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210 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVIII - n° 4 - juillet-août 2015 MISE AU POINT Les dyskinésies ciliaires primitives Primary ciliary dyskinesia: an update A. Tamalet*, S. Blanchon** * Service de pneumologie pédia- trique, Centre de référence des maladies respiratoires rares, hôpital Armand-Trousseau, AP-HP, et unité Inserm UMR S-938, Paris. ** Unité de pneumo-allergologie pédiatrique, centre de compétences des maladies respiratoires rares, hôpital des enfants, CHU de Tou- louse, et unité Inserm UMR S-955, institut Mondor de recherche bio- médicale, Creteil. L es dyskinésies ciliaires primitives (DCP) sont des maladies génétiques rares regroupant des pathologies respiratoires liées à une anomalie constitutionnelle des cils. La prévalence estimée est de 1/15 000 à 1/30 000 personnes. Les DCP sont responsables d’infections des voies aériennes hautes et basses, par défaut d’épuration mucociliaire. Elles se manifestent classiquement dès l’enfance. Les cils sont des expansions cellulaires spécialisées constituées de plus de 500 protéines différentes ; il existe 2 types de cils : les mobiles et les primaires. Les cils mobiles, impliqués dans la DCP, sont consti- tués d’une paire de microtubules centraux entourée de 9 doublets périphériques (arrangement “9 + 2”) [figure 1] et ont un rôle de mobilisation des fluides à la surface des épithéliums respiratoires, épendy- maires ou tubaires. Les cils primaires, impliqués dans un grand nombre de maladies rares (néphronophtise, syndrome de Bardet-Biedl, etc.) ne possèdent pas de microtubules centraux (arrangement “9 + 0”) et ont un rôle de chimio- et mécanorécepteurs per- cevant des informations du microenvironnement cellulaire. Parmi les cils primaires, seuls ceux du nœud embryonnaire sont mobiles, responsables de la latéralisation asymétrique des organes au cours du développement. Enfin, il existe des dérivés ciliaires tels que les photorécepteurs, les cellules olfactives, l’organe de Corti de l’oreille interne ainsi que le flagelle des spermatozoïdes. Quels éléments doivent faire évoquer le diagnostic ? La présentation clinique n’a le plus souvent rien de spécifique. Mais c’est le début précoce, notamment l’existence d’une détresse respiratoire inexpliquée (présente dans plus de 50 % des cas) [1], et l’asso- ciation d’une pathologie pulmonaire et oto-rhino- sinusienne qui feront évoquer le diagnostic. D’autant plus s’il existe une anomalie de latéralisation des viscères (un situs inversus est présent dans environ 50 % des cas, constituant alors le syndrome de Kartagener) [2], des troubles de la fertilité, une consanguinité des parents et des antécédents fami- liaux plus fréquemment retrouvés du fait du mode de transmission autosomique récessif. Les manifestations respiratoires sont principa- lement une toux grasse chronique quasi constante, des bronchites et pneumonies aiguës parfois asso- ciées à des troubles de ventilation. Des dilatations bronchiques ou un asthme sécrétant ne répon- dant pas à la prise en charge classique doivent faire évoquer le diagnostic (1). Ainsi, une DCP est retrouvée dans 13 % des cas lors du bilan étiologique de dilatations bronchiques chez l’adulte (3), et dans 6 % des cas lors de celui des infections respiratoires chroniques de l’enfant ou de l’adulte (4, 5). Les manifestations oto-rhinosinusiennes sont souvent au premier plan dans les premières années : rhinite précoce et persistante, notée parfois dès la période néonatale, otites séromuqueuses, otites avec otorrhée. L’absence d’atteinte des voies aériennes supérieures avant l’âge de 5 ans rend le diagnostic de DCP très peu probable. L’existence d’une otorrhée persistante sur drains est parti- Figure 1. Structure d’un cil en coupe transversale. Membrane ciliaire Pont radiaire Lien de nexine Paire centrale Bras de dynéine externe Bras de dynéine interne Microtubules périphériques B A

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210 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XVIII - n° 4 - juillet-août 2015

MISE AU POINT

Les dyskinésies ciliaires primitives Primary cil iary dyskinesia: an update

A. Tamalet*, S. Blanchon**

* Service de pneumologie pédia-trique, Centre de référence des maladies respiratoires rares, hôpital Armand-Trousseau, AP-HP, et unité Inserm UMR S-938, Paris.

** Unité de pneumo-allergologie pédiatrique, centre de compétences des maladies respiratoires rares, hôpital des enfants, CHU de Tou-louse, et unité Inserm UMR S-955, institut Mondor de recherche bio-médicale, Creteil.

Les dyskinésies ciliaires primitives (DCP) sont des maladies génétiques rares regroupant des pathologies respiratoires liées à une anomalie

constitutionnelle des cils. La prévalence estimée est de 1/15 000 à 1/30 000 personnes. Les DCP sont responsables d’infections des voies aériennes hautes et basses, par défaut d’épuration mucociliaire. Elles se manifestent classiquement dès l’enfance. Les cils sont des expansions cellulaires spécialisées constituées de plus de 500 protéines différentes ; il existe 2 types de cils : les mobiles et les primaires. Les cils mobiles, impliqués dans la DCP, sont consti-tués d’une paire de microtubules centraux entourée de 9 doublets périphériques (arrangement “9 + 2”) [figure 1] et ont un rôle de mobilisation des fluides à la surface des épithéliums respiratoires, épendy-maires ou tubaires. Les cils primaires, impliqués dans un grand nombre de maladies rares (néphronophtise, syndrome de Bardet-Biedl, etc.) ne possèdent pas de microtubules centraux (arrangement “9 + 0”) et ont un rôle de chimio- et mécanorécepteurs per-cevant des informations du microenvironnement cellulaire. Parmi les cils primaires, seuls ceux du nœud embryonnaire sont mobiles, responsables

de la latéralisation asymétrique des organes au cours du développement. Enfin, il existe des dérivés ciliaires tels que les photorécepteurs, les cellules olfactives, l’organe de Corti de l’oreille interne ainsi que le flagelle des spermatozoïdes.

Quels éléments doivent faire évoquer le diagnostic ?La présentation clinique n’a le plus souvent rien de spécifique. Mais c’est le début précoce, notamment l’existence d’une détresse respiratoire inexpliquée (présente dans plus de 50 % des cas) [1], et l’asso-ciation d’une pathologie pulmonaire et oto-rhino-sinusienne qui feront évoquer le diagnostic. D’autant plus s’il existe une anomalie de latéralisation des viscères (un situs inversus est présent dans environ 50 % des cas, constituant alors le syndrome de Kartagener) [2], des troubles de la fertilité, une consanguinité des parents et des antécédents fami-liaux plus fréquemment retrouvés du fait du mode de transmission autosomique récessif.

➤ Les manifestations respiratoires sont principa-lement une toux grasse chronique quasi constante, des bronchites et pneumonies aiguës parfois asso-ciées à des troubles de ventilation. Des dilatations bronchiques ou un asthme sécrétant ne répon-dant pas à la prise en charge classique doivent faire évoquer le diagnostic (1). Ainsi, une DCP est retrouvée dans 13 % des cas lors du bilan étiologique de dilatations bronchiques chez l’adulte (3), et dans 6 % des cas lors de celui des infections respiratoires chroniques de l’enfant ou de l’adulte (4, 5).

➤ Les manifestations oto-rhinosinusiennes sont souvent au premier plan dans les premières années : rhinite précoce et persistante, notée parfois dès la période néonatale, otites séromuqueuses, otites avec otorrhée. L’absence d’atteinte des voies aériennes supérieures avant l’âge de 5 ans rend le diagnostic de DCP très peu probable. L’existence d’une otorrhée persistante sur drains est parti-

Figure 1. Structure d’un cil en coupe transversale.

Membrane ciliaire

Pont radiaire

Lien de nexine

Paire centrale

Bras de dynéine externe

Bras de dynéine interne

Microtubules périphériques

BA

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RésuméUne dyskinésie ciliaire primitive (DCP) doit rapidement être évoquée devant l’association d’infections respiratoires hautes et basses ayant débuté tôt dans l’enfance, même en l’absence de situs inversus. Il existe un algorithme précis pour établir le diagnostic et, dans les cas difficiles, des examens de deuxième intention comme l’étude du mouvement ciliaire en vidéomicroscopie haute fréquence sont disponibles dans des centres spécialisés. L’identification de nouveaux gènes, permettant un diagnostic de certitude, est un progrès majeur pour confirmer le diagnostic, notamment dans les formes complexes comme les DCP à cils normaux ou les DCP avec anomalies ultrastructurales partielles.

Mots-clés Syndrome de Kartagener

Dilatation des bronches

NO nasal

Immobilité ciliaire

Génétique

SummaryPrimary Ciliary Dyskinesia (PCD) should be suspected in case of concomitant, recurrent and early upper and lower tract infections, even if laterality defect is lacking. Systematic algorithm to confirm diagnosis is available, including ciliary motion analysis by high speed video-microscopy in specialized center. Given a direct definitive diagnosis, the genetic analysis is going to help clinicians as new genes are regularly iden-tified, especially in complex situation as PCD with normal or partially abnormal ultra-structures.

KeywordsKartagener syndrome

Bronchiectasis

Nasal NO

Immotile cilia

Genetics

culièrement évocatrice. Une sinusite chronique est présente souvent dès la petite enfance, purulente et diffuse, et évolue vers une polypose nasosinusienne dans au moins la moitié des cas (1).

➤ Des manifestations extrarespiratoires peuvent être présentes, telles qu’une malformation cardiaque, des kystes rénaux, une hydrocéphalie communicante ou une rétinite pigmentaire. L’infertilité est quasi constante chez l’homme, par immobilité des sper-matozoïdes, et variable chez les femmes, avec une fréquence accrue des grossesses extra-utérines.

Quels sont les éléments fonctionnels, radiologiques et microbiologiques importants ?Le pronostic est essentiellement respiratoire, mais l’évolution fonctionnelle est moins sévère que celle observée dans la mucoviscidose. Les études montrent qu’il existe un trouble ventilatoire obstructif précoce avec volume expiratoire maximal par seconde (VEMS) inférieur à 80 % chez 1/3 des enfants d’âge présco-laire. Plusieurs études montrent une stabilité fonc-tionnelle avec un recul de 6 ans (6), quand d’autres retrouvent un déclin moyen du VEMS de 0,8 % par an (1, 7, 8), mais avec des variations interindividuelles importantes au sein d’une même cohorte (7). Ainsi, il existe des atteintes respiratoires sévères chez l’adulte avec VEMS inférieur à 40 % sans qu’un facteur pro-nostique soit identifié à ce jour (1). Ni l’âge du diag-nostic, ni le niveau de l’atteinte respiratoire initiale ne sont corrélés à l’évolution (7), mais une étude récente souligne l’influence de l’état nutritionnel sur la fonction respiratoire : l’indice de masse corporelle est abaissé chez les patients atteints de DCP, significa-tivement moins bon que celui de patients suivis pour mucoviscidose suffisants pancréatiques (p < 0,001), et corrélé négativement à la fonction respiratoire (9).Les anomalies lésionnelles sont précoces et évolutives, et concernent le plus souvent le lobe moyen, la lingua et les lobes inférieurs. Les dilatations bronchiques sont présentes dans 60 à 70 % des cas, à un âge moyen de 8 ans (1, 8). Avec l’âge, ces lésions se majorent tandis que le score radiologique se dégrade significative-ment ; à l’âge adulte, les dilatations bronchiques sont présentes dans 100 % des cas (10).

Sur le plan microbiologique, les germes les plus fré-quents sont Haemophilus influenzae et Staphylo­coccus aureus, mais l’incidence de Pseudomonas aeruginosa est supérieure à 20 % dans les études les plus récentes (8, 9), et celle des mycobactéries atypiques de 15 % chez l’adulte dans l’étude de P. Noone et al. (1). Il est donc recommandé de réa-liser systématiquement tous les 3 mois un examen bactériologique des crachats, en employant les mêmes milieux de culture que ceux utilisés pour la mucoviscidose.

Comment confirmer (ou infirmer) le diagnostic de DCP ? En cas de symptomatologie évocatrice de DCP, la première étape est d’éliminer les diagnostics diffé-rentiels que sont notamment le déficit immunitaire et la mucoviscidose, grâce à un bilan biologique immunitaire et un test de la sueur (éventuelle-ment complété par une étude génétique de CFTR). Dans un deuxième temps, les tests fonctionnels permettront de sélectionner les patients pour lesquels une étude de l’ultrastructure ciliaire en microscopie électronique est nécessaire, afin de confirmer le diagnostic de DCP et de guider les analyses génétiques.

Les études fonctionnelles : clairance mucociliaire, NO nasal et mouvement ciliaire

Historique, l’étude de la clairance mucociliaire par les tests à la saccharine ou au charbon, ou par technique radio-isotopique, n’est plus recommandée, car ils sont peu fiables et difficiles d’utilisation.La mesure du débit nasal de monoxyde d’azote (NO), méthode non invasive, est proposée comme aide au diagnostic des DCP et incluse dans les recomman-dations britanniques depuis 2007 et européennes depuis 2009 (11). La concentration mesurée dépend du débit d’aspiration et de la technique utilisée (apnée, expiration contre résistance, mesure en volume courant) et le résultat est habituellement

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MISE AU POINTLes dyskinésies ciliaires primitives

exprimé en débit de NO (nl/mn). Chez l’adulte et l’enfant en âge de coopérer (4-5 ans), le NO nasal est mesuré durant une apnée, et les valeurs nor-males sont supérieures à 250 nl/mn chez le sujet sain, et classiquement inférieures à 50 nl/mn en cas de DCP, avec une valeur prédictive positive de 89 % pour un seuil de 105 ppb dans l’étude pédiatrique de R. Corbelli et al. (12). Avant l’âge de 4-5 ans, la mesure de NO nasal peut être proposée en volume courant, avec une valeur prédictive négative satis-faisante, permettant d’écarter le diagnostic de DCP en cas de résultat élevé (13).L’étude du mouvement ciliaire est le plus souvent faite de manière semi-quantitative, par simple examen en microscopie optique d’un prélèvement frais de muqueuse respiratoire nasale ou bronchique. La mesure de la fréquence de battement ciliaire nécessite le recours à des techniques spécialisées : stroboscopie électronique, photo-oscillométrie et, plus récemment, vidéomicroscopie numérique à haute vitesse. La fréquence du battement ciliaire est de l’ordre de 10 Hz chez le sujet sain à 37 °C et 8 Hz à température ambiante. Elle est considérée comme anormalement lente en dessous de 8 Hz. Mais la seule mesure de la fréquence de battement ne suffit parfois pas, et plusieurs études ont montré l’intérêt d’une analyse qualitative du mouvement par vidéomicroscopie numérique à haute vitesse (amplitude du mouvement, comparaison des phases active et passive du mouvement, visualisation de l’onde métachrone et de la coordination des cils, etc.), permettant d’améliorer de manière significa-tive le diagnostic de DCP (14). En 2009, la Task Force pour la DCP de la Société européenne de pneumo-logie a recommandé son utilisation centrale dans la démarche diagnostique. Cependant, cet examen n’est disponible que dans un nombre très limité de

centres ; il ne peut donc pas être proposé en routine, mais seulement en cas de discordance entre les résultats des différentes explorations classiques (11).

L’étude de l’ultrastructure ciliaire

L’étude de l’ultrastructure ciliaire est faite par micro-scopie électronique à transmission sur des biopsies de muqueuse respiratoire nasale ou bronchique. Elle doit porter sur au moins 50 coupes transversales de cils issus de cellules différentes, et les résultats sont exprimés de manière quantitative (pourcentage de cils anormaux/nombre de cils étudiés) et qualita-tive (type de l’anomalie dominante, anomalie unique ou polymorphe). Dans la DCP, les anomalies ciliaires se traduisent par une majorité de cils anormaux portant principalement le même défaut ultrastruc-tural. Un grand nombre d’anomalies a été décrit, mais elles concernent le plus souvent les bras de dynéine (81,2 %) et le complexe central (18,8 %) [figure 2] (15). Enfin, il existe environ 15 % de DCP à cils normaux. À l’issue de ces investigations, il est légitime d’ex-clure le diagnostic de DCP en l’absence d’anomalie du mouvement et de l’ultrastructure ciliaire, surtout si le débit nasal de NO est normal. Le diagnostic de DCP est “confirmé” si tous les cils analysés pré-sentent une même anomalie ultrastructurale, res-ponsable d’un battement ciliaire absent ou lent. Mais obtenir un prélèvement ciliaire exploitable peut être ardu, notamment chez le jeune enfant, et les résul-tats des explorations ciliaires classiques sont parfois difficiles à interpréter ou discordants. En effet, le NO nasal peut être diminué, voire effondré, en cas d’obs-truction nasale (particulièrement fréquente chez les patients suspects de DCP) et, dans une moindre

Figure 2. Coupes transversales de cils en microscopie électronique à transmission (A : cil normal ; B : absence des bras de dynéine externes [tête de flèche] ; C : absence de la paire centrale [tête de flèche]).

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MISE AU POINT

mesure, en cas de mucoviscidose. À l’inverse, une production normale de NO nasal a été rapportée dans quelques cas de DCP, notamment à mouve-ment ciliaire conservé. Par ailleurs, certains facteurs d’agressions extérieures, comme une infection locale (également très fréquente chez les patients suspects de DCP), un reflux gastrique ou le tabac peuvent modifier, voire abolir, le mouvement ciliaire, et induire des anomalies ultrastructurales qui sont classiquement polymorphes et concernent une minorité de cils. D’authentiques DCP peuvent au contraire s’accompagner d’un mouvement ciliaire conservé (mais inefficace), voire d’une fréquence de battement normale ou d’une ultrastructure normale (15 % des cas). Au terme de ces investigations classiques, le diag-nostic de DCP peut donc rester “possible” sans qu’il puisse être établi avec certitude (environ 30 % des cas). Il faut alors répéter les explorations ciliaires en fonction du contexte clinique et de l’évolution (15), et recourir à des explorations plus sophistiquées telles que l’étude qualitative du mouvement ciliaire en vidéomicroscopie à haute vitesse ou l’étude ciliaire après ciliogenèse en culture, explorations disponibles dans un nombre très limité de centres. Les avancées de la génétique devraient cependant nous fournir, dans un avenir relativement proche, une aide au diagnostic.

L’étude génétique

L’étude génétique est actuellement guidée par le résultat de la microscopie électronique, avec un ciblage des gènes à étudier en fonction de la struc-ture protéique atteinte. La place de la génétique dans l’algorithme diagnostique (figure 3) devrait toutefois être prochainement modifiée. En effet, le développement et la standardisation de tech-niques diagnostiques génétiques performantes comme le séquençage à haut débit (Whole-Exome Sequencing [WES]) devraient dans un futur proche permettre un diagnostic de certitude plus rapide, mais contribueront aussi à faire émerger des formes frontières. À ce jour, 29 gènes ont été identifiés, et représentent environ la moitié des patients :

➤ absence des bras de dynéine externes : DNAI1 (14 %), DNAH5 (49 %), DNAI2, TXNDC3/NME8, DNAL1, CCDC114, ARMC4, CCDC151 ;

➤ absence des 2 bras de dynéine : DNAAF1/LRRC50 (17 %), DNAAF2/KTU, RPGR, DNAAF3/C21orf59, CCDC103, HEATR2, LRRC6, DYX1C1, SPAG1, ZMYND10 ;

➤ absence des bras de dynéine internes : CCDC39 (55 %), CCDC40 (20 %) ;

➤ anomalies du complexe central : RSPH4A, RSPH9, HYDIN, RSPH1 (20 %) ;

➤ DCP à cils normaux et anomalies de la cilio-genèse : DNAH11, DRC1, CCDC65, CCNO, MCIDAS.Enfin, les comparaisons génotype/phénotype devraient permettre d’identifier des facteurs pronostiques (16).

Quel traitement peut-on proposer aux patients ?

La Task Force de l’ERS a récemment publié des recommandations thérapeutiques pour les DCP, en soulignant leur niveau de preuve particulièrement faible. Le traitement des DCP est encore largement extrapolé de la mucoviscidose et repose essentielle-ment sur l’antibiothérapie et les traitements locaux ORL, ainsi que sur le drainage bronchique, dont la fréquence est à adapter à l’état du patient, mais jamais inférieure à 2 fois par semaine (11).

➤ L’antibiothérapie est indiquée lors des exacer-bations respiratoires, de préférence orientée selon l’examen bactériologique des crachats, sinon à large spectre, active sur Haemophilus influenzae (amoxi-cilline-acide clavulanique, sulfamide-triméthoprime, etc.). Selon l’état du patient et les habitudes du pra-ticien, elle est prescrite soit à la demande, soit de

Figure 3. Algorithme diagnostique des DCP.

Mesuredu NO nasal

Résultats anormaux

Étudegénétique

Résultats normaux

Arrêt desinvestigations

Résultats discordants,limites ou non contributifs

2e contrôle(NO nasal, FBC, VMHV)

Analyse del’ultrastructure

ciliaire (ME)

Étude de la fréquencedu battement ciliaire

L’un et/ou l’autre, selon l’âge et la disponibilité

ME : microscope électroniqueFBC : fréquence du battement ciliaire

VMHV : vidéomicroscopie à haute vitesse

NO nasal ou FBC anormal et/ousymptomatologie très évocatrice

NO nasal et FBC normaux

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MISE AU POINTLes dyskinésies ciliaires primitives

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Références bibliographiques

façon séquentielle, ou encore alternée continue, notamment chez le jeune enfant. Le recours à une antibiothérapie intraveineuse ou nébulisée est rare-ment nécessaire, mais par analogie avec la muco-viscidose, il peut être proposé en cas d’échec de l’antibiothérapie orale ou de colonisation à Pseu-domonas aeruginosa.

➤ Le traitement otologique regroupe l’anti-biothérapie générale et/ou locale, les méthodes d’insufflation tubaire, et l’appareillage auditif si nécessaire (17). La paracentèse et la pose d’aéra-teurs transtympaniques doivent être réservées aux cas rebelles aux traitements médicaux, associés à un handicap auditif ne pouvant être corrigé par un appareillage (17). La stratégie thérapeutique des rhinosinusites chroniques au cours de la DCP n’est pas codifiée. Elle inclut des traitements médicaux, comme l’irrigation au sérum iso- ou hypertonique, les aérosols mucorégulateurs, la corticothérapie et l’antibiothérapie nasale inhalée, l’antibiothérapie systémique et, éventuellement, des traitements chirurgicaux (ethmoïdectomie et méatotomie moyenne endoscopiques) [17].

➤ Les autres thérapeutiques ne font pas l’objet de recommandations. Il n’y a aucun argument scien-tifique pour la prescription de corticoïdes. L’effi-cacité des macrolides à dose anti-inflammatoire sur le long terme dans la DCP reste controversée, et aucune étude contre placebo n’est disponible.

Les nébulisations de sérum salé hypertonique, de broncho dilatateurs, de corticostéroïdes, de muco-lytiques ou de rhDNase sont fréquemment propo-sées dans la DCP, mais la preuve de leur efficacité n’a jamais été faite bien qu’un bénéfice individuel ait été ponctuellement rapporté. Enfin, l’éviction du tabagisme actif et passif limite l’inflammation non spécifique des voies respiratoires. Le calendrier vaccinal doit être à jour et inclure la vaccination annuelle contre la grippe.

Conclusion

La dyskinésie ciliaire congénitale est une patho-logie qui mérite d’être mieux connue des pédiatres et des médecins généralistes afin qu’un diagnostic précoce puisse être établi, et des spécialistes ORL et pneumologues afin qu’une prise en charge rigoureuse permettant d’améliorer le pronostic puisse être proposée. En 2005, le Plan national Maladies rares a permis la création d’un centre de référence des maladies respiratoires rares entouré d’un réseau national de centres de compétences (www. respirare. fr) ayant pour mission d’améliorer et de coordonner la prise en charge, la connaissance et la recherche scientifique, notamment concernant la DCP, en lien avec l’association de patients atteints de DCP (www. adcp.asso.fr). ■

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en rapport

avec cet article.

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