LES ECHOS DE SAINT-MAURICE - DIGI-ARCHIVES · tons de manuscrits soigneusement con-servés et...

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LES ECHOS DE SAINT-MAURICE Edition numérique Pierre-François METTAN Allocution pour l'inauguration de la salle Maurice Chappaz Dans Echos de Saint-Maurice, 2004, tome 99a, p. 34-36 © Abbaye de Saint-Maurice 2014

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LES ECHOS DE SAINT-MAURICE

Edition numérique

Pierre-François METTAN

Allocution pour l'inauguration de la salle Maurice Chappaz

Dans Echos de Saint-Maurice, 2004, tome 99a, p. 34-36

© Abbaye de Saint-Maurice 2014

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ALLOCUTION DE M. PIERRE-FRANÇOIS METTAN

Cher Maurice,

Je commencerai par un souvenird’école. Je ne l’ai pas trouvé dans un devos livres, mais dans une réponse à unequestion impromptue que vous posaitPatrick Ferla lors d’un entretien radio-phonique. Le journaliste vous demandeavec malice si vous savez chanter. Votreréponse est directe: «Je ne sais pas chan-ter mais j’ai toujours désiré chanter» (1).

Vous évoquez alors un souvenir:vous aviez sept ans, vous vous souvenezavoir été expulsé d’un cours de chanttant vous aviez été malhabile à monterles notes de la gamme. Dans cet aveuémouvant de la détresse d’un enfant quine sait pas chanter et qui essaie dans lasolitude de retrouver un air à chanterpour lui, je trouve cher Maurice, uneclé qui permet de mieux comprendrevotre œuvre. Écrire a été pour vous une

Maurice Chappaz dialoguant avec Mgr Joseph Roduit et Pierre-François Mettan.

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respiration, la poésie une tentative deretrouver le chant inaccessible à l’enfant.

Souvent, à la manière socratique,vous évoquez tout ce que vous n’avezpas su faire: enfant, vous étiez solitaireet aviez de la peine à parler; plus tardvous avouez que vous avez été peu apteaux travaux manuels, ne sachant pas«planter un clou»; grand arpenteur denos montagnes, vous déclarez être unmauvais alpiniste; adulte lancé dans lavie, vous vous êtes senti inapte à l’exer-cice d’un métier habituel. Or, votreoncle Maurice Troillet, célèbre hommepolitique, qui fut pour vous un secondpère, était profondément enraciné dansle faire et dans l’action; votre beau-père,l’artiste Edmond Bille, que vous admi-riez, était aussi quelqu’un qui avaittrouvé sa place dans la cité. Protestantneuchâtelois, il avait décoré bon nom-bre d’églises du Valais; il s’était engagéen politique et avait trouvé non sanspeine une conciliation entre l’art et lavie.

Quant à vous Maurice, tout enadmirant les réalisations concrètes del’homme politique ou du peintre, vousavez avec ténacité et dignité toujours re-vendiqué la noblesse du dire face aufaire, la valeur de l’inutile et la beautédu chant. En parlant de vos études àSaint-Maurice, vous avez dit et reditl’importance d’un enseignement qui necherche pas d’abord l’utile. Dans LePartage de Minuit (2), il s’agit du livreécrit à deux mains qui a donné le titre àcette exposition, vous dites ceci, évo-quant vos années de collégien:

«Le vrai but des études que nouspoursuivions n’était pas une professionmais une vocation, un imaginaire (…).

Si nous recevions une culture c’était pourfavoriser une disponibilité en nous, em-pêcher que soit tout de suite étouffée par«l’utile» (…) la mince part contempla-tive.»

Eh bien Maurice, votre chant atoujours laissé résonner cette vocation,cet imaginaire et cette «mince part con-templative». «Enfant qui croyait au pa-radis», «petit fruit vert et mal mûr», vousêtes devenu l’un de nos plus grands poè-tes, vous avez su transformer vos faibles-ses en une force qui ne s’oubliera pas etnul doute que votre œuvre sera aussi«durable» que celle de votre oncle et devotre beau-père.

Dans ce trajet de vie, je n’oubliebien sûr pas Corinna Bille: elle aussi sesentait assez fragile et démunie face à lavie, face à une époque qu’elle ne com-prenait pas toujours. Elle utilise la mêmeexpression que vous, dans un autre en-tretien radiophonique, pour justifier sonactivité d’écriture: écrire est une «bou-teille jetée à la mer», bouteille qui lui apermis de respirer, de chanter, encoredavantage — de survivre. Tout étaitpour elle matière à l’écriture: les rêvesde sa mère, de ses tantes ou de ses en-fants, les lectures innombrables, les his-toires qu’on lui racontait, l’observationminutieuse de la nature… Peu d’écri-vains ont comme elle accordé tant deplace à l’altérité: parler pour les autres,parler vers les autres, mais aussi parlerde l’autre en soi, de tout ce que notreraison ne peut pas saisir.

La Médiathèque Valais m’a donnécomme mandat, dans le cadre des ex-positions consacrées à la famille Bille,de proposer une lecture croisée des deux

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écrivains. Il y avait là de quoi faire peurà l’enseignant généraliste que j’étais: unmassif impressionnant de livres (plusd’une centaine à vous deux), des car-tons de manuscrits soigneusement con-servés et classés à la Bibliothèque natio-nale, des articles de journaux par cen-taines. De prime abord, le lecteur voitplutôt la ligne de partage — comme l’onparlerait de la ligne de partage des eaux— entre les deux œuvres. L’une, cellede Corinna, plus narrative, ne cherchepas à expliquer le monde; la vôtre estplus lyrique, elle commente inlassable-ment les rapports entre l’homme et lemonde, entre le divin et l’humain, elleexplore tout particulièrement la partcontemplative. Pourtant si ces différen-ces sautent aux yeux, ne serait-ce quedans l’écriture elle-même, nombreuxsont les points de rencontre entre vosdeux œuvres. Ce Partage de Minuit —le titre est un clin d’œil à Paul Claudelque Norbert Viatte aimait tant, car tousvos livres Maurice, comme ceux deCorinna, dialoguent avec les livres dumonde entier — ce partage, je le pro-pose dans un parcours qui s’organiseautour de quatre grands thèmes: les fi-liations, l’ici et l’ailleurs, l’usage dumonde, le moi et l’autre (3).

L’exposition ne cherche pas àêtre didactique: plutôt que d’expliquer,nous invitons à la découverte. L’écriturecomme la lecture sont par définition desexpériences très intimes qui ne se mon-trent guère, d’où la difficulté de mettreen scène deux écrivains. Pour cet aspect,je suis reconnaissant vis-à-vis de deuxpersonnes: Viviane Actis, graphiste etJean-Daniel Berclaz, scénographe del’exposition. Je ne veux pas oublier un

autre collègue, Nicolas Fournier, qui aeu le grand mérite d’effectuer le mon-tage des plans-fixes tournés par les élè-ves de la 5e Arts visuels de cet établisse-ment: il s’agit de lecteurs qui s’expri-ment sur votre œuvre et sur celle deCorinna.

Vous voyez que de nombreusespersonnes de ce Collège ont apporté unconcours actif: je les en remercie,d’abord M. le Recteur pour sa bien-veillance, les proviseurs, en particulierMme Gagliardi et M. Fournier, mescollègues, sans oublier M. le Conciergeet les dames du nettoyage qui ont faiten sorte que tout soit prêt ce soir.

Serait-ce vous trahir, cher Maurice,de dire que votre œuvre, tout commecelle de Corinna, est d’abord évangéli-que? L’essentiel pour moi a toujoursd’été d’aller vers le partage: mettre enimages, mettre en mots, donner à lire,aller vers d’autres lecteurs pour que lesœuvres ne meurent pas.

Pierre-François Mettan

(1) Radio suisse romande, 20.12.1982.(2) S. Corinna Bille et Maurice

Chappaz, Le Partage de Minuit, Fédérop,Lyon, 1984, p.29.

(3) Un livre, disponible dans les mé-diathèques de Sion, Martigny et Saint-Mau-rice, prolonge ce parcours: P.-F. Mettan, LePartage de Minuit: Corinna Bille et MauriceChappaz, Acatos, 2003.