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Les enjeux fonciers en Éthiopie : entre nouvelles pratiques de gestion des ressources et pluralité des difficultés novembre 2012 FICHE PAYS N O 1 : ÉTHIOPIE Comité technique

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LES ENJEUX FONCIERS EN ÉTHIOPIE : ENTRE NOUVELLES PRATIQUES DE GESTIONLES ENJEUX FONCIERS EN ÉTHIOPIE : ENTRE NOUVELLES PRATIQUES DE GESTIONDES RESSOURCES ET PLURALITÉ DES DIFFICULTÉSDES RESSOURCES ET PLURALITÉ DES DIFFICULTÉS

Les enjeux fonciersen Éthiopie :entre nouvellespratiques de gestiondes ressources etpluralité des diffi cultés

novembre 2012

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Comité technique

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Maquette : Hélène Gay (Gret)Photo de couverture : © Céline Allaverdian

Auteur : Sarah Hopsort

Comité de lecture : Sabine Planel (IRD), Rahmato Dessalegn (chercheur au Forum des sciences sociales en Éthiopie),Patrick d’Aquino (Cirad)

Coordination : Céline Allaverdian (Gret)

La rédaction de cette fi che pays a également bénéfi cié des débats tenus lors de la Journée thématique sur l’Éthiopie organisée le 4 septembre 2012 par le Comité technique « Foncier & développement » et des contributions de Rahmato Dessalegn (chercheur au Forum des sciences sociales en Éthiopie), Hubert Cochet (professeur d’agriculture comparée à AgroParisTech), René Lefort (journaliste,

spécialiste de la Corne de l’Afrique) et Sabine Planel (chercheuse à l’IRD).

La note de synthèse restituant les débats de cette journée est téléchargeable sur le Portail « Foncier & développement »www.foncier-developpement.fr

Coordonné par le Gret au titre du secrétariat du Comité technique« Foncier & développement »

LES FICHES PAYS. Ces fi ches proposent une synthèse par pays des principaux enjeux, dynamiques et débats en matière de politique foncière. Les fi ches pays ont été produitesdans le cadre du projet mobilisateur « Appui à l’élaboration des politiques foncières », misen œuvre par le Comité technique « Foncier & développement », présidé par le MAE et l’AFD.

Réunissant décideurs, experts et chercheurs, le Comité technique « Foncier & développement »est depuis 1996 un groupede réfl exion, qui éclaire les choix politiques de la France et contribue au débat international.

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L’Éthiopie est un pays dont l’économie est dominée par le secteur primaire, plus de 83 % de la population du pays (Bogale et al., 2008) se trouve en zone rurale et tire ses revenus de la terre. Plus de 90 % de la production agricole est faite par des petites exploitations qui cultivent sur une superfi cie moyenne de 0,79 hectare (Negatu, 2006) avec de fortes

variations régionales. Néanmois, la plus grande partie des exploitations agricoles ne parvient pas à assurer les revenus nécessaires pour vivre au-dessus du seuil de pauvreté (Gebresselassie, 2006).

La carte ci-dessous permet de voir que l’Éthiopie est une ethno-fédération, un État fédéral à base ethnique divisé en neuf régions-États, chacune étant sous-divisée en différentes unités adminis-tratives : Zones, Woreda et enfi n Kebele, qui est la plus petite unité administrative. Ce découpage suit les frontières ethnolinguistiques et a été mis en place à l’installation de la république fédérale actuelle en 1991.

Pour des raisons principalement démographiques, les enjeux fonciers sont progressivement devenus incontournables en Éthiopie même si les dynamiques lancées par le gouvernement actuel peuvent sembler contradictoires. D’une part, il favorise depuis le début des années 2000 les investissements fonciers à grande échelle et d’autre part, depuis 1998, plusieurs régions du pays ont mis en place un processus de certifi cation visant l’amélioration de la sécurité foncière des petites exploitations, l’objectif de cette démarche étant de favoriser leur productivité en les incitant à augmenter l’inves-tissement agricole. L’Éthiopie est, après le Nigeria, le deuxième pays d’Afrique le plus peuplé. En 1970 la population était de 25 millions et en 1984 elle était de 42 millions. Aujourd’hui, elle est de 85 millions. Les estimations pour 2050 considèrent que la population pourrait être de 150 000 millions d’habitants.

http://espacepolitique.revues.org/index1257.html

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L’Éthiopie se trouve donc à un moment important de son histoire économique où les réponses qui sont en train d’être construites pour répondre aux défi s du monde rural sont déterminantes. Pour être compris, ces défi s doivent être replacés dans un contexte historique élargi.

DE 1889 À 1991 : LE FONCIER AU CŒUR DE LA CONSTRUCTION TERRITORIALE ET DE LA GESTION DU POUVOIR

À la différence des autres pays africains, l’Éthiopie n’a jamais été colonisée (mais occupée par les Italiens durant quelques années) et par conséquent, il n’y a pas eu de rupture imposée par l’exté-rieur dans la gestion des ressources. Néanmoins à l’intérieur du pays, les territoires périphériques du

Sud et de l’Ouest éthiopien se sont vus imposer l’autorité du pouvoir central suite aux conquêtes territoriales de l’empire éthiopien à la fi n du XIXe siècle (Gascon, 1995).

Continuité dans la gestion du foncierde 1889 à 1974 : propriété privée et inégalitéd’accès à la terre

Les deux régimes politiques, celui de Ménélik II et celui de Hailé Sélassié, se fondent sur le contrôle du sol éthiopien. L’État utilisait la terre (l’accès à la propriété) comme moyen pour fi déliser son entourage et consolider son assise sur l’ensemble du territoire.

En l’espace d’un siècle, une succession de systèmes politiques mais deux grandes tendancesdans la gestion foncière.

1. L’occupation par l’Italie fasciste du pays n’a pas eu le temps de se traduire par des changements signifi catifs dans la gestion des ressources naturelles. Hormis des efforts dans les infrastructures de communication et de transport, l’occupation italienne n’a pas eu d’impact sur la gestion des ressources foncières.

Sous l’Ancien Régime :« Plus que la monarchie,

le système foncier et fi scal, incroyablement

complexe par l’enchevêtrement des

droits, formait la clé de voûte de l’édifi ce social

et politique. » (Gascon, 1995)

Frise chronologique des différents systèmes politiques éthiopiens de 1889-2012

Des empires /royaumes1889-1974

Une occupationitalienne1

1936-1941

Un régimemilitaire

communiste1974-1991

Une républiquefédérale1991- ...

DIVERSITÉ DES SYSTÈMESFONCIERS

VOLONTÉ D’UNIFORMISERLA GESTION DU FONCIER

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Plusieurs caractérisques de la gestion foncière de cette période peuvent être dégagées :

● un système foncier qui reposait sur de profondes inégalités d’accès à la terre entre les popu-lations du Nord et Sud, dans l’empire. Au Nord, les paysans pouvaient bénéfi cier du Rist, selon lequel « tout membre du lignage du fondateur d’une communauté pouvait réclamer (la terre) du côté de son père comme du côté de sa mère même après 1 000 ans » (Gascon, 1995). C’est donc un type de droit de propriété communautaire terrien fondé sur la fi liation et l’héritage. Au Sud, « malheur aux vaincus », les paysans ont vu leurs terres, collectives ou privées leur être confi squées au profi t de l’administration impériale. Les paysans ne conservaient qu’un droit d’accès au sol afi n de s’acquitter du tribut dont ils étaient nouvellement redevables ;

● une gestion du foncier qui reposait sur une pression fi scale forte sur les paysans à laquelle s’ajoutait une ponction déjà importante sur les productions des paysans. Ainsi celles-ci pouvaient être de 20-25 % de la production pour les paysans du Nord et de 40-55 % pour les populations du Sud (Cochet, 2009) ;

● des statuts fonciers spéciaux étaient reconnus pour l’Église, les membres de l’aristocratie et les soldats.

Ce système perdura plus de 80 ans, de 1889 à 1974, mais il fut balayé par un renversement dirigé par un mouvement de rebellion armé d’inspiration communiste, qui prit le nom de Derg, littéralement « comité » en amharique.

Le régime communiste et ses deux axiomes : la terre appartientà l’État, la terre revient à celui qui la cultive

L’arrivée d’un régime communiste en 1974 conduisit à des changements radicaux dans la gestion foncière. Les réformes agraires visaient dans un premier temps la nationalisation des terres (1974) puis leur redistribution et leur collectivisation partielle (1979). Lorsque ce régime foncier du Derg se mit en place, l’objectif était de créer une homogéneisation des classes sociales par une égalisation de l’accès au sol de la gestion foncière et des classes sociales (Rahmato, 2006). La fi nalité de ces changements cristallisés par le slogan « la terre à celui qui la cultive » signifi ait une rupture radicale avec le système précédent où des seigneurs (offi ciers militaires et autres) donnaient leurs terres en métayage. Ainsi, les paysans qui en faisaient la demande pouvaient accéder à des droits d’usages sur des terres, la location de terre était interdite et les droits d’usage ne pouvaient être vendus.

Photo issue du site http://www.tekenessi.fr/news.php?id=58&p

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Ces grands changements n’ont pas été reçus de la même façon sur l’ensemble du territoire. Dans le sud du pays, la réforme fut très bien accueillie car dans cette zone les systèmes coutumiers de gestion du foncier n’avaient pas été pris en compte depuis le XIXe siècle du fait de l’exploitation économique dont étaient victimes ces régions. À l’inverse, au Nord, où la population locale bénéfi ciait d’un sys-tème foncier qui tenait compte des pratiques coutumières (le Rist), la réforme fut très mal accueillie.

Quoiqu’il en soit, pour accompagner ce processus de réforme, une nouvelle unité administrative fut mise en place en milieu rural, il s’agissait de l’association paysanne (Peasant Association). Ces associations paysannes ont été longtemps les seuls moyens d’accéder aux droits d’usufruit de façon offi cielle. Les associations paysannes étaient une initiative volontariste de l’État pour organiser la distri-bution et la gestion des terres selon un découpage du territoire qui prenait en compte le peuplement.

Impacts des différents régimes politiques sur la gestion des ressourcesfoncières : l’exemple de la zone de Melka Jebdu

Situé en Oromie, cet espace permet d’avoir un exemple concret de la façon dont ont pu se traduire les changements survenus depuis

plus d’un siècle dans la gestion foncière. La région est occupée par les Oromos depuis cinq siècles, ces derniers ont été pendant longtemps des éleveurs, ce n’est que depuis 150 ans qu’ils développent l’agriculture. Dans le système de gestion des terres Oromos, les « terres appartiennent aux descendants des premiers venus » et « l’appartenance au clan se détermine de façon patrilinéaire et les terres étaient héritées de père en fi ls » (Allaverdian, 2005).

Le processus de conquête des terres du Sud lancé par Ménélik II à partir de 1889 se traduit dans cet espace par l’installation de deux propriétaires ter-riens Ahmara, Adero et Tayle. Se mit alors en place dans la localité un système féodal qui imposait aux

Chaque association paysanne regroupait en moyenne 300 chefs de famille sur une surface de 900 hectares. Les prérogatives de ces associations incluaient la collecte des impôts, la gestion des confl its fonciers et la construction d’écoles. Elles étaient le pilier de la réforme agraire puisqu’elles devaient permettre la création de coopératives de gestion et de crédit, et l’organisation du stockage des den-rées agricoles. Elles étaient également le pilier de la réforme politique du Derg puisqu’elles servaient de relais du Parti et contrôlaient les populations.

Le régime du Derg au prise avec des diffi cultés :dévoiement des PA (Peasant Associations) et déplacementforcé de populations

L’une des mesures innovantes du Derg fut la mise en place de ces associations paysannes. L’objectif initial et affi ché était d’apporter aux paysans un moyen d’exprimer leurs intérêts et de favoriser l’au-to-gestion des exploitations, ce qui rompait avec le système qui prévalait jusqu’en 1975 (Rahmato, 2008). Cependant, les intentions initiales ont été supplantées par une mise en application qui servit à l’affi rmation du pouvoir central sur les zones rurales. À partir de 1979, une nouvelle orientation

paysans de travailler gratuitement sur les terres de leurs maîtres cinq jours sur sept, sans compter les corvées obligatoires auxquelles ils étaient as-treints, comme par exemple moudre le grain. Le retour au pouvoir de l’empereur Hailé Sélassié (en 1941), suite à l’occupation italienne, se traduisit par quelques changements qui permirent d’amé-liorer quelque peu la situation des paysans, ainsi les corvées furent abolies.

La réforme agraire lancée par le régime du Derg (1974) se traduisit par des récupérations de terres par les paysans, et ces transferts de terres furent gérés par la Peasant Association, dont le comité était « chargé par l’État de diviser les terres des paysans les mieux lotis pour les distribuer aux plus démunis et d’allouer les terres irrigables à un plus grand nombre de familles » (Allaverdian, 2005).

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fut prise et des prélèvements ont été de nouveau imposés aux paysans et la liberté qui leur avait été octroyée en 1975 fut réduite. Les associations paysannes2 étaient en charge d’organiser la collectivi-sation et les autres mesures lancées par le régime, mais elles étaient également en charge du recru-tement de jeunes paysans pour l’armée combattant les fronts de libération dans le nord du pays et veiller au respect de la participation des paysans aux journées de travail forcé pour les projets de l’État.

La croissance démographique dans les zones rurales a eu pour conséquence que ces associations paysannes ne pouvaient plus répondre aux besoins des populations. Au cours des années 1980, aux diffi cultés économiques s’ajoutèrent des conditions climatiques particulièrement diffi ciles – des sécheresses dans tout le pays – qui affaiblirent davantage le régime politique.

Menacé par un front de résistance au Nord et confronté aux échecs de ces initiatives, le régime en-treprit un vaste programme de déplacement des populations des zones affectées par la famine vers les basses terres périphériques. Les déplacements de populations furent initiés en 1985. En l’espace d’un an, 70 000 familles du Wollo et 20 000 familles du Tigré furent amenées par différents moyens de transport (hélicoptères, bus, camions, avions) vers les basses terres de l’Ouest et du Sud du pays. Au cours de ces déplacements forcés, une part importante des personnes trouva la mort, « 1/4 voire 1/5 des déplacés ont péri » (Gascon A. , 2007). En même temps, des programmes dits de villagisation regroupaient des populations dans les zones d’habitats dispersés et redessinaient sous la contrainte le fi nage des terroirs villageois.

En l’espace d’un siècle, les bases de la gestion du foncier ont radicalement changé mais la prégnance des différences régionales a été peu prise en compte par le pouvoir politique. Ce manque d’uniformité territoriale dans la gestion du foncier et l’hétérogénéité sociale du monde rural sont des éléments caractéristiques de la situation foncière en Éthiopie. Le système politique qui suivit le Derg hérita donc d’un système foncier complexe puisque la volonté de rupture n’était pas parvenue à s’imposer sur l’ensemble du territoire.

2. Les associations paysannes demeurent en place aujourd’hui, mais elles ne sont plus opérationnelles dans une grande partie des régions. Leurs tâches sont assurées par l’administration du Kebele (Rahmato, 2008).

© Céline Allaverdian

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CADRE INSTITUTIONNEL ET LÉGISLATIFDU SYSTÈME FONCIER ÉTHIOPIEN AUJOURD’HUI

À la chute du régime de Menguistu en 1991, le nouveau régime construit une gestion du foncier conservant les bases du système politique précédent. Depuis, la nationalisation des terres demeure en place mais certaines nuances ont été introduites.

Cadre de gestion législatif du foncier

La constitution de 1995 réaffi rme plusieurs fondamentaux : tout d’abord, elle affi rme l’appartenance de toutes les terres à l’État. Ensuite, elle affi rme le droit des paysans à obtenir gratuitement la terre et, enfi n, elle garantit des compensations quand il y a expropriation des paysans par l’État en cas « d’urgence publique ». Le mode d’accès offi ciel à la terre correspond donc à un droit d’usufruit qu’il est possible d’acquérir par héritage ou par réclamation auprès des autorités du lieu de naissance.

La législation foncière actuelle en quelques points

Poids de la réforme agrairede 1975 : nationalisationdes terres

Le droit d’expropriationau nom des intérêts publics

Vers une gestion décentralisée

L’essentiel des éléments avancés dans cette réforme sont repris dans la Constitution de 1995.

La loi de 2005 confère la compétence d’exproprier des paysans si les terres sont nécessaires pour les intérêts publics et c’est le wereda qui est en charge de l’exécution. Dans les faits, ces intérêts publics dont les motifs ne sont pas défi nis dans la constitution peuvent prendre la forme soit de constructions de centres publics soit de bureaux, etc.

Les lois et réformes de 2001 et 2005/2006 renforcent la logique de décentralisation en accordant plus de marge d’action aux échelles régionales. Dans ce schéma, le Kebele devient l’unité administrative incontournable dirigée par un comité d’élus locaux.

De façon générale, les formes d’accès à la terre sur l’ensemble du territoire en Éthiopie peuvent se schématiser ainsi :

Modes d’accès à la terre en Éthiopie

Acteurs paysans

Par une demande au conseildu Kebele en question

Marchés locatifs,métayage et ventes

ne demande a conseil

Canaux offi ciels

Marchés locatifs

Canaux informels

AAA

ux offiffici

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Dans la pratique, les femmes et les jeunes ne bénéfi cient pas des mêmes capacités à exercer le droit d’accès à la terre. Dans un contexte global de raréfaction des terres arables, l’accès à la terre devient un enjeu très important au sein des structures familiales et communautaires. Dans certaines régions, les fi lles et les cadets se retrouvent régulièrement mis de côtés, c’est ainsi que « les pratiques suc-cessorales s’adaptent à la pénurie foncière » (Planel, 2007). À l’inverse dans le Tigré, les fi lles payent la taxe foncière afi n de formaliser leurs droits sur le sol. Dans une étude faite sur le Wolatai (dans la région Est du SNNP)3, Sabine Planel explique que « l’éviction des cadets par les aînés mais surtout les oncles paternels représente la forme de spoliation foncière la plus répandue » (Planel, 2007).

Au-delà de ces traits communs avec le régime foncier communiste du Derg, des changements sont introduits. Dès 1991, le fédéralisme ethnique est valorisé4 et une décentralisation est engagée.

Nouvelle gestion des prérogatives territoriales :la décentralisation et ses limites

La loi de décentralisation de 1991 marque une rupture avec les efforts de centralisation du pouvoir précédent. La gestion du foncier est ainsi transférée au niveau régional en 1997. À partir de cette date, les pouvoirs de l’État sur la gestion des ressources foncières sont divisés entre les pouvoirs fé-déraux et les pouvoirs régionaux à l’échelle régionale. La constitution fédérale proclame un niveau de décentralisation important, notamment dans la rédaction de textes constitutionnels propres aux régions-États. Dans la pratique, on observe toujours une grande homogénéité des façons de faire.

Pour illustrer cette autonomie des régions dans leur gestion de la terre, prenons l’exemple de la région Amhara et ou encore celle du Tigré, qui ont décidé de mener des redistributions des terres à la fi n des années 1990. Cette autonomie se perçoit également dans les différentes législations sur le foncier : au Tigré, la loi/proclamation (qui équivaut à une constitution régionale) stipule que les ruraux résidents qui ont quitté leur village depuis plus de deux ans ne peuvent plus se réclamer pro-priétaires de leurs droits d’usufruit. Dans la région Amhara, cette période est plus longue : cinq ans.

Cette décentralisation de la gestion foncière a des limites (Planel, 2007). La faiblesse des ressources fi nancières régionales ainsi que la prégnance politique du parti au pouvoir relativisent l’autonomie de ces régions. La politique de décentralisation se réduit souvent à une forme de déconcentration administrative (Planel, 2007).

Les enjeux actuels liés à la gestion foncière :entre réalité topographique et croissance démographique

La carte ci-contre permet de soulever des éléments fonda-mentaux pour comprendre les enjeux fonciers aujourd’hui. Le territoire éthiopien est composé au 3/5 de son territoire par des hautes montagnes qui sont densément peuplées. Dans le Wolaita (région du Sud éthio-pien), la pression démogra-phique est parmi les plus fortes du territoire, la densité par km2 est de 500 habitants. Ces terres sont des espaces agricoles. Le reste du territoire est composé de basses terres principalement utilisées pour les troupeaux.

3. Région des nations et peuples du Sud.

4. Recherche de stabilité d’un pays aux nombreuses tensions régionalistes (l’Ogaden, l’Érythrée).

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Dans les basses terres, la population pratique l’élevage mais les sociétés pastorales sont confrontées à un nombre croissant de diffi cultés qui sont liées à une absence de reconnaissance par les acteurs publics. C’est ce que Johan Helland explique lorsqu’il s’intéresse au régime foncier pastoral éthiopien. Il rappelle que « les législations foncières nationales sont d’abord relatives à l’agriculture dans les hautes terres, la situation des zones pastorales est soit ignorée soit traitée de manière très superfi -cielle » (Helland, 2007). À ces problèmes politiques s’ajoutent les modifi cations liées à la croissance démographique qui conduit à la diminution des espaces de parcours pour le bétail (Cochet, 2007).

Les enjeux qui se dessinent au vu de cette répartition de la population et de cet usage des sols sont ceux synthétisés dans le tableau qui suit.

Quelques défi s du monde rural éthiopien

Morcellement des exploita-tions agricoles et dégradation des ressources (érosion et perte de la fertilité des sols, diminu-tion des espaces arborés, dimi-nution des périodes de jachère).

Insécurité de lajouissance foncière

Une « faim d’animaux »

Un monde rural soumisà la volonté de contrôleet d’encadrement étatique

En moyenne moins d’un hectare par foyer mais cela peut aller dans cer-taines régions (Wolaita) jusqu’à 0,12 ha (Planel, 2007). « En 2007, 87,4 % des foyers ruraux disposaient de moins de 2 hectares de terres » (Future Agricultures, 2006).

Les redistributions effectuées par les autorités régionales. Ce fut le cas de la région du Tigré et de l’Amhara en 1991 et 1997. Actuellement, les pro-grammes de villagisation prévoient de déplacer plus de deux millions de per-sonnes.

L’ensemble du territoire est concerné par ce phénomène. Il correspond à un appauvrissement des ménages qui ne parviennent plus à accéder à la déten-tion de ce moyen de production.

Les paysans doivent participer aux pro-jets émis par les acteurs publics duKebele même s’ils n’ont pas participé à l’élaboration du projet. Dans la région Oromo, les paysans ont été contraints de participer à la construction d’une route, Meta Robi, et l’ont fait.

Incapacité des familles à subvenir à leurs besoins, très faible productivité et par conséquent, 29,6 % de la po-pulation vit en dessous du seuil de pauvreté en 2011 et 4,9 millions d’Éthiopiens dépendent de l’aide ali-mentaire.

Frein à l’investissement. Les politiques foncières comportent deux dimensions, l’une qui renvoie à ce qu’elles sont dans les textes, selon le droit, et l’autre qui renvoie à la perception que les in-dividus se font des capacités de l’État à garantir ces textes : « les utilisateurs doivent être sûrs que leurs droits seront respectés par les institutions chargées de leurs applications » (IIED, 2006).

Changement dans les pratiques agri-coles  : développement de l’usage d’engrais chimique, développement de cultures vivrières plutôt que des cultures de rentes.

Les paysans sont limités dans leur au-tonomie de gestion des exploitations. Pour maintenir leur emprise les acteurs publics favorisent le développement de la corruption et du clientélisme.

PROBLÈMESDU MONDE RURAL

EXEMPLES LIÉSÀ CES PROBLÈMES

IMPACTS

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Ce dernier facteur d’ordre plus politique constitue une entrave à la gestion autonome des exploi-tations agricoles par les paysans. La volonté étatique après la chute du régime communiste était d’aller vers plus de décentralisation pour défi nitivement rompre avec les décennies de monarchie despotique (Adem, 2004). Dans la pratique, sa mise en place s’est accompagnée d’un déploiement administratif lourd chargé d’encadrer le monde rural.

Selon les régions, cette volonté de mainmise n’a pu s’imposer avec la même fermeté. Dans la région Oromo, une résistance importante s’y est opposée, de fait les autorités ont recours à diffé-rentes stratégies pour parvenir à s’imposer (clientélisme au niveau du Kebele) (Emmenegger, Keno etHagmann, 2011).

Les paragraphes ci-dessus permettent de relever les enjeux fonciers liés à l’agriculture mais les enjeux fonciers liés aux espaces forestiers doivent être abordés. Au travers d’un exemple, à savoir l’accès à la forêt dans la région de Kafa (localité du Sud éthiopien), il est question de présenter les carences étatiques en matière de gestion des ressources forestières.

La gestion des forêts à Kafa : entre absence de mécanismes formelsétatiques et solutions locales informelles

La réforme du Derg avait placé toutes les res-sources agraires, les zones de pâturages et la terre forestière sous l’autorité étatique. Dans

la législation actuelle, en dehors d’un fort volet de protection des forêts il n’y a pas « d’explication claire en ce qui concerne les droits des villageois à utiliser la forêt » (Zewdie, 2003). Le ministre de l’Agriculture est l’autorité en charge du contrôle de la protection et de la gestion des ressources fores-

tières. Dans la région de Kafa, qui est située dans les hauts plateaux du Sud-Ouest, les populations locales pratiquent deux systèmes informels pour garantir aux jeunes ménages l’accès à la forêt qui compose un tiers de la zone. Au cœur d’un espace fortement boisé d’une grande variété d’essence, la population locale pratique le Wejou et le Gogoo qui correspon-dent respectivement à un système d’héritage et à un système de métayage pour les produits forestiers.

Cette partie a permis de comprendre les grands défi s auxquels les autorités sont confrontées au regard de la législation actuelle. Il s’agit à présent d’en venir aux initiatives que ces autorités initient afi n de réduire l’insécurité foncière et améliorer la productivité des exploitations.

Photo issue du site http://www.tekenessi.fr/news.php?id=58&p

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LES ENJEUX FONCIERS EN ÉTHIOPIE : ENTRE NOUVELLES PRATIQUES DE GESTIONLES ENJEUX FONCIERS EN ÉTHIOPIE : ENTRE NOUVELLES PRATIQUES DE GESTIONDES RESSOURCES ET PLURALITÉ DES DIFFICULTÉSDES RESSOURCES ET PLURALITÉ DES DIFFICULTÉS

FAVORISER LA SÉCURITÉ FONCIÈRE PARLES CERTIFICATS : RETOUR SUR UNE EXPÉRIENCEINNOVANTE ET SUR SES PARADOXES

Dans l’objectif d’agir sur l’insécurité foncière, une initiative a été lancée dans certaines régions (le Tigré, la région Amhara, celle de l’Oromie et la région des « Nations et Peuples du Sud ») : la certifi cation des droits fonciers. Depuis 1998, bien que le processus ait gagné en ampleur à partir de 2003, 20 millions de terrains ont été en-registrés et plus de 6 millions de ménages paysans ont reçu un certifi cat attestant de leurs droits d’usufruits (Holden, Deininger et Gebru, 2009). Cette démarche s’inscrit dans la logique de la construction de législations foncières « pro-pauvres ». Dans le monde, plusieurs pays ont lancé la dynamique mais il semble que l’expérience éthiopienne s’en distingue par la rapidité de sa mise en place, par sa dimension participative, par son faible coût et enfi n par son ampleur (en l’espace de quelques années plus de six millions de ménages qui en avaient fait la démarche se sont vu attribuer un certifi cat).

La certifi cation : une démarche qui soulève un débat

Il y a actuellement une réfl exion qui se pose autour de l’impact et des objectifs poursuivis par ce processus. Certains bailleurs de fonds valorisent les bénéfi ces de la démarche ; ainsi selon la Banque mondiale, la certifi cation représente une dynamique porteuse d’espoir à l’échelle du continent afri-cain pour sécuriser les droits des paysans et réduire les confl its (Rahmato, 2008). Dans différentes études, les chercheurs de l’institution mettent en avant l’impact positif de la certifi cation en termes de réduction des confl its fonciers et d’incitation à l’investissement. Néanmoins, cette perspective n’est pas unanime et des chercheurs tels que Dessalegn Rahmato invitent à analyser cette dynamique avec un regard plus critique, d’une part en se rappelant les échecs lors des expériences similaires conduites au Kenya par exemple et d’autre part, en analysant l’emprise étatique qui s’est accrue du fait des changements institutionnels introduits pour accompagner le processus de certifi cation, et les nombreuses dérives qu’elle occasionne (Chinigo D.).

Dans un article intitulé « Land registration and tenure security: a critical assessment » (Rahmato, 2008), Dessalegn Rahmato soulève des questions fondamentales quant à la logique qui porte cette démarche de certifi cation. Cet article revient sur une étude comparative qui a été conduite sur trois terrains entre 2006 et 2007 : Dessie Zuria (dans le Wollo), en région Amhara (dans le Nord) et dans le Wolaita (dans le Sud). L’auteur invite tout d’abord à questionner la logique sous-jacente qui porte cette initiative, à savoir que la formalisation d’un droit de propriété individuel est un facteur de réduc-tion de la pauvreté. Ensuite, il appelle à replacer le processus dans le contexte auquel il appartient, à savoir une période pré-électorale.

La certifi cation : la promotion d’un droit de propriété individuelpour réduire la pauvreté ?

Hernando de Soto a joué un rôle fondamental dans la promotion de la formalisation des droits de propriété individuelle comme instrument de réduction de la pauvreté en zone rurale. Sa conception de la sécurisation des droits fonciers n’est néanmoins pas exempte de limites, aussi les critiques portées à cette conception peuvent être résumées ainsi :

● une vision stato-centrée des droits de propriété : c’est-à-dire que De Soto considère la formalisa-tion des droits par l’État comme garantie qui en elle-même suffi t, or Dessalegn Rahmato souligne que ce ne peut être assez d’autant plus « que les pays dans lesquels cela a pu être le cas, ces

Le certifi cat renvoie aux « droits d’usage perpétuels,

droits d’hériter, droits d’obtenir des compensations

en cas de perte de la terre et droit de louer la terre

pour une durée limitée. » (Holden, Deininger

et Gebru, 2009)

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lois ont été l’aboutissement de combats conduits par les populations elles-mêmes et non le fruit d’agents de l’État » (Rahmato, 2008). Sans cela, c’est-à-dire une loi élaborée de façon inclusive, le risque est grand que le système de droit mis en place ne serve à garantir les droits des groupes dominants ;

● une vision restreinte/étroite du droit de propriété : De Soto ne reconnaît que les lois formelles et seulement les droits individuels et par conséquent, il n’intègre pas les autres systèmes de gestion fonciers : le système coutumier et les droits collectifs ;

● la formalisation des droits de propriété ne conduit pas systématiquement à ce que les popu-lations pauvres qui en bénéfi cient se tournent vers l’investissement et par extension vers le marché institutionnel du crédit. Au contraire, il semble que dans la majorité des pays africains, les personnes qui bénéfi cient de cette formalisation tendent à se tourner vers l’informel ;

● la formalisation d’un droit qui s’adresse à des populations pauvres, en l’occurrence un droit de propriété ne peut avoir de sens que si cette population a une pleine maîtrise de ce droit : une connaissance précise et une capacité de se faire entendre.

Selon Rahmato l’approche légaliste est limitée car « les droits de propriété n’existent pas indépen-damment du système politique et social ». Selon l’auteur, quand les pauvres sont concernés, il ne s’agit pas seulement de défendre leur droit de propriété mais les autres droits (sociaux et politiques) également, afi n que des groupes sociaux plus puissants et l’État lui-même ne puissent en abuser.

Modalités de mise en œuvre : un processus participatif mais inégal, rapide mais qui répond à des enjeux électoraux ?

Les arguments les plus souvent avancés pour approuver le processus mis en place sont sa dimension participative et sa rapidité.

La mise en place de la certifi cation s’amorce tout d’abord par la constitution d’un LAC (Land use and Administration Committee) qui délivre des certifi cats dans les régions intéressées (Deininger, Aylew Ali et Alemu, 2011). Un comité ad hoc, mis en place au niveau villageois et composé à 92 %5 d’élus villageois prend en charge un processus offi ciellement participatif pour l’enregistrement des droits et la remise de certifi cats.

Selon Dessalegn Rahmato, le fait que les régions les plus peuplées aient suivies à partir de 2003 l’initiative lancée par la région du Tigré ne peut pas être déconnectée du contexte électoral. En effet, en 2005 se déroulèrent les élections législatives et cette initiative de la certifi cation permettait au pouvoir en place d’obtenir le soutien des populations rurales.

En ce qui concerne la dimension participative, il semble que souvent ni les bénéfi ciaires, ni les acteurs publics au niveau local ne soient intégrés à la conception, planifi cation et réalisation du processus. Lorsqu’on s’intéresse dans une perspective comparative à la mise en place du processus, les études démontrent que les moyens mis en place pour ce processus varient d’une région à l’autre. Il y a par-fois des problèmes techniques qui accompagnent la mise en place des certifi cats. Par exemple, les personnes en charge du relevé des terrains ne disposent pas souvent du matériel adéquat. Seulement quelques localités disposent de GPS ; en dehors de celles-ci, les relevés sont faits à l’aide de techniques traditionnelles, ce qui entraîne une insatisfaction des populations. À Aba Sokotu, les mesures ont été faites approximativement, à vue d’œil. Cela risque de menacer la légitimité de l’ensemble du processus. Un autre problème technique résulte dans le fait que les Kebele ayant été plusieurs fois redéfi nis au cours des dernières années leurs frontières, leurs limites sont discutées.

Ces différents éléments amènent à s’intéresser plus en avant à l’impact du processus de certifi cation dans les différentes localités concernées.

5. D’après une étude réalisée entre 2004 et 2006, 20 % de ces comités comptaient au moins une femme (Deininger, Aylew Ali etAlemu, 2011).

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La certifi cation : entre attentes et réalités, quels impacts ?

Les nombreuses études qui ont été conduites sur la thématique permettent de mesurer les réalisations au regard des attentes qui les portaient.

Le Tigré a été la première région d’implantation du projet (1997) et le succès de sa mise en place a motivé les régions les plus peuplées du pays à suivre son exemple : la région Amhara (2003), la ré-gion Oromo (2003) et la région des Nations, Nationalités et Peuples du Sud (2004). L’impact du certi-fi cat possède deux dimensions, l’une subjective et l’autre plus pragmatique mais les deux sont inter-dépendantes. En ce qui concerne la dimension subjective, l’impact le plus généralement observé par la mise en place des certifi cats se mesure au sentiment de sécurité foncière ressenti par les populations. Si, en 1998, 51 % des ménages en zones rurales expliquaient avoir peur d’une redistribution des terres, en 2006, ils sont 84 % à dire que la certifi cation a réduit cette crainte (Holden, Deininger et Gebru, 2009). Dans la même logique, 78 % des ménages considèrent que la certifi cation leur garantit une plus grande chance d’être indemnisés en cas de « réquisition de terre » » (Holden, Deininger et Gebru, 2009). La dimension pragmatique renvoie quant à elle au fait que, rassurés, les ménages expliquent être plus enclins à investir, aussi bien dans les pratiques d’amélioration de la fertilité des sols que pour les outils de travail. Les études de terrain révèlent que la certifi cation favorise l’égalité des genres. En effet, selon les régions, lorsque le certifi cat est délivré une photo est faite du couple, ce qui garantit à la femme une reconnaissance de son statut de co-propriétaire du certifi cat.

Néanmoins, selon les régions il y a un pourcentage plus ou moins important de certifi cats qui sont établis au nom seul du mari. Ce pourcentage peut aller de 9 % en région Amhara, à 21 % dans la région des SNNPR, à 58 % en région Oromo. Cet élément n’est pas le seul qui amène à relativiser l’impact positif de la certifi cation.

En effet, différentes localités ont rencontré des problèmes. Dans la région de Dessie Zuria (Nord-Est) alors que le processus de certifi cation avait été conduit auprès de la moitié des ménages ruraux, en 2007 l’extension urbaine y mit un terme et même entraîna l’expulsion de ménages qui venaient de recevoir leurs certifi cats. Une décision des autorités administratives de la région permit l’extension de la ville de Dessie et par conséquent certaines zones rurales ont été absorbées dans le nouveau découpage (Rahmato, 2008). Toujours dans la localité de Dessie, un projet de construction d’une route entraîna l’expulsion des paysans se trouvant sur le parcours de cette route. Au-delà des expul-sions, le problème résulte du fait qu’une partie des paysans a pu bénéfi cier de compensations mais pas l’ensemble des personnes concernées.

© Ben Parker / IRIN

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Les limites de la certifi cation et la prise en compte des modes ancestrauxd’exploitation des sols

Un des enjeux de la certifi cation, c’est que l’attribution de titre foncier n’a pas sur l’en-semble du territoire le même impact. Ainsi,

dans « la région du Benishangul-Gumuz, le système agraire est basé sur un système d’agriculture itiné-raire permettant une meilleure gestion de la fertili-

té, à travers l’adoption de rotation de longue durée. La villagisation et l’attribution de titres fonciers aux familles paysannes aurait pour conséquences, en plus, de perturber les systèmes agraires ancestraux, la dégradation de la fertilité ». Rapport du Centre d’étude français d’Addis Abeba, 2012.

Ces exemples représentent des cas isolés surtout dus à des problèmes de communication entre les différentes autorités, mais comme le souligne Dessalegn Ramhato « cela impose de comprendre que l’insécurité foncière des paysans est profonde et ne peut être résolue seulement par la rédaction d’un certifi cat » (Rahmato, 2008). La nouvelle législation nécessite du temps pour que les pratiques des acteurs publics s’imprègnent de cette reconnaissance accordée aux droits des paysans.

En ce qui concerne la capacité des certifi cats à réduire les confl its, le bilan est mitigé. Il faut tout d’abord différencier les confl its qui concernent d’une part les paysans entre eux et d’autre part les confl its qui opposent les paysans aux autorités gouvernementales.

Les limites/menaces sur la certifi cation

L’extension urbaine

La construction des moyens de communication, transports

Les problèmes techniques pour conduire le processus : pas le matériel adéquat (GPS) dans l’ensemble du territoire

Les autorités doivent au-delà de la reconnaissance formelle de ce droit d’usufruit l’intégrer dansleur prise de décision (les projets)

Les populations ne maîtrisent pas le processus

Ces initiatives ne parviennent et ne peuvent à elles seules résoudre l’ensemble des problèmes fon-ciers ; en effet, les variables relatives à la pénurie foncière demeurent. Ce qui fait écrire à Dessalegn Rahmato : « La certifi cation foncière est certainement un pas dans la bonne direction, néanmoins le type de sécurité foncière suffi samment solide qui permettrait une plus grande liberté individuelle de choix et d’action ne doit pas éluder l’intense pression qui s’exerce sur les paysans. »

Ce dont cette expérience du certifi cat atteste, c’est l’intention des acteurs étatiques à accroître le contrôle sur les paysans, le temps du processus du moins. Néanmoins, cela n’est qu’une partie du problème. Alors, les populations s’adaptent et c’est ainsi que se mettent en place des marchés locatifs de terres.

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DÉVELOPPEMENT DU FAIRE-VALOIR INDIRECTDES TERRES COMME VOIE DE SECOURS EN SITUATIONDE PRESSION FONCIÈRE ?

La pression foncière étant forte, l’accès aux ressources foncières par le recours au faire-valoir indirect se développe. Ce faire-valoir indirect concerne des petites surfaces et renvoie aux contrats conclus de façon informelle, soit en métayage, un partage des récoltes faisant offi ce de loyer, soit par loca-tion, avec un coût fi xe pour exploiter la terre. Le marché informel d’accès à la terre s’est développé informellement sous le régime du Derg mais, depuis 1991, la location de terre est autorisée (Bezabih, 2005) dans certaines régions. 22 % des ménages du Tigré et 23 % de la région Amhara cultivent une terre en faire-valoir indirect, soit en métayage soit en location (Gebresselassie, 2006). À l’échelle nationale, cela renvoie à 13,4 % des ménages.

Si la location de terre est désormais partiellement autorisée, les régions imposent des restrictions sur la proportion en terres qui peut être louée ainsi que sur la durée de cette location. Par exemple, la personne détentrice des droits d’usufruits d’une terre peut louer jusqu’à 50 % de celle-ci ; ou bien sur la durée : lorsque les techniques d’exploitations sont traditionnelles, la durée maximale du contrat ne peut dépasser 3 ans, mais elle peut aller jusqu’à 15 si les techniques employées sont « modernes » (Gebresselassie, 2006).

Une autre dynamique anime actuellement l’Éthiopie, il s’agit d’un phénomène international à savoir l’acquisition de terre à grande échelle. La dimension importante prise par ces investissements dans le pays impose de revenir sur les enjeux qu’ils soulèvent.

INVESTISSEMENTS À GRANDE ÉCHELLE :ENJEUX D’UNE DYNAMIQUE QUI SE DÉVELOPPE

Dans la dynamique de location de terre, l’Éthiopie s’est enga-gée depuis le début des années 2000 dans la promotion des investissements à grande échelle. Selon les données de Land Matrix, l’Éthiopie est le deuxième État africain où les locations de terres sont les plus importantes (Pigeaud, 2012). Cette po-sition s’explique en grande partie par le cadre législatif national mis en place pour encourager ce type d’investissement (Rah-mato D., 2011). Dès la fi n des années 1990, le gouvernement éthiopien dessine une orientation favorable aux investissements à grandes échelles6. Le ministère de l’Agriculture et du Développement rural (Moard) est en charge de ces transferts de terres, une banque spéciale et une Commissionrégionale de l’investissement sont mises en place. Il faut tou-tefois noter que si le Moard est en charge de toutes les di-mensions de ces transactions, les revenus qui découlent de ces transferts sont destinés aux régions concernées par ces acquisitions sauf lorsque les terres régionales sont réquisition-nées par la banque foncière fédérale.

Les modalités d’acquisition de terres sont extrêmement favo-rables aux investisseurs (les produits éthiopiens échappent aux taxes et aux quotas à l’exportation pour un temps parfois). À cela s’ajoute une période allant de cinq à sept ans d’exonéra-tion d’impôts et des exemptions de taxes sur les importations de machines agricoles. Le coût d’un hectare de terre pour un an est estimé à 10-12 $ et les baux accordés peuvent aller de 50 à 99 ans.

6. Les terres exploitées se concentrent sur les plateaux pour des raisons d’irrigation et d’accès aux voies de transport.

Entre 2008 et 2011,3,6 millions d’hectares ont

été loués à des investisseurs étrangers en Éthiopie.

L’entreprise Karuturi a conclu en 2004 un contrat de location

de terre dans le Gambella, initialement de 100 000 ha

mais qui deviennent, à la suite d’un nouveau contrat signé

en 2010, 300 000 ha pour80 ans avec le Gouvernement

éthiopien.

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État des lieux de ces transferts de terres

Le processus qui a conduit à cette situation peut être décomposé en deux phases : la première couvre la période entre 2003-2008 et la deuxième renvoie à la période qui va de 2008 à 2012. La location de terre par des investisseurs étrangers a débuté au milieu des années 1990 mais concernait à l’époque des petites surfaces. Ce n’est qu’à partir de 2003 que ces transferts prennent une dimension très importante. Cela correspond à la période durant laquelle le gouvernement entreprit l’élaboration d’un cadre adapté à ces investissements. La totalité des terres transférées à des investisseurs en Éthiopie entre 2004 et 2008 est de 1,2 millions d’hectares (Rahmato D., 2011). La deuxième phase correspond à une période (2008-2012) marquée par la diversifi cation à la fois des investisseurs mais également des productions (auparavant, essentiellement les fl eurs) : alimentation (riz, maïs, sucre, etc.), agro-industrie (coton, etc.) et production de biocarburants. Entre 2008 et 2011, 3,6 millions d’hectares ont été cédés à des investisseurs étrangers (Pigeaud, 2012). Globalement ces acquisitions à grande échelle sont dominées par les compagnies indiennes et saoudiennes.

Entre volonté de favoriser les investissements et limitesdans les capacités à les réglementer

Une récente étude réalisée par le Centre français des études éthiopiennes (CFEE, 2012) permet de saisir, à l’aide d’informations très précises recueillies auprès des acteurs investis dans ces enjeux (des membres des institutions publiques chargées de gérer les transferts de terres, des banquiers, etc.) les diffi cultés qui nouent la gestion de ces transferts.

Ces diffi cultés renvoient à différentes catégories, tout d’abord elles concernent le processus de sé-lection du terrain et des investisseurs. Cette étape qui est déterminante pêche dans la mesure où, d’une part, les moyens alloués ne sont pas suffi sants pour faire respecter les critères de sélection dans l’ensemble du pays et, d’autre part, les documents exigés pour que le projet d’un potentiel investis-seur soit accepté ne sont pas toujours effi cients (les informations demandées dans le business plan).

Ensuite, s’ajoute des problèmes liés à la fi xation des prix. Le rapport du CFEE souligne la sophistication du procédé utilisé pour fi xer les prix (« la logique qui est suivie est celle d’autoriser un rendement moyen constant, défi ni d’avance et satisfaisant pour l’investisseur, indépendamment de l’endroit où se situe la concession dans le pays ») mais en souligne les carences (ce procédé « ne tient pas en compte des qualités agricoles des terrains au-delà de la présence ou l’absence d’irrigation »).

Impacts sociaux et environnementaux : exploitation tous azimutsdes ressources et menaces sur les populations locales ?

Les impacts environnementaux renvoient aux incapacités du gouvernement fédéral à assurer un suivi des projets et à garantir le respect des ressources utilisées par les investisseurs. Dans ce contexte, les ressources hydriques sont utilisées à outrance sans régulation des acteurs étatiques, ainsi un inves-tisseur témoigne du fait que « la plupart des puits qui sont creusés dans le cadre des concessions n’ont (…) ni sonde ni compteur » (Rapport du CFEE, 2012).

© Céline Allaverdian

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Les impacts sociaux renvoient quant à eux aux menaces sur les modes de vie des populations les plus concernées par ces investissements, à savoir les régions du Sud-Est : Gambella et Benishangul-Gumuz, la Somalie et la région Afar. Par exemple, certaines terres proposées à l’investissement sont des terres laissées en jachères par les communautés qui pratiquent des cultures en rotation pour une meilleure gestion des sols. Par ailleurs, ces zones sont peuplées par des ethnies qui ont régulièrement manifesté leurs revendications indépendantistes, c’est le cas du groupe Oromo. Ainsi, il est possible de remarquer que « les zones où les concessions prévues sont les plus importantes en part du terri-toire sont des zones où ont été relevées des politiques de discrimination envers certaines ethnies » (Rapport du CFEE, 2012). Cette situation conduit parfois au recours à la violence, comme ce fut le cas en mars 2012 où une ferme de la Saudi Star a été attaquée, causant la mort de plusieurs Éthiopiens et un Pakistanais travaillant dans la ferme. À ces actes de violence de la population locale a répondu la violence des forces gouvernementales.

Les peuples principalement pasteurs du Sud sont porteurs d’une histoire confl ictuelle avec le pouvoir central, qui s’est imposé après avoir colonisé les territoires du Sud du Nil. Les souvenirs des oppositions et les craintes des contestations conduisent les autorités étatiques à conserver une méfi ance à l’égard de ces peuples. Ce qui fait dire à certains que « les éleveurs des basses terres sont encore aujourd’hui perçus en Éthiopie comme une menace et les grandes exploitations irriguées demeurent l’un des moyens sûrs pour les surveiller » (Oakland Institute, 2011). Cela en dépit du fait qu’une partie importante du territoire national (40 %) soit considérée comme uniquement propice aux activités pastorales (Helland, 2007).

Quoi qu’il en soit, ces espaces voient la mise en place d’un programme de villagisation « volontaire ». Dans la seule région de Gambella, plus de 70 000 personnes ont été déplacées. Le gouvernement explique vouloir ainsi regrouper des populations isolées afi n de leur garantir un accès aux ressources (eau) et aux services (école, hôpital).

Néanmoins, les rapports et les articles conduits dans les espaces concernés par les ONG, telles que Human Right Watch ou l’Oakland Institute révèlent à l’appui de témoignages les ambiguïtés de ces déplacements de populations. Les ONG soulignent les conséquences de ces acquisitions qui se tradui-sent par des déplacements de populations qui auraient pour objectif latent de « libérer » des terres afi n de les mettre à la disposition d’acquéreurs éventuels. De son côté, le gouvernement régional du Benishangul se défend en sollicitant des études d’impacts de la part de bureaux d’études étrangers.

Gambella : terre d’investissement au cœur de tensions

Les acquisitions qui concernent actuellement la région de Gambella permettent de saisir les tensions soulevées par ces transferts de terres. Ces tensions sont relatives à la localisation de ces terres qui sont proposées à l’investissement mais également aux modalités d’exploitation de ces espaces.

L’entreprise de nationalité indienne Karuturi Global Ltd. est l’une des plus grosses sociétés d’agroalimen-taire au monde. L’entreprise Karuturi a conclu en 2004 un contrat de location de terre initialement de 100 000 ha mais qui deviennent, à la suite d’un nouveau contrat signé en 2010, 300 000 ha pour 80 ans avec leGouvernement éthiopien. L’entreprise de nationalité saoudienne Saudi Star Company bénéfi cie d’un accord de location de 100 000 hectares. Il est prévu que l’ensemble des terres qui devraient lui être accordées soit de 300 000 ha. Ces deux entreprises sont principalement implantées dans la région de Gambella.

La région est caractérisée par un environnement extrêmement riche par sa faune et sa fl ore. Ces exploitations accroissent la déforestation, alors même que dans le pays, en l’espace de 50 ans la superfi cie forestière est passée de 40 % à moins de 3 % du territoire national7. La question de l’utili-sation de l’eau est également posée puisque les productions envisagées sur ces espaces consomment beaucoup d’eau (Oromia Studies Association)8. Cela a des conséquences sur la faune puisque la réduction du niveau d’eau des lacs conduit à la diminution de nombre de poissons qui elle-même incite à la migration des volatiles de la région. Au niveau local, des tensions existent et des popu-lations locales se révoltent contre ces installations. Régulièrement les installations sont attaquées par les paysans des localités qui manifestent ainsi leur opposition aux pratiques de déforestation et d’exploitation excessive de l’eau.

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CONCLUSION

Ces tensions relatives à la gestion du peuplement et à la mise en disponibilité d’espaces pour les investissements rappellent les défi s soulevés par le surpeuplement et la pression foncière.

En Éthiopie, la question du peuplement est en cela particulière qu’elle a fait l’objet de plusieurs ten-tatives de contrôle étatique. Les élections depuis la mise en place de la république multi-ethnique en 1991 ont toujours été marquées par des irrégularités (Teshome, 2009) et dès les élections de 1992 (locales et régionales), plusieurs mouvements qui participèrent à la résistance au régime communiste boycottent les élections. Ce n’est qu’aux élections de 2000 que l’opposition au parti Tigréen participe. Quant aux élections de 2005, elles ont été marquées par une forte participation des campagnes et des violences post-électorales après l’annonce par le parti au pouvoir de sa victoire. Cette participation s’est suivie d’une volonté de reprise en mains par le régime.

C’est pour cette raison que le contrôle du peuplement est un enjeu important pour le pouvoir depuis longtemps (Gascon A., 2007). Cependant, ce sont les déplacements de population entrepris sous le Derg qui cristallisent la volonté politique. Cette histoire récente permet de mettre en perspective les dynamiques actuelles liées à la politique de villagisation pour en mesurer les enjeux et leurs impacts. ●

7. http://www.farmlandgrab.org/post/view/18778

8. http://www.farmlandgrab.org/post/view/18778

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LES ENJEUX FONCIERS EN ÉTHIOPIE : ENTRE NOUVELLES PRATIQUES DE GESTIONLES ENJEUX FONCIERS EN ÉTHIOPIE : ENTRE NOUVELLES PRATIQUES DE GESTIONDES RESSOURCES ET PLURALITÉ DES DIFFICULTÉSDES RESSOURCES ET PLURALITÉ DES DIFFICULTÉS

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LES ENJEUX FONCIERS EN ÉTHIOPIE : ENTRE NOUVELLES PRATIQUES DE GESTIONLES ENJEUX FONCIERS EN ÉTHIOPIE : ENTRE NOUVELLES PRATIQUES DE GESTIONDES RESSOURCES ET PLURALITÉ DES DIFFICULTÉSDES RESSOURCES ET PLURALITÉ DES DIFFICULTÉS

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