs entourent de leur mepris les disciplines qui accordent une part importante aux travaux pratiques et qui font appel

" la memoire (36); ils priviligient les mathe- matiques faisant leur la hibrarchie traditiomnelle: il peut meme leur parailtre plus honorable d'6chouer en M.G.P. que d'Stre regus en M.P.C. ou en S.P.C.N.; ils se destinent aussi assez souvent, on I'a vu, a la recherche. Les attentes et les valeurs implicites des 6tudiants issus des hautes classes vont ainsi & la rencontre des esp6rances professorales. Sachant a quel point diffbrent les carribres scolaires des 6tudiants des facult6s des sciences, et par 1l toutes leurs attitudes, leurs valeurs, leurs attentes g 1'6gard de 1'enseignement et des enseignants et aussi, 6vi- demment leurs aptitudes, on comprend que les professeurs interrog6s associent les difficult6s rencontr6es dans 1'enseignement scientifique a

l'hetbrognenit6 extreme du niveau des 6tudiants. Ayant toujours beaucoup

de peine a determiner, en d6but d'ann6e, le niveau de leurs auditoires, et a ajuster le niveau de leur enseignement & l'aptitude trbs inegalement distribu6e de leur public, a le comprendre et a I'assimiler, les professeurs ne disposent pas des memes moyens institutionnels que leurs collbgues des classes preparatoires, qui s'adressent pourtant a un public beaucoup plus homogene, de contr8ler la r6ussite de la transmission p6dagogique: comme les professeurs des facultes des lettres, ils deplorent gendralement que les 6tudiants ne repondent que rarement a l'invitation la plus insis- tante: poser des questions. Aussi doivent-ils, le plus souvent renoncer a v6rifier si leur cours est assimil6, d'autant qu'ils peuvent toujours attri- buer la mauvaise reussite des 6tudiants a leur mauvaise volont6 ou a leur mrdiocrit6. Tout invite donc le professeur de facult6 qui exerce presque toujours une activit6 de recherche, a destiner le meilleur de son enseignement aux meilleurs, c'est-a-dire a la petite fraction des 6tu- diants qui se destinent " la recherche. < Sans doute, l'enseignement de

(36) Cette hibrarchie obbit a la meme logique que celle qui a 6t6 decrite dans les facultis de lettres. 11 apparait en effet que les etudiants originaires des classes populaires s'inscrivent dans une forte proportion en lettres modernes, geographie et langues, plutot qu'en philosophie ou en lettres classiques. Ils semblent <<manifester par l1 que ces disciplines leur sont particulierement adapties, soit, comme le veut le st6reotype generalement admis, qu'ils aient plus le gouit des enseignements concrets que des speculations, toutes theoriques, soit que bon gre, mal gre, ils y r6ussissent mieux >>. Cf. DELSAUT Y., L'ideologie comme moyen d'integration chez les etudiants des facultis de lettres, Paris, C.S.E., 1966. Communication au VIe Congrbs de Sociologie, Evian, 1966, 16 p.

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faculte demeure capable de former des esprits distingues dans le domaine des sciences physiques, mais avec un dechet deplorable. I1 rdvele rapi- dement les sujets brillants et originaux, et donne aux autres le moyen d'acquerir une excellente formatiori generale dans des domaines varies en y consacrant le nombre d'annees necessaires. > (Professeur de phy- sique, Paris.) On comprend que les enseignants voient la solution de leurs difficultes dans l'organisation de groupes d'6tudiants de niveau homogene. Mais, il ne faut pas oublier que toute selection des meilleurs, impos~e par la disparit6 des niveaux et la penurie des moyens, a moins qu'elle ne s'accompagne d'un effort systematique pour compenser (entre autres choses par une intensification de l'encadrement, par une renovation des m'thodes p6dagogiques) les desavantages in'galement distribues socia- lement, risque de les consacrer et de les redoubler du meme coup.

S'il en est ainsi, c'est en effet que la selection a laquelle ont 6te soumis les 6tudiants en sciences n'est pas purement rationnelle et qu'elle se fait partiellement au moins (comme dans le cas des 6tudes de lettres) en fonction des valeurs et des exigences implicites du systeme scolaire qui s'expriment dans les programmes de l'enseignement (37) aussi bien que dans les jugements quotidiens des professeurs sur leurs dtudiants ou que dans les examens.

Tout se passe comme si l'Ecole, loin d'effacer les inegalites sociales tendait " les transformer en castes scolaires. L'univers des scientifiques obdit en effet aux lois d'une stratification rigide : les professions scienti- fiques sont hierarchisees selon un ordre qui n'est que la reproduction a un autre niveau de hierarchies scolaires correspondant elles-memes a des hierarchies sociales. La masse des 6tudiants en sciences est en effet loin d'etre homogene et parait composee d'un grand nombre de groupes et de sous-groupes dont les limites s'entrecroisent; les 6tudiants en sciences sont promis a un avenir objectif different selon qu'ils appartiennent a un groupe ou a un autre. On se fera une idle des dcarts qui separent les differentes categories d'6tudiants en rappelant quelques-uns des traits diff6rentiels qui opposent les deux groupes extremes: au sommet de la hierarchie scolaire, les scientifiques d'6lection qui ont eu, aux diff6rents niveaux du cursus scolaire, les moyens et la libert6 du choix;

" sa base, ceux pour qui les 6tudes de sciences constituent un choix force et que les determinismes sociaux ont irremediablement orientes vers la culture scientifique. C'est d'ailleurs a des carrieres differentes que se destinent ces deux groupes d'6tudiants: les premiers deviendront cadres de l'industrie et de la recherche (38), ou professeurs de l'enseignement superieur et formeront ces grands corps et ces fraternites d'anciens 6lves qui

(37) En tLmoigne par exemple cette declaration d'un professeur: : On peut aussi discuter de 1'irr6alisme de certains de ces programmes si ambitieux au moins dans les facultis des sciences, qu'ils semblent destines a une blite extremement restreinte plut6t qu'aux bons dtudiants normaux. >> (Cf. L. CAPDECOMME, Enseignement supirieur et ddmocratisation, mars 1966, p. 4, roneotyp6.)

(38) Les chercheurs formes par les facult6s des sciences ne representent que 13 % des chercheurs et ingenieurs de recherche du secteur industriel, les chercheurs for- mis par les grandes 6coles y etant majoritaires (55 %).

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exercent, on le sait, une influence considerable sur la vie sociale (39), les seconds seront rel6gues dans les fonctions plus modestes de profes- seurs de colleges d'enseignement technique et de colleges d'enseignement secondaire, ou, au mieux, de professeurs de lyc6es. L'enseignement scien- tifique, comme l'enseignement litteraire et peut-&tre plus encore que lui, decide de l'avenir professionnel et par 1a meme de la place qui sera occupee dans la hierarchie sociale.

Comme les 6tudiants des autres disciplines, les 6tudiants en sciences sont soumis "

l'influence d'une constellation de facteurs qui n'agissent jamais de fagon independante meme si d'un type d'enseignement

' un autre, on peut voir varier la structure de cette constellation et le poids fonctionnel de chacun des facteurs qui la compose. Ainsi, le r81e prepon- derant revient ici aux attitudes des familles et des 6tudiants des diff6- rentes classes sociales " l'6gard de 1'Ecole telles qu'elles se d6finissent en fonction des contraintes objectives (et dont par exemple les choix sco- laires ou meme professionnels ne sont que des composantes). I1 n'en reste pas moins qu'on ne peut rendre raison totalement des differences de carriere et de reussite sans tenir compte 6galement du capital culturel transmis par la famille et de l'action propre de l'Ecole. S'il est vrai que la rentabilit6 scolaire du capital culturel transmis par la famille est plus directe et plus visible dans les 6tudes de lettres que dans les 6tudes scien- tifiques, on ne doit pas oublier que ce capital ne se reduit pas a une accu- mulation de ces experiences et de ces connaissances litteraires et artis- tiques qui, dans notre societ6, constituent 1'essentiel de ce que l'on entend communement par culture. Outre la familiarit6 avec le monde universi- taire que procure un milieu familial cultiv6, ce sont sans doute les struc- tures et la complexit6 de la langue parlee et les cat6gories qu'elle utilise qui, dans le cas present, representent la part la plus rentable du capital culturel. Enfin, si grand que puisse etre le pouvoir intrinseque des mica- nismes sociaux selon lesquels s'operent une orientation et une selection socialement diff6renciee, il faut, pour rendre raison de l'action propre de 1'Ecole, prendre en compte 6galement les valeurs implicites qui impregnent la transmission ou le contr6le des connaissances et qui ne font que redou- bler, ou " tout le moins, favoriser, l'efficacit6 de ces mecanismes.

Monique de SAINT MARTIN, Centre de Sociologie europeenne.

(39) On sait qu'& l'oppos6, les 4tudiants des facultes n'adherent qu'exceptionnel- lement a des associations d'anciens 'tudiants; qui plus est, ces associations n'ont, lorsqu'elles existent, aucune activite de placement par exemple et aucune influence reelle.

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