Les évolutions de la gouvernance des activités nucléaires

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MUTADIS MUTADIS – 3 rue de la Fidélité – 75010 Paris Tel : 33 (1) 48 01 88 77 [email protected] Les évolutions de la gouvernance des activités nucléaires Rapport final de l’enquête Gilles Hériard Dubreuil, Matthieu Ollagnon Version du 15 juillet 2009 1

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Les évolutions de la gouvernance des

activités nucléaires

Rapport final de l’enquête

Gilles Hériard Dubreuil, Matthieu Ollagnon

Version du 15 juillet 2009

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Sommaire

Introduction 3

Synthèse des conclusions de l’Etude 8

Chapitre 1 - Les vecteurs de changement de la Gouvernance des activités nucléaires dans le contexte international et national 18

Un paysage énergétique mondial en évolution 18 Vers des pôles industriels nucléaires transnationaux ? 21 Des pressions internationales en faveur d’une sûreté fondée sur un cadre de normes et de standards définis au niveau international 24 L’élargissement de l’Union Européenne 27 Un cadre réglementaire international qui affirme la place de la société civile 31 La loi TSN et la nouvelle ASN : des questions sur l’émergence d’un nouvel équilibre institutionnel 33 Débat public et problématiques nucléaires 37 Le Grenelle de l’environnement 39

Chapitre 2 - Les indices d’un changement de la relation entre nucléaire et société 41

Une genèse en France après-guerre dans un cadre national et militaire 41 Facteurs d’évolution et attentes de changement 47 Le développement de pratiques de dialogue critique 52

Chapitre 3 – Les processus d’instruction citoyenne et la médiation technique. 56

Les processus d’instruction citoyenne. 57 La médiation technique, interface entre questions citoyennes et problématiques techniques nucléaires. 64 Les pistes pour répondre au besoin de médiation technique. 66 L’apport d’une construction pluraliste d’expertise 71 La contribution des CLI et de leur fédération, L’ANCLI, au dialogue critique et aux processus d’instruction citoyenne 73 Les CLI : acteurs en devenir dans la gouvernance des activités nucléaires 76

Eléments de conclusion 79

Annexe 1. Liste des personnalités auditées 87

Annexe 2. Synthèse historique : l’IRSN face aux évolutions de la gouvernance des activités nucléaires 88

Annexe 3 : glossaire des noms et acronymes employés dans l’étude 137

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Introduction

L’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) a engagé en 2006 une réflexion prospective sur les évolutions de la gouvernance des activités nucléaires et radiologiques. Pour l’IRSN, l’objectif de cette réflexion est double. Il est d’une part de préciser les valeurs et les principes qui ont présidé aux changements intervenus ces dernières années sur le plan juridique et institutionnel. Il est d’autre part d’identifier les possibles vecteurs de changements futurs et leurs éventuelles incidences sur les métiers de l’Institut et sur les conditions d’exercice de ces métiers.

La première phase de l’étude

A cet effet, une première phase de réflexion a été menée en interne dès 2006. Une analyse chronologique des évolutions du dispositif français depuis le lancement du programme nucléaire a notamment été réalisée par Mutadis à la demande de l’IRSN sur la base d’une recherche documentaire et d’un ensemble d’entretiens conduits auprès de responsables de l’Institut. Celle-ci a donné lieu à la rédaction d’une synthèse historique, présentée en janvier 2007 à la direction générale de l’IRSN : “La mise en place du dispositif de gouvernance des activités nucléaires en France : 1945-2007 – Synthèse“ (voir en annexe).

Cette synthèse historique retraçait les évolutions du dispositif de gouvernance des activités nucléaires depuis la création du Commissariat à l’énergie atomique en 1945. Lors de sa mise en place, en effet, le CEA réunissait en effet l’ensemble des fonctions de gouvernance du nucléaire. Par la suite, ce noyau initial s’est progressivement scindé sur le plan institutionnel en trois pôles distincts de contrôle, d’exploitation et d’expertise. Ce processus s’est accompagné d’une progressive montée en puissance d’acteurs de la société civile qui tendent à se constituer progressivement comme un quatrième pilier de la gouvernance et du suivi des activités nucléaires.

Ce premier diagnostic, par la modification de perspective sur le système nucléaire et les enjeux qu’il mettait en évidence appelait un approfondissement dans la mesure où il reposait essentiellement sur des entretiens réalisés auprès de personnes de l’IRSN.

La seconde phase de l’étude

Dans cette perspective, l’IRSN a souhaité bénéficier du point de vue de personnalités extérieures qui soient à même de compléter cette analyse, du fait de leur expérience professionnelle ou de leur engagement politique ou associatif.

La réalisation de cette enquête a été confiée à Mutadis, qui a procédé à l’audition de 27 personnes hors du premier cercle des affaires nucléaires. Celles-ci ont été choisies en fonction de leurs implications diverses (gouvernement, administration,

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institutions internationales, presse, expertise, élus territoriaux, associations) et pour leur expertise et leur expérience sur les questions de risque (nucléaire ou non – voir liste en annexe 1).

Méthodologie de l’étude

Les auditions ont été réalisées entre fin 2007 et mi 2008. A chaque personnalité interrogée a été remis un exemplaire du rapport de la première phase de l’étude. Les entretiens étaient structurés de façon ouverte autour de trois axes :

• l’identification des vecteurs de changement (internes ou externes à la France) qui sont susceptibles d’affecter ce dispositif français et leurs possibles impacts.

• l’évaluation de la qualité du dispositif de suivi actuel des activités nucléaires ainsi que de ses vulnérabilités et de ses faiblesses,

• l’appréciation du rôle et de la contribution spécifique des différentes catégories d’acteurs traditionnels (notamment de l’expert public qu’est l’IRSN) et de la société civile,

Chaque entretien, confidentiel, a donné lieu à un compte-rendu détaillé. C’est à partir de ce matériau qu’a été engagée une étape d’analyse et de rédaction donnant lieu au présent document lequel est une synthèse des différents entretiens. Celle-ci est construite autour des grands axes qui se sont dégagés au cours du processus de discussion.

Arrière plan théorique de l’étude

Mutadis est un groupe de recherche et de conseil créé en 1991. Son domaine de recherche et d’étude concerne les problématiques de gouvernance des activités à risques. Une réflexion conduite dans la durée et la participation à de nombreux processus de recherche coopératifs ont permis à Mutadis d’aborder les problématiques de gouvernance à partir d’un cadre théorique constitué au fil de ses travaux. Différents concepts et références sociologiques, politiques ou philosophiques sont mobilisées. Pour une bonne compréhension du contexte d’élaboration de cette étude, quelques-uns de ces concepts sont présentés ci-dessous dans la mesure où ils ont bénéficié à la présente étude, sans cependant en déterminer les objectifs ou les orientations.

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Un premier concept, employé de façon récurrente, est celui de “gouvernance“. Celui-ci a en particulier été défini dans le cadre du projet européen de recherche Trustnet In Action1 :

La gouvernance n’est pas un substitut au gouvernement de l’Etat-nation traditionnel. Il s’agit plutôt d’un régime alternatif applicable à un large champ d’activités et d’organisations. Comme le dit Rosenau : “la gouvernance est plus un phénomène englobant et diffus qu’une forme de gouvernement. Elle embrasse les institutions gouvernementales, mais subsume aussi des mécanismes informels et non gouvernementaux par lesquels ces personnes et organisations peuvent avancer, satisfaire leurs besoins et combler leurs manques dans leurs champs respectifs”.

De même Gerry Stocker identifie cinq aspects de la gouvernance : “(1) La gouvernance concerne une gamme d’organisations et d’acteurs, mais non pas l’ensemble de ceux qui appartiennent à la sphère gouvernementale. (2) Elle modifie les rôles et les responsabilités respectives des acteurs publics et privés traditionnels tels qu’ils sont établis par les paradigmes traditionnels de la construction de politiques (3) Elle implique l’interdépendance entre les organisations et acteurs engagés dans l’action collective dans des contextes au sein desquels aucun n’a les ressources nécessaires et la connaissance pour traiter la question seul (4) Elle met en jeu des réseaux autonomes d’acteurs (5) Un principe-clé est que ces actions peuvent être conduites sans avoir nécessairement le pouvoir ou l’autorité de l’Etat.“

Les conclusions de TRUSTNET définissent ainsi une participation inclusive, qui doit être différenciée du principe de subsidiarité, dans laquelle les acteurs ont l’opportunité de participer à des degrés variés à la structure de pouvoir (local, régional, national, international) au sein de laquelle sont prises les décisions qui influencent leur vie.

Un autre élément important concerne le débat autour du concept “d’activités et d’affaires publiques2“. Il est fréquent d’entendre par “affaires publiques“ ou “sphère publique“ le champ des affaires pris en charge par l’Etat ou par les acteurs politiques et administratifs. Dans une telle optique, la gouvernance des activités nucléaires, comme celle d’autres activités à risques, est essentiellement axée sur la sphère d’action administrative et politique. Dans cette approche, de fait, c’est l’autorité politique ou administrative qui fait émerger les questionnements ou les problèmes et c’est par rapport à celle-ci que se construit la légitimité d’autres acteurs à intervenir.

- 1 G. HÉRIARD DUBREUIL, T. BANDLE, O. RENN (Dir.), Trustnet In Action (TIA), Final Scientific report, 2007, http://www.trustnetinaction.com/IMG/pdf/TIA-Final_Report.pdf

- 2 J. DEWEY, The Public and Its Problems, New York: Holt, 1927; London: Allen & Unwin, 1927, republished as The Public and Its Problems: An Essay in Political Inquiry, Chicago: Gateway, 1940.

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Une autre approche considère les affaires publiques essentiellement du point de vue des interactions sociales. Celle-ci, dite pragmatique, met l’accent sur le fait qu’une activité acquiert une dimension publique à partir du moment où elle a des conséquences pour d’autres personnes ou groupes que ceux qui la mettent en oeuvre. Dans cette optique, les affaires publiques sont comprises comme une forme de champ intermédiaire au sein duquel les acteurs se rencontrent ou s’affrontent pour traiter des problèmes qui les concernent, qu’ils les subissent ou qu’ils en soient la cause. L’Etat, l’administration et les acteurs politiques, bien que disposant de prérogatives et d’attributs particuliers, y apparaissent alors comme des participants parmi d’autres, la légitimité se construisant par une reconnaissance mutuelle des acteurs. Cette approche permet en particulier de comprendre les processus de naissance et d’institutionnalisation de problématiques émergentes. Dans le cas particulier de cette étude, cette approche a été mobilisée pour intégrer dans une même analyse des processus impliquant à la fois la société civile et des acteurs institutionnels.

Le concept d’autonomie est également essentiel dans l’arrière plan théorique utilisé par Mutadis. Celui-ci recouvre la capacité d’un individu ou d’un groupe à élaborer ses propres choix et normes au sein des interactions sociales nécessaires à la vie humaine. Dans cette perspective, la relation sociale n’est pas synonyme de rapport de domination ou d’aliénation obligatoire d’un acteur par un autre. Elle est perçue comme une dimension de l’environnement humain, au même titre que l’air ou la lumière. C’est-à-dire que des acteurs partageant des relations sociales n’entrent pas, de facto, dans une configuration qui leur ferait perdre leur capacité à décider ou agir par eux-mêmes. En ce sens, ce concept tend à s’opposer à celui d’indépendance, compris comme appelant au préalable un isolement relationnel.

Dans la suite du concept d’autonomie, l’idée que le conflit porte en lui une dimension de socialisation est une part importante de l’arrière plan théorique de Mutadis. Développé dans les travaux de G. Simmel3, ce point de vue considère le conflit comme un processus social normal. L’ignorance de celui-ci ou sa mise à l’écart tendent en particulier à produire plus d’effets négatifs que positifs. De ce point de vue, les processus de dialogue organisés, tout en étant légitimes et nécessaires, ne sont qu’une des façons possibles de réguler une société démocratique.

Dans une société traversée de multiples conflits, la mobilisation de contre-pouvoirs par les divers acteurs est un élément de crédibilisation de leur action. Pour appréhender cela, Mutadis s’appuie en particulier sur le travail conceptuel effectué par un chercheur américain, M. Fung4. Ce dernier a en outre mis l’accent sur le fait l’emploi de contre-pouvoirs par les acteurs impliqués est souvent nécessaire pour

- 3 G. SIMMEL, Le conflit, Ed. Circé, Paris, 1995 (Traduit de l’allemand par Sibylle Muller).

- 4 FUNG, E.O. WRIGHT, « Le contre-pouvoir dans la démocratie participative et délibérative », in M.H. BACQUE, H. REY, Y. SINTOMER, Gestion de proximité et démocratie participative, Paris, La découverte, 2005.

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donner une crédibilité et une influence aux processus et aux positions participatives/délibérative.

Un dernier concept, enfin, a été mobilisé dans l’élaboration de ce rapport, celui d’enquête sociale. Il est en effet fait référence à des formes de mobilisation d’acteurs de la société autour de l’investigation de questions ayant, entre autres, des dimensions techniques. Les travaux de chercheurs comme John Dewey (USA) ont fourni des éléments d’architecture théorique permettant d’appréhender ces processus à travers le concept d’enquête sociale (social inquiry). Celui-ci permet de désigner un processus par lequel des acteurs de la société civile interagissent ensemble pour explorer une question donnée dans un contexte où leur équilibre de vie est affecté. L’enquête sociale se place, du point de vue des participants, dans une perspective stratégique visant à une modification d’une situation particulière. Elle contribue, par l’expérimentation de nouvelles relations entre acteurs, à faire émerger de nouvelles configurations sociales et à la co-construction de problématiques partagées. On retrouvera des déclinaisons de ce concept dans les réflexions relatives aux actions de la société civile et qui sont présentées dans les pages qui suivent.

Les problématiques de gouvernance du nucléaire dépassent très largement le simple cadre électronucléaire. En particulier, la multiplication des incidents dans le cadre hospitalier laisse entrevoir l’émergence dans le domaine médical d’un nouveau champ de tension dans la gouvernance des questions de radioprotection.

Sans se concentrer exclusivement sur le champ électronucléaire, le présent rapport se situe cependant dans la continuité de la première phase de l’étude. Celle-ci portait essentiellement, à partir de la question des installations nucléaires, sur des problématiques génériques de la gouvernance des activités nucléaires. De fait, si la question du nucléaire médical et celles qui lui sont connexes seront fréquemment évoquées, elles le seront - pour des raisons de méthodologie - au fil du texte plus que de façon séparée.

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Synthèse des conclusions de l’Etude

Cette étude s’inscrit dans une réflexion engagée début 2006 sur les évolutions de la gouvernance des activités nucléaires en France par l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire.

La première phase de cette réflexion menée en 2006 et 2007 a porté sur l’identification des principaux enjeux de la gouvernance des activités nucléaire, réalisée dans le cadre d’une rétrospective historique des différentes étapes et des débats qui ont présidé à sa mise en place. Réalisée sur une base documentaire et à partir de contributions internes à l’IRSN, cette synthèse historique (voir en annexe) présente l’enchaînement des décisions et la logique relativement constante qui a présidé à cette évolution.

Dans une seconde phase, un approfondissement de cette réflexion a été réalisé à partir de l’audition d’une trentaine de personnalités extérieures à l’IRSN. Parallèlement, un retour d’expérience participatif a été réalisé en partenariat avec l’ANCLI concernant la contribution des Commissions locales d’information à la gouvernance des activités nucléaires.

Les résultats de ce travail d’audit présentés dans le cadre de ce rapport comportent trois volets. Le premier concerne les facteurs de changement internationaux et nationaux qui ont été mis en évidence dans le cadre des entretiens. Le second volet concerne plus particulièrement les interactions entre le système institutionnel nucléaire (opérateur, recherche, expertise, contrôle) et la société civile et leurs évolutions. Le troisième volet concerne plus spécifiquement les dynamiques de changement identifiées dans le cadre de ces interactions qui s’articulent autour des notions de dialogue critique, d’instruction citoyenne, de médiation technique et d’expertise pluraliste.

Les facteurs de changement internationaux

Les personnes interrogées ont identifié différents facteurs de changements internationaux susceptibles d’avoir un impact significatif sur la gouvernance des activités nucléaires en France (sans cependant qu’un consensus s’établisse sur les effets particuliters de ces vecteurs de changement dont les conséquences semblent pour partie déterminées par les orientations futures des acteurs concernés). Le nouveau paysage énergétique mondial serait en premier lieu à l’origine d’une possible relance de l’énergie nucléaire au plan mondial après une longue période de stagnation. Une nouvelle donne concernant l’industrie nucléaire et d’une vraisemblable structuration de celle-ci à partir de pôles industriels internationaux est donc envisageable. Cette évolution constitue une rupture avec la période passée dans laquelle cette industrie s’était généralement développée dans les cadres nationaux, souvent en lien avec le développement de composantes de défense nucléaire dans le contexte de l’après-guerre. Cette situation prend place dans un contexte de mondialisation économique et de progressive libéralisation des marchés de l’énergie qui pourrait se traduire notamment par une privatisation des opérateurs nucléaires publics et par l’avènement d’une situation de concurrence sur le marché français où pourraient intervenir plusieurs opérateurs nucléaires français et étrangers. Parallèlement, les personnes interrogées rendent compte de pressions internationales en faveur d’une évolution des cadres réglementaires nationaux de sûreté vers une forme de certification internationale qui serait à même d’accompagner l’internationalisation de l’industrie nucléaire en réduisant les coûts qui sont associés au maintien des cadres nationaux de sûreté et d’expertise. L’élargissement de l’Union Européenne avec l’arrivée de nouveaux pays Est européens dotés de leur propres unités nucléaires développées dans un contexte soviétique et post-soviétique a été parallèlement à l’origine d’un débat sur l’opportunité de création d’un cadre européen de sûreté dans laquelle la Commission Européenne s’est d’abord trouvé dans un conflit de compétence avec les autorités nationales de sûreté nucléaire.

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Cette question de l’opportunité d’un cadre européen de sûreté reste aujourd’hui en débat. Elle a néanmoins contribué à accréditer l’idée qu’il pourrait être opportun d’établir un niveau de coordination européen en matière de sûreté nucléaire, autour duquel sont engagés différents travaux et réflexions. De façon générale, les personnes interrogées voient dans les facteurs de changement internationaux la source possible d’un profond bouleversement dont l’impact sur le niveau de sûreté n’est pas clairement déterminé. Les conséquences de la concurrence et d’une montée des exigences de compétitivité dans l’univers de la sûreté, de la protection de l’homme et de l’environnement posent question. De la même façon, les conséquences des possibles formes de “privatisation“ du nucléaire public sur le niveau de transparence de cette activité sont encore peu claires. Les acteurs de la société interrogés voient dans ces possibles changement autant de menaces que d’opportunités. Cette opinion se fonde d’une part sur les insatisfactions exprimées vis-à-vis de la place actuellement assignée à la société civile dans le contexte français (voir plus loin) et les opportunités que pourraient constituer cette nouvelle donne pour la société civile (pour autant que celle-ci se donnerait les moyens de les saisir). Ce sentiment se double d’une inquiétude liée aux conséquences possibles d’une internationalisation de la sûreté qui conduirait à éloigner plus encore celle-ci du champ de compréhension et d’influence de la société civile et plus particulièrement des acteurs locaux riverains des activités nucléaires. Ces différents facteurs de changement s’accompagnent enfin de l’émergence d’un cadre politique, et juridique international qui affirme la place de la société civile dans les processus de décision dont les conséquences sont susceptibles d’affecter l’environnement et la santé humaine (Déclaration de Rio, Convention d’Aarhus et ses transpositions en droits nationaux et communautaires). Les effets de ce nouveau cadre ne sont, aux dires des personnes interrogées, pas encore clairement perceptibles.

Les facteurs de changement nationaux

Enfin différents facteurs de changement sont identifiés dans le contexte national français. En particulier, l’avènement d’un cadre légal (loi TSN du 13 juin 2006), dans un contexte marqué par une évolution sensible des relations entre la société et l’Etat, est souligné comme un facteur potentiel de changement dont les conséquences ne sont pas encore pleinement déployées. La création d’une autorité de sûreté indépendante (ASN) est notée par certains comme une évolution qui pourrait permettre une évolution favorable de la gouvernance des activités nucléaires dans la mesure où elle contribue à éloigner les acteurs du contrôle de l’influence du politique et de l’industrie. D’autres voient au contraire dans cette loi et dans la création de l’ASN un risque de perte de contrôle démocratique sur la sûreté, en mettant celle-ci à distance du politique. De même, le nouveau cadre de responsabilité en matière d’information et de transparence sur le nucléaire semble pour certains ouvrir la voie à un renforcement du rôle de la société dans les processus de décision. D’autres, au contraire, voient dans différents indices (quota de 50% d’élus dans les CLI, au détriment du monde associatif, par exemple) les signes d’une refermeture de ces processus de décision. D’une façon générale, les analyses mettent l’accent sur l’importance des stratégies des différents acteurs en présence et en particulier sur l’importance d’une confirmation par les acteurs publics de la volonté de l’Etat d’ouvrir ces processus de décision à la participation. Dans cette perspective de participation démocratique, les personnes interrogées évoquent également le contexte français avec la nouveauté qu’a constitué la mobilisation de la procédure de débat public (CNDP) dans le contexte nucléaire (débat EPR et débat sur la gestion des déchets radioactifs) ainsi que l’organisation plus récente par le gouvernement du Grenelle de l’environnement dont l’influence possible sur le champ nucléaire est évoqué malgré le fait que les problématiques nucléaires aient été exclues du champ des débats. Tout en évoquant les apports de ces démarches, les personnes interrogées soulignent les limites de ces processus et plus particulièrement leur déficit d’articulation avec les processus de décision et l’absence de garantie pour les

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acteurs de la société engagés dans ces processus quant à une “prise en considération“ effective de leurs avis et des résultats de la consultation démocratique.

Les interactions entre le système nucléaire et la société civile

Le second volet de cette étude concerne plus particulièrement les interactions entre le système institutionnel nucléaire (opérateur, recherche, expertise, contrôle) et la société civile. Il porte, d’une part, sur la description de la façon dont se sont construites dans le contexte français les relations entre le système nucléaire et la société. Il concerne, d’autre part, les vecteurs de changement (internes) qui sont identifiés par les personnes interrogées. Celles-ci soulignent la singularité du dispositif nucléaire dans le paysage français et qui repose, selon eux, sur plusieurs facteurs. Elle est liée à son origine militaire dans le contexte de l’après-guerre. Elle vient également de la place occupée par la question du risque et de la sûreté qui a été jugée vitale dès les origines de cette activité. Il découle de cette situation une forme “d’isolement“ du nucléaire français ainsi qu’une relative homogénéité culturelle, fondée sur les valeurs techniques. Il est relevé également l’existence d’une forte proximité entre les membres de cette communauté de techniciens et d’experts dont la mobilité s’effectue essentiellement dans le cadre restreint des institutions nucléaires. Cette caractéristique endogamique d’un “monde nucléaire“ orienté vers la performance technique est, pour un grand nombre de personnes interrogées, à l’origine d’une difficulté à intégrer la pluralité des logiques portées par les acteurs de la société civile. Elle est également à l’origine d’une faible visibilité des activités nucléaires hormis certaines périodes de crise. De façon parallèle, les personnes interrogées font état de l’existence de pressions exercées très tôt par des acteurs de la société civile sur le système nucléaire. Ces interactions s’inscrivent le plus souvent à leur origine dans une perspective antinucléaire et souvent conflictuelle. Ces mouvements prennent leur source dans la contestation de la force de frappe nucléaire française, puis dans celle du plan Mesmer dans les années 70. Les réactions sociétales aux accidents de Three Miles Island, puis de Tchernobyl viennent relayer ce mouvement avec notamment la montée en puissance d’autres catégories d’acteurs plus axés sur les dimensions environnementales ou sur des exigences de transparence démocratique. Une caractéristique de ces interactions est qu’elles ont été engagées à l’initiative de ces acteurs de la société. Cette contribution de la société civile fera l’objet d’une reconnaissance tardive de la part des pouvoirs publics.

Les personnes interrogées évoquent ainsi l’existence d’un clivage historique entre le système nucléaire et la société civile dans le contexte français. Leur description fait intervenir d’un côté un système nucléaire peu visible, dont les acteurs (techniciens, experts) sont regroupés autour d’un projet fortement cohésif. De l’autre, il fait intervenir un petit nombre de militants fortement mobilisés contre ce projet nucléaire qui revendique très tôt un droit de regard sur ces activités nucléaires qui sauf à l’occasion de temps de crise suscitent plutôt l’indifférence du reste de la société. Cette situation est héritée de l’histoire et semble placer les acteurs du dispositif nucléaire à l’extérieur d’une société dont ils font en réalité partie. Elle revêt donc un caractère paradoxal.

Les personnes interrogées voient dans ce clivage historique l’origine d’une forme de surdétermination des relations qui se construisent encore aujourd’hui entre le système nucléaire et la société. Celle-ci tend à faire prédominer des règles implicites d’interaction qui tendraient à regrouper, d’un côté, ceux qui sont dedans et sont assimilés au camp des “pour“ et, de l’autre côté, ceux qui sont dehors, les acteurs de la société mobilisés “contre“ le nucléaire. Cette représentation polarisée ne rend pas compte pour les personnes interrogées de la diversité des positions et des objectifs des acteurs qui interviennent de façon plus ou moins visible aussi bien au sein de la société civile qu’au sein du système nucléaire ou à l’interface des deux. En particulier, un enjeu clé semble avoir résidé, pour les acteurs de la société, dans l’acquisition d’une culture technique face à un système nucléaire dominé par la légitimité technique. Dans cette perspective, la contribution

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des associations à caractère scientifique et technique est reconnue. Leur crédibilité se fonde sur leur compétence et sur leur capacité à effectuer un suivi approfondi des dossiers techniques dont elles se saisissent.

Facteurs d’évolution et attentes de changement

Certains entretiens mettent en avant l’émergence d’une nouvelle configuration avec la montée des problématiques de santé environnementale. Dans les années 70, la sûreté des installations nucléaires était envisagée comme l’enjeu majeur de la gouvernance des activités nucléaires. Après l’accident de Tchernobyl et les problématiques de contamination qui lui sont associées, les enjeux semblent se déplacer progressivement de l’intérieur des centrales vers l’extérieur (leur environnement territorial et humain). Ce mouvement va placer de nombreux acteurs dans une position nouvelle vis-à-vis des activités nucléaires et ouvrir la voie à une multiplication des interactions entre la société et le système nucléaire.

L’émergence d’un enjeu de sécurité environnementale et sanitaire, mobilisant les acteurs territoriaux va permettre un renouvellement de la nature et de la densité des interactions entre le système nucléaire et la société. Le nucléaire n’apparaît plus alors comme étant seulement l’affaire des acteurs du système nucléaire. Il tend à devenir une affaire publique.

Ce mouvement tend à opérer un retour sur les questions environnementales par le biais des problématiques de santé en leur donnant une actualité et une sensibilité nouvelle. Ces formes de mobilisation mettent en évidence l’apport d’un suivi citoyen intégrant aussi bien l’ensemble des dimensions de risque qu’une perspective patrimoniale de long terme vis-à-vis du territoire et de la santé. Cette montée des problématiques environnementales et sanitaires dans la société est en particulier à l’origine de nouvelles attentes de transparence vis-à-vis du suivi des activités nucléaires.

Face à ces évolutions, la polarisation historique des relations entre le système nucléaire et la société constitue néanmoins un frein au développement et à la qualité des interactions entre le système nucléaire et la société. Cet état de fait apparaît insatisfaisant pour une majorité d’acteurs rencontrés. Il est à l’origine d’un malaise qui appelle un recalage des relations et du cadre de relation entre les différents acteurs à l’intérieur et à l’extérieur du système nucléaire. Face à cette crise de la polarisation, nombre d’acteurs expriment la demande d’un chemin de changement sans nécessairement pouvoir faire état d’une stratégie claire.

Certaines personnes interrogées observent le fait que cette situation de polarisation est favorisée par l’absence d’espace de dialogue démocratique sur la justification des activités électronucléaires qui permettraient d’aborder cette question, non pas comme un enjeu idéologique, mais comme une dimension d’une problématique énergétique globale, complexe et multidimensionnelle.

Indépendement d’un débat sur la légitimité même du nucléaire, la nécessité d’un renforcement de la vigilance de la société concernant aussi bien la sûreté des installations que leurs impacts réels (rejets, contamination) ou potentiels (accidents) est évoquée. Si la qualité de l’organisation de la sûreté en France est très souvent reconnue par les personnes interrogées, celles-ci observent que les marges de progrès résident aujourd’hui surtout dans le développement d’une vigilance sociétale, au plan national comme au plan territorial, susceptible d’exercer une pression effective sur les acteurs chargés de la gestion des risques.

De nombreuses personnes interrogées sont donc en attente d’une évolution des relations entre le système nucléaire et la société. Il s’agirait de construire des débats et des interactions moins idéologiques, plus concrètes, plus approfondies qui pourraient se traduire par un impact réel et significatif de la société sur les orientations et sur les décisions. Cette influence de la société est attendue aussi bien dans des débats sur les choix de politique énergétique que sur la question de la sûreté, de la protection de l’homme et de l’environnement.

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Le développement des pratiques de dialogue critique

Un autre aspect déterminant des évolutions de la gouvernance des activités nucléaires est susceptible de provenir des interactions résultant de démarches engagées de façon autonome par des acteurs de la société civile (“processus d’instruction citoyenne“ - voir plus loin). Dans ces démarches, les citoyens se donnent les moyens de suivre par eux-mêmes des questions qu’ils ont identifiées comme importantes et sur lesquelles ils jugent nécessaire d’exercer une action citoyenne. L’émergence des processus d’instruction citoyennes, qui sortent par définition d’un cadre précontraint par les institutions, permet l’émergence de formes spécifiques d’interactions entre les différentes catégories d’acteurs concernés que nous désignons sous la forme de “dialogue critique“.

La multiplication des démarches d’instruction citoyenne permettent en effet aux acteurs de la société d’accumuler des ressources stratégiques pour agir ensuite sur la situation et créer les conditions du dialogue critique en mobilisant si nécessaire des formes de contre-pouvoir. Elles leur permettent en effet de construire avec les autres acteurs un rapport de force bien compris permettant l’expression de la critique ou du dissensus. Compte tenu des facteurs de changement évoqués ci-dessus, ces formes de dialogue critique pourraient être appelées à se développer. Cette extension ne devrait se pas limiter au champ nucléaire et pourrait englober l’ensemble des problématiques environnementales territoriales, comme le laissent présager les mouvements citoyens observés dans le champ de la santé environnementale.

L’expression de la critique et du dissensus tout comme la mobilisation éventuelle du conflit sont constitutives de ce type d’interactions. Il ne s’agit pas pour les acteurs de la société de se regrouper autour d’une “bonne gestion des activités nucléaires“. Il s’agit plutôt de contribuer à un enjeu partagé de sécurité publique comme un élément de la qualité de vie. Une contribution de la société (vigilance, pression sociale) est alors perçue comme nécessaire pour maintenir et accroître la sécurité publique.

La montée en puissance de la société civile et en particulier des acteurs locaux dans les processus de décision est cependant identifiée comme un possible vecteur de réagencement, même si de multiples difficultés sont notées. La visibilité des indices d’un tel changement reste cependant faible au niveau national, même si beaucoup attestent de l’existence, au plan local, de pratiques qui vont dans ce sens, pour certaines depuis de nombreuses années.

L’importance des processus d’instruction citoyenne

Une dimension clé de ce dialogue critique réside dans la capacité des citoyens (acteurs locaux, associations locales, nationales et internationales, simples citoyens) à engager des processus d’instruction citoyenne à travers lesquels ils instruisent ensemble des questions qu’ils ont identifiées comme importantes.

Les “processus d’instruction citoyenne“ sont des démarches à travers lesquels les acteurs de la société se dotent, à des degrés divers, des moyens leur permettant d’investiguer des questions qui les préoccupent. Ces processus peuvent se dérouler dans un cadre négocié ou être de nature conflictuelle. Ils se déterminent par la conjonction de l’autonomie des acteurs et de l’investigation d’un objet de préoccupation de nature publique (souvent caractérisé dans le domaine nucléaire par une forte dimension technique). Ces processus permettent aux acteurs de la société :

• d’instruire des questions concrètes qui leur paraissent importantes ;

• de mobiliser des compétences (techniques et stratégiques) pertinentes et fiables (en termes de qualité scientifique et en termes de confiance) qui sont nécessaires ;

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• de traduire leurs questions dans les codes scientifiques, techniques et réglementaires qui régissent les activités nucléaires, à travers un processus dit « de médiation technique » (traduction entre des langages différents) ;

Les processus d’instruction citoyenne ne visent pas la connaissance pure mais au contraire à un impact sur une situation concrète. Ils sont souvent motivés par une perspective de défense des intérêts de la vie, dans une perspective patrimoniale vis-à-vis d’un territoire. Ces processus ne présupposent pas un accord préalable entre les acteurs initiateurs du processus et les autres parties prenantes pour être mis en œuvre.

Ils peuvent s’accompagner de la mobilisation de contre-pouvoirs nécessaires au bon déroulement de ces processus. Ceux-ci incluent, entre autres, les médias, le recours aux élus, les CLI, les recours légaux, etc. L’objectif est alors de maximiser l’impact des processus d’instruction citoyenne en usant pour cela de toutes les possibilités offertes par une situation donnée.

Les processus d’instruction citoyenne requièrent pour se développer l’engagement autonome d’acteurs de la société. Il est également indispensable pour ces acteurs de pouvoir investiguer les dimensions techniques d’un problème et donc de construire les compétences nécessaires.

Cette montée en compétence est la condition indispensable pour que les acteurs de la société civile puissent établir la connexion entre des problématiques variées (locales, techniques, politiques, juridiques et sociales) et acquérir une autonomie de jugement dans le champ technique. Cette autonomie cognitive est corrélative de l’autonomie stratégique et politique. En effet, l’un des obstacles majeurs à l’entrée de non-spécialistes dans les questions nucléaires est le coût d’entrée exorbitant nécessaire pour accéder à la technique et intégrer celle-ci dans le questionnement des citoyens.

Une forme de “fatigue“ se fait rapidement sentir chez les acteurs de la société civile qui s’investissent sur des thématiques sur lesquelles il s’avère qu’ils n’ont aucune influence. Il est apparaît donc important de pouvoir en évaluer l’impact de façon visible, en rendant compte autant que possible de la façon dont les contributions des uns et des autres ont été suivies ou non d’effets et pourquoi. Cet impact est lié à la capacité des acteurs de la société civile a mettre en œuvre des stratégies efficaces et réalistes.. La capacité des acteurs de la société à tirer parti de leur environnement social et institutionnel pour faire vivre le processus d’instruction citoyenne est à ce titre un enjeu important.

La médiation technique et la construction pluraliste d’expertise

La montée en compétence des acteurs de la société civile dans le cadre de l’instruction citoyenne est corrélative d’un autre enjeu qui est, pour les acteurs de la société civile, de pouvoir transformer une question ou une inquiétude en “problème“ pouvant donner lieu à une prise en charge stratégique. Il est pour cela nécessaire d’assurer une interface qui permette l’intégration par ces acteurs des registres cognitifs (ce qui vise à être vrai – comme par exemple les réalités scientifiques et techniques) et des registres normatifs (éthiques ou politiques : ce qui vise à être bon, souhaitable). Celle-ci permet la construction de sens partagée dans le contexte de problématiques fortement techniques.

Ce processus de traduction des questions citoyennes dans les codes scientifiques, techniques et réglementaires est une véritable fonction de médiation. Cette médiation entre divers registres est alors au service de la construction d’un processus d’investigation qui pourra alors comprendre des dimensions humaines et techniques. L’expert proche de la société est alors à même d’exercer ce que l’on appellera ici une fonction de “médiation technique“.

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La médiation technique permet aux acteurs de la société civile d’investir des processus de décision ou des questions qui les intéressent sans sacrifier leurs intérêts propres à la légitimité technique.

La mise en œuvre d’une médiation technique repose sur l’existence d’experts, de groupes ou de réseau d’experts ou d’institutions d’expertise crédibles (sur le plan scientifique et technique), autant que possible indépendants (des opérateurs plus particulièrement) et proches (des citoyens, des acteurs locaux et de leurs valeurs). La présence d’acteurs de médiation technique dans les rangs de la société est alors identifiée comme un enjeu de confiance sociale.

Dans le contexte des activités nucléaires, un paysage de l’expertise s’est construit en France avec l’émergence d’une expertise industrielle et d’une expertise publique. Une expertise associative territoriale ou nationale a, de plus, historiquement exercé une fonction de médiation technique vis-à-vis de la société.

Un risque d’attrition de ce vivier historique des experts associatifs est évoqué par les personnes interrogées, et dans un contexte où les sollicitations augmentent. La perte d’un patrimoine d’expérience est en particulier redouté, faute d’une transmission intergénérationnelle. Cette situation conduit la plupart des personnes interrogées à s’interroger sur les conditions d’une pérennisation et du développement du potentiel de médiation technique.

La diversification et le développement d’une expertise distribuée dans le corps social représente donc un enjeu majeur. Différentes pistes sont évoquées par les personnes interrogées pour répondre à ce besoin identifié d’expertise et de médiation technique. Le développement d’une expertise associative proche du citoyen et s’inscrivant dans la continuité humaines et territoriales semble être un enjeu essentiel. Parallèlement, la possibilité que les universités constituent au sein des régions de véritables pôles d’expertise connectés aux CLI est également évoquée.

Le développement de nouveaux modes de financement apparaît au cœur de toute stratégie de développement de l’expertise distribuée dans la société. A ce titre, différentes possibilités sont évoquées. Les personnes interrogées évoquent la nécessité de l’ouverture d’un marché de l’expertise, par l’injection de fonds publics et par la diversification des commandes. Ceci pourrait être une conséquence de la loi du 13 juin 2006 et de la redistribution aux CLI du produit d’une taxe dédiée. De façon générale, l’existence d’une ou plusieurs fondations permettant de centraliser et de distribuer des fonds de façon indépendante a été largement identifiée comme un élément pouvant favoriser le développement d’une expertise distribuée dans la société et celui d’une recherche prenant en compte les attentes sociales. Une possible montée en puissance de l’OPECST dans le domaine nucléaire est également évoquée, avec la création d’une fondation, sous l’égide du Parlement, dédiée au financement d’expertise et à la préparation des débats avec la société sur les questions nucléaires.

Par ailleurs, la contribution du Haut Comité à la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire, comme commanditaire d’expertise à la demande de la société et lieu de dialogue critique entre les différentes parties prenantes est une option envisagée. De même, apparaît l’idée d’une montée en puissance des collectivités territoriales et plus particulièrement des Conseils généraux, notamment chargés de la présidence des CLI autour des sites nucléaires.

Le recours de la société à l’expertise publique nucléaire qui représente le principal vivier d’experts disponibles aujourd’hui semble incontournable à court, moyen terme. En effet, le risque d’attrition du vivier d’experts présents dans la société et la prise en compte du temps nécessaire à la formation de nouveaux experts laissent entrevoir une période de rareté. La force de travail et les savoir-faire des acteurs de l’expertise publique devraient apporter à cette occasion une contribution aux processus d’instruction citoyenne et assurer une forme de relais vers une situation où l’expertise serait plus diversifiée.

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Pour autant la capacité des experts publics à exercer des fonctions de médiation technique requiert, au-delà d’une crédibilité scientifique et technique et de la présomption d’indépendance, une proximité des acteurs de la société, un partage de valeurs et des relations construites dans la durée au fil des expériences et des engagements réciproques. Par ailleurs, un organisme comme l’IRSN n’est pas nécessairement gréé (en termes de ressources humaines et financières) pour assurer une présence systématique sur le terrain, à l’échelle du territoire national, du type de celles que requiert le développement de la médiation technique.

Dans cette perspective, se dessine une mission possible de l’expert public qui serait d’accompagner le développement de cette médiation technique dans la société, d’assurer des conditions favorables au développement de celle-ci, par des transferts de connaissances, par la formation, par le développement d’opérations exemplaires susceptibles d’être appropriées et diffusées sur l’étendue du territoire national par les organismes intéressés.

Les personnes interrogées observent que les enjeux attachés à l’expertise (dans la perspective du dialogue critique) ne concernent pas seulement la diversification des instances d’expertise mais également les modalités de mise en dialogue de ces expertises. En effet, le dialogue critique met en jeu, par nature, plusieurs logiques cognitives et souvent plusieurs catégories d’intérêts. Il peut bénéficier ainsi non seulement d’une confrontation mais également d’une véritable construction pluraliste d’expertise. C’est d’ailleurs à travers ce type de processus que peuvent être mis à jour et reconnus les prémices des différentes expertises disponibles (connaissances disponibles, incertitudes, absence de connaissance, hypothèses palliant les déficits de connaissance, valeurs implicites des différentes sources d’expertise, alternatives et options implicites, etc).

La contribution des CLI et de l’ANCLI au dialogue critique

Les CLI et leur fédération, l’Association Nationale des CLI (ANCLI), ont été fréquemment évoquées dans les entretiens, tant pour leur nouveau statut dans le paysage nucléaire français que pour leur valeur d’interface entre la société civile et les acteurs du système nucléaire. Les CLI ont une position particulière à la jonction du monde industriel électronucléaire, de dimension nationale, et du territoire qu’elle représentent. Cette spécificité est également organique : elles sont dans leur genèse, à la fois une émergence du territoire (bottom up) et le résultat d’une construction institutionnelle (top down). L’ANCLI a, pour sa part, vocation à connecter au niveau national ce niveau local, mais sans que l’un des deux niveaux ne prenne le pas sur l’autre.

Les CLI ont une capacité à mobiliser les ressources (techniques, financières et juridiques) qui sont nécessaires à l’instruction des questions citoyennes portées par leurs membres (ou en tous cas par certains membres qui vont alors mobiliser la CLI dans cette perspective). Dans cette perspective, les personnes interrogées évoquent plusieurs contributions significatives des CLI dans le contexte des processus d’instruction citoyenne et dans la perspective de l’établissement d’un dialogue critique.

En premier lieu les CLI permettent aux acteurs de la société de contribuer faire émerger et légitimer des questions sur la place publique, questions qui (sinon) n’auraient pas trouvé de relais. Elles ont également vocation à être un lieu d’échange où des discussions relatives au suivi des installations nucléaires de base (INB) puissent avoir lieu publiquement. Elles peuvent également contribuer à l’information des citoyens dans des termes qu’il comprennent et puissent mettre en perspective avec leurs préoccupations propres. A ce titre, elles peuvent être un outil permettant la conduite de contre-expertises et la confrontation des analyses.

Les CLI : acteurs en devenir dans la gouvernance des activités nucléaires

Il est encore difficile de conduire sur les CLI une analyse définitive. Ces institutions sont encore en devenir tout comme leur place dans la gouvernance des activités nucléaires. Leur périmètre d’action semble même encore en cours d’élaboration, tandis que la construction de leur autonomie constitue un enjeu majeur.

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Il apparaît également que l’un des enjeux principaux des CLI sera la construction de leur autonomie, que leur positionnement singulier ne peut permettre de construire autrement que dans l’interaction. A contrario, de par leur position à l’interface de la société et du système nucléaire, les CLI semblent être à même de contrebalancer des influences trop fortes (dans un sens ou dans un autre) et d’ouvrir ainsi la voie au dialogue critique évoqué plus haut. L’autonomie des CLI apparaît dans bien des cas à construire et non pas acquise a priori.

Un autre enjeu évoqué pour les CLI et l’ANCLI est celui de la perennité de leur contribution et de la forme que celle-ci prendra à l’avenir. Les personnes interrogées évoquent en particulier la période faisant suite au vote de la loi du 13 juin 2006 comme étant une période de transition et de calage du système de gouvernance des activités nucléaires français. La façon dont celles-ci vont se saisir de la définition de leur périmètre par le législateur apparaît encore ouverte. Si les CLI sont dédiées par leur définition légale au suivi des installations nucléaires, l’esprit et le but dans lequel ce suivi peut s’effectuer reste encore ouvert et largement lié à la façon dont les acteurs interprèteront leur rôle et leur mission.

L’accès à la définition des choix stratégiques apparaît également comme un élément d’incertitude quant au périmètre futur des CLI et de l’ANCLI. Dans le cas de l’ANCLI, les groupes permanents créés par cette fédération sur des thématiques particulières ont pour objet de permettre aux CLI une montée en compétence et en influence sur ces questions au plan local comme national voire international. L’enjeu est alors de faire entendre une voix compétente et nourrie localement aux niveaux nationaux et internationaux.

Instruction citoyenne, dialogue critique et expertise pluraliste : vers une évolution des paradigmes de l’action collective.

Un axe majeur de cette étude est donc l’identification et la conceptualisation de l’existence de processus d’instruction citoyenne et des trois dimensions constitutives de leur vitalité : autonomie des acteurs, compétence (permettant d’aborder les dimensions technique des problèmes), et ressources stratégiques (permettant d’influer sur une situation donnée). C’est de l’emploi de ces processus d’instruction citoyenne et de leur multiplication que tend à émerger un nouveau cadre d’interaction entres acteurs intéressés aux affaires nucléaires, celui du dialogue critique.

Une condition des processus d’instruction citoyenne réside dans l’existence de formes de “médiation technique“ qui vont rendre possible la montée en compétence des acteurs de la société. Ceux-ci vont ainsi pouvoir construire leur questionnement d’une façon qui leur semble adéquate et évaluer les expertises des institutions qui leur sont proposées.

Des formes d’expertise pluraliste qui rendent en particulier possible le dialogue entre les différentes formes d’expertise mobilisées (y compris celles qui ont été élaborées dans le cadre de l’instruction citoyenne) semble par ailleurs appelé à se développer. Dans ce contexte, celles-ci semblent appelées à prendre une importance accrue.

Sous la pression conjuguée des vecteurs de changement identifié précédemment et de ces nouveaux outils de mobilisation des citoyens, des évolutions du dispositif de gouvernance des activités nucléaires se dessinent. De façon plus générale, même, c’est une évolution des formes de l’action collective et de la place de l’Etat et de ses agents dans ce dispositif qui s’esquisse.

En effet, on tend à passer d’une gouvernance déléguée à un système administratif et étatique d’intérêt général où la contribution de la société reste extérieure et périphérique à une forme de gouvernance démocratique qui donne toute sa place à une contribution citoyenneà la définition et la prise en charge des affaires publiques et plus particulièrement à la vigilance et à la sûreté dans le contexte nucléaire.

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Dans cette perspective, l’autonomie, la compétence et la capacité des acteurs de la société sont des éléments de vitalité démocratique. Les formes “sauvages“ de participation trouvent leur place dans cette forme émergente de gouvernance tout comme les processus institutionnalisés de consultation. L’existence d’une pluralité d’acteurs, avec des positions construites et différenciées, susceptibles de porter l’existence d’un dialogue critique constitue, dans cette perspective, un élément spécifique de qualité et de vitalité de la gouvernance. Il ne s’agit pas nécessairement de rechercher un consensus mais plutôt de favoriser l’existence de tensions fécondes fondées sur la pluralité et l’expression des différences, à travers le respect de l’autonomie des acteurs et la recherche de situations équitables d’interaction avec la société.

Cette gouvernance suppose l’existence durable de groupes d’acteurs de la société compétents et influents autour de chaque type d’activité, susceptibles de s’engager dans l’instruction citoyenne des questions qu’ils portent et dans un “dialogue critique“ avec les institutions. L’étude souligne le caractère essentiel de la médiation technique et de l’expertise pluraliste dans ces processus.

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Chapitre 1 - Les vecteurs de changement de la Gouvernance des activités nucléaires dans le contexte international et national

Le système nucléaire français et ses modalités de gouvernance sont, d’après les personnes interrogées, particulièrement exposés à l’influence de possibles évolutions internationales. L’hypothèse de modifications du paysage énergétique mondial, la perspective d’une pénurie des ressources énergétiques fossiles avec ses enjeux économiques et géopolitiques, la problématique du changement climatique, sont en particulier évoquées comme de possibles vecteurs de changement. Corrélativement, l’émergence probable de pôles nucléaires transnationaux semble également susceptible d’influer sur le devenir du système français de gouvernance des activités nucléaires et sur sa philosophie.

D’un point de vue global, il est fait état de pressions internationales fortes et constantes visant à l’établissement d’un référentiel normatif international de sûreté nucléaire susceptible d’accompagner l’internationalisation de l’industrie nucléaire. Les conséquences du processus d’élargissement de l’Union Européenne semblent également pouvoir exercer une influence sur la pratique et les équilibres français entre les acteurs intervenants dans le domaine nucléaire. Un autre vecteur de changement évoqué dans les entretiens concerne l’émergence d’un droit à l’information et à la participation au plan international et national, notamment dans le champ nucléaire avec le développement de pratiques institutionnelles de débat et de dialogue autour des activités porteuses d’impacts pour l’homme et pour l’environnement.

Si l’ensemble des personnes interrogées s’accordent sur l’existence de vecteurs de changement dans le contexte international, aucun consensus ne se dégage quant à leur impact sur la gouvernance des activités nucléaires. Il est même notable que les mêmes personnes peuvent voir dans un même vecteur de changement autant d’opportunité que de menaces pour le dispositif de gouvernance des activités nucléaires. Il semble en outre que les évolutions envisageables puissent dépendre fortement des stratégies des différents acteurs concernés face à cette situation évolutive.

Un paysage énergétique mondial en évolution

La raréfaction des ressources fossiles, l’instabilité du contexte géopolitique, la menace du changement climatique (et les actions préventives qui en découlent) et la nécessité pour les Etats d’assurer leur indépendance énergétique contribuent à nourrir l’hypothèse d’un processus de relance de la construction nucléaire, cette dernière étant largement perçue comme une énergie de souveraineté. De la même façon, la perspective de renouvellement d’un parc vieillissant est évoquée dans les

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pays historiquement engagés dans la production d’énergie nucléaire comme la France.

L’hypothèse d’une relance nucléaire après une période de stagnation est très largement perçue dans les entretiens comme pouvant avoir une influence sur la gouvernance des activités nucléaires en France par la modification des équilibres existants.

Une remise en cause des anciens équilibres ?

La gouvernance des activités nucléaires s’est structurée depuis l’après guerre5 autour de trois piliers (exploitation, autorités de sûreté, expert public). Cette gouvernance est également caractérisée par certaines relations entre le système nucléaire et la société (voir troisième partie) dont l’équilibre s’est progressivement construit depuis une vingtaine d’années.

La plupart des personnes interrogées considèrent que l’hypothèse d’une relance du nucléaire pourrait conduire à des modifications sensibles des équilibres qui caractérisent aujourd’hui la gouvernance des activités nucléaires.

La plupart des personnes interrogées observent néanmoins qu’un processus de décision comme celui qui a accompagné la mise en œuvre du plan Messmer des années 1970 serait impensable aujourd’hui. Une telle approche technicienne et administrative serait, selon elles, inadaptée au nouveau paysage qu’offre aujourd’hui la société française. Dans cette perspective, certaines d’entre-elles, tout en reconnaissant les apports des récents débats publics CNDP dans le domaine nucléaire (voir plus loin), soulignent néanmoins les limites d’un processus de décision où la concertation s’est largement construite a posteriori (l’EPR).

Une opportunité de réflexion sur la sûreté

La perspective d’une éventuelle relance du nucléaire pourrait, pour certaines personnes interrogées, constituer une fenêtre d’opportunité pour un réexamen et une renégociation globale et intégrée des conditions d’exercice des activités nucléaires. Ce réexamen pourrait aussi bien concerner les futurs équipements que la question des conditions du prolongement de la durée de vie de certaines installations actuelles. De même, il devrait être l’occasion d’un approfondissement des modalités de gestion des déchets radioactifs, des concepts qui président à la gestion accidentelle et post-accidentelle. La mise en place d’un cadre de gouvernance plus ouvert aux interactions avec la société pourrait également constituer l’une des enjeux

5 Voir en annexe, la synthèse historique de la mise en place du dispositif de gouvernance des activités nucléaires : 1945 - 2007

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de cette évolution, même si plusieurs personnes interrogées voient au contraire dans cette possible évolution la menace d’une refermeture du système nucléaire. La récente redéfinition des missions de l’autorité de sûreté comme celui du statut des commissions locales d’information semblent ainsi difficilement dissociables des décisions concernant la construction de nouvelles unités (EPR)

Un vecteur d’ouverture

Plusieurs personnes interrogées suggèrent qu’une éventuelle relance nucléaire au plan international et notamment en Europe pourrait s’accompagner d’un renforcement des exigences des populations en matière d’information et de participation dans des pays marqués par une ancienne tradition démocratique comme dans les nouveaux Etats membres. Différentes solutions institutionnelles pourraient être ainsi élaborées dans plusieurs contextes politiques et culturels qui pourraient, par ricochet, impacter les modalités de gouvernance des activités nucléaires en France.

En particulier, il est souligné qu’une relance nucléaire en Grande Bretagne ou en Allemagne ne se ferait vraisemblablement pas sur le modèle de gouvernance français6. Le retour d’expérience sur la France pourrait se faire par exemple dans un cadre intergouvernemental, mais également dans le cadre de relations entre acteurs de la société civile ou dans le cadre des institutions internationales. Une personne interrogée indique ainsi que : “en Finlande, le chantier EPR se passe mal et les Finlandais ont été très attentifs et très désagréablement surpris de la façon dont AREVA a géré les choses pour l’EPR de Flamanville. Ils se sont interrogés sur les difficultés d’AREVA en France. Et Greenpeace, a contrario, a beaucoup mis en avant les problèmes de l’EPR en Finlande pour faire pression sur AREVA en France.“

De fait, dans un monde où les associations, les flux d’hommes et d’idées sur les pratiques de gouvernance tendent de plus en plus à se connecter sur un mode transnational, il apparaît probable que les débats et les événements ayant lieu dans un pays devraient d’une façon ou d’une autre avoir un effet sur les nations voisines.

6 Comme semble en témoigner le récent document cadre de la gestion des déchets radioactifs (“Managing Radioactive Waste Safely“ (MRWS) – juin 2008) qui prend appui sur les récentes expériences belges et slovènes en matière de processus de recherche de site pour des installations de gestion des déchets radioactifs)- http://www.defra.gov.uk/environment/radioactivity/mrws/pdf/white-paper-final.pdf

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Vers des pôles industriels nucléaires transnationaux ?

L’industrie nucléaire est souvent liée historiquement aux programmes militaires (en France ou en Grande Bretagne, par exemple) qui ont été mis en place par les Etats dans des cadres nationaux après la guerre. Les personnes interrogées considèrent qu’une éventuelle relance du nucléaire tendrait au contraire à s’inscrire dans un cadre transnational. L’émergence de champions industriels transnationaux est en particulier envisagée. Cette évolution se place dans la perspective d’une libéralisation du marché de l’énergie et de sortie du monopole des exploitants français. Dans un contexte de forte compétition, cette éventualité ne peut manquer d’avoir une influence importante sur les pratiques et la philosophie de gouvernance des activités nucléaires.

Vers des champions transnationaux

La dimension mondiale pressentie d’un éventuel mouvement de relance de la construction dans le domaine nucléaire appellerait de la part des constructeurs qu’ils puissent s’insérer dans un cadre hautement concurrentiel. Il deviendrait alors encore plus nécessaire qu’ils aient la capacité technique et industrielle de proposer et de construire en grand nombre des produits de qualité toujours croissante. De fait, aux dires de certaines personnes interrogées, seuls des champions transnationaux, maîtrisant l’ensemble de la filière industrielle de construction d’une centrale nucléaire paraissent à même de se développer. L’émergence de trois ou quatre pôles de construction à dominante respectivement franco-allemande7, nippo-américaine, russe et éventuellement chinoise, est envisagée et devrait se traduire par la montée en puissance de quelques opérateurs majeurs d’envergure mondiale.

Il ressort des entretiens qu’une telle évolution serait susceptible d’être à l’origine d’une évolution des pratiques de gouvernance des activités nucléaires en France :

• En premier lieu en plaçant dans un cadre neuf la question du secret défense et du secret commercial : comment par exemple, les acteurs du système de régulation pourraient-ils effectuer un retour d’expérience public sur des incidents impliquant des technologies relevant du secret commercial ? De la même façon, comment des recherches ou des travaux d’expertise relevant du secret de défense pourraient-ils être transmis à des industriels largement impliqués à l’étranger ?

• La sûreté dépend largement en France d’une tradition de dialogue technique de proximité entre des opérateurs, des experts et une autorité partageant des

7 Les entretiens ont été conduits avant la séparation d’AREVA et de Siemens.

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éléments de culture communs : cela sera-t-il possible avec des industriels étrangers ?

• Contrairement aux objets de consommation courante, la conception même des installations nucléaires est marquée par des options et des choix qui s’effectuent dans un contexte politique, éthique et culturel particulier qui comporte dans chaque pays des spécificités qui sont susceptibles d’être remises en cause dans d’autres contextes nationaux.

• Le mouvement de construction de centrales nucléaires dans des pays étrangers, en particulier ceux ne disposant pas d’une pratique démocratique ancrée (Lybie par exemple), conduit à poser la question de la qualité de “l’environnement citoyen“ et sa contribution à la qualité du suivi des activités nucléaires ; plusieurs personnes évoquent le fait que ce mouvement et les débats qui l’entourent conduisent à mettre en évidence la nécessité de contre-pouvoirs dans les dispositifs de gouvernance de ces activités, notamment dans la société civile, comme un élément incontournable d’une culture de sûreté.

La libéralisation : quels effets d’une concurrence accrue ?

Un éventuel mouvement de relance nucléaire ainsi que l’émergence de pôles industriels transnationaux devrait s’accompagner en Europe d’un processus de libéralisation du marché de l’énergie. Cette perspective s’accompagne de nombreuses questions pour les personnes interrogées.

Celles-ci évoquent en premier lieu le risque de dégradation de la sûreté des installations comme effet possible d’une pression concurrentielle accrue. Une priorité mise sur la recherche de rentabilité pourrait se traduire par une réduction des coûts notamment dans le domaine de la sûreté ainsi que dans celui de la protection de l’homme et de l’environnement. Ce mouvement aussi bien concerner les choix effectués lors la conception que les conditions d’exploitation. Il pourrait également affecter l’expertise de sûreté et la recherche correspondante.

De la même façon, ce mouvement pose la question de la “privatisation“ de questions jusqu’alors considérées comme publiques. En effet, jusqu’à il y a peu les acteurs scientifiques et industriels du nucléaire en France étaient en grande partie des acteurs publics. A ce titre, leurs orientations stratégiques intéressaient la Nation. La privatisation et la libéralisation du marché de l’énergie pourraient tendre à changer cet état de fait, une entreprise privée n’ayant à rendre compte de ses choix stratégiques que dans la mesure où ils sont susceptibles d’affecter clairement et directement la population. L’une des personnes interrogées évoque à ce titre l’exemple du débat public sur l’EPR : “Le point principal qui aurait du être débattu était la pertinence de l’EPR pour maintenir la capacité nucléaire française et celui-ci n’a pas été discuté ; du point de vue d’EDF cela était de son ressort comme relevant de sa stratégie industrielle propre ; la légitimité du projet était interrogeable du point

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de vue des pouvoirs publics dans le contexte actuel (même si elle ne l’a pas été dans les faits). Elle ne le serait probablement pas dans un contexte où EDF serait privatisé, sa stratégie devenant un objet privé“ 8.

Certains entretiens, cependant, mettent en avant le fait que l’arrivée de plusieurs exploitants et industriels en France pourrait avoir pour effet de briser la cohésion culturelle et institutionnelle du système nucléaire national. Elle pourrait ainsi contribuer à l’ouverture du système à l’occasion de l’insertion de nouveaux acteurs amenant avec eux une culture neuve. Ainsi, l’une des personnes interrogées déclare que l’arrivée d’opérateurs d’électricité en France “est une révolution. Les associations sont demandeuses de concurrence dans le champ nucléaire. A long terme, le monopole d’Etat disparaîtra.“. La possibilité d’une amélioration substantielle de la transparence et des relations avec les acteurs de la société comme conséquence de cet éventuel rééquilibrage des forces en présence est ainsi évoqué.

Questions pour les acteurs locaux

L’éventuelle “privatisation“ de la question nucléaire, celle-ci devenant une problématique industrielle, commerciale et économique (non politique) dans une économie globalisée, semble en particulier s’accompagner du fait que cette question pourrait échapper de plus en plus à la société et aux acteurs locaux.

Un autre facteur de changement est perçu comme pouvant être à l’origine d’un renforcement de cette mise à distance (de la société et des Etats) des activités nucléaires. Il s’agit de la certification internationale des technologies nucléaires. En effet, celle-ci devrait permettre à une technologie certifiée dans un pays d’être développée dans un autre pays sans avoir à refaire le processus de certification déjà établi dans le pays d’origine. Mais cette perspective, qui est développée dans la section suivante, est également évoquée comme porteuse d’opportunités pour la société dans la mesure où elle pourrait contribuer à objectiver et permettre la mise en débat démocratique d’un dispositif de normes de conception et de conduite des activités nucléaires. La conduite des activités nucléaires est en effet jugée largement informelle en France (se construisant dans le dialogue technique entre les acteurs institutionnels du nucléaire) et donc comme échappant dans une large mesure à l’évaluation des acteurs externes.

8 Il est intéressant d’observer à cet égard la situation anglaise récente dans le contexte d’une relance nucléaire menée par des opérateurs étrangers (dont EDF) et le fait que le gouvernement anglais a été obligé de reprendre la procédure de concertation sur sa politique nucléaire sous l’impulsion d’une action juridique de Greenpeace qui jugeait celle-ci non conforme à la convention d’Aarhus (et à ses transpositions légales européennes et nationales).

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Des pressions internationales en faveur d’une sûreté fondée sur un cadre de normes et de standards définis au niveau international

Une des personnes rencontrées évoque un rapport de l’Agence de l’Energie Nucléaire (AEN) de l’OCDE (Opinion collective - EGCO9 - mai 2007) qui concerne la question de la gouvernance des activités nucléaires. Ce rapport recense les défis pour l’avenir et en particulier identifie comme un enjeu clé l’équilibre entre une gouvernance locale des activités nucléaires - qui apparaît de plus en plus importante dans les processus de décision - et les normes internationales. Il ressort en effet de la plupart des entretiens qu’une poussée des autorités américaines, relayées par de nombreux opérateurs industriels, tend à l’établissement d’un cadre de normes et de certification permettant aux industriels ayant certifié une technologie dans un pays de l’exporter dans un autre sans avoir à reprendre le processus de certification dans son entier. L’enjeu est alors de ne pas dupliquer le travail de certification à fournir d’un pays à l’autre, en s’appuyant sur un cadre défini de façon internationale. Cette tendance est largement corrélative des vecteurs identifiés précédemment, relance du nucléaire, libéralisation des marchés et internationalisation des opérateurs industriels.

Un processus déjà engagé

Ce mouvement de normalisation est en particulier engagé dans le cadre du “Multinational Design Evaluation Program“ (MDEP) dont l’Agence de l’Energie Nucléaire de l’OCDE (AEN) assure le secrétariat. Ce processus est, au dire des responsables de l’AEN, “une initiative multinationale en vue de développer des approches innovantes afin de mutualiser les ressources et les connaissances des autorités de sûreté qui auront la responsabilité de l’évaluation réglementaire de nouveaux réacteurs. Il comporte trois phases :

• La phase 1 concerne les réacteurs dont la conception est soumise à la certification de l’Autorité de sûreté américaine (NRC) et qui sont en cours d’instruction par d’autres Autorités de sûreté nucléaire. Pour l’heure, seul l’EPR est concerné et fait l’objet d’une coopération entre l’ASN et l’Autorité de sûreté finlandaise (STUK), d’une part et la NRC, d’autre part. Un protocole de coopération a été signé en juin entre cette dernière et l’ASN.

• La phase 2 est menée parallèlement à la phase 1, cette phase a pour objectif de faciliter l’analyse de sûreté des réacteurs de génération III. Il s’agit d’un travail visant à faire converger les objectifs de sûreté, les critères, les codes et

9 Expert Group on the CRPPH Collective Opinion (http://www.nea.fr/html/rp/egco.html)

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les standards associés à l’analyse de sûreté d’un nouveau réacteur. Cela se traduira également par la possibilité, pour une Autorité de sûreté nucléaire, de s’appuyer sur une autre Autorité de sûreté pour le contrôle de la fabrication des composants du réacteur.

• La phase 3 vise à la mise en oeuvre des produits de la phase 2 pour l’analyse de sûreté des réacteurs de génération IV.10 »

Cette évolution pourrait contribuer à favoriser des synergies entre acteurs du système nucléaire (pour par exemple financer et conduire des investigations). La question se pose alors du point d’équilibre, et du lieu où réaliser cet équilibre, entre normes d’applications universelles et situations locales. Plus encore, des questions sur la philosophie de sûreté ainsi entendue ont été largement évoquées.

Quelle garantie de sûreté et de radioprotection ?

De façon générale, la sûreté est évoquée dans les entretiens comme ne pouvant se circonscrire à un ensemble de normes. Elle se fonde, au moins dans le cadre français, sur la nécessité d’un “dialogue technique“ entre les divers acteurs du dispositif de gouvernance des activités nucléaires, dialogue visant moins au respect de normes préétablies qu’au maintien effectif d’un haut niveau de sûreté. Ce dialogue a cependant pour cadre un système relativement restreint, utilisant des technologies nationales et connues. A ce titre, la montée en puissance d’une philosophie de régulation fondée sur la norme apparaît comme pouvant se faire au détriment du dialogue technique. Ceci amène un certains nombre de personnes interrogées à poser la question des garanties de sûreté et de radioprotection apportées par ce changement.

Cette évolution est alors susceptible de rejoindre en France ce que l’une des personnes interrogées appelle « une logique COFRAC11 de sûreté par la norme », au sein de laquelle l’enjeu serait le respect ou non d’une norme technique sans chercher à investiguer les véritables enjeux de sûreté au-delà de la problématique de conformité.

Quelle place pour la société ?

L’éventualité d’un passage à la mise “en norme“ de la sûreté conduit certaines personnes interrogées à demander si ce mouvement est de nature à favoriser l’accès de la société aux choix et à leur mise en débat. En particulier, une

10 Source : ASN (http://www.asn.fr/sections/rubriquesprincipales/international/organisations/multinational-design-evaluation-program)

11 Comité français d'accréditation (http://www.cofrac.fr)

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internationalisation de la certification ne met-elle pas celle-ci hors de portée des acteurs nationaux et locaux, au préjudice de la compatibilité des normes avec les contraintes et les exigences nationales et locales ?

La question est alors de savoir où se trouve l’équilibre entre les normes d’application universelle et les situations locales. Les autorités nationales apparaissent également questionnées par cette recherche d’un équilibre. Dans ce contexte, les normes internationales sont évoquées comme pouvant constituer un point de référence, l’enjeu étant ensuite d’évaluer la marge de subsidiarité envisageable au niveau national et local. L’intégration de la place de la société lors du processus de certification est par ailleurs évoquée. Comme le montre l’exemple d’autres domaines d’activités comme celui de la gestion forestière12, l’introduction de processus participatifs à différents niveaux (international, nationaux, locaux) dans les processus de certification pourrait permettre l’intégration des acteurs de la société, notamment dans les territoires où seront concrètement mises en œuvre ces technologies.

A ce titre, la montée en puissance d’un cadre de sûreté fondé sur la norme et la mise en œuvre d’un cadre international apparaît comme un vecteur important pouvant exercer une influence sur la gouvernance des activités nucléaires en France. Le “décrochage“ des acteurs locaux des problématiques effectives est en particulier évoqué comme un risque réel que seraient néanmoins susceptibles de corriger l’introduction de processus participatifs institutionnalisés aux différents niveaux de décision.

12 On notera par exemple l’existence de processus participatifs de certification dans le champ de la gestion forestière avec des mécanismes de concertation au plan international, nationaux et locaux (par massif forestier) impliquant les différentes catégories d’acteurs concernés (Pan European Forest Certification – PEFC).

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L’élargissement de l’Union Européenne

Lors des négociations d’adhésion des pays de l’Est, il est apparu très vite que la question de la sûreté nucléaire ferait partie des thématiques de la négociation. La Commission européenne s’est alors penchée sur cette question dans la perspective d’une remise à niveau de la sûreté nucléaire dans les Etats candidats à l’accession. Cette situation représentait pour la Commission qui ne disposait pas de mandat explicite sur les questions de sûreté, une opportunité d’élargir son champ de compétence en y faisant rentrer non seulement les futurs Etats membres mais également les anciens, rentrant par la même dans un champ potentiel de conflit de compétence avec les autorités nationales de sûreté. Cette situation a contribué à la création de l’organisation WENRA (1999) regroupant les autorités de sûreté ouest-européennes, cependant que la Commission s’engageait dans une tentative d’élaboration d’un cadre communautaire de sûreté, témoignant d’une importance accrue de l’échelon européen dans la gouvernance des activités nucléaires.

Le processus d’évaluation et de remise à niveau des activités nucléaires chez les nouveaux entrants et ses conséquences

Regroupées dans l’association WENRA, les autorités nationales ouest-européennes ont alors procédé de leur propre initiative à une évaluation de la sûreté des installations nucléaires des pays candidats ainsi que de leur cadre institutionnel et réglementaire. Ce travail d’évaluation a été réalisé par les différentes autorités membres de WENRA qui se sont donc réparties la tâche. Cette évaluation a ainsi été réalisée selon les critères de sûreté de chaque autorité, rendant difficile l’intégration des résultats des divers pays. Les évaluateurs se sont alors concertés pour réfléchir à la création d’une méthode faisant consensus, donnant lieu à un rapport WENRA et à un rapprochement des pratiques ainsi qu’à l’élaboration de références communes.

Parallèlement, la Commission Européenne élaborait un certain nombre d’éléments visant à fournir un cadre normatif à l’échelle de l’Union (le « paquet nucléaire »). Ce cadre s’est heurté aux traditions d’autonomie des autorités nationales ainsi que, pour certains pays de l’Est, au refus de toute tutelle ou de toute délégation de pouvoir remettant trop en cause leur indépendance. Cette initiative n’a donc pas recueilli l’assentiment des Etats membres, elle donc été rejetée (juin 2004). Depuis cette date, la production de propositions révisées par la Commission13 aurait reçu un meilleur accueil de la part de certaines autorités nationales. En effet, un encadrement communautaire respectant les responsabilités nationales semble aujourd’hui perçu comme pouvant les aider dans l’accomplissement de leurs missions, en particulier en introduisant des mécanismes de validations de certaines

13 Un projet de directive du 26/11/2008 sur la sûreté nucléaire est actuellement en cours d’examen.

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normes à l’échelle internationale. Cette évolution néanmoins est perçue dans certains entretiens comme portant en germe une remise en cause de l’idée d’indépendance du cadre national de régulation des activités nucléaires.

Equilibres et redondances entre les divers dispositifs de régulation

Pour certaines personnes interrogées, l’approche de WENRA tout en permettant un processus construction “bottom up“ de meilleures pratiques européennes pourrait être poursuivie dans le même cadre dans les années à venir sans nécessiter une mobilisation des institutions communautaires. Certains interrogent cependant leur légitimité dans un contexte où ces autorités se trouvent ainsi à la fois productrices de normes et chargées de leur contrôle. Cette question a conduit la Commission, à la demande du Conseil, à créer un groupe spécialisé chargé de définir les domaines dans lesquels une contribution européenne aurait une valeur ajoutée. Ce groupe, le Working Parties on Nuclear Safety (WPNS) est constitué de représentants des Etats (dans la logique du respect d’une compétence nationale en matière de sûreté nucléaire).

Les travaux du WPNS ont conduit à la création par la commission (à la demande du Conseil) en 2007 du “groupe de haut niveau sur la sûreté nucléaire“ qui a pour mission d’approfondir les pistes de travail identifiées par le WNPS et de progresser dans la définition de ce que serait une valeur ajoutée communautaire dans la définition de la sûreté. Les membres de WNPS ne font cependant pas partie de ce groupe qui regroupe plutôt des représentants des autorités nationales de sûreté.

On voit donc ainsi que les prémisses d’un système, sinon de régulation, au moins de coordination multi niveaux dans le champ de la sûreté nucléaire, sont en cours d’élaboration dans l’Union Européenne en incluant à tous les niveaux les régulateurs nationaux.

Quels compromis entre différents principes de gouvernance ?

Dans une déclaration de décembre 2002, Madame De Palacio, Commissaire, citait ainsi l’arrêt de Cour européenne de justice du 10 décembre 2002 comme confirmant la légitimité de la “Communauté à légiférer dans le domaine de sûreté des installations nucléaire“, tout en reconnaissant “la compétence technique des autorités de sûreté nationales“14. L’adoption et la mise en oeuvre d’une forme d’harmonisation européenne de sûreté nucléaire se heurte cependant à certaines considérations comme par exemple :

14 Communication de Mme De Palacio du 19 décembre 2002, faisant référence à l’arrêt de la Cour de justice des communautés européennes du 10 décembre 2002 dans l’affaire C29/99 (http://ec.europa.eu/energy/nuclear/safety/doc/2003_comm_ldp_fr.pdf).

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• le refus d’une centralisation européenne de la sûreté nucléaire motivée par une souci de souveraineté ou même par le souci de la préservation d’un niveau de sûreté acquis au niveau national,

• le motif que certaines autorités de sûreté nationales sont indépendantes et qu’il n’est pas légitime de les contrôler,

• les résistances de certains pays qui pourraient, aux dires de certaines personnes interrogées, avoir des difficultés à mettre à niveau leurs installations (comme le Royaume Uni) dès lors que des standards communautaires exigeants seraient définis.

Il apparaît donc qu’un compromis reste à élaborer au niveau européen. Selon certains interlocuteurs, l’enjeu reste cependant l’établissement ou non de principes minimaux et standardisés de sûreté nucléaire à l’échelle de l’Union Européenne. Les questions de gouvernance sont parties intégrantes de cette question à travers en particulier des principes comme l’indépendance de l’autorité de sûreté nationale, la responsabilité première des opérateurs, etc.

L’implication de la société : une problématique émergente au niveau européen

Cette montée en puissance des questions de sûreté nucléaire au plan européen s’accompagne d’un développement des problématiques relatives à l’implication des acteurs de la société. En particulier, pour de nombreuses personnes interrogées, l’éventualité d’une relance du nucléaire semble difficilement envisageable sans l’avènement de formes plus participatives de gouvernance de ces activités. Ainsi, le groupe de haut niveau évoqué plus haut inclut-il, parmi ses trois groupes de travail, un groupe consacré à la question de la transparence.

De la même façon, notamment dans la perspective ouverte par le troisième pilier de la convention d’Aarhus (évoquée dans les chapitres suivants), l’accès à la justice européenne apparaît comme un levier possible pour certains acteurs de la société civile.

De fait, certaines personnes interrogées, notamment dans les rangs de la société civile, voient dans l’accès au niveau européen une opportunité de participer plus en amont aux choix et orientations qui pourraient présider à l’éventualité d’une relance nucléaire, ceci au delà des possibilités d’accès à la justice qui répondent plus à une logique défensive.

A ce titre, la mise en œuvre du Forum de l’énergie nucléaire européen par la Commission Européenne voudrait procéder de cette démarche à savoir « d’ouvrir une discussion publique sur le rôle du nucléaire, ses avantages et problèmes ». Cette démarche apparaît comme une opportunité pour certains acteurs de la société civile de contribuer à diffusion de bonnes pratiques au niveau européen mais

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également à la résolution de questions problématiques concernant les modalités pratiques de mise en oeuvre des obligations de transparence et de participation de la société dans le domaine nucléaire. Ce diagnostic est tempéré par une interrogation constante de la part de ces mêmes acteurs sur le fait de savoir “s’il existe une réelle volonté du gouvernement et des institutions européennes de faire participer la société civile“. Plusieurs personnes évoquent en effet leur sentiment que les grandes orientations européennes en matière nucléaire sembleraient avoir déjà été décidées et la crainte que les possibilités d’investissement offertes à la société civile ne visent que l’obtention d’un certain niveau d’acceptabilité plutôt qu’une réelle participation à la décision.

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Un cadre réglementaire international qui affirme la place de la société civile

Le 25 juin 1998, 39 Etats ouest-européens signaient à Aarhus, au Danemark, une convention portant sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement. Celle-ci était adoptée en application de l’article 10 de la déclaration de Rio pour la région Europe de la Commission économique des Nations Unies. Ses champs d’application recouvrent :

• l’accès du public aux informations sur l’environnement (sans que celui-ci ait à faire valoir un intérêt particulier) détenues par les autorités publiques, en prévoyant notamment les conditions pratiques de l’accessibilité de ces informations,

• la participation du public au processus décisionnels ayant des incidences sur l’environnement (et en particulier concernant les activités nucléaires) et ceci de telle façon que la participation du public puisse s’exercer dès le début d’une procédure décisionnelle et que: “au moment de prendre la décision, les résultats de la procédure de participation du public soient dûment pris en considération“ (article 6, paragraphe 8),

• l’accès à la justice pour toute personne qui estime que sa demande d’information a été indûment ignorée ou rejetée ou insuffisamment prise en compte et ceci également en prévoyant les conditions pratiques d’accessibilité à la justice.

En France : “la convention d’Aarhus, approuvée par la loi n°2002-285 du 28 février 2002 puis annexée au décret de publication du 12 septembre 2002, est donc entrée en vigueur le 6 octobre 2002“15.

Un pouvoir d’implication des citoyens à concrétiser

De fait, la convention d’Aarhus avec ses transpositions dans le droit communautaire et dans les législations des Etats membres constitue un facteur potentiel de changement des formes de participation de la société civile à la gouvernance des activités nucléaires, en particulier dans le contexte français. Une des personnes interrogées estime que : “les évolutions du système vont dans le bon sens. Il faut maintenant attendre que ce qui est sur le papier soit effectivement appliqué. Si la

15 Source sur les aspects techniques de la convention d’Aarhus : Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de l’Aménagement du Territoire (http://www.ecologie.gouv.fr/Communication-la-convention-d.html)

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convention d’Aarhus était appliquée à la lettre, la situation serait paradisiaque. Plus largement, beaucoup de choses existent sur le papier, qui ne demandent qu’à être concrétisées. Cette concrétisation n’est pas facile parce que tout le monde n’a pas encore compris“.

Pour plusieurs personnes interrogées, les effets de la convention d’Aarhus et de ses transpositions nationales, pour être juridiquement contraignants, restent encore difficiles à mesurer. Il apparaît néanmoins qu’une révision du cadre juridique du système de gouvernance du nucléaire sera vraisemblablement nécessaire. Un participant évoque en particulier : “sa conviction que notre réglementation n’est pas conforme aux engagements pris dans le cadre européen (Aarhus) et dans la charte de l’environnement“. En particulier, la compatibilité entre ces nouvelles normes juridiques et les règles françaises relatives au secret de défense pose question.

Vers une mise en œuvre impliquant l’ensemble des parties prenantes

Par les possibilités effectives qu’elle susceptible d’apporter, la convention d’Aarhus semble être à même de mobiliser un certain nombre d’énergies au sein de la société civile mais également au sein des acteurs du système nucléaire dans la mesure où l’avènement de formes participatives de gouvernance semble constituer une tendance lourde qui dépasse le cadre nucléaire. Il apparaît donc qu’en permettant la recherche d’information et d’influence, la convention d’Aarhus peut contribuer à favoriser une gouvernance participative effective.

A contrario, d’autres acteurs émettent des réserves sur la mise en œuvre effective de la convention d’Aarhus. En particulier, le volume de ressources, en termes de temps, d’argent et d’expertise, nécessaires à la mise en œuvre d’un recours peut contribuer à freiner certains acteurs. De la même façon, de nombreuses personnes évoquent la question cruciale de l’impact des processus de participation sur les décisions et la façon dont il sera tenu compte des obligations légales de “prise en considération“ des résultats de la participation au moment de la décision qui sont stipulées dans la convention.

Il semble cependant que la mise en œuvre de la convention d’Aarhus implique plus que la mobilisation de ressources juridiques mais suppose le développement de pratiques innovantes, la création d’instances nouvelles de concertation et l’engagement de processus d’expérimentation en vue d’élaborer progressivement le corpus de pratiques et d’outils nécessaires à sa mise en œuvre.

Certains acteurs, en particulier, ont engagé une réflexion sur les modalités de sa mise en œuvre et sur la création d’outils dédiés à celle-ci. L’une des personnes interrogées évoque des réflexions portant sur “la création de comités permanents d’information et de concertation avec le public qui pourraient être envisagés comme une instance d’application de la convention d’Aarhus.“

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La loi TSN et la nouvelle ASN : des questions sur l’émergence d’un nouvel équilibre institutionnel

La plupart des personnes interrogées évoquent les changements intervenus dans les relations entre la société civile et l’Etat. Parmi les événements des vingt dernières années, l’accident de Tchernobyl est évoqué comme une catastrophe majeure au plan mondial. Mais en France, c’est d’abord l’apparition d’un doute sur la parole publique au moment de cet accident qui retient l’attention. D’autres affaires comme celle du sang contaminé conduisent d’une façon plus générale les personnes interrogées à évoquer baisse sensible de crédibilité de la parole publique.

Un corollaire de cette tendance serait la nécessité toujours croissante des autorités de rendre compte des motivations de leurs décisions (et de la prise en compte de la pluralité des enjeux) et un souci croissant des acteurs de la société d’investir le champ des affaires publiques. Le système traditionnel de planification et de gouvernance du nucléaire en France semble avoir tiré sa légitimité de l’excellence technique de ses intervenants fondée sur la sélection des meilleurs talents. Cette légitimité et la confiance d’une certaine façon aveugle tant de la part des politiques que de la société (pour sa plus grande part) semble remise en cause. Cette évolution dépasse évidemment le cadre du nucléaire pour notamment englober l’ensemble des dispositifs technoscientifiques.

De fait, les relations entre la société française et les pouvoirs publics sont souvent décrits comme fonctionnant sur un mode vertical, autour de décisions imposées au nom de l’intérêt général. C’est ce mode de fonctionnement qui semble avoir fortement évolué, dans une société qui apparaît de moins en moins supporter la verticalité des décisions (ce qui est exprimé ainsi dans l’un des entretiens : “ce fonctionnement reposant sur une confiance aveugle au meilleur de la classe ne peut plus marcher de façon aussi simple“).

Le mouvement de création d’agences indépendantes est perçu par plusieurs personnes rencontrées comme la conséquence de la dégradation de la parole publique dans de nombreux de secteurs, voire comme un signe de dégradation de la vie politique. La nécessité pour les acteurs politiques de se situer dans le cadre du discours élaborés par des instituts et agences autonomes ou indépendantes est perçu comme le signe d’un affaiblissement du politique. Certains entretiens évoquent le risque de passage à une forme de république des experts.

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La loi TSN et la nouvelle ASN, plus de transparence ou refermeture du système ?

Le vote de la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (dite loi TSN) fixe pour la première fois en France par voie législative un cadre global de gouvernance des activités nucléaires. La création de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), du Haut Comité à la Transparence et l’Information pour la Sécurité Nucléaire (HCTISN), ainsi que les dispositions relatives à la participation et à la transparence en sont des éléments majeurs. Ces évolutions, dont la portée est encore difficilement mesurable, ont donné lieu au fil des entretiens à de nombreux questionnements.

Certaines personnes interrogées perçoivent la loi TSN et le nouvel équilibre institutionnel qu’elle met en place comme un élément d’ouverture du système, jouant en faveur de plus de transparence et de participation du public. En particulier l’émergence d’un acteur indépendant de l’exploitant et du pouvoir politique, doté d’une capacité de suivi effectif est parfois perçue comme un élément de desserrement d’un système traditionnel unissant fortement le politique et l’industrie.

De plus, le fait que cet acteur soit doté de moyens significatifs peut également contribuer à favoriser l’entrée de nouveaux acteurs dans le système traditionnel :

• par la possibilité d’être moteur sur un certain nombre de problématiques nouvelles, y compris des problématiques de gouvernance ;

• en soutenant des acteurs de la société civile et des structures, comme les commissions locales d’informations (CLI), dans leurs actions, voire en hébergeant une fondation ou des financements qui leurs seraient destinés ;

• en introduisant une concurrence sur le marché de l’expertise, en achetant de l’expertise au-delà du cercles des acteurs traditionnels du système nucléaire, soit par exemple, à des instituts nationaux (comme l’InVS ou l’INERIS), soit auprès d’institutions privées, contribuant ainsi à faire émerger un marché.

D’autres personnes interrogées évoquent cependant la possibilité que l’ASN et le nouvel équilibre institutionnel mis en place par la loi TSN contribuent au contraire à une re-fermeture du système de gouvernance des activités nucléaires. Ce point de vue est souvent corrélatif d’un pronostic pessimiste des effets de la loi TSN qui serait selon ces personnes : “une façon pour les acteurs nucléaires de se préparer à moindre coût à la gestion du vieillissement du parc et au plan de relance nucléaire en faisant un minimum de concessions réelles notamment en matière de participation“. Ces interrogations se fondent sur plusieurs points :

• le sentiment d’une constitution monoculturelle de l’ASN et de ses instances de gouvernance (une personne interrogée suggère que l’Autorité soit plus ouverte et inclut dans son collège un représentant de la société civile) ;

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• l’analyse que l’ASN est à la fois juge et partie, étant tout à la fois émettrice de normes et chargées d’en contrôler l’application ;

• un risque de centralisation et de “verrouillage“ de l’information comme le souligne l’une des personnes interrogées : “ils ont un pouvoir de contrôle, ils ont la totale maîtrise de l’information et en plus presque l’intégralité des fonctionnaires en charge de cette question ont basculés à l’ASN“ ;

• un fonctionnement du HCTISN déconnecté des processus de décision, sans influence réelle ;

• le fait que la loi TSN crée une poche juridique hors du droit commun, par exemple en faisant sortir les installations nucléaires de droit commun sur l’eau ;

• le fait que la presque totalité des fonctions et des capacités de l’Etat dans le champ de l’ASN aient été transférées à celle-ci, sans que le pouvoir politique – et donc le citoyen à travers ses élus – ne conserve une capacité effective d’intervention sur cette institution.

Vers des contre-pouvoirs forts ou une concentration des pouvoirs ?

Cette polarisation des positions et des analyses vis-à-vis de l’institution d’une autorité indépendante se retrouve également dans la prospective et l’évaluation du dispositif de gouvernance que la loi TSN va largement contribuer à mettre en place.

Il semble vraisemblable à certains que, d’une part, cette loi puisse conduire à l’émergence de contre-pouvoirs réels au sein du système formel de gouvernance des activités nucléaires. A ce titre, l’inconnue majeure semble être la posture qui sera adoptée par l’ASN dans l’avenir. Un certain nombre de personnes interrogées évoquent la possibilité que celle-ci puisse user de son indépendance et de ses prérogatives pour devenir un réel contre-pouvoir visible. La coupure entre l’Autorité et l’industriel apparaît essentielle aux personnes interrogées. La séparation entre l’expert public et l’autorité apparaît de même souhaitable.

De nombreuses questions subsistent au yeux des personnes interrogées sur la réalité de cette coupure et sur le fait que la loi TSN opère une césure entre le politique et l’Autorité sans garantir la mise à distance du politique et de l’industriel. Une personne interrogée fait état de ses interrogations : “la coupure a été opérée entre l’Autorité et les politiques, alors qu’elle aurait dû l’être entre les politiques et l’industrie“. Cette personne souligne en outre “le risque de voir le HCTISN n’être qu’une coquille vide“. La concentration des pouvoirs dans une autorité indépendante de sûreté nucléaire reviendrait d’une certaine façon à faire que celle-ci échappe au contrôle démocratique. Ce risque de concentration et ce déficit de pluralité est également perçu à travers les liens historiques et culturels qui existent entre les techniciens du nucléaire français dans son ensemble.

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Vers une indépendance ou une mise sous tutelle des CLI et de l’ANCLI ?

Par certains aspects la loi TSN apparaît susceptible de renforcer l’indépendance et le rôle des CLI et de leur fédération nationale (l’ANCLI). Elle leur donne en premier lieu une existence légale et différents statuts possibles (que ne leur conférait pas la circulaire Mauroy de 1981). Elle légitime leur place dans le système de gouvernance des activités nucléaires. De la même façon, en prévoyant leur financement notamment à travers la taxe sur les installations nucléaires de base, elle devrait, en principe, significativement contribuer à leur montée en puissance en leur donnant les moyens de leur autonomie, notamment sur le plan de l’expertise. Parallèlement, en introduisant un nouveau cadre de responsabilité en matière d’information sur les activités nucléaires, pour les autorités, pour les exploitants mais également pour les élus territoriaux, cette loi est susceptible de renforcer l’implication de ces derniers et notamment des conseils généraux détenteurs de la présidence des CLI.

Cependant, des doutes sont émis par certains concernant la possibilité d’une réelle autonomie des CLI. Cette inquiétude est fondée sur plusieurs indices qui semblent aux yeux de ces personnes ouvrir la voie à leur “mise sous tutelle“. Le quota de représentation des élus dans les CLI (50%), est en particulier perçu étant en rupture avec la tradition des CLI et susceptible d’introduire un déséquilibre au sein d’instances dont la réactivité repose pour une grande part sur la contribution des associations et des acteurs de la société civile. La capacité des exploitants à assister à toutes les réunions des CLI est en outre redoutée dans la mesure où ceux-ci seraient à même d’exercer un fort pouvoir d’influence. Le statut associatif proposé aux CLI par la loi pose également question dans la mesure où la création des CLI ne procède pas d’un contrat entre ses membres.

L’impact de la loi TSN et de la création de l’Autorité de Sûreté Nucléaire apparaissent donc comme des vecteurs de changement indéniables. Cependant, la direction et le sens de ce changement restent largement en débat et suspendue à la façon dont les acteurs se saisiront des possibilités offertes par la loi et en particulier à la volonté des pouvoirs publics de confirmer ces orientations dans les faits.

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Débat public et problématiques nucléaires

Les exercices de débat public dans le domaine nucléaire mis en oeuvre par la Commission nationale du débat public (CNDP) sont évoqués comme une expérience importante, lorsque l’on aborde la question de l’ouverture du système de gouvernance des activités nucléaires. Le retour d’expérience des personnes interrogées conduit à mettre en balance la reconnaissance des apports de cette procédure dans le champ nucléaire avec la perception d’un certain nombre de limites16.

Des apports reconnus

La première contribution reconnue des procédures de débat public est de permettre l’exposition publique et argumentée des divers positionnements des acteurs en présence. Ainsi, une personne interrogée observe que : “à la fin du débat EPR, les associations antinucléaires ont validé l’existence de la CNDP comme un lieu de débat légitime et reconnu. Ceci, même si elles restaient dans une posture de désaccord complet avec le nucléaire. Cette reconnaissance s’est faîte au cours du processus. Le débat public était tenu au début pour une parodie par ces associations. Après la crise du secret de défense, la CNDP a été incluse par ces associations dans les “victimes“ de cette parodie. La CNDP aurait donc permis le débat que l’Etat essayait de verrouiller.“

Le second apport reconnu de ces procédures est de permettre l’information du citoyen et du politique, qui ne pourrait vraisemblablement pas disposer autrement d’autant d’information sur un même sujet. Plus encore, cet apport d’information, doublé de l’explicitation d’un certain nombre de positions d’acteurs, contribue pour certaines personnes interrogées à une explicitation des enjeux par une mise en dialogue et en perspective des différentes positions, contribuant ainsi à intégrer les perspectives sociales, politiques et techniques dans une reformulation des questions initialement posées.

Des limites soulignées

Le constat de sérieuses limites tend à tempérer la reconnaissance de l’impact des processus de débat publics sur la gouvernance des activités nucléaires. L’articulation avec le processus de décision apparaît en particulier peu claire et conduit à poser la

16 Un état des lieux universitaire et une synthèse originale sur la question du débat public en France dans : REVEL, Martine, BLATRIX, Cécile, BLONDIAUX, Loic, FOURNIAU, Jean-Michel, HERIARD-DUBREUIL, Bertrand, LEFEBVRE, Remi (dir.) ; Le débat public : une expérience française de démocratie participative, Ed. La Découverte, Coll. Recherches, Paris, 2007, 412 pages.

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question de l’influence effective des citoyens engagés dans la participation et sur les modalités de prise en compte de leurs avis.

Le calendrier même des débats et leur insertion chronologique, parfois après que la décision et les processus de réflexion administratif et politique aient été conduit, est souligné. De nombreux entretiens soulignent le fait que le débat sur l’EPR s’est tenu alors que la décision était déjà prise. L’une des personnes interrogées remarque que : “la grande ambiguïté du débat public dans le nucléaire est que la décision est prise de façon souveraine et extérieure par l’Etat“.

De même, la déconnexion relative entre la CNDP et le pouvoir législatif est fréquemment soulignée. Il est en particulier suggéré de remédier à cette situation en donnant à la commission de débat public la fonction d’être une forme de précurseur aux travaux de l’Assemblée.

Une autre critique des personnes interrogées concerne le fait que le débat public permet une forme de superposition de positions et d’avis mais ne semble pas permettre la construction d’éléments de connaissance et d’analyse partagés. Une personne rencontrée évoque le fait que : “dans le débat EPR, par exemple, il manquait un travail en amont : tous les cahiers d’acteurs étaient là les uns à coté des autres mais ne se parlaient pas“. L’exposition publique des positions des différents acteurs en présence, pour utile et nécessaire qu’elle soit, ne constitue pas une garantie de progrès du dialogue. Cette difficulté est corrélative d’une autre réserve exprimée lors des entretiens : l’absence de forme d’expertise pluraliste sur les aspects techniques. Une personne interrogée indique ainsi que : “Pour qu’une expertise soit crédible, il est nécessaire qu’elle soit confrontée à celle d’autres experts porteurs d’autres valeurs (portées notamment par la société) et ceci de façon publique et qu’un débat ait lieu sur les termes mêmes de celle-ci“.

Enfin, une critique importante faite aux processus de débat public dans le domaine nucléaire concerne leur difficulté à aborder les problématiques de justification de l’énergie nucléaire et de recherche d’alternatives. Un participant remarque en particulier que les débats sur le nucléaire, qui sont souvent conflictuels du fait de la nature de l’activité, sont : “par définition biaisés, puisqu’ils placent un choix énergétique au cœur de la discussion, alors que le vrai enjeu du débat est celui du choix des alternatives et de la politique énergétique. Cela oblige à se placer à l’intérieur de l’option nucléaire et à s’enfermer à l’intérieur des frontières du débat“.

Si la contribution des procédures de débat public est reconnue, leur principale critique porte sur leur déficit d’articulation avec les processus de prise de décision.

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Le Grenelle de l’environnement

Le début du mandat du Président de la République a été marqué par l’organisation d’un processus de rencontre et de réflexions des multiples acteurs concernés par les questions environnementales : “le Grenelle de l’environnement“. Visant à la production d’un ensemble de textes devant impulser un changement fort en France sur les questions environnementales, ce processus est évoqué spontanément par les personnes interrogées et ceci alors même que les questions nucléaires ont été délibérément exclues par le gouvernement du champ de ce processus. Il semble, en effet, que l’arrière-plan du Grenelle de l’environnement puisse constituer un facteur de changement pour la gouvernance des activités nucléaires. Cet impact possible fait toutefois l’objet d’appréciations diverses.

Une révolution culturelle ?

L’intérêt majeur du Grenelle de l’environnement ne réside pas aux yeux des personnes interrogées dans la capacité de ce processus à modifier le cadre juridique de la gouvernance des activités nucléaires, mais dans un changement culturel qui aurait été amorcé à cette occasion. Ainsi l’apport de ce processus, selon une personne interrogée, est d’avoir : “amené des gens qui ne se parlaient pas à se parler et devrait être jugé par le mouvement culturel qu’il a initié“. Cette personne indique : “que les représentants des industriels et des syndicats ont été surprises par la capacité des associations à sortir des propositions concrètes“. D’autres évoquent en particulier le fait qu’à l’occasion du Grenelle : “certains acteurs industriels ont accepté d’adresser pour la première fois la parole à certaines associations“.

A ce titre, certains évoquent l’espoir d’une nouvelle culture politique qui émergerait de cette initiative, culture politique qui serait susceptible de s’étendre, à terme, au nucléaire. Une personne interrogée témoigne ainsi : “d’un réelle évolution du statut des associatifs qui ont acquis un réel statut de partenaires environnementaux et sont ainsi sortis du rôle (obligé) de contestataires“.

Un non-évenement ?

Le Grenelle de l’environnement apparaît, a contrario, à un certain nombre de personnes interrogées comme ayant dans la réalité un impact bien moindre que son impact médiatique. Le fait que les questions nucléaires n’aient en particulier pas été abordées, y compris dans leurs dimensions de santé environnementale, apparaît comme un élément fort de décrédibilisation du processus. Cette mise à l’écart touchait jusqu’à la composition du panel de participants. Une personne déclare ainsi que : “il y avait des représentants des entreprises, mais pas des entreprises nucléaires, des représentants des syndicats, mais pas des syndicats du nucléaire, des représentants d’associations, mais il n’y en avait pas du nucléaire, de l’Etat, mais pas des institutions nucléaires“. A ce titre, le Grenelle de l’environnement est perçu

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par certains comme renforçant la singularité du statut du système nucléaire et sa mise à distance des autres questions environnementales et sanitaires en déclarant : “Le Grenelle rajoute un étage de plus à la muraille qui sépare le nucléaire du reste“.

Les personnes interrogées observent un déficit d’articulation entre le Grenelle et les travaux de la démocratie parlementaire. Elles soulignent le caractère improvisé de ce processus et l’absence de cadre et de garantie pour les participants de la société.

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Chapitre 2 - Les indices d’un changement de la relation entre nucléaire et société

Une genèse en France après-guerre dans un cadre national et militaire

Le nucléaire français, un système à part

Les personnes interrogées relèvent la singularité des activités électronucléaires et de leur gouvernance au sein du paysage français. Elles décrivent la genèse du dispositif institutionnel nucléaire à partir d’une matrice commune, le CEA. Elles observent que les institutions existantes aujourd’hui (autorités, experts) ont été dans une large part construites à partir des ressources du CEA. L’origine militaire de l’industrie nucléaire en France, dans le contexte de l’après-guerre puis de la guerre froide, ainsi que la tradition de secret qui reste attachée à cette origine apparaissent comme un élément déterminant de cette singularité.

Par ailleurs la construction depuis 1945 d’un cadre de régulation “sur mesure“ est fréquemment relevée. Le caractère essentiellement réglementaire et non législatif de ce cadre, jusqu’à un passé récent (loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire) est un autre aspect de cette singularité. La spécificité “nucléaire“ du cadre législatif actuel de régulation est souligné dans la mesure où elle pourrait conduire à faire sortir cette activité du droit commun. Ainsi, par exemple, une personne interrogée observe que : “la loi TSN a modifié le régime des INB pour les sortir du droit commun, en particulier dans le droit de l’eau.“ L’absence des questions nucléaires du processus du Grenelle de l’Environnement est fréquemment citée comme symptomatique du traitement public des questions nucléaires en France.

Marquée à la fois par une origine militaire et par des préoccupations de souveraineté énergétique, l’industrie électronucléaire française est décrite comme avant tout publique et nationale. L’industrie, la recherche, l’expertise, le système de gouvernance, les parcours de formation, la technologie ainsi que le recrutement restent essentiellement nationaux. Ceci a conduit à l’émergence d’un “monde culturel du nucléaire français“, avec ses codes, ses préoccupations et son échelle de valeurs propres.

Certaines personnes soulignent l’étroitesse de ce cadre national des activités nucléaires, compte tenu des enjeux et des risques qui leurs sont attachés. Ils observent qu’un cadre de préférence national pourrait constituer un handicap dans la mesure où contrairement à d’autres industries (chimiques, pharmaceutiques), il pourrait conduire à limiter l’accès de cette industrie à des ressources internationales (humaines, scientifiques et techniques).

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Le risque au cœur de l’activité nucléaire

L’importance de la dimension du risque dans la structuration des activités nucléaires est également évoquée comme un facteur structurant et spécifique de cette activité, avec dès l’origine, une conscience aigue du caractère vital de la dimension de la sûreté pour l’industrie nucléaire. La sûreté des installations est au centre des enjeux. Ainsi que le relève l’une des personnes interrogées : « le champ nucléaire est le seul qui ait à ce point placé la gestion du risque au cœur de l’activité». De fait, le secteur nucléaire est perçu comme étant le seul secteur industriel qui ait progressivement mobilisé de tels moyens pour le maintien d’un haut niveau de sûreté : moyens humains, techniques et organisationnels.

Certaines personnes interrogées soulignent le fait que cette dimension du risque a suscité très tôt la création de contre-pouvoirs internes aux différents niveaux de décision des organisations industrielles (sites nucléaires et organisations centrales). Elles font état d’une véritable “ingénierie décisionnelle“, à la fois chez l’exploitant et au sein des pouvoirs publics, séparant la décision de l’évaluation du risque. Le caractère interne de ces dispositifs est toutefois souligné comme le fait qu’ils restent impénétrables pour les acteurs de la société.

La prise en charge de cette sûreté exigeait un haut niveau de technicité et d’expertise. Dans un cadre national relativement fermé, le développement des activités nucléaires est opéré par des acteurs soudés par une culture commune forte fondée sur une légitimité technique.

Plusieurs entretiens soulignent le fait que, compte tenu de la place singulière et centrale accordée depuis longtemps à la sûreté nucléaire, il semble aujourd’hui difficile d’escompter des progrès dans ce domaine à partir des seules ressources internes du système nucléaire. Ces personnes observent que les marges de progression de la sûreté sont plutôt à chercher du côté de l’interaction avec la société. Celle-ci est alors essentiellement perçue non pas comme une alternative mais comme un aiguillon nécessaire (supplémentaire) pour maintenir la vigilance du système.

Un système monoculturel ?

La sûreté apparaît, en effet, comme étant essentiellement une affaire d’experts issus d’une matrice intellectuelle commune. Le système français des grands corps de l’Etat, le caractère élitiste du dispositif français de sélection, la prédominance d’une culture d’ingénieur, sont évoqués comme étant à l’origine d’une uniformité culturelle au sein du système nucléaire.

Cette monoculture relative est perçue non seulement au sein de l’industrie mais également au sein des institutions de gouvernance des activités nucléaires (contrôle, expertise), incluant les pouvoirs et les contre-pouvoirs internes évoqués plus haut. Le

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caractère restreint et endogène du milieu humain portant cette culture commune est souligné.

La prédominance d’une mobilité des personnes surtout interinstitutionnelle (jeu de chaises musicales) est observée comme étant à l’origine d’une forte proximité entre des personnes travaillant successivement dans les différentes institutions nucléaires et se relayant ainsi parfois dans des fonctions différentes et supposées indépendantes (opérateurs, experts, contrôle). En outre, le revers de la forte compétence technique servant de socle à cette culture cohésive semble être une certaine difficulté à établir une connexion effective avec la pluralité des logiques et des valeurs portées par la société. Cette culture tend à donc à former frontière.

Cette dimension culturelle apparaît comme un élément important à prendre en compte quant aux évolutions possibles du dispositif de gouvernance des activités nucléaires. Exprimant un doute sur le caractère opératoire des principes de transparence énoncés par la loi TSN, une personne interrogée souligne ainsi que “c’est plus l’esprit de ceux qui mettent en œuvre les décisions qui pose problème plutôt que le texte de loi ». De la même façon, certaines personnes interrogées expriment des doutes quant à l’éventualité d’un changement endogène du système de gouvernance des activités nucléaires vers plus de transparence.

Une faible visibilité

Le manque de visibilité des activités nucléaires au quotidien est régulièrement évoqué comme étant l’une des causes de la méfiance des acteurs de la société civile. L’une des personnes interrogées observe en particulier que “les articles de presse sont inexistants tant que le système nucléaire est en routine“. C’est souvent par des petits indices observés et des coïncidences (fumée sur une INB, changement des itinéraires des camions, modification des routines signalée par un habitant, prélèvements réalisés par une association, fuite interne d’information, etc …), que des incidents ou des dysfonctionnements ont été détectés. Une personne habitant le voisinage d’installations nucléaires évoque en particulier le fait qu’autour des installations : “ce sont souvent des petits riens qui ont révélé de grandes choses“. C’est donc plutôt d’une façon indirecte que se propage dans la société l’information effective sur les activités nucléaires plutôt que par une interaction directe avec l’exploitant ou l’autorité.

Au dire des personnes interrogées le système nucléaire reste très difficile à appréhender globalement. Il s’ensuit une grande difficulté pour les acteurs extérieurs à identifier les enjeux effectifs d’une situation autour d’une installation. Certaines personnes évoquent néanmoins des progrès récents, modestes mais réels, qui semblent ouvrir la voie à une progressive sortie du secret et à la publicité d’éléments de plus en plus nombreux. Ceux-ci résultent de certaines interactions avec la société (voir chapitre 3).

Une pression exercée très tôt par la société civile

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Il ressort également des entretiens que la genèse de l’industrie nucléaire et de son système de régulation s’est rapidement accompagnée de la pression de certains acteurs de la société civile.

Cette implication de la société, sensible dans les grands mouvements d’opposition à la construction des centrales nucléaires, ne s’est traduite que tardivement par des formes de reconnaissance de la part des pouvoirs publics. Le mouvement d’auto-organisation des acteurs de la société civile aurait ainsi largement précédé la reconnaissance et le soutien de ceux-ci par l’Etat. En particulier, le mouvement initié lors de la création des toutes premières commissions locales dans les années 1970 prend son origine non dans une initiative des pouvoirs publics mais bien dans les revendications exprimées par la société.

Un clivage historique qui surdétermine les relations entre nucléaire et société

La plupart des personnes interrogées évoquent un clivage historique qui semble exister entre les acteurs du nucléaire (opérateurs, experts, contrôle) d’une part et le reste de la société, d’autre part. Cette description fait apparaître d’un côté une communauté nucléaire perçue comme endogamique et constituée d’experts techniques (culture et légitimité technique, voir ci-dessus) regroupés autour d’un projet nucléaire cohésif qui suscite leur adhésion.

De l’autre côté, elle décrit une société civile dont certains acteurs sont en interaction effective avec les acteurs du système nucléaire. D’un point de vue historique, le cadre de ces interactions n’a pas été négocié. Elles se sont imposées dans les faits et souvent de façon conflictuelle. Ces acteurs de la société ont très tôt revendiqué un droit de regard sur les activités nucléaires et le plus souvent remis en cause leur justification (militants anti-nucléaires).

Dans les faits, la gouvernance des activités nucléaires semble donc faire intervenir un système nucléaire formel en interaction (informelle mais effective) avec des composantes de la société qui se conçoivent comme extérieures à celui-ci. Cette séparation formelle semble structurer les relations entre les acteurs du nucléaire et les acteurs de la société. Elle résulte d’une histoire et semble placer les acteurs du dispositif nucléaire à l’extérieur d’une société dont ils font en réalité partie. Elle revêt donc un caractère paradoxal.

Ce clivage historique est à l’origine de règles implicites d’interaction et d’une forme de “surdétermination“ des relations qui se construisent entre le système nucléaire et la société civile. Cette surdétermination tend à représenter d’un côté un système en défense coalisé autour du “pour le nucléaire“ et, de l’autre côté, certains acteurs de la société mobilisés “contre le nucléaire“. Il semble difficile aux acteurs intervenant dans le contexte des activités nucléaires d’échapper à une forme de polarisation qui tend à les identifier de façon binaire comme “pour ou contre le nucléaire“ et par voie de conséquences comme étant “dans ou en dehors du système nucléaire“.

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Ainsi que le décrit l’une des personnes interrogées, cette polarisation ne touche pas seulement les relations des acteurs nucléaires avec la société civile, mais s’étend aux professionnels, aux politiques et même à la quasi-totalité des personnes concernées : “lorsque on s’occupe du nucléaire, l’on est dedans ou pas du tout. Si l’on ne s’occupe plus exclusivement d’affaires nucléaires, on est éjecté très rapidement du milieu et de la problématique. Cela est vrai aussi pour les associations, avec une étanchéité forte entre celles qui s’occupent du nucléaire et les autres. Cela est vrai du coté institutionnel pour ce qui est des pouvoirs publics et des experts. Personne n’a un pied dedans et un pied dehors“.

Une représentation polarisée qui ne rend pas compte de la diversité des interactions réelles

En deçà de cette apparente polarisation, les personnes interrogées rendent compte de la pluralité des positions et des objectifs des acteurs de la société civile qui interviennent de façon plus ou moins visible dans le contexte des activités nucléaires. Ceux-ci ne représentent pas un ensemble homogène. Ils reflètent, au contraire, la diversité des postures, des traditions politiques et des engagements au sein de la société française vis-à-vis du nucléaire. Il en résulte des interactions entre la société et les acteurs du nucléaire qui sont marquées par des enjeux différents. Les entretiens mettent en évidence une contribution spécifique des différentes catégories d’acteurs intervenant au sein de la société civile.

Certaines interactions se sont effectivement construites depuis de nombreuses années sur un refus de l’énergie nucléaire et ceci sur un mode conflictuel. Elles jalonnent l’histoire des activités nucléaires depuis la guerre, depuis le tournant des années 70 avec le développement du parc électronucléaire, l’accident de TMI, l’accident de Tchernobyl, le moratoire Rocard sur la gestion des déchets nucléaires, la mission Granite, etc.

Un enjeu clé semble avoir résidé, pour les acteurs de la société, dans l’acquisition d’une culture technique qui leur a apporté les moyens d’être reconnus comme des interlocuteurs crédibles face à un système nucléaire dominé par la légitimité technique.

Dans cette perspective, la contribution des associations à caractère scientifique et technique est reconnue. Leur crédibilité se fonde sur leur compétence et sur leur capacité à effectuer un suivi approfondi des dossiers techniques dont elles se saisissent. L’accès direct à la mesure de la radioactivité et l’existence de laboratoires indépendants est également cité comme un enjeu important. Une personne interrogée souligne ainsi que ces associations scientifiques ont pu “jouer un rôle de contre-pouvoir lié à leur capacité de mesure“.

Les personnes qui forment les réseaux qui ont porté ces associations scientifiques sont caractérisées par une diversité de positions vis-à-vis de l’option nucléaire. Il est notable cependant que sur un plan institutionnel, ces associations scientifiques se

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sont généralement positionnées sur une revendication d’accès à l’information et de transparence des activités nucléaires plutôt que sur une position explicite vis-à-vis de l’énergie nucléaire.

Le rôle des associations environnementales nationales ou internationales dans la vivification et l’entretien du débat au niveau national et comme force de proposition est également identifié.

Certaines interactions ont la particularité de porter sur un enjeu essentiellement lié à une réalité territoriale portée dans la durée. Ceci ne veut pas dire que les personnes ou institutions entretenant ces interactions n’ont pas d’avis ou de projets sur la question des choix énergétiques, mais que l’interaction en elle-même s’inscrit plutôt dans une logique patrimoniale de suivi territorial.

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Facteurs d’évolution et attentes de changement

Les conséquences de la montée des problématiques de santé environnementale

Certains entretiens mettent en avant l’émergence d’une nouvelle configuration avec la montée des problématiques de santé environnementale. A côté des problématiques de sûreté, l’émergence des problématiques environnementales et leur traduction en termes de santé environnementale et de risque sanitaire constitue un facteur d’évolution du dispositif de gouvernance des activités nucléaires.

Dans les années 1970, la sûreté des installations nucléaires était envisagée comme l’enjeu majeur de la gouvernance des activités nucléaires. Elle est, pour l’essentiel, l’affaire des opérateurs et des experts du nucléaire. Les syndicats y tiennent en grande partie le rôle d’acteurs extérieurs. Pour un responsable associatif interrogé: “le choc qui a fait entrer la société civile dans les problématiques de suivi du nucléaire est Tchernobyl. A cette époque des milliers de personnes se sont senties concernées et l’association a été portée par une vague de bénévoles. C’est là que les gens ont voulu savoir par eux-mêmes si ce qu’ils mangeaient était contaminé. C’était un contexte de crise de confiance généralisée“. Après l’accident de Tchernobyl et les problématiques de contamination qui lui sont associées, les enjeux semblent se déplacer progressivement de l’intérieur des centrales vers l’extérieur (leur environnement territorial et humain). Ce mouvement va placer de nouvelles catégories d’acteurs dans une position nouvelle vis-à-vis des activités nucléaires et ouvrir la voie à une multiplication des interactions entre la société et le système nucléaire.

Le nucléaire n’apparaît plus alors comme étant seulement l’affaire des acteurs du système nucléaire. Il tend à devenir une affaire publique. On sort ainsi d’une situation qui tendait à concerner uniquement les acteurs de l’industrie, ceux du système de gouvernance traditionnelle et quelques opposants farouches engagés dans des interactions dont les termes étaient relativement stables. L’émergence d’un enjeu de sécurité environnementale et sanitaire, mobilisant les acteurs territoriaux va ouvrir la voie à un renouvellement de la nature et de la densité des interactions entre le système nucléaire et la société.

Cette évolution est également visible au sein des institutions nucléaires avec le regroupement des compétences de sûreté et de radioprotection (expertise, contrôle) qui va contribuer à relativiser les légitimités attachées à la sûreté au sein de ces institutions et faire rentrer les dimensions humaines et sociétales dans leurs préoccupations stratégiques. Ainsi, par exemple, les préoccupations d’ouverture à la société au sein de l’IRSN trouvent-elles leur origine dans les rangs des experts en radioprotection, plus au contact des problématiques sociétales que leurs collègues de la sûreté.

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Les personnes interrogées évoquent également la mobilisation, plus récente, de collectifs territoriaux sur des problématiques de santé environnementale. Ainsi, par exemple, est cité le cas de l’ASEP (Association Santé Environnement Provence) en région PACA dont l’objectif est de répondre au plan territorial à la multiplication de signaux jugés inquiétants en termes de santé publique (augmentation des cancers, baisse de la fertilité humaine, etc). Des questions comme celles de la démultiplication des impacts des expositions cumulées à des facteurs différents de pollution sont fréquemment évoquées.

Cette démarche, également rencontrée dans plusieurs autres contextes régionaux, tend à opérer un retour sur les questions environnementales par le biais des problématiques de santé en leur donnant une actualité et une sensibilité nouvelle. Elle contribue à donner un impact sociétal et médiatique nouveau à la question des rejets industriels et agricoles et en particulier aux problématiques de radioactivité dans l’environnement.

Ces formes de mobilisation tendent également à montrer les limites d’un suivi professionnalisé, vertical et cloisonné, des activités à risque. Elles mettent en évidence l’apport d’un suivi citoyen intégrant aussi bien l’ensemble des dimensions de risque qu’une perspective patrimoniale de long terme vis-à-vis du territoire et de la santé. Dans cette perspective, elles confèrent une légitimité et une crédibilité nouvelle à l’action citoyenne en faisant apparaître sa spécificité et sa complémentarité avec les formes existantes de prise en charge du risque.

Le nucléaire médical constitue enfin, depuis les incidents d’Epinal, un domaine d’investissement nouveau des acteurs de la société civile, qui est évoqué par les personnes interrogées. Un véritable problème de crédibilité des opérateurs médicaux est ainsi identifié qui ouvre la voie à un engagement de la société civile. Ainsi, selon l’une des personnes interrogées, les malades: “en viennent-ils à s’interroger sur la capacité de maîtrise technique par les professionnels de la médecine nucléaire“. Ces interrogations conduisent à évoquer la nécessité d’une culture radiologique dans la population et donc, là encore, à ouvrir la voie à de nouvelles formes d’investissement des acteurs de la société dans les activités nucléaires.

Les effets paradoxaux de la polarisation historique

La montée des problématiques environnementales et sanitaires dans la société et notamment dans le contexte nucléaire est à l’origine de nouvelles attentes de transparence vis-à-vis du suivi des activités nucléaires. Ces attentes peuvent être ou non liées à une position vis-à-vis de l’option nucléaire. En tout état de cause, un regard vigilant et critique et un engagement citoyen dans le suivi des installations nucléaires constitue cependant une préoccupation en soi. Chez ceux qui ne s’inscrivent pas dans une logique binaire (pour/contre), cette préoccupation légitime semble disqualifiée aussi bien par le camp des “pour“ (qui la réduisent à une volonté de mettre en cause l’activité nucléaire) que par le camp des “contre“ (pour qui ce type d’engagement revient à avaliser le nucléaire en cherchant à le rendre plus

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acceptable) qui détiendrait, d’une certaine façon, le monopole de la critique authentique.

La surdétermination historique des relations entre les acteurs intervenant dans le contexte des activités nucléaires revêt un caractère idéologique. Elle établit entre les acteurs des règles d’interaction qui pourraient se résumer ainsi : toutes les formes d’engagement dans le contexte des activités nucléaires se trouvent ainsi sommées de rendre compte de leur position vis-à-vis de l’option nucléaire, ceci quelles que soient les motivations réelles des acteurs. Ainsi, dans ce contexte, chacun devrait trouver sa place à l’intérieur d’ensembles marqués par des lignes de fracture nettes (pour/contre). Les formes d’interaction qui transcenderaient ces lignes sont alors rendues suspectes et transgressives. Les processus qui pourraient permettre aux différents acteurs de se rencontrer sur des sujets autres que leurs éventuelles oppositions semblent disqualifiés dans ce cadre.

Cette surdétermination constitue une logique de rôle bien rôdée qui résiste à sa manière aux évolutions qui pourraient intervenir. Elle ne recouvre que très partiellement la diversité des positions et des objectifs des acteurs qui interviennent dans ce contexte, aussi bien au sein de la société que dans les différentes institutions nucléaires. Cette surdétermination revêt néanmoins, pour ceux qui ne s’inscrivent pas dans ce clivage et dans les motivations qui lui sont associées, un caractère paradoxal et pesant dans la mesure où toute forme d’implication dans le suivi des activités nucléaires semble nécessairement impliquer comme condition implicite préalable la validation ou au contraire le refus de l’option nucléaire. Cette surdétermination tendrait à rejeter les acteurs ainsi polarisés dans une position d’invective mutuelle. Certains acteurs se refusant à se positionner se trouvent de ce fait rejetés ou mis en cause dans leur engagement, elle est d’ailleurs à l’origine de tensions parfois fortes qui s’expriment au sein des différents réseaux d’acteurs engagés au sein de la société.

Certaines personnes interrogées observent le fait que cette situation de polarisation est favorisée par l’absence d’espace de dialogue démocratique sur la justification des activités électronucléaires qui permettraient d’aborder cette question, non pas comme un enjeu idéologique, mais comme une dimension d’une problématique énergétique globale, complexe et multidimensionnelle. Elles évoquent une tradition française de politiques du “fait accompli“ en matière d’équipement nucléaire (le cas du débat public EPR intervenant en aval de la décision est mentionné par de nombreux interlocuteurs). Elles notent également que cette question de la justification se pose dans des termes différents dans le contexte des activités nucléaires médicales mais appelle de la même façon un élargissement du dialogue avec la société sur la justification des pratiques dans chaque contexte d’exposition (radiothérapie, radiodiagnostic, imagerie médicale, etc.).

Une évolution attendue

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De nombreuses personnes interrogées sont en attente d’une évolution des relations entre le système nucléaire et la société. Il s’agirait de construire des débats et des interactions moins idéologiques, plus concrètes, plus approfondies qui pourraient se traduire par un impact réel et significatif de la société sur les orientations et sur les décisions. Cette influence de la société est attendue aussi bien dans des débats sur la justification des activités nucléaires et dans les décisions devraient en découler que sur la question de la sûreté, de la protection de l’homme et de l’environnement.

Concernant les activités nucléaires existantes, de nombreuses personnes évoquent la nécessité d’un renforcement de la vigilance de la société concernant aussi bien la sûreté des installations que leurs impacts réels (rejets, contamination) ou potentiels (accidents). Si la qualité de l’organisation de la sûreté en France est très souvent reconnue par les personnes interrogées, celles-ci observent que les marges de progrès résident aujourd’hui surtout dans le développement d’une vigilance sociétale, au plan national comme au plan territorial, susceptible d’exercer une pression effective sur les acteurs chargés de la gestion des risques. Plusieurs d’entre elles évoquent d’ailleurs, à travers des exemples concrets, une contribution d’ores et déjà effective des acteurs de la société à des améliorations de la sûreté ou de la protection de l’environnement, à travers le mécanisme des commissions locales d’information comme en dehors de ces structures.

En outre, elles évoquent la possibilité d’un relâchement interne de vigilance sous l’effet de plusieurs types de facteurs (baisse des ressources humaines et des compétences, pression de compétitivité, multiplication des technologies …). La présence de facteurs externes nationaux et internationaux d’évolution de la gouvernance des activités nucléaires (voir première partie) constitue aussi pour les personnes interrogées un élément de motivation à renforcer la présence des acteurs de la société et notamment des acteurs du territoire dans les processus de décision non seulement locaux mais également nationaux et internationaux.

Les signes d’un réagencement des relations nucléaire société

Les personnes interrogées font état d’une tendance émergente à un réagencement progressif des relations entre la société et les acteurs du système nucléaire sous l’effet de différents facteurs de changement. Ces changements sont également à l’origine de repositionnements dans les relations entre les acteurs au sein du système nucléaire (opérateurs, contrôle, experts).

La description de la genèse des activités nucléaires et de leur cadre de gouvernance souligne l’importance primordiale accordée à la sûreté dans les dispositifs humains, techniques et organisationnels qui ont été créés dans le cadre de ces activités. Il s’agissait au premier chef de mettre en place les moyens nécessaires pour éviter l’accident nucléaire et démontrer que toutes les dispositions étaient prises pour éviter

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une telle éventualité17. Du côté de la société, pour un certain nombre d’acteurs engagés, l’enjeu était, a contrario, de démontrer le caractère inévitable d’un accident nucléaire et à travers cela de mettre en cause l’option nucléaire.

Dans un cas comme dans l’autre, la sûreté était le principal enjeu. La forte technicité des problématiques de sûreté faisait de celle-ci un domaine réservé des experts du nucléaire avec un coût d’entrée considérable pour des intervenants extérieurs et ceci même pour les personnes disposant d’une culture scientifique. Cette situation constituait donc, de facto, un facteur de polarisation, suivant une ligne divisant sachant et non sachant, outre la traditionnelle césure entre pro et anti-nucléaires. Parallèlement, la question de la protection radiologique (dans le champ nucléaire civil) restait surtout une problématique professionnelle et ne constituait donc pas un champ d’implication pour la société. La question environnementale était internalisée par les experts et rationalisée dans des dispositifs normatifs fondés sur des concepts de protection radiologique.

Un champ nouveau d’investissement de la société apparaît alors avec l’accident de Tchernobyl et ses conséquences environnementales et sanitaires. L’émergence des problématiques concrètes et pratiques de protection de l’environnement et des questions de santé environnementale qui en découlent (voir plus haut) va provoquer un déplacement des enjeux et, par voie de conséquence, un élargissement de la base des acteurs sociétaux susceptibles de s’engager et d’interagir avec le système nucléaire. Cette situation est facilitée par l’accessibilité de la mesure de la radioactivité pour la population. Une prise de conscience concernant la réalité des rejets radioactifs dans l’environnement dans le cadre des normes établies par les autorités se développe dans la population.

Cette situation va renforcer la légitimité d’un nombre élargi d’acteurs de la société à intervenir dans les affaires nucléaires. Ce déplacement appelle par ailleurs les experts du système nucléaire à sortir de leur cadre de référence des installations nucléaires pour appréhender le territoire dans ses multiples dimensions, ce qui contribue à relativiser leur légitimité et leur compétence. Sur ce champ environnemental, la légitimité des acteurs de la société et notamment des acteurs locaux apparait renforcée par leur qualité d’expert de leur territoire et de ses modes de vie (expertise d’usage). En outre, les acteurs locaux apparaissent, en tant qu’habitant d’un territoire, comme les plus à même d’intégrer l’ensemble des dimensions de risque environnemental et sanitaire induit par les différentes activités du territoire (nucléaires et non nucléaires).

17 Ce n’est que récemment et après Tchernobyl que cette éventualité a été admise par les milieux nucléaires (confère par exemple, les déclarations de Pierre Tanguy, Inspecteur Générale de la Sûreté Nucléaire à EDF, concernant l’éventualité d’un accident de type RTGV, dans le début des années 90).

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Le développement de pratiques de dialogue critique

Un autre aspect déterminant des évolutions de la gouvernance des activités nucléaires provient de la nature des interactions observées qui semblent être de nature à répondre aux attentes concrètes des acteurs de la société engagés tout en démontrant une certaine effectivité. Ces interactions que nous désignerons sous la forme de “dialogue critique“ concernent l’ensemble des parties prenantes de la gouvernance des activités nucléaires. Elles consacrent l’irruption d’une nouvelle catégorie d’acteurs de la société dans les “affaires publiques “ que constituent les affaires nucléaires.

Ces interactions résultent de démarches engagées de façon autonome par des acteurs de la société civile (que nous désignerons dans cette étude sous la forme de “processus d’instruction citoyenne“ - voir la troisième partie) qui se donnent les moyens de suivre par eux-mêmes des questions qu’ils ont identifiées comme importantes et sur lesquelles ils jugent nécessaire d’exercer une action citoyenne.

Ces démarches d’instruction citoyenne permettent aux acteurs d’accumuler des ressources stratégiques pour agir ensuite sur la situation et créer les conditions du dialogue critique. Elles leur permettent de construire avec les autres acteurs un rapport de force bien compris permettant l’expression de la critique ou du dissensus.

Ces investigations solides et documentées des acteurs de la société sur des questions concrètes particulières (sûreté, rejets, radioprotection) autour des installations nucléaires sur des problématiques multidimensionnelles (scientifiques, techniques, réglementaires, sociales, éthiques et politiques) apparaissent susceptibles de forcer l’attention et le respect des acteurs du dispositif institutionnel. Ceux-ci sont dès lors commis de produire des réponses étayées à ces investigations et aux revendications qui en découlent, ouvrant ainsi la voie à des formes de “dialogue critique“

Ces démarches supposent l’exercice d’une fonction critique qui est fondée sur l’autonomie des acteurs de la société. Elles sont favorisées par les évolutions juridiques internationales et nationales en matière de droit à l’information des citoyens et d’accès à la participation : déclaration de Rio, convention d’Aarhus, charte de l’environnement (voir première partie).

Elles sont également favorisées par l’existence d’une capacité de dialogue et d’écoute de la part des différentes parties prenantes, c’est-à-dire aussi bien au sein de la société civile que de la part des opérateurs, des pouvoirs publics, des experts et des scientifiques. Elles peuvent d’ailleurs contribuer à faire évoluer les relations entre ces différentes parties prenantes.

Compte tenu des facteurs de changement évoqués ci-dessus concernant les relations entre la société et le nucléaire, ces formes de dialogue critique pourraient

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être appelées à se développer. Cette extension ne devrait se pas limiter au champ nucléaire et pourrait englober l’ensemble des problématiques environnementales territoriales, comme le laissent présager les mouvements citoyens observés dans le champ de la santé environnementale.

Les enjeux du dialogue critique : sécurité publique et culture démocratique

L’apparition et le développement de formes de dialogue critique semblent liés à l’existence d’enjeux susceptibles d’être partagés par les différentes parties prenantes. Tandis que la polarisation historique des relations entre acteurs nucléaires et société semblait interdire la définition d’enjeux communs, la perspective de dialogue critique se forme sur de nouveaux enjeux qui semblent pouvoir être partagés.

Le premier de ces enjeux est celui de la sécurité publique et ceci particulièrement à l’échelle d’un territoire comme lieu de vie. Le concept de sécurité publique recouvre une préoccupation liée à la protection et la durabilité d’un territoire que des acteurs ont en charge en commun. Plusieurs démarches issues de la société civile sont évoquées par les personnes interrogées. Elles montrent qu’il ne s’agit pas pour les acteurs de la société de se regrouper autour d’une “bonne gestion des activités nucléaires“. Il s’agit plutôt de contribuer à un enjeu partagé de sécurité publique comme un élément de la qualité de vie. C’est dans la perspective de cette sécurité publique que les acteurs de la société s’impliquent dans le suivi du fonctionnement d’une installation nucléaire. Une contribution de la société (vigilance, pression sociale) est alors perçue comme nécessaire pour maintenir et accroître la sécurité publique.

Un second enjeu du dialogue critique est représenté par le développement d’une nouvelle culture démocratique dans le contexte des activités nucléaires. La transparence démocratique apparaît comme le fondement d’une telle culture, quelle que soit la position des personnes interrogées relativement au nucléaire. Les caractéristiques de cette culture se dessinent au fil des entretiens. Elles recouvrent premièrement l’existence de contre-pouvoirs qui rendent possible l’intervention d’une pluralité d’intervenants. Cette pluralité est vue comme un enjeu de sécurité et de qualité des décisions. Enfin, l’expression de la critique et du dissensus tout comme la mobilisation éventuelle du conflit constitue une ressource du fonctionnement démocratique.

Cet enjeu démocratique s’inscrit dans une perspective plus large que celui de la gouvernance des activités nucléaires. C’est bien une contribution des acteurs de cette gouvernance des activités nucléaires à une évolution de la société française qui s’esquisse à travers la prise en charge des enjeux de sécurité publique et d’évolution de la culture démocratique.

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Vers une évolution des relations entre nucléaire et société ?

On voit ainsi se dessiner une évolution de la nature et de la densité des interactions entre le système nucléaire et la société. La genèse des activités nucléaires était caractérisée par l’engagement fort et très visible d’un petit nombre d’acteurs de la société ceci corrélativement à une relative indifférence de la plus grande partie de la population.

Aujourd’hui, le déplacement observé vers les problématiques environnementales et sanitaires est à l’origine d’une demande de dialogue, de suivi et de participation de plus en plus forte et de l’accroissement du nombre des acteurs concernés au sein de la société civile. L’attention sociale et médiatique est désormais beaucoup plus soutenue, ainsi que le montrent, par exemple, les réactions aux incidents du Tricastin de l’été 2008. Des attentes fortes et concrètes s’expriment désormais autour d’enjeux patrimoniaux de qualité de vie et de qualité du territoire. Des conséquences concrètes et objectivables sont attendues des interactions entre la société et les acteurs du nucléaire.

Cette évolution est également portée par le développement des problématiques de gestion des déchets qui comportent une dimension territoriale incontournable. Dans l’avenir, ce mouvement pourrait encore s’amplifier avec la généralisation des pratiques citoyennes de suivi territorial de la qualité environnementale, mais aussi avec la montée en puissance des problématiques de démantèlement, de réhabilitation des sols contaminés par des substances radioactives et des questions post-accidentelles.

Face à ces évolutions, la polarisation historique des relations entre le système nucléaire et la société constitue néanmoins un frein au développement des interactions entre le système nucléaire et la société et à l’approfondissement de la qualité de ces interactions et de leurs conséquences réelles. La stérilité des postures d’invective, c’est-à-dire de production de discours dans un sens ou dans l’autre sans investissement stratégique réel et sans impact réel est soulignée par les personnes interrogées.

Cet état de fait apparaît insatisfaisant pour une majorité d’acteurs rencontrés. Il est à l’origine d’un malaise qui appelle un recalage des relations et du cadre de relation entre les différents acteurs que ceux-ci soient à l’intérieur ou à l’extérieur du système nucléaire. Ce cadre de relation, cependant, ne fait pas l’objet d’un contrat explicite, il relève plus d’un processus culturel. Face à cette crise de la polarisation, nombre d’acteurs expriment la demande d’un chemin de changement sans nécessairement pouvoir faire état d’une stratégie claire.

La montée en puissance de la société civile et en particulier des acteurs locaux dans les processus de décision est cependant identifiée comme un possible vecteur de réagencement, même si de multiples difficultés sont notées (voir chapitres suivants). Par leur autonomie et par la pression qu’ils peuvent exercer sur les autres acteurs,

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ceux-ci apparaissent, en effet, comme les mieux à même de provoquer un changement par adaptation des autres acteurs. De la même façon, les acteurs locaux apparaissent comme les plus légitimes à mobiliser des processus de prise en charge de la sécurité publique à l’échelle territoriale.

La visibilité des indices d’un tel changement reste cependant faible au niveau national, même si beaucoup attestent de l’existence, au plan local, de pratiques qui vont dans ce sens, pour certaines depuis de nombreuses années. Ce changement ne peut résulter de la volonté d’une seule catégorie d’acteurs. Aucun acteur ne peut effet prescrire l’autonomie et la mobilisation des autres. Si les personnes interrogées expriment en un doute sur la capacité des acteurs du système nucléaire à initier un changement dans ce sens, au moins reconnaissent-elles que ceux-ci peuvent soutenir et accompagner celui-ci dès lors qu’il se manifeste dans des situations de dialogue critique.

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Chapitre 3 – Les processus d’instruction citoyenne et la médiation technique.

Des éléments d’évolution des interactions entre les acteurs nucléaires (opérateurs, pouvoirs publics, experts et chercheurs) et la société sont donc identifiés. Le principal facteur de cette évolution réside dans l’apparition de formes de dialogue critique entre des acteurs de la société civile et les acteurs nucléaires (voir chapitre 2).

Une dimension clé de ce dialogue critique réside dans la capacité des citoyens (acteurs locaux, associations locales, nationales et internationales, simples citoyens) à engager des processus à travers lesquels ils instruisent ensemble des questions qu’ils ont identifiées comme importantes. Ces processus sont ici désignés sous un terme inspiré par les travaux de John Dewey18, celui de “processus d’instruction citoyenne“ qui vont permettre aux acteurs de la sociétié civile de se constituer en “public“ actif et compétent, susceptible de s’engager dans des formes de dialogue critique avec les acteurs institutionnels et les experts.

Cette médiation technique constitue une dimension clé de la confiance des acteurs de la société dans le processus de décision dans la mesure où elle leur permet de sortir des formats imposés par les expertises institutionnelles. En effet, celles-ci ne correspondent pas nécessairement à leurs propres questionnements. De même, elles peuvent être informées par des choix et des valeurs auxquelles ils ne souscrivent pas nécessairement.

18 En particulier des propos développés dans DEWEY, John ; COMETTI, Jean-Pierre (Sous la direction de) ; ZASK, Joelle (Traductrice); Œuvres philosophiques Tome 2 : le public et ses problèmes, Ed. Farrago, Paris, 2003, 207 pages.

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Les processus d’instruction citoyenne.

Les interactions entre acteurs de la société et du système nucléaire sont engagées depuis de nombreuses années, le plus souvent sur un mode conflictuel. Les mobilisations qui ont suivi l’accident de Tchernobyl font écho à celles qui ont eu lieu autour de la centrale de Fessenheim dans les années 70. Ces interactions ont été construites pour partie sur un refus de l’énergie nucléaire. Dans cette perspective, certains acteurs se sont historiquement donnés les moyens d’investiguer des questions ayant des dimensions de forte technicité. Ces investigations ont ainsi rendu possible l’émergence d’un dialogue critique.

Nous appellerons “processus d’instruction citoyenne“ ces processus à travers lesquels les acteurs de la société se dotent, à des degrés divers, des moyens leur permettant d’investiguer des questions qui les préoccupent. Ces processus peuvent être négociés ou être de nature conflictuelle. Ils se déterminent par la conjonction de l’autonomie des acteurs et de l’investigation d’un objet de préoccupation de nature publique (souvent caractérisé dans le domaine nucléaire par une forte dimension technique). Par leur origine et leur nature même, ces processus procèdent d’un mode de relation fondé sur l’altérité des acteurs poursuivant leurs buts propres et non sur leur répartition a priori en groupes polarisés.

En permettant l’expérimentation de modes nouveaux de relation, ces processus semblent porter un fort potentiel de changement. Outre l’autonomie des acteurs engagés dans l’instruction, ils nécessitent leur montée en compétence qui est permise notamment par l’existence de formes de “médiation technique“ (voir section suivante). Aux yeux de plusieurs personnes interrogées, ce potentiel de réponse aux attentes de changement précédemment identifiées (voir chapitre 2) semble très important. Une personne interrogée souligne l’efficacité de ces interactions lorsque les acteurs de la société peuvent se prévaloir de la qualité scientifique de leurs mesures et de leurs analyses. L’accès à de telles ressources et la capacité d’en médiatiser les résultats est en particulier évoqué comme un moyen pour ces acteurs d’exercer un rôle de contre-pouvoir crédible.

Certaines associations, appuyées sur des dossiers dont la qualité a été soulignée dans les entretiens, s’engagent dans ces processus avec un double objectif. Il s’agit à la fois de répondre à un enjeu spécifique de sûreté ou de protection radiologique (contamination autour d’une INB ; rejet non autorisé, etc …), tout en répondant à une finalité plus générale qui serait le retrait de la production nucléaire d’énergie.

D’autres interactions ont plutôt pour particularité de porter sur un enjeu patrimonial local (le territoire) porté dans la durée, et ceci sans être nécessairement déterminé par une position vis-à-vis de l’énergie nucléaire. Ceci n’implique cependant pas que les personnes ou les institutions territoriales concernées n’aient pas d’avis ou de projets sur la question des choix énergétiques, mais que l’interaction en elle-même s’inscrit dans une logique de suivi territorial sans pour autant servir à soutenir une

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autre orientation générale. La finalité de l’action se situe plutôt dans le territoire. Certains travaux associatifs autour des installations nucléaires de la Hague sont une bonne illustration de cette perspective territoriale. De la même façon, des interactions entretenues par certaines commissions locales d’informations (CLI) procèdent de ce modèle.

Identification de récurrences dans ces processus

Ces différentes interactions s’inscrivent dans une dynamique dialectique entre les acteurs de la société et leurs différents interlocuteurs du système nucléaire. Ils permettent une mise en visibilité du système nucléaire, de son cadre réglementaire, de la responsabilité des différents acteurs du système, en permettant aux acteurs de la société de rassembler ou de construire des connaissances fiables. Cet objectif se double fréquemment de la recherche d’améliorations effectives de la sécurité publique, plus particulièrement dans un contexte territorial, comme un élément de la qualité de vie. La vérification de la conformité des activités nucléaires à leur cadre réglementaire apparaît de plus, soit comme objectif, soit comme conséquence induite, comme une des dimensions majeures de ces processus.

On notera également que les acteurs de la société engagés dans ces processus sont souvent en attente d’une considération et d’un respect de la part des acteurs du système nucléaire qu’ils ont du mal à obtenir. Dans cette perspective, les processus engagés ont également pour objectif de forcer l’écoute et de donner voie aux questionnements et aux priorités des acteurs de la société dans l’espace public.

Ces interactions revêtent nécessairement une dimension technique, celle-là même qui est au cœur de l’activité nucléaire et de son suivi. C’est précisément cette dimension de technicité qui ouvre la voie à une sortie des simples postures d’invective en permettant la construction des dossiers argumentés et la mise en évidence d’alternatives de gestion.

Pour les personnes interrogées, la qualité et la crédibilité des dossiers montés par certaines associations se sont ainsi construites au fil du temps. Cette construction d’une crédibilité technique a été évoquée par exemple autour de l’histoire de l’Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans Ouest (ACRO) par une des personnes interrogées : “à l’époque, la CSPI a fait un travail excellent en organisant un essai inter-laboratoire. Des échantillons ont été prélevés par l’IFREMER et analysés en aveugle par différents laboratoires (ACRO, LDA, COGEMA, SCPRI). Les résultats de l’ACRO étaient les mêmes que ceux des autres. […] Depuis ce jour, les analyses de l’ACRO ne sont plus critiquées. Maintenant l’ACRO participe aux essais inter-laboratoires officiels qui sont menés dans le cadre d’un décret de 1988“.

Caractéristiques des processus d’instruction citoyenne

Une forme générique de processus mobilisant les enjeux précédemment évoqués se dégage donc. Celle-ci est constituée de l’ensemble des processus par lesquels des

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acteurs de la société civile, quels qu’ils soient, investiguent des questions ayant des dimensions de forte technicité dont ils se saisissent, en particulier dans le champ nucléaire.

Les processus d’instruction citoyenne ont donc pour caractéristique commune de ne pas nécessiter (sans cependant l’exclure) une reconnaissance préalable réciproques des acteurs. Ainsi, la démarche d’acteurs de la société souhaitant évaluer par eux-mêmes une pollution dans l’environnement d’un site industriel et se dotant pour cela des compétences techniques nécessaires s’inscrira bien dans le concept de processus d’instruction citoyenne. Ces processus, tels qu’ils émergent au cours des entretiens, se situent donc, pour les acteurs de la société, dans une perspective stratégique. Celle-ci vise à mobiliser des moyens et des contre-pouvoirs en vue d’atteindre des objectifs librement déterminés. Il est alors possible d’identifier quelques éléments de définition des processus d’instruction citoyenne :

• Ces processus permettent aux acteurs de la société d’instruire des questions concrètes qui leur paraissent importantes. Parmi les questions évoquées lors des entretiens, on note : le suivi des rejets d’une installation nucléaire proche, la construction d’un avis dans le cadre d’une enquête publique, la recherche des raisons effectives de l’arrêt d’une tranche nucléaire, etc.

• Un second aspect de ces processus d’instruction est la mobilisation de compétences (techniques et stratégiques) pertinentes et fiables (en termes de qualité scientifique et en termes de confiance). Celles-ci incluent à la fois les capacités d’aborder scientifiquement des problèmes mais également d’inscrire cette démarche dans une visée stratégique efficace.

• Un troisième aspect est alors relatif à la “traduction“ des questions portées par la société dans les codes scientifiques, techniques et réglementaires qui régissent les activités nucléaires.

• Un quatrième aspect est, pour les acteurs de la société civile, la volonté d’exercer une influence effective sur une situation qui ne semble pas conforme à leurs attentes. Les processus d’instruction citoyenne ne visent pas la connaissance pure mais au contraire à un impact sur une situation concrète.

• Un dernier aspect est la mobilisation si nécessaire de contre-pouvoirs nécessaires au bon déroulement de ces processus. Ceux-ci incluent, entre autres, les médias, le recours aux élus, les CLI, les recours légaux, etc. L’objectif est alors de maximiser l’impact des processus d’instruction citoyenne en usant pour cela de toutes les possibilités offertes par une situation donnée.

Les processus d’instruction citoyenne ne s’inscrivent pas a priori dans une position de principe (pour ou contre le nucléaire, sans être pour autant incompatibles avec l’une ou l’autre de ces positions). Ils sont souvent motivés par une perspective de

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défense des intérêts de la vie, dans une perspective patrimoniale vis-à-vis d’un territoire - lieu de vie à court, moyen et long terme.

L’absence de posture agonistique a priori ne présuppose pas cependant l’absence de conflit. Ces processus ne présupposent pas un accord préalable entre les acteurs initiateurs du processus et les autres parties prenantes pour être mis en œuvre et peuvent de ce fait être conflictuels.

Ces caractéristiques, une fois réunies, sont constitutives des processus d’instruction citoyenne. Ceux-ci peuvent alors être compris comme des démarches par lesquelles des acteurs de la société civile entament un cheminement à la fois cognitif et stratégique. Cognitif en ceci qu’ils explorent une question donnée, le plus souvent à partir d’un point de vue original issu de la réunion de divers acteurs. Stratégique en ceci que cette exploration est contextualisée et sert le plus souvent une volonté d’action sur une situation donnée et qu’elle mobilise, en elle-même, une énergie sociale dont les effets se font sentir au niveau local voire national et international.

Une contribution citoyenne impliquant dans la pratique certaines conditions

Les processus d’instruction citoyenne requièrent pour se développer certaines conditions. Ils nécessitent tout d’abord l’engagement autonome d’acteurs de la société. Il est ensuite indispensable pour ces acteurs de pouvoir investiguer les dimensions techniques d’un problème et donc de construire les compétences nécessaires dans la mesure où ils ne disposent pas des ressources dont disposent les acteurs du système nucléaire. Il leur est nécessaire de réunir les conditions concrètes permettant d’investir ces dimensions. Enfin, ces processus impliquent de la part des acteurs de la société une dépense importante d’énergie et de ressources qui ne se justifie qu’au regard de l’impact attendu de leur mobilisation.

Autonomie

L’existence de processus d’instruction citoyenne dans le contexte nucléaire ne peut se concevoir sans la présence d’acteurs de la société autonomes susceptibles de s’impliquer dans le suivi de ces activités. Cette autonomie apparaît aux personnes interrogées comme une dimension incontournable. Elle fonde la crédibilité de l’interaction avec les acteurs du système nucléaire. Ces derniers doivent alors construire des relations équilibrées avec ces acteurs autonomes et reconnaître leur légitimité à intervenir dans ce contexte. Une autonomie ne peut être prescrite par nature.

La vitalité du processus dépend avant tout de la présence de ces acteurs engagés, qui sont moteurs dans une démarche d’investigation qui peut être la fois conflictuelle et ingrate en termes de résultats et de visibilité. La participation d’une pluralité d’acteurs et également d’acteurs dans une position d’interface (syndicalistes,

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scientifiques, techniciens) constitue également un facteur clé de l’efficacité de ces processus.

Cette autonomie dépend en outre en grande partie de la réunion de conditions concrètes favorables. La disponibilité d’un secrétariat, voire de permanents, est en particulier souvent évoquée comme un élément fort de dynamisation et d’autonomisation des groupes d’acteurs ainsi constitués. L’existence d’une trace écrite des réunions (approuvée par les participants), en particulier lorsque ces réunions se tiennent avec des acteurs publics ou privés, est notée comme une ressource importante19 pour les acteurs de la société (qui peuvent alors exercer une forme de “droit de suite“, au fil des réunions).

Cette question des moyens, illustrée ici par l’existence d’un secrétariat, rejoint de façon plus générale celle d’un développement des compétences et des capacités des acteurs de la société civile et des moyens matériels nécessaires (par exemple : transport, frais de garde d’enfant, indemnisation, etc). Ici intervient pour les personnes interrogées la délicate question des formes de financement de l’action de la société civile dont les modalités doivent préserver son autonomie.

Compétence

Une seconde condition de prise en charge de ces enjeux est directement liée à la nature hautement technique des questions nucléaires. C’est la possibilité pour les acteurs de la société civile de construire les compétences nécessaires à l’instruction des questions qu’ils jugent importantes. Cette montée en compétence est la condition indispensable pour que les acteurs de la société civile puissent établir la connexion entre des problématiques variées (locales, techniques, politiques, juridiques et sociales) et acquérir une autonomie de jugement dans le champ technique, ce qui est corrélatif de l’autonomie stratégique et politique. En effet, l’un des obstacles majeurs à l’entrée de non-spécialistes dans les questions nucléaires est le coût d’entrée exorbitant qui est nécessaire pour accéder à la technique et pour intégrer celle-ci dans le questionnement des citoyens. Surmonter ce coût d’entrée est largement évoqué comme un enjeu essentiel de la gouvernance des activités nucléaires.

Une des personnes interrogées déclare ainsi : “Greenpeace, par exemple, doit son succès à son image d’association qui a les moyens techniques et financiers d’avoir de l’expertise“. Il apparaît donc que cette montée en compétence est également une

19 On verra plus loin que l’un des apports majeurs des CLI comme outil des processus d’instruction citoyenne est de contribuer à objectiver et fixer le contenu des interactions entre acteurs. C’est que relève une des personnes interrogées quand elle évoque le fait que : “l’on sous-estime que le fait que le fondement de la démocratie est la trace écrite. Dans le cas de la CLI, celle-ci a longtemps pâti de l’absence de compte-rendu écrit indépendant, ceux-ci étant rédigés par l’exploitant“.

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condition de la crédibilité des associations ou des collectifs au sein de la société civile qui font le choix de s’investir dans le suivi des activités nucléaires.

Cette dimension technique suppose, de la part des acteurs de la société civile, une forme de “montée en compétence“. Ces compétences peuvent être acquises par l’apprentissage de ceux qui conduisent le processus. Elles peuvent également être distribuées entre les différents acteurs de la société, chacun apportant un éclairage sur l’une des dimensions du problème investigué. La montée en compétence se traduit alors par l’émergence d’une capacité à travailler en commun, à élaborer des questionnements complexes à plusieurs et à rechercher les ressources techniques permettant de les traiter. Il s’agit en quelque sorte d’un processus d’intelligence collective qui permet à ces acteurs d’aborder des questions complexes et multidimensionnelles.

Le recours à une expertise proche du questionnement citoyen et jugée digne de confiance apparaît nécessaire pour permettre cette montée en compétence progressive du citoyen. Celle-ci ne vise pas à faire de tout français un ingénieur nucléaire, mais à développer dans la société les connaissances permettant de saisir et de formuler un certain nombre d’enjeux et de mobiliser les compétences pour les instruire.

Il ne s’agit pas ici de mettre en relation de façon figée et définitive un certain nombre d’enjeux, de disciplines et de point de vue (ce qui serait plutôt une forme d’intégration cognitive). Il s’agit d’assurer une circulation et un dialogue vivant tout au long d’un processus d’investigation entre les différentes dimensions d’un même problème.

Influence

Une forme de “fatigue“ se fait rapidement sentir chez les acteurs de la société civile qui s’investissent sur des thématiques sur lesquelles il s’avère qu’ils n’ont aucune influence. L’influence effective d’un processus d’instruction citoyenne n’est jamais certaine mais constitue néanmoins une dimension clé de son évaluation et donc de la pérennité de ce type de processus. Cette influence implique de construire une relation autour de vrais enjeux et non simplement, par exemple, autour de l’aménagement de décisions déjà prises ou de réflexions générales sans portée pratique. Elle implique également de pouvoir en évaluer l’impact de façon visible, en rendant compte autant que possible de la façon dont les contributions des uns et des autres ont été suivies ou non d’effets et pourquoi. La difficulté des acteurs locaux à investir les choix stratégiques qui se construisent au plan national ou international est évoquée comme un problème clé dans la mesure où elle peut conduire à relativiser l’influence de ce type de processus.

A la différence des démarches d’investigation académiques, les processus d’instruction citoyenne n’ont pas seulement vocation à produire une connaissance universelle, gratuite et objective. Leur objet est également de contribuer à l’évolution d’une situation jugée insatisfaisante par les acteurs qui l’entreprennent.

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L’engagement des acteurs est directement lié aux résultats qu’ils peuvent attendre de leur investissement en temps et en énergie.

L’existence d’une capacité stratégique au sein des acteurs de la société conditionne largement l’influence des processus d’instruction. La capacité des acteurs de la société à tirer parti de leur environnement social et institutionnel pour faire vivre le processus d’instruction citoyenne est donc un enjeu important. Le financement du processus, la recherche d’alliés, la médiatisation des résultats ou la capacité à rendre publiques les questions pertinentes identifiées dépendent largement des capacités stratégiques de ces acteurs. Un soutien extérieur en termes de facilitation stratégique constitue un élément d’accélération et de pérennisation des processus.

La possibilité pour les acteurs de négocier le cadre institutionnel dans lequel ils interviennent constitue également une dimension de cette capacité stratégique. Elle permettra en particulier aux acteurs de la société d’évaluer les formes institutionnelles de participation qui leur sont proposées et d’en apprécier la pertinence, l’opportunité et les garanties qui leur sont proposées dans chaque contexte. Un autre enjeu comme, par exemple, le contexte de préparation de la loi TSN, sera pour les acteurs de la société l’occasion de négocier l’élaboration d’un cadre institutionnel de participation et les modalités d’un dispositif de gouvernance des activités nucléaires.

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La médiation technique, interface entre questions citoyennes et problématiques techniques nucléaires.

La diversité des caractéristiques et des conditions des processus d’instruction citoyenne appelle donc le soutien d’une grande variété d’acteurs, soit dans le domaine de la facilitation stratégique, soit dans celui de la médiation technique. Un accent particulier est mis, dans le cadre de cette étude, sur la question de la médiation technique.

La montée en compétence des acteurs de la société dans le cadre de l’instruction citoyenne est corrélative d’un autre enjeu qui est, pour les acteurs de la société civile, de pouvoir transformer une question ou une inquiétude en “problème“ pouvant donner lieu à une prise en charge stratégique. Il est pour cela nécessaire d’assurer une interface qui permette l’intégration par ces acteurs des registres cognitifs (ce qui vise à être vrai – comme par exemple les réalités scientifiques et techniques) et des registres normatifs (éthiques ou politiques : ce qui vise à être bon, souhaitable). Celle-ci permet la construction de sens partagée dans le contexte de problématiques fortement techniques.

Ce processus de traduction des questions citoyennes dans les codes scientifiques, techniques et réglementaires est une véritable œuvre de médiation. Cette médiation entre divers registres est alors au service de la construction d’un processus d’investigation qui pourra alors comprendre des dimensions humaines et techniques. L’expert proche de la société est alors à même d’exercer ce que l’on appellera ici une fonction de “médiation technique“.

La construction de la médiation technique nécessaire à l’instruction citoyenne.

La mise en œuvre d’une médiation technique repose sur l’existence d’experts, de groupes ou de réseaux d’expert ou d’institutions d’expertise crédibles (sur le plan scientifique et technique), autant que possible indépendants (des opérateurs plus particulièrement) et proches (des citoyens, des acteurs locaux et de leurs valeurs). La présence d’acteurs de médiation technique dans les rangs de la société est identifiée comme un enjeu de confiance sociale.

Dans le contexte des activités nucléaires, un paysage de l’expertise s’est construit en France avec l’émergence d’une expertise industrielle, d’une expertise publique et d’une expertise sociétale. L’expertise privée est celle de l’exploitant et des industriels. Elle est complétée par une expertise publique, celle de l’IRSN, qui est à même de se déployer sur l’ensemble des registres des activités nucléaires. S’y ajoute, à un échelon plus large,une expertise internationale, notamment disponible auprès d’institutions d’expertises étrangères.

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Par ailleurs, une expertise associative territoriale ou nationale a historiquement exercé une fonction de médiation technique vis-à-vis de la société. Elle s’est construite au fil de l’histoire. Les personnes interrogées évoquent en particulier des organismes comme le GSIEN, la CRIIRAD et l’ACRO, chacun avec son positionnement singulier. Certaines associations d’envergure internationale, comme Greenpeace, peuvent également être mobilisées par des acteurs de la société civile.

Enfin les entretiens mentionnent l’existence d’autres instituts publics d’expertise susceptibles d’apporter des éléments d’expertise sur un certain nombre de champs touchant au suivi des activités nucléaires (impact sanitaire, risques chimiques, …).

L’enjeu de la pérennisation et du développement du potentiel de médiation technique

Les composantes d’expertise développées dans la société et porteuses d’un potentiel de médiation technique, en particulier dans le champ associatif, sont d’abord le fait d’une génération mobilisée en réaction à la constitution de la force de frappe nucléaire ainsi qu’au plan Messmer (années 1970). Cette première génération s’est trouvée renforcée par la mobilisation consécutive à l’accident de Tchernobyl. Pour les personnes interrogées, force est de constater une moindre mobilisation des nouvelles générations ainsi que le petit nombre d’experts, d’ingénieurs et de scientifiques actuellement formés en France.

Un risque d’attrition de ce vivier d’experts associatifs est évoqué par les personnes interrogées. La perte de tout un patrimoine d’expérience est en particulier redouté, faute d’une transmission intergénérationnelle. Le besoin accru de médiation technique est également souligné en lien avec les sollicitations croissantes en matière de participation citoyenne au suivi des activités nucléaires. Cette situation conduit la plupart des personnes interrogées à s’interroger sur les conditions d’une pérennisation et du développement du potentiel de médiation technique. Cette question représente donc un enjeu majeur à moyen terme, d’autant plus aigu que la formation des experts s’inscrit sur des durées longues.

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Les pistes pour répondre au besoin de médiation technique.

Différentes pistes sont évoquées par les diverses personnes interrogées pour répondre à ce besoin identifié de médiation technique.

Renforcer l’expertise associative

Au plan local, le suivi du territoire dans la durée s’inscrit dans une perspective patrimoniale. Il nécessite pour les habitants de ce territoire de pouvoir s’appuyer sur des ressources d’expertises adaptées. Le besoin d’une “humanisation“ du suivi des activités nucléaires et de l’expertise est fréquemment mis en avant comme un enjeu essentiel, dans les entretiens. Une personne interrogée remarque que : “le recours à un expert associatif sera un choix politique d’humanisation de l’expertise et d’inscription de celle-ci dans le long terme. Ce sera une valeur ajoutée citoyenne“. Cette contribution des experts associatifs s’inscrit dans une prise en compte du territoire qui va au-delà de la perspective normative des experts institutionnels.

Les entretiens soulignent ce besoin d’une expertise proche du citoyen et l’inadaptation d’une réponse exclusivement fondée sur la norme dans la prise en charge d’un certain nombre de questions environnementales et sanitaires. Le besoin d’une expertise s’intégrant dans les continuités humaines et territoriales apparaît ainsi indispensable.

Renforcer l’expertise universitaire

Différentes pistes sont évoquées par les diverses personnes interrogées pour répondre à ce besoin identifié de médiation technique. Le développement possible d’une expertise au positionnement éthique plus neutre est également examinée. En particulier, la contribution des universités françaises est jugée très largement insuffisante au regard de ce qu’elle pourrait être (et dans la majorité des cas, les personnes interrogées lient cet état de fait à des orientations prises au sein de l’Etat qui tendent à concentrer la formation et la recherche dans les domaines radiologique et nucléaire).

La possibilité que les universités constituent au sein des régions de véritables pôles d’expertise connectés aux CLI est évoquée par certains : “Pour avoir de vrais pôles d’expertises régionaux, il faudrait mandater les universités locales“. Certaines personnes observent néanmoins le fait que, dans l’état actuel des choses, un objectif de renforcement de l’expertise universitaire dans le domaine nucléaire conduirait vraisemblablement celle-ci à développer sa coopération avec l’industrie nucléaire. L’indépendance de cette expertise risquerait donc d’être remise en cause. Une personne interrogée déclare ainsi : “on voit mal des chercheurs formés grâce à l’industrie nucléaire être totalement indépendants de celle-ci“.

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Développer et ouvrir le marché de l’expertise

Une autre possibilité évoquée est celle de l’ouverture et d’un développement du marché de l’expertise, par l’injection de fonds publics et par la diversification des commandes. L’ouverture d’un marché devrait ainsi permettre une diversification des pôles d’expertise, ainsi qu’un renforcement de leur indépendance : “Il y a un monopole de fait de l’achat d’expertise qui est dommageable pour l’indépendance des experts. Pour en sortir, Il faut diversifier le marché des acheteurs“.

Cette ouverture d’un marché de l’expertise est attendue par un certain nombre de personnes interrogées comme une conséquence de la loi du 13 juin 2006 et de la redistribution aux CLI du produit d’une taxe dédiée. Une personne indique ainsi que : “un gros marché risque de s’ouvrir“. Certaines personnes redoutent cependant de voir émerger un certain nombre de cabinets spécialisés porteurs d’une logique étroite de sûreté par la norme. Dans cette diversité, les experts associatifs auront à pousser un avantage concurrentiel, qui pourra se situer sur le plan de l’éthique des valeurs, ou de la philosophie de sûreté.

Développer de nouveaux modes de financement

Le développement de nouveaux modes de financement apparaît au cœur de toute stratégie de développement de l’expertise distribuée dans la société. A ce titre, différentes possibilités sont évoquées. Parmi celles-ci figure une possible montée en puissance de l’OPECST dans le domaine nucléaire (ce qui serait corrélatif d’un rôle grandissant du Parlement sur les questions liées au développement scientifique et technique). Cette montée en puissance pourrait passer par la création d’une fondation, sous l’égide du Parlement, dédiée au financement d’expertise et à la préparation des débats avec la société sur les questions nucléaires. Une personne interrogée évoque ainsi l’idée que : “l’OPECST pourrait se doter d’une fondation indépendante. Celle-ci pourrait même être financée par des fonds provenant des industriels, dès lors que sa présidence est assurée par un parlementaire indépendant. Cependant, cela n’est pas encore dans les habitudes françaises“.

Par ailleurs, la montée en puissance du Haut Comité à la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire, comme commanditaire d’expertise à la demande de la société et lieu de dialogue critique entre les différentes parties prenantes est une option envisageable. De même, plusieurs personnes soutiennent l’idée d’une montée en puissance des collectivités territoriales dans une dynamique de diversification de l’expertise dans le champ nucléaire et plus particulièrement des Conseils généraux, notamment chargés de la présidence des CLI autour des sites nucléaires.

De façon générale, l’absence d’une ou plusieurs fondations permettant de centraliser et de distribuer des fonds de façon indépendante a été largement identifiée comme un facteur freinant le développement d’une expertise distribuée dans la société et celui d’une recherche prenant en compte les attentes sociales. Une personne

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interrogée précise que: “ le système de fondation est extrêmement intéressant. Une fondation sur la transparence du nucléaire ou la sûreté qui puisse financer deux ou trois équipes de qualité serait bienvenue et les gens seraient prêt à financer cela ».

L’accès à l’expertise publique

Le recours de la société à l’expertise publique nucléaire qui représente le principal vivier d’experts disponibles aujourd’hui semble incontournable à court, moyen terme.

En effet, le risque d’attrition du vivier d’experts présents dans la société, la prise en compte du temps nécessaire à la formation de nouveaux experts laisse entrevoir une période de rareté durant laquelle la force de travail et les savoirs faire des acteurs de l’expertise publique devraient apporter une contribution aux processus d’instruction citoyenne et assurer une forme de relais vers une situation où l’expertise serait plus diversifiée. Certaines personnes évoquent cependant la position de quasi-monopole de l’expert public (au delà de l’expertise des opérateurs) et le paradoxe que représenterait une position de “monopole de l’expertise pluraliste“. Le concept de médiation technique au service des processus d’instruction citoyenne est en effet intrinsèquement lié à l’existence d’une pluralité y compris dans les rangs de l’expertise.

Pour autant la capacité des experts publics à exercer des fonctions de médiation technique n’est pas systématique dans la mesure où celle-ci requiert, au-delà d’une crédibilité scientifique et technique et de la présomption d’indépendance, une proximité des acteurs de la société, un partage de valeurs et des relations construites dans la durée au fil des expériences et des engagements réciproques. Une telle contribution peut être renforcée par l’existence de ces valeurs et de ces engagements (associatifs, politiques, syndicaux, humanitaires) au sein du personnel de l’institution. L’homogénéité culturelle qui caractérise historiquement le système nucléaire (voir chapitre 2) pourrait en revanche constituer un frein dans cette perspective et militerait en faveur d’une diversification du recrutement. L’engagement sur le terrain, l’expérience du travail avec la société devrait sans doute constituer une dimension valorisée de l’évaluation des personnels techniques de l’expert public.

De plus, un organisme comme l’IRSN n’est pas nécessairement gréé (en termes de ressources humaines et financières) pour assurer une présence systématique sur le terrain, à l’échelle du territoire national, du type de celles que requiert le développement de la médiation technique. Dans cette perspective, on voit, en revanche, clairement se dessiner une mission spécifique de l’expert public qui serait d’accompagner le développement de cette médiation technique dans la société, d’assurer des conditions favorables au développement de celle-ci, par des transferts de connaissances, par la formation, par le développement d’opérations exemplaires susceptibles d’être appropriées et diffusées sur l’étendue du territoire national par les organismes intéressés.

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Cette contribution des experts publics pourrait ne pas concerner seulement l’IRSN mais également un ensemble d’autres institutions publiques d’expertise sur les risques (INVS, INERIS, AFSSET, AFSSA, etc), pour peu que les conditions d’un accès des acteurs de la société civile à leur expertise soient réunies.

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Comment diffuser l’expertise dans la société ?

Les personnes interrogées évoquent l’enjeu attaché à une diffusion de l’expertise dans la société, de façon à construire peu à peu une culture technique générale et une appréhension plus fine des enjeux. Une telle diffusion viserait, en outre, à susciter des vocations et des engagements, dans la perspective d’un développement de la médiation technique.

Cette diffusion pourrait en particulier prendre la forme d’expériences déjà mises en œuvre par ailleurs, comme celle des boutiques de sciences (“science shops“) en Europe du Nord et au Canada, comme l’indique une personne interrogée : “ceci existe en Hollande et au Québec, où cela s’appelle des alliances recherche / université / citoyens. Ce sont des associations ou des industries qui ont des questions scientifiques qui s’adressent à des universités qui voient si elles ont les moyens de répondre ou pas et qui mettent en place des moyens de réponse. Ils embauchent des thésards et consacrent une partie de leur temps pour répondre à ces questions qui viennent notamment de la société civile. Cela revient à accepter de répondre, y mettre les moyens et avoir un comité de sélection des questions (puisqu’on ne peut répondre à toutes) et qu’il faut généralement effectuer tout un travail de reformulation des questions“.

La création d’une instance de formation continue des citoyens est évoquée : “La société française parait bloquée. Elle a besoin d’une formation permanente sur les grands problèmes de société et de l’organisation de débats. Cette tâche pourrait être confiée au Conseil Economique et Social ainsi qu’aux les conseils économiques et sociaux régionaux, avec l’aide du système audiovisuel […]. Il ne peut y avoir de débat public sans débat permanent devant les citoyens pour les préparer et les former“.

Différentes actions semblent donc possibles pour favoriser le développement d’une expertise diversifiée susceptible d’exercer une fonction de médiation technique. Leur mise en œuvre dépend en grande partie d’une mobilisation des divers acteurs politiques et sociétaux et relève à la fois d’actions isolées et d’une évolution culturelle globale.

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L’apport d’une construction pluraliste d’expertise

L’apport des processus pluralistes

Les personnes interrogées soulignent les limites opérationnelles et politiques de l’empilement d’expertises contradictoires (déjà identifié dans les processus de débat public CNDP – Voir chapitre 1). Cet empilement ne permet pas en effet de procéder à une explicitation et un approfondissement des problématiques en jeu dans leurs diverses problématiques. Les processus d’expertise pluraliste, en permettant cet approfondissement, ont une efficacité opérationnelle dont le bénéfice pour la société dans son ensemble est largement reconnue.

Les personnes interrogées observent que les enjeux attachés à l’expertise (dans la perspective du dialogue critique) ne concernent pas seulement la diversification des instances d’expertise mais également les modalités de mise en dialogue de ces différentes sources d’expertise. En effet, le dialogue critique met, par nature, plusieurs logiques cognitives et plusieurs catégories d’intérêts en jeu. Il appelle ainsi non seulement une confrontation mais une véritable construction pluraliste d’expertise. C’est d’ailleurs à travers ce type de processus que peuvent être mis à jour et reconnus les prémices des différentes sources d’expertise disponibles (connaissances disponibles, incertitudes, absence de connaissance, hypothèses palliant les déficits de connaissance, valeurs implicites des experts, alternatives et options implicites, etc). C’est à travers ce type de processus qu’il est possible d’élaborer une compréhension plus fine des raisons qui fondent les différences de position entre les experts et les intérêts en jeu et qu’il est possible pour les acteurs en présence de sortir d’une pseudo-scientificité de l’expertise20 qui constitue un terrain défavorable au dialogue. L’exemple du Groupe Radioécologie Nord Cotentin (GRNC) est spontanément cité par plusieurs personnes.

Un bénéfice en termes de formation

Il apparaît en second lieu que les processus pluralistes sont également porteurs d’un bénéfice en terme de formation pour ceux qui y participent et en premier lieu pour les médiateurs techniques issus de la société civile. Une personne interrogée évoque en particulier le fait que : “l’ACRO a pu apprendre, à travers le GRNC et par la pratique sur 5 ans de travail, à caractériser une exposition, ce qu’elle ne savait pas faire auparavant. Avant pour l’ACRO, les modélisations étaient des boîtes noires et on

20 Le fait qu’une expertise soit construite sur une rigueur scientifique n’entraîne pas que le processus d’expertise soit de nature scientifique. Bien au contraire, l’expertise n’a pas pour objet la production de connaissances scientifiques. Elle se comprend comme un travail de préparation préalable à une décision humaine. A ce titre, elle doit au non seulement rassembler des éléments de connaissances disponibles, mais également introduire des éléments normatifs dans la perspective de la décision qu’elle prépare.

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s’arrêtait à la mesure dans l’environnement. Maintenant l’ACRO maîtrise toute la chaîne de la mesure à l’exposition“.

Un bénéfice en termes de mise en visibilité du système nucléaire

Les processus d’expertise pluralistes ont, en outre, comme conséquence de contribuer à la mise en visibilité du système nucléaire, de ses acteurs et de ses débats internes pour les participants et pour la société civile d’une façon plus générale (pour peu que des dispositions soient prises pour permettre le relais vers l’ensemble des acteurs intéressés, à travers des instances comme les CLI, par exemple). Les processus d’expertise pluralistes sont à l’origine d’un renforcement de la compétence technique et stratégique (par une meilleure compréhension des positions et des enjeux) des acteurs de la société qui sont directement ou indirectement impliqués. Un participant observe (à propos du GRNC) que : “Ces réunions devraient être publiques, en étant filmées par exemple. Avec des personnes qui parlent et qui se crêpent le chignon, les enjeux sont autrement plus clairs que dans la plupart des études disponibles. La question est de savoir quand, par exemple, les débats des groupes de travail de l’AFSSET ou autres seront rendus publics. Ce serait un choc tellement phénoménal que cela ferait avancer vraiment les choses“.

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La contribution des CLI et de leur fédération, L’ANCLI, au dialogue critique et aux processus d’instruction citoyenne

Créés pour certaines dès les années 1970 par des membres de la société civile, reconnues et encouragées par la circulaire Mauroy de 1981, légitimées et rendues obligatoires par la loi du 13 juin 2006, les commissions locales d’information apparaissent au fil des entretiens comme l’un des outils émergents pouvant permettre d’articuler les processus d’instruction citoyennes et les processus de décision, et en particulier de constituer des lieux privilégiés de dialogue critique.

Un outil d’instruction citoyenne à la jonction de deux mondes

Les CLI et leur fédération, l’Association Nationale des CLI (ANCLI), ont été fréquemment évoquées dans les entretiens, tant pour leur nouveau statut dans le paysage nucléaire français que pour leur valeur d’interface entre la société civile et les acteurs du système nucléaire.

Les CLI ont une position toute particulière à la jonction du monde industriel électronucléaire, de dimension nationale, et du territoire qu’elle représente. Les CLI ont également une spécificité organique, qui est d’être, dans leur genèse, à la fois une émergence du territoire (bottom up) et le résultat d’une construction institutionnelle (top down). L’ANCLI a, pour sa part, vocation à connecter au niveau national ce niveau local, mais sans que l’un des deux niveaux prenne le pas sur l’autre.

Les CLI bénéficient en outre de leur proximité culturelle avec les milieux syndicaux. Une personne interrogée indique ainsi que : “il existe dans ce milieu une culture ouvrière, une culture du dialogue social, qui fait qu’il peut se passer quelque chose quand il existe une collaboration entre les équipes syndicales en interne et celles qui sont à l’extérieur. Il peut alors y avoir une parole qui sorte de l’entreprise, avec une connaissance interne par les équipes qui sont à l’intérieur, avec des moyens d’agir pour ceux qui sont à l’extérieur et qui peuvent faire passer des informations vers le public“.

Les CLI ont une capacité à mobiliser les ressources (techniques, financières et juridiques) qui sont nécessaires à l’instruction des questions citoyennes portées par leurs membres (ou en tous cas par certains membres qui vont alors mobiliser la CLI dans cette perspective). Ceci est lié à la fois à leur statut administratif, au fait qu’elles existent sur les territoires, à leurs possibilités de financement (créées par la loi du 13 juin 2006) et à la nature même de la CLI qui tend à faire d’elle sur un territoire un outil institutionnel existant et reconnu de collecte et de mobilisation de ressources. Cette capacité a été fréquemment mise en avant et l’hypothèse que les CLI avaient vocation à devenir, dans un avenir proche, des acteurs du marché de l’expertise technique a été avancée par de nombreux interlocuteurs.

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La contribution des CLI

Les personnes interrogées évoquent plusieurs contributions significatives des CLI dans le contexte des processus d’instruction citoyenne et dans la perspective de l’établissement d’un dialogue critique entre les différentes parties prenantes.

En premier lieu les CLI permettent aux acteurs de la société de contribuer faire émerger et légitimer des questions sur la place publique, questions qui (sinon) n’auraient pas trouvé de relais. Une personne indique que: “Dans ce contexte, les CLI ont un rôle de caisse de résonance et de légitimation des questions posées par les citoyens et les associations. Dans les CLI, ceux qui posent les questions, ce sont les associations, mais une question portée par une CLI est alors portée par les élus et tous les participants“.

Les CLI ont également vocation à être un lieu d’échange où des discussions relatives au suivi des INB puissent avoir lieu publiquement. Une personne évoque ainsi le fait que : “Une CLI, quand elle fonctionne, peut apporter un lieu d’échange qui regroupe les gens mobilisés par le nucléaire, aussi bien les exploitants que les politiques, les institutionnels, les représentants de l’Etat et les associations. Des débats ont lieu à l’intérieur de la CLI. Pour peu que tout se passe bien, pour peu qu’un journaliste soit présent, de l’information peut même sortir“.

Les CLI peuvent également contribuer à l’information des citoyens dans des termes qu’il comprennent et puissent mettre en perspective avec leurs préoccupations propres (ce que l’une des personnes interrogées traduit par : “un rôle que devraient avoir l’ANCLI et les CLI serait d’être ceux qui pourraient être les passeurs de sens“). A ce titre, elles peuvent être un outil permettant la conduite de contre-expertises et la confrontation des analyses. Un certain nombre de personnes interrogées mettent en particulier l’accent sur le fait que : “il est indispensable que les CLI puissent disposer d’un budget pour commander des études“.

La question se pose enfin de la vocation que pourraient avoir les CLI à être des lieux de concertation et de gestion en commun du risque nucléaire. Certaines personnes interrogées considèrent que cette vocation est marginale et irréaliste, voire simplement non-conforme aux textes et à une bonne gouvernance. D’autres, cependant, reconnaissent aux CLI un rôle dans l’élaboration de bonnes pratiques en matière de gouvernance nucléaire, à laquelle elles participeraient en relayant et en mettant en œuvre des processus pouvant peser, y compris dans le cadre d’un rapport de forces, sur l’équilibre du système.

Quelle visibilité pour la contribution des CLI et de l’ANCLI ?

Plusieurs entretiens indiquent que la contribution des acteurs de la société civile au suivi des activités nucléaires est réelle mais reste officieuse, à la fois invisible de la société et peu publicisée dans le milieu nucléaire. Une personne indique en particulier que : “on trouve (dans le nucléaire) une structure de suivi organisationnelle

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des risques tellement compliquée que même les acteurs ne s’y repèrent pas. Pour arriver à fonctionner, le système utilise des modes informels de coopération avec la société. Mais cela n’est pas reconnu en interne et ce système n’arrive pas à construire des modes de coopération formels et visibles ».

De la même façon, les entretiens font largement ressortir un déficit de visibilité des CLI et de l’ANCLI à l’extérieur du système nucléaire. A ce titre, l’une des personnes interrogées indique que : “si l’on veut que l’ANCLI existe, il faut qu’elle existe à l’extérieur du système et pas seulement à l’intérieur du système. Pour exister dans la presse et avoir une forme d’identification, pourquoi l’ANCLI ne fait-elle pas remonter l’information de toutes les CLI, en donnant une visibilité à toutes les centrales ?“.

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Les CLI : acteurs en devenir dans la gouvernance des activités nucléaires

Il est encore difficile de conduire sur les CLI une analyse définitive. Ces institutions sont encore en devenir tout comme leur place dans la gouvernance des activités nucléaires. Leur périmètre d’action semble même encore en cours d’élaboration, tandis que la construction de leur autonomie constitue un enjeu majeur. Un autre enjeu évoqué pour les CLI et l’ANCLI est celui de la pérennité de leur contribution et de la forme que celle-ci prendra à l’avenir. Les personnes interrogées évoquent en particulier la période faisant suite au vote de la loi du 13 juin 2006 comme étant une période de transition et de calage du système de gouvernance des activités nucléaires français. Les CLI et l’ANCLI naviguent en particulier entre des institutions en évolution, dont les interrelations ne sont pas encore stabilisées, ainsi que dans un contexte français et européen en pleine évolution. De la même façon, la réception de la loi TSN par les élus locaux et les évolutions de la position de la société française face au nucléaire peuvent avoir un impact important sur le devenir des CLI et de l’ANCLI.

Un périmètre fixé définitivement ?

Si le périmètre des CLI est fixé par la loi, la façon dont celle-ci vont s’en saisir et l’interpréter apparaît encore ouverte. Si les CLI sont dédiées par leur définition légale au suivi des installations nucléaires, l’esprit et le but dans lequel ce suivi peut s’effectuer reste encore ouvert et largement lié à la façon dont les acteurs interprèteront leur rôle et leur mission.

Un enjeu de fond semble résider dans l’orientation de la vocation et dans le périmètre que les CLI entendent donner à leurs activités. Les CLI vont-elles se tourner exclusivement vers la sûreté nucléaire ? ; (Ce qui donne aux CLI une position d’instrument d’une politique nucléaire nationale) ; Vont-elles plutôt se tourner vers des enjeux de sécurité publique et de qualité radiologique dans un territoire donné comme un élément de la qualité de vie, ce qui met l’accent sur leur ancrage territorial ?

Certaines personnes interrogées ont appelé de leurs vœux l’existence de CLI élargies, chargées sur une base territoriale d’une mission de suivi multirisques (industriels, sanitaires, etc). Les CLI sont parfois perçues comme un des éléments de préfiguration d’un nouveau dispositif de gouvernance locale du risque, répondant à l’enjeu d’une intégration de problématiques variées au niveau territorial.

Les conséquences de la loi du 13 juin 2006 ne sont pas, au yeux des personnes interrogées, encore identifiées notamment pour ce qui est des nouvelles attributions des CLI et de leur responsabilités (ainsi que de celles des élus territoriaux). Certaines personnes voient dans cette loi comme un mouvement de transfert de

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responsabilité de l’Etat vers les CLI et les collectivités territoriales. La définition de ces nouvelles responsabilités et la possibilité de les assumer sont connectées à des enjeux en termes de moyens à mettre en œuvre, en particulier de la part des communautés territoriales. Comme le remarque l’une des personnes interrogées : “C’est pour cela que les CLI ont besoin d’une analyse juridique qui leur permette de définir les limites de leurs droits et de leurs responsabilités. Un enjeu est d’avoir les moyens et les personnels qui permettent d’assumer ce transfert de responsabilité“.

L’accès à la définition des choix stratégiques apparaît également comme un élément d’incertitude quant au périmètre futur des CLI et de l’ANCLI. Dans le cas de l’ANCLI, les groupes permanents créés par cette fédération sur des thématiques particulières ont pour objet de permettre aux CLI une montée en compétence et en influence sur ces questions au plan local comme national voire international. L’enjeu est alors de faire entendre une voix compétente et nourrie localement aux niveaux nationaux et internationaux. Une personne interrogée définit alors leur rôle comme étant de : “se poser la question de savoir comment, à partir de problèmes locaux, avoir une expertise de niveau national ou international qui soit vraiment prise en considération et qu’on ne puisse remettre en cause“.

Des formes d’autonomie qui se construisent dans l’interaction

L’existence d’acteurs au niveau local pouvant relayer des préoccupations dans un sens où dans l’autre, ainsi que leur position à la jonction de deux mondes, ne sont pas sans susciter des suspicions quant à leur éventuelle récupération ou vassalisation. Il apparaît alors que l’un des enjeux principaux des CLI sera la construction de leur autonomie, que leur positionnement singulier ne peut permettre de construire autrement que dans l’interaction.

Des personnes interrogées évoquent ainsi le risque de voir la marge de manœuvre et l’autonomie des CLI et de l’ANCLI réduites par l’attribution de subsides de la part d’acteurs du système nucléaire. Ceci rejoint une problématique plus générale qui est celle des risques de perte d’autonomie qui sont attachés au soutien institutionnel de la société civile.

A contrario, de part leur position à l’interface de la société et du système nucléaire, les CLI semblent être à même de contrebalancer des influences trop fortes (dans un sens ou dans un autre) et d’ouvrir ainsi la voie au dialogue critique évoqué plus haut. L’autonomie des CLI apparaît dans bien des cas à construire et non acquise a priori.

L’enjeu de la mise en réseau des acteurs locaux

Un autre enjeu évoqué est celui de la mise en réseau des acteurs locaux et en particulier des CLI, leur permettant ainsi de créer des périmètres d’investigation et d’action adaptés à la nature des questions traitées. L’importance de cette mise en réseau est en particulier évoquée pour permettre de partager des questions (et en particulier les reformuler et y répondre de façon générique et mutualisée), de

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partager compétences et acquis, de sonder les arcanes des décisions en se dotant des capacités stratégiques nécessaires en vue y d’exercer une influence.

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Eléments de conclusion

Cette étude identifie l’existence de facteurs de changement externes internationaux et nationaux du dispositif de gouvernance des activités nucléaires. Les caractéristiques traditionnelles et structurelles du système nucléaire français, son dispositif de gouvernance comme les équilibres qui se sont construits dans ce cadre (entre les institutions nucléaires d’une part et entre celles-ci et la société, d’autre part) sont fortement questionnés par ces facteurs de changement internationaux. Ceux-ci pourraient être à l’origine de modifications sensibles. Les enjeux de ces évolutions concernent d’abord la sûreté nucléaire elle-même avec une évolution possible vers une approche plus normative élaborée à partir de standards internationaux.

La place de la société dans cette gouvernance est un enjeu important qui fait l’objet de fortes attentes de la part de plusieurs catégories d’acteurs et qui se situe aujourd’hui au carrefour de plusieurs évolutions possibles. Une conséquence indirecte de ces facteurs de changement internationaux serait d’accroître la distance qui sépare la société civile et les acteurs locaux des lieux d’élaboration et de négociation de ces normes et des instances de certification des activités nucléaires. Cette évolution pourrait se situer à rebours des réflexions et des expérimentations conduites en Europe ces dernières années autour des problématiques environnementales des activités nucléaires. Ces réflexions tendent à faire de la société civile et des acteurs locaux des partenaires directement associés au suivi de ces activités, dans une perspective de renforcement de la qualité et de la pertinence des décisions.

L’existence de ces facteurs de changement internationaux pourrait cependant constituer, selon certaines personnes interrogées, une opportunité pour une renégociation en profondeur des relations historiques qui structurent le dispositif nucléaire français et de ses liens avec la société. Celles-ci restent à l’origine d’une forte insatisfaction, malgré l’apport reconnu de certaines évolutions récentes. Une telle renégociation suppose néanmoins une capacité des acteurs de la société à déployer leur présence et leurs stratégies dans ces lieux nouveaux de dialogue et de négociation qui se mettent en place au plan international.

Cette étude met également en évidence l’existence de facteurs d’évolution du cadre historique de relation entre le système nucléaire et la société. Cette évolution est liée à l’émergence des problématiques de santé environnementales qui sont associées à différents types d’activité nucléaires. Cette évolution contribue d’une part à élargir le champ thématique des interactions entre la société et les activités nucléaires (il ne s’agit plus seulement de sûreté nucléaire). Elle pourrait contribuer à faire des activités nucléaires un champ potentiel de préoccupation pour de nombreux acteurs, bien au-delà du cercle initial des militants de la première heure.

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Expertise et société : un enjeu de confiance essentiel

Un des principaux apports de cette étude se situe dans l’identification de formes spécifiques d’interaction entre la société et les acteurs du système nucléaire. Celles-ci sont ici désignées sous le nom de “dialogue critique“. Ces interactions, qui supposent l’engagement de composantes autonomes de la société, ont pour résultat de permettre à des acteurs extérieurs au champ technique de s’introduire dans des processus de décision dont la forte technicité constituait précisément le principal obstacle à la participation démocratique. Elles ont également pour caractéristique d’ouvrir la voie à une modification de la nature des interactions entre le système nucléaire et la société dont la contribution à la sûreté et à la qualité des décisions se trouve renforcée.

Les mécanismes de décision dans le domaine nucléaire, comme dans de nombreux domaines technoscientifiques, impliquent nécessairement la mobilisation de composantes fortes d’expertise. Cette expertise n’a pas pour objet premier de produire de la connaissance scientifique. Elle vise d’abord à préparer des décisions et des choix. Elle comporte nécessairement des dimensions normatives ainsi que des hypothèses qui viennent pallier les défauts de connaissance et les incertitudes qui caractérisent un contexte décisionnel.

C’est donc au cœur de ce dispositif technique d’expertise que les acteurs de la société sont appelés à porter leurs investigations s’ils veulent effectivement contribuer à faire prendre en compte leurs préoccupations et leurs valeurs. L’expertise constitue traditionnellement la pierre d’achoppement de la participation démocratique dans la mesure où les acteurs de la société sont généralement dans l’incapacité de franchir la barrière de la technicité des problématiques qu’ils souhaiteraient questionner.

La conséquence la plus fréquente de cette situation est de placer les acteurs de la société dans des contextes décisionnels déjà problématisés par une expertise qui ne prend pas nécessairement en compte les questionnements et les valeurs qu’ils portent et dans laquelle ils ne se reconnaissent pas nécessairement. Cette situation est classiquement à l’origine d’un déficit de confiance sociale dans les processus de décision. Les formes classiques de participation institutionnelles sont impuissantes à modifier cette situation, dans la mesure où elles n’ouvrent pas la possibilité aux acteurs de la société de devenir des acteurs des processus d’expertise (ce qui ne signifie, on le verra plus loin de devenir eux-mêmes nécessairement des experts).

C’est donc un enjeu majeur de cette étude d’avoir pu identifier l’existence de processus d’instruction citoyenne. Ceux-ci peuvent permettre, entre autres objets21,

21 Les processus d’instruction citoyenne sont a minima des processus par lesquels des citoyens se donnent les moyens d’investiguer des questions qui les intéressent, y compris dans leurs éventuelles dimensions techniques. Ils peuvent notamment avoir pour objet de contester ou d’améliorer une expertise institutionnelle, mais peuvent

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l’investigation par les acteurs de la société de l’expertise mobilisée par les acteurs institutionnels dans un contexte décisionnel donné. Dans certains cas même, ils s’accompagnent de la production, à l’instigation de ces acteurs de la société, d’éléments d’expertise complémentaires plus représentatifs de leurs préoccupations et de leurs valeurs.

Ces processus d’instruction citoyenne ont pour caractéristique d’être par définition menés par des acteurs autonomes (ils ne résultent pas d’une démarche institutionnelle de participation mais de leur propre initiative). Ils nécessitent le plus souvent la construction par ces acteurs des compétences nécessaires à leurs investigations.

Un des enjeux est pour les acteurs de la société d’acquérir une compréhension des enjeux et une crédibilité technique suffisante pour être si nécessaire à même d’interpeller les acteurs institutionnels. Cette construction de compétence est elle-même rendue possible par l’existence de formes de médiation technique à travers lesquelles des experts proches de la société viennent contribuer à la montée en compétence de ces acteurs sur des aspects techniques et stratégiques. Ces processus d’instruction citoyenne rendent possible des formes de dialogue critique entre les acteurs de la société et les acteurs institutionnels nucléaires dans les processus de décision considérés.

Le dialogue entre les différentes formes d’expertise mobilisées (y compris celles qui ont été élaborées dans le cadre de l’instruction citoyenne) est également rendu possible par le recours à des formes d’expertise pluraliste qui permettent une compréhension plus fine des enjeux et des positions (qui ne convergent pas nécessairement) en explicitant les dimensions implicites et les valeurs portées par ces différentes composantes d’expertise.

La disponibilité de ressources pouvant contribuer à une médiation technique est par ailleurs un élément clé de l’existence dans la société de cette capacité d’instruction citoyenne des processus techniques. Paradoxalement, selon les personnes interrogées, cette ressource qui s’est historiquement construite dans la société est aujourd’hui menacée d’attrition au moment même où elle fait l’objet de sollicitations croissantes, notamment du fait de la transformation du contexte administratif et juridique des activités nucléaires (voir chapitre 1). L’étude propose une investigation des différents moyens qui sont de nature à permettre un déploiement de la ressource de médiation technique dans la société française.

Les formes de dialogue critique identifiées rendent possibles des formes d’influence de la société sur ces processus de décision à caractère fortement technique. Ces formes de dialogue critique ont connu jusqu’à présent un développement limité en

également être dédiés à l’investigation d’une question portée par la société de façon autonome, ceci indépendamment des processus institutionnels d’expertise et de décision.

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mobilisant fortement les ressources (temps, argent, engagement) de la société civile. Elles restent donc relativement ténues, ceci d’autant plus qu’elles reposent sur des capacités de médiation technique dont la disponibilité à moyen terme n’est pas assurée. Elle revêtent néanmoins un caractère paradigmatique dans la mesure où elles ouvrent la voie à de nouvelles formes de contribution de la société à la gouvernance des activités nucléaires et plus généralement du développement technoscientifique.

Différentes pistes sont explorées pour garder ouvertes la possibilité pour les acteurs de la société civile d’engager des processus d’instruction citoyenne et, donc, de maintenir par là la possibilité d’un dialogue critique sur les questions nucléaires. Dans un contexte où l’expertise est essentielle, sont notamment évoquées les voies de création d’un marché de l’expertise qui rendrait possible le développement de pôles d’expertise diversifiés. La contribution de l’expert public qu’est l’IRSN semble également incontournable dans la mesure où celui-ci constitue aujourd’hui la principale source d’expertise disponible sur les risques nucléaires et la radioprotection. De même l’utilité des savoir-faire de cet Institut en matière d’organisation de processus d’expertise pluraliste qui ont été notamment développés dans la foulée de l’expérience du Groupe Radioécologie Nord Cotentin (GRNC) est soulignée.

Une évolution des paradigmes de l’action collective

En arrière plan des évolutions du dispositif de gouvernance des activités nucléaires se dessine, de façon plus générale, une évolution des formes de l’action collective et de la place de l’Etat et de ses agents dans ce dispositif.

Le dispositif de gouvernance des activités nucléaires issu de l’après guerre est celui d’un nucléaire “public“, au sens étatique. Les fonctions de recherche, d’opération, de contrôle et d’expertise sont d’abord internalisées dans un organisme unique. Ces fonctions se différencient par la suite et s’institutionnalisent. L’ensemble du dispositif se déploie dans le champ de compétence des acteurs publics en charge de “l’intérêt général“. La société n’est pas sollicitée dans ce dispositif, mais des interactions sont néanmoins observées très tôt avec quelques groupes d’acteurs qui contestent les options nucléaires engagées par les pouvoirs publics ou leur manque de transparence (notamment à l’occasion de l’accident de Tchernobyl).

Ces interactions avec la société sont fortement polarisées et restent limitées. Elles sont souvent de nature conflictuelle. Elles contribuent parfois à mettre en évidence certains dysfonctionnements comme, par exemple, un constat de non conformité réglementaire. Elles peuvent également pointer une défaillance du dispositif de suivi environnemental ou de la sûreté nucléaire. Mais dans tous les cas, ces interactions semblent rester dans un statut d’externalité par rapport au dispositif formel de gouvernance des activités nucléaires. L’intervention de la société est subie et gérée plutôt qu’attendue comme une forme de contribution à la qualité du suivi des activités nucléaires. Cette situation est pour une part liée au contexte historique spécifique

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des activités nucléaires. Elle est également liée au paradigme d’action collective qui sous-tend la notion d’intérêt général qui est mobilisée dans ce contexte.

Dans une communication récente22, Bettina Laville, Conseiller d’Etat, observait que : “La notion d’intérêt général a été créée dans l’esprit républicain, avec à la fois, une conception substantialiste de l’intérêt général (il existe quelque part) et la conception d’une incarnation (il y a des gens pour l’incarner). Cette conception pouvait être portée à deux conditions : qu’il y ait une élite très en avant par rapport à une réflexion populaire ; que cette élite soit suffisamment infaillible pour aller vers le bien commun et l’intérêt général (c’est la philosophie positiviste du siècle des lumières). Cette conception est historiquement datée, mais elle continue de peser sur nous“. Cette définition qui s’inscrit bien dans la tradition républicaine française est, d’une certaine manière, exclusive de contributions extérieures aux élites qui portent l’intérêt général.

Dans une période plus récente, de relatives ouvertures sont aménagées dans le dispositif de suivi des activités nucléaires à travers la mise en place de dispositions institutionnelles de concertation. Les acteurs de la société sont sollicités à travers des mécanismes de consultation qui sont engagés par les décideurs publics ou privés. Ces formes de consultations se traduisent ou non par une influence des acteurs de la société sur les décisions (la réalité de cette influence fait l’objet de fortes interrogations de la part des personnes interrogées). Elles ne semblent pas cependant remettre en cause une logique d’externalité de la société. En ce sens, elles s’apparentent à une forme de technocratie éclairée. La concertation avec le public se déploie au service du décideur public détenteur de l’intérêt général.

Mais il subsiste une importante différence entre cette vision de la participation de la société et la façon dont la société revendique une participation à des “affaires publiques“ nucléaires. La notion d’instruction citoyenne que met en évidence cette étude fait apparaître des acteurs autonomes de la société menant des investigations qui concernent des activités nucléaires dont le caractère public repose d’abord sur le fait que celles-ci peuvent affecter la vie de ces acteurs et qu’elles constituent de ce fait pour eux un sujet de préoccupation.

Des activités nucléaires “affaires publiques“ ?

Les formes de participation mises en évidence ne reposent donc pas d’abord sur la volonté d’ouverture d’un décideur public mais sur une forme d’autosaisine de certains acteurs de la société. En ce sens, elles semblent ouvrir la voie à une évolution des modes de prise en charge de l’intérêt général. Faut-il pour autant penser que ces acteurs sont engagés dans la défense de leur intérêt particulier ? En effet, la tradition française de l’intérêt général oppose la notion d’intérêt général porté

22 “L’intérêt général, objet de nostalgie démocratique, ou socle de renouveau citoyen ?“, Bettina Laville - 21 février 2008 – Club Conviction

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par l’Etat à une vision utilitariste de la vie sociale dans laquelle l’intérêt commun est plutôt la somme des intérêts particuliers. Cette vision est ainsi exposée dans un rapport public du Conseil d’Etat de 199923 :

“En fait, ce n’est qu’au XVIIIème siècle que l’idée d’intérêt général a progressivement supplanté la notion de bien commun, aux fortes connotations morales et religieuses, qui jusque-là constituait la fin ultime de la vie sociale. Depuis lors, deux conceptions de l’intérêt général s’affrontent. L’une, d’inspiration utilitariste, ne voit dans l’intérêt commun que la somme des intérêts particuliers, laquelle se déduit spontanément de la recherche de leur utilité par les agents économiques. Cette approche, non seulement laisse peu de place à l’arbitrage de la puissance publique, mais traduit une méfiance de principe envers l’Etat. L’autre conception, d’essence volontariste, ne se satisfait pas d’une conjonction provisoire et aléatoire d’intérêts économiques, incapable à ses yeux de fonder durablement une société. L’intérêt général, qui exige le dépassement des intérêts particuliers, est d’abord, dans cette perspective, l’expression de la volonté générale, ce qui confère à l’Etat la mission de poursuivre des fins qui s’imposent à l’ensemble des individus, par delà leurs intérêts particuliers.

Le débat entre les deux conceptions, l’une utilitariste, l’autre volontariste, n’a guère perdu de son actualité et de sa pertinence. Il illustre, au fond, le clivage qui sépare deux visions de la démocratie : d’un côté, celle d’une démocratie de l’individu, qui tend à réduire l’espace public à la garantie de la coexistence entre les intérêts distincts, et parfois conflictuels, des diverses composantes de la société ; de l’autre, une conception plus proche de la tradition républicaine française, qui fait appel à la capacité des individus à transcender leurs appartenances et leurs intérêts pour exercer la suprême liberté de former ensemble une société politique.

Nul doute que la tradition française, telle qu’elle s’exprime dans la législation et la jurisprudence, a clairement pris le parti de promouvoir un intérêt général qui aille au-delà d’un simple arbitrage entre intérêts particuliers. Elle s’inscrit, sans conteste, dans la filiation volontariste de l’intérêt général.“

… “La conception volontariste de l’intérêt général est ainsi fragilisée par la contestation de l’Etat qui incarne cette valeur et a du mal à adapter tant ses missions que son mode de fonctionnement aux transformations de la société. L’idée d’un Etat conçu comme principe éminent, tout entier tendu vers l’unité de la volonté collective, garant de l’intérêt général face à la diversité des intérêts de la société civile, est en outre contrebattue par l’évolution générale des démocraties contemporaines, qui tend à promouvoir la multiplicité des

23 Conseil d’Etat, Rapport public : réflexion sur l’intérêt général

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identités et la pluralité des intérêts, aux dépens du primat des valeurs communes. Les ressorts de la politique moderne font plus de place aux intérêts de l’individu qu’à ceux de la société. Or, seule la référence à des buts d’intérêt général peut légitimer, aux yeux du citoyen, l’utilisation par l’appareil de l’Etat de moyens dérogatoires au droit commun, en vue précisément de faire prévaloir cet intérêt commun sur les intérêts particuliers. Pour toutes ces raisons, l’Etat ne réussit plus à susciter l’adhésion des citoyens. On lui dénie même le monopole de formulation du bien public.“

Tout en mettant en évidence les difficultés croissantes de l’Etat à incarner cette valeur d’intérêt général, cette analyse du conseil d’Etat semble dénier l’existence d’un espace d’investissement du citoyen dans des affaires publiques qui le concernent, sinon dans une vision étroite de la recherche d’un intérêt particulier.

Cette étude offre une vision plus nuancée où la contribution de la société semble se déployer dans une forme de prise en charge “en bien commun“ des affaires nucléaires comme des “affaires publiques“. En référence aux travaux de John Dewey24, la notion d’affaire publique est ici opposée à la notion d’affaire privée. Le caractère public d’une activité ne résulte pas d’abord de ce que cette activité se trouve dans le champ de compétence d’un acteur public. C’est d’abord la revendication du caractère public de cette activité par la population qui fonde cette qualification. De même, la légitimité d’un acteur de la société à intervenir n’est pas fondée sur sa qualité de défenseur d’un intérêt particulier. On observera ainsi, par exemple, que la Convention d’Aarhus établit que c’est “sans que le public ait à faire valoir un intérêt particulier“ que celui-ci doit avoir accès à l’information sur l’environnement25:.

Cette prise en charge des affaires nucléaires comme “affaires publiques“ implique une dimension de vigilance citoyenne qui constitue une contribution effective à la sûreté nucléaire et à la qualité des décisions. Les mandats et les responsabilités exercés par les acteurs institutionnels du système nucléaire ne sont pas remis en cause par cette vision non plus que les mécanismes de clôture décisionnelle de la démocratie représentative (il ne s’agit pas de remplacer les décideurs, ni de passer à des formes de cogestion).

C’est plutôt le statut de l’intérêt général qui se trouve progressivement modifié par cette évolution ainsi que le caractère exclusif d’un processus qui ne laisserait, en définitive, qu’à l’acteur public la capacité de définir celui-ci. Cette évolution s’accompagne de l’émergence d’une culture démocratique qui fait de l’interaction avec la société un élément constitutif du processus d’identification du bien commun. Dans ce nouveau paradigme, la contribution de la société n’est plus accidentelle, elle constitue un élément supplémentaire d’une culture de vigilance et de sûreté.

24 Op cité dans l’introduction 25 Convention d’Aarhus, Article 4

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L’identification du bien commun se construit de façon pragmatique dans l’interaction démocratique dans chaque contexte décisionnel.

Dans cette perspective, l’autonomie, la compétence et la capacité des acteurs de la société sont des éléments de vitalité démocratique. Les formes “sauvages“ de participation trouvent leur place dans cette forme émergente de gouvernance tout comme les processus institutionnalisés de consultation. L’existence d’une pluralité d’acteurs, avec des positions construites et différenciées, susceptibles de porter l’existence d’un dialogue critique constitue, dans cette perspective, un élément spécifique de qualité et de vitalité de la gouvernance. Il ne s’agit pas nécessairement de rechercher un consensus mais plutôt de favoriser l’existence de tensions fécondes fondées sur la pluralité et l’expression des différences, à travers le respect de l’autonomie des acteurs et la recherche de situations équitables d’interaction avec la société.

Cette gouvernance suppose l’existence durable de groupes d’acteurs de la société compétents et influents autour de chaque type d’activité, susceptibles de s’engager dans l’instruction citoyenne des questions qu’ils portent et dans un “dialogue critique“ avec les institutions. L’étude souligne le caractère essentiel de la médiation technique et de l’expertise pluraliste dans ces processus.

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Annexe 1. Liste des personnalités auditées

Ont été rencontrés :

- M. Jean-Claude AUTRET (ACRO) ; - M. Raymond AVRILLIER (conseiller municipal de la ville de Grenoble) - Mme Dorothée BENOIT-BROWAES (Vivagora) ; - M. David BOILLEY (ACRO) ; - MM. Henri CATZ et Jean-Pierre BOMPARD (CFDT) - M. William DAB (CNAM) ; - MM. Jean-Claude DELALONDE et Michel DEMET (ANCLI) ; - M. Michel FOURNIAU (INRETS) ; - M. Arnaud GOSSEMENT (Cabinet Huglo-Lepage) ; - M. Gilbert GOUVERNEUR (ancien pdt des Amis de la Terre Rhône Alpes) ; - M. Philippe HUBERT (INERIS) ; - Mme Bettina LAVILLE (Cabinet Lysias) ; - M. Ted LAZO (AEN) ; - Mme Corinne LEPAGE (Cap 21) ; - M. Jean-Luc MATHIEU (CNDP) ; - M. Georges MERCADAL (CNDP); Thierry SCHNEIDER (CEPN) et Yves MARIGNAC

(WISE); - M. Yves MISEREY (Le Figaro) ; - M. Philippe PIRARD (InVS) ; - Mme Monique SENE (GSIEN) ; - Benoît VERGRIETTE (AFSSET) ; - MM. Christian WAETERLOOS, Gérard BRUNO et Michel HERZEELE (DG TREN).

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Annexe 2. Synthèse historique : l’IRSN face aux évolutions de la gouvernance des activités nucléaires

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La mise en place du dispositif de gouvernance des activités nucléaires en

France : 1945-2007

Synthèse

31 janvier 2007

Gilles Hériard-Dubreuil, Vincent Wallaert, Matthieu Ollagnon

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Sommaire

Introduction 92

1. Les premières étapes après la guerre 93

La création du CEA, un dispositif unipolaire................................................................................. 93 Le décret relatif aux INB du 11 décembre 1963 : premier texte réglementaire encadrant les INB...................................................................................................................................................... 94 Le programme électronucléaire français ...................................................................................... 94

2. Le rôle grandissant du Parlement et de la loi 96

La prépondérance initiale du cadre réglementaire ....................................................................... 96 La contribution de l’OPECST dans la montée en puissance du Parlement ................................. 97 La loi Bataille de 1991 sur les déchets nucléaires........................................................................ 98 La longue marche vers une loi de Transparence et de Sécurité Nucléaire.................................. 98

3. Une autorité de contrôle qui se dégage progressivement de l’opérateur et d’une tutelle administrative unique 102

Du “zin zin” à l’ASN..................................................................................................................... 102 Le contrôle de la radioprotection ................................................................................................ 103 La convergence du dispositif de contrôle des installations de défense...................................... 104 La création d’une Autorité de Sûreté Nucléaire indépendante................................................... 105

4. La mise en place d’un expert public indépendant couplant recherche et expertise 107

La création de l’IPSN au sein du CEA........................................................................................ 107 L’autonomisation de l’expert public............................................................................................. 108 Les évolutions concernant l’expert public au cours du processus de préparation législatif ....... 109 La création d’un IRSN indépendant............................................................................................ 109

5. La mise en place de démarches et d’instances de consultation et d’information 113

La Circulaire Mauroy de 1981..................................................................................................... 113 La commission Castaing............................................................................................................. 113 La création du CSSIN ................................................................................................................. 114 La création du Haut Comité pour la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire ... 114 La charte de l’environnement et le Code de l’environnement .................................................... 115 Les débats organisés par la CNDP autour du nucléaire ............................................................ 116

6. La montée en puissance d’acteurs locaux se dotant d’une capacité à faire entendre leur voix 117

La naissance des CLI et leur structuration au niveau national................................................... 117 La reconnaissance légale des CLI et de l’ANCLI ....................................................................... 118

7. La mise en place par l’IRSN d’une stratégie d’ouverture à la société 120

La construction d’une doctrine interne à l’IRSN ......................................................................... 120 Les expériences fondatrices d’ouverture à la société................................................................ 121 Le développement d’une réflexion exploratoire interne l’IPSN puis à l’IRSN............................. 122 La mobilisation de moyens spécifiques au sein de l’IRSN ......................................................... 123

8. Les recommandations des instances internationales en matière de gouvernance des activités nucléaires 126

Les recommandations de la CIPR.............................................................................................. 126

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Les conventions et recommandations de l’AIEA ........................................................................ 127 Recommandations de l’AEN....................................................................................................... 128 Recommandations de WENRA .................................................................................................. 129 Les réflexions européennes sur la gouvernance des activités à risques ................................... 130

9. La mise en place d’un cadre juridique de l’information et de la participation 134

La convention d’Aarhus .............................................................................................................. 134 Les directives européennes correspondantes............................................................................ 135

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Introduction

Le dispositif français de suivi des activités nucléaires a connu ces dernières années de fortes évolutions dont la dernière est instituée par la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire votée par le Parlement le 13 juin 2006. Ces évolutions convergent dans le sens d¹un renforcement du statut, de l¹indépendance et des moyens alloués aux fonctions d¹autorité de contrôle et d¹expert public. Par ailleurs, le cadre législatif et réglementaire qui se met en place reconnaît de façon grandissante l¹émergence de nouveaux acteurs (acteurs locaux, associations, experts indépendants…) comme parties prenantes de ce suivi. Ces évolutions modifient durablement l’environnement et les modalités d’exercice de la mission de l’IRSN. Dans ce contexte, l’Institut a confié à la société Mutadis Consultants l’élaboration d’une synthèse sur les évolutions de la gouvernance des activités nucléaires. Celle-ci avait pour objet, dans le cadre d’une réflexion stratégique plus large, « de retracer les principales évolutions (juridiques, institutionnelles, sociétales, politiques) du dispositif de suivi des activités nucléaires et d’identifier les modèles implicites de gouvernance sous-jacents à ces évolutions ». Cette synthèse a été réalisée à partir d’une recherche documentaire et de l’analyse d’entretiens conduits auprès de membres de l’IRSN. Elle a également bénéficié de l’expertise d’un comité de suivi constitué d’experts de l’Institut particulièrement impliqués dans les problématiques d’ouverture à la société, la rédaction finale restant de la responsabilité de Mutadis Consultants. Elle a enfin donné lieu à un rapport, remis à Jacques Repussard, Directeur général de l’IRSN, le 16 janvier 2007. L’IRSN souhaite désormais approfondir et partager la réflexion sur l’évolution de la gouvernance des activités nucléaires avec des représentants de la société civile et en premier lieu avec ses partenaires privilégiés que sont les CLI et l’ANCLI. Dans cette perspective, l’IRSN met à la disposition du public cette synthèse préalable.

François Rollinger

Directeur de la Division Ouverture à la Société – DSDRE/IRSN

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L’histoire du dispositif de suivi des activités nucléaires est marquée par le passage d’un système unipolaire à un dispositif fonctionnant autour de trois fonctions : l'exploitant, l'autorité de sûreté et l'expert. Parallèlement, on assiste à une émergence de la société civile qui tend à entrer dans le cercle de la vigilance autour des installations nucléaires.

1. Les premières étapes après la guerre La création du CEA, un dispositif unipolaire

Du démarrage du programme nucléaire français en 1945 au lancement du plan Messmer au début des années 70, le nucléaire français apparaît comme un dispositif “unipolaire” dans lequel un acteur unique, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) regroupe les fonctions de recherche, de développement, d’expertise et de contrôle.

Le premier cadre français des activités nucléaires

L’ordonnance de création du CEA du 18 octobre 1945 constitue le texte fondateur du développement des applications nucléaires. L’ordonnance, acte gouvernemental à valeur législative, faisait du CEA l’acteur unique du nucléaire regroupant les rôles de constructeur, d’exploitant, de régulateur et d’expert. Ainsi le CEA doit poursuivre : “Les recherches scientifiques et techniques en vue de l’utilisation de l’énergie atomique dans divers domaines de la science, de l’industrie et de la défense nationale. Il étudie les mesures propres à assurer la sécurité des personnes et des biens contre les effets destructifs de l’énergie atomique. Il organise et contrôle (…) la prospection et l’exploitation des gisements de matières premières nécessaires. Il réalise, à l’échelle industrielle, les dispositifs générateurs d’énergie atomique. Il fournit au gouvernement toutes les informations concernant l’énergie atomique et ses applications et, notamment, l’éclaire dans la négociation des accords internationaux. Et, en général, il prend toutes les mesures utiles pour mettre la France en état de bénéficier du développement de cette branche de la science.”

L’organisation en interne de l’expertise et du contrôle en matière de sûreté

Le développement des réacteurs expérimentaux et des divers laboratoires entraîna très rapidement la mise en place d’une organisation de sûreté spécifique. Dès l’origine, la sûreté émerge ainsi comme une préoccupation majeure dans les programmes de recherche et de développement mis en œuvre au sein du CEA.

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On aboutit donc à la création de la Commission Centrale de Sûreté des Installations Atomiques présidée par le Haut Commissaire. Cette commission s’appuyait sur un comité rassemblant des experts du CEA. Au moment du développement du programme électronucléaire français, les moyens de recherche et d'analyse de sûreté s’étaient fortement accrus. Au début des années 70, est ainsi créé au sein du CEA un Département de Sûreté Nucléaire (DSN). La sûreté des Réacteurs à Eau Pressurisée (REP) devient alors un secteur prépondérant au sein du CEA bénéficiant de l’abandon de la filière graphite-gaz, abandon qui a occasionné un renouvellement des ingénieurs de recherche et l’arrivée de nombreux ingénieurs au sein de l’équipe de sûreté.

Le décret relatif aux INB du 11 décembre 1963 : premier texte réglementaire encadrant les INB

Paru le 11 décembre 1963 le décret relatif aux Installations Nucléaires de Base (INB) constitue le premier texte réglementaire encadrant les activités nucléaires civiles. Ce décret s’appuie sur la loi du 2 août 1961 relative aux pollutions atmosphériques, et qui ne concerne pas directement les activités nucléaires. Il définit la notion d’INB et fixe les conditions d’autorisation, de création et de fonctionnement de ces installations. Dans cette perspective, le décret de 1963 institue la Commission Interministérielle des Installations Nucléaires de Base (CIINB), chargée de donner un avis préalable aux autorisations de création. Cette commission était chargée de vérifier que tous les aspects relevant des différents ministères (santé, finances, protection civile) étaient bien pris en compte.

Le décret du 11 décembre 1963 est resté jusqu’à l’adoption de la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire le texte de référence encadrant les activités nucléaires civiles. Ce n’est qu’en 1973 qu’un service dédié de l’administration sera créé (SCSIN, voir plus loin) pour assurer la fonction de contrôle réglementaire des installations nucléaires.

Le programme électronucléaire français

Le processus de “dissociation” du dispositif unipolaire né après guerre dans le but de l’élaboration de l’arme nucléaire correspond au développement d’un programme nucléaire civil ayant vocation à la production d’électricité. Ainsi, la publication du décret du 11 décembre 1963 correspondait à l’émergence d’une filière civile et d’un nouvel opérateur du nucléaire : la divergence du premier réacteur d’EDF, Chinon A1, date de 1963. Au début des années 1970, le gouvernement français décide au travers du Plan Messmer de construire un nombre important de centrales de type REP (Réacteur à Eau sous Pression) sous licence " Westinghouse ". Le choix de la filière REP s’explique en partie par des raisons économiques, le dispositif à eau pressurisée permettait un meilleur rendement, mais également par des raisons de sûreté.

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Dans ce nouveau contexte, les missions du CEA sont redéfinies selon le principe de séparation recherche/industrie. Il y a alors une nouvelle répartition des rôles :

- Recherche assurée par le CEA ; - Construction assurée par Framatome ; - Production d’électricité et exploitation des centrales assurée par EDF. - Amont et aval sont regroupés dans un pôle industriel du CEA. - Contrôle assuré par le SCSIN à partir de 1973.

Mais jusqu’à la création de l’IRSN, l’évaluation technique de la sûreté était toujours assurée par des équipes du CEA (l’IPSN a été créé en 1976 et disposait d’une autonomie technique au sein du CEA. Cette autonomie n’a cependant été reconnue institutionnellement qu’à partir du décret de 1990, voir section 1.4), car il était admis que lui seul disposait des compétences nécessaires.

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2. Le rôle grandissant du Parlement et de la loi La montée en puissance du législateur dans l’organisation des activités nucléaires et du dispositif de suivi de celles-ci constitue le premier trait significatif de l’historique du système français de gouvernance du nucléaire. A la suite de l’accident de Tchernobyl en 1986, des modifications importantes seront apportées au dispositif français de gouvernance des activités nucléaires sur la base de conclusions et de recommandations élaborées par des parlementaires.

La prépondérance initiale du cadre réglementaire

De 1945 à 1991, le cadre juridique encadrant les activités nucléaires est quasiment exclusivement réglementaire. Le développement des activités s’inscrit dans un contexte historique où le domaine de la loi connut des limitations importantes. Par ailleurs, le dispositif de suivi français se distingue très vite par la souplesse de ce cadre réglementaire.

Un cadre constitutionnel limitant les compétences du Parlement

L’acte juridique fondateur du nucléaire français (l’ordonnance déjà citée portant création du CEA) est une décision du gouvernement ayant la force d’une loi dans la hiérarchie des textes. L’utilisation de cet “outil” juridique s’inscrit dans le contexte des premières semaines suivant la Libération où en l’absence de Constitution et de représentation nationale démocratiquement élue, l’ensemble de la souveraineté est exercée par le gouvernement provisoire présidé par le Général De Gaulle26. Par ailleurs, la contribution du nucléaire à la défense nationale justifiait de maintenir le CEA et ses activités hors du domaine législatif, relevant des partis siégeant à l’Assemblée Nationale, et d’en faire une prérogative de l’exécutif dirigé par le gouvernement. La constitution adoptée en 1958 a confirmé et renforcé ce principe. En effet, la Vème République repose sur le principe du primat donné au domaine réglementaire auquel revient l’ensemble des champs d’action de l’Etat (article 3727) à l’exception d’un certain nombre de domaines d’actions relevant de la compétence du Parlement et explicitement listés dans l’article 34 de la constitution et dans lequel le nucléaire et la politique énergétique ne sont pas cités.

Un cadre réglementaire historiquement souple

26 L’élection d’une assemblée nationale constituante fut organisée le 21 octobre 1945 soit 3 jours après la publication de l’ordonnance créant le CEA.

27 Article 37 : Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire.

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Pendant plusieurs décennies, le cadre réglementaire encadrant la sûreté nucléaire est resté relativement souple. Jusqu’à la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire le décret du 11 décembre 1963 est ainsi resté un des seuls textes réglementaires encadrant la sûreté des INB28.

Le système français de suivi de la sûreté des activités nucléaires repose en effet traditionnellement sur une pratique plus fondée sur un dialogue technique contradictoire que sur un système réglementaire et prescriptif. Les prescriptions de l’autorité étaient définies dans le cadre du dialogue technique entre l’exploitant et l’expert public. La radioprotection des travailleurs a longtemps constitué le domaine où le cadre réglementaire fut le plus développé.

La contribution de l’OPECST dans la montée en puissance du Parlement

Initialement “écarté” du dispositif de suivi français, le Parlement va néanmoins jouer un rôle déterminant, notamment à partir de l’accident de Tchernobyl, dans les transformations de la gouvernance des activités nucléaires.

La première “intrusion” parlementaire

Pendant la période de préparation aux élections présidentielles de 1981, le Parti Socialiste s’était doté d’une commission interne en vue de préparer les propositions du parti sur la place de l’énergie nucléaire. Quelques semaines après son arrivée au pouvoir, le gouvernement Mauroy organisa en octobre 1981 à l’Assemblée Nationale un débat sur le programme nucléaire français.

La vocation de l’office

L’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST) a été créé en 1983 pour permettre aux parlementaires de conduire des réflexions et de publier des recommandations sur les politiques publiques en matière technique et scientifique. L’OPECST constituait donc un outil de montée en puissance du Parlement sur un champ de politiques publiques relevant dans la constitution de 1958 du domaine réglementaire mais dont l’importance grandissante notamment pour le développement industriel de la France nécessitait la participation active de l’Assemblée Nationale.

28 Décret rattaché à la loi 61-842 du 2 août 1961 relatif à la lutte contre la pollution atmosphérique et les odeurs.

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Dans le rapport Birraux-Serusclat publié en 1990 l’OPECST se définit lui-même comme une instance de “contrôle du contrôle” et d’information du Parlement sur le risque nucléaire.

Le rôle déterminant de l’OPECST

L’OPECST a joué un rôle déterminant dans la refonte du dispositif de gouvernance des activités nucléaires en France après l’accident de Tchernobyl. Ainsi, la double saisine de l’Assemblée Nationale et du Sénat du mois de mai 198629 intervenait trois ans après la création de l’office et représentait ainsi sa première mission d’envergure. Cette saisine parlementaire portait non seulement sur le système d’information du public mais les systèmes de gestion de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France. Par ailleurs, en apportant une évaluation critique du décret d’autonomisation de l’IPSN par rapport au CEA, intervenu en 1990, le rapport Birraux-Serusclat constitue une des étapes fondatrices dans la ”longue marche” vers l’indépendance de l’expertise publique.

La loi Bataille de 1991 sur les déchets nucléaires

La loi du 30 décembre 1991 sur la gestion des déchets radioactifs représente la première loi votée par le Parlement français portant sur les activités nucléaires. Le Parlement fut saisi de la question de la gestion des déchets radioactifs en 1990 par le gouvernement de Michel Rocard dans une situation où le processus de choix d’un site pour le stockage des déchets rencontrait d’importantes difficultés et où le gouvernement avait décidé d’un moratoire. Dans ce contexte, la loi Bataille définit trois axes de recherche (stockage, transmutation, entreposage) et un calendrier de 15 ans comprenant l’étude d’options de gestion des déchets radioactifs et le vote d’une nouvelle loi en 2006.

La longue marche vers une loi de Transparence et de Sécurité Nucléaire

La proposition de loi Fabius

Inspirée par la catastrophe de Tchernobyl, une proposition de loi sur la création d’une Autorité de Sûreté Nucléaire indépendante fonctionnant comme une instance indépendante (contrôle du contrôle) chargée d’introduire une dimension supplémentaire de vigilance dans le processus de sûreté nucléaire fut déposée par M. Laurent Fabius le 17 décembre 1986. Cette Autorité aurait été dotée de moyens d’expertise propres, de la capacité d’auto-saisine et son avis conforme aurait été

29 Origine de la saisine : Commission des Affaires économiques du Sénat et Commission de la Production et des Echanges de l'Assemblée nationale (Source http://www.senat.fr/opecst/rapports.html ).

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nécessaire avant toute création d’une INB. Le transfert des compétences gouvernementales relatives au contrôle de la sûreté n’était cependant pas prévu. Cette proposition ne sera pas discutée.

Les premiers rapports

La préparation d’un texte de loi organisant le suivi des activités nucléaires a démarré avec la mission Turpin mandatée par le gouvernement à la fin de l’année 1996 pour mener une réflexion en vue d’une refonte du dispositif existant alors. Cette mission fut interrompue et sans effet sur le processus législatif compte tenu du changement de majorité qui intervint avec la dissolution de l’Assemblée Nationale en mai 1997. Le gouvernement issu de la nouvelle majorité décida néanmoins de poursuivre la préparation d’un texte refondant le dispositif de suivi des activités nucléaires. Dans cette perspective, le député de Meurthe et Moselle Jean Yves Le Déaut fut donc mandaté en mars 1998 par le Premier Ministre afin “d'évaluer le système de contrôle et d'expertise dans le domaine du nucléaire”. Le 7 juillet 1998, il remit au Premier Ministre un rapport intitulé “Le système français de radioprotection, de contrôle et de sûreté nucléaire : la longue marche vers la transparence et l’indépendance”. Ce rapport insiste sur la nécessité de la confiance de la population, envisagée comme un enjeu de la pérennité de l’option nucléaire. Il pointe pour cela la nécessité d’un fonctionnement plus démocratique et celle d’une plus grande transparence. Il recommande pour cela la création d’une agence française de radioprotection et de sûreté nucléaire indépendante (résultat de la fusion de l’IPSN et de l’OPRI et chargée de l’expertise et de la recherche) et d’une autorité administrative indépendante chargée de la sûreté nucléaire, à qui seraient transférées les compétences du gouvernement relatives au contrôle. Pour renforcer la transparence, le rapport fait donc le choix de la séparation de l’autorité de contrôle et de l’agence d’expertise.

Le processus législatif

La publication du rapport Le Déaut a initié un processus législatif comprenant différentes étapes. Un premier projet de loi fut élaboré par le gouvernement Jospin sur la base des conclusions du rapport Le Déaut. Suscitant l’opposition de la Ministre de l’Environnement, Dominique Voynet, ce projet reçu, de plus, un avis défavorable du Conseil d’Etat : “Le Conseil d’Etat estime que le transfert de pouvoirs de décision et de contrôle dans les domaines de police spéciale que sont la sûreté nucléaire et la radioprotection n’est pas justifiée, alors surtout que les dispositions envisagées conduisent à une répartition des compétences incertaine et incohérente entre le gouvernement et l’autorité en cause”. Un projet de loi alternatif fut élaboré suite à cet échec, abandonnant l’idée d’une autorité indépendante à laquelle auraient été transférées les compétences de contrôle du gouvernement, mais proposant par ailleurs le renforcement des CLI et la création d’un Haut Comité de Transparence sur la Sécurité Nucléaire, contribuant “à

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l’élaboration et à la diffusion de l’information sur les risques liés aux activités (nucléaires – NDR)”. Ce projet de loi restera enterré pendant plus de trois ans. Parallèlement, dans le cadre du débat faisant suite à l’avis défavorable du Conseil d’Etat sur le premier projet Jospin, le député de Haute Savoie Claude Birraux proposa en septembre 1999 une proposition de loi “visant à garantir l’objectivité et la qualité du contrôle des installations nucléaires et de la transparence de l’information”. Celle-ci reprend l’idée de créer une instance de “contrôle du contrôle“ avec la création d’une haute autorité de sûreté, de la sécurité des installations et de la radioprotection. Comme la proposition de loi Fabius, il ne prévoit cependant aucun transfert de compétence du gouvernement à cette autorité, ni “de créer une autorité administrative indépendante, moyen commode pour l’Etat de se défausser de ses responsabilités 30”. Il propose, de plus, la fusion de l’IPSN et de l’OPRI au sein d’un établissement public indépendant préfigurant l’IRSN. Cette proposition de loi n’eut pas de suite.

La loi AFSSE de mai 2001 en décidant la création de l’IRSN met en œuvre une des deux recommandations du rapport Le Déaut. Elle fut donc la principale étape législative entre la loi Bataille et l’adoption de la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire. Le décret de création lui-même sortira juste avant la fin de la législature en février 2002 simultanément au décret créant la DGSNR (voir plus loin).

Le second projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire élaboré par le gouvernement Jospin est pour l’essentiel repris par la ministre chargée de l’environnement Roselyne Bachelot et déposé au sénat en 2003. Le texte ne fera alors même pas l’objet de discussion par la Chambre. C’est à la suite du vœu exprimé en janvier 2006 par le chef de l’Etat pour que soit créée une Haute Autorité de Sûreté Nucléaire qu’une loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire fut définitivement adoptée par le Parlement en juin 20031. Cette loi comporte la création d’une autorité indépendante à laquelle sont transférées en grande partie les compétences du gouvernement relatives au contrôle et à laquelle le Conseil d’Etat ne s’opposera finalement pas. La loi de Transparence et de Sécurité Nucléaire adoptée en juin 2006 constitue le premier texte de loi “générique” concernant le nucléaire, c’est à dire organisant le suivi et le contrôle des activités nucléaires en France. Cette loi a fait l’objet d’un processus de genèse long et complexe de près de 10 ans.

30 Proposition de loi n° 1789 ; 8 septembre 1999, Exposé des motifs, titre IV 31 Plutôt que déposer un nouveau projet de loi qui aurait été discuté au parlement, le gouvernement a choisi d’adresser au Sénat une « lettre rectificative » qui fut voté quinze jour plus tard par la chambre.

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3. Une autorité de contrôle qui se dégage progressivement de l’opérateur et d’une tutelle

administrative unique En France, la fonction d’autorité de contrôle, au départ en matière de sûreté nucléaire, s’est mise progressivement en place à partir de 1973. Sous l’impulsion de différentes évaluations du dispositif de contrôle des activités nucléaires, on a assisté ainsi à un processus d’autonomisation progressif de l’autorité de contrôle, tout d’abord vis-à-vis de l’opérateur, puis vis-à-vis d’une tutelle administrative unique.

Du “zin zin” à l’ASN

La montée en puissance d’une autorité de contrôle indépendante se caractérise par un triple processus : amélioration du statut de l’autorité (d’un service au sein du Ministère de l’Industrie à une autorité administrative indépendante) ; transfert progressif de nouvelles compétences (transport, radioprotection) ; croissance des moyens internes (ressources humaines).

La création du SCSIN

La fonction de contrôle est progressivement créée au sein de l’administration par l’apparition d’un service dédié, le Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires (SCSIN), créé en 1973, au sein d’une direction du Ministère de l’Industrie. Le SCSIN a pour missions de définir les objectifs de sûreté, d’instruire les autorisations et de surveiller par le biais d'inspections. La relation entre l'exploitant et l'autorité de sûreté (au sein du gouvernement) est fondée sur l'indépendance de jugement et de décision d'une part, sur la complémentarité des responsabilités (l’administration détermine les objectifs de sûreté, l'exploitant définit les modalités techniques pour les atteindre) d'autre part. Par décision ministérielle du 27 mars 1973, sont institués des “groupes permanents d’experts”, dont l’une des caractéristiques est de réunir des personnes venant des secteurs de la conception, de la construction et de l’exploitation, ainsi que des techniciens de sûreté. Ces groupes, indépendants du futur IPSN, comprennent des experts, dont par la suite des étrangers, qui fournissent des recommandations à l'autorité de contrôle. Pour assurer une organisation cohérente et sans lacune, a été créé le 4 août 1975 le Comité Interministériel de la Sécurité Nucléaire (CISN), chargé de coordonner toutes les actions des différents ministères.

La création de la DSIN

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En 1993, le SCSIN est transformé en Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires (DSIN). La création d’une “autorité de sûreté” dotée du statut de direction visait, après l’accident de Tchernobyl, à affirmer le caractère fondamental de la sûreté nucléaire. Elle permettait également, dans un souci d’efficacité, d’offrir à l’“autorité” le cadre institutionnel le plus adéquat à la réalisation de ces missions dans un contexte où ses effectifs étaient passés d'une dizaine d'agents en 1973 à environ une centaine en 1998. La seconde innovation introduite par le décret de 1993 est de mettre fin à la tutelle unique du Ministère de l’Industrie sur l’autorité de contrôle en plaçant la DSIN sous la double tutelle des ministères chargés de l'Industrie et de l'Environnement se rapprochant ainsi de l’organisation institutionnelle dans le domaine risque chimique où cette responsabilité incombe à la Direction de la Prévention des Pollutions et des Risques (DPPR) au sein du Ministère de l’Environnement, donc affranchie de toute tutelle du ministère de l’industrie. Les compétences de la DSIN sont encore accrues en 1997, avec le contrôle du transport des matières radioactives, auparavant du ressort du ministère des transports.

La création de la DGSNR

La Direction Générale de la Sûreté Nucléaire et de la Radioprotection (DGSNR) a été créée par décret le 22 février 2002. Outre le fait d’assurer le statut de direction générale à l’autorité de contrôle, la principale innovation introduite par la création de la DGSNR est de rassembler les compétences de la DSIN, du bureau des rayonnements ionisant de la Direction Générale de la Santé, de la partie régalienne de l’OPRI et de la Commission Interministérielle des radioéléments artificiels (CIREA). L’inspection de la radioprotection dans le domaine du travail reste cependant de la compétence du Ministère du Travail. Par ailleurs, le décret de création de la DGSNR accroît la pluralité de ses tutelles, qui relève désormais des ministres chargés de l’environnement, de l’industrie et de la santé.

Le contrôle de la radioprotection

Dès 1951, le Service de Protection Radiologique (SPR) est créé au sein du CEA. Ce service est placé sous l'autorité directe du Haut Commissaire. Le SPR intervient dans la totalité des établissements du CEA. En 1956, le SPR est remplacé par deux services dits "complémentaires" : le Service d’Hygiène Atomique et Radio-Pathologie (SHARP), et le Service de Contrôle Radiologique et de Génie Radioactif (SCRGR).

Le SCPRI : premier organisme d’expertise et de contrôle indépendant de l’opérateur

Le Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants (SCPRI) est créé par l'arrêté du 13 novembre 1956 à l'initiative du Professeur Louis Bugnard, au

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sein de l'Institut national d'hygiène qui dépend du Ministère de la Santé. Sa direction sera confiée au Professeur Pierre Pellerin. Son fonctionnement sera précisé par l'arrêté du 16 août 1960. Bien que le SCPRI soit créé au sein d’un institut dépendant administrativement du Ministère de la Santé, d'autres ministères sont cosignataires de l'arrêté de création : départements ministériels en charge de l'énergie atomique et du travail. Lors de sa création, le SCPRI avait pour mission de contrôler les installations nucléaires ne relevant pas du CEA, notamment dans le secteur médical. Dans les années 60 et 70, le SCPRI s’affirme à la fois comme l’autorité sanitaire, indépendante des opérateurs nucléaires, en matière de radioprotection et comme l’organisme technique disposant de laboratoires et de réseaux de surveillance environnementale. Aux termes du décret du 15 mars 1967 et ses arrêtés d’avril 1968 la surveillance dosimétrique individuelle des travailleurs est assurée par le SCPRI. Il dispose de fait sinon de droit d’une réelle indépendance pour exercer ses missions.

La création de l’OPRI

En 1994, le SCPRI est transformé en Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants (OPRI). La création de l’OPRI est une conséquence des critiques formulées contre le SCPRI à l’occasion de l’accident de Tchernobyl. Elle résultait également de la volonté de doter cette institution de statuts plus clairs et plus autonomes. L’OPRI fut ainsi doté du statut d’établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle directe du gouvernement. L’OPRI est alors placé sous la tutelle conjointe des ministères chargés de la santé et du travail. Plutôt que de développer leurs propres services, ces ministres, ont préféré pour le contrôle de la radioprotection se reposer sur l’appui technique que constituait l’OPRI : seul un bureau ou une partie d’un bureau était en charge des problèmes de radioprotection dans chacun des deux ministères, ce qui représentait globalement moins d’une dizaine de personnes. L’OPRI exerce donc à la fois les rôles d’expert et d’autorité comme cela est habituel dans le champ de la santé. L’office fut également doté de différentes instances dirigeantes et d’instances de recours internes dont ne bénéficiait pas le SCPRI : une présidence ; un conseil d’administration ; un conseil scientifique ; une représentation syndicale ; un contrôle par le bureau de la radioprotection au sein du ministère chargé de la santé.

La convergence du dispositif de contrôle des installations de défense

Le nucléaire de défense subit la même pression de la société pour plus de transparence et de sûreté que le nucléaire civil.

L’ancien système de suivi des installations nucléaire de défense

L’autorité de contrôle était assurée par une Commission Mixte de Sûreté (CMS) regroupant le Ministère de la Défense et le CEA qui se partagent la direction des différentes instances :

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Un Comité directeur présidé par le Directeur Général de l’Armement (DGA) Un Comité d’études présidé par le Haut Commissaire à l’Energie Atomique (HCEA). Ce Comité se contente de fait d’avaliser des avis émis par les commissions d’experts ad hoc sur présentation d’une évaluation de sûreté. L’IPSN était rapporteur devant ces commissions au sein desquelles se situait la prise de décision. Les présidents des commissions disposaient de la réalité du pouvoir de décision. Ce système présentait la caractéristique de maintenir un lien explicite entre l’autorité de contrôle et les exploitants (CEA, armées).

Le système actuel de suivi des installations de défense

Le nouveau dispositif de suivi des installations de défense a été organisé par le décret du 5 juillet 2001. Le décret crée une autorité unique indépendante des exploitants, équivalente de la DGSNR pour les installations de défense, le Délégué à la Sûreté et à la radioprotection des installations et activités Nucléaires intéressant la Défense (DSND). Le DSND est placé sous la double tutelle du Ministère de la Défense et du Ministère de l’Industrie. Le Ministère de l’Environnement ne fait pas partie des tutelles, il s’agit d’une des différences majeures avec le suivi des installations civiles. Depuis 2003, un fonctionnement nouveau avec l’IRSN a été formalisé. Les avis techniques de l’Institut peuvent être transmis par deux voies : soit par rapport présenté aux commissions ad hoc du DSND ou soit par réponse à une saisine directe du DSND. La réorganisation de l’autorité de contrôle a donc conduit à réduire le pouvoir décisionnel des présidents des commissions ad hoc. Leurs avis n’ont plus valeur de décision à caractère opérationnel. Ainsi, pour chaque question importante de sûreté, le DSND envoie une saisine au président de la commission ad hoc concernée. L’instruction est assurée par l’IRSN qui présente ses propositions de recommandations à la commission. A l’issue d’un débat contradictoire, celle ci émet des avis et recommandation au DSND qui, in fine, prend sa décision qu’il notifie à l’exploitant. Cette démarche est très similaire à celle retenue pour la sûreté des installations nucléaires de base civile. Les commissions de sûreté sont l’équivalent des groupes permanents qui formulent des avis et recommandations auprès de la DGSNR. Dans les deux cas, les réunions sont précédées d’une phase d’instruction qui conduit à un dialogue technique entre l’IRSN et l’exploitant qui permet d’identifier clairement les points d’accord et de désaccord. Les points d’accord font en général l’objet d’un engagement de la part de l’exploitant ; les points de désaccord sont débattus en réunion de commission.

La création d’une Autorité de Sûreté Nucléaire indépendante

La loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire effectue un pas de plus dans le sens de l’indépendance de l’autorité de contrôle en

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créant une Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) dotée du statut d’autorité administrative indépendante. L’adoption cette loi conclut ainsi un processus de préparation et de discussions parlementaires de plusieurs années.

Les compétences et missions de la nouvelle ASN

La plupart des compétences attribuées à l’ASN reprennent celles exercées jusqu’à présent par la DGSNR. Le premier pouvoir de cette nouvelle autorité administrative indépendante est un pouvoir de décision. Ce pouvoir réglementaire à caractère technique est en réalité transféré du gouvernement vers les cinq commissaires de l’autorité. Les décisions prises par l’ASN sont soumises à l’homologation des ministres chargés, selon les cas, de la sûreté nucléaire ou de la radioprotection. Outre ces compétences, l’ASN détient une compétence de contrôle. L’autorité assure en effet le contrôle du respect des règles générales et des prescriptions particulières en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection. Cette compétence se prolonge par un pouvoir de nomination des inspecteurs de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, d’agrément des organismes qui participeront au contrôle et à la veille en matière de sûreté et de radioprotection. L’ASN est également consultée en cas de risque grave et elle prépare la délivrance des autorisations d’exploitation des INB par le gouvernement, tout en édictant les prescriptions nécessaires à son exécution. Enfin, l’autorité est consultée par le ministère chargé de la sûreté nucléaire avant la fermeture d’une INB. La seconde compétence que détient l’ASN est un pouvoir d’influence. L’ASN est ainsi consultée sur tous les projets de texte relatifs au nucléaire.

L’indépendance de l’ASN

L’indépendance de l’autorité vis-à-vis du gouvernement est garantie, dans la loi de 2006, par son mode de gouvernance et plus particulièrement par l’irrévocabilité du mandat de ses membres. Ainsi, la loi dispose que l’autorité est constituée d'un collège de cinq membres nommés par décret en raison de leur compétence dans les domaines de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Trois des membres, dont le président, sont désignés par le Président de la République. Les deux autres membres sont désignés respectivement par le président de l'Assemblée nationale et par le président du Sénat. Le mandat des membres est d'une durée de six ans. Par ailleurs, l’article 11 de la loi indique qu’ “ il ne peut être mis fin aux fonctions d'un membre qu'en cas d'empêchement ou de démission constatés par l'Autorité de sûreté nucléaire statuant à la majorité des membres de son collège ou dans les cas prévus à l'article 13. Toutefois, le Président de la République peut également mettre fin aux fonctions d'un membre du collège en cas de manquement grave à ses obligations.”

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Principales étapes de la mise en place d’une autorité de contrôle indépendante

1945

Création du CEA

1963

Décret INB

1973

Création du SCSIN

1991

Création de la DSIN

1991

2002

Création de la DGSNR

2006

Création de l’ASN

Création du SCPRI

1957

Création de l’OPRI

1994

4. La mise en place d’un expert public indépendant couplant recherche et expertise

Le dispositif français de suivi des activités nucléaires se caractérise par la présence d’un institut d’expertise français distinct de l’autorité de contrôle et indépendant de l’opérateur historique, le CEA, depuis 2002. Cette configuration se distingue par exemple du contexte américain où la Nuclear Regulatory Commission (NRC) regroupe les fonctions de contrôle et d’expertise. L’IRSN est caractérisé par le regroupement de capacités d’expertise et de recherche en sûreté, radioprotection et sécurité nucléaire. Par ailleurs, il se distingue par le regroupement d’importantes capacités de recherche complémentaires de ses missions d’expertise.

La création de l’IPSN au sein du CEA

Le décret du 2 novembre 1976 a rassemblé les moyens de recherche et d’analyse de sûreté du CEA (notamment le Département de la sûreté nucléaire et le Département de protection technique) au sein d'une seule direction opérationnelle, l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN).

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Le CEA garde par cet intermédiaire le rôle d’expertise technique, totalement distinct du processus administratif d'autorisation assurée par le SCSIN depuis sa création en 1973, la responsabilité des installations restant au seul exploitant.

L’autonomisation de l’expert public

A la suite de l’accident de Tchernobyl, l’OPECST fut saisi à la fin du mois de mai 1986 par l’Assemblée Nationale et le Sénat. Dans ce premier rapport, l’office avait insisté sur la nécessité de garantir l’indépendance de l’IPSN vis à vis du CEA32.

Le décret de 1990 : autonomisation de l’IPSN

Le 28 mai 1990, les ministres de l'Industrie et de l'Environnement renforcent fortement l’autonomie de l'IPSN en dotant l’Institut d’un Comité Directeur, compétent en matière de programmes et de budget, indépendant du CEA. Son Directeur est désormais nommé conjointement par les deux ministres de tutelle (Industrie et Environnement), sur proposition conjointe de l’administrateur général du CEA et du haut commissaire à l’énergie atomique, après avis du secrétaire général du comité interministériel de la sécurité nucléaire. L’IPSN est également doté d’un Comité Scientifique chargé d’évaluer la pertinence de ses programmes et ses résultats de recherche. Ces deux organes, Comité Directeur et Comité Scientifique, sont ouverts à des élus, des industriels et des personnalités qualifiées, françaises et étrangères. Par ailleurs, le décret de 1990 confirme la double vocation de recherche et d'expertise de l’Institut. Tout en conférant une large autonomie à l’Institut, le décret conserve son appartenance au CEA, en particulier pour bénéficier des synergies possibles sur la formation et la carrière des personnels et maintenir l’IPSN au contact d’une des sources du développement des connaissances.

Le décret de 1994 : une autonomisation de l’OPRI

Le décret de 1994 créant l’OPRI (cf. 1.3) visait notamment à accroître l’autonomie de l’organisme public en matière de radioprotection (à la fois expert et autorité), en dotant celui-ci d’un statut d’établissement public administratif et en clarifiant le statut de ces agents. Néanmoins, le rapport Le Déaut de 1998 affirmait que la radioprotection restait le “parent pauvre de notre organisation”. Le rapport soulignait ainsi le caractère sous dimensionné des moyens de l’OPRI par rapport à ses missions. L’Office était ainsi selon le rapport Le Déaut doté de trop faibles capacités d’expertise tandis que ses programmes de recherche restaient “trop maigres”.

32 Rapport Rausch-Pouille-Valade du 17/12/87

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Les évolutions concernant l’expert public au cours du processus de préparation législatif

La loi créant l’AFSSE et l’IRSN en 2001 constituait l’aboutissement d’un important processus de préparation d’un cadre législatif encadrant le suivi des activités nucléaires.

Le rapport Le Déaut

Le rapport Le Déaut en 1998 (voir précédemment) est la première étape dans la constitution d’une institution publique d’expertise indépendante du CEA et intégrant les dimensions de radioprotection et de sûreté nucléaire. Ainsi, le résumé des conclusions du rapport comporte les points suivants :

“Les enjeux de sûreté et radioprotection sont intimement liés, c'est pourquoi il est nécessaire de rapprocher la radioprotection et la sûreté, comme dans d'autres pays (Grande-Bretagne, Allemagne). (…) Un expert en sûreté ne peut pas dépendre d'un exploitant ni d'un grand organisme de recherche promoteur du nucléaire. Il faut séparer administrativement l'IPSN (Institut de Protection et de Sécurité nucléaire) du CEA (Commissariat à l'Energie Atomique). (…) une agence française de radioprotection et de sûreté nucléaire, qui reprendrait les personnels et les compétences de l'OPRI (Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants) et de l'ensemble de l'IPSN. Cette agence serait un établissement public. La condition de réussite de cette réforme est l'alignement du statut des personnels sur les statuts du CEA et la constitution de passerelles larges et solides entre cette agence et les organismes de recherche. ”

Les principales étapes de préparation de la loi AFSSE

A la suite du rapport Le Déaut, une réunion interministérielle est organisée le 9 décembre 1998 autour du nucléaire. Les conclusions de cette réunion définissent un cadre de gouvernance des activités nucléaires en France. Parmi les principales options retenues par le gouvernement, on relève la confirmation de la séparation de l’IPSN du CEA. En revanche, le rassemblement des moyens d’expertise de l’IPSN et de l’OPRI n’est pas confirmé, le gouvernement préférant renforcer les moyens humains, financiers et techniques à disposition de l’OPRI. C’est en mai 2000 que le rapprochement de l’OPRI et de l’IPSN est décidé par le gouvernement.

La création d’un IRSN indépendant

La loi AFSSE

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L’IRSN a été finalement institué par la loi du 9 mai 2001 créant une Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE). La création de l’Institut occupe une place relativement limitée dans le texte de loi et n’intervient que dans l’article 5 de celle-ci (constituant le titre III, “Dispositions diverses” du texte) stipulant que :

“L'Office de protection contre les rayonnements ionisants et l'Institut de protection et de sûreté nucléaire sont réunis au sein d'un établissement public industriel et commercial dont le personnel est régi par les dispositions du code du travail, dénommé Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.”

Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités du transfert de ces organismes et le statut du nouvel établissement public. Il précise quelles sont, parmi les missions exercées par les deux organismes réunis, celles qui doivent revenir à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. La loi de 2001 restait ainsi muette concernant les missions du futur Institut et se bornait à indiquer les modalités par lesquelles ces missions seraient définies par les futurs décrets d’application.

Le décret de création de l’IRSN

La création de l'IRSN s'est concrétisée le 13 février 2002 par l'adoption en Conseil des ministres du décret relatif aux missions et au fonctionnement de l'IRSN. Il est publié au journal officiel le 26 février 2002 (simultanément au décret de création de la DGSNR). Les missions d'expertise et de recherche sont exercées par l’IRSN dans les domaines suivants :

- La sûreté nucléaire ; - La sûreté des transports de matières radioactives et fissiles ; - La protection de l'homme et de l'environnement contre les rayonnements

ionisants ; - La protection et le contrôle des matières nucléaires et des produits

susceptibles de concourir à la fabrication d'armes ; - La protection des installations et des transports contre les actes de

malveillance.

L’expertise absente de la loi de transparence nucléaire ?

La loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire ne comporte aucune référence explicite à la fonction d’expertise publique, alors même que la loi réorganise le dispositif de suivi des activités nucléaires.

Cependant, l’IRSN n’a pas été totalement absent des débats parlementaires puisque deux logiques principales s’y sont affrontées :

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- maintenir un lien fort entre l’IRSN et la nouvelle Autorité de Sûreté Nucléaire devenue indépendante : Claude Birraux déclare ainsi à l’Assemblée Nationale que “s’il était logique de séparer l’IRSN du CEA, ce serait en revanche une hérésie que de le [l’IRSN] séparer de la Haute Autorité de Sûreté Nucléaire” (29 mars 2006, JO AN, p.2378)

- renforcer encore l’indépendance de l’IRSN vis-à-vis de cette même Autorité afin d’éviter que l’IRSN ne rentre dans le giron de l’ASN : Bernard Piras affirme ainsi que “l’IRSN ne doit pas tomber sous la coupe de la Haute Autorité, au risque de mélanger les rôles de prescripteur et de contrôleur, qui doivent être bien séparés” (7 mars 2006, JO AN, p.1845)

Deux sujets ont particulièrement cristallisé les discussions autour de l’IRSN : - son financement. - la publicité de ses avis : certains parlementaires ont demandé, en vain,

d’inclure un article rendant les avis de l’IRSN publics ; le gouvernement considère que la loi du 17 juillet 1978 sur l’accès aux documents administratifs suffit et que les avis sont propriété du demandeur.

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. Principales étapes de l’émergence d’un expert public indépendant

1945

Création du CEA

1976

Création de l’IPSN

1990

Autonomie IPSN

2001

Création de l’IRSN Fusion IPSN/OPRI

2006

1998Rapport Le Déaut

1994

Création de l’OPRI

1957

Création du SCPRI

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5. La mise en place de démarches et d’instances de consultation et d’information

L’ouverture des processus de décision et la question de l’information du public en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection est devenue un enjeu politique majeur en France, notamment depuis l’accident de Tchernobyl. Dans ce contexte, différentes démarches ont été mises en place et plusieurs instances locales ou nationales de concertation et d’information du public ont été créées.

La Circulaire Mauroy de 1981

La première reconnaissance de ses nouveaux acteurs par les pouvoirs publics est constituée par la circulaire du gouvernement de Pierre Mauroy publiée le 15 décembre 1981. Cette circulaire invitait les Conseils Généraux33 à établir une Commission Locale d’Information (CLI) autour de chaque grand équipement énergétique du territoire départemental. Ces instances de concertation ont une double mission :

- Une mission de suivi de l’impact des installations - Une mission d’information auprès des populations locales

Il existe aujourd’hui plus de 30 Commissions Locales d’Information (CLI) créées dans le cadre de la circulaire de 1981 ou avant cette date. Il faut y ajouter le Comité local d'information et de suivi (CLIS) du laboratoire souterrain de Bure créé en application de la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs et les Comités d’Information auprès des Installations Nucléaires de Base Secrètes.

La commission Castaing

Une des premières tentatives d’ouverture de l’expertise publique à des acteurs “extérieurs” fut la “Commission sur la gestion des combustibles irradiés” créée par le gouvernement Mauroy en novembre 1981 ayant pour mission de réfléchir sur la gestion des déchets nucléaires34 et les choix techniques associés. Cette Commission, présidée par Raymond Castaing de l’Académie des Sciences, incluait des syndicalistes (de la CFDT et de la CGT) ainsi que des experts indépendants, venant du monde associatif, comme le GSIEN. Placée sous tutelle du Ministère de l’Industrie, la Commission devait remettre en avril 1982 un premier avis

33 A l’époque présidés par les préfets

34 Cette commission fut créée à la suite du débat parlementaire d’octobre 1981 sur le programme nucléaire français.

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sur le retraitement des combustibles irradiés avant que ne démarrent les travaux de construction d’une nouvelle usine à La Hague35.

La création du CSSIN

Le Conseil Supérieur de la Sûreté et de l’Information Nucléaire (CSSIN) a été créé par le décret du 13 mars 1973 et modifié par le décret du 13 mars 1987 : la prise en compte du besoin d’information à la société civile est constitutive du passage du CSSN au CSSIN après l’accident de Tchernobyl.

Une instance consultative pluraliste

Le CSSIN est un forum d’échange qui accueille des personnalités venant d’horizons très divers : “parlementaires, personnalités choisies en raison de leur compétence scientifique, technique, économique ou sociale, spécialistes de l’information ou de la communication, représentants d’organisations syndicales représentatives et d’associations ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement, représentants des exploitants et membres des administrations directement concernées”. Au total, il comporte 38 membres. Il est consulté par le ministère de l’Industrie sur les “dispositions envisagées pour assurer une bonne information des populations sur la sûreté ainsi qu’en cas d’incident ou d’accident survenu dans les installations” et leur adresse des recommandations.

Une capacité d’influence sur le suivi des activités nucléaires

Le CSSIN peut également décider de confier à des groupes de travail l’étude de sujets particuliers en faisant éventuellement appel à des personnalités extérieures. La DGSNR le tient informé de ses actions. Elle lui présente notamment son rapport annuel d’activité et assure son secrétariat. Le CSSIN a été à l’origine d’un certain nombre d’initiatives concernant l’information en matière de sûreté nucléaire comme la construction d’une échelle de gravité visant à la classer les évènements susceptibles de survenir sur une installation nucléaire. Elle est aujourd’hui devenu l’échelle INES (International Nuclear Event Scale) utilisée dans plus de 50 pays dans le monde.

La création du Haut Comité pour la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire

La loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, en créant un Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité

35 Dans les faits, les travaux d’infrastructures routières et de l’usine furent lancés sans attendre cet avis.

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nucléaire, a pour objectif de renforcer les moyens existants en matière d’information du public et de concertation.

Il s’agit d’une “instance de concertation et de débats sur les risques liés aux activités nucléaires et l’impact de ses activités sur la santé des personnes, sur l’environnement et sur la sécurité nucléaire. A ce titre, il peut émettre un avis sur toute question dans ces domaines, ainsi que sur les contrôles et l’information qui s’y rapportent. Il peut également se saisir de toute question relative à l’accessibilité de l’information en matière de sécurité nucléaire et proposer toute mesure de nature à garantir ou à améliorer la transparence en matière nucléaire”. De plus, selon l’article 26 de la loi TSN, “les crédits nécessaires à l’accomplissement des missions du Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire sont inscrit au budget de l’Etat”, ce qui lui confère une indépendance nouvelle vis-à-vis de l’autorité en ce qui concerne ses moyens. Cette instance est composée de membres nommés pour six ans par décret, au nombre de quatre pour les parlementaires et de cinq au titre de chacune des autres catégories, ainsi répartis :

1. Deux députés désignés par l'Assemblée nationale et deux sénateurs désignés par le Sénat ;

2. Des représentants des commissions locales d'information ; 3. Des représentants d'associations de protection de l'environnement; et

d’associations ayant une activité dans le domaine de la santé publique (au sens de l’article L.1114-1 du Code de la santé publique);

4. Des représentants des personnes responsables d'activités nucléaires ; 5. Des représentants d'organisations syndicales de salariés représentatives ; 6. Des personnalités choisies en raison de leur compétence scientifique,

technique, économique ou sociale, ou en matière d'information et de communication, dont trois désignées par l’OPECST, une par l'Académie des Sciences et une par l'Académie des Sciences Morales et Politiques ;

7. Des représentants de l'Autorité de Sûreté Nucléaire, des services de l'État concernés et de l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire.

Le président du Haut Comité est nommé par décret parmi les parlementaires, les représentants des commissions locales d'information et les personnalités choisies en raison de leur compétence qui en sont membres.

La charte de l’environnement et le Code de l’environnement

La charte de l’environnement, intégrée à la Constitution le 28 février 2005, a pour objet de promouvoir le développement durable et d’intégrer dans la réalité juridique française un certain nombre de "droits environnementaux". Parmi ceux-ci est consacré “le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités

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publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement”, repris quasiment tel quel d’un article du Code de l’Environnement, élaboré en 2002 (loi n° 2002 – 276 du 27 février 2002 art. 132). Ce dernier chargeait la Commission du Débat Public de veiller au respect de la participation du public au processus d’élaboration des projets. Il est prévu que le débat porte “sur l’opportunité, les objectifs et les caractéristiques principales du projet”. Cette mission ne s’accompagne cependant d’aucun mandat précis quant à la forme de cette participation et n’inclue pas, pour la CDP, l’objectif de se prononcer sur le fond des projets qui lui sont soumis. Elle n’est pertinente, de plus, que sous réserve du secret défense, “du secret industriel et de tout secret protégé par la loi”. Ce code affirme, de plus, l’obligation pour l’autorité publique de communiquer au public, en tenant compte des réserves précédentes, toute information relative à une émission de substance dans l’environnement

Les débats organisés par la CNDP autour du nucléaire

La Commission Nationale du Débat Public (CNDP) constitue un outil générique de structuration de dialogue et de débat autour des politiques publiques d’aménagement et de développement. Depuis sa création en 1995, trois débats publics ont été organisés par la CNDP autour des activités nucléaires :

- Le premier débat portait sur les “options générales en matière de gestion des déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue”. Il s’est déroulé du 12 septembre 2005 au 13 janvier 2006.

- Le deuxième portait sur le projet de centrale EPR “tête de série” à Flamanville. Il s’est déroulé du 19 octobre 2005 au 18 février 2006.

- Le troisième débat portait sur le projet ITER en Provence. Il s’est déroulé du 16 janvier au 6 mai 2006. Ce débat se situait dans le prolongement de deux concertations organisées sous l’égide de la CNDP à Cadarache autour de projets du CEA : la concertation recommandée sur l’installation du site CEDRA (conditionnement et entreposage de décrets) et la concertation recommandé “Jules Horowitz” (construction d’un réacteur de recherche). Une concertation est recommandée au maître d’ouvrage quand, après une saisine, la CNDP juge qu’il n’y a pas lieu d’organiser un débat public.

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6. La montée en puissance d’acteurs locaux se dotant d’une capacité à faire entendre leur voix

Parallèlement à la mise en place des trois fonctions (autorité, exploitation, expertise) constituant le dispositif “officiel” de suivi des activités nucléaires, on observe la montée en puissance de composantes de la société civile et d’acteurs locaux, regroupés notamment au sein des Commissions Locales d’Information (CLI). L’émergence de ce “quatrième acteur” a progressivement conduit à sa reconnaissance par les autres acteurs.

La naissance des CLI et leur structuration au niveau national

L’émergence d’une mobilisation citoyenne autour des activités nucléaires remonte à l’accélération du programme nucléaire par le gouvernement de P. Messmer dans les années 70. Cette mobilisation avait conduit à une première structuration d’acteurs au sein de groupements associatifs comme le Groupement des Scientifiques pour l'Information sur l'Energie Nucléaire (GSIEN) créé en 1976. La circulaire Mauroy de 1981 a offert une première reconnaissance officielle aux structures existantes et à celles qui ont été créées par la suite. Depuis 2000, les CLI se sont dotées d’une instance permettant de faire entendre leur voix au niveau national, l’ANCLI.

La mobilisation citoyenne autour des activités nucléaires

L’accident de Tchernobyl conduira à une seconde phase de mobilisation marquée par la création d’organismes d’expertise associatifs comme l’Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest (ACRO) et la Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité (CRIIRAD).

La création de l’ANCLI

La Conférence annuelle des Présidents de CLI, organisée par la DGSNR (Direction Générale de la Sûreté Nucléaire et de la Radioprotection) était, jusqu'en 2000, l'unique occasion pour les CLI de se rencontrer, de comparer leurs expériences et de faire entendre leurs voix sur les sujets de débat national autour du nucléaire. Cette réunion était préparée par la DGSNR avec la collaboration de quelques présidents de CLI : le bureau de la Conférence des Présidents. L’Association nationale des Commissions locales d’information (ANCLI) a été créée le 5 septembre 2000 avec pour objet de constituer un réseau d’échange et d’information pour les CLI, d’être un centre de ressources, et d’être l’interlocuteur des pouvoirs publics ainsi que des organismes nationaux et internationaux dans le domaine du nucléaire. L’ANCLI a également pour ambition de s’affirmer comme un acteur à part entière du suivi des activités nucléaires et du débat concernant l’organisation de ce suivi. Ses statuts ont été révisés en 2005, introduisant entre

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autres, la pluralité du conseil d’administration désormais composé de représentants des quatre collèges (élus ; associations de défense de l’environnement ; représentants des salariés, personnalités qualifiées ; experts et représentants du monde économique). L’ANCLI a ainsi publié deux “Livres Blancs” dans le contexte des débats parlementaires sur les lois de transparence et de gestion des déchets.

La reconnaissance légale des CLI et de l’ANCLI

La loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire a constitué une étape fondamentale du processus de reconnaissance de la montée en puissance de la société civile dans la gouvernance des activités nucléaires.

La consécration apportée par la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire

En effet, dans son article 22, la loi de 2006 reconnaît explicitement le rôle des CLI : “Auprès de tout site comprenant une ou plusieurs INB telles que définies à l’article 28 est instituée une commission locale d’information chargée d’une mission générale de suivi, d’information et de concertation en matière de sûreté nucléaire, de radioprotection et d’impact sur les travailleurs, le public et l’environnement pour ce qui concerne les installations du site. La CLI assure une large diffusion des résultats, de ses travaux sous une forme accessible au plus grand nombre“36.

Par ailleurs, il est stipulé plus avant dans le même article que “les commissions locales d'information peuvent constituer une fédération, sous la forme d'une association, chargée de les représenter auprès des autorités nationales et européennes et d'apporter une assistance aux commissions pour les questions d'intérêt commun“37.

Un financement clarifié

Par ailleurs, la loi de transparence définit les modalités du financement des CLI comprenant la contribution d’une taxe prélevée sur les INB. Ainsi, ” les dépenses des CLI sont financées par :

- L’Etat ; - Les collectivités territoriales et leurs groupements.

36 Article 22 – I.

37 Article 22 – VII.

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Si la commission est dotée de la personnalité juridique (…) elle peut recevoir une partie du produit de la taxe instituée par l’article 43 de la loi de finance pour 2000 (…)”.

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7. La mise en place par l’IRSN d’une stratégie d’ouverture à la société

L’IRSN s’est engagé depuis sa création en 2002 dans une démarche “d’ouverture à la société”. Cette démarche, qui constitue un des quatre axes prioritaires de la stratégie de l’institut, recouvre une diversité d’initiatives visant à modifier ses relations avec la société civile aussi bien dans la construction de ces travaux d’expertise que dans la publication et la diffusion de ceux-ci (mise à disposition de ses travaux et facilitation de leur accès). La volonté d’ouverture à la société de l’expert public résulte d’un processus progressif de construction d’une doctrine interne concernant les missions de l’IRSN et, en externe, par la participation de l’Institut à des processus expérimentaux d’expertise pluralistes impliquant la participation de composantes de la société civile.

La construction d’une doctrine interne à l’IRSN

Depuis une dizaine d’années, les agents de l’IPSN et de l’OPRI ont parcouru un long cheminement interne d’interprétation de leur cadre statutaire et de leurs missions.

Une diversité de démarches internes d’interprétation des missions de l’Institut

Ce travail d’interprétation du cadre juridique et institutionnel effectué par les agents a été particulièrement intense au moment de la création de l’IRSN. Parmi les différentes démarches internes, on peut citer :

- La démarche interne à l’IPSN de préparation de la Charte de déontologie du 4 août 1997 ;

- La démarche commune à l’IPSN et à l’OPRI de préparation d’un “document fondateur” pour l’IRSN en 2001.

- La démarche interne à l’OPRI ”vers l’IRSN“ en 2001 ; - Démarche interne à l’IRSN portant sur l’organisation de la transparence du

travail de l’Institut ; novembre 2004. Le travail effectué a permis une appropriation et une interprétation des missions et fonctions telles que définies par les textes de loi et décrets portant création de l’IRSN.

Une “doctrine interne”

Les différentes démarches mises en œuvre au sein de l’Institut conduisent à faire émerger un certain nombre de valeurs et à l’émergence de principes qui pourraient constituer l’interprétation interne du statut et des missions de l’Institut. Parmi ces valeurs et ces principes on peut citer les principes suivants :

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- Une structure spécifique et indépendante de l’exploitant et de l’autorité est nécessaire à l’existence d’une expertise publique crédible ;

- Validation du cadre existant : la création de l’IRSN ne doit pas mener à une révolution mais avant tout faire reconnaître les missions et les métiers existant au sein de l’Institut ;

- La notion de service public constitue une dimension essentielle de la mission du futur Institut. Les agents de l’IRSN estiment travailler pour la société et non uniquement pour l’autorité de sûreté.

- L’expertise publique doit développer des démarches de partage de son expertise avec la société à travers différentes modalités :

o la “transparence passive” : mise à disposition des documents d’expertise ;

o le “droit de visite” : participation du public à la définition du cahier des charges d’une expertise ;

o capacité de la société à mener ou commander une contre-expertise ; o l’expertise pluraliste, méthode d’expertise la plus élaborée.

Les expériences fondatrices d’ouverture à la société

La démarche d’ouverture à la société développée depuis 2002 par l’IRSN trouve son origine dans la participation de l’Institut à des processus expérimentaux d’expertise impliquant la participation de composantes de la société civile.

Le Groupe Radio-écologie Nord Cotentin (GRNC)

Ce groupe a été créé à la demande du gouvernement dans le contexte d’une crise après qu’un épidémiologiste eut observé une accumulation de leucémie dans un canton de la région et eut avancé l’hypothèse d’une possible relation causale avec les rejets des installations nucléaires du Nord Cotentin et notamment de l’usine de retraitement de COGEMA La Hague. Il s’agissait d’évaluer les risques de leucémie attribuables au rejets radiologiques et chimiques de ces installations Le GRNC a constitué une innovation par sa composition pluraliste (experts institutionnels, associatifs, industriels et experts étrangers), par ses règles de fonctionnement (transparence, pas d’obligation de consensus, explication des incertitudes et des points de désaccord, recherche de l’exhaustivité) et par sa méthode (présentation régulière des travaux à la CSPI de La Hague et à des associations locales). Parmi les différentes conclusions tirées de l’expérience du GRNC :

- la construction d’une opinion collective mettant en évidence les points d’accord et de controverse au sein d’un groupe national d’expertise pluraliste (GRNC) s’est révélée faisable. Par expertise pluraliste on entend l’implication des partes prenantes d’origines diversifiées qui sont : les organismes publics d’expertise, associatifs, exploitants et des experts de la communauté scientifique internationale concernés par les sujets traités.

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- L’organisme d’expertise public, en l’occurrence l’IPSN (depuis IRSN) a joué un rôle clé dans la préparation du travail d’analyse présenté au GRNC et dans l’animation des débats entre experts de toute origines.

Le développement d’une réflexion exploratoire interne l’IPSN puis à l’IRSN

Les perspectives ouvertes par l’expérience du GRNC ont conduit la Directrice Déléguée à la Protection de l’IPSN, Annie Sugier qui présidait le GRNC, à mettre en place, en avril 2000, un groupe de travail chargé de dégager les enseignements de l’expérience française et internationale en matière de concertation autour des sites industriels nucléaires et non nucléaires.

Le groupe de réflexion multidisciplinaire sur les “approches de concertation autour des sites industriels”

Le travail de recherche sur les “enjeux de la concertation autour du suivi des installations industrielles nucléaires et non nucléaires” s’est notamment appuyé sur l’expérience du GRNC. La première étape s’est déroulée de fin avril 2000 à septembre 2000. Elle comprenait la réalisation d’une étude sur les évolutions internationales dans ce domaine et une enquête menée en France auprès des associations. Le rapport final a été diffusé par l’IPSN en avril 200138. La seconde étape s’est déroulée de septembre 2000 à juin 2001. Elle a été menée par un groupe multidisciplinaire composé de participants IPSN et d’un groupe de participants extérieurs (gouvernance des activités à risques, radioprotection, droit de l’environnement). L’objectif de la seconde étape était de réaliser quelques études de cas détaillées concernant la concertation autour de sites industriels et d’étudier leur contexte juridique.

Les séminaires de Ville d’Avray 1 et 2

A la suite des travaux menés par le groupe multidisciplinaire, fut organisé en janvier 2003 un séminaire de deux jours, qui s’est tenu à Ville d’Avray, durant lequel les analyses et les conclusions du groupe de travail ont servi de support à une discussion élargie avec des représentants de l’administration, des experts institutionnels, des représentants associatifs et syndicaux, et des industriels du nucléaire mais aussi d’autres industries39. Afin de poursuivre cette réflexion, mettant l’accent sur les démarches pilotes de concertation, un deuxième séminaire a été organisé le 23 mars 2004 à Ville d’Avray

38 Disponible sur le site de l’IRSN : http://www.irsn.org/document/files/File/Internet/Dossiers/radioecologie_nord_cotentin/synthese_francais.pdf 39 Actes disponibles sur http://www.irsn.org/document/files/File/librairie/autres_publications/volume2.pdf

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sur ce même thème. Ce dernier a été suivi le 24 mars par une journée de travail organisé par l’IRSN et l’ANCLI autour de la thématique : “Qualité du suivi de l'environnement : quelle démarche construire avec les acteurs locaux ? ”40.

La construction d’un partenariat avec l’ANCLI (2003)

Parallèlement, un protocole de coopération a été signé avec l’Association Nationale des Commissions Locales d’Information41 (ANCLI) le 31 janvier 2003. Dans ce cadre, l’IRSN apporte un appui scientifique et technique aux CLI dans les domaines de la radioprotection et de la sûreté nucléaire. Ce protocole concerne principalement la formation, la réalisation d’études, la conduite d’expertises pluralistes, l’accès aux informations scientifiques et techniques.

La mobilisation de moyens spécifiques au sein de l’IRSN

Dans la perspective ouverte par la réflexion menée autour de la concertation, l’IRSN s’est progressivement doté de moyens spécifiques (organisation interne et ressources humaines) en vue de structurer les activités de l’Institut en matière d’ouverture à la société.

2003 : création de la MPP

La Mission Parties Prenantes (MPP) a été créée au sein de la Direction de la Stratégie, du Développement et des Relations Extérieures (DSDRE) à l’occasion de la réorganisation interne mise en place le 15 octobre 2003. Pour la première fois, l’Institut se dotait d’une structure interne visant explicitement à répondre à une demande de la société, de plus grande transparence et de participation au processus d’élaboration des décisions impliquant des risques pour la santé et l’environnement. Cette nouvelle instance était rattachée à la Direction de la Stratégie, du Développement et des Relations Extérieures (DSDRE).

2006 : création d’une Division d’Ouverture à la Société (DOS)

La Division d’Ouverture à la Société (DOS) a été créée en mars 2006 à l’occasion de la réorganisation de la DSDRE. Elle rassemble la MPP avec l’unité de gestion des risques, la mission doctrine et synthèse, la mission de valorisation.

2006: la consolidation par le contrat d’objectif

40 Actes disponibles sur http://www.irsn.org/document/files/File/librairie/autres_publications/rapport%201_actes.pdf 41 L’ANCLI a été créée en 2000, son but est de regrouper toutes les CLI afin d’augmenter l’efficacité du suivi de l’impact des grands équipements énergétiques et de mieux informer la population.

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Le premier contrat d’objectif a été signé par l’IRSN et l’Etat le 29 juin 2006 pour une période de quatre ans (2006-2009). Ce contrat définit l’approche stratégique globale de l’Institut afin de remplir pleinement ses missions. Le contrat comprend ainsi quatre objectifs stratégiques:

- “Refonder la dynamique de la recherche ;

- optimiser la mission d’appui technique aux pouvoirs publics ; - répondre aux besoins des autres acteurs économiques et sociaux en matière

d’information, d’expertise et d’étude ; - jouer un rôle moteur sur la scène européenne et internationale.”

Le troisième objectif constitue donc une forte reconnaissance de la démarche interne initiée en 2000. Ainsi, la mission de service public de l’IRSN implique donc de mettre en œuvre des services d’intérêt public ainsi que des prestations contractuelles bénéficiant à un large ensemble d’acteurs économiques et sociaux. Dans cette perspective, l’Institut agit dans quatre directions :

- “Rendre publiques des informations de référence. L’IRSN doit être identifié comme une source crédible d’informations scientifiques et techniques par les relais d’opinion ;

- contribuer à l’enseignement et à la formation professionnelle en matière de radioprotection et de sûreté nucléaire ;

- engager des actions en direction de la « société civile » notamment en mettant son expertise à la disposition des CLI ou d’organes équivalents et en mettant en œuvre, à la demande des pouvoirs publics, des “démarches d’expertise participative” ;

- réaliser des études pour le compte d’entreprises ou d’organismes publics ou privés”

Principales étapes du processus d’ouverture à la société

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1945

Création du CEA

1981

Circulaire Mauroy

2003

MPP

20061997

GRNC Création DOS

1987

Création CSSIN ANCLI

2000

Reconnaissance des CLI dans la loi

TSN

HCTISN

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8. Les recommandations des instances internationales en matière de gouvernance des

activités nucléaires Les recommandations de la CIPR

La Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) créée en 192842. La CIPR publie des recommandations en matière de principes et de normes de radioprotection. La Commission est constituée d'une commission principale composée de 14 membres nommés par la commission elle-même et d’un président. Elle s'appuie sur quatre comités permanents :

- Comité sur l'étude des effets des radiations ; - Comité sur la dosimétrie ; - Comité sur la radioprotection en médecine ; - Comité sur l'application des recommandations - Comité sur la protection de l'environnement.

Les principales recommandations de la CIPR furent publiées en 1959, 1976 et 1990. La CIPR est une organisation indépendante des institutions internationales émanant des gouvernements et ses recommandations n’ont pas de valeur prescriptive. Elles servent néanmoins de base aux réglementations mises en place dans la plupart des pays par les instances de régulation internationales et nationales en matière de radioprotection. Depuis plusieurs années, la CIPR prépare de nouvelles recommandations qui devraient être publiées dans les prochains mois43. Dans cette phase de préparation, la CIPR a ouvert une large consultation auprès de différents organismes de radioprotection et des différentes sociétés nationales de radioprotection sous l'égide de l'Association Internationale de Radioprotection (IRPA). Ainsi, la Société Française de Radioprotection (SFRP) a constitué un groupe de travail pluraliste (impliquant des experts de la radioprotection issus des organismes publics, de l'industrie nucléaire, des centres de recherche, du secteur médical, du milieu associatif…) afin de préparer des commentaires quant aux propositions de la CIPR. Il convient également de souligner que des travaux de la CIPR sont en cours de développement concernant les processus de décision et l'implication des parties

42 Initialement créée en 1928 en tant que comité international de protection contre les rayons X et le radium lors du deuxième congrès international de radiologie, elle deviendra la Commission Internationale de Protection Radiologique en 1950. 43 Les prochaines recommandations de la CIPR devraient être publiées au 1er semestre 2007

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prenantes pour la mise en œuvre du système de protection radiologique (méthode d'aide à la décision pour la mise en œuvre de l'optimisation notamment).

Les conventions et recommandations de l’AIEA

Le Groupe Consultatif International pour la Sûreté Nucléaire

Le Groupe Consultatif international pour la sûreté nucléaire (INSAG) de l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA) a pour principal objectif de servir de cadre à l’échange d’information sur les questions de sûreté nucléaire importantes à l’échelon international et formule, lorsque cela est possible, des concepts de sûreté nucléaire. Après l’accident de Tchernobyl, INSAG a notamment permis la construction d’une philosophie globale de sûreté nucléaire, notamment à travers le développement du concept de “culture de sûreté”. L’expression culture de sûreté est apparue pour la première fois dans le rapport récapitulatif sur la réunion d’analyse de l’accident de Tchernobyl publié en 1987 (INSAG 1) et a été précisé dans les principes fondamentaux de sûreté pour les centrales nucléaires (INSAG 3) en 1990. Le rapport INSAG 4 traite du concept de culture de sûreté appliqué aux organismes et aux individus dont les activités touchent à l’énergie d’origine nucléaire et offre une base pour juger du niveau de culture de sûreté sur des exemples concrets en vue de déterminer les améliorations à apporter le cas échéant. INSAG 4 contient ainsi des recommandations concernant la gouvernance de la sûreté globale, le dispositif institutionnel permettant l’émergence et le maintien d’une culture de sûreté. On notera particulièrement la parution récente (septembre 2006) du rapport INSAG 20 consacré à l'implication des parties prenantes dans les questions nucléaires. Dans ce rapport la place des acteurs locaux est clairement reconnue dans les processus de décision concernant la sélection d'un site et la construction d'une installation nucléaire. Ce rapport propose des éléments pour définir le rôle et la responsabilité des différentes parties prenantes dans le cadre d'une démarche participative concernant les décisions en matière de sûreté des installations nucléaires.

Les conventions internationales signées sous l’égide de l’AIEA

Plusieurs conventions internationales relatives à la sûreté et à la sécurité nucléaire ont été signées sous l’égide de l’AIEA. Les principales à retenir sont les suivantes :

- Convention sur la notification précoce en matière d’accident nucléaire ; - Convention sur la sûreté nucléaire ; - Convention sur la protection physique des matières nucléaires ; - Convention de Vienne sur la responsabilité civile en cas d’accident nucléaire ;

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- Convention d’assistance en cas d’accident nucléaire ou d’urgence radiologique ;

- Convention commune sur la sûreté des combustibles irradiés et sur la sûreté des déchets radioactifs.

Par exemple, la Convention Internationale de Sûreté des Installations Nucléaires a été signée à Vienne le 20 septembre 1994 sous l’égide de l’AIEA et transposée en droit français par la loi du 8 novembre 1996. Par cette convention, la cinquantaine de pays signataires s’engageaient à respecter un ensemble de principes communs concernant l’organisation du suivi des activités nucléaires comprenant une claire répartition des rôles entre exploitant et autorité. Plus particulièrement, les parties contractantes s’engageaient sur l’adoption d’un cadre législatif et réglementaire définissant :

- l'établissement de prescriptions et de règlements de sûreté nationaux ; - un système de délivrance d’autorisation pour les installations ; - un système d’inspection et d’évaluation réglementaire des installations ; - des mesures destinées à faire respecter les règlements applicables.

Recommandations de l’AEN

L’Agence de l’Energie Nucléaire (AEN) est une agence spécialisée de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE). L’AEN offre à ses pays membres un espace d’échange et de discussion sur les dispositifs scientifiques et techniques mais aussi juridiques, économiques et institutionnels favorisant une ”utilisation sûre, respectueuse de l’environnement et économique de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques“. Dans cette perspective, le comité de radioprotection de l’AEN mène et publie chaque année différentes évaluations et analyses en matière de gouvernance des activités nucléaires. La doctrine ainsi construite par l’AEN comprend la publication de recommandations en matière d’expertise et de prise de décision dans le champ de la sûreté nucléaire, de la protection des populations et de la gestion des déchets radioactifs. Ces recommandations ont particulièrement souligné la nécessité d’une plus grande implication des parties prenantes (“stakehoder involvement”) dans les processus de décision et d’expertise. On peut ainsi citer les publications suivantes :

- Stakeholders and radiological protection: lessons from Chernobyl 20 years after (2006);

- Nuclear Regulatory Decision Making (2005); - Direct indicators of nuclear regulatory efficiency and effectiveness (2004); - Stakeholder involvement techniques. A short guide and annoted bibliography

(2004);

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- Stakeholder participation in radiological decision making: processes and implication (rapport du séminaire de Villigen des 21 et 23 octobre 2003) ;

- Public information, consultation and involvement in radioactive waste management. An international overview of approaches and experiences (2003).

Recommandations de WENRA

L'association WENRA a été créée en février 1999. Elle regroupe alors les responsables des autorités de sûreté de l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la Finlande, la France, les Pays-Bas, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni. D’autres pays les ont rejoint depuis.

Les objectifs de WENRA

Cette initiative des autorités de sûreté nationales répondait à la volonté de proposer une alternative à la perspective d’une réglementation au niveau communautaire et d’une prise en charge centralisée, par la Commission Européenne, de la sûreté des installations nucléaires présentes sur le territoire de l’UE. Dans cette perspective, l’association s’est donnée les objectifs suivants :

- Le développement d’une approche commune en matière de sûreté nucléaire et de régulation, notamment au sein de l’Union Européenne ;

- La constitution pour l’Union Européenne d’une capacité d’expertise indépendante en matière de sûreté nucléaire et de dispositifs réglementaires de sûreté au sein des pays candidats à l’UE ;

- L’évaluation des questions émergentes en matière de sûreté du dispositif de suivi des activités nucléaires ainsi que la constitution d’une doctrine commune sur ces questions.

La contribution en matière de gouvernance

Dès 1999, WENRA a notamment conduit une évaluation des dispositifs de contrôle de la sûreté nucléaire dans les pays candidats à l’entrée à l’Union Européenne44. Cette évaluation a conduit l’UE à formuler des exigences aux pays candidats en matière d’organisation du contrôle de la sûreté. Ces recommandations font référence à un ensemble de “pratiques occidentales” telles que :

- La séparation de l’opérateur et de l’autorité de réglementation ; - Un processus d’autorisation des installations par l’autorité réglementaire

clairement défini ; - La pleine responsabilité de l’opérateur sur la sûreté des installations ;

44 Nuclear Safety in EU candidates countries. WENRA, octobre 2000

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- Une autorité de régulation dotée de moyens suffisants à l’exercice de ces fonctions ;

- L’existence de moyens spécifiques au sein des opérateurs et de l’autorité pour répondre à d’éventuelles situations d’urgence.

WENRA s’est proposé de fixer des objectifs de sûreté pour les pays de l’UE en vue d’une retranscription nationale ultérieure. Le but poursuivi est l’harmonisation des standards de sûreté dans les Etats Membres. WENRA définit ainsi des approches communes à ses membres. Un rapport a ainsi été publié fin 2005.

Les réflexions européennes sur la gouvernance des activités à risques

Depuis la fin des années 90, la question de la gouvernance des activités à risques et, plus particulièrement des activités nucléaires, a suscité, sous l’égide de la DG Recherche de la Commission Européenne, la formation d’espaces multidisciplinaires et pluralistes de réflexion et de dialogue. Les réseaux TRUSTNET et COWAM furent ainsi créés dans ce contexte et continuent aujourd’hui à identifier et analyser les démarches contemporaines de transformation des processus de décision et d’expertise dans le domaine des activités à risques et nucléaires.

Le réseau TRUSTNET sur la gouvernance des activités à risque

TRUSTNET est un réseau européen pluraliste menant des réflexions sur la gouvernance des activités porteuses de risques pour l’homme ou pour l’environnement. Créé en 1997 avec le soutien de la Commission Européenne, il rassemble une communauté de 150 acteurs exerçant en Europe des rôles et des positions différentes dans le contexte de ces activités : décideurs politiques, administratifs et industriels, représentants d’associations, syndicats, élus de collectivités territoriales et un groupe pluridisciplinaire de chercheurs (santé publique, sciences politiques, sociologie, psychologie, économie, droit, éthique…). De 1997 à 1999, les travaux de TRUSTNET ont contribué à identifier les importantes difficultés rencontrées par les processus technocratiques de prise de décision pour répondre de façon à la fois efficace et légitime aux interrogations de la société. Les conclusions de ce travail ont été publiées en 2000 par la Commission Européenne dans le rapport TRUSTNET : une nouvelle perspective sur la gouvernance des activités à risques (EUR 19136). De 2001 à 2003, le réseau TRUSTNET a porté sa réflexion sur les caractéristiques majeures des nouvelles formes inclusives de gouvernance émergeant en Europe. Il a ainsi tenté d’identifier, dans différents contextes, les conditions de mise en œuvre concrète de ces nouvelles approches de gouvernance. Le rapport Towards inclusive governance of hazardous activities présente les conclusions de ce processus de réflexion. De 2004 à 2006, les réflexions de TRUSTNET se sont poursuivies dans le cadre du projet européen TRUSTNET IN ACTION (TIA) soutenu par l’unité Science et Société

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de la Commission Européenne dans le cadre de son 6ème programme-cadre de recherche. Ce nouveau projet a organisé le suivi et la mise en visibilité pendant trois ans de 9 processus innovant en matière de gouvernance des risques dans différents États Membres de l’Union Européenne. Ses conclusions seront publiées très prochainement.

Le réseau COWAM sur la gouvernance des déchets nucléaires

Le projet COWAM (“Community Waste Management”) est un projet de recherche européen soutenu par la Commission Européenne (DG Recherche) dont l’objectif est de développer des recommandations pratiques en vue d’améliorer la qualité des processus de décision en matière de gestion de déchets nucléaires au plan régional et local, en prenant en compte la spécificité des contextes nationaux, culturels et historiques des Etats Membres. La particularité de COWAM est d’aborder cette question au premier chef du point de vue des acteurs locaux et des communautés territoriales engagés effectivement ou potentiellement dans des activités de gestion de déchets nucléaires. Un premier projet en 2000-2003 a permis de constituer un réseau d’acteurs sur ces questions :

- des élus locaux et régionaux européens des territoires concernés ; - des acteurs locaux engagés dans des structures de concertation et de suivi de

ces installations ; - des associations implantées localement autour des sites existants ; - des représentants des administrations territoriales ; - des opérateurs nationaux de gestion de déchets nucléaires ; - des représentants nationaux des autorités en charge de la régulation et du

contrôle de ces activités. Le réseau a identifié des questions majeures pour l’amélioration des processus de décision: l’organisation de la démocratie locale, l’influence des acteurs locaux sur les processus nationaux de décision, l’expertise, le long terme, les critères de qualité de la décision. De 2004 à 2006, un second projet (COWAM 2) a établi un partenariat original entre parties prenantes et experts pour étudier de manière approfondie ces questions. Ce partenariat a permis de mieux caractériser le rôle des communautés locales, et des autres acteurs de la gouvernance, parmi lesquels les experts. Il a établi des bonnes pratiques permettant de renforcer le cadre démocratique de ces processus de décision, en réintroduisant notamment l’expertise dans le cercle des relations entre parties prenantes locales et nationales. Ses conclusions seront publiées très prochainement.

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L’étude IGNA

En 2005, la direction générale de l’énergie et des transports (DG TREN) de la Commission Européenne a initié une évaluation des pratiques d’information et d’implication du public dans les processus de décision dans le domaine nucléaire. Cette étude “Inclusive governance on nuclear activities” (IGNA) porte sur l’étude de contextes dans lesquels l’information et la participation du public apportent une contribution essentielle au processus de décision et dans lesquels des éléments d’innovation ont été identifiés. Par ailleurs, des investigations complémentaires ont été menées à travers l’analyse de résultats de sondages d’opinion ; un recensement dans les législations nationales concernant les activités nucléaires, des dispositions ouvrant des droits à l’information et à la participation du public. A partir de ce travail d’analyse, l’étude IGNA a permis d’identifier des bonnes pratiques concernant l’information, la transparence et l’implication du public dans le secteur nucléaire et de préparer des recommandations portant sur des stratégies pour les différentes catégories d’acteurs concernés (régulateurs, experts, opérateurs, Commission Européenne, associations, communautés territoriales…) susceptibles de contribuer au développement d’une “gouvernance inclusive” des activités nucléaires. Ces conclusions et ces propositions ont fait l’objet d’une restitution et d’une discussion dans le cadre d’un séminaire pluraliste associant représentant de la Commission Européenne, autorités nationales, experts publics, associations, industriels45. Le rapport sera publié prochainement.

45 Ce séminaire s’est tenu dans les locaux de la DG TREN au Luxembourg les 9 et 10 février 2006.

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Chronologie récapitulant les principales étapes de la mise en place du dispositif de suivi

1945 2006

1945 2006

1945 2006

1945 2006

Emergence de l’autorité

Indépendance de l’expert public

L’ouverture à la société

Le cadre international

Création CEA

Création DSIN

1991

DGSNR

2002

ASN

1945

Création CEA

1963

Décret INB

Création CEA

1973

Création SCSIN

1976

Création IPSN

1990

Autonomie

2001

IRSN

1981

Circulaire Mauroy

2000

ANCLI

2003

MPPDOS

Reconnaissance des CLI dans la loi TSN

HCTISN

1996-98

Convention internationale AIEA

Directive EIA

Convention Aarhus

Wenra

1997

GRNC

1986

Tchernobyl

1987

CCSIN

1991

INSAG4

1998

Rapport Le Déaut

2001

Directive SIA

1957

Création SCPRI

1994

Création OPRI

Vers la DGSNR

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9. La mise en place d’un cadre juridique de l’information et de la participation

Les concepts d’information environnementale et d’évaluation environnementale ont été développés par la Conférence des Nations Unies sur l’Environnement Humain organisée à Stockholm en 1972. Depuis cette conférence, le principe d’une évaluation a priori des conséquences environnementales et sanitaires d’une activité est devenu très largement accepté ainsi que le droit à l’information et la participation du public qui constitue un des principes fondamentaux de la Déclaration de Rio et, plus tard, des Agenda 21.

La convention d’Aarhus

La Convention internationale sur l’accès à l’information, la participation du public dans la prise de décision et l’accès à la justice sur les questions d’environnement fut signée le 25 juin 1998 à Aarhus. Cette convention, en vigueur depuis le 30 octobre 2001, a été ratifiée par la France et par l’Union Européenne. Elle part de l'idée qu'une plus grande implication et sensibilisation des citoyens par rapport aux problèmes environnementaux conduit à une meilleure protection de l'environnement. Elle a pour objectif de contribuer à la protection du droit de chaque personne, des générations présentes et futures, de vivre dans un environnement convenant à sa santé et à son bien-être. Pour atteindre cet objectif, la convention a trois objectifs:

- Assurer l'accès du public à l'information sur l'environnement détenue par les autorités publiques;

- Favoriser la participation du public à la prise de décisions ayant des incidences sur l'environnement;

- Etendre les conditions d'accès à la justice en matière d'environnement. Les parties à la convention s'engagent à appliquer les dispositions énumérées et doivent donc:

- Prendre les mesures législatives, réglementaires ou autres nécessaires; - Permettre aux fonctionnaires et autorités publiques d'aider et conseiller les

citoyens pour avoir accès à l'information, participer au processus décisionnel et accéder à la justice;

- Favoriser l'éducation écologique du public et le sensibiliser aux problèmes environnementaux;

- Accorder la reconnaissance et un appui aux associations, groupes ou organisations qui ont pour objectif la protection de l'environnement.

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Les directives européennes correspondantes

La réglementation européenne en matière d’information du public dans le domaine de l’environnement comprend les directives sur l’Evaluation d’Impact Environnemental de 1997 et l’Evaluation Stratégique Environnementale de 2001.

La directive Evaluation d’Impact Environnemental (EIE)

Dans sa première version de 198546, la Communauté Européenne n’ayant alors aucune compétence environnementale, la directive Evaluation d’Impact Environnemental avait avant tout pour objectif d’harmoniser des pratiques susceptibles de constituer des entraves à la concurrence. Amendée en 199747, la directive a alors pris une dimension clairement environnementale. Elle invite les Etats Membres à adopter toutes les mesures nécessaires visant à permettre que les projets susceptibles de comporter des effets sur l’environnement fassent l’objet, avant leur adoption, d’une évaluation de leur impact environnemental. Les projets sont ainsi séparés en deux catégories : ceux pour lesquels les effets environnementaux sont présupposés, listés dans l’annexe 1 de la directive, et ceux, listés dans l’annexe 2, dont l’évaluation de leur impact environnemental n’est demandée que dans la mesure où celui-ci est jugé nécessaire après un examen au cas par cas par les autorités nationales ou par l’application de standards ou de critères nationaux. Pour les projets du premier groupe, la directive prévoit la possibilité de ne pas réaliser d’évaluation préalable à condition d’en informer le public et la Commission Européenne.

La directive sur l’Evaluation Stratégique Environnementale

La directive sur l’Evaluation Stratégique Environnementale adoptée en 200148 vise à élargir le champ d’application de la directive EIE aux politiques et aux plans publics et non plus aux seuls projets individuels. La directive impose ainsi aux Etats Membres d’évaluer l’impact environnemental de leurs politiques dans différents secteurs désignés par le texte de la directive. Pour les politiques et les plans relevant de ces secteurs, la directive comprend également une obligation d’information et de consultation du public.

46 Directive 85/337/EC

47 Directive 97/11/EC

48 Directive 2001/42/EC

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Principales étapes de l’émergence d’un cadre international

1945

Création du CEA

2001 20061996

Convention internationale

AIEA

Création DOS

1986

Accident de Tchernobyl

1997

Directive EIA

Directive SIA

1991

INSAG4

Convention d’Aarhus

1998

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Annexe 3 : glossaire des noms et acronymes employés dans l’étude

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A. AEN : Agence de l’Energie Nucléaire. Agence spécialisée de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE). AFSSE (loi) : loi de 2001, créant à la fois l’Agence Française de Sécurité Sanitaire Environnementale et l’IRSN. ANCLI : Association Nationale des Commissions Locales d’Information. ACRO : Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest. ASN : Autorité de Sûreté Nucléaire. C. CADA : Commission d’Accès aux Documents Administratifs. Charte de l’environnement : intégrée à la Constitution le 28 février 2005, a pour objet de promouvoir le développement durable et d’intégrer dans la réalité juridique française un certain nombre de "droits environnementaux". Code de l’environnement : ensemble de lois et décrets émis entre 2002 et 2005 et relatifs aux droits et devoirs environnementaux. Circulaire Mauroy : Circulaire généralisant les CLI (une par installation nucléaire de base) en 1981. CIREA : la partie de l’OPRI chargée des contrôles en matière de radioprotection et de la Commission Interministérielle des radioéléments artificiels. CLI : Commission Locale d’Information CISN : Comité Interministériel de la Sécurité Nucléaire CLIS (de Bure) : Comité Local d'Information et de Suivi du laboratoire souterrain de Bure créé en application de la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs. Commission Castaing : Commission sur la gestion des combustibles irradiés, créée par le gouvernement Mauroy en novembre 1981 ayant pour mission à réfléchir sur l’avenir des déchets nucléaires. CCSIA : Commission Centrale de Sûreté des Installations Atomiques CRIIRAD : Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité. CIINB : Commission Interministérielle des Installations Nucléaires de Base. CIPR : Commission Internationale de Protection Radiologique, créée en 1928.

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CMS : Commission Mixte de Sûreté regroupant le Ministère de la Défense et le CEA qui se partagent la direction des différentes instances. CNDP : Commission Nationale du Débat Public. Convention d’Aarhus : Convention européenne sur l’accès à l’information, la participation du public dans la prise de décision et l’accès à la justice sur les questions d’environnement, signée le 25 juin 1998 à Aarhus, au Danemark. COWAM : Community Waste Management, projet de recherche européen soutenu par la Commission Européenne (DG Recherche) dont l’objectif est de développer des recommandations pratiques en vue d’améliorer la qualité des processus de décision en matière de gestion de déchets nucléaires. CSSIN : Conseil Supérieur de la Sûreté et de l’Information Nucléaire, créé par le décret du 13 mars 1973 et modifié par le décret du 13 mars 1987. Une instance consultative pluraliste. D. DSND : Délégué de Sûreté Nucléaire pour les installations de Défense. DSN : Département de la Sûreté Nucléaire. DG TREN : Direction Générale des Transports et de l’Energie (Union Européenne). DGSNR : La Direction Générale de la Sûreté Nucléaire et de la Radioprotection (DGSNR) a été créée par décret le 22 février 2002. DSDRE : Direction de la Stratégie du Développement et des Relations Extérieures, au sein de l’IRSN. DGEMP : Direction Générale de l’Energie et des Matières Premières du Ministère de l’Industrie. DSIN : Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires et fruit de la transformation, en 1991, du SCSIN. G. INSAG : Groupe consultatif international pour la sûreté nucléaire de l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA) ; a pour principal objectif de servir de cadre à l’échange d’information sur les questions de sûreté nucléaire importantes à l’échelon international et formule, lorsque cela est possible, des concepts de sûreté nucléaire. GRNC : Groupe Radio-écologie Nord-Cotentin. GSIEN: Groupement des Scientifiques pour l'Information sur l'Energie Nucléaire. H.

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HCTISN : Haut Comité pour la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire I. IGNA : Etude visant à l’évaluation des pratiques d’information et d’implication du public dans les processus de décision dans le domaine nucléaire, menée par la DG TREN. INES : International Nuclear Event Scale, échelle internationale de gravité des incidents nucléaires. I.N.B : Installation Nucléaire de Base. IPSN : Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire, crée le 2 novembre 1976, qui deviendra l’IRSN en 2002, par fusion avec l’OPRI. L. TSN (loi) : loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire. M. MPP : Mission Parties Prenantes au sein de l’IRSN. N. NRC : Nuclear Regulatory Committee, autorité de sûreté des USA, qui regroupe les fonctions de contrôle et d’expertise. O. OPRI : Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants, crée en 1994 dans le prolongement du SCPRI, fusionné avec l’IPSN au sein de l’IRSN en 2002. OPECST : Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques. R. R.E.P : Réacteur à eau pressurisée. S.

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SCRGR : service remplaçant, au sein du CEA en 1956, le Service de Protection Radiologique et en charge du contrôle radiologique et du génie radioactif. SCSIN : Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires, crée en 1973. SCPRI : Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants. SPR : Service de Protection Radiologique, crée de 1951 à 1956, au sein du CEA. SHARP : Service remplaçant, au sein du CEA en 1956, le Service de Protection Radiologique et en charge de l’hygiène atomique et de la radiopathologie. T. TRUSTNET : réseau européen pluraliste menant des réflexions sur la gouvernance des activités porteuses de risques pour l’homme ou pour l’environnement. W. WENRA : réseau créé en février 1999 et qui regroupe les responsables des Autorités de sûreté de l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la Finlande, la France, les Pays-Bas, la Suède, la Suisse et du Royaume-Uni.

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