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LES ETUDES SUR LE RENSEIGNEMENT EN FRANCE Centre Français de Recherche sur le Renseignement 17 Square Edouard VII, 75009 Paris - France Tél. : 33 1 53 43 92 44 Fax : 33 1 53 43 92 92 www.cf2r.org Association régie par la loi du 1 er juillet 1901 SIRET n° 453 441 602 000 19 Rapport de Recherche n°8 - Novembre 2009

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LES ETUDES SUR LE RENSEIGNEMENT

EN FRANCE

Centre Français de Recherche sur le Renseignement

17 Square Edouard VII, 75009 Paris - France

Tél. : 33 1 53 43 92 44 Fax : 33 1 53 43 92 92 www.cf2r.org

Association régie par la loi du 1er juillet 1901 SIRET n° 453 441 602 000 19

Rapport de Recherche n°8 - Novembre 2009

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Centre Français de Recherche sur le Renseignement

___________________________________________________________________________ 17 Square Edouard VII, 75009 Paris - France

Tél. : 33 1 53 43 92 44 Fax : 33 1 53 43 92 92 www.cf2r.org Association régie par la loi du 1er juillet 1901 SIRET n° 453 441 602 000 19

LESÉTUDESSURLERENSEIGNEMENTENFRANCE

ÉRICDENÉCÉ­GÉRALDARBOIT

RapportdeRecherchen°8­Novembre2009

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PRÉSENTATIONDUCF2R

Fondé en 2000, le CENTRE FRANÇAIS DE RECHERCHE SUR LE RENSEIGNEMENT(CF2R) est unThinkTank indépendant, régi par loi de1901, spécialisé sur l’étudedel'ensemble des domaines politiques, techniques et historiques du renseignement. Il apourobjectifs:‐ le développement de la recherche académique et des publications consacrées aurenseignementetàlasécuritéinternationale,‐ l’apport d’expertise au profit des parties prenantes aux politiques publiques(décideurs,administration,parlementaires,médias,etc.),‐ la démystification du renseignement et l’explication de son rôle auprès du grandpublic.

Le CF2R dispose d'une vingtaine de chercheurs associés. Tous sont experts enleur domaine et disposent à la fois de compétences académiques reconnues et d’unevéritableexpériencedeterrain.

Afindecouvrirl’ensembledesdomainesdurenseignement,leCF2Reststructuréenhuitpôlesderecherche:.Histoiredurenseignement,.Fonctionnementdurenseignement,.Opérationsspécialesetguerrenonconventionnelle,.Actionspsychologiquesetdésinformation,.Privatisationdesactivitésderenseignementetdesécurité,.Terrorismeetextrémismepolitiqueetreligieux,.Proliférationettraficd’armes,.Criminalitéetmafias. Autourdecesthèmes,leCF2Rdéveloppe:.desactivitésderéflexionetderecherche;. des actions de sensibilisation à l'intention de la presse, des parlementaires, desuniversitésetdesdécideurséconomiques;.despublications,pourl'informationdugrandpublic,.desétudesetdesformations,àlademandedeclientsdivers,.undiplômeprivéd’étudessupérieures«Managementdesagencesderenseignementetdesécurité».

Chaque année, le CF2R décerne deux prix universitaires qui récompensent lesmeilleurstravauxacadémiquesfrancophonesconsacrésaurenseignement:.le"PrixJeunechercheur"primeunmémoiredeMastère;.le"Prixuniversitaire"récompenseunethèsedeDoctorat.

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LespublicationsduCF2Rcomprennent:

.desnotesd’actualité,d’histoireouderéflexionrédigéesrégulièrementparsesexperts,

.desrapportsderecherchespécialisés,disponiblessursonsiteinternet,

.lebulletinélectroniquehebdomadaireRenseignor(Renseignementouvertparl’écoutedesprogrammesradiophoniquesétrangersenlanguefrançaise),. le bulletin électronique mensuel I­Sources, qui recense l’ensemble des publicationsinternationalesrécentesconsacréesaurenseignement,. larevuequadrimestrielleRenseignementetopérationsspéciales (180pages)(éditionsL'Harmattan),.lacollectionCulturedurenseignement(éditionsL'Harmattan),.ainsiquediversouvragesindividuelsetcollectifs(éditionsEllipses). EnfinleCF2Rdéveloppedespartenariatsavecdescentresderecherchesfrançaisetétrangers,ainsiqu'avecleprojetSPYLAND,parcd'attractionsconsacréaumondedurenseignementquiouvrirasesportesen2013àSaragosse(Espagne).

LESRAPPORTSDERECHERCHEDUCF2R‐ Rapport de recherche n°7, Nathalie Cettina, Communication et gestion du risqueterroriste,mars2009.‐ Rapport de recherche n°6, Philippe Botto, Noukhaev et le nationalisme tchétchène,septembre2008.‐Rapportderecherchen°5,AlainRodier,Lamenaceiranienne,janvier2007.‐Rapportderecherchen°4,NathalieCettina,SpécificitésdelagestionorganisationnelledelalutteantiterroristeenCorse,mars2006.‐Rapportderecherchen°3(enanglais),généralAlainLamballe,TerrorisminSouthAsia,novembre2005.‐Rapportderecherchen°2,MichelNesterenko,ProjectforaNewAmericanCentury:lapolitiquedesNéoconservateursderrièrelaguerrecontrelaterreur,octobre2005.‐Rapportderecherchen°1,EricDenécé,Ledéveloppementdel'islamfondamentalisteenFrance:conséquencessécuritaires,économiquesetsociales,septembre2005.

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PRESENTATIONDESAUTEURS

Ancienanalystedurenseignement,EricDenécéestdocteurensciencepolitiqueetdirecteurduCentreFrançaisdeRecherchesurleRenseignement(CF2R).Ilenseigneouaenseignélesquestionsderenseignementetd’intelligenceéconomiqueàl’universitéMontesquieu‐BordeauxIV, au Collège interarmées de Défense, à l’ENA, à l’UniversitéNotre‐Dame (Beyrouth), ainsi que dans de nombreux autres établissementsuniversitaires et professionnels. Derniers ouvrages parus: Renseignement et contre­espionnage(Hachettepratique,2008),Lesservicessecrets(EPA,2008)etMission:agentsecret.Lestechniquesdel’espionnageexpliquéesauxenfants(Milan,2009).

GéraldArboitestdocteurenhistoire,anciendel’IHEDNetdirecteurderechercheauCentreFrançaisdeRecherchesurleRenseignement(CF2R).IlestégalementexpertauprèsduministèredesAffairesétrangèresdanslecadredesEtatsgénérauxculturelsméditerranéens et du Conseil de l’Europe (Strasbourg). G. Arboit est notammentl’auteurdeFragmentsdelaviedeCharlesSchulmeisterdeMeinau.Unmémoireinéditdel’espionde l’EmpereurNapoléon Ier (L’Harmattan,2003),de JamesAngleton. Le contre­espiondelaCIA(NouveauMonde,2007)etaco‐dirigé,avecMichelMathien,LaguerreenIrak.Lesmédiasetlesconflitsarmés(Bruylant,2006).

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RESUMÉ

LESETUDESSURLERENSEIGNEMENTENFRANCE

A partir du milieu des années 1990 s’est peu a peu manifesté, en France, un

intérêtnouveauetmarquédumondeacadémiquepourlerenseignement.Initialement,celui­ciestliéàl’entréedanslasociétédel’informationetàlaprise

de conscience de la nouvelle compétition économique mondiale, qui a conduit, enpremier lieu, les acteurs économiques à intégrer le renseignement dans leurprocessusdemanagement.Afinderépondreàleurdemandenouvelledespécialistes,universités de gestion et écoles de commerce ou d’ingénieurs ont développé denombreuxdiplômesoumodulesspécialisésd’intelligenceéconomique,afindeformeràcespratiques.Parallèlement, recherchesetpublicationsse sontmultipliées surcethème. Dans le même temps, l’évolution des relations internationales a conduit lesacteurs politiques à prendre et le public davantage conscience du rôle durenseignement dans la Sécurité nationale. Ce sentiment a particulièrement étérenforcédepuislesattentatsdu11septembre2001.Leterrorismedjihadisteaainsiété à son tour un facteur d’accélération du renouveau de l’intérêt pour lerenseignement,touchantalorshistoriens,politologuesetjournalistes.

Vingtansaprès lesEtats­Unisetdixansaprès laGrande­Bretagne, laFranceaainsi fait entrer les études sur le renseignement dans le domaine académique. Ceretard est du à l’absence d’une véritable culture du renseignement en France. Cemétiern’ajamaisété,dansnotrepays,unedisciplinereconnueàsajustevaleur,tantdans les milieux politiques ou militaires, que dans les milieux académiques ouéconomiques. Cependant, en moins de deux décennies, les études françaises sur lerenseignement ont connu un développement significatif à travers différentesdisciplines(sciencesde l’information,gestion,histoire, sciencepolitique,droit).Celas’esttraduitparlarédactiondethèsesetdesmémoiresacadémiques,lapublicationde nombreux ouvrages, la création de diplômes et la naissance d’un centre derecherchespécialisé.Ainsiaprisformeunevéritablemouvementdereconnaissancedu renseignement, discipline souffrant, par tradition, d’un large désintérêt chez lesélitesfrançaises.

L’objetdecerapportestdedresserunétatdeslieuxdelarechercheacadémiquefrançaise consacrée au renseignement, de comprendre les conditions de la«fondation» des études sur le renseignement en France et de dégager quelquesperspectivespourlesannéesàvenir.

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SOMMAIREPRESENTATION p.6L‘ABSENCEDECULTUREDURENSEIGNEMENTENFRANCE p.7LARECHERCHESURLERENSEIGNEMENTAVANT1995 p.11Lesrécitsetmémoiresd’anciensmembresdesservices p.11Lesproductionsdejournalistes p.12Lerenseignementdanslaproductionéditorialefrançaise p.13Unedisciplinelongtempsnégligéeparlesuniversitairesfrançais p.14LA«NAISSANCE»DESETUDESACADEMIQUESSURLERENSEIGNEMENTAPARTIRDESANNEES1990 p.17Uncontextefavorable p.17L’apparitiond’enseignementsetdeformationsdédiésaurenseignement p.18Lamultiplicationdespublications p.19L’essordestravauxderecherche p.21Lesautresinitiativesderecherche p.23Lanaissanced’uncentrederecherchespécialisé p.24LIMITESETDEFISDEL’ETUDEACADEMIQUEDURENSEIGNEMENTENFRANCE p.26Unobjetderechercheencoremaldéfini p.27Unsujetenrecherchedediscipline p.27Lefaiblerayonnementdeschercheursfrançais p.29ENSEIGNEMENTSETPERSPECTIVES p.32Listedestableaux p.34

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PRESENTATION Depuis lemilieudesannées1990, lesétudes sur le renseignementconnaissentunintérêtnouveauenFrance,quisetraduitparunessordespublications,colloquesetformations sur ce thème. CommeDavidKahn1 l’a écrit à la suite de Peter Jackson2, ilseraittentantd’yvoirlanaissanced’une«Ecolefrançaisedurenseignement»,laquellen’atoutefoispasencoreprisforme.

En revanche, une réelle prise de conscience de l’importance du renseignementcomme objet d’étude s’est faite et traduit un progrès significatif dans les mentalités.Celui‐ciestconsécutifauxévolutionsgéopolitiquesdel’aprèsGuerrefroidequiontfaitdu renseignement un instrument de prévision essentiel pour la compréhension desnouveaux enjeux. La France, pas plus que les autres puissances, ne pouvait en fairel’impasse3.

Toutefois, les promoteurs de cette évolution ont du surmonter la réticencenaturelledesFrançaisetdeleursélitesàl’égardd’uneprofessionquidemeureconnotéetrèspéjorativementdansl’inconscientcollectifnational,d’oùl’absencedeconsidérationdontelleaété longtempsvictime.Surtout, lacommunautéscientifiques’estprésentéeen ordre dispersé pour aborder cette «dimension manquante»4 de la recherchefrançaise. L’objetdecerapportestdedresserunétatdeslieuxdelarechercheacadémiquefrançaiseconsacréeaurenseignement,decomprendrelesconditionsdela«fondation»desétudessurlerenseignementenFranceetdedégagerquelquesperspectivespourlesannéesàvenir.

1 “Intelligence Studies on the Continent”, Intelligence and National Security, Vol. 23/2, April 2008, p. 249-275. 2 “Intelligence and the State: An Emerging ‘French School’ of Intelligence Studies”, Intelligence and National Security, Vol. 21/6, December 2006, p. 1061-1065. 3 Percy Kemp, “The fall and rise of France’s spymasters”, Intelligence and National Security, Vol. 9/1, January 1994 , p. 12-21. 4 Christopher M. Andrew and David N. Dilks, eds., The Missing Dimension: Governments and Intelligence Communities in the Twentieth Century, MacMillan, London, 1984.

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L‘ABSENCEDECULTUREDURENSEIGNEMENTENFRANCE Le relatif désintérêt pour les études sur le renseignement en France est enpremier lieu dû à un problème culturel. En effet, la France présente une étonnanteabsencedecultureencedomainepourunpaysayantlongtempspesésurlesaffairesdumonde.Lerenseignementn’yajamaisétéunedisciplinereconnueàsajustevaleur,tantdans les milieux politiques ou militaires, que dans les milieux académiques ouéconomiques.

Ainsi, à la veille de 1914, on considérait encore comme incompatible l’étatd’officier avec celui d’espion, car le second contredisait l’idéal d’honneur du premier.«Cespratiquesneserontjamaisgoûtéesdesofficiersfrançais;cetteécoleneferajamaischeznousdenombreuxprosélytes:notredroitures’y refused’instinct.Cespratiquesontpourelleslaraison,lalogique,toutcequel’onvoudra;cen’enestpasmoinsunebesognequiseheurtecheznousàuneinsurmontablerépugnance.Voilàlavérité.Onpeutdiredusentiment instinctif d’une race ce qu’on dit du cœur humain: qu’il a des raisons que laraison ne connaît pas»1. Bien que notre perception du renseignement ait évoluée,notamment depuis le désastre de 1940, nous ne pouvons dire que son utilité aitvéritablementété intégréeparnosgouvernantsetnosacteurséconomiques,niquesapratiquesesoitgénéraliséechezlesmilitaires.

Enlamatière,laseulevisited’uneLibrarybritanniqueouaméricainepermetdeconstater que notre pays accuse un singulier retard par rapport à ses alliés anglo‐saxons. Lorsqu’un ouvrage sur ce thème parait en France, dix aumoins sont publiésoutre‐Mancheet outre‐Atlantique.Nousparaissons, en comparaison,dépourvusd’uneculture du renseignement dépassant l’étroit cadre des professionnels et des raresspécialistes du sujet. Nombreux sont les anciens acteurs du domaine qui, commel’amiral Lacoste, constatent amèrement que «la culture du renseignement des classesdirigeantes et de l’opinion publique est notoirement déficiente, conséquence desvicissitudesdel’histoirecontemporaineettraductiondequelquestraitsparticuliersdelasociété».

Cen’estunmystèrepourpersonneque lecaractèredominantdenotrehistoireestessentiellement«terrien».Noussommes,aussiloinqueremontentnosorigines,«lepeuplepaysanparexcellence,cequiafaitnotrerichesse,notrepuissanceetnotregloirependantdix siècles.La terredubléetde lavigne»2.Pendant longtemps leFrançaisn’apaseubesoind’alleràl’extérieur,decourirlesmerspoursenourriroucommercer.Sonterritoire,parsarichesseetsadiversité,luioffraittoutcedontilpouvaitavoirbesoin.Alors pourquoi serait‐il allé voir au‐dehors? Pour quelmotif se serait‐il informé sur 1 Alain Dewerpe, Espion. Une anthropologie historique du secret d’État contemporain, NRF, Gallimard, 1994, p 24. 2 A. Sanguinetti, Histoire du soldat, de la puissance et des pouvoirs, Ramsay, 1979, p 26.

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l’extérieur? La géographie et l’histoire n’ont pas fait du «Gaulois», un curieux, nivéritablement un conquérant. D’autant que les principales atteintes à la sécuriténationalesonttoujoursvenuesdesfrontièrescontinentales.DepuisAlésia,en52avantJ.‐C.,jusqu’àDienBienPhu,2000ansplustard‐sansomettrelaLigneMaginot‐,nousavonsfaitdelabatailled’arrêtnotrespécialité.Avecdesfortunesdiverses…

Deplus,l’espritfrançaisnegoûteguèrelespratiqueshétérodoxesquirécusentlecombat ouvert au profit des stratégies indirectes visant à parvenir à la victoire aumoindrecoût,enutilisantlaruseetnonlaforce,enusantdesubterfuges,sanspanache.Ainsi, le renseignement,et soncorollaire, lesstratagèmes,n’ont jamaisété,enFrance,des arts reconnus à leur juste valeur. Héritage de notre histoire médiévale, diverscomportements assez antinomiques avec le recours à ces pratiques se sont enracinésdanslatraditionnationale:lesensexacerbédel’honneur;ladroitureetsoncorollaire,le rejet du mensonge; la glorification de l’exploit guerrier individuel; le goût duFrançais pour les batailles rangées, les uniformes rutilants et les sacrifices héroïques.Dans notre culture militaire, depuis longtemps, la beauté du geste compensel’insuffisance des résultats ; l’élégance dans l’action fait pardonner l’inefficacité, voirel’absencederéussite.

Parailleurs,notrehéritagecartésienafaçonnéunespritnationalcaractériséparune forte tendance à la conceptualisation et à l’abstraction ‐pouvant aller parfoisjusqu’au refus d’admettre les faits‐ au détriment de la résolution de problèmesconcrets. Comme le remarque le généralMermet, anciendirecteur de laDGSE, «nousavons tendance,plusqued’autrespeuples,ànégliger les faitsaubénéficedes idées, etàpréférer les jugements subjectifs aux témoignages indiscutables, que ce soit dans lesaffairespolitiques,oùparexemplenousavonsétéquelquepeuréticentsàappréhenderleschangementsàl’Est,oudanslesaffairesmilitaires,commeentémoignel’aveuglementduHaut Commandement français avant 1939, alors qu’il disposait des renseignementsindiscutables»1.

Enfin,notrecultureatoujoursimposéunefrontièrenetteentrelaconnaissanceet le renseignement, la première étant noble et légitime, le second méprisable etillégitime. Indice révélateur, enFrance, le renseignementestpratiquementabsentdesécrits de nos grands stratèges militaires: les conférences, les cours, les ouvrages deFoch,deCastex,deBeaufre,deGalloisoudePoiriern’enparlepratiquementjamais.

Surtout,seposeenFranceundoubleproblème:‐d’une part, notre pratique du renseignement a été par tradition ‐mais aussiparnécessité‐ longtemps orientée préférentiellement vers l’interne. La lutte contrel’ennemiintérieurestundestraitsdominantsdumodèleculturelfrançais.Lamémoirecollectiveena retenu légitimement la lutte sournoisedeGuillaumedeNogaretcontrel’ordreduTemple,lescombatsdeRichelieuetdeLouisXIVcontrelesprotestants,oulescyclesderépressionconduitsparleComitédeSalutPublic,puisparlapolicesecrètedeFouché; sans parler de la lutte contre le mouvement ouvrier, les «Canuts» et les«Communards».Elleméconnaît,enrevanche,lesréseauxderenseignementtissésparle père Joseph et ses capucins dans l’Europe du XVIIe siècle, le «Bureau de la partiesecrète»deCarnotpendantlaRévolution,oulesexploitsdeSchulmeistersousl’Empire.Sans même parler des succès des «Travaux ruraux» du commandant Paillole sousl’Occupation;–d’autre part, depuis «l’affaireDreyfus» (1894), nos servicesde renseignement sont 1 Général F. Mermet, "Quelques réflexions sur la fonction renseignement", ENA mensuel, n° 236, novembre 1993, p 11.

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victimes de la défiance des hommes politiques. Personne n’a oublié comment cetteaffaire et ses conséquences ont déstabilisé en leur temps la société française toutentière.Depuis ce traumatisme, les chefsdegouvernementont toujoursverrouillé lesservicesplutôtquedes’interrogersurlamanièredemieuxlesutiliseretdelesrendreplusperformants.Celaaliélerenseignementfrançais,plusquedansaucunautrepaysoccidental,auxaléasdelaviepolitiqueetdesesépisodesélectoraux.Sil’onajouteàcelalesaffairesBenBarka(1965)etGreenpeace(1985), ilestpossibledesefaireuneidéedesdispositionsdupouvoirpolitiqueetdel’opinionàl’égarddesservices1.

FondateurduCentred’analyse et deprévision (CAP)duministèredesAffairesétrangères, puis proche collaborateur de Jean‐Luc Lagardère à la direction de MatraDéfense,Jean‐LouisGergorindéplore«lacondescendanceironiqueaveclaquellelaclassedirigeante française traite lemonde du renseignement». Il la juge «à la fois injuste etnéfaste.Injuste,parcequedel’affaireDreyfusàl’affaireBenBarka,lespolitiquesonttropsouventreportésurunmétierhonorableetpatriotiquedesresponsabilitésquiétaientlesleurs.Néfastecarbiendesguerresetbiendessouffrancesauraientpuêtreévitéessinosespionsavaientétéécoutés2». Demême, legénéralChristianQuesnot,quiaconseillé lesplushautesautoritésgouvernementales pendant cinq ans ‐ auprès de deux présidents, de cinq Premiersministres, de trois ministres des Affaires étrangères et de quatre ministres de laDéfense‐ constate amèrementque «les politiques français se méfient des services derenseignement. Ils estiment, souvent à tort, que les avantages qu’ils procurent sontinférieursauxinconvénientsqu’ilssuscitent.C’estlaraisonquilesfaitnommeràlatêtedesorganismesdesdirecteurssurdescritèresoù la fidélitéauchefde l’Etat l’emportesur leprofessionnalisme,lecasoùunindividucumulelesdeuxcritèresdemeureexceptionnel.Ils’agitlàd’unparticularismeetd’unhandicapnationalquicontrastentfortementaveclesmodalités en usage dans d’autres pays comme la Grande­Bretagne, dont nous devrionsnousinspirermêmesil’environnementculturelestdifférent3».

Le penchant gaulois pour l’autoflagellation renforcé, dans le domaine durenseignement, par la publicité faite par la presse aux seuls échecs des services –lessuccès n’étant jamais rendus publics– accroît le doute de nos dirigeants et de nosconcitoyensquantàlacompétencedenosagencesderenseignementetdesécurité.Enconséquence, le renseignement est connoté très négativement dans notre consciencecollective,etresteinjustementassociéauxseulesnotionsd’espionnage,devioldelavieprivéeetdecoupstordus.

En revanche, le contre‐espionnage, c’est‐à‐dire cette composante durenseignement qui vise à protégernos intérêtsmilitaires, industriels et économiques,bénéficied’unpréjugébeaucoupplusfavorable.Dansnotrepays, toutcequiestcensédéfendreestplusfacileàmettreenœuvrequecequiestdestinéàattaquer4.Toutefois,untelétatd’espritnouscantonnedansladéfensiveetnenouspermetguèred’anticipersurlesévénementsmondiauxquitouchentdirectementànosintérêts.

Entouteobjectivité,ilfautreconnaîtrequel’espritdeconquêteetlacuriositénesont pas dans nos gênes. Nous n’avons, en matière de renseignement, ni lesprédispositionsdesBritanniquesetdesIsraéliens,nilesmoyensdesAméricainsetdes 1 C. Harbulot, R. Kauffer et J. Pichot-Duclos, "Le renseignement et la République", Défense Nationale, mai 1996, pp 63-83. 2 Jean-Louis Gergorin, Rapacités, Fayard, 2007, p. 13. 3 Général Christian Quesnot, “Perception, utilité et usage de la fonction connaissance et anticipation par le président de la république, chef des armées”, Les Cahiers de Mars, n°198, décembre 2008, p. 31. 4 B. Besson et J.-C. Possin, Du renseignement à l’intelligence économique, Dunod, 1996, p 184.

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Russes.Toutefois,sil’onécartecesquelquesnationsparticulières,forceestdeconstaterque la France figure très honorablement parmi les pays en pointe dans la discipline,grâceà laqualitédesesservices,etendépitdequelquesratés inévitablesquiontétésuffisammentmédiatisés.Nousnemanquonsnid’expériencesréussies,nidefemmesetd’hommes doués pour ces exercices. Nous ne saurions donc retenir l’idée d’undéterminismehistoriquenégatif,nicroireàuneincapacitéfrançaiseencedomaine.

De nouveaux exemples de notre savoir‐faire en la matière sont régulièrementexhumésetdenombreuxaspectsdu renseignement français, largement antérieursauXXesiècle,demeurentdoncméconnus.Ilsméritentd’êtremisenlumièrecarilsoffrentun aperçu d’une histoire beaucoup plus riche que ne l’imaginent généralement noscontemporains.LaFranceasucequ’étaient l’actionpolitiqueet lesagentsd’influence,pratiquesdontnousavonsquelquepeuperdul’usageauprofitdurenseignementstrictosensuetdel’actionparamilitaire.Maisdenouvellesrecherchessontindispensables,afindecouvrirl’ensembledesépisodesdenotrehistoire.Celles‐cidevrontêtrerigoureusesafindedonnerunebasecrédibleàcetteculturedurenseignementqu’ils’agitd’édifier.

Les propos de l’amiral Lacoste, à l’occasion de la remise des prix 1999 del’Association des anciens des services spéciaux de la Défense nationale (ASSDN) —récompensantlesjeunesSaint‐Cyrienss’étantconsacrésàdestravauxderecherchesurl’histoiredurenseignementfrançais—restentd’uneactualitécriante.Ilavaitlancéunappel aux anciens du renseignement: «pour qu’ils ne se contentent pas d’honorer lamémoiredes anciens des services spéciaux victimesdudevoir. L’Associationdoitœuvreraussi pour que nos compatriotes reconnaissent enfin l’importance des activités derenseignement, au sens large du mot. Je vous demande de surmonter vos réticenceslégitimes de vrais professionnels, élevés dans le culte du secret, qui n’ont pas jusqu’àprésent souhaité parler de leurs activités passées. Car il se trouve qu’à l’étranger, nosadversaires,etmêmenosmeilleursamis,portentsurnosservicesspéciauxdesjugementstrèscritiquesdanslamesureoùilsnedisposentqued’informationsinsuffisantes,erronées,voire franchement mensongères. Il court beaucoup de légendes malveillantes qui senourrissent d’enquêtes publiées par certains journalistes peu scrupuleux oud’autobiographiesfantaisistesd’anciensresponsablesenmaldepublicité.Fautedemieux,seulesdetelleslégendesserventderéférences,mêmedanslesmilieuxacadémiqueslesplussérieux qui se penchent sur l’histoire de nos services. Il est donc indispensabled’entreprendre dans notre pays un effort systématique de recherche, d’explication et depublication pour ne pas en laisser l’exclusivité à des universitaires étrangers. Mais ilconvientdelefaireentouteclartéetentouterigueur»1.

De tels propos adressés à de jeunes officiers et à de jeunes chercheurs sontessentiels, car la France ne peut plus faire l’impasse d’une véritable culture durenseignement.Unetelledémarcheestaujourd’huiindispensable.Iln’estpluspossiblede se réfugier derrière les arguments fallacieux du manque de sources ou de laconfidentialitépourendifférerlaréalisation.D’unepart,ladéclassificationprogressivedes archives est en cours ; d’autre part, l’histoire du renseignement français necommence pas à Londres, en 1940. Pour les périodes antérieures, les sourceshistoriques n’ayant jamais véritablement été exploitées dans cette perspective, il estlogique qu’elles n’aient rien livré en la matière. Il n’est qu’à lire le travail de GéraldArboitsurl’Empirepourcomprendrequ’ellesregorgentdetrésorsqu’ilfautsavoir‐etvouloir‐chercher. 1 Bulletin de l’Amicale des anciens des services spéciaux de la Défense nationale, n° 183, 3e trimestre 1999, p. 10.

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LESRECHERCHESSURLERENSEIGNEMENTAVANT1995

Sil’absenced’unevéritableculturedurenseignementenFranceafortementpesésur la perception de la discipline, le renseignement n’a toutefois jamais été cantonnédansunsilencedédaigneux.

Laproductionnationalesurlerenseignementestancienneetdiversifiéeetrelèveessentiellement de deux domaines: les récits et mémoires d’anciens membres desservicesderenseignementet lesproductionsdejournalistes.Enrevanche,avant lafindesannées1980,lestravauxacadémiquessontquasimentinexistants.Lesrécitsetmémoiresd’anciensmembresdesservices Dans les années qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, se sontmultipliés lesouvrages traitantdedifférentsaspectsde la guerre secrèteau coursduconflit,enmajoritéconsacrésàlaparticipationfrançaiseàlaluttedel’ombre,enFrance,et,àundegrémoindre,enAfriqueduNordetenExtrême‐Orient. Anciens résistants cherchant à faire connaître et reconnaître leurs actions,membresdesservicesgaullistessouhaitantglorifierleurengagement,représentantsdesservices secrets militaires voulant rétablir la vérité quant à leur contribution aurenseignementnationaletallié,etc.:lespublicationsontétéextrêmementnombreuseset riches. Elles ont bénéficié, au cours des années1950 à 1960, de l’intérêt dupublicpourunepériodequ’il avaitvécuetqu’il souhaitaitmieuxcomprendre. Il convientdeciterparmilesouvragesderéférencelestravauxdePierreNord,ducommandantPaulPaillole,ducolonelRémyetdugénéralGauché. Au coursdes années1970et 1980, c’est le thèmede laGuerre froidequi s’estprogressivement imposé parmi les publications traitant du renseignement, en raisondesmenées subversives de l’Union soviétique et de l’importance de lamenace. Il futaccompagné d’ouvrages plus généraux relatifs à l’histoire ou la théorie durenseignement et surtout de livres sur les opérations secrètes pendant les guerresd’Indochineetd’Algérie.Cette«secondevague»eutmoinsdesuccèsquelaprécédente,maisdonnalieuàdestravauxdequalité,notammentceuxdeConstantinMelnik,deJeanDeuve,dePierreNord,dugénéralHenriNavarre,deRobertBourcardetdeJean‐PierreAlem.

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Fig.1­LespublicationsdelivressurlerenseignementenFrance(1884‐2008)1

Lesproductionsdejournalistes

L’autre origine des productions relatives au renseignement est celle desjournalistes, lesquels nourrissent pour le sujet un intérêt qui relève de la fascination.Phénomènecommunàtouslespays,ilramèneauxfondementsdel’histoiredelapresseetdel’information.Parlà,lesmédiaspensentaccéderaucœurdusecretdel’Etat2.Vasteobjet de fantasmes, les échecs sont amplifiés et les services souvent relégués à desexécuteurs d’œuvres de basse police. Leurmoindre travers est mis en lumière. Et laFrance,depuisl’affaireDreyfusjusqu’àl’affaireClearstream(2005),n’enapasmanqué!Depuis 1975, ce mode de traitement du renseignement couvre 5% des publicationstotales. Mais cette démarche, souvent fondée sur la recherche du sensationnel, afavorisé la construction d’une image erronée des services et des activités derenseignement. En effet, les gens de presse ont pour habitude de traiter ces affairescomme des faits divers. Jusqu’à une date récente, il existait très peu de journalistesspécialiséssurlerenseignementenFrance.LamajoritédeceuxquirendaientcomptedecesquestionsdanslapressequotidienneouhebdomadaireétaientdesspécialistesdesquestionsdeDéfense,deterrorismeoudepolice,àl’imagedeJacquesIsnard(LeMonde)ou de Jean‐Marie Pontaut (L’Express). En l’absence d’autres informations, ils seconcentrentsurlesscandalesetleséchecsdesservices,plutôtquesurleurssuccèsouleur rôle. Leurs textes se caractérisent par l’utilisation d’un vocabulaire inapproprié,comme «espionnage», «agents secrets», «barbouzes» ou «police secrète», et leurméconnaissancedu renseignement et de ses enjeux. Lapauvretédu commentaire surcesquestionsestencorerenforcéeparlerelatifdésintérêtdesorganesdepressepourlejournalismed’investigation,aucoûtéconomiquetropimportant(tempsetressources),depuisledébutdesannées1980.

Les seules exceptions proviennent de ceux qui entreprirent la rédactiond’ouvrages sur lemondedu renseignement, français ou étranger, dans unedémarche 1 Tableau à partir des données offertes par le catalogue du Système universitaire de documentation (SUDoc), http://www.sudoc.abes.fr/ 2 Cf. Arboit Gérald, Michel Mathien, « Médias et exploitation politique des services de renseignement », Annuaire français de relations internationales 2005, vol. 6 (Bruxelles, Bruylant, 2005), pp. 464-481.

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plus historique (Roger Faligot, Pascal Kropp, etc.). Si l’on ne peut qualifier leurdémarche de scientifique, au sens académique du terme, leur contribution a étéessentiellepourcomblerlevidehistoriographiqueetdéclencherl’intérêtdupublic.

Diverses tentatives ont par ailleurs été entreprises par le biais de lettresconfidentiellesouderevues,souventéphémères.CinqansaprèsêtresortiduCentredeformation et de perfectionnement des journalistes,Michel Friedman lançait, en juillet1967,lepremiernumérode001.Lemensueldel’espionnage.Vingtansplustard,OlivierSchmidtetMauriceBotbolcréaientLeMondedurenseignement,devenuIntelligenceOn­linedepuisledébutdesannées1990.Aladifférencedenombredeleursconfrères,cesdeux derniers ne cherchent pas à suppléer la recherche scientifique, mais bien àdécrypter«les rapports de force politiques, l’organisation des réseaux d’influence et lesenjeux économiques avec une ambition: pénétrer, à chaque fois, au cœurdupouvoir»1.Cette publication est la seule qui ait survécu et qui fasse référence, toutes les autrestentativesayantrapidementéchoué.

Fig.2­LespublicationsdelivressurlerenseignementenFrance(1975‐2009)2

Lerenseignementdanslaproductionéditorialefrançaise

Analysantlalonguedurée(1884‐2008),ilestpossiblededégageruneconstantedans les choix des maisons d’édition françaises. Elles ont toujours privilégié troiscritèrespourproduiredesouvragessurlerenseignement:l’histoire,ladernièreguerreet l’actualité, notamment quand elle est scandaleuse. Ainsi, l’entre‐deux‐guerresconcentra lespublicationsd’ouvragestraitantde laPremièreGuerremondiale(36%), 1 http://www.indigo-net.com/about/philosophie.asp et http://www.intelligenceonline.fr/info/about/p_IO.asp?rub=about 2 Graphique à partir des données offertes par le catalogue du Système universitaire de documentation (SUDoc), http://www.sudoc.abes.fr/

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sur son époque (21%) et sur l’histoire (20%, dont 10% pour la seule question duPremier Empire); la période suivante (1945‐1974) était marquée par uneprédominanced’ouvrages sur la SecondeGuerremondiale (45%) et laGuerre froide(37%).Depuis1974,etplusparticulièrementdepuis1997,ladiversitésembleêtredemise.

Entre1945et1974,cetteproductionreprésente54,5%deslivrespubliéssurlaquestion.Ils’agitd’aborddemémoiresd’anciensdesservices,dèsleslendemainsdelaPremièreGuerremondiale, commeSir JohnAston,BadenPowellouMartheMcKenna.CettedernièreavaitétéunagentduTrainwatchingbritanniqueenBelgiquependantlaPremière Guerre mondiale; elle publia pas moins de quatre livres de souvenirs enFranceentre1933et1940.A lamêmeépoque,seulRobertBoucardetsesDessousdel’espionnageconnaîssaitunpareilsuccèsd’estime.Sanstarircettesource,lesannéesquisuivirent la Seconde Guerre mondiale apportèrent les premières Intelligence Studiesaméricainesetbritanniques.D’oùunesur‐représentationdececonflit(45%dessujets)etde laGuerre froide(37%dessujets)dansuneproduction françaiseencore timide.Par ailleurs, la situation politique française permit, aussi bien pendant l’entre‐deux‐guerres qu’après 1945, une publication de documents justificatifs des services derenseignement soviétiques, lors des grands procès de Moscou (1932, 1937) ou del’affaireGaryPowers(1958‐1960). Mais toute cette production concerne‐t‐elle vraiment le renseignement? Biensouvent,letitren’estqu’uneaccrochemédiatique.D’ailleurs,misàpartquelquesétudesde militaires (1934, 1935), ou d’universitaires (1969), parfois nantis d’un passéprofessionneldanslesservices(1987,1994),leterme«renseignement»n’apparaîtquerarement dans les études françaises avant la fin des années 1990. Jusque‐là, lespublications préfèrent parler d’«espionnage». Peut‐être parce que cela permet deparler d’espions? «L’entrecroisement du document et de la fiction, de la fictiondocumentaire et du document romancé, est un trait marquant de l’explosion del’imaginaired’espionnageauXXe siècle»1.Oubien parceque leparadigmed’étudeestinsuffisammentdéfini?Unedisciplinelongtempsnégligéeparlesuniversitairesfrançais

L’histoire du renseignement en tant que science propre demeure encorelargementl’apanagedeschercheursétrangers.C’estprincipalementàpartirdesannées1970 que l’on observe, outre‐Atlantique, un développement significatif du nombre detravauxscientifiquesconsacrésausujet.

Les Américains ont été les premiers à considérer le renseignement comme unsujet d’intérêt académique, puis à créer de véritables filières d’Intelligence Studies aucours des années 1980. Plusieurs établissements proposent des études de Sécuriténationale (National Security Education Program/NSEP) permettant un recrutementultérieur dans une des agences fédérales. Ces études ont été instaurées par une loiprésidentielle en décembre1991 dont l’objectif officiel est de pouvoir disposer d’unvivier de spécialistes dans des domaines très variés mais intéressant la sécuriténationale.Celacomprend les languesétrangèresetdesmatièresdiverses,dont la listeestarrêtéeenfindechaqueannéepourl’annéesuivante.Ainsi,lalistedel’année2001 1 Alain Dewerpe, Espion. Une anthropologie historique du secret d’Etat contemporain, Paris, Gallimard, 1994, p. 288.

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comprenait80payset75langues intéressant laSécuriténationale.LediplômedélivréparleNSEPestconsidérécommeunedimensioninternationaleimportantedesétudes.Surtout, lesÉtats‐Unisenvisagentdésormais la créationd’uneUniversiténationaledurenseignement.

LaNSA,desoncôté,aélaboréunprogrammeappeléTheUSAMathematicsTalentSearch(USAMTS),compétitionlibredemathématiquesouverteauxétudiantsdeslycéesaméricainspermettant d’être sélectionnépour fairepartie de l’équipe américainedesolympiadesdemathématiques.Accessoirement,ceprogrammepermetdesélectionnerdejeunesmathématicienspourlesprogrammesderecherchedelaNSA.

Les Britanniques ont suivi cette voie en créant, au cours des années 1990,plusieurs chaires d’enseignement du renseignement (notamment à Cambridge –histoire– et à Durham –droit et science politique). Celles‐ci réunissent desuniversitaires prestigieux, mais aussi d’anciens directeurs des services derenseignementseconsacrantdésormaisàlarechercheacadémique.

Lapriseencomptedurenseignementcommeobjetd’étudeàpartentièreestunfait nouveau dans l’historiographie française contemporaine. Jusqu’à une date trèsrécente, les historiens n’ont jamais considéré le renseignement comme un paramètresignificatif de l’action de l’État –ni pour la politique intérieure, ni pour les relationsinternationales–nilesservicescommedesacteurssignificatifsdesapolitique.Sil’onnepeutdirequecettequestionaitététotalementignorée,sonimportanceaétélargementsous‐estiméeettrèspartiellementappréhendéeparleshistoriens,ycomprismilitaires.

Certes, il faut reconnaître que le caractère secret du renseignement n’a pasfacilité le travail des chercheurs et la question de l’accès aux documents a constituépendant longtemps un frein pour la recherche historique. Lorsque de raresuniversitairessesontinterrogéssurlacontributiondurenseignementàl’histoire,leurméconnaissancedumétieretleurincapacitéàidentifierlessignescaractéristiquesdesopérationsclandestines lesontconduitsàdéclarerqu’iln’existaitaucunesourceen lamatière.

Or,rienn'estplusinexact,commel'ontnotammentdémontrélestravauxdeJeanDeuve ‐ sur lerenseignementchez lesVikings,puisdans lesroyaumesnormands ‐dePaoloPreto‐surlatraditionvénitiennederenseignementetd'actionclandestines‐oud'Olivier Blanc ‐ sur la guerre secrète sous la Révolution et l'Empire. Une histoire durenseignement est bien possible, à condition de disposer d'une grille de lectureadéquateafindereconnaîtrelesmanifestationsdecemondedusecretetdemettreenlumièresonrôlesignificatif.D'oùlanécessitédecréerunevéritableécoleacadémiqued'étudedurenseignementquisoitcapabledereconstituercettehistoiresouventécriteentreleslignes.Unetelleapprochesembledésormaispossibleenraisond’uncontexteinternationalperturbémaisfavorable. L’ironie veut que les premières études sur le renseignement français, utilisantdessourcesfrançaises,soientbritanniques1.Lefaitmérited’autantplusd’êtresoulignéqu’en général, les spécialistes académiques anglophones des études sur lerenseignement,préoccupésparlagrandequantitédedocumentsenleurlangue,sesontlongtemps limités aux seuls horizons qu’elle leur offrait; ainsi, les études sur lesservicesrussesetbritanniques,dont l’accèsauxsourcesétaitaussirestreintquepourleurs équivalents français, puisèrent dans les fondsdéclassifiés de la communautédu

1 Cf. Christopher Andrew, « Déchiffrement et diplomatie : le cabinet noir du Quai d’Orsay sous la IIIe République », Relations internationales, n° 5, 1976, pp. 37-64 et Peter Morris, Martyn Cornick, The French Secret Services, New Brunswick, Transaction Publishers, 1993.

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renseignementaméricaine. Maislaprédominancedespublicationsanglo‐saxonnesestrelative.Eneffet,pourlapériode1945‐1974, ellene représenteque42%de laproductionétrangère totale.AllemandsetIsraélienspublientégalementenFrancependantcettepériode,apportantparfoisuncontre‐pointéditorialàproposdequestionsdébattuespardes journalistes.Undébatsurlerenseignementétaitdoncpossible,maislemondeacadémiqueluirestaitétranger.D’autantqueleséditeurssemblentavoirréponduprésents.Cinqansaprèssapremière publication, en 1961, l’ouvrage du journaliste britannique Jon Kimche surl’actiondeHenriGuisan,UnGénéral Suisse contreHitler. L’espionnage au service de laPaix 1939­1945, était réédité. L’occasion de ce rare honneur était la publication desRévélationsd’unagentsecretsurl’espionnageenSuissecontrelefascismeetHitler,1930­1945, par Otto Pünter, et du livre des journalistes Pierre Accoce et Pierre Quet, LaGuerre a été gagnée en Suisse, l’affaire Roessler. Sans pour autant susciter une telle«avancée» historiographique, seule une petite quinzaine de livres, en majoritéétrangers,connurentunedeuxièmevieavant1995.Ensuite,l’ouvertured’unmarchéetla tombée dans le domaine public des droits des plus anciens ouvrages permit denouvellesrééditions. La prédominance anglo‐saxonne s’explique donc par une antériorité certainedans le domaine des études sur le renseignement, plutôt que par un désintérêt desauteurs français. Une offre éditoriale a toujours existé en France pour un traitementscientifiquedecesquestions.Peut‐êtres’essouffle‐t‐ellede tempsàautre, commeà lafin des années 1920, après une période trop faste de publications de témoignages,laissantlaplaceàuncourantpropiceauromand’espionnage?Sidésintérêtilyaeu,iltouche essentiellement les auteurs universitaires. Avant les années 1990, ils étaientrares,comparésàleurshomologuesanglo‐saxons,àtravaillersurcesquestions.

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LA«NAISSANCE»DESETUDESACADEMIQUESSURLERENSEIGNEMENT

APARTIRDESANNEES1990

L’entrée du renseignement dans lemonde académique français est en premierlieu lié à l’apparition de la société de l’information et à la prise de conscience de lanouvelle compétition économiquemondiale, qui a conduit les acteurs économiques àintégrerlerenseignementdansleurprocessusdemanagement.Afinderépondreàleurdemande nouvelle de spécialistes, universités de gestion et Business Schools ontdéveloppé à partir du début des années 1990 de nombreux diplômes ou modulesspécialisésd’intelligence économique, afinded’apprendre aux acteurs économiques àgérer l’information et la désinformation. Parallèlement, recherches et publications sesontmultipliéessurcethème.Uncontextefavorable

C'estletravailréaliséparlacommission"Compétitivitéetsécuritééconomique"duXIeplan (rapportMartre,1994)quiaétéà l'origined'uneprisedeconsciencedesnouveauxprocessusdeconquêtedesmarchésetdesnouvellesbasesdelacompétitivité.IlaétéprolongéparlerapportCarayon(2002),quiamisenlumière,huitansplustard,quelesprogrèsavaientétéextrêmementlents.

En effet, une vision dynamique et conflictuelle des échanges économiquesinternationaux ne s’est imposée que récemment en France. Elle est depuis peureconnue,àdéfautd’êtreappliquée.Toutsepasseeneffetcommesiunegrandepartiedenosacteurséconomiquess’obstinaitàcroireenlatoutepuissancedelaloidel’offreetdelademandeetdemeuraitconvaincuequeleseulsoutiendel’Étatàleuractionsoitsuffisantpoursortirvictorieuxdelacompétitioninternationale.

Partout ailleurs, les grands acteurs internationaux ont tous compris que pourgarantir la paix, anticiper les nouvelles menaces ou sortir vainqueur des rivalitéséconomiques mondiales, des services performants, s’appuyant sur une culture durenseignementdiffuséedansl’administration,lesentreprisesetlasociétécivileétaientunatoutdepremierordre.Maissilaprisedeconscienceaététardiveetlente,aumoinsa‐t‐elle eu le mérite de faire naître un besoin de spécialistes du traitement del’informationdanslesentreprises.

Le second facteur à l’origine de l’intérêt nouveau pour le renseignement est leterrorisme, en premier lieu les attentats du 11septembre 2001. Ils ont conduit lesacteurs politiques et le public français à prendre davantage conscience du rôle du

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renseignement dans la Sécurité nationale. Il a été redécouvert comme un outilimportantdel’actiondel’État,àlafoiscommeélémentdéterminantdel’informationetdeladécisiondesautoritésenmatièredepolitiqueextérieure,dedéfenseoudesécuritéintérieure,maisaussicommemoyend’action.

Cependant, la reconnaissance n’est encore que très partielle en France. Lerenseignement reste encore souvent perçu négativement, victime d’une largeméconnaissance, de clichés et d’idées reçues. Les élites politiques et administratives,comme lepublic,neconnaissentdecesactivitésquequelquessombresaffaires,assezpeureprésentativesde laréalité. Ilsnetolèrent l’existencedesservicesqueparcequeceux‐cileurapparaissentcommeunmalnécessaireànossociétés,maisilss’endéfientprofondément.

Pourtant,dansnosÉtatsmodernes,deplusenplusrégispardesrèglesdebonnegouvernance, d’éthique et de transparence, le renseignement ne peut échapper à unnouveau regard des citoyens et des parlementaires, afin de conduire à la justeévaluation de son rôle. Or, à de très rares exceptions1, une telle démarche resteinexistante.L’apparitiond’enseignementsetdeformationsdédiésaurenseignement

Afin de répondre à la demande nouvelle de spécialistes, les universités descienceséconomiques(4esectionduCentrenationaldesuniversités–CNU),degestion(5esectionduCNU),del’informationetdelacommunication(71esectionduCNU),ainsiquelesécolesdecommerceetd’ingénieurs,ontdéveloppé,àpartirdudébutdesannées1990,denombreuxdiplômesoumodulesspécialisésd’intelligenceéconomique,afinded’initierétudiantsetsalariésauxpratiquesdurenseignementappliquéesàl’entreprise.

En1995,à l’initiativedel’amiralPierreLacoste,anciendirecteurdelaDGSE,etsurl’instigationdeJacques‐EmileDubois,aétécrééauseindel’UniversitédeMarne‐la‐Vallée, un Centre d’études scientifiques de défense (CESD), dont la vocation était dedispenserun enseignement, depromouvoir des études et des recherches et d’êtreunlaboratoire d’idées prenant en compte les nouvelles dimensions de la défense et lesenjeuxsécuritairesdessociétéscontemporaines.

Enparallèle,l’universitédeMarne‐la‐ValléeamisenplaceunDESSd’informationetdesécurité,danslequelsontabordéslesserviceset laculturedurenseignement,etdeux DESS d’intelligence économique et d’ingénierie de la sécurité, qui couvrentl’ensembledesquestionsconsidérées.

En 1997, l’ancien directeur de l’Ecole interarmées du renseignement et desétudes linguistiques (EIREL), le général Jean Pichot‐Duclos, et l’ancien dirigeant desNoyaux armés pour l’autonomie populaire (NAPAP2), Christian Harbulot, créaientl’Ecoledeguerreéconomique.Cetteformationdetroisièmecyclepascommelesautres,appuyée sur l’écolede commerceparisienneESLSCA, entendait comblerdeux lacunesimportantesdanslaformationdescadresd’entreprisesfrançais:l’absencedepriseencompte des affrontements informationnels dans la définition de la stratégie desentreprises, des administrations et des collectivités territoriales; l’apparente

1 Renseignement, médias et démocratie, Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), sous la direction d’Eric Denécé, Ellipses, Paris, 2009. 2 Groupuscule d’extrême gauche d’inspiration maoïste des années 1970, ayant réalisé de nombreux attentats.

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incompréhensionde l’accroissementdespuissancesde l’après‐guerre froidedansunemondialisation des échanges de plus en plus conflictuelle. Depuis sa création, onzepromotions,soitquelqueseptcentsétudiants,sontsortiesdecetteécole.

Par ailleurs, le renseignement a progressivement été introduit dans lesprogrammesde l’Ecolenationaled’administration (ENA),permettant aux futurshautsfonctionnaires d’avoir une initiation dans ce domaine. L’Institut des hautes études deDéfense nationale (IHEDN) a, parmi ses missions, celle de donner une informationapprofondiesurlesgrandsproblèmesintéressantladéfense,etproposenotammentunstage d’information sur les menaces d’investigation étrangères, tout comme un cycled’intelligenceéconomique.Enfin,leCollègeinterarméesdedéfense(CID)ainstitué,en2006, un séminaire sur le renseignement. Avant cette date, à l’exception de quelquesconférences ponctuelles sur le sujet, aucun séminaire spécialisé sur le sujet n’existaitdanslaformationdel’élitedesofficiersfrançais…

A la rentrée universitaire 2006/2007, leMaster «Affaires Internationales» deSciences Po Paris a créé un séminaire intitulé: «Les mondes de la clandestinité: lerenseignement faceau terrorisme», animéparStephenDuso‐Bauduin, sociologuedesrelationsinternationales,etJean‐PierrePochon,ayantexercédeshautesresponsabilitésdans lesservicesderenseignements français(DCRG,DST,DGSE).Sonobjetest l’étudedu renseignement face au terrorisme dans différents pays, en mettant l’accentprincipalementsurlecasdesÉtats‐Unisetsurlesstructuresfrançaises,etenévoquantégalementles«grands»servicesdumonde(britanniques,russes,israéliensetchinois).

L’annéesuivante,cemêmeétablissementcréaitunnouvelenseignementintitulé«Les politiques du renseignement», sous la direction de Philippe Hayez, conseillermaîtreàlaCourdescomptesetanciendirecteuradjointdurenseignementdelaDGSE.Ce séminaire vise à permettre aux étudiants de mieux comprendre cette politiquepublique «spéciale», le lien qu’elle entretient avec les autres instruments(diplomatique,militaire,policier,judiciaire)del’Etatetleprocessusdedécision.

Enfin, à la rentrée2008, un groupede réflexiondénomméMètis ‐coaniméparPhilippeHayez,SébastienLaurentetOlivierForcade‐voyait le jour,avecpourfinalitél’organisation régulière de conférences‐débats sur les questions de renseignement auseindel’institutiondelaruedesSaintsPères.Lamultiplicationdespublications

Du côté de l’édition, l’observation des publications françaises et étrangèresdepuis1975(Fig.2)meten lumièredeuxéléments.Lepremier laisseparaîtreun lentdémarragedesétudesderenseignementàpartirde1991,puisunecroissanceàpartirde 1998, avec un point d’orgue suite aux attentats du 11 septembre 2001; lefléchissementperceptiblepour2009n’estpassignificatif,carétabliuniquementsurlescinq premiersmois de l’année. Ainsi, du point de vue bibliographique, la productionfrançaises’estsignificativementamplifiéeàpartirde1995.

La seconde réalité que laissent paraître les chiffres est une diminution del’importancedelaproductionétrangèreauprofitdespublicationsfrançaises.L’exemplele plus caractéristique est peut‐être la biographie de James Angleton, chef du contre‐espionnage de la CIA entre 1954 et 1974, par un chercheur du CF2R, Gérald Arboit1,plutôt que la traduction de la somme de Tom Mangold, qui fait pourtant autorité. 1 James Angleton. Le contre-espion de la CIA, Paris, Nouveau monde, 2007.

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L’intérêt d’un tel sujet se justifiait par la sortie en France du film de Robert deNiro,Raisond’Etat,quifiguraitcepersonnage.L’occasionétaittropbelledefaireun«coup»éditorial au moindre coût! Même chose pour la réédition, en 2002, de la thèse ducapitaineFernandRoutier,L’Espionnageet la trahisonen tempsdepaixeten tempsdeguerre,soutenueàPoitiersen…1913. Cettelogiqueinfluedoncsurlaproduction,nonenqualité,maisenthématique.Sans que cela soit d’une précision scientifique, comme lemontre L’espionne. VirginiaHall, une Américaine dans la guerre de Vincent Nouzille1. D’une très bonne facture,l’ouvrage de ce journaliste devait profiter du développement des études de genre enFranceetd’un intérêtconstantpour laSecondeGuerremondiale,s’appuyantsurceluipourlesétudesderenseignement.Iln’enapasmoinsétéunécheccommercial.

Ce double phénomène est encore amplifié par l’engouement des maisonsd’éditiondepuisle11septembre2001.Plusieursd’entre‐ellesn’ontpashésitéàlancerdes collections dédiées à cette thématique, «Culture du renseignement», chezL’Harmattan, dès 1999, suivi en 2001 par «Renseignement & guerre secrète»(Lavauzelle), que remplace trois ans plus tard «Renseignement, histoire etgéopolitique». A partir de 2003, Ellipsesmultiplia également les titres sur le thème.Enfin,en2005,NouveauMondeconfiait«LeGrandJeu»àdeuxuniversitaires(OlivierForcade,SébastienLaurent).

Fig.3­Etatdespublicationsfrançaisessurlerenseignement2

(1975‐2009)

1 Paris, Fayard, 2007. 2 Tableau à partir des données offertes par le catalogue du Système universitaire de documentation (SUDoc), http://www.sudoc.abes.fr/

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L’essordestravauxderecherche

Vingtansaprès lesEtats‐Unisetdixansaprès laGrande‐Bretagne1, laFranceadoncincorporélesétudessurlerenseignementdansledomaineacadémique.Nombredethèsesetdemémoiresdemaîtrise,puisdemastère,ontétésoutenus.Ilspermettentdecerner lesaxeset l’ampleurde la«fondation»desétudessur lerenseignementencours. Ils intéressent l’histoire, la sciencepolitique, ledroit, les scienceséconomiques,degestion,de l’informationetde lacommunication,etc.Leursdomainesd’applicationconcernent tous les domaines de la sécurité nationale comme ceux de la vie desentreprises. Trois sections (sciences économiques, sciences de gestion et sciences del’informationetdelacommunication)monopolisent51%desthèsessoutenuesdepuis1996 sur le sujet, respectivement à 5%, 12 % et 34 %. Deux universités semblents’imposer, toutesdeux en sciencesde l’information et de la communicationd’ailleurs,Aix‐MarseilleIII(24%)etMarne‐la‐Vallée(7%);professeurémériteayantœuvrédansla première, Henri Dou semble s’être fait une spécialité en intelligence économique(13%).

Effet de mode ou attention légitime, les thèses et d’habilitations à diriger desrecherches soutenues depuis 1996 laissent apparaître une diversité autre que cellepermise par l’édition. Surtout, ellesmontrent une domination des sujets ayant trait àl’intelligence économique (49 %), au détriment des relations internationales et desguerres (20 %). Il s’agit d’une adaptation du système universitaire à une doubledemande, l’une purement étatique, la secondepurement professionnelle. La premièrevient du souci exprimé par le gouvernement Balladur de coordonner l’ensemble desactivités de collecte, de traitement et de diffusion de l’information utile aux acteurséconomiques. Une commission «Compétitivité et sécurité économique» est mise enplace dans le cadre du XIe plan, suite au rapport présidé par Henri Martre – ancienprésident directeur général d’Aérospatiale ‐ publié en 1994. En 2002, un nouveaurapport,signédudéputéduTarnBernardCarayon,faitapparaîtrequelenombreexactdeformationsestinconnuduministèredel’Enseignementsupérieur. Sept ans plus tard, on recense plus d’une quarantaine demastères spécialisésconsacrés à cette nouvelle discipline. Paradoxalement, celle‐ci ne reconnaît que trèspartiellementsafiliationaveclerenseignement.L’intelligenceéconomiquefrançaiseseconçoit davantage comme une nouvelle forme demanagement, fruit d’un croisemententre la gestiondes sourcesouvertes et les approches scientifiqueset rigoureusesdumarketing et du conseil, alors qu’à l’étranger la filiation renseignement/intelligenceéconomiquesembleallerdesoi.Enconséquence,beaucoupd’acteursuniversitairesontpensé«inventer»unenouvellediscipline.Acejeu,lessciencesdel’informationetdelacommunication,dont ledomaine thématiqueest leplus large ‐peut‐êtreparceque lemoinsbiendéfini‐sesontrapidementimposées.Depuis1996,ellesontcaptéuntiersdes thèses soutenues sur une thématique «renseignement» et les deux tiers en«intelligenceéconomique».Estimantque l’intelligenceéconomiqueétait le fruitde larévolutionnumérique, elles ont accrédité l’idée que la discipline était essentiellementliéeàInternet,orientantcenouveauchampdeconnaissancesversuneformeévoluéedecyberdocumentation, destinée à améliorer la compétitivité des entreprises. C’esttellementvraiquetrois thèsesontétéclassifiéestemporairement(deunàdixans)et 1 D. Cameron Watt, “Intelligence Studies: The Emergence of the British School”, Intelligence and National Security, Vol. 3/2, April 1988, pp. 338-341.

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une quatrième «à vie», tant elles portaient sur des sujets concurrentiels. Laconséquence est d’apporter une incompréhension de la réalité de l’intelligenceéconomique. Cela se traduit par 49 % des thèses soutenues consacrées à la seule«veille»,c’est‐à‐direauprocessusdegestiondel’informationélectronique.

Cetteapprocherestrictivea,depuis,largementdébordéleseulcadredessciencesdel’informationetdelacommunicationpours’étendreàpresquetouteslesdisciplinesqui se sont penchées sur le renseignement économique. Ainsi, en gestion, 49 % desthèsessoutenuesenintelligenceéconomiquesontenfaitconsacréesàlaveille;mêmechose pour 13 % des thèses d’économie. L’intérêt pour l’intelligence économique aégalementdébordélessciencespourgagnerleshumanités,ledroit(22%desthèses),lasciencepolitique(15%desthèses)etmêmel’histoire(4%).OnrelèvemêmeengestionunethèsesurLadéstabilisationdel’entrepriseaunomdel’éthique:approcheparl’auto­alimentation.Celle‐ciestrévélatriced’unfaitmarquant:cesnouveauxsujetspourraientêtreprésentésdansplusieursdisciplinesdifférentes.C’estnotammentlecaspourdeuxautresthèsesengestion,portantsurl’organisationdesservicesderenseignement,quidevraient logiquement plutôt entrer dans les préoccupations de la science politique.Preuve s’il en était besoin que les études de renseignement, comme l’avait stipulél’amiralLacostedanssonouvragede1998,sontparessencepluridisciplinaires.

Fig.4–Lesthématiquesderecherchesurlerenseignement(1975‐2009)d’aprèslestravauxuniversitairessoutenusenFrance1

Seizedisciplinesparticipentdepuis treize ans aux études sur le renseignement

1 Tableau à partir des données offertes par le catalogue du Système universitaire de documentation (SUDoc), http://www.sudoc.abes.fr

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danslesuniversitésfrançaises.Contrairementàcequis’estpasséenGrande‐Bretagne1,l’histoiredurenseignement(16%desthèses)n’estpasenpointe.Commelessciencesdel’informationetdelacommunication,elleprésenteunevisiondéforméedelaréalitéde son objet. Le renseignement militaire y est sur‐représenté (60 % des thèseshistoriques),profitantdeseffortsréalisésparl’histoiremilitairedepuisvingtans.Etsilesrelationsinternationalesfontbonnefigure(28%),ilconvientdepréciserque80%des sujets portent sur la seule histoiremoderne. Contrairement à l’histoiremilitaire,l’histoire des relations internationales subit depuis un demi‐siècle une désaffectioncertaine,particulièrementenhistoirecontemporaine.Aucundesenseignantstravaillantsurl’histoiredurenseignementn’estissudecettespécialité,quiestpourtantlechampd’actionprivilégiédesservices. Etrangement,lesthèsesdesciencepolitiqueconsacréesaurenseignement(8%)ne soutiennent pas la comparaison avec les études étrangères de même genre. Avec47% des thèses portant sur la littérature d’espionnage et seulement 38 % sur lesstructures de renseignement, il est difficile de parler d’un quelconque effetd’entraînement.Même chose pour lesmatières juridiques (15%), pourtant troisièmepôledesétudesderenseignementenFrance;56%destravauxsoutenusdepuis1996concernent,commeàlafinduXIXesiècle,l’espionnage…Lesautresinitiativesderecherche

La recherche académique officielle consacrée au renseignement est encore encoursdestructuration,maisc’estdansledomainedel’intelligenceéconomiquequel’onnote les initiatives les plus significatives, notamment la création, en 2003, duLaboratoire de recherche en guerre économique (LAREGE), par l’Ecole de guerreéconomique. Dirigé par Philippe Baumard, professeur agrégé des universités ensciencesdegestionàl’universitéAix‐MarseilleIII,sonobjectifestdecomblerleretardfrançais dans le domaine de l’intelligence économique. D’emblée, il a affiché unambitieuxobjectifets’estdonnélesmoyendel’atteindre:contribueràlarecherchesurlesquestionsdestratégiesinformationnelles;créerunespaceréellementindépendantde réflexionetd’expertise sur ces enjeuxet ces stratégies; sensibiliser lesprincipauxacteurs institutionnels et économiques, comme l’opinion publique, à la réalitéstratégiquedel’informationdanslenouveaucontexteinternational.

Privilégiant les travaux longitudinaux (modélisations, études de cas, ou étudesprospectives), les recherches du LAREGE contribuent à examiner les modalités dedéveloppement et de mise en œuvre de stratégies indirectes et la dynamique deschangementsstratégiquesetorganisationnelsnéedecesmanœuvres.Parmilesthèmesprioritaires,figurentl’étudedelagestiontactiqueetstratégique

D’autres centres de recherche travaillent également sur les questions derenseignement,LeCentred’étudesd’histoiredelaDéfense(CEHD),crééen1995,s’estdoté en 2000 d’une Commission d’histoire du renseignement, animée par le juristeBertrand Warusfel. Son objectif était de stimuler recherches et débats, ainsi que 1 Michael S. Goodman, “Studying and Teaching About Intelligence: The Approach in the United Kingdom”, Studies in Intelligence 50/2 (2006), https://www.cia.gov/library/center-for-the-study-of-intelligence/csi-publications/csi-studies/studies/vol50no2/html_files/Studying_Teaching_6.htm et Paul Maddrell, “Intelligence Studies at UK Universities: An expanding subject”, Centre for Intelligence and International Security Studies, University of Wales Aberystwyth, 2003, http://users.aber.ac.uk/rbh/iss/uk.htm

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d’apporter la contributionde l’institutionmilitaireà l’enracinementuniversitaired’unchamphistoriographiquericheenpotentialités.Mais,aprèshuitannéesetunouvragereprenantlesconférencesdescinqpremièresannées1,lacommissionadisparu…Mêmechose auCentrede recherchedes écoles deCoëtquidan, oùOlivier Forcade animaunséminairesurlerenseignementde1997à20022;L’initiativepritfinàl’issueduséjourde son initiateur et après qu’il eut co‐encadré cinquante‐huit mémoires de sous‐lieutenantssurcettequestion.

Parallèlement,l’Agencenationaledelarecherche(ANR)soutientunprogrammequadriennal (2006‐2009) «jeune chercheur», intitulé «Informationouverte/Informationfermée(IOIF)»lancéparSébastienLaurent,maîtredeconférencesàBordeaux III et enseignant à SciencePoParis.Réunissant vingt‐deux chercheurs, ceprogramme a pour objectif d’être la première démarche de recherchespluridisciplinaires (histoire, science politique, droit) sur le renseignement en France,réunissant essentiellement de jeunes universitaires. Cette intéressante initiative estcependantdavantagelaréuniondechercheurss’intéressantaurenseignementquecellede spécialistes du domaine; cela limite malheureusement leur perception duphénomène, même si les travaux produits sont de qualité et les réunions organiséespermettent à de nombreux jeunes historiens de commencer à se familiariser avec lesujet.

Il est à déplorer que le Centre national de la recherche scientifique (CNRS),parangondelarechercheuniversitairefrançaise,nesesoittoujourspasouvertàcettethématique, la laissant encore à des centres en général non universitaires, et parfoisprivés.Lanaissanced’uncentrederecherchespécialisé

Alors que l’Université n’a pas permis de générer en son sein un centre derecherchespécifique,une initiativemarquantes’estdéveloppéeà samarge,dès1999,autourduCentreFrançaisdeRecherche sur leRenseignement (CF2R). Surmontant laréticenceinstitutionnelleacadémique,deschercheursetdesanciensdurenseignementont décidé de créer unThink Tank indépendant afin de développer les études sur lerenseignement. Tenants d’une double démarche entrepreneuriale et académique, cesprofessionnels issus des services et ces chercheurs, jeunes ou expérimentés ont, enmoins de dix ans, publiés plus de douzemille pages de livres, documents et articlespluridisciplinaires; ils sont intervenus dans de nombreux diplômes universitaires,privésoumilitaires,etdansdescolloquesenFranceetàl’étranger. La première initiative du CF2R, face à la rareté des publications consacrées aurenseignement,futlacréationd'unerevueluiétantdédié.Renseignementetopérationsspéciales, publiée chez L'Harmattan, a été la première revue française consacrée àl'étudedumondedurenseignementetdesesmoyensd'actionsparticuliers.Entre1999et 2002, Renseignement et opérations spéciales paraît trois fois par an et réunit, enenviron180pages,desarticlesdefond(témoignagesetanalyses),desinterviews,ainsique des comptes‐rendus de lecture ou de colloques. La revue aborde les périodes

1 Le renseignement. Guerre, technique et politique (XIXe-XXe siècles), Paris, Economica/CEHD, 2007. 2 Olivier Forcade, « Histoire militaire et renseignement : état des lieux », Pierre Lacoste (dir.), Le Renseignement à la française, Paris, Economica, 1998, pp. 63-65. Cf. aussi Ibid. (dir.), Le secret et la puissance. Les services spéciaux et le renseignement aux XIXe et XXe siècles, Amiens, Encrage, 2007.

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historiqueslesplusvariéesens'efforçantdemettreenlumière,chaquefois, lerôledurenseignement et des opérations spéciales dans la conduite des actions politiques,militaires et économiques. Après 12 livraisons, la revue est suspendue devant lafaiblessedulectorat.

LeCF2Raparailleursétablideséchangesavecdesorganismesderechercheetdes chercheurs étrangers et a créédeuxprix universitaires récompensant les travauxd’étudiantsetdedoctorantssurlesujet.Enoutre,leschercheursduCF2Ronteffectuéun travail de pédagogie en direction de publics variés (grand public, enfants etadolescents) et ont mené des actions de sensibilisation ou de conseil au profit desparlementaires,desmédiasetducinéma.

Alors qu’il n’existait aucun diplôme spécifique consacré exclusivement aurenseignement,leCF2RetleCentred’analysepolitiquecomparée,degéostratégieetderelations internationales (CAPCGRI) de la faculté de science politique de l’universitéMontesquieu‐Bordeaux IV –dirigé par le professeur Michel Bergès– ont créé undiplômeuniversitaire(DU)detroisièmecycle«Étudedurenseignement»à larentréeuniversitaire2006.

À travers ce diplôme, le CF2R et le CAPCGRI souhaitaient contribuer à uneconnaissance plus approfondie et à la diffusion d’une culture du renseignement enFrance. Dans cette perspective, la formation proposée avait pour but d’enseigner auxparticipants les principes d’action de la discipline, afin qu’ils soient capables de lesreconnaître dans leurs recherches. En effet, les activités clandestines constituent devéritables pratiques codifiées, avec leurs règles, qu’il importe de connaître pour lesidentifier. La démarche avait également pour but de mettre en lumière les apportsessentiels que le renseignement a fourni à ceux qui ont toujours cherché à façonnerl’Histoire et d’appréhender la façon selon laquelle d’autres nations recourent à cespratiques.Latentativen’apaspourl’instantabouti.ElleestencoursderelancedanslecadreduGroupede recherche sur la sécurité et la gouvernance (GRSG), quedirige leprofesseurLouis‐MichelMartin,àToulouse.

Puis,alorsqueleLivreBlancsurlaDéfenseetlaSécurité(2008)stigmatisaitlanécessitéd’uneacadémiedurenseignementenFrance,leCF2Ralancé,début2009,undiplôme à finalité professionnelle –unique dans tout lemonde francophone– intitulé«Managementdesagencesde renseignementetde sécurité». Il s’adresseàdeshautsfonctionnairescivilsetmilitairesainsiqu’àdesélusdestinésàtravaillerdansouaveclesagencesderenseignementetdesécuritéetquiveulentmaîtriserlefonctionnementdecemilieu.L’objectif estque lesparticipants soient capablesdediriger,degéreroudecontrôler efficacement les services, de s’y intégrer avec succès, ou de travaillerefficacement avec eux. À cet effet, la formation aborde tous les principes d’action decette activité particulière de l’État et permet aux participants:d’assimiler lesfondamentaux du renseignement nécessaires à la bonne compréhension de ladiscipline;dedisposerd’unevued’ensembledesactivités,métiers,servicesetmissionsd’unservicederenseignement;deconnaîtrelesprincipauxservicesderenseignementetdesécuritédumonde;d’identifier lesmeilleurespratiquesetconfronter lesvisionsdeprofessionnels;decomprendreetd’analyserlesenjeuxfutursdurenseignementafind’adapter les services aux nouveaux défis internationaux, technologiques etparlementaires.

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LIMITESETDEFISDEL’ETUDEACADEMIQUEDURENSEIGNEMENTENFRANCE

La raison principale de la lente émergence d’une recherche scientifique sur lerenseignementenFrancetientàdeuxdifficultés.‐ En premier lieu, le secret. En effet, rien n’est plus ardu que de vouloir analyser undomainedontlaprincipalecaractéristiqueestdechercheràfairedisparaîtretoutetracedesonexistenceoudesesactions.Toutefois, cettedifficultéconcerneégalementbiendesdomainesdel’activitéhumaineetnedoitpasêtreconsidéréecommerédhibitoire.Avec les temps des archives sont déclassifiées et des témoins acceptent un jour deparler.‐ En second lieu, la méconnaissance totale du métier et de ses pratiquesprofessionnelles;orcen’estquegrâceàl’acquisitiond’untelsavoirqu’ilestpossiblededécouvrirlesnombreuses«traces»durenseignementdansl’histoireoul’actualité.Trèspeu d’universitaires sont capables d’appréhender leur variété ou leurs pratiquesprofessionnelles, très rigoureuses et codifiées, qui n’ont cessé de se perfectionner aucours des siècles. Rares sont les chercheurs qui ont conscience de cette lacunehandicapante.D’oùl’intérêtdedévelopperdesformationsacadémiquesenlamatière.Unobjetderechercheencoremaldéfini

Lorsque l’on évoque le renseignement, de quoi parle‐t‐on précisément? Al’automne2002, unhistoriende la CIA,MichaelWarren, en était encore à rechercher«une définition du “renseignement”»1? Il n’y a donc pas qu’en France où l’on sedemande «pourquoi le mot “renseignement” est­il utilisé pour décrire le travail descommissionsd’analyseetdesgroupesd’actionclandestine?Descapteursdesignauxetdesespions?Pourquoitantdepays—del’Ouestetdel’Est,démocratiqueetdespotique—onttendance à organiser leurs services de renseignement selon certainsmodèles autour deleursdirigeants civils etde leurs commandantsmilitaires?»2Mais, compte tenudesonentrée tardive dans le domaine des études sur le renseignement, la France acertainementbesoindebiencomprendrelesdifférentesfacettesdel’objetd’étudepourévitertoutproblèmedevocabulaireetbiendéfinirdequoil’onparle.

1 “Understanding Our Craft. Wanted: A Definition of ‘Intelligence’”, Studies in Intelligence and Counterintelligence, Vol. 4/1, Spring 1990, pp. 39-46, https://www.cia.gov/library/center-for-the-study-of-intelligence/csi-publications/csi-studies/studies/vol46no3/article02.html. 2 Ibid..

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Il existe de nombreuses confusions sur ce qu’est un renseignement, lerenseignementou les servicesde renseignement.Elles sontprincipalementdues àunproblèmedevocabulaire. En effet, lemême terme«renseignement»désigne à la foisdesadministrations,desprocessusetdesrésultats:–lesservices spécialisés concourantà l’informationde l’État,qui relèventdedifférentsministères(Intérieur,Défense,Affairesétrangères,Économie);–les pratiques professionnelles qui permettent de percer les secrets adverses pardifférentsmoyens –pas uniquement illégaux– et de donner du sens à unemasse dedonnées diverses, secrètes ou non, et de les rendre intelligibles et utilisables par undécideur;–les produits finis, élaborés afin de répondre aux demandes exprimées, qui arriventdirectement sur le bureau des autorités et contribuent à leur information, mais neproviennentpasseulementdesservicesspécialisés.

Ainsi, lorsqu’il étudie le renseignement, un chercheur peut être conduit às’intéresseràplusieurschamps:–aux entitésadministrativeschargéesde cettemission, à laplaceet à l’importancedecelles‐cidansl’appareilgouvernementaldedéfenseetdesécurité;–aux savoir­faireprofessionnelsclandestins développéspour remplir lesmissions.Euxseuls permettent de mesurer le professionnalisme d’une organisation, mais c’est undomainepourlequellesarchivessonttrèsraresetlesuniversitairespeuformés;–auxrésultatsproduits,c’est‐à‐direauxrenseignementsrecueillis,àleurqualitéetàlafaçondontilssontprisencompteoupasparlesautorités;–la manière dont un pouvoir (État) s’informe sur le monde qui l’entoure afin dedemeurermaîtredesondestinetdefaireaboutirsesinitiativespolitiquesoumilitaires;–à la culture du renseignement, c’est‐à‐dire au rapport qu’entretient la collectiviténationaleaveclerenseignement.

Par ailleurs, il est primordial de préciser ce que l’on appelle génériquement«culturedurenseignement».Celanerecouvrepasseulement le renseignement.Cetteexpression recouvre en réalité l’ensemble des domaines dits de la «guerre secrète»,qu’il s’agisse de se renseigner, d’agir ou d’influencer: renseignement et contre‐espionnage,actionsclandestinesetopérationsspéciales,interceptionsetdécryptement,guerrepsychologiqueetmystification.Cesactivitésnesauraientêtredissociéeslesunesdes autres; seule une approche globale est de nature à faire comprendre les effetsqu’engendrentleursactionsetsurtoutleursinteractions.Unsujetenrecherchedediscipline

L’étudedurenseignementestparnaturepluridisciplinaireetintéresselasciencepolitique, ledroit, l’histoire, lagéopolitique, lessciencesdegestion,desorganisations,del’informationetdelacommunicationetc.Sesdomainesd’applicationconcernenttousles domainesde la sécurité nationale,mais aussi la vie des entreprises, au travers del’intelligenceéconomique.

Enannexedurecueildescontributionsàsonséminairesur«laculturefrançaisedu renseignement» deMarne‐la‐Vallée, l’amiral Lacoste proposait onze thèmes derechercheliésaurenseignement.Pourcefaire,ils’inspiraitautantdesonexpérienceàla tête de la DGSE que des avancées de la recherche anglo‐saxonne, publiée dans larevuebritanniqueIntelligenceandNationalSecurity:

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‐documentation;‐élaborationetprisededécision;‐approcheméthodologiquedurenseignement;‐fonctionnementinternedesservicessecrets;‐intelligenceéconomique;‐traitementetguerredel’information;‐criminalitéetordrepublic;‐éthiqueetdéontologie;‐libertésciviles;‐journalismed’investigation;‐culture.

Cette liste indicative constituait une première une feuille de route, largementpluridisciplinaire. L’ancien directeur de la DGSE suggérait «la multiplication desapproches complémentaires de la part de plusieurs disciplines»1. Une indication desspécialités visées, sans exclusive, se trouvait évidemment dans les intervenants duséminaire de l’amiral Lacoste: historiens, économistes, politologues, sociologues etjuristes.

Fig.5­Lapluridisciplinaritédesrecherchessurlerenseignement(1996‐2009)

d’aprèslestravauxuniversitairessoutenusenFrance2

1 Op. cit., pp. 635-638. 2 Tableau à partir des données offertes par le catalogue du Système universitaire de documentation (SUDoc), http://www.sudoc.abes.fr/

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Si les séminaireset lesdiplômes consacrésà l’intelligenceéconomique, et àunmoindre degré au renseignement moderne, se sont très largement développés enFrance, à l’heure actuelle, il existe en revanche bien peu de travaux de rechercheconsacrésaurôlede ladisciplinedans l’histoire(politique,diplomatique,économique,militaire)oudanslaconduitedesaffairesdel’État,quellequesoitlapériodeconsidérée.

Or,prétendrediffuserlaculturedurenseignementdansnotrepays,tantauprèsdes autorités politiques que des états‐majors, des entreprises que des citoyens,demeureradifficiletantquen’aurontpasétéprésentéslesapportsessentielsquecelui‐ci a fourni à ceux qui ont toujours cherché à façonner l’Histoire. L’élaboration d’uneculturedurenseignementenFrancenepeutrésulter,selonnous,qued’unedémarchepermettantàlafois:–une meilleure perception de ce qu’est l’histoire du renseignement dans le monde(pratiques,opérations),enobservantcequ’ontpufairelespaysétrangersenlamatièreetenendéduisantlesfacteursclésdesuccès;–et une meilleure connaissance des expériences françaises en la matière (réussites,échecs), car nous bénéficions d’une histoire riche mais méconnue, qu’il importe derévéler, afin d’en analyser les fondements et d’en reproduire les épisodes les plusremarquables.

Comme le rappelle le professeur G‐H Soutou dans l’introduction d’un ouvragecollectifrécent1,“Ya­t­ildeuxdisciplinesintellectuellesplusprochesquelerenseignementetl'histoire?Danslesdeuxcas,ils'agitdeparveniràuneconnaissanceobjectivedesfaitsà partir de sources fiables et soumises à une critique constante, en fonction d'uneinterrogationraisonnéeetsystématiquequecelle­cisoitun"planderecherche"ouunsujetdethèse.(...)Lerenseignementetl'histoirepartagentlefaitd'êtretousdeuxdessciencesinductives,passantdelaconnaissancedefaitsparticuliersàdesconclusionsgénérales,etnonpasdessciencesdéductives”.

Ce terrainde recherche restedonc encore largement àdéfricher en employantdesprocédésscientifiquesrigoureux,notammentenfaisantpreuved’unespritcritiqueface aux publications disponibles, dont beaucoup sont l’œuvre de journalistes ou desmémoirescirconstanciées«d’anciens»desservicesdel’État.Lefaiblerayonnementinternationaldeschercheursfrançais Il est enfin possible de vérifier l’existence scientifique d’une école, au‐delà deseffetsd’affichage,parsaconfrontationà la rechercheétrangère,principalementpar laparticipation des chercheurs français travaillant sur des questions de renseignementdansdescolloquesinternationaux.

Si l’onconsidèrelessciencessociales, laprésencefrançaiseà l’étrangernepeutpas plaider en faveur d’une «Ecole». Non seulement, des chercheurs étrangerscontinuent à travailler sur les services français, comme la canadienne Chantal Aubin,doctorante à Cambridge en 2006 lorsqu’elle publie son article sur les espionnes enFrance2,maistrèspeudeFrançaisparticipentauxcolloquesétrangers.Outre lararetédes spécialistesacadémiquesdu renseignementenFrance,unautre facteur limitatif à 1 L’exploitation du renseignement en Europe et aux Etats-Unis des annes 1930 aux années 1960, Economica, Paris, 2001. 2 « Contre-espionnage et sécurité intérieure pendant les années 1930 : structures, défis et réponse », Frédéric Guelton, Abdil Bicer, Naissance et évolution du renseignement dans l’espace européen (1870-1940). Entre démocratie et totalitarisme (Vincennes, SHD, 2006), pp. 247-276.

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cette«exportation»denoschercheursestleurmédiocremaîtrisedelalangueanglaise. Concernant la recherche sur le renseignement en sciences sociales, le colloqueannueldel’InternationalIntelligenceHistoryAssociation(IIHA),associationallemande«ouverteàtousceuxquisontintéressésparl’étudesérieusedel’histoiredurenseignementetdelasécurité»1estunbonindicateur.Organisédepuis1995,ilatenujusqu’àprésentquinzesessions,dont l’intérêtest laprésence,commeintervenantsetdans l’auditoire,de représentants des services allemands, bien entendu, mais aussi américains,britanniques, russes, israéliens… et parfois même français, comme le général AndréRanson,anciendirecteurdurenseignementmilitaire(DRM),en2007. Jusqu’àprésent,seuls quatre chercheurs français sont intervenus dans cette enceinte: un chargé derechercheduCNRS,JeanJardin(1995et1998),unspécialistedelacryptologie,GilbertBloch (2000), un directeur de recherche du CF2R, Gérald Arboit (2007) et ununiversitaire,SébastienLaurent(2009).

Cesdeuxdernierscommuniquentrégulièrementàl’étranger.Ainsiretrouve‐t‐onGéraldArboit à l’universitéd’Osnabrück,dansun colloquedeAnglistik/AmerikanistikCulturalStudiessur les représentationsculturellesde laGuerre froide (2008)2,puisàPostdampour lacinquièmeconférencegénéralede l’EuropeanConsortiumforPoliticalResearch(ECPR),dansunpanelsurles«problèmesetsolutionspourlarecherchesurlesétudesderenseignement».SébastienLaurentaparticipéàdeuxcolloquesdelaNewYork University, sur l’Holocauste et le renseignement (2003)3, et de l’Institut fürZeitgeschichteMünchen‐Berlin,surlesannées1960enFranceetenAllemagne(2007).

Eric Denécé, directeur du CF2R, est également un habitué des réunionsinternationales et apparaît le plus actif en la matière. Il est intervenu, en 2008, auBelgium 4th Congress on Intelligence and Security Services (Université libre deBruxelles),aucolloqueannueldelaNetherlandsIntelligenceStudiesAssociation(NISA)etdel'universitédeLeyden,auséminaireduCenterforAsymmetricThreatStudiesdeStockholmetà la conférence sur la cybercriminalitéde laCEPLLuxembourgeoise.Onnote également sa participation au NATO Programm Security through Science(Barcelone,IeMEd,2007),auCransMontanaForumsurleterrorisme(Monaco,2006),au séminairede laDitchleyFoundation, «TheRole of Intelligence Service in thePolicyMaking Process» (Royaume‐Uni, 2005) et à l’International Workshop «MakingIntelligenceAccountable»(Oslo,2003). Enfin, si l’on prend en compte la participation à des comités scientifiques derevues étrangères seuls Sébastien Laurent et EricDenécé apparaissent, le premier ausein de l’Editorial Board de la revue britannique Intelligence and National Security(FranckCassEditor),lesecondentantquemembreducomitéscientifiqueduEuropeanJournalofIntelligenceStudies(Intersentiaéditions,Bruxelles). Lasituationestsensiblementdifférenteconcernant ledomainede l’intelligenceéconomique. Le discours français sur la compétition commerciale internationale, trèsdifférentdelaconceptiondeCompetitiveIntelligenceanglo‐saxonne,intéressebeaucoupàl’étranger,cequiamènefréquemmentlesspécialistesfrançaisdudomaineàintervenirhors de l’hexagone depuis la fin des années 1990 (Belgique, Italie, Espagne, Maroc,Algérie,Sénégal,Argentine,etc.).Toutefois,noussommesicidavantagedansledomainede la gestion d’entreprise ou des politiques publiques de développement que dans le 1 http://www.intelligence-history.org/membership.htm. 2 A paraître fin 2009 sous la direction de Kathleen Stark, aux Cambridge Scholars Publishing de Londres. 3 Publié dans David Bankier (dir.), The Holocaust and Intelligence (New York, Enigma books, 2006), pp. 171-186 [trad. française Les services secrets et la Shoah (Paris, Nouveau monde, 2007), pp. 229-246].

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renseignementproprementdit. Surtout, seuleuneminoritédenos représentants sontdesuniversitaires,lamajoritéétantcomposéedeprofessionnels,mêmes’ilsenseignentsouventàl’universitéoudanslesécolesdecommerceetd’ingénieurs.

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ENSEIGNEMENTSETPERSPECTIVES

En moins de deux décennies, les études françaises sur le renseignement ontconnuunvéritabledéveloppement, profitantd’unenvironnement favorable issude larévolutiondel’informationetdesattentatsdeseptembre2001.Lesdifférentsrapportspublicsconsacrésà l’intelligenceéconomiqueont largement influésur l’intégrationdeces thématiques dans les cursus universitaires Cela s’est traduit par la création dediplômes,despremièresthèsesetinitiativesderechercheetlanaissanced’uncentrederecherchespécialisé(CF2R).

De plus, une meilleure articulation entre monde universitaire et milieu del’édition a permis unemeilleure vulgarisation du «renseignement à la française», sedistinguantdu traitement journalistiqueetadonné lieuà lapublicationdenombreuxouvrages«scientifiques».

Ainsi,aprisformeunvéritablemouvementdereconnaissancedurenseignement,discipline souffrant, par tradition, d’un large désintérêt chez les élites françaises.L’existence d’un enseignement universitaire consacré à cet objet particulier étaitutopiqueilyaencoreunedécennie.Maisilresteàinstitutionnaliserdetellesavancées.Rappelonsqu’iln’existeàcejour,enFrance,aucunechairedédiéeàl’enseignementdurenseignement en histoire, en science politique ou en droit. Seules les sciences degestionetdel’information/communicationontcréédespostesdédiésàl’enseignementdel’intelligenceéconomique.

Ainsi, il est encore trop tôt pour pouvoir parler de l’émergence d’une «écolefrançaise» du renseignement, comme l’affirmait complaisamment Peter Jackson en2006.Entantqu’objetderecherche,lerenseignementapparaîtencoretropcommeunphénomènedemode. Les initiativesde recherche,hormis leCF2Ret leLAREGE, sontencoretropfragilespouravoirunquelconqueeffetd’entraînement.

L’écoleuniversitairede renseignement «à la française», quenous appelonsdenos vœux et à laquelle nous entendons contribuer activement, est encore en devenir.Elle doit avoir pour ambition de s’affirmer dans la communauté scientifiqueinternationale,auxcôtésdesAmericanetBritishIntelligenceStudies,etdeproposeruneanalyseàlafoiscomplémentaireetalternativeàlavisionanglo‐américaine.

EricDenécéetGéraldArboit

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LISTEDESTABLEAUXFigure1: LespublicationsdelivressurlerenseignementenFrance (1884­2008). p.12

Figure2: LespublicationsdelivressurlerenseignementenFrance (1975­2009). p.13

Figure3: Etatdespublicationsfrançaisessurlerenseignement (1975­2009). p.20

Figure4: Lesthématiquesderecherchesurlerenseignement(1975­2009) d’aprèslestravauxuniversitairessoutenusenFrance. p.22

Figure5: Lapluridisciplinaritédesrecherchessurlerenseignement. p.28

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Centre Français de Recherche sur le Renseignement

17 Square Edouard VII, 75009 Paris - France

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