Les droits fondamentaux au travail: état des lieux et perspectives · 2018-08-29 · Trois ans...

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Les droits fondamentaux au travail: état des lieux et perspectives Education ouvrière 2001/1 Numéro 122

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Les droits fondamentauxau travail: état des lieuxet perspectives

Education ouvrière 2001/1Numéro 122

Editorial V

La Déclaration de l’OIT et les mécanismes de contrôle

Normes fondamentales: un seuil minimal pour tous les pays,par William Brett 1

Pertinence des droits et principes fondamentaux et dynamique des normesinternationales du travail, par Jean-Claude Javillier 5

Droits fondamentaux au travail: un rôle accru pour les syndicats,par Monique Cloutier 9

Déclaration et coopération technique: l’exemple de l’Afrique francophone,par Jean-Pierre Delhoménie 15

Le Comité de la liberté syndicale de l’OIT, par Bernard Gernigon 19

Combattre la discrimination à l’aide de la Déclaration de l’OIT,par Amrita Sietaram 24

Etat des lieux des droits fondamentaux dans le monde

Les droits syndicaux à l’aube du millénaire: le tour du monde en 140 pays,par Janek Kuczkiewicz 31

Les normes fondamentales du travail dans les zones franches d’exportation,par Claude Kwaku Akpokavie 37

Quand privatisation rime avec exploitation: le travail pénitentiairedans les entreprises privatisées, par Colin Fenwick 43

Un consensus mondial pour un coup fatal aux pires formes de travaildes enfants?, par Samuel Grumiau 50

Le défi de l’avenir

La clause sociale: un débat inachevé, par Jean-Louis Validire 55

Amener la mondialisation à travailler en faveur des gens,par James Howard 59

Promouvoir les normes fondamentales du travail: une priorité pour le BIT,par Kari Tapiola 66

Annexe 1: Déclaration de l’OIT relative aux principeset aux droits fondamentaux au travail 71Annexe 2: Suivi de la Déclaration 73

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Sommaire

Trois ans après l’adoption de la Déclaration de l’OIT relative aux prin-cipes et droits fondamentaux au travail et de son suivi lors de la 86e

session de la Conférence internationale du Travail, il nous est apparu utilede tenter de dresser un premier bilan de l’état de la situation en ce quiconcerne les normes fondamentales du travail. Il ne s’agit pas, bien sûr,d’un bilan définitif. Mais l’analyse des tendances, des succès et des diffi-cultés devra, à ce stade, nous permettre de mesurer le travail qui reste àaccomplir. Tel est l’objectif de ce numéro d’Education ouvrière pour lequelnous avons fait appel aux spécialistes des départements concernés du Bu-reau international du Travail, y compris nos collègues du Bureau des ac-tivités pour les travailleurs.

Il ne fait aucun doute que l’adoption de la Déclaration et de son suivia posé un nouveau et important jalon dans l’action du BIT pour promou-voir la réalisation, partout dans le monde, des normes fondamentales dutravail. Elle agit, en effet, à un double niveau, comme l’ont fait remarquerles auteurs participant à cette édition d’Education ouvrière. Tout d’abord,elle reconnaît que tous les Etats Membres ont l’obligation de respecter «debonne foi et conformément à la Constitution de l’OIT» les principes rela-tifs aux droits fondamentaux au travail. Cela s’applique à la liberté syn-dicale et au droit de négociation collective, à l’interdiction du travail forcéet du travail des enfants, à l’égalité de rémunération entre hommes etfemmes et à l’interdiction de la discrimination dans l’emploi.

Ensuite, les mécanismes de suivi de la Déclaration prévoient la pro-duction de rapports sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre desprincipes consacrés par les conventions correspondantes de l’OIT par lesEtats Membres qui ne les ont pas ratifiées. Il est donc important que lesorganisations syndicales jouent un rôle actif dans ce suivi afin de veillerà ce que leurs commentaires et opinions soient pris en compte lors del’examen de la situation dans leurs pays respectifs. A cet égard, il est bonde rappeler que le Bureau des activités pour les travailleurs a produit unguide spécial d’éducation ouvrière afin d’aider les syndicats à utiliser demanière optimale la Déclaration et son suivi1.

Sur un plan positif, la promotion de la Déclaration a déjà permis uneaugmentation notable du nombre de ratifications des conventions fonda-mentales. Sur 176 Etats Membres, 175 ont déjà ratifié au moins un des ins-truments repris dans la Déclaration et, grâce aux efforts déployés depuisson adoption en 1998, le nombre de pays les ayant ratifiés tous est passéà 47. Cela signifie que, au-delà de s’engager à en respecter les principes,ces Etats acceptent de se soumettre à l’examen des organes de contrôle del’OIT quant à l’application effective de ces conventions. Le rôle des mé-canismes de contrôle de l’OIT demeure donc primordial dans l’activiténormative de l’Organisation. De plus, les deux premiers rapports glo-baux publiés dans le cadre du suivi de la Déclaration ont débouché sur

V

Editorial

le lancement d’importants programmes d’action pour encourager et as-sister les pays Membres à honorer leurs obligations.

A la lecture de cette édition d’Education ouvrière, force est cependantde constater qu’un long chemin reste à parcourir. Personne ne pensaitbien sûr que les violations des droits fondamentaux des travailleurs ettravailleuses disparaîtraient d’un seul trait de plume. Mais le nombregrandissant de violations est, et doit être, une source de profonde préoc-cupation. Et cela non seulement pour le groupe des travailleurs de l’OITmais pour l’ensemble de ses mandants. Les attaques contre les organisa-tions syndicales ou les syndicalistes, la persistance de niveaux intolérablesde travail des enfants, de travail forcé et de discrimination dans l’emploireprésentent une menace pour la stabilité économique et sociale et pourla paix. Elles dressent des obstacles majeurs à la réalisation de progrèsdans tous les domaines liés au travail.

Tout en utilisant pleinement les possibilités qu’offrent la Déclarationet son suivi, les organisations syndicales ont également choisi d’explorerd’autres voies pour promouvoir les droits fondamentaux au travail. Le 9novembre 2001, les syndicats participeront à «une journée d’action mon-diale» à l’appel de la Confédération internationale des syndicats libres.Cette journée d’action aura lieu pendant la Conférence ministérielle del’Organisation mondiale du commerce à Doha (Qatar) et aura pour thème«Une mondialisation au service des gens». Le congrès de la Confédéra-tion mondiale du travail, qui s’est tenu fin octobre 2001, devait examiner,quant à lui, des propositions en vue d’assurer une meilleure gouvernancemondiale de l’économie globalisée.

Le respect des principes et droits fondamentaux au travail présente eneffet un défi pour la communauté internationale. Il consiste à doter le pro-cessus de mondialisation d’un visage humain permettant aux tra-vailleuses et travailleurs des pays en développement, en transition ou in-dustrialisés d’en bénéficier pleinement et équitablement.

L’OIT est bien placée pour contribuer à relever ce défi. Elle parle aunom des gouvernements mais aussi des organisations d’employeurs etdes organisations de travailleurs du monde entier. C’est-à-dire des ac-teurs clés dans les domaines politique, économique et social. Il n’est doncpas surprenant de constater qu’elle est, en ce moment, l’unique forum in-ternational où est débattue la question des dimensions sociales de la mon-dialisation. Au mois de novembre, le Conseil d’administration examinerad’ailleurs une proposition du Directeur général visant à mettre sur piedune Commission mondiale composée de personnalités éminentes et char-gée de produire un rapport sur le sujet.

Avec les mécanismes de contrôle existants, la Déclaration et son suiviont sans aucun doute permis d’accroître la visibilité de l’OIT dans les dé-bats actuels sur la mondialisation. En utilisant pleinement ces instruments,

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en particulier au moyen du système des rapports, les organisations syn-dicales contribueront à réaffirmer le rôle moteur de l’OIT et son autoritéalors qu’elle cherche à encourager d’autres organisations internationalesà soutenir ses efforts dans la promotion des principes et droits fonda-mentaux au travail.

La Déclaration de l’OIT et ses mécanismes de contrôle ne prétendentpas se substituer à l’action des organisations syndicales. Ce sont néan-moins de puissants instruments dans la poursuite de l’objectif communde promouvoir le développement et la justice sociale fondés sur le respectde normes sociales universelles.

Manuel Simón VelascoDirecteur

Bureau des activités pour les travailleurs (BIT)

Note

1 BIT: La Déclaration de principes de l’OIT: un nouvel instrument pour promouvoir les droitsfondamentaux, guide d’éducation ouvrière préparé par Monique Cloutier, Bureau des acti-vités pour les travailleurs, Genève, 2000 (ce document est disponible en anglais, arabe, fran-çais, espagnol, portugais et russe).

VII

Lorsque l’Organisation internationale duTravail adopta, en 1998, sa Déclaration

relative aux principes et droits fondamen-taux au travail et son suivi, le groupe destravailleurs et, en fait, la plupart des délé-gués gouvernementaux, employeurs et tra-vailleurs qui participaient à cette 86e ses-sion de la Conférence internationale duTravail ont considéré que cette décisionétait, à plus d’un égard, «historique». Ilsavaient totalement raison. Comme l’a dé-claré à l’époque le Secrétaire général de laConfédération internationale des syndicatslibres (CISL), M. Bill Jordan, la Déclarationet son suivi devraient contribuer à donnerplus de mordant à l’OIT dans ses efforts vi-sant à doter le processus de mondialisationd’un visage humain et d’une dimension so-ciale qui font cruellement défaut.

La Déclaration indique clairement quetous les Etats Membres de l’OIT ont l’obli-gation, du seul fait de leur appartenance àl’Organisation, de «respecter, promouvoiret réaliser» les principes concernant lesdroits fondamentaux au travail à savoir: laliberté syndicale et la reconnaissance ef-fective du droit de négociation collective,l’élimination de toute forme de travailforcé ou obligatoire, l’abolition effectivedu travail des enfants et l’élimination dela discrimination en matière d’emploi etde profession. Et ce, qu’ils aient ou non ra-tifié les conventions pertinentes.

La Déclaration reconnaît égalementl’obligation qui incombe à l’OIT d’aiderses Membres de façon à atteindre ces ob-jectifs, entre autres, en encourageantd’autres organisations internationales àsoutenir ses efforts.

Au moment de l’adoption de ce texte,j’ai déclaré, parlant au nom du groupe destravailleurs, que «l’histoire dira si noussommes capables d’utiliser la Déclarationet son suivi à bon escient, ce qui supposeune volonté politique dont tous n’ont pasfait preuve au cours du débat». Ce n’est unsecret pour personne que pour certainsl’adoption de la Déclaration était perçuecomme un moyen de confiner le débat surles normes fondamentales du travail àl’OIT au moment où la pression était forte(elle l’est d’ailleurs toujours) pour pro-mouvoir le respect des droits sociaux dansd’autres forums internationaux, en parti-culier dans les institutions financières etcommerciales internationales. D’autrespourraient avoir conclu (hâtivement) quela Déclaration établirait en quelque sorteune dispense de ratification des conven-tions, un moyen d’affaiblir le rôle essentieldes mécanismes de contrôle de l’OIT ou en-core de limiter les possibilités pour l’Orga-nisation d’adopter de nouvelles normes.

Soyons clairs. La Déclaration et sonsuivi doivent être considérés comme unoutil puissant, certes, mais complémentaire,

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La Déclaration de l’OIT et les mécanismes de contrôle

Normes fondamentales:un seuil minimal pour tous les pays

Les procédures de suivi de la Déclaration de l’OIT relative aux prin-cipes et droits fondamentaux au travail et les organes de contrôle del’Organisation doivent travailler en tandem pour réaliser les objectifsque l’OIT s’est fixés dans sa Constitution.

William BrettPrésident du groupe des travailleurs

Vice-président du Conseil d’administration du BIT

pour réaliser le respect des principes etdroits fondamentaux au travail dans tousles pays, et donc pour améliorer les condi-tions de vie et de travail des travailleurs ettravailleuses et de leurs familles partoutdans le monde.

La résistance initiale à l’adoption de laDéclaration était aussi basée sur la crainte,réelle mais sans fondement, de voir deséléments de cet instrument utilisés à desfins protectionnistes. Alors que le groupedes travailleurs s’est opposé à toute for-mulation visant à exclure les questionscommerciales du mandat de l’OIT, la Dé-claration stipule que celle-ci ne pourraservir à des fins commerciales protection-nistes. Cela devra, espérons-le, rassurerceux et celles qui ont exprimé cette préoc-cupation.

Cela dit, demander à être membre d’unsyndicat, et, pour un syndicat, négocier aunom des travailleurs et travailleuses, n’estpas synonyme de protectionnisme; vou-loir mettre un terme au travail des enfantsn’est pas synonyme de protectionnisme;vouloir supprimer la discrimination surles lieux de travail n’est pas synonyme deprotectionnisme; appeler à l’abolition dutravail forcé ou obligatoire n’est pas syno-nyme de protectionnisme. En revanche,priver les travailleurs de ces droits au nomde l’avantage comparatif, cela oui, c’est duprotectionnisme. En fait, la Déclaration re-présente une arme contre le protection-nisme car elle vise ceux ou celles qui cher-cheraient à tirer un avantage commercialde la violation des droits fondamentauxdes travailleurs. Malheureusement, ilsrestent encore fort nombreux.

Les différentes contributions à ce nu-méro d’Education ouvrière confirment l’ac-croissement du nombre de violations desdroits syndicaux fondamentaux. Un rap-port publié tout récemment par la CISLmontre que le nombre de syndicalistes as-sassinés dans le cadre de leurs activités aencore augmenté en 2000 par rapport àl’année précédente. Le travail des enfantsaffecte encore plus de 200 millions de filleset de garçons privés d’enfance et d’éduca-tion. Les zones franches d’exportation pro-lifèrent un peu partout dans le monde,

multipliant le nombre de travailleurs, sou-vent de jeunes travailleuses, confinés dansdes espaces de non-droit en matière de tra-vail. La discrimination dans l’emploi esttoujours généralisée, et la privatisation desprisons a pour effet d’augmenter lenombre de personnes victimes du travailforcé ou obligatoire. Les deux premiersrapports globaux publiés en 2000 et 2001en vertu du suivi de la Déclaration, por-tant respectivement sur la liberté syndicaleet le travail forcé, montrent, eux aussi,qu’un long chemin reste à parcourir pourobtenir la jouissance de ces droits partoutdans le monde.

En adoptant la Déclaration en 1998, legroupe des travailleurs de l’OIT et la plu-part des délégués ont reconnu que les vio-lations ne disparaîtraient pas d’un trait deplume, même apposé au bas d’un docu-ment si important. Le mérite de la Décla-ration est, à tout le moins, qu’elle devraagir comme un puissant projecteur quinous permettra d’illuminer des zones res-tées, jusqu’ici, obscures. Et cette illumina-tion devra permettre d’orienter l’assis-tance technique là où elle s’avère le plusnécessaire pour améliorer les choses.

Il y a cependant trois éléments impor-tants à garder à l’esprit lorsque l’on évaluela portée de la Déclaration. Tout d’abord,les objectifs de ce document ne doivent pasêtre perçus comme limitant la capacité depersuasion morale de l’OIT à ses seulsMembres. En votant en faveur de la Décla-ration, le groupe des travailleurs a vouluaccroître l’autorité de la seule organisationdu système des Nations Unies dans la-quelle le monde du travail a un apport di-rect. Cela veut dire que toute action visantà promouvoir une approche cohérente etconcertée de la communauté internatio-nale face à la mondialisation implique queles normes internationales du travail soientinscrites à l’ordre du jour de toutes les ins-titutions dont les politiques et les actionsaffectent les travailleurs et leurs conditionsde travail. En d’autres termes, les gouver-nements ne devraient pas pouvoir adopterun discours à l’OIT et tenir un langage dif-férent dans d’autres institutions commel’Organisation mondiale du commerce

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(OMC), la Banque mondiale ou le Fondsmonétaire international. En ce moment, etc’est tout à l’honneur de l’OIT, notre Orga-nisation est le seul lieu où, sur le plan mon-dial, les questions concernant les dimen-sions sociales de la mondialisation sontdébattues. La récente initiative du Direc-teur général de mettre sur pied une Com-mission mondiale composée de personna-lités éminentes en vue de la préparationd’un rapport spécial sur ce sujet et la pro-position d’utiliser l’actuel Groupe de tra-vail sur les dimensions sociales de la mon-dialisation comme un forum permanentd’échange de points de vue et de dialoguedevraient permettre d’asseoir l’autorité del’OIT et son rôle moteur sur les questionssociales au sein du système des NationsUnies et au-delà. Comme l’a déclaré, lorsde la Conférence de 1998, mon collègueMarc Blondel, délégué des travailleurspour la France, «je me permets de rêver auxjours où, lors des délibérations et des dé-clarations de l’OMC, nous trouverons unenote de fin de page où on indiquera quelesdites délibérations et déclarations nepeuvent avoir d’effets sur les normes in-ternationales du travail». La mondialisa-tion impose une réponse concertée qui in-tègre les préoccupations du monde dutravail pour le respect des droits fonda-mentaux des travailleurs.

Une autre condition essentielle au suc-cès de la Déclaration et de son suivi résidedans le renforcement des mécanismes decontrôle de l’application des normes in-ternationales du travail. A côté de la Dé-claration, les organes de contrôle, la Com-mission de la Conférence sur l’applicationdes conventions et recommandations et leComité de la liberté syndicale, qui célèbrecette année son cinquantième anniver-saire, ont toujours joué un rôle vital pourpromouvoir le respect des droits au tra-vail dans le monde. Leur contribution aurétablissement de la démocratie dans despays comme l’Afrique du Sud, le Chili,l’Espagne, l’Indonésie, le Nigéria, la Po-logne ou le Portugal ne forme que la par-tie la plus visible d’un palmarès extraor-dinaire de réalisations dans la poursuitedes objectifs de l’OIT. S’ils n’existaient

pas, il faudrait les inventer. Aujourd’hui,ces organes ont besoin d’appui et de ren-forcement face aux effets collatéraux dé-sastreux de la mondialisation sur la viedes travailleurs et travailleuses. La Décla-ration est donc un outil supplémentaire.Elle ne peut pas se substituer à ces or-ganes. Les procédures de suivi de la Dé-claration et les organes de contrôle doi-vent donc travailler en tandem pourréaliser les objectifs que l’OIT s’est fixésdans sa Constitution.

Troisièmement, la notion même dedroits fondamentaux n’implique pas queles autres normes internationales du tra-vail soient reléguées au second plan. Cesdroits sont considérés comme fondamen-taux dans le sens où sans eux aucun pro-grès ne peut être réalisé dans le respect desautres normes internationales du travail.Quelles seraient les chances de voir appli-quer les normes sur la protection sociale,la protection de la maternité, sur les tra-vailleurs migrants, sur la santé et la sécu-rité au travail ou sur la prévention des ac-cidents industriels si au préalable lestravailleurs n’avaient pas le droit de for-mer des syndicats et de négocier? Quellesseraient les chances de voir s’améliorer lesconditions de travail des femmes si la dis-crimination dans l’emploi restait tolérée?Quelles seraient les chances de promou-voir réellement l’emploi si l’on permet autravail des enfants de se perpétuer?

Les droits fondamentaux des tra-vailleurs sont l’élément vital et la raisond’être de notre Organisation et le groupedes travailleurs s’opposera à toute tenta-tive d’affaiblir ou de diluer la portée dusystème de contrôle de l’OIT.

Les principes et droits fondamentauxau travail représentent à la fois une fin etun moyen. Une fin, car il s’agit de droitsde l’homme au travail et qu’à ce titre ilsdoivent être partout respectés. Un moyen,parce que la jouissance de ces droits est lechemin le plus sûr pour réaliser des pro-grès pour tous et pour toutes dans tous lesdomaines afférents au travail.

Au seuil de ce troisième millénaire, lamondialisation croissante de l’économierend encore plus urgente la mission de

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l’OIT, qui est d’établir et de promouvoir àl’échelle mondiale une réglementation so-ciale minimale sans laquelle il ne peut exis-ter de développement durable, de stabilitééconomique et sociale, de paix ni de jus-tice sociale.

Intégrer les normes du travail dansl’agenda de la mondialisation ne doit pas

être perçu comme un problème. Il s’agit enfait d’une composante essentielle de toutesolution. Plus vite cette vision sera com-prise par les tenants du capitalisme libé-ral, mieux ce sera. Les événements deSeattle, de Genève, de Prague et, plus ré-cemment, de Gênes leur ont d’ailleursadressé des signaux on ne peut plus clairs.

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Le droit est un tout. Et il doit être perti-nent et cohérent. Les normes juri-

diques sont destinées à apporter des solu-tions concrètes et adaptées aux problèmesquotidiens auxquels sont confrontés les ci-toyennes et les citoyens. Le droit interna-tional du travail doit ainsi contribuer à uneprotection efficace des travailleurs et deleurs organisations. Il doit garantir un tra-vail décent, ce dans les contextes écono-miques comme sociaux les plus divers.Telle est bien la conscience sociale qu’ex-prime la voix de l’Organisation internatio-nale du Travail, hier comme aujourd’hui,aux temps de la guerre froide comme dela mondialisation. Et les normes interna-tionales du travail sont une traduction deces exigences. Elles en sont l’instrumentsinon privilégié, du moins indispensable.Toute norme juridique puise sa force dansson enracinement en de véritables convic-tions et croyances communes. Pour l’OIT,elles ne peuvent être qu’universelles.

Disons-le dès l’abord, de ces principes,comme des normes internationales, nousavons tout lieu d’être fiers. Nous n’avonsaucune raison de douter de leur perti-nence. L’œuvre entreprise dès la fin de lapremière guerre mondiale, sans cessepoursuivie et renforcée depuis la fin de laseconde guerre mondiale, est toujours àapprofondir, à renouveler, à faire connaîtreet partager. De même faut-il avec ardeur

œuvrer pour une concrète et permanentearticulation entre toutes les normes. De lacomplémentarité des normes et des méca-nismes développés pour en favoriser l’ap-plication naît cette toute particulière dy-namique du droit international du travail.Même si des critiques peuvent tout natu-rellement être adressées à ce dernier, et desprogrès être réalisés singulièrement dansles années qui viennent, cette dynamiqueunique dans le système normatif interna-tional finit par triompher de tous les scep-ticismes. Mais, pour ce faciliter, il faut s’at-tacher à l’essentiel, œuvrer pour unecréativité, faire preuve d’une incessantedétermination et pédagogie dans l’ordreinternational comme national.

La période présente est de ce point devue riche d’enseignements. Elle nous per-met en effet de mesurer combien les prin-cipes fondamentaux n’ont jamais perduleur pertinence. Il est heureux que cettepertinence ait été encore récemment souli-gnée par les mandants. De même faut-ilrelever combien de tels principes sontétroitement liés à d’autres normes, plus li-mitées, plus techniques, mais tout aussiessentielles. Il ne faut pas s’en étonner, caril n’est de corps juridique qui n’ait uncœur, des membres, des vaisseaux, des cel-lules. Et, par-delà le corps, c’est sans douteaussi d’une âme qu’il faut parler, d’unesprit, d’un souffle du droit international

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Pertinence des droits et principes fondamentauxet dynamique des normes internationales

du travailL’action normative, au plan national comme international, doit êtrecohérente et ardente, diversifiée et adaptée. Elle est aussi un perpé-tuel recommencement, un déterminant combat pour les libertés dontle plein exercice conditionne l’Etat de droit.

Jean-Claude JavillierDirecteur du Département des normes

internationales du travailBureau international du Travail

du travail. Toute éducation, et bien évi-demment ouvrière, tend non seulement àanalyser les instruments, les techniques,mais aussi, et peut-être avant tout, à resti-tuer ces essentielles aspirations du tra-vailleur et, plus généralement, de tout êtrehumain, que traduisent les normes inter-nationales du travail.

Nous sommes ainsi, toutes et tous, mo-bilisés pour que soient connus, appréciés,mis en œuvre, ces principes et ces normes.Et, pour contribuer à une telle réussite, pro-fitable à toutes et tous, et non seulementaux travailleurs et travailleuses, mais aussiaux employeurs et aux gouvernements, ilnous faut sans cesse convaincre de la per-tinence de ces principes fondamentaux etde la complémentarité des normes inter-nationales du travail. Nous y sommes né-cessairement incités par ces grands boule-versements singulièrement économiques,comme technologiques, que connaît lemonde à l’aube d’un nouveau millénaire.

Car ces changements sont autant dedéfis que d’opportunités. Il s’agit d’unesorte de retour aux sources historiques desnormes internationales du travail. De cepoint de vue la relecture des ouvrages dusiècle précédent, en droit du travailcomme de la sécurité sociale, nous permetde prendre la mesure de la permanence decertains débats et aussi de la nécessaireadaptation des normes aux situations po-litiques et économiques et bien sûr so-ciales. L’action normative, au plan natio-nal comme international, doit êtrecohérente et ardente, diversifiée et adap-tée. Elle est aussi un perpétuel recommen-cement, un déterminant combat pour leslibertés dont le plein exercice conditionnel’Etat de droit.

Ne cédons jamais à la tentation de dé-couragement, sous la pression notammentde quelques propos désabusés, singulière-ment à propos du droit international dutravail, d’où qu’ils viennent. Ne convient-il pas, tout au contraire, de constater unenette progression de l’Etat de droit au planmondial, un frappant appel au domainejuridique pour des questions qui, jusqu’ily a peu, relevaient de l’arbitraire et de laviolence. Le siècle précédent – accompa-

gné de tant violences et de crimes contrel’humanité – a heureusement pris fin avecun certain renouveau du droit internatio-nal, singulièrement pénal.

Pertinence et complémentarité

La ratification universelle des conventionsfondamentales n’est pas atteinte. Certes,notamment depuis la campagne de ratifi-cation lancée par le Directeur général en1995, des progrès ont été incontestable-ment réalisés. Pour aller plus avant, d’unpas politique décidé, les mandants ont susaisir une opportunité en 1998. Celle deproclamer, sans ambiguïté aucune, l’ac-tualité comme la pertinence universelledes principes et droits fondamentaux autravail. La conjoncture économique commesociale et internationale demande en effetque soient, de nouveau et avec force, pro-mus et respectés de bonne foi par tous lesEtats Membres de l’Organisation les prin-cipes que mettent en œuvre les conven-tions fondamentales. Sont expressémentvisés la liberté syndicale, l’interdiction dutravail forcé, la protection contre la discri-mination, enfin, le travail des enfants.

Aux droits et principes fondamentaux,le juriste doit toujours donner un contenu.Car ce ne sont pas seulement des étoilesdans les cieux normatifs. Ce sont des droitset obligations que l’on entend mettre enœuvre, qui sont à trouver dans les normesinternationales du travail, et singulière-ment les conventions et recommanda-tions. En 1998, ce sont ainsi huit normesfondamentales portant sur quatre thèmes,dont la pertinence comme l’actualité nesont plus à démontrer, qui ont été placéesau centre du droit international du travail.Nul ne s’étonnera d’y trouver la libertésyndicale (conventions nos 87 et 98), le tra-vail forcé (conventions nos 29 et 105), la dis-crimination (conventions nos 100 et 111), etencore le travail des enfants (conventionsnos 138 et 182). Il s’agit, encore et toujours,de promouvoir la liberté (syndicale), delutter contre les discriminations (de toutessortes), d’éradiquer le travail forcé commele travail des enfants.

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Mais, ainsi que le souligne fort utile-ment William Brett, président du groupedes travailleurs, dans le présent ouvrage(voir page 3), la complémentarité des ins-truments, et plus généralement de toutesles normes, doit être soulignée. Le proposd’une Déclaration adoptée en 1998 n’a paspu être, et ne saurait jamais être dans l’ave-nir, de fragiliser les autres normes, pas plusque le système de contrôle de l’applicationde l’ensemble des normes bien évidem-ment. Elle est tout au contraire un instru-ment précieux sur le chemin de la ratifica-tion des normes internationales du travailci-dessus mentionnées. On devine toute lasynergie qui ne manque pas d’en résulterdans la pratique, et dont le départementdes normes peut témoigner, qu’il s’agissepar exemple de la mise en œuvre de la li-berté syndicale ou encore de la lutte contrele travail forcé.

En outre, on se gardera toujours deconsidérer que seules doivent retenir dé-sormais l’attention les conventions quitraitent de ces droits et principes fonda-mentaux, car le juriste du travail, commele sociologue des relations profession-nelles, sait d’expérience le fort lien quiexiste entre toutes les normes y relatives.

Chaque norme, la plus petite ou encorela plus technique soit-elle, a de l’impor-tance. L’entier édifice juridique repose nonseulement sur ces piliers que sont les droitset principes fondamentaux, mais sur unsocle essentiel. Point de travail décent,dont Juan Somavia, Directeur général duBureau international du Travail, s’est faitl’avocat si ardent et convaincant, sans quesoient prises en compte ces normes dansles domaines les plus divers1. Qu’il suffisede citer ces normes relatives à l’hygiène età la sécurité, au salaire, à l’inspection dutravail, ou encore à la sécurité sociale. Quepourraient bien signifier pour les tra-vailleurs des droits et principes générauxqui ne se traduiraient pas par des protec-tions minima en matière de conditionsd’emploi et de travail?

Particularisme et dynamique

Qu’il s’agisse de la Déclaration de 1998 oudes conventions internationales du travail,un particularisme et une dynamique com-muns ne peuvent manquer de frapper.Elles sont toutes façonnées et nourries detripartisme. Il n’est de norme non plus qued’institution du droit international du tra-vail qui ne puissent être comprises sans cedernier. Dans sa genèse comme dans sonfonctionnement, chacun – employeur, tra-vailleur comme gouvernement – ne peutœuvrer seul. Trois clés sont indispensablespour ouvrir toute porte normative. Un telparticularisme doit être sans cesse souli-gné. Car, s’il ne fonctionne pas de façon sa-tisfaisante, c’est l’ensemble qui se trouvebel et bien menacé. Et, s’il existe bien unedynamique du tripartisme, c’est alors unformidable élan normatif d’ensemble quise produit.

Ainsi en est-il tout particulièrement desmécanismes de contrôle de l’applicationdes droits et principes fondamentauxcomme des normes internationales du tra-vail. De façon constante, une interventiondes travailleurs est toujours indispen-sable. Chaque année, dans la partie géné-rale de son rapport, la Commission d’ex-perts relève les commentaires faits par lesorganisations syndicales concernées, maisune plus grande participation ne pourraitêtre que bénéfique pour le système decontrôle.

De la participation effective de ces or-ganisations syndicales dépend l’efficacitémême de la procédure de contrôle, et plusgénéralement la pleine application desnormes internationales du travail. Les in-formations, les commentaires faits par lestravailleurs à l’occasion des rapports, qu’ils’agisse du suivi de la Déclaration ou ducontrôle de l’application des conventionsinternationales du travail, sont détermi-nants. Par une telle participation directesont grandement diminués les risquesd’un traitement par trop bureaucratique etgrandement inefficace des rapports.

Mais l’intervention des travailleurs nesaurait être envisagée dans le seul cadredes procédures de suivi et de contrôle. Le

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tripartisme, au niveau national commeinternational, doit contribuer efficacementà la solution des questions, et singulière-ment celles relatives à l’application dansl’ordre interne des droits et principes fon-damentaux comme des conventions rati-fiées par les Etats. C’est bien par un tel dia-logue social, parfois même institutionna-lisé, que des progrès normatifs sensiblesont pu être faits. Nul doute qu’il existe uneétroite dépendance entre effectivité et effi-cacité du droit international du travail etsystème national de relations profession-nelles. Dit autrement, tout progrès dansle développement du dialogue social a uneforce d’entraînement sur l’application desdroits et principes fondamentaux, commedes normes internationales du travail. Defaçon permanente, et aussi très pratique, ilpeut être constaté combien l’action duBureau international du Travail dépend,dans sa pertinence comme dans son inten-sité, de la pleine reconnaissance et mise enœuvre des techniques du dialogue socialtripartite.

L’avenir dira en outre si le tripartismepeut jouer un rôle plus déterminant encoredans le contrôle de l’application desnormes, par la mise en œuvre de quelquesprocédures innovantes et aussi sérieuse-ment encadrées.

Et, puisqu’il n’est de vie sans projectiondans l’avenir, qu’il soit permis d’attirer l’at-tention de chacune et chacun sur l’impor-tance d’une reconsidération de la «part» dudroit pour une meilleure protection des tra-vailleurs, et de son «lien» avec la nécessairepromotion des entreprises et des emploissans lesquels le droit du travail comme dela sécurité sociale peut bien rester lettregrandement morte. Il est dès à présentparlé, dans les documents adoptés par leConseil d’administration, de «politique in-tégrée». Voici qui concerne bien évidem-ment les juristes, au plan internationalcomme national. Le propos est de bon sens,puisqu’il s’agit de contribuer par des tech-niques diverses, et pas seulement norma-tives, à une meilleure et plus complète ap-plication des normes internationales dutravail. Voici le Bureau international du

Travail convié à envisager ces dernièresd’un point de vue plus global et critique.Critique voulant bien sûr dire soucieux deleur compréhension et mise en œuvre enprenant en compte la complexité des si-tuations singulièrement techniques. L’hy-giène et la sécurité sera la première expé-rience d’une telle mise en perspective desnormes internationales du travail.

De tout ce qui vient d’être dit sur lesdroits et principes fondamentaux, commesur les normes internationales du travail,on retiendra que pertinence rime avec dy-namique. On retiendra que, à l’aube d’unnouveau millénaire, nous sommes touteset tous conviés à impulser un nouveau etprofond mouvement normatif.

Ainsi que le souligne avec tant de forceJuan Somavia dans ses rapports et inter-ventions, l’objectif est clair: «Reinvigora-ting the ILO’s contribution» (Revigorer l’ac-tion de l’OIT)2. La Déclaration de 1998 estaussi une étape d’importance. Elle ne sau-rait constituer la remise en cause d’un sys-tème normatif auquel les mandants se mon-trent si attachés. Il s’agit d’une étape dansla dynamique du droit international du tra-vail. Promotion des droits et principes fon-damentaux va de pair avec application desnormes internationales du travail.

La permanente articulation entre lesnormes internationales du travail de-meure une œuvre permanente à laquelletravailleurs comme employeurs et gou-vernements doivent participer avec ar-deur et constance. Il nous faut en effet toutfaire pour promouvoir les opportunitéspour un travail décent, en faveur de touteset tous. Le droit international du travail ytrouve toute sa grandeur.

Notes

1 Avec cette toute simple définition: «Decentwork means work which is carried out in conditionsof freedom, equity, security and human dignity» (Letravail décent signifie un travail effectué dans desconditions de liberté, d’équité, de sécurité et de di-gnité humaine), dans BIT: Perspective on Decent Work:Statements by the ILO Director-General, Genève, 2000.

2 BIT: Perspective on Decent Work: Statements bythe ILO Director-Général, Genève, 2000.

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Depuis toujours, les droits fondamen-taux ont occupé une place prépondé-

rante dans les actions qui visent à amélio-rer le sort des travailleurs et des travail-leuses. Ces droits se retrouvent dans lesconventions qui concernent la liberté syn-dicale, l’interdiction du travail forcé, laprotection contre la discrimination et letravail des enfants1.

Lorsque, en 1994, l’Organisation inter-nationale du Travail (OIT) fêta son 75e an-niversaire, le Directeur général saisit l’oc-casion pour dresser, dans son rapportsoumis à la Conférence internationale duTravail, un bilan concernant les droits fon-damentaux des travailleurs et des tra-vailleuses. Dresser un bilan, c’était aussi, àla lumière des résultats, proposer des choixpour le futur en gardant le cap sur l’idéal àatteindre: une meilleure justice sociale.

De profonds bouleversements secou-aient à l’époque le monde du travail. L’ac-célération de la mondialisation de l’éco-nomie et les changements technologiquesexigeaient une nouvelle approche dans lamanière d’appréhender la défense et lerespect des droits fondamentaux des tra-vailleurs et travailleuses. Il fallait trouverles moyens de renforcer ces droits alorsque libéralisation économique et concur-rence accrue sur les marchés internatio-naux conduisaient certains à vouloir les re-voir à la baisse. Cette nouvelle approchedans la promotion des droits fondamen-

taux au travail s’est traduite dans un pre-mier temps par le lancement d’une vastecampagne de ratification des conventionsfondamentales, qui étaient au nombre de7 à ce moment-là puisque la convention(no 182) sur les pires formes de travail desenfants n’a été adoptée qu’en 1999.

Lancée en 1995 par le Directeur général,cette campagne en faveur de la ratificationuniverselle des conventions fondamen-tales en matière de droits des travailleurset des travailleuses a donné des résultatstrès encourageants. Mais force était deconstater que l’on était en droit d’attendrebien davantage de la part des EtatsMembres. Ainsi, bien que ratifiée par 137Etats Membres, la convention (no 87) sur laliberté syndicale et la protection du droitsyndical, sans aucun doute la plus fonda-mentale entre toutes, ne couvrait pas (et necouvre toujours pas) la moitié des tra-vailleurs et travailleuses de la planète, despays parmi les plus peuplés ne l’ayant pasratifiée. Par ailleurs, les droits et principescontenus dans les autres conventions fon-damentales continuaient d’être bafouésdans de trop nombreux pays, qu’ils aientou non ratifié ces instruments.

Certes, pour les Etats Membres quiavaient ratifié ces conventions fondamen-tales, l’Organisation pouvait intervenirpar son système de contrôle et tenter defaire respecter les droits qui y sont stipu-lés, ce qu’elle n’a d’ailleurs pas manqué de

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Droits fondamentaux au travail:un rôle accru pour les syndicats

La nouvelle donne de la mondialisation et de l’essor des technolo-gies de la communication a conduit l’OIT à se doter de nouveaux ins-truments pour promouvoir le respect des droits fondamentaux autravail. Les syndicats ont contribué à cette évolution. Ils doivent au-jourd’hui s’impliquer davantage dans l’utilisation des mécanismesde suivi qu’offre l’Organisation.

Monique CloutierBureau des activités pour les travailleurs

Bureau international du Travail

faire. Mais, en ne ratifiant pas les normes,les autres pays restaient en quelque sortehors de portée des mécanismes de sur-veillance mis en place par l’OIT. A moinsbien sûr qu’il ne s’agisse de violations desconventions nos 87 et 98 pour lesquelles,même en cas de non-ratification, les orga-nisations de travailleurs sont en droit dedéposer des plaintes devant le Comité dela liberté syndicale (voir l’article de Ber-nard Gernigon en page 19). Mais qu’enétait-il des droits contenus dans les autresconventions fondamentales? Aucune pos-sibilité n’était offerte aux organisationssyndicales pour forcer leurs gouverne-ments à améliorer la situation.

Mondialisation et augmentation desviolations aidant, ces préoccupationsétaient de plus en plus au cœur des débatsdu groupe des travailleurs de l’OIT. A telpoint que, pour donner davantage depoids aux conventions fondamentales del’OIT, les organisations syndicales ont pro-posé à l’Organisation mondiale du com-merce (OMC) l’inclusion d’une «clause so-ciale» dans les accords commerciaux.Cette clause aurait eu pour effet de condi-tionner l’octroi des privilèges accordés parles accords de commerce au respect desnormes fondamentales (voir les articles deJames Howard, page 59, et Jean-Louis Va-lidire, page 55). Ainsi, pour bénéficierd’accès aux marchés internationaux, lespays devraient montrer patte blanche enmatière de respect des droits sociaux fon-damentaux.

Les discussions sur ce sujet n’ayant pasabouti à une conclusion satisfaisante,l’OMC ayant en quelque sorte renvoyé laballe à l’OIT, les trois mandants de l’Orga-nisation (gouvernements, employeurs ettravailleurs) ont entamé une discussionsur l’adoption possible d’une Déclarationrelative aux principes et droits fondamen-taux au travail.

En 1998, alors que se poursuit la cam-pagne syndicale auprès de l’OMC, la Dé-claration est adoptée par la Conférence in-ternationale du Travail. Elle se donne pourobjectif de rappeler aux Etats Membres«que du seul fait de leur appartenance àl’Organisation, ils ont l’obligation de res-

pecter, promouvoir et réaliser, de bonne foiet conformément à la Constitution, lesprincipes qui sont l’objet des conventionsfondamentales». Associé à la Déclaration,un système de rapports devra désormaispermettre à l’OIT de disposer d’un état deslieux concret de la situation en matière desnormes fondamentales et d’épingler d’unecertaine manière les pays en contraventionaux conventions même dans les cas où ilsne les ont pas ratifiées.

Conventions ratifiées, campagnes pourde nouvelles ratifications et adoption de laDéclaration donnent dès lors à l’OIT etbien sûr aux organisations de travailleurset d’employeurs un ensemble de moyenspour promouvoir les droits fondamen-taux. Encore faut-il qu’ils soient pleine-ment utilisés. Les organisations syndicalesne doivent pas attendre passivement queleurs gouvernements agissent. Une desmeilleures façons d’œuvrer à l’améliora-tion de la situation est une participationactive au dialogue social au niveau natio-nal. Ce n’est peut-être pas dans les ins-tances tripartites au niveau national quetoutes les questions concernant le respectdes droits fondamentaux susceptiblesd’opposer le gouvernement aux parte-naires sociaux se régleront. Mais ce peutêtre l’occasion de résoudre certaines situa-tions conflictuelles. Le tripartisme doit êtreune réalité et ne pas être reconnu que dubout des lèvres comme c’est encore tropsouvent le cas.

Malgré les efforts déployés dans cer-tains pays pour améliorer le dialogue so-cial et du fait d’un tripartisme inexistantdans bien d’autres, le rôle traditionnel desorganisations syndicales dans la défensedes travailleurs et des travailleuses passepar une participation très active aux mé-canismes de contrôle de l’OIT. Cette parti-cipation des organisations syndicales estindispensable pour assurer l’objectivité etl’efficacité nécessaires aux procédures decontrôle de l’application des normes. Pourles droits fondamentaux qui ne sont pasgarantis par la ratification des conventionscorrespondantes, une participation au mé-canisme de suivi de la Déclaration relativeaux principes et droits fondamentaux au

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travail est tout aussi importante pour lesorganisations syndicales.

Plusieurs possibilités sont ainsi offertesaux syndicats pour s’assurer que les dis-positions des conventions se reflètent nonseulement dans leur législation nationalemais aussi dans la pratique.

Rapports sur les conventions ratifiées

Tout d’abord, en vertu de la Constitutionde l’OIT (article 22), les gouvernementsont l’obligation de faire régulièrement rap-port sur les conventions qu’ils ont ratifiées.Pour les conventions dites fondamentales,ces rapports sont dus tous les deux ans. Ilen va de même pour les conventions ditesprioritaires portant sur la politique del’emploi, sur l’inspection du travail etsur les consultations tripartites2. A titred’exemple, les rapports pour les conven-tions fondamentales dus en 2002 porterontsur les conventions nos 29, 87, 100 et 138alors qu’en 2003 ce sera le tour des conven-tions nos 98, 105, 111 et 182, le cycle repre-nant les années suivantes.

Ces rapports se font à l’aide d’un ques-tionnaire préparé par le Conseil d’admi-nistration. Ils doivent être reçus par le Bu-reau chaque année entre le 1er juin et le 1er

septembre. La liste complète des conven-tions pour lesquelles les rapports sont duschaque année est disponible au Bureau desactivités pour les travailleurs au BIT. Carsi les conventions fondamentales, commeleur appellation l’indique, sont fort im-portantes, le groupe des travailleurs in-siste toujours sur le fait que toutes lesconventions méritent l’attention des orga-nisations syndicales puisqu’elles contien-nent toutes des protections pour les tra-vailleurs et les travailleuses.

Dans les pays qui ont ratifié la conven-tion (no 144) sur les consultations tripar-tites relatives aux normes internationalesdu travail, 1976, les gouvernements ontl’obligation de consulter les organisationsd’employeurs et de travailleurs dans lapréparation de leurs rapports. Mais, mêmedans les pays qui n’ont pas ratifié cetteconvention, les gouvernements sont tenus,

par l’article 23(2) de la Constitution, defaire parvenir copie de leurs rapports auxorganisations syndicales représentatives,ce qui doit permettre à ces dernières defaire leurs propres commentaires.

Du point de vue des travailleurs et destravailleuses, toutes les organisations syn-dicales devraient se faire un devoir de faireparvenir leurs commentaires au Bureauinternational du Travail afin qu’il soit enmesure d’établir un état exact de la situa-tion. A défaut de recevoir ces commen-taires, seuls ceux envoyés par les gouver-nements feront foi de la situation dans unpays donné.

Ces commentaires sont étudiés par unecommission d’experts indépendants qui lesexamine d’un point de vue juridique. L’ana-lyse de la commission d’experts est publiéedans le Rapport de la commission d’expertspour l’application des conventions et desrecommandations qui est distribué danstous les Etats Membres de l’Organisationaux gouvernements, aux organisationsd’employeurs et aux organisations de tra-vailleurs. Chaque année, la Commission del’application des conventions et recom-mandations, qui siège pendant la Confé-rence internationale du Travail et lui faitrapport, procède à l’étude des cas men-tionnés par les experts et, sur propositiondu groupe des travailleurs et du groupe desemployeurs, peut appeler des gouverne-ments à venir s’expliquer sur la situationdans leurs pays. Il ne se passe pas une annéesans que, dans ses considérations géné-rales, la commission d’experts déplore lepeu de commentaires reçus des organisa-tions syndicales. C’est pourtant une étapetrès importante dans la hiérarchie desmoyens mis à la disposition des organisa-tions syndicales puisqu’elle constitue trèssouvent une prévention pour des violationsplus importantes. Il est évident qu’en gé-néral les gouvernements n’apprécient pastellement d’avoir à comparaître devant lacommission ou, pire encore, de se voir citerdans les fameux «paragraphes spéciaux»de son rapport qui traitent des cas où des«difficultés» (lisez violations) sont appa-rues. Souvent d’ailleurs, une telle publicitésuffit à corriger la situation.

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Rapports sur les conventionsnon ratifiées

Pour ce qui est des conventions non rati-fiées, le Conseil d’administration décidechaque année d’un sujet (convention et re-commandation, le cas échéant) qui faitl’objet de rapports détaillés par les EtatsMembres, même s’ils ne sont pas partie àla convention en question. Ici encore, lesorganisations syndicales peuvent jouer unrôle crucial en envoyant leurs proprescommentaires permettant à la commissiond’experts de préparer une étude d’en-semble qui sera la plus objective possibleet qui sera, elle aussi, discutée pendant laConférence annuelle par la Commissionde l’application des conventions et recom-mandations. Le résultat de ces discussionspermet d’évaluer l’efficacité et la valeuractuelles des instruments, donne aux gou-vernements l’occasion de revoir leur poli-tique si nécessaire, voire de procéder à laratification de nouvelles conventions, et,le cas échéant, permet d’envisager l’éla-boration de nouvelles normes. A titred’exemple, une étude d’ensemble sur la li-berté syndicale et la négociation collectiveréalisée en 1994 sert encore aujourd’hui deréférence pour tout ce qui a trait aux prin-cipes de la liberté syndicale.

Réclamations

S’il existe des violations plus importantes,les organisations syndicales peuvent avoirrecours aux réclamations qui sont dépo-sées en vertu de l’article 24 de la Constitu-tion. La réclamation est une procédurespéciale et est soumise à des critères de re-cevabilité stricts3.

Lorsque les critères de recevabilité sontrencontrés, la réclamation est transmisepour examen à un comité tripartitenommé par le Conseil d’administration.Le comité fait rapport au Conseil d’admi-nistration et formule des conclusions et re-commandations. Le gouvernement mis encause est invité à se faire représenter pourprendre part aux délibérations relatives àson dossier. Le Conseil décide de l’oppor-

tunité de publier la réclamation et toute ré-ponse du gouvernement et communiquesa décision à l’organisation et au gouver-nement intéressés.

Plaintes

Pour les cas très sérieux de violations deconventions ratifiées, il est possible de dé-poser une plainte en vertu de l’article 26de la Constitution. Cette procédure peutêtre engagée par un gouvernement contreun autre gouvernement selon certainesconditions, mais ce cas est très rare. Ellepeut être aussi engagée par le Conseild’administration, soit d’office soit, ce quiest le cas le plus fréquent, sur la plainted’une personne déléguée à la Conférence.Dans cette éventualité-là, le Conseil formeune commission d’enquête qui a pourmandat d’étudier la question soulevée etde déposer un rapport sur le sujet. Le rap-port est communiqué au gouvernementintéressé qui doit indiquer s’il en accepteles conclusions. S’il ne les accepte pas, ildoit indiquer s’il désire les soumettre à laCour internationale de justice, seule apteà trancher les litiges. La décision de la Courinternationale est sans appel.

Cette procédure de plainte ne s’ap-plique que pour les cas graves de violationsde droits syndicaux. Elle a été utilisée cesdernières années contre la Colombieconcernant la liberté syndicale et le Myan-mar (Birmanie) concernant le travail forcé.La situation au Myanmar ne s’étant pasaméliorée, la Conférence a décidé, pour lapremière fois dans l’histoire de l’OIT, demettre en œuvre l’article 33 de sa Constitu-tion. Cela signifie qu’à chaque conférenceune séance de la Commission de l’applica-tion des normes sera spécialement consa-crée à ce cas, que les mandants de l’Orga-nisation doivent revoir leurs relations avecce pays afin que celles-ci ne servent pas àperpétuer le travail forcé, que le Directeurgénéral doit aviser les autres organisationsinternationales des manquements consta-tés et demander à l’Organisation des Na-tions Unies d’inscrire ce cas à l’ordre dujour du Conseil économique et social.

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Plaintes au Comitéde la liberté syndicale

Toutes les procédures spéciales ne peuventêtre utilisées que lorsque les conventionsont été ratifiées. Il existe cependant une ex-ception à ce principe. C’est le cas desplaintes devant le Comité de la liberté syn-dicale. Ce comité examine les plaintes enviolation de la liberté syndicale, que legouvernement mis en cause soit ou non liépar les conventions relatives à la libertésyndicale. En effet, les principes reprisdans les conventions nos 87 et 98 figurentégalement dans la Constitution de l’OITet, dès lors, par le seul fait de son adhé-sion, tout pays Membre de l’Organisationse doit de les respecter.

Les plaintes sont examinées par un co-mité tripartite qui se réunit trois fois paran et qui fait rapport au Conseil d’admi-nistration. Ces rapports sont publiés.

Suivi de la Déclaration

A l’exception des plaintes présentées auComité de la liberté syndicale, les procé-dures mises à la disposition des organisa-tions syndicales ne s’appliquent que dansle cas des conventions ratifiées. Dans le casdes conventions non ratifiées, le suivi an-nuel de la Déclaration dote les organisa-tions syndicales d’un nouveau point depression et d’intervention. En effet, chaqueannée, les gouvernements doivent indi-quer sur des formulaires préparés par leConseil d’administration quelle est la si-tuation en droit et en pratique concernantles principes contenus dans les conven-tions fondamentales qu’ils n’ont pas rati-fiées. Il va de soi que, sans les commen-taires des organisations syndicales, leBureau ne disposerait que d’une imagepartielle de la réalité. En théorie, les gou-vernements doivent consulter les organi-sations syndicales dans l’élaboration deleurs réponses. Cela dit, rien n’empêcheles organisations syndicales d’envoyer di-rectement leurs commentaires au BIT.Deux précautions valent sans doute mieuxqu’une.

Car ces informations sont importantes.Elle vont notamment servir à rédiger lerapport global qui chaque année traited’un seul des quatre principes de la Dé-claration (discrimination, liberté syndi-cale, travail forcé ou travail des enfants)et dresse, comme son nom l’indique, leportrait de la situation à travers le monde.C’est grâce à toutes ces informations quel’OIT pourra judicieusement utiliser sesressources en décidant des priorités dansle domaine de l’assistance et de la coopé-ration techniques pour aider les EtatsMembres à mieux remplir leurs obliga-tions.

En réalité, l’efficacité de l’OIT, si elleparfois mise en doute dans certains mi-lieux, c’est aussi l’affaire des organisationssyndicales. Elles ont contribué à munirl’OIT d’une série d’instruments uniquessur le plan multilatéral. C’est donc à ellesde veiller aussi à l’utilisation optimale detout ce potentiel. Les organisations syndi-cales doivent constamment avoir à l’espritleur raison d’être: la défense des droits destravailleurs et des travailleuses. Cette dé-fense passe aussi nécessairement par leurimplication plus grande et par un engage-ment plus ferme à veiller au respect desconventions fondamentales de l’OIT et àen dénoncer les violations. Il est tempsd’agir!

Notes

1 Les normes dites fondamentales sont représen-tées par 8 conventions: la convention (no 29) sur letravail forcé, 1930, la convention (no 87) sur la libertésyndicale et la protection du droit syndical, 1948, laconvention (no 98) sur le droit d’organisation et denégociation collective, 1949, la convention (no 100)sur l’égalité de rémunération, 1951, la convention(no 105) sur l’abolition du travail forcé, 1957, laconvention (no 111) concernant la discrimination(emploi et profession), 1958, la convention (no 138)sur l’âge minimum, 1973, et la convention (no182) surles pires formes de travail des enfants, 1999. Cesconventions sont aujourd’hui regroupées en quatrethèmes: liberté syndicale (conventions nos 87 et 98),travail forcé (conventions nos 29 et 105), discrimina-tion (conventions nos 100 et 111) et travail des enfants(conventions nos 138 et 182).

2 Les conventions dites prioritaires sont aunombre de 4: la convention (no 81) sur l’inspection du

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travail, 1947, la convention (no 122) sur la politiquede l’emploi, 1964, la convention (no 129) sur l’inspec-tion du travail (agriculture), 1969, et la convention(no 144) sur les consultations tripartites relatives auxnormes internationales du travail, 1976.

3 Pour être recevable, une réclamation doit: êtrecommuniquée au BIT par écrit; émaner d’une orga-

nisation professionnelle des employeurs ou des tra-vailleurs; se référer expressément à l’article 24 de laConstitution; concerner un Membre de l’OIT; portersur une convention que le Membre en question a ra-tifiée; et indiquer sur quel point ce Membre n’auraitpas assuré, dans les limites de sa juridiction, l’appli-cation effective de ladite convention.

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Toutes les dispositions de la Déclarationde l’OIT relative aux principes et droits

fondamentaux au travail ont fait l’objetd’âpres négociations entre les différentsgroupes, comme en témoigne le compterendu provisoire de la Conférence inter-nationale du Travail de 19981. A l’obliga-tion qu’ont les Etats Membres «du seul faitde leur appartenance à l’Organisation, derespecter, promouvoir et réaliser, de bonnefoi et conformément à la Constitution, lesprincipes concernant les droits fondamen-taux» répond une autre obligation qui sti-pule qu’il «incombe à l’Organisation d’ai-der ses Membres, en réponse à leursbesoins établis et exprimés, de façon à at-teindre ces objectifs en faisant pleinementappel à ses moyens constitutionnels, pra-tiques et budgétaires, y compris par la mo-bilisation des ressources et l’assistance ex-térieures, ainsi qu’en encourageant d’autresorganisations internationales avec les-quelles l’OIT a établi des relations, en vertude l’article 12 de sa Constitution, à soute-nir ces efforts: a) en offrant une coopéra-tion technique et des services de conseilsdestinés à promouvoir la ratification etl’application des conventions fondamen-tales; b) en assistant ceux de ses Membresqui ne sont pas encore en mesure de rati-fier l’ensemble ou certaines de ces conven-tions dans leurs efforts pour respecter,promouvoir et réaliser les principes concer-nant les droits fondamentaux qui sont

l’objet desdites conventions; c) en aidantses Membres dans leurs efforts pour ins-taurer un climat propice au développe-ment économique et social»2.

Cet article 3 de la Déclaration est fon-damental dans la mesure où il exprime defaçon claire que cette obligation qu’ont lesMembres doit être accompagnée d’un ef-fort sans précédent du Bureau internatio-nal du Travail (BIT) pour les aider à larespecter. Aux côtés de ses fonctions tra-ditionnelles d’élaboration des normes etde contrôle de leur application, ce texte faitune place toute particulière aux différentesformes d’aide que l’Organisation doit ap-porter à ses Membres. Cette fonction n’estcertes pas nouvelle mais elle a pris avecl’adoption de la Déclaration une autre di-mension, tout au moins en ce qui concernela mise en application des normes inter-nationales du travail.

Il est important de réaffirmer à ce stadeque la Déclaration a un caractère promo-tionnel et ne doit donc pas être confondueavec le système traditionnel de supervi-sion des normes. En aucune façon, elle nepeut être utilisée pour sanctionner lesEtats qui ne respecteraient pas les engage-ments qu’ils ont pris en ratifiant les conven-tions fondamentales, mais au contrairepour les aider à respecter les principes etdroits fondamentaux au travail, qu’ilsaient ou non ratifié les conventions cor-respondantes.

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Déclaration et coopération technique:l’exemple de l’Afrique francophone

La Déclaration, nouvel outil au service des normes fondamentales dutravail, implique une démarche pragmatique dans laquelle l’ensembledes mandants de l’OIT dans les pays concernés doit s’inscrire.

Jean-Pierre DelhoménieAdministrateur principal des programmes et des opérations

Programme focal pour la promotion de la DéclarationBureau international du Travail

Une nécessaire volontégouvernementale

Pour que l’aide de l’Organisation ait unechance de réussite, elle doit tout d’abordêtre la résultante d’une volonté gouverne-mentale clairement exprimée. Elle peuts’exprimer pour les Etats qui n’ont pas ra-tifié telle ou telle convention fondamentalepar l’intermédiaire du rapport qu’ils doi-vent fournir chaque année dans le cadredu rapport annuel prévu par le suivi de laDéclaration. C’est ainsi que le gouverne-ment malgache, par exemple, a souhaitéque le BIT l’aide à tenir compte des obser-vations que lui a faites la Commissiond’experts pour l’application des conven-tions et recommandations à propos de lamise en œuvre de la convention (no 29) surle travail forcé, 1930, et à ratifier la conven-tion (no 105) sur l’abolition du travail forcé,1957.

Mais cette volonté peut s’exprimer detoute autre manière, comme l’ont faitd’autres pays ayant ratifié toutes lesconventions fondamentales, mais qui ontbesoin d’aide pour les mettre en applica-tion au-delà des seuls aspects juridiquesqui ont toujours fait l’objet d’une assis-tance du Bureau. Cette volonté clairementexprimée doit s’entendre comme un actepolitique fort des gouvernements concer-nés à non seulement accepter cette coopé-ration technique mais à en tirer toutes lesconséquences.

Des partenaires sociaux impliqués

On ne dira jamais assez l’intérêt pour lesorganisations d’employeurs et de tra-vailleurs de s’impliquer dans ce processus.Tout d’abord dans la détermination desbesoins au moyen des observations qu’ilspeuvent faire dans les rapports envoyéspar leurs gouvernements dans le cadre dela Déclaration. Mais aussi dans la mise enœuvre des actions de coopération elles-mêmes qui pourront ainsi mieux prendreen considération les attentes de l’ensembledes mandants de l’OIT dans les paysconcernés.

Une démarche pragmatique

Les diverses actions de coopération tech-nique mises en œuvre dans les pays afri-cains francophones reposent sur le constatsimple que, à partir du moment où un Etatratifie une convention internationale, il a apriori l’intention de l’appliquer et que parconséquent les difficultés rencontrées nesauraient se résumer à de simples insuffi-sances politiques ou juridiques même sicelles-ci existent le plus souvent. En re-vanche, les gouvernements se trouventsouvent confrontés à d’autres types d’obs-tacles plus difficiles à cerner et surtoutplus difficiles à surmonter. Chacun penseraimmédiatement par exemple à la relationentre travail des enfants et pauvreté qui estadmise partout dans le monde aujourd’hui,même si elle n’explique pas à elle seuletoutes les formes de travail des enfants.

Il importait donc, comme cela a été faitau Bénin, au Burkina Faso, au Mali, enMauritanie, au Niger et au Togo, d’élabo-rer un diagnostic de la mise en œuvre réelledes conventions fondamentales dans cespays et d’imaginer un plan d’action pourcontribuer à surmonter les difficultés ren-contrées. Confiées à des experts indépen-dants, les études ont été réalisées dans uncadre tripartite impliquant pleinement lesorganisations d’employeurs et de tra-vailleurs mais aussi, à chaque fois que celaétait adéquat au niveau de l’analyse,d’autres acteurs de la société civile sus-ceptibles de jouer un rôle dans la mise enœuvre des principes et droits fondamen-taux au travail. Dans chacun de ces pays,à l’exception du Mali, l’analyse portait surl’ensemble des quatre catégories de prin-cipes et droits fondamentaux: la libertésyndicale et la reconnaissance effective dudroit à la négociation collective; l’élimina-tion de toute forme de travail forcé ou obli-gatoire; l’abolition effective du travail desenfants; et l’élimination de la discrimina-tion en matière d’emploi et de profession.Au Mali, le gouvernement a souhaité quel’aide du Bureau concerne uniquement laquatrième catégorie de principes concer-nant les différentes formes de discrimina-tion dans l’emploi et la profession.

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Ces études, qui vont être publiées parle Bureau, ont fait l’objet d’abord d’uneélaboration qui a permis aux consultantsde s’entourer de tous les avis qu’ils ontjugés utiles de solliciter, puis ont été dis-cutées, modifiées et améliorées lors de sé-minaires tripartites de validation. Les do-cuments définitifs ont ainsi, autant quefaire se peut, intégré les apports des orga-nisations d’employeurs et de travailleursmais aussi ceux des experts gouverne-mentaux. Les études s’accompagnent d’unprogramme d’action élaboré et discuté dela même façon qui détermine les activitéset les politiques à mettre en œuvre poursurmonter les obstacles répertoriés. Ellespeuvent concerner directement des ré-formes à réaliser au niveau des politiquesgouvernementales: les plus évidentesmais pas forcément les plus simplesconcernent les ajustements juridiques.Elles peuvent aussi concerner les parte-naires sociaux eux-mêmes, car l’on peutconstater une insuffisance de la connais-sance, au-delà de quelques «spécialistes»,du contenu des conventions internatio-nales du travail et plus particulièrementdes conventions fondamentales.

Quelques enseignements provisoires

Il est bien sûr difficile et il serait illusoirede vouloir dégager des conclusions géné-rales à partir de chacune des études et dudéroulement du programme. Néanmoins,il semble possible de dégager quelquespistes de réflexion provisoires.

Tout d’abord, il faut réaffirmer, commel’ont montré les exemples cités, que la vo-lonté exprimée par les gouvernements etles partenaires sociaux est l’élément es-sentiel qui est indispensable non seule-ment au démarrage de ces projets maisaussi à leur bon déroulement.

Le second enseignement est que cesprojets ont montré la nécessité d’un dia-logue social en état de marche. Heureuse-ment, et malgré des aléas – on n’efface pasen quelques mois ou années des pratiquesdifférentes –, l’ensemble de ces pays béné-ficient d’autres programmes du BIT qui

confortent ce dialogue social. C’est plusparticulièrement le cas du programme depromotion du dialogue social en Afriquefrancophone (PRODIAF) qui concerne lesmêmes pays 3. Dans ces pays, tout dumoins nous l’espérons, le projet mis enœuvre par le Programme focal pour la pro-motion de la Déclaration aura servi de tra-vaux pratiques et aussi de renforcementdu dialogue social. Ainsi, mais ce ne sontpas les seuls, deux programmes du BITpeuvent concrètement se conforter l’un etl’autre et contribuer au même objectif.Tout cela est la moindre des choses, dira-t-on, encore faut-il que cela soit le cas. Audemeurant, les programmes ont mis l’ac-cent où cela était encore nécessaire, surl’importance de ratifier et d’appliquerd’autres conventions internationales dutravail au-delà des conventions fonda-mentales, comme la convention (no 144)sur les consultations tripartites relativesaux normes internationales du travail,1976.

En plus du renforcement de l’outil deconcertation, il nous semble aussi que laméthode utilisée ait permis une plusgrande franchise de discussion et de rap-prochement des points de vue sur les su-jets concernés entre les mandants du BITdans chacun des pays. Bien sûr, il ne s’agis-sait pas et il ne s’agit surtout pas de vou-loir diminuer les responsabilités de chacundans la mise en application des principeset droits fondamentaux au travail, mais ils’agit d’accepter de faire ensemble un dia-gnostic le plus sincère possible de la réalitéet d’essayer de déterminer les solutionssouhaitables. Chacun reprend ensuite sespropres responsabilités en toute connais-sance de cause.

Il semble aussi que les programmes re-latifs à l’application des principes et droitsfondamentaux au travail doivent être uninstant privilégié pour les organisations detravailleurs pour s’interroger sur leurpropre pratique. Comment par exempleprennent-elles en charge dans leur fonc-tionnement quotidien la dimension genre,si elles veulent être exigeantes à juste titresur ce point vis-à-vis des gouvernementset des organisations d’employeurs?

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Les études ont aussi montré un besoincrucial de sensibilisation par rapport à cessujets. Les programmes ont indiqué qu’ilfallait élargir considérablement le nombrede destinataires de l’information. Formerles cadres du ministère du Travail c’estbien, s’assurer que tous les acteurs concer-nés le soient c’est encore mieux. Nous pen-sons plus particulièrement aux inspec-teurs du travail, aux juges, mais aussi àtous ceux qui, dans toutes les administra-tions, peuvent avoir à prendre à un mo-ment ou à un autre une décision en rela-tion avec ces principes. C’est pourquoi il asemblé opportun, dans tous ces pays quipossèdent des écoles administratives for-mant toutes ces catégories de personnel,de faire inscrire dans leur enseignementinitial et continu une initiation aux normesinternationales du travail et plus particu-lièrement aux normes fondamentales. Dela même façon, il est impératif que des ac-tions soient menées au bénéfice des orga-nisations de travailleurs et d’employeurspour élargir le nombre de militants aptesà s’investir sur ces sujets.

Toutes ces réflexions sont autant depistes d’action pour la suite. Après l’adop-tion des études et des programmes d’ac-tion vont commencer maintenant d’autresprojets au moyen desquels le BIT etd’autres essayeront d’aider les Etats et lespartenaires sociaux à mettre en œuvre lesactions préconisées. Les obstacles déter-minés ne vont pas disparaître par enchan-tement, mais on peut espérer, et en tout casfaire le pari, que ces programmes aiderontsérieusement les Membres à respecterleurs engagements constitutionnels.

Notes

1 BIT: Comptes rendus provisoires, nos 20 et 22, 86e

session de la Conférence internationale du Travail,Genève, 1998.

2 BIT: Déclaration de l’OIT relative aux principes etdroits fondamentaux au travail et son suivi, compterendu provisoire no 20A, 86e session de la Conférenceinternationale du Travail, Genève, 1998.

3 PRODIAF, un programme de coopération tech-nique financé par la Belgique et le BIT.

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La liberté syndicale n’est qu’un parmid’autres des domaines traités par les

normes internationales du travail. A cetitre, toutes les conventions en la matière,qu’il s’agisse des plus générales comme lano 87 et la no 98, d’autres plus spécifiquescomme la no 135 sur les représentants destravailleurs dans l’entreprise, la no 141 surles organisations de travailleurs ruraux, lano 151 sur les relations de travail dans lafonction publique, ou encore la no 154 surla promotion de la négociation collective,font l’objet d’un contrôle régulier de leurapplication par la Commission d’expertspour l’application des conventions et re-commandations et par la Commission del’application des normes de la Conférenceinternationale du Travail. Néanmoins,l’OIT a estimé nécessaire de compléter lemécanisme de contrôle régulier par uneprocédure spéciale pour la protection dela liberté syndicale, dont on célèbre cetteannée le cinquantenaire.

Reconnue dans son principe par le Pré-ambule de la Constitution de l’OIT, réaf-firmée avec force en 1944 dans la Déclara-tion de Philadelphie et intégrée en 1998dans la Déclaration relative aux principeset droits fondamentaux au travail, la li-berté d’association constitue une condi-tion indispensable d’un progrès soutenuconforme à la justice sociale. Elle donneaux travailleurs le moyen d’exprimer leursaspirations; elle renforce leur pouvoir denégociation collective et, par là, rétablit uncertain équilibre entre les forces en pré-sence. En leur permettant de participer à

l’élaboration et à l’application de la poli-tique économique et sociale, elle apporteune contrepartie nécessaire à la puissancedes pouvoirs publics; elle devient un fac-teur d’assainissement dans les relations detravail et contribue ainsi à la paix socialeaussi bien qu’à la justice sociale.

En outre, la crainte de bien des man-dants de l’OIT et, en particulier, des tra-vailleurs était lors de l’adoption desconventions nos 87 et 98 que ces normes neseraient que peu ratifiées ou tout au moinsne seraient ratifiées que par des pays dé-mocratiques appliquant déjà dans leursgrandes lignes les principes contenus dansles conventions. Cette crainte se révéla lar-gement infondée puisque ces conventionsfigurent parmi celles qui ont été le plusratifiées.

Néanmoins, à l’époque, les travailleursestimaient que l’OIT devrait mettre surpied une procédure qui serait ouverte, ycompris contre les pays n’ayant pas ratifiéles conventions sur la liberté syndicale.Faisant suite ainsi à un mémorandum dé-posé par diverses organisations syndi-cales, l’OIT passa un accord avec le Conseiléconomique et social des Nations Unies.Cet accord reconnaissait la compétence del’OIT en matière de liberté syndicale et éla-borait les grandes lignes d’une procéduredestinée à assurer la protection de la libertésyndicale dans tous les Etats Membres del’Organisation internationale du Travail etmême dans les Etats qui n’appartenaientpas à l’OIT mais qui adhéraient à l’Orga-nisation des Nations Unies, et cela quelle

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Le Comité de la liberté syndicale de l’OITParmi les libertés et droits fondamentaux de l’homme qui intéressentl’OIT, la liberté syndicale a ceci d’unique que, du fait du caractère tri-partite de l’Organisation, elle est une exigence primordiale de sonbon fonctionnement.

Bernard GernigonChef du Service de la liberté syndicale

Bureau international du Travail

que soit leur situation par rapport à la ra-tification des normes correspondantes. End’autres termes, la procédure instituée parcet accord s’appliquait à la plupart despays du monde. Dans un premier temps,les plaintes déposées dans le cadre decette procédure étaient soumises en pre-mière instance au Bureau du Conseil d’ad-ministration du BIT pour examen préli-minaire en vue d’examiner s’il convenaitde transmettre l’affaire à une commissionspécialisée composée de personnalités in-dépendantes: la Commission d’investiga-tion et de conciliation en matière de libertésyndicale. Mais, devant l’afflux desplaintes, le Conseil décida d’instituer enson sein un Comité de la liberté syndicalepour procéder à cet examen. Ensuite, parconsentement général au sein du Conseild’administration, la procédure d’examenpréliminaire des plaintes en violation de laliberté syndicale qui incombait au Comités’est transformée, par étapes successives,en une procédure qui prévoit l’examen ap-profondi de tous les cas dont il est saisi.

Caractéristiques du Comitéde la liberté syndicale

Le Comité de la liberté syndicale est doncl’une des commissions permanentes duConseil d’administration. Toutefois, il pré-sente par rapport aux autres commissionsdu Conseil certaines caractéristiques quile différencient nettement, en particulierquant à sa composition, ses fonctions et saprocédure.

Un aspect spécifique du Comité est lenombre réduit de ses membres. Depuis sacréation, le Comité de la liberté syndicaleest composé de neuf membres titulairesdésignés par le Conseil d’administrationen son sein et provenant en nombre égaldes groupes gouvernemental, employeuret travailleur. Des membres suppléantssont également nommés par le Conseil.Ces derniers étaient à l’origine appelés àparticiper aux réunions seulement si, pourune raison quelconque, le membre titulairen’était pas présent, afin que la compositioninitiale soit toujours respectée. Cependant,

la pratique actuelle veut que les membressuppléants qui en font la demande peu-vent participer à la discussion des cas sou-mis au Comité, que tous les membres titu-laires soient présents ou non, et ce aprèsaccord du Président. Le Comité se réunitexclusivement à huis clos, ce qui signifieque les membres du Conseil d’administra-tion non membres du Comité ne peuventassister à ses réunions, même à titre d’ob-servateur. Il existe en outre une règle com-plémentaire qui prévoit que les membresdu Comité y siègent à titre individuel etne représentent donc pas un pays ou uneorganisation déterminés. Il a été aussiconvenu qu’aucun représentant ou ressor-tissant de l’Etat contre lequel une plainte aété formulée ni aucune personne ayantsigné la plainte ne peut participer aux tra-vaux du Comité ni même être présent lorsde l’examen de l’affaire en question.

Une autre caractéristique actuelle duComité de la liberté syndicale, qui le dif-férencie des autres commissions duConseil d’administration, est que son pré-sident, désigné par le Conseil d’adminis-tration, est une personnalité indépen-dante, non membre du Conseil. Il a étéprocédé pour la première fois à l’électiond’un président indépendant en 1978. Enadoptant cette règle, le Conseil d’adminis-tration avait souligné qu’il était souhai-table que la composition du Comité de laliberté syndicale offre en général, et dansla mesure du possible, un caractère decontinuité, et que ses membres doiventêtre parfaitement familiarisés avec lesprincipes et les procédures en la matière.

Pour ce qui est de ses fonctions, qui ontpu être qualifiées de «quasi judiciaires», leComité a été amené, à plusieurs reprises,à préciser quelle était la nature exacte deson mandat. Il a souligné à cet égard quela fonction de l’OIT en matière de libertésyndicale et de protection de l’individu estde contribuer à la mise en œuvre effectivedes principes généraux de la liberté syn-dicale, qui est l’une des garanties primor-diales de la paix et de la justice sociale. Safonction est de garantir et de promouvoirle droit d’association des travailleurs etdes employeurs; elle n’est pas de porter

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des accusations contre des gouvernementsou de les condamner. En outre, en accom-plissant sa tâche, le Comité a toujours prisle plus grand soin d’éviter de traiter desquestions qui n’entrent pas dans sa com-pétence spécifique.

Parallèlement à son rôle essentiel, quiconsiste à chercher à élucider les faits et àproposer des solutions pour les cas dont ilest saisi, le Comité, en examinant lesquelque 2100 affaires qui lui ont été sou-mises, a été à l’origine d’un corps impor-tant de décisions indiquant de quelle ma-nière les principes de la liberté syndicaledoivent s’appliquer dans des circons-tances diverses. Les références constantesaux décisions ainsi adoptées dans des casantérieurs constituent l’une des garantiesessentielles de l’objectivité et l’impartialitédes conclusions du Comité. Ce nécessairerappel aux cas examinés antérieurement etaux principes qui furent dégagés en ces oc-casions explique aussi pourquoi les rap-ports du Comité de la liberté syndicalesont approuvés par le Conseil d’adminis-tration sans que celui-ci y apporte des mo-difications.

Compte tenu de ses fonctions particu-lières, le Comité a été amené à prendretoutes ses décisions à l’unanimité. L’en-semble des membres recherche donc, pouradopter les conclusions et recommanda-tions, un consensus qui renforce incontes-tablement l’autorité morale du Comité dela liberté syndicale.

Procédure du Comitéde la liberté syndicale

Pour exercer les responsabilités qui lui ontété assignées par le Conseil d’administra-tion, le Comité de la liberté syndicale a éta-bli certaines règles de procédure dès sacréation en 1951. Par la suite, il a souventfait le point de sa procédure en vue d’y ap-porter des améliorations, d’accélérer l’exa-men des cas et de veiller à ce qu’il soitdonné suite à ses recommandations. Au fildes ans, le Comité a adopté à cette fin uncertain nombre de mesures entérinées parle Conseil d’administration.

La procédure demeure essentiellementbasée sur des communications écrites, àsavoir plaintes et informations complé-mentaires adressées par les organisationsplaignantes, et réponses des gouverne-ments. Lorsque le Comité se trouve en pré-sence de déclarations contradictoiresquant aux faits, il lui est très difficile deprendre une décision. En pareils cas, desméthodes d’investigation plus directessont nécessaires. Elles revêtent la forme demissions consultatives ou de missions decontacts directs effectuées par un repré-sentant du Directeur général qui peut êtresoit un fonctionnaire du BIT, soit une per-sonnalité extérieure indépendante.

Le Comité peut aussi dans certains casutiliser une procédure orale et entendre lesreprésentants des plaignants et du gou-vernement. Cette possibilité n’a toutefoisété utilisée que très rarement (4 fois danstoute l’histoire du Comité). En revanche,l’utilisation des missions sur place est plusfréquente puisque le Comité y a eu recoursà quelque 80 reprises depuis le milieu desannées soixante-dix, date à laquelle cettepossibilité a été prévue dans la procédure.Des missions préalables peuvent être éga-lement déléguées sur place dès réceptiond’une plainte contenant des allégationsparticulièrement graves en vue de fairepart au gouvernement de la préoccupationde l’OIT, expliquer les principes de la li-berté syndicale en cause, obtenir des in-formations et observations du gouverne-ment et l’inciter à coopérer pleinement àla procédure. Cette procédure a encore étéutilisée récemment dans un cas concer-nant le Bélarus. Les pays visités à l’occa-sion des missions appartiennent à toutesles régions du monde et tous les systèmespolitiques et économiques. Une innova-tion a été apportée par le Comité quant auxtypes de missions qui peuvent être effec-tuées dans un pays. Il s’agit d’une missiontripartite du Comité lui-même, em-ployeur, travailleur et gouvernement, quia été envoyée après accord du gouverne-ment dans le cadre de l’examen d’un casconcernant la République de Corée. C’estune forme de mission qui s’est avérée par-ticulièrement utile pour montrer l’identité

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de vues qui existe au sein du Comité mal-gré les sensibilités particulières de chacundes groupes. C’est aussi un excellentmoyen de faire comprendre à chacun despartenaires sociaux nationaux la teneur etl’intérêt des conclusions antérieurementadoptées par le Comité dans la mesure oùles travailleurs ou employeurs du paysconcerné seront sans doute plus enclins àécouter respectivement les explicationsdu membre travailleur ou employeur duComité.

Toutes ces missions, de quelque natureque ce soit, ne peuvent être réellement ef-ficaces que si les représentants de l’OITpeuvent les effectuer en toute liberté. C’estla raison pour laquelle il a toujours étéconvenu, avant l’envoi d’une mission surplace, que les personnes la composantpourraient s’entretenir avec toutes les par-ties intéressées. Si cette condition n’est pasremplie, la mission n’a tout simplementpas lieu.

Enfin, certaines plaintes peuvent mêmeêtre renvoyées à une commission spécialeprévue par la procédure: la Commissiond’investigation et de conciliation en ma-tière de liberté syndicale, composée d’ex-perts indépendants. Cette commission aété réunie pour la première fois en 1964 eta depuis lors examiné 6 cas relatifs auJapon, à la Grèce, au Lesotho, au Chili, auxEtats-Unis (Porto Rico) et à l’Afrique duSud. Dans chacun de ces cas, la commis-sion s’est livrée à un examen exhaustif dela situation après audition de témoins etmission dans le pays concerné dans la plu-part des cas. Toutefois, le nombre réduitd’affaires traitées par ce type de commis-sion s’explique par le fait que le consente-ment du gouvernement est requis pourqu’elle soit saisie d’un cas déterminé etpeut-être aussi par sa longueur et son coûtrelativement élevé.

Plusieurs éléments de la procédure duComité ne se retrouvent qu’assez rarementdans les autres procédures internationalesd’enquête et de règlement des différends.Tout d’abord, en ce qui concerne la rece-vabilité des plaintes, le Comité ne s’estimepas lié par la définition nationale ou par lareconnaissance, dans le pays, d’une orga-

nisation de travailleurs ou d’employeurs.C’est sur cette base que des organisationsen exil, ou dans la clandestinité, ont puprésenter des plaintes devant le Comité,comme par exemple l’Union générale destravailleurs (UGT) en Espagne sous lefranquisme, Solidarnosc en Pologne ouplus récemment la Confédération des syn-dicats coréens (KCTU) ou le syndicat Pros-périté (SBSI) en Indonésie. En effet, uneprocédure qui ne serait ouverte qu’auxsyndicats officiellement reconnus n’auraitque peu de signification, notamment dansles pays où il existe un syndicalismeunique inféodé au pouvoir. Même si le Co-mité peut toujours être saisi par une orga-nisation internationale de travailleurs oud’employeurs, il est important pour les or-ganisations non reconnues sur le plan na-tional de savoir qu’elles peuvent avoir re-cours directement à l’OIT.

Deuxième élément très spécifique: laprocédure ne prévoit pas l’épuisement desrecours internes comme condition préa-lable à la présentation d’une plainte. LeComité peut évidemment reporter, s’ill’estime utile, l’examen d’un cas lors-qu’une procédure est en cours devant uneinstance nationale. Il peut aussi, dans cer-tains cas, lors de l’examen du fond, tenircompte de la non-utilisation des voies derecours nationales. Mais il importe que lesorganisations d’employeurs ou de tra-vailleurs, lorsqu’elles estiment ne pasavoir la possibilité de se voir reconnaîtreleurs droits légitimes par les instances ju-diciaires nationales, puissent saisir immé-diatement le Comité de la liberté syndi-cale. Procéder autrement en exigeantl’épuisement de recours internes équivau-drait sans aucun doute à un déni de jus-tice, compte tenu notamment du délai par-fois extrêmement long des procéduresnationales et du degré tout relatif de l’in-dépendance du pouvoir judiciaire par rap-port à l’exécutif dans certains pays.

Troisième élément original: la possibi-lité pour le Comité d’examiner les affairesqui lui sont soumises même sans réponsedu gouvernement. Même si dans la trèsgrande majorité des cas les gouverne-ments intéressés collaborent à l’examen

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des plaintes, il peut arriver parfois qu’ilsne répondent pas aussi rapidement quecela aurait été souhaitable. Le Comitélance alors un appel pressant au gouver-nement en lui indiquant qu’il examinerales allégations même en l’absence d’obser-vations de sa part. Généralement, les gou-vernements donnent suite à cette injonc-tion. Ils comprennent en effet que leurpropre intérêt est de présenter leur pointde vue afin qu’il soit pris en considérationpar le Comité. Cela explique que les casexaminés sans réponse du gouvernementne dépassent pas, à chaque session, deuxà trois pour cent des cas en instance.

Enfin, la procédure suivie par le Comitéprévoit la possibilité d’inviter les gouver-nements à indiquer les mesures qu’ils ontprises à la suite des recommandations ap-prouvées par le Conseil d’administration.Le Comité a eu de plus en plus souvent re-cours à cette faculté qui lui permet demaintenir le dynamisme de son action etd’évaluer l’effet de ses recommandations.Parmi les résultats positifs notés par le Co-mité ces dernières années dans des casdont il avait été saisi, il convient de men-tionner la libération d’un nombre impor-tant de syndicalistes qui avaient été arrê-tés ou détenus, la réintégration detravailleurs licenciés à la suite de conflitsdu travail, l’annulation de décisions pro-nonçant la dissolution d’une organisationou destituant des dirigeants syndicaux deleurs fonctions, la reconnaissance ou le ré-tablissement de la personnalité juridiquedes syndicats, le rétablissement du droitde grève, l’élimination du contrôle du gou-vernement sur les syndicats et, dans cer-tains cas, des réformes importantes dansla législation syndicale, notamment à lafaveur d’un changement de régime poli-tique d’un pays.

Au-delà des résultats ainsi obtenus, ilfaut avoir conscience que le succès de laprocédure dépend en fin de compte de lapossibilité d’obtenir la collaboration desEtats intéressés. Les méthodes utiliséesdoivent donc maintenir un juste équilibreentre les pressions morales exercées parl’Organisation en faveur du respect de laliberté syndicale et l’acceptation par lesgouvernements qu’il est de leur propre in-térêt de participer à la procédure. Les gou-vernements, comme les plaignants, doi-vent être convaincus que tous les casseront examinés avec le plus grand soin etla plus grande équité possibles. Cela peutexpliquer que le souci d’avoir la meilleureconnaissance possible des faits grâce auxinformations fournies par toutes les par-ties peut devoir l’emporter sur celui d’ac-célérer la procédure.

L’action en faveur de la liberté syndi-cale ne doit toutefois pas être considéréeuniquement du point de vue des procé-dures de contrôle de l’application desconventions adoptées dans ce domaine etd’examen des cas de violation des droitssyndicaux. Il y a lieu de rappeler que l’undes buts de la procédure était de fournirdes voies de conciliation en cas de diffé-rend. Cet aspect de la procédure de plaintea peut-être été obscurci face au traitement,à partir surtout de documents, d’un grandnombre d’allégations, mais les missions decontacts directs ont souvent permis, grâceà des discussions avec les diverses parties,d’envisager les solutions possibles. Il se-rait évidemment souhaitable de dévelop-per encore toutes les formes d’action parlesquelles l’Organisation peut contribuerau règlement des conflits dans ce domaineessentiel. C’est sans doute l’un des pointsprincipaux sur lesquels l’OIT devra réflé-chir et agir dans un proche avenir.

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La promotion de la justice et l’améliora-tion des conditions de travail des

femmes et des hommes ont toujours été lesprincipes directeurs de l’OIT qui les a toutd’abord exposés dans sa Constitution de1919, avant de les confirmer de manière ex-plicite et de les préciser dans la Déclara-tion de Philadelphie de 1944. Cette der-nière stipule que: «tous les êtres humains,quelle que soit leur race, leur croyance ouleur sexe, ont le droit de poursuivre leurprogrès matériel et leur développementspirituel dans la liberté et la dignité, dansla sécurité économique et avec des chanceségales».

En juin 1998, la Conférence internatio-nale du Travail a adopté la Déclaration del’OIT sur les principes et les droits fonda-mentaux au travail et son suivi, qui mar-quaient un engagement universel renou-velé à respecter les droits fondamentauxdes travailleurs. Deux des huit conven-tions de base qui figurent dans la Déclara-tion traitent de la discrimination: laconvention (no 100) sur l’égalité de rému-nération, 1951, et la convention (no 111)concernant la discrimination (emploi etprofession), 1958. En vertu de la Déclara-tion de l’OIT, tous les Etats Membres sonttenus de «respecter, promouvoir et réali-ser» l’élimination de la discrimination enmatière d’emploi et de profession dans lecadre d’un ensemble de principes fonda-mentaux qui se consolident mutuellement.

Egalité de rémunération

Durant les deux guerres mondiales, lesfemmes de bien des pays ont été proje-tées en grand nombre sur le marché dutravail pour répondre aux besoins urgentsen main-d’œuvre. Elles ont remplacé leshommes dans certaines professions et ontété employées dans de nouvelles, en par-ticulier pour les industries de guerre.

A partir des années cinquante et dansla plupart des pays, les femmes ont été deplus en plus nombreuses à arriver sur lemarché du travail, tant dans les économiesprincipalement agricoles que dans les éco-nomies industrielles.

En 1951, au moment de l’adoption dela convention no 100, il a été admis quel’écart de salaires entre les hommes et lesfemmes découlait plutôt d’une attitudetraditionnelle vis-à-vis des femmes et dutravail et ne pouvait se justifier en fonctionde critères d’efficacité et de capacité desdeux groupes. Il a en outre été admis quele principe d’égalité de rémunération nepouvait s’appliquer dans un contexte gé-néral d’inégalités. Un salaire égal étaitconsidéré non seulement comme une me-sure visant à promouvoir la justice sociale,mais également comme un moyen pourencourager la mobilité et l’utilisation effi-cace de la main-d’œuvre.

Les Etats qui ont ratifié la conventionconviennent de promouvoir le principed’égalité de salaire pour les hommes et lesfemmes, pour un travail de valeur égale.

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Combattre la discrimination à l’aidede la Déclaration de l’OIT

Bien qu’un nombre relativement élevé de conventions de l’OIT trai-tant de l’égalité ont été ratifiées, les femmes subissent toujours unediscrimination salariale dans la plupart des pays, et la discriminationen matière d’emploi reste une réalité partout dans le monde.

Amrita SietaramBureau des activités pour les travailleurs

Bureau international du Travail

Ils doivent veiller à son application à tousles travailleurs, conformément aux mé-thodes utilisées à l’échelon national pourdéterminer les barèmes salariaux.

Cette convention s’applique aux traite-ments ou aux salaires de base, ainsi qu’àtoutes les rémunérations qui viennent s’ygreffer (suppléments, primes, indemnités,etc.), que l’employeur paie directement ounon le travailleur ou la travailleuse, en es-pèces ou en nature, pour son travail. Laconvention définit le salaire égal pour untravail de valeur égale comme étant un ba-rème salarial fixé sans discrimination sefondant sur le sexe. Ce principe peut êtreappliqué par le biais des lois ou des règle-ments nationaux, des mécanismes juri-diques de détermination des salaires, desconventions collectives ou d’un mélangede ces diverses méthodes. La conventionspécifie l’une des méthodes, lorsqu’elleparle de l’évaluation objective des postesen fonction du travail à accomplir. Lesgouvernements sont tenus de collaboreravec les organisations patronales et syndi-cales afin d’aider à mettre ces dispositionsen pratique.

La convention no 100 exige des EtatsMembres de l’OIT qu’ils garantissent l’ap-plication à tous les travailleurs, hommes etfemmes, du principe d’égalité de rémuné-ration pour un travail de valeur égale. Elleimpose un programme d’action continu,plutôt que la réalisation des objectifs de laconvention avant sa ratification.

Discrimination en matière d’emploiet de profession

Après la seconde guerre mondiale, l’opi-nion publique était plus sensible aux pré-occupations relatives aux droits humains.L’émergence de nouveaux pays et une mi-gration généralisée ont contraint de nom-breux pays à faire face à des problèmes épi-neux de relations entre les différentsgroupes. Dans le contexte du marché dutravail, la nécessité d’interdire la discrimi-nation fondée sur des motifs spécifiques aété considérée comme une mesure néces-saire que les Etats devaient prendre pour

promouvoir une société productive etjuste sur le plan social. On a estimé quel’heure était venue d’adopter une conven-tion visant à aider les Etats à élaborer despolitiques et des législations nationalesnon discriminatoires conçues pour pro-mouvoir l’égalité en matière d’emploi etde profession.

La convention no 111 a été adoptée en1958 et stipule que les Etats qui la ratifientdoivent adhérer à l’objectif fondamentalde promotion de l’égalité de chances et detraitement au moyen d’une politique na-tionale visant à mettre un terme à toutesles formes de discrimination au niveau del’emploi et de la profession.

La discrimination y est définie commetoute distinction, exclusion ou préférencefondée sur «la race, la couleur, le sexe, lareligion, l’opinion politique, l’ascendancenationale ou l’origine sociale (ou tout autremotif déterminé par l’Etat), qui a pour effetde détruire ou d’altérer l’égalité dechances ou de traitement en matière d’em-ploi ou de profession». Cette définition in-tègre la discrimination directe et indirecte.Toute distinction, exclusion ou préférencefondée sur les exigences inhérentes à unemploi donné n’est pas considérée commerelevant de la discrimination en vertu dela convention, laquelle traite également del’accès à la formation professionnelle, àl’emploi et à des professions particulières,ainsi que des modalités d’emploi.

Les Etats qui ratifient la convention ac-ceptent d’abroger toutes les lois ou de mo-difier toutes les instructions ou pratiquesadministratives qui ne cadrent pas aveccette politique ainsi que de promulguerdes lois et de promouvoir des programmeséducatifs en coopération avec les organi-sations patronales et syndicales. Cette po-litique doit être menée sous le contrôle di-rect d’une autorité nationale et de sesservices d’orientation professionnelle, deformation professionnelle et de placement.

La convention no 111 exige des partiessignataires qu’elles interdisent la discrimi-nation en matière d’emploi et de profes-sion et conseille de prôner et d’appliquerle principe de l’égalité de rémunérationpour un travail de valeur égale.

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L’application de ces instruments

Les conventions nos 100 et 111 sont toutesdeux des instruments de l’OIT que la plu-part des Etats Membres ont ratifiés. A ladate du 1er septembre 2001, la conventionno 100 avait été ratifiée par 153 Etats, tan-dis que la convention no 111 avait reçu 151ratifications.

L’égalité de salaire est une question pri-mordiale, en particulier pour les tra-vailleuses. Les femmes se heurtent, encoreaujourd’hui, à une discrimination salarialeet, dans la plupart des pays, elles perçoi-vent toujours des salaires inférieurs à ceuxdes hommes. L’ampleur de cette discrimi-nation salariale est variable, mais elle estuniverselle. En général, les femmes ga-gnent en moyenne l’équivalent des deuxtiers, environ, de ce que les hommes ob-tiennent mensuellement.

Bien que la convention no 100 ait été lar-gement ratifiée, son application pratiques’avère difficile, notamment dans le do-maine de l’égalité de salaire pour un tra-vail de valeur égale.

La dernière étude d’ensemble quel’OIT a réalisée sur l’application de cetteconvention remonte à 1986. Elle a révéléque: «si l’examen des rapports des gou-vernements fait ressortir l’acceptation gé-nérale du principe de l’égalité de rémuné-ration comme règle d’ordre public […] ilreste toujours certaines hésitations et la-cunes dans la mise en œuvre du principe»1.

L’étude continue en indiquant que l’unedes principales entraves vient de l’absencede méthodes pour déterminer ce que si-gnifie l’expression valeur comparable:

«Il est important qu’il existe, lorsqu’il fautcomparer la valeur de travaux différents,un mécanisme et une procédure aisémentutilisables et accessibles, pouvant per-mettre de garantir, lors de la comparaison,que le critère du sexe n’est pas directe-ment ou indirectement pris en considé-ration.»

Cette étude met en exergue l’importancedes partenaires sociaux et de la négocia-tion collective pour aboutir à des résultatstangibles. Il s’agit là d’une conclusion im-

portante car les femmes sont, trop souvent,laissées en marge du programme syndicalgénéral. Aujourd’hui encore, les syndicatsne s’intéressent pas suffisamment auxquestions qui touchent particulièrementles femmes, à l’instar de l’égalité de rému-nération. Du reste, les femmes éprouventsouvent le sentiment de manquer d’expé-rience ou de compétences pour intervenir.Ce problème apparaît notamment dans lecadre de l’égalité de rémunération, dans lamesure où les méthodologies prônéespour le résoudre peuvent donner lieu àune «désémancipation» si elles sont troptechniques ou intimidantes.

L’un des problèmes auxquels se heur-tent les syndicats concerne le manque decompréhension du principe d’égalité desalaire pour un travail de valeur égale. Sou-vent, il est compris comme voulant dire sa-laire égal pour un travail égal. Ce conceptplus restreint d’égalité de salaire est pluslargement appliqué, de sorte que nom-breux sont les syndicats, les employeurs etles gouvernements qui estiment que l’éga-lité de salaire est une réalité. Or ce n’est ma-nifestement pas le cas, et bien des paysconnaissent toujours un vaste problème desous-évaluation du travail incombant tra-ditionnellement aux femmes, et de discri-mination entre hommes et femmes en cequi concerne les avantages et les droits auxprestations.

C’est dans ce contexte que l’Internatio-nale des services publics (ISP), la fédéra-tion syndicale internationale des tra-vailleurs du secteur public, a lancé, enmars 2001, une campagne mondiale dedeux ans portant sur les questions d’éga-lité de salaire. L’OIT contribue à cet effortpar le biais de différents départements.

Cette campagne a pour objectif de pla-cer les préoccupations en matière d’égalitéde salaire au centre du travail de l’ISP, etd’élaborer un programme de mise en va-leur du potentiel visant à doter les membresde l’ISP des connaissances et des compé-tences requises pour défendre efficacementune plus grande égalité entre hommes etfemmes en matière de salaire. L’objectifultime consiste à accroître les revenus età améliorer le statut de la femme en dimi-

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nuant la sous-évaluation institutionnaliséedu travail rémunéré des femmes dans lesecteur public.

Convention no 111

En quarante-trois ans d’existence, laconvention no 111 a fait œuvre de pionnierau niveau de l’élimination de la discrimi-nation et de la promotion de l’égalité. A cejour, 151 pays l’ont ratifiée, même si la dis-crimination en matière d’emploi et deprofession existe toujours dans le mondeentier.

La dernière étude d’ensemble menéepar l’OIT sur l’application de la conven-tion date de 1996. On peut y lire que, mêmesi tous les Etats Membres n’ont pas ratifiéla convention, «il est encourageant deconstater que presque tous les Etats ont in-clus dans leur législation ou leur constitu-tion nationale des dispositions antidiscri-minatoires.»2. Le rapport poursuit:

«Des Etats hésitent donc encore à ratifierune convention qui, tout en offrant unegrande flexibilité, s’adresse à un domaineconsidéré souvent comme sensible et auximplications politiques, socioculturelles,voire économiques, non négligeables.Aucun pays, aussi avancé soit-il à cetégard, ne peut se targuer d’avoir réalisépleinement l’égalité dans l’emploi. Le sujetest constamment en évolution; de plus,l’étendue et la complexité des problèmesrelatifs à la discrimination accroissent lesdifficultés d’application, notamment cellesliées à l’efficacité d’une politique nationalede promotion de l’égalité de chances et detraitement.»

Le rapport relève en outre que, lorsqu’unpays est parvenu à éliminer des facteursde discrimination par le biais de sa légis-lation et d’une politique de promotion del’égalité, il est probable que d’autres voientle jour et donnent naissance à de nouvellesdifficultés. Les nouveaux motifs de discri-mination qui apparaissent sont: l’âge, lehandicap, les responsabilités familiales, lalangue, le statut matrimonial, la nationa-lité, la propriété, l’orientation sexuelle et

l’état de santé. En général, les formes d’in-égalité qui existent de nos jours ne sont pasle fruit d’une législation (ou de son ab-sence), mais de situations de facto et desrelations entre les individus dans la pra-tique.

La lutte contre la discrimination consti-tue un processus de tous les instants etl’égalité en matière d’emploi ne peut seconcrétiser que dans le contexte général del’égalité. Selon l’étude de 1996, un telcontexte général d’égalité dépend de deuxconditions: respect de l’Etat de droit et dé-veloppement d’un climat de tolérance.Une attention constante doit donc être ac-cordée aux besoins d’une action continue,adaptée à l’évolution des mentalités et descomportements sociaux.

De quelle manière le Bureaudes activités pour les travailleursencourage-t-il l’égalité?

La promotion des droits fondamentauxdes travailleurs a toujours figuré au centredes préoccupations du Bureau des activi-tés pour les travailleurs (ACTRAV). Celaa pris la forme de diverses activités,comme des services de défense, de for-mation et de conseil. Du reste, des projetssont mis en œuvre en vue de promouvoirles droits fondamentaux des travailleurs.Voici quelques exemples des activités me-nées depuis l’adoption de la Déclarationen 1998.

Activités nationales et régionales

� La Confédération des syndicats indé-pendants de Bulgarie a lancé une cam-pagne nationale de promotion de laDéclaration, qui intègre une coopéra-tion avec l’inspection du travail, de ma-nière à attirer l’attention sur les casgraves de violations des droits des tra-vailleurs. Un atelier national organiséen Croatie s’est concentré sur les droitssyndicaux et la discrimination fondéesur le sexe et l’appartenance ethnique.Un projet de recherche vient de débu-

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ter en Moldavie, dans lequel le travaildes enfants et la discrimination àl’égard des femmes bénéficient d’uneattention particulière.

� Des campagnes nationales de sensibi-lisation ont été lancées à l’issue de ses-sions de formation et d’information auBrésil, au Costa Rica, au Chili et auPérou, dans le but de promouvoir laDéclaration, ainsi que la ratification etl’application des normes internatio-nales de travail.

� Un projet a débuté au Mali autour dela question d’un salaire égal pour untravail de valeur égale. Un plan d’ac-tion national a vu le jour en Mauritaniepour promouvoir les huit conventionsfondamentales qui s’inscrivent dans lecadre de la Déclaration.

� Un colloque de haut niveau sur lesnormes de travail internationales, lamondialisation et le dialogue socials’est tenu en Chine. Un atelier nationaldestiné aux responsables syndicaux aeu lieu au Cambodge sur le thème desnormes de travail internationales et dela Déclaration. Jakarta a accueilli un sé-minaire sous-régional consacré auxsyndicats et à la Déclaration.

Activités mondiales

� Sur le plan international, un séminaired’une semaine vient d’être organisé àl’intention des représentants de laConfédération mondiale du travail(CMT), au sujet du mode d’utilisationde la Déclaration. A titre de suivi, laCMT élaborera un guide de formationpour les syndicalistes.

� Le Bureau des activités pour les tra-vailleurs a édité un guide d’éducationdes travailleurs consacré à la Déclara-tion. Celui-ci doit permettre aux syndi-cats du monde entier de comprendre etd’utiliser pleinement le mécanisme desuivi de la Déclaration. Pour le mo-ment, ce guide est disponible en anglais,français, espagnol, portugais, arabe etrusse3 .

Ce que les syndicats peuvent faire

La Déclaration et son suivi sont des ins-truments de promotion et ne remplacentpas les instruments existants; ils les com-plètent et visent à mieux faire respecter lesdroits des travailleurs.

C’est la raison pour laquelle les syndi-cats ne peuvent se permettre de passer àcôté de cette occasion d’assumer un rôleactif dans le suivi de la Déclaration et doi-vent pour le moins prendre en considéra-tion les éléments suivants.

En premier lieu, tous les dirigeantssyndicaux doivent promouvoir l’existencede la Déclaration de l’OIT et plus particu-lièrement l’importance que revêt la parti-cipation à son processus de suivi.

Deuxièmement, les organisations syn-dicales peuvent assumer un rôle bien pluscapital en soumettant des informations àl’OIT. Chaque année, l’OIT prépare unrapport mondial sur une seule catégoriede droits fondamentaux. Le premier rap-port a été publié en l’an 2000 et se concen-trait sur la liberté syndicale et la négocia-tion collective. Le deuxième rapport, paruen 2001, examinait la situation relative autravail forcé. Le rapport de 2002 traitera del’élimination du travail des enfants, tandisque celui de 2003 portera sur la discrimi-nation (se reporter également à l’article deMonique Cloutier, à la page 9).

Ces rapports mondiaux se fondentdans une large mesure sur les renseigne-ments que fournissent les gouvernements,les organisations patronales et les syndi-cats, renseignements qui sont rassembléspar le biais:� du suivi annuel, pour les pays qui n’ont

pas ratifié les conventions en question;� des différentes procédures de contrôle

pour les pays qui les ont ratifiées;� des rapports du Comité de la liberté

syndicale;� de toute autre source d’information

disponible.

Pour être efficaces, les organisations syn-dicales doivent bien documenter leurs ar-guments, en présentant des faits et des

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chiffres. En effet, des arguments bien do-cumentés constituent un outil efficacepour permettre à la Commission d’expertsde préparer ses commentaires.

Enfin, les organisations syndicales doi-vent beaucoup plus profiter de leur droità demander une assistance technique àl’OIT, et plus particulièrement à ACTRAV.Cela peut prendre la forme de services deconseil, d’activités de formation, d’élabo-ration de campagnes, ou de la traductiondes documents pertinents dans les langueslocales.

La Déclaration ne constitue pas une finen soi, mais un nouvel outil permettant àl’OIT de protéger les travailleurs et d’atté-nuer l’impact de la mondialisation sur lemonde du travail. Pour que la Déclarationexprime pleinement sa valeur, nombreuxsont ceux, tant à l’intérieur qu’à l’extérieurde l’OIT, qui doivent en assurer le suiviactif, et, parmi ceux-ci, les organisationssyndicales elles-mêmes ne sont pas desmoindres.

Références

OIT: Egalité de rémunération, Etude d’ensemble de laCommission d’experts pour l’application desconventions et recommandations, Conférence in-ternationale du Travail, 72e session, Genève, 1986.

—: Egalité dans l’emploi et la profession, Etude d’en-semble de la Commission d’experts pour l’appli-

cation des conventions et recommandations,Conférence internationale du Travail, 75e session,Genève, 1988.

—: Activités de l’OIT 1998 – 1999, Rapport du Direc-teur général, rapport IA, Conférence internatio-nale du Travail, 88e session, Genève, 2000.

—: Halte au travail forcé, Rapport global en vertu dusuivi de la Déclaration de l’OIT relative aux prin-cipes et droits fondamentaux au travail, rapportIB, Conférence internationale du Travail, 89e ses-sion, Genève, 2001.

—: Observations individuelles de la Commissiond’experts pour l’application des conventions etrecommandations sur la convention no 100, pourles années 1999, 2000, 2001, ILOLEX.

—: Observations individuelles de la Commissiond’experts pour l’application des conventions etrecommandations sur la convention no 111, pourles années 1999, 2000, 2001, ILOLEX.

Internationale des services publics: Campagne de l’ISPpour l’égalité des salaires, Internationale des ser-vices publics, Ferney-Voltaire (France), avril 2001.

Notes

1 Egalité de rémunération, Etude d’ensemble de laCommission d’experts pour l’application desconventions et recommandations, Conférence inter-nationale du Travail, 72e session, 1986.

2 Egalité dans l’emploi et la profession, Conférenceinternationale du Travail, 83e session, 1996.

3 La Déclaration de principes de l’OIT: un nouvel ins-trument pour promouvoir les droits fondamentaux. Guided’éducation ouvrière, Bureau des activités pour les tra-vailleurs, BIT, Genève, 2000.

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Tous les Etats Membres de l’OIT, c’est-à-dire la quasi-totalité des pays du

monde, ont l’obligation de respecter la li-berté syndicale et de protéger le droit syn-dical ainsi que le droit à la négociation col-lective. C’est même une particularitéessentielle de l’OIT, au sein de la commu-nauté internationale, que d’imposer à sesMembres le respect de ces normes spéci-fiques, indépendamment de la ratificationformelle des instruments juridiques qui lesgarantissent. Ainsi, les principes de la li-berté syndicale s’imposent aux Etats envertu même de leur appartenance à l’Or-ganisation, qui les expose automatique-ment à des recours de nature quasi judi-ciaire devant les mécanismes appropriésdu BIT, tel le Comité de la liberté syndicale(voir l’article de Bernard Gernigon, p. 19).Les pays qui ont ratifié la convention(no 87) sur la liberté syndicale et la protec-tion du droit syndical, 1948, et/ou laconvention (no 98) sur le droit d’organisa-tion et de négociation collective, 1949, sesoumettent en outre et volontairement àune contrainte juridique formelle, impli-quant, entre autres, que la manière dont ilsles appliquent sera soumise à l’examen dela Commission d’experts pour l’applica-tion des conventions et recommandations

ainsi qu’à celui de la Commission pourl’application des normes de la Conférenceinternationale du Travail. Ceux qui nel’ont pas encore fait tombent par contresous le coup de la Déclaration relative auxprincipes et droits fondamentaux au tra-vail et son suivi, adoptée en 1998, qui, pourne constituer qu’un instrument de typepromotionnel et non un mécanisme decontrôle formel, n’en impose pas moinsaux Etats n’ayant pas ratifié les instru-ments l’obligation politique et morale derespecter les quatre principes fondamen-taux de l’OIT parmi lesquels la liberté syn-dicale figure en bonne place.

Partout dans le monde

Face à cet ordre juridique et institutionnelcontraignant, l’observateur extérieur nepeut que s’étonner de l’écart considérable,voire du gouffre béant, qui existe entre lesprincipes de la communauté internatio-nale et la pratique des Etats. Les droits syn-dicaux sont bafoués pratiquement partoutdans le monde, ainsi que le présent articles’attachera à le démontrer. Et, si les autresprincipes couverts par la Déclarationsusmentionnée, à savoir l’interdiction du

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Etat des lieux des droits fondamentaux dans le monde

Les droits syndicaux à l’aube du millénaire:le tour du monde en 140 pays

Chaque année, plusieurs dizaines de syndicalistes sont assassinésdans le monde et le catalogue des mesures de répression ne cesse des’étendre. Un constat: entre les principes édictés par la communautéinternationale, entre autres par l’OIT, et la pratique, le gouffre estbéant. Les mécanismes de contrôle constituent souvent l’unique re-cours, même si bien des violations passent entre les mailles du filet.

Janek KuczkiewiczDirecteur adjoint

Département des droits syndicauxConfédération internationale des syndicats libres

travail forcé et de celui des enfants ainsique la non-discrimination (y compris surbase du sexe), sont amplement ignorésdans diverses parties du monde, la viola-tion des droits syndicaux semble avoir cecide particulier qu’elle existe sur tous lescontinents et que, dans la plupart des paysoù elle a lieu, elle procède des mêmes atti-tudes et réflexes au sein des gouverne-ments et des employeurs: méfiance oumême hostilité déclarée face aux syndi-cats, refus de reconnaître ou d’octroyer desdroits ou remise en cause de ceux qui ontété acquis, et sujétion absolue de toute né-gociation sociale aux impératifs suprêmesque sont la compétitivité et le profit.

Dans cette lutte inégale, certains sontencore plus inégaux que d’autres. Selondes estimations initiales, les chiffres qu’apubliés en octobre 2001 la Confédérationinternationale des syndicats libres (CISL)dans son Rapport annuel sur les violationsdes droits syndicaux le confirment sansappel 1. Ainsi, si les pays en développe-ment fournissent la quasi-totalité des vic-times physiques de la répression antisyn-dicale, un continent se taille la part du lionde cette désolation: sur l’ensemble dessyndicalistes tués dans le monde en l’an2000, plus de 88 pour cent vivaient enAmérique latine et, au sein de cette région,un pays aligne, à lui seul, 82 pour cent descas. Il s’agit de la Colombie où pas moinsde 153 syndicalistes (dirigeants, militantset membres de la base confondus) ont ététués l’an passé dans l’exercice de leur man-dat ou dans celui de leurs droits syndicauxélémentaires, sur un total de 186 morts enAmérique latine et d’environ 210 dans lemonde.

Atterrants à première vue, ces chiffressont pourtant trompeurs. Comparées defaçon «brute» aux chiffres correspondantspour l’année précédente (1999), les don-nées ci-dessus pourraient en effet fairecroire à une détérioration globale: de fait,le total des syndicalistes tués en 1999 sechiffrant à 140, les données pour l’an 2000indiquent une hausse de 50 pour cent, trèsexactement. Pourtant, si l’on fait abstrac-tion de la Colombie, ce ne sont «que» 24décès qu’il faut déplorer pour l’année 2000

dans le reste du monde, contre 50 en 1999.Ces 24 morts sont distribués comme suit:7 en Afrique (2 l’année précédente), 15 enAsie et Océanie (39 en 1999) et 2 en Europe(contre 9 l’année d’avant). Plus frappante,par contre, est la comparaison du nombrede pays où des syndicalistes ont été tuésces deux dernières années: 13 pays avaientété recensés en 1999. En 2000, leur nombreest passé à 19.

Un pays dangereux: la Colombie

Fait symptomatique de l’alourdissementdu climat sociopolitique en Amérique la-tine, sur 10 pays de cette région figurantdans le rapport de la CISL pour l’année2000, seuls 4 y figuraient déjà l’année pré-cédente: l’Argentine, le Brésil, la Colombieet le Guatemala. Six «nouveaux» pays fonttristement leur entrée: la Bolivie, le CostaRica, Haïti, le Mexique, le Paraguay et lePérou. D’autre part, la République domi-nicaine, l’Equateur et le Nicaragua, qui yfiguraient tous les trois pour l’année 1999,disparaissent de la liste pour l’année 2000.

C’est cependant en Colombie, depuislongtemps transformée en champ de tir àvue sur les syndicalistes, que se situe l’es-sentiel du problème. De 76 assassinats desyndicalistes en 1999, le nombre est passéà 153 en 2000, un accroissement de 100pour cent! Constat dramatique pour lessyndicalistes colombiens: leur pays, quidevance largement tous les autres entermes de plaintes déposées contre ungouvernement devant le Comité de la li-berté syndicale, est aussi, et de loin, celuioù il est le plus dangereux d’être déléguéou dirigeant syndical. Amer constat aussipour le mouvement syndical internationalqui, sans voir la situation s’améliorer à lasuite des pressions internationales, nepeut que constater, impuissant, l’alourdis-sement du bilan. Alors que, depuis troisans, le gouvernement colombien déploie –avec succès – des trésors de diplomatiepour échapper à l’investigation exhaustivepar une commission d’enquête réclaméeen 1998 par les délégués des travailleurs àla Conférence internationale du Travail,

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les nouveaux mécanismes mis en place parl’Organisation, à savoir la nominationd’un Représentant spécial du Directeurgénéral suivie, il y a quelques mois, del’établissement à Bogota d’un bureau per-manent de l’OIT chargé des questions deliberté syndicale, ne semblent pas avoir étéen mesure, jusqu’ici, de contribuer à ré-duire l’hécatombe, même s’ils permettentsans conteste de braquer le projecteur surune situation dramatique2.

Pour autant, la situation colombiennene peut occulter le fait que des syndicalistessont également assassinés dans plusieursautres pays latino-américains. Ainsi, on nepeut regarder sans inquiétude le retourdans les relations sociales au Guatemalades menaces de mort et des assassinats demilitants syndicaux, phénomènes qu’onavait espéré voir disparaître à jamais avecla fin de la «sale guerre», menée par l’ar-mée et le pouvoir politique (essentielle-ment contre les paysans indigènes, majo-ritaires au sein de la population), qui a faitdes dizaines de milliers de morts dans lesannées quatre-vingt. S’il ne fallait qu’uneseule illustration de cet état de fait, onpourrait citer le cas d’Osvaldo MonzónLima, secrétaire général du Syndicat destransporteurs de combustibles d’Escuintla.Congédié en 1998 après avoir formé un syn-dicat à la société de transport J.O. Gaitan,il avait aussi dénoncé publiquement lacorruption qui y faisait rage. En juin 2000,suite à son refus d’accepter des indemnitésde licenciement, un des membres de la fa-mille propriétaire de la société profère desmenaces de mort à son égard. Le 23 juin,Monzón Lima sera retrouvé mort, tuéd’une balle dans le dos, dans les bois situésle long de l’autoroute reliant Escuintla àGuatemala City. La veille, son camion avaitété trouvé vide, vitres baissées et moteur enmarche. Monzón Lima était âgé de 62 ans.

Si de nombreux syndicalistes sont as-sassinés en rapport direct avec un conflitsocial précis, le plus souvent dans leurpropre entreprise, d’autres sont tués aucours de la répression de grandes protesta-tions sociales, grèves, générales ou locales,ou manifestations d’envergure. Tel a été lecas l’an dernier au Pérou et en Bolivie.

Ailleurs, c’est la tentative d’organiserdes structures syndicales qui peut signifierl’assassinat de leurs protagonistes. EnHaïti, par exemple, Elison Merzilus, unmembre d’un syndicat affilié à la Centraleautonome des travailleurs haïtiens(CATH), a été enlevé chez lui, dans la com-mune de Gros-Morne, dans la soirée du 4septembre 2000, par une dizaine d’indivi-dus armés. Sa femme et ses trois enfantsont assisté, impuissants, à la scène. Deuxsemaines plus tard, le corps du syndica-liste sera retrouvé au fond d’un ravin. Ils’apprêtait, peu avant sa disparition, à for-mer une association de femmes au sein dela CATH.

Pour nombreux qu’ils y soient, les as-sassinats de syndicalistes ne sont cepen-dant pas l’apanage exclusif de l’Amériquelatine. En Afrique, la CISL a relevé pourl’année 2000 des assassinats de dirigeantsou de militants syndicaux au Nigéria, auSierra Leone et en République démocra-tique du Congo (RCD). Dans ce dernierpays, deux cas ont été signalés: celui de Lu-sala Los Bolonga, secrétaire général dusyndicat «Action» assassiné en octobre pardes hommes en uniforme; et celui d’OdetteKasal Mukaj, militante de la Confédérationdémocratique du travail (CDT) dans leKasaï oriental, portée disparue depuis no-vembre 2000. Sans aucunes nouvelles decette militante, qui était aussi présidente dela composante femmes de la CDT et ré-dactrice en chef adjointe de la publication«Flash-CDT», les observateurs considèrentque les services de sécurité pourraient êtreà l’origine de sa disparition.

«Meurtre social»

Enfin, alors que des membres ou diri-geants de syndicats meurent aussi pour lacause en Asie, où le Bangladesh et l’Indecomptent à eux seuls pas moins de 13 cassur les 15 recensés dans la région, force estde constater que le phénomène peut aussiexister dans les pays du Nord, y comprisen Europe. En 2000, un syndicaliste a ététué à Chypre et un autre en Roumanie oùVirgil Sahleanu, dirigeant du syndicat de

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l’usine de tubes d’acier Tepro, dans la villede Iasi, était assassiné en septembre. Com-pagnie à l’histoire trouble, Tepro avait étérevendue en 1998 à une compagnie tchèque,Zelezarni Veseli AS, qui avait promis d’yinvestir 4,9 millions de dollars et d’y main-tenir l’emploi, sans réaliser ni l’une nil’autre de ces promesses. L’ensemble de lacommunauté locale avait rapidement éta-bli un lien entre la situation de l’entrepriseet l’assassinat du dirigeant syndical. Ses1 500 collègues de travail avaient défilédans la ville pour dénoncer l’assassinatqu’ils avaient qualifié de «meurtre social».

Si l’on peut détailler des dizaines de cassimilaires de par le monde au cours de lapériode examinée dans le rapport de laCISL, on se trouve vite dépassé par l’am-pleur des problèmes dès qu’on aborded’autres types de violations que les at-teintes au droit à la vie stricto sensu. Ainsien va-t-il du nombre de syndicalistes bles-sés, roués de coups ou torturés, qui s’éta-blit à près de 3 000 dans 63 pays. Il en estde même pour celui des syndicalistes dé-tenus, arrêtés ou condamnés, qui se chiffreà plus de 8 000 dans 58 pays.

Menaces de mort

Le nombre de travailleurs licenciés abusi-vement pour cause d’organisation ou d’ac-tion syndicale suite, par exemple, à unconflit du travail, se situait, selon le rap-port, à près de 20 000, également dans 58pays. Quant aux menaces et harcèlement,ils ont fait plus de 100 000 victimes l’andernier, parmi lesquelles plus de 430 syn-dicalistes ayant reçu des menaces de mort.

Une fois encore, la région des Amé-riques se taille la part du lion dans cettedernière catégorie, puisque 77 pour centdes menaces de mort proférées sont enre-gistrées dans la seule Colombie et 57 cas(14 pour cent du total) sont rapportés enHaïti où des dizaines de militants, forma-teurs et dirigeants de mouvements ou-vriers sont obligés de prendre le maquispour échapper aux tentatives d’assassinat.Autres pays préoccupants de ce point devue dans la région: le Mexique, le Brésil et

le Guatemala, qui alignent respectivement8, 12 et 15 cas de menaces de mort.

Notons que ces menaces de mort peu-vent prendre des formes variées, des plusmystérieuses (appels anonymes) jus-qu’aux plus cyniques (envoi d’un faire-part de décès à la future victime), en pas-sant par les menaces physiques directes.

On aurait cependant tort de croire quede telles menaces et intimidations n’exis-tent qu’en Amérique latine. En Russie,dans la filiale moscovite de la multinatio-nale McDonald’s où les salaires ont baisséde moitié suite à la crise financière inter-nationale de 1998, Natalia Gratchova, sur-veillante et employée depuis dix ans, dé-cide, au début de l’année 2000, de créer unsyndicat. Rapidement, les relations avec ladirection se gâtent. Natalia est épiée et lesmenaces de licenciement pleuvent sur lesquelques courageux qui soutiennent soncombat. En juin, Natalia reçoit un coup defil anonyme: elle et sa fille sont menacéesde mort. Le syndicat sera finalement re-connu sous l’effet combiné de manifesta-tions locales, d’articles dans la presse (quimèneront in fine à une commission d’en-quête parlementaire) et de pressions syn-dicales internationales.

Licenciements abusifs

Moins spectaculaire, mais lourd de consé-quences pour les intéressés et pour leursfamilles, le licenciement pour cause d’ac-tivité syndicale ou pour faits de grève,pourtant interdit en vertu des principes etdes textes de l’OIT, constitue l’arme de pré-dilection de bien des employeurs et denombreux gouvernements de par lemonde, même s’il semble nettement moinsfréquent en Europe que dans d’autres ré-gions. Un peu plus de 3 000 licenciementsabusifs ont été dénombrés l’an passé enAfrique, 8 000 en Asie et 8 000 égalementdans les Amériques. Nous insistons sur«les» Amériques puisque, avec environ1 500 cas recensés, les Etats-Unis arriventen deuxième position dans la région (aprèsle Guatemala où près de 2 000 cas ont étésignalés).

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Selon une étude réalisée aux Etats-Unisen 1994, 79 pour cent des citoyens pensentqu’un travailleur sera licencié s’il tente defonder un syndicat dans son entreprise. Cesondage reflète une dure réalité marquéepar l’hostilité déclarée de nombreux em-ployeurs américains envers les syndicats.Rappelons que, aux Etats-Unis, la loi per-met aux employeurs de «profiter libre-ment du jeu des forces économiques». Enclair, cela signifie que, s’ils ne parviennentpas au résultat souhaité par le biais de lanégociation collective, ils peuvent impo-ser leurs conditions unilatéralement, li-cencier leurs employés et délocaliser laproduction ou encore la sous-traiter à uneautre personne morale. Citons ici le cas dela raffinerie de Crown Central Petroleumà Pasadena (Texas) où, tout au long de l’an-née 2000, 250 travailleurs n’ont pu accéderà leur travail. Bien que ce différend ait fi-nalement été résolu en 2001, l’on ne peutcependant qu’être consterné face à l’éten-due du problème: dans 30 pour cent descampagnes de syndicalisation, un tra-vailleur au moins est illégalement licencié.Quelque 25 000 dossiers de pratiques pa-tronales abusives sont actuellement ou-verts au Conseil national des relations pro-fessionnelles (National Labor RelationsBoard – NLRB) chargé d’enregistrer lesplaintes des syndicats. Sachant qu’il luifaut, en moyenne, 557 jours pour réglerune affaire, certaines mettront des annéesavant de trouver une solution. De plus, lesdécisions du NLRB ne sont pas toujourssuivies d’effets. Une étude, citée dans lerapport de la CISL, démontre que lorsqu’ilexiste une ordonnance de réintégrationdes travailleurs, seuls 40 pour cent retrou-vent réellement leur travail et 20 pour centd’entre eux seulement le conserverontplus de deux ans.

Un catalogue d’intimidations

Outre le licenciement pur et simple, lesemployeurs de par le monde, publicscomme privés, ont recours à une myriadede mesures d’intimidation ou de pressionpour s’opposer à l’action collective des

travailleurs. Diminutions de salaire, sus-pensions de primes, mutations arbitraires,rétrogradation: le catalogue des méthodesde harcèlement est on ne peut plus varié etsouvent riche en nouvelles trouvailles.Ainsi, à Dorohoi, en Roumanie, le directeurd’une petite fabrique de meubles, SC indor,forcé par voie judiciaire de réintégrer le dé-légué syndical, Laurentiu Cozma, injuste-ment licencié, l’a simplement changé d’af-fectation, le forçant à passer désormaistoutes ses journées dans le poulailler situédans la cour de l’entreprise, avec interdic-tion d’y exercer une quelconque tâche etune seule sortie de trente minutes autori-sée par jour, à l’heure du déjeuner…

Au total, le rapport annuel de la CISLrecense pour l’année 2000 plus de 112 000cas de harcèlement pour raison syndicale.Ce nombre inclut cependant une «char-rette» de près de 86 000 fonctionnairesturcs qui ont fait l’objet de poursuites ju-diciaires ou d’enquêtes administrativespour avoir participé à une grève que legouvernement avait décrétée illégale. Ilsprotestaient contre la limitation de touteaugmentation salariale à 10 pour cent, enaccord avec un sévère programme de lutteanti-inflation soutenu par le Fonds moné-taire international, alors que l’inflation dé-passait 44 pour cent en glissement annuel.

Les 26 000 cas de harcèlement restantssont répartis dans 67 pays, au nombre des-quels l’Australie, où l’on dénombre quel-que 200 cas, et le Canada.

Dans la législation

On notera enfin que la législation dans laplupart des pays du monde enfreint à desdegrés divers la liberté syndicale et le droitde négociation collective, qu’il s’agisse dela liberté d’association syndicale propre-ment dite (106 pays), du droit de négocia-tion collective (77), ou du droit de grève(114). Cinquante-neuf pays interdisent oulimitent le droit de grève sur base d’uneliste exagérée ou injustifiée de servicesessentiels.

Le propos de cet article n’étant pas defournir un inventaire exhaustif des cas de

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violation des droits syndicaux, mais plu-tôt un catalogue sommaire des types deproblèmes rencontrés dans la pratiquequotidienne, les exemples ci-dessus sontloin de fournir une image complète de lasituation. Devant l’accumulation deschiffres, il est cependant difficile d’éluderle constat que, en matière de droits syndi-caux, il y a loin de la doctrine à la pratique.Or ces faits, souvent de gravité extrême,restent largement inconnus de l’opinionpublique internationale et, partant, pèsentpeu auprès des gouvernements, notam-ment ceux des pays donateurs, commeauprès de la plupart des organisations in-ternationales telles les institutions finan-cières internationales et autres bailleurs defonds institutionnels ou d’autres organi-sations multilatérales, y compris l’Organi-sation mondiale du commerce.

Face à cet état de chose l’on pourraitregretter, par exemple, le fait qu’une in-fime fraction seulement des situations dé-crites dans le rapport annuel de la CISL ar-rive devant les mécanismes appropriés duBIT. A contrario cependant, on imaginesans peine le déluge de dossiers qui se dé-verserait tout d’un coup sur les instancesen question si on leur soumettait ne fût-cequ’un dixième des informations dispo-nibles: l’on voudrait paralyser les méca-nismes de contrôle du BIT que l’on ne s’yprendrait pas autrement.

En réalité, il y aurait plutôt lieu de seréjouir du fait que le nombre de dossiersdéjà instruits par le Comité de la libertésyndicale – plus de 2 000 – a fourni à tra-vers les années un vaste corpus de déci-sions souvent fort fouillées. Cette longuejurisprudence, d’ailleurs en constant dé-veloppement, offre à tous les pays dumonde la possibilité d’évaluer exactementleurs propres progrès dans l’applicationdes principes universels en matière dedroits syndicaux. Vue sous cet angle, la pu-

blication annuelle par la CISL des princi-paux problèmes identifiés dans le mondeenvoie à ces Etats un double message:d’une part, elle leur montre qu’ils ne sontpas seuls à être épinglés pour violation, ilsne peuvent dès lors pas s’ériger en vic-times désignées; d’autre part, elle leur in-dique tout le chemin qui reste à parcourir… tout en leur offrant l’assurance d’êtresoumis à la même analyse rigoureuse l’an-née suivante.

Notes

1 CISL: Rapport annuel des violations des droits syn-dicaux dans le monde, Bruxelles, 2001.

2 En juin 1998, les délégués des travailleurs à la86e session de la Conférence internationale du Tra-vail ont déposé une plainte contre le gouvernementcolombien sur base de l’article 26 de la Constitutionde l’OIT, demandant la mise sur pied d’une Com-mission d’enquête concernant le non-respect par laColombie de la convention (no 87) sur la liberté syn-dicale et la protection du droit syndical, 1948, et dela convention (no 98) sur le droit d’organisation et denégociation collective, 1949. En juin 2000, à l’issue del’examen du rapport d’une mission de contacts di-rects qui s’est rendue en Colombie du 7 au 16 février2000, le Conseil d’administration du Bureau interna-tional du Travail (BIT) a demandé au Directeur gé-néral de désigner un Représentant spécial pour la co-opération avec la Colombie chargé de seconder et devérifier les mesures prises par le gouvernement et lesorganisations d’employeurs et de travailleurs en vuede donner effet aux recommandations de l’OIT rela-tives aux actes de violence répétés dont ont été vic-times des syndicalistes au cours des dix dernières an-nées. Suite au rapport du Représentant spécial, leConseil d’administration a décidé, en juin 2001, demettre en place un programme spécial de coopéra-tion technique visant à promouvoir les droits syndi-caux, à rendre la législation conforme aux normes in-ternationales du travail et à renforcer le dialoguesocial. L’objectif de ce programme est de créer un en-vironnement dans lequel la liberté syndicale et la sé-curité des syndicalistes et des employeurs seraientgaranties. Cette décision se fonde sur une proposi-tion du groupe des travailleurs qui a rappelé à l’oc-casion que la demande de commission d’enquête res-tait en suspens et pourrait être relancée au cas oùaucun progrès ne serait enregistré.

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La restructuration du capital mondialqui s’est poursuivie au cours des deux

dernières décennies a conduit à l’émer-gence d’un marché global et a changé lanature des processus de production. Lesprogrammes d’ajustement structurel ins-pirés par le Fonds monétaire internationalet la Banque mondiale et les politiques del’Organisation mondiale du commerce(OMC) ont conduit à l’ouverture des éco-nomies nationales, à la libéralisation desrégimes d’échanges commerciaux et d’in-vestissements, à l’internationalisation desmarchés financiers et à l’émergence d’en-treprises transnationales en tant que prin-cipales forces motrices de la mondialisa-tion. Pour ces dernières, la production neconnaît plus de frontières. Elle se déve-loppe à une échelle globale où le capitaltransnational est organisé en une succes-sion de réseaux de production à la foismondiaux et décentralisés impliquant deschaînes complexes de relations avec lesfournisseurs et les consommateurs. Faceau déclin ou, au mieux, à la stagnation desbudgets d’aide au développement, lesgouvernements se sont tournés vers les in-vestissements étrangers directs dans leursstratégies de développement. C’est dansce contexte qu’on a assisté à la croissance

phénoménale des zones franches d’expor-tation (ZFE) qui constituent aujourd’huil’une des expressions les plus manifestesde la mondialisation.

Les zones franches d’exportation sontdes espaces industriels délimités ou desusines qui ont été établis pour attirer lesinvestisseurs étrangers à coups d’avan-tages et de privilèges. Même si elles se sontparticulièrement développées dans la fou-lée de la mondialisation, l’établissementdes premières zones remonte à 1959,comme le montre l’exemple de Shannonen Irlande. Dès les années soixante-dix,plusieurs modèles de zones franches com-mencent à émerger. Avec la mondialisa-tion, elles proliféreront à un rythme phé-noménal.

Une étude récente de l’OIT estime qu’ily a, dans le monde, quelque 850 zonesfranches employant 27 millions de per-sonnes, la majorité de cette main-d’œuvreétant constituée de jeunes femmes1. C’esten Amérique du Nord, où l’on en recense350, qu’elles sont le plus nombreuses.Viennent ensuite l’Asie avec 225 zones,l’Amérique du Sud, l’Amérique centrale etla région des Caraïbes qui en totalisent 133,l’Europe avec 81 et l’Afrique avec 47 zonesfranches. Pour les gouvernements, l’inté-

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Les normes fondamentales du travaildans les zones franches d’exportation

Les zones franches d’exportation (ZFE) prolifèrent à mesure que pro-gresse la libéralisation du commerce. Présentées comme un moyend’attirer vers les pays en développement l’investissement étrangerdont ils ont besoin, elles sont aussi devenues une illustration des ef-fets pervers de la mondialisation sur les droits des travailleurs ettravailleuses. Pourtant, le respect de ces droits pourrait contribuerà transformer les ZFE en pôles dynamiques de développement etd’investissement à long terme. Il reste qu’à ce jour ces zones sedistinguent surtout par les violations qui y sont perpétrées.

Claude Kwaku AkpokavieDirecteur

Droits humains et normes internationales du travailConfédération mondiale du travail

rêt de disposer d’une ou plusieurs zonesfranches réside dans leur capacité d’attirervers le pays des investissements étrangersdirects susceptibles de résoudre touteune série de questions comme la créationd’emplois, le transfert de technologies etde compétences ainsi que la création deliens en amont et en aval dans l’économieafin de doper la croissance, d’accroître etde diversifier les exportations et de stimu-ler l’activité dans les régions défavorisées.

Dès qu’elles sont établies, les zones dé-marchent les investisseurs potentiels enleur offrant toute une série de privilèges etd’avantages. Ce qui n’empêchera pas lesentreprises multinationales d’exercer unepression sur les gouvernements pour ob-tenir davantage de concessions. Au-delàde l’accès à une main-d’œuvre abondanteet bon marché, les investisseurs vont ainsiobtenir de nombreuses facilités: mise à dis-position d’infrastructures, avantages fis-caux divers (exemption de taxes et dedroits de douane, possibilité de rapatrie-ment des capitaux, etc.) ou encore traite-ments préférentiels en matière de lois so-ciales. Résultat, à mesure que les zonesfranches prolifèrent, les gouvernements selivrent entre eux une concurrence accruemultipliant les cadeaux aux investisseurs.A côté des incitations financières sontvenus s’ajouter des régimes sociaux et desnormes moins contraignants, plaçant defacto les systèmes nationaux de protectionsociale en concurrence, et une attentionmoindre pour le respect des normes inter-nationales du travail. Ainsi de nombreuxgouvernements se sont-ils employés àvanter dans des campagnes publicitairesles avantages comparatifs octroyés dansleurs zones franches, n’hésitant pas, pourcertains, à mettre en valeur la docilité deleur main-d’œuvre, la faiblesse des rému-nérations, l’absence de syndicats ou lesdispenses en matière de relations profes-sionnelles.

La prolifération des zones franchesd’exportation est en fait le résultat des stra-tégies de croissance basée sur les exporta-tions et l’investissement prônées par lesinstitutions de Bretton Woods depuis lesannées quatre-vingt et dans lesquelles ces

zones sont considérées comme moyend’attirer l’investissement et de promou-voir dans la foulée la croissance et le dé-veloppement. Hélas, l’expérience a mon-tré qu’il n’existe pas nécessairement derelation automatique entre les deux termesde l’équation. La stratégie des zonesfranches d’exportation a dès lors provo-qué moult débats. Leur apport à l’emploiet à l’investissement intérieur contribue-t-il effectivement au développement géné-ral? Des critiques à propos des conditionsde travail et des relations professionnellesdans les zones sont également venues ali-menter ce débat. Car, s’il est admis que leszones franches ont contribué à la créationd’emplois, de nombreuses questions seposent quant à la qualité de ceux-ci, quantaux conditions imposées aux travailleurset travailleuses et quant à la viabilité et àla rentabilité des zones en général. Dans ledomaine des rémunérations, il existe unfossé entre le salaire perçu et un salaire suf-fisant. En ce qui concerne la législation dutravail, les critiques sont encore plusacerbes du fait que les zones franchesd’exportation soit sont exclues du champd’application de la législation nationale,soit n’en respectent pas, dans la pratique,les dispositions. A cet égard, de nom-breuses lacunes ont été constatées dansl’inspection du travail. Dans certains pays,les inspecteurs ne sont même pas autori-sés à pénétrer dans les zones. Les disposi-tions en matière de santé et sécurité au tra-vail font également l’objet de légitimespréoccupations.

L’application des normesfondamentales dans les zones

C’est dans ce contexte, et face aux difficul-tés rencontrées par les syndicats pour or-ganiser les travailleurs des zones franches,que la Confédération mondiale du travail(CMT) a lancé une étude préliminaire surle respect des normes clés de l’OIT dansles zones franches de six pays 2. Le but decette étude était d’identifier les domainesd’infraction aux normes internationalesdu travail ainsi que d’examiner les moyens

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utilisés par les syndicats pour organiser lestravailleurs dans les zones franches. Leszones franches d’Indonésie, du Sri Lanka,du Sénégal, de Madagascar, du Mexiqueet du Honduras ont ainsi été passées aucrible. Parmi ces pays, le Sénégal et l’In-donésie ont ratifié toutes les normes fon-damentales de l’OIT, celles portant sur laliberté syndicale (conventions nos 87 et 98),la non-discrimination (conventions nos 100et 111), l’interdiction du travail forcé(conventions nos 29 et 105) et l’abolition dutravail des enfants (conventions nos 138 et182). Le Honduras et le Sri Lanka en ontratifié sept sur huit. Manquent, pour leHonduras, la convention no 182 et, pour leSri Lanka, la convention no 105. Madagas-car et le Mexique ont ratifié six instrumentssur les huit. Manquent pour Madagascarles conventions nos 105 et 182, et pour leMexique les conventions nos 98 et 138.

Les types de zones franches couvertespar l’étude varient d’un pays à l’autre,mais les conditions de travail et les formesde production y sont très semblables.Après la Chine et les Philippines, l’Indo-nésie est le troisième pays d’Asie ennombre de zones franches. Ce pays jouitd’une longue relation avec le capital inter-national. Ses zones franches couvrent dessecteurs aussi différents que ceux du tex-tile ou des composants électroniques. Leszones franches du Sri Lanka ont surtoutattiré l’investissement dans le secteur dela confection qui est devenu, après lestransferts d’argent de la diaspora sri-lan-kaise, la deuxième source de devises étran-gères dans le pays. Les zones franches duMexique (également connues sous lesnoms de maquiladoras ou maquilas) sont es-sentiellement situées en bordure de lafrontière avec les Etats-Unis. Elles ontconnu un essor considérable avec la si-gnature du Traité de l’Alena (Accord delibre-échange nord-américain) au pointqu’entre 1995 et 2000 on estimait que plusde 1 600 entreprises occupant au total600 000 travailleurs étaient établies dansles maquiladoras. L’habillement, l’ameuble-ment, l’électronique et l’automobile y sontles secteurs les plus représentés. Au Hon-duras, les maquiladoras se sont établies dès

1970. A la fin de l’année 2000, elles em-ployaient quelque 100 000 travailleurs. AMadagascar, les zones franches ont sur-tout attiré des investisseurs français etmauriciens qui représentent un tiers desentreprises établies dans les zones dupays. L’activité tourne essentiellement au-tour des industries du textile, de l’habille-ment et de la chaussure. Créée en 1974, lazone industrielle de libre-échange au Sé-négal s’est relativement peu développée,mais elle est parvenue à attirer l’investis-sement dans un grand nombre d’activités.

La liberté syndicale dans les zones

L’étude de ces différents pays confirmeque les violations des droits syndicaux re-connus dans les normes internationales del’OIT constituent l’un des deux problèmesmajeurs des zones franches dans lemonde. Jusqu’à tout récemment, le SriLanka était le seul parmi les six pays àn’avoir pas accordé aux zones franches lesbénéfices de la liberté syndicale reconnuepar ailleurs dans ce pays. Tous les autrespays avaient élargi ce droit aux zonesfranches, même si l’application effectivedes dispositions des conventions nos 87 et98 y restait faible. Lors de la création deszones franches au Sri Lanka, les syndicatsy étaient interdits. En 1994, un «conseild’employés» a été mis sur pied, mais onne peut pas dire qu’il défendait véritable-ment les intérêts des travailleurs. Il a falluattendre le 23 janvier 2000, après de nom-breuses campagnes syndicales, pour quela loi soit enfin modifiée et que soient re-connues les organisations syndicales dansles zones franches.

Il reste que, malgré la reconnaissancedes organisations syndicales dans leszones franches des pays examinés parl’étude, le problème de l’application effec-tive des conventions demeure. Discrimi-nation antisyndicale, intimidation des tra-vailleurs, actes d’ingérence, restrictions audroit d’organisation ou de grève et répres-sion des activités syndicales: l’étude a misen évidence de nombreuses violations desdroits syndicaux.

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Au Sri Lanka, par exemple, les tra-vailleurs accusés par leurs patrons d’êtredes «fauteurs de troubles» lorsqu’ils exer-cent leur droit d’organisation se voient in-terdire l’accès à la zone par le Conseil del’investissement qui l’administre. Unefaçon pour les patrons de se débarrasserdes syndicalistes sans être tenus respon-sables de leurs licenciements. Au Hondu-ras, les entreprises s’échangent des listesnoires comportant le nom des travailleursimpliqués dans des activités syndicales detelle sorte qu’une fois mis à pied ils n’au-ront aucune chance de trouver un autreemploi dans les maquiladoras. En Indoné-sie, il est fait régulièrement appel auxforces de sécurité pour réprimer des acti-vités syndicales pourtant légitimes. Danstous les pays examinés, les syndicatsconnaissent de grandes difficultés pour or-ganiser les travailleurs des zones franches.La première cause de ces problèmes résidedans les efforts délibérés des employeurspour saper les syndicats ou, à tout lemoins, pour décourager toute velléitésyndicale chez les travailleurs des zones,et ce avec, parfois, la bénédiction du gou-vernement. Intimidation, menaces demort, attaques verbales, chantage à l’em-ploi, et déploiement des forces de sécuritéconstituent l’arsenal des mesures utiliséespar les employeurs. Par ailleurs, le choixdu personnel à l’embauche, la nature dutravail et le climat antisyndical dominantsont autant d’obstacles au recrutementsyndical. Auxquels s’ajoutent la précaritéde l’emploi, la crainte de représailles, untaux élevé de rotation du personnel et unmanque de connaissance des droits fon-damentaux. A Madagascar, par exemple,les travailleurs n’ont droit qu’à un seuljour de repos hebdomadaire, le dimanche.Au Sénégal, la plupart des emplois dansles zones sont occupés par des travailleurstemporaires, ce qui rend leur syndicalisa-tion difficile. Enfin, une série d’autres fac-teurs, comme la stratégie des syndicats etleur approche des politiques de genre, ex-pliquent également les difficultés.

Un des faits intéressants relevés parl’étude est que l’interdiction des syndicatsne garantit pas la paix sociale. Malgré l’in-

terdiction initiale des syndicats dans leszones franches du Sri Lanka en 1997, cesdernières ont connu cette année-là pasmoins de 198 arrêts de travail. De même,à Madagascar, la politique de non-syndi-calisation adoptée par le gouvernementau début de l’établissement des zonesfranches n’a pas empêché les grèves spon-tanées. C’est cela qui a d’ailleurs poussé legouvernement à changer de cap et à ac-cepter les syndicats, même s’il ne les en-courage pas nécessairement. Une autrestratégie constatée au Honduras, auMexique et à Madagascar est la mise surpied de syndicats maison. Des efforts si-milaires ont été recensés dans toute l’Amé-rique centrale avec la création d’associa-tions solidaristes (NDLR: Les associationssolidaristes sont encouragées par les em-ployeurs dans certains pays d’Amériquelatine qui cherchent à les substituer aux or-ganisations syndicales légitimes. La pra-tique a été condamnée maintes fois par lesorganisations syndicales internationales).

Même s’il existe des différences entreles zones franches dans les divers pays entermes de conditions de travail et de res-pect des droits des travailleurs, on se doitde conclure que les violations des droitssyndicaux y sont persistantes.

La discriminationdans les zones franches

Si l’on en juge par l’étude effectuée, il estclair que la discrimination basée sur le sexeconstitue, avec les violations des droitssyndicaux, l’une des plus graves atteintesaux droits des travailleuses des zonesfranches. Les femmes souffrent de discri-mination en raison de leur sexe et de leursefforts d’organisation. Il convient de rap-peler que la main-d’œuvre dans les zonesest essentiellement féminine. Et, mis à partle Sénégal, il existait dans tous les paysexaminés une politique délibérée de re-crutement de jeunes femmes, de préfé-rence célibataires et sans enfants. Consi-dérées comme étant dociles, méticuleuses,rapides, disciplinées et disposées à tra-vailler dans des industries à haute inten-

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sité de main-d’œuvre et à s’adapter auxtâches monotones et répétitives, elles se-raient aussi moins susceptibles d’adhérerà un syndicat. De plus, le fait qu’ellessoient moins qualifiées, qu’elles aient faitmoins d’études ou viennent de villagespermet d’espérer des marges bénéficiairesbien plus élevées. Les zones ont dès lorscontribué à la féminisation de la main-d’œuvre, mais en confinant les femmesdans des emplois stéréotypés.

Pour les travailleuses, la discriminationcommence souvent à l’embauche. AuMexique et au Honduras, par exemple,elles doivent se soumettre à des tests degrossesse. Par ailleurs, les droits à la ma-ternité des travailleuses des zones sontsystématiquement violés. Les femmes en-ceintes peu après leur embauche sont sou-vent forcées à démissionner du fait de leurgrossesse et leur droit légal à la maternitén’est pas respecté. Le harcèlement sexuelest un problème endémique dans les zonesfranches de tous les pays examinés. En cequi concerne la classification des tâches,les travailleuses se retrouvent systémati-quement dans les emplois les moins qua-lifiés et à forte intensité de main-d’œuvrealors que leurs collègues masculins occu-pent les emplois qualifiés et à haute inten-sité en capital. Les employeurs sont géné-ralement peu enclins à investir dans laformation des travailleuses, privant cesdernières des possibilités de décrocher unmeilleur emploi. Au niveau des salaires,les travailleuses en Indonésie et au Hon-duras gagnent généralement moins queles hommes pour des travaux identiques,et cela semble être le cas dans tous les payssi l’on compare les salaires des femmes etdes hommes pour un travail de valeurégale. Dans tous les cas, étant systémati-quement reléguées dans les emplois lesmoins qualifiés, les femmes sont moinspayées que les hommes.

L’absence de crèches, les déplacementsde nuit, le logement et les dispositions deprotection sociale figurent parmi la sériede problèmes évoqués dans l’étude et af-fectant spécifiquement les femmes.

Le travail forcédans les zones franches

Si l’on ne rencontre pas de formes évi-dentes de travail forcé dans les zonesfranches, celui-ci se manifeste parfois demanière plus subtile. Des ouvriers et ou-vrières sont obligés de travailler sous lamenace de sanction ou de licenciement ettrès souvent sans compensation. Généra-lement, les cadences de production sontexagérément élevées, les journées de tra-vail sont longues avec des dispositionsstrictes quant à la ponctualité et à la pré-sence ou même à l’usage des toilettes. Toutcela sous l’œil vigilant de superviseurs quin’hésitent pas à brimer les travailleurscoupables d’erreurs et à leur infliger dessanctions parfois très sévères. A cet égard,la situation dans les entreprises coréennesest particulièrement affligeante. Les tra-vailleurs et travailleuses y sont soumis àla férule d’employeurs particulièrementautoritaires dont l’attitude confine à lacoercition. En Indonésie et au Honduras,l’étude constate que les travailleurs sontobligés de prester, le plus souvent sanscompensation, des heures supplémen-taires. Au Sri Lanka, les heures supplé-mentaires sont obligatoires et les tra-vailleurs ont souvent des difficultés pourobtenir des congés. Les problèmes de non-paiement d’heures supplémentaires, derefus de congés payés ou de temps librepour raisons familiales sont également ré-currents. Ce type de travail forcé a égale-ment été constaté dans d’autres pays noncouverts par l’étude.

Le travail des enfantsdans les zones

Sur base de l’étude, le travail des enfantsa été constaté dans les zones franches d’In-donésie et du Honduras. Cela dit, la pré-valence du travail des enfants dans leszones franches de ces pays n’atteint pas lesniveaux enregistrés par ailleurs dans l’ac-tivité économique. Il est évident que lapropension des employeurs à recruter desjeunes femmes s’est aussi traduite par

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l’emploi, de manière plus discrète, dejeunes filles. Le plus grand problème ré-side cependant dans la nature des relationscomplexes de production entre les zonesfranches et le monde extérieur. Ainsi, iln’est pas rare de constater le recours à unemain-d’œuvre enfantine en cas de travailà domicile effectué pour le compte d’unezone ou en cas de sous-traitance d’une par-tie de la production à l’extérieur des zonesfranches. Le travail des enfants a égale-ment été constaté dans des zones franchesde pays non couverts par l’étude, mais ilfaut souligner que les niveaux de préva-lence ne peuvent être comparés au recoursmassif à la main-d’œuvre enfantine dansdes secteurs comme l’agriculture ou dansl’économie informelle.

Conclusions

L’étude de la CMT sur un échantillon depays confirme, en dépit d’une légère amé-lioration dans certains pays, que l’applica-tion effective, en droit et en pratique, desnormes fondamentales du travail laissefortement à désirer dans les zonesfranches. De plus, les emplois créés dansces zones ne rencontrent pas les critèresétablis par l’OIT en matière de travail dé-cent. Les violations des droits syndicauxet des droits à l’égalité de traitement sontles plus fréquentes. Mais il faut aussi sou-ligner que d’autres normes du travail,telles que les conventions de l’OIT sur lasécurité et la santé au travail, l’inspectiondu travail, la politique de l’emploi, ou celleconcernant les travailleurs ayant des res-ponsabilités familiales, sont régulièrementenfreintes dans ces zones.

A cet égard, pour devenir des instru-ments dynamiques dans la promotion dudéveloppement humain et de l’investisse-ment durable et de long terme, les zonesdevraient abandonner les méthodes deconcurrence qui sapent les droits fonda-mentaux des travailleurs et travailleuses.

Tenant compte du fait que «la non-adoption par une nation quelconque d’unrégime de travail réellement humain faitobstacle aux efforts des autres nations dé-sireuses d’améliorer le sort des travailleursdans leurs propres pays»3, cela exige uneffort global. L’application effective denormes de travail universelles doit servirde règle de base pour l’économie mon-diale. Elle devra aussi assurer la dignitéhumaine au travail et constituer un en-couragement à promouvoir à la fois la pro-ductivité et le travail décent dans les zonesfranches.

Dans cette perspective, la Déclarationrelative aux principes et droits fondamen-taux au travail constitue un cadre opéra-tionnel tangible permettant de concilier lesdemandes d’investissements étrangers di-rects et celles en faveur de la promotion dutravail décent pour tous.

Notes

1 BIT: Questions relatives au travail et questions so-ciales dans les zones franches d’exportation, documentde travail préparé pour une réunion tripartite inter-nationale des pays dotés de zones qui s’est tenue du28 septembre au 2 octobre 1998 à Genève.

2 CMT: Les zones franches d’exportation et les normesinternationales du travail, études de cas (Sénégal, Ma-dagascar, Mexique, Honduras, Sri Lanka, Indonésie),Bruxelles, 2000.

3 Constitution de l’OIT.

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Une commission d’enquête de l’OITfaisait remarquer récemment «qu’il

existe aujourd’hui en droit internationalune norme qui interdit de manière impé-rative tout recours au travail forcé, le droitde ne pas être astreint à accomplir un tra-vail ou service comptant parmi les droitsfondamentaux de la personne humaine1».Ce droit est protégé dans deux des conven-tions de l’OIT les plus largement ratifiées:la convention (no 29) sur le travail forcé,1930, et la convention (no 105) sur l’aboli-tion du travail forcé, 1957. La première aété ratifiée par 158 pays Membres de l’OIT,et la deuxième par 156. Depuis 1998, tousles Membres de l’OIT sont également tenusde promouvoir les principes édictés dansces conventions, qu’ils les aient ratifiées ounon, en vertu de la Déclaration sur les prin-cipes et les droits fondamentaux au travail.

Qu’est-ce que le «travail forcéou obligatoire»?

Les conventions de l’OIT définissent letravail forcé ou obligatoire en termes gé-néraux. Ainsi, il s’agit de «tout travail ou

service exigé d’un individu sous la menaced’une peine quelconque et pour lequelledit individu ne s’est pas offert de pleingré 2». Deux éléments seulement font qu’untravail peut être qualifié de forcé: si la per-sonne qui accomplit le travail l’a choisi li-brement ou non, et si elle s’expose, ou non,à des sanctions en cas de refus. Il peut no-tamment s’agir de sanctions pénales, maiscela ne doit pas nécessairement être le cas.Toute perte de droits ou de privilèges im-posée en guise de punition en cas de refusd’accomplir un travail, qu’elle soit impo-sée par des instances administratives oujudiciaires, constitue une sanction au titrede cette définition3. Il convient en outre deremarquer que le paiement en échange dutravail ne rentre absolument pas en lignede compte pour déterminer s’il s’agit, ounon, d’un travail forcé ou obligatoire. End’autres termes, le simple fait qu’une per-sonne soit rémunérée pour le travailqu’elle accomplit ne signifie pas qu’elle l’afait de manière volontaire ni en dehors detoute menace de pénalité ou de sanction.Le paiement pour un travail ne signifiepas que ce dernier n’est pas forcé ou obli-gatoire.

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Quand privatisation rime avec exploitation:le travail pénitentiaire dansles entreprises privatisées

En règle générale, les instruments de l’OIT interdisent le recours autravail forcé ou obligatoire, et ceux dont nous traitons ici sont égale-ment ceux qui sont le plus largement ratifiés. Pourtant, le travail forcéet obligatoire reste une réalité dans le monde actuel et, dans certainscas, gagne même du terrain. Cet article propose une brève descriptiondes interdictions pesant sur le travail forcé ainsi que les schémas danslesquels ce dernier s’inscrit de nos jours dans le monde, avant de seconcentrer sur une forme moderne du travail forcé particulièrementtroublante: le travail des prisonniers au profit du secteur privé.

Colin FenwickCentre pour le droit de l’emploiet des relations professionnelles

Université de Melbourne (Australie)

Le travail forcé ou obligatoireest-il permis?

Les conventions nos 29 et 105 puisent leurorigine dans les efforts de la communautéinternationale en vue d’éradiquer la traitedes esclaves. Il ne faisait aucun doute dansl’esprit des rédacteurs de ces deux conven-tions que le travail forcé ou obligatoirepouvait très vite se dégrader au pointd’être assimilable à de l’esclavage. Enconséquence, les conventions nos 29 et 105interdisent formellement le recours au tra-vail forcé ou obligatoire dans presque tousles cas.

D’une manière générale, le travail forcéou obligatoire est complètement interdit. LesEtats parties à la convention no 29 sonttenus de supprimer toutes les formes detravail forcé ou obligatoire «dans les plusbrefs délais possibles» 4. Non seulement lesEtats doivent-ils s’abstenir d’avoir recoursau travail forcé ou obligatoire eux-mêmes,mais encore sont-ils obligés de punircomme il se doit quiconque impose un tra-vail forcé ou obligatoire illégal à une autrepersonne 5. Les Etats parties à la conven-tion no 105 s’engagent à supprimer le tra-vail forcé ou obligatoire et à ne pas y re-courir aux fins suivantes:� en tant que sanction ou que moyen

d’éducation politique à l’égard des per-sonnes qui ont certaines opinions poli-tiques;

� à des fins de développement écono-mique;

� en tant que mesure disciplinaire;� en tant que punition pour avoir parti-

cipé à des grèves; ou� en tant que mesure de discrimination

raciale, sociale, nationale ou religieuse.

Toutefois, certains types de travail forcé ouobligatoire sont exemptés de l’interdictiongénérale figurant à l’article 1 de la conven-tion no 29, à savoir:� tout travail ou service exigé en vertu

des lois sur le service militaire obliga-toire et affecté à des travaux d’un ca-ractère purement militaire;

� tout travail qui rentre dans le cadre des«obligations civiques normales» d’uncitoyen, par exemple en tant que juré;

� tout travail accompli par des prison-niers, à la condition que ce travail soitexécuté sous la surveillance et lecontrôle des autorités publiques et queledit individu ne soit pas «concédé oumis à la disposition de particuliers, com-pagnies ou personnes morales privées»;

� tout travail exigé en cas de force ma-jeure nationale; et

� les menus services communaux, dontla communauté tire elle-même directe-ment profit.

Il importe de remarquer que ces types detravaux ne sont pas exclus du concept de tra-vail forcé ou obligatoire. Au contraire: il s’agitbien de formes de travail forcé ou obliga-toire. Toutefois, les Etats sont autorisés,pour des raisons de politique, à recourir àces catégories de travail forcé, sous réservede conditions strictes 6.

Le travail forcé ou obligatoire existe-t-ilaujourd’hui de par le monde?

Malheureusement, la réponse à cette ques-tion est sans conteste «oui». En juin 2001,le Directeur général a présenté à la Confé-rence internationale du Travail son rap-port intitulé Halte au travail forcé, ledeuxième rapport global découlant dusuivi de la Déclaration de 1998 relative auxprincipes et droits fondamentaux au tra-vail 7. Le Directeur général y relève que, endépit d’une condamnation universelle dela pratique du travail forcé, «l’éliminationde ses nombreuses formes … demeure l’undes défis les plus complexes que doiventrelever les communautés locales, les gou-vernements nationaux, et les organisa-tions patronales et syndicales, ainsi que lacommunauté internationale».

Halte au travail forcé présente une vued’ensemble des pratiques de travail forcéou obligatoire mises en œuvre à l’heure ac-tuelle de par le monde. Dans certains cas,le travail forcé s’inscrit dans la foulée de

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formes plus anciennes, voire antiques,comme l’esclavage pur et simple. Dansd’autres, il prend une nouvelle forme, plusmoderne, et va de pair avec les événe-ments internationaux les plus récents, àl’instar du développement que connaît latraite des personnes. Cependant, danstous les cas, le travail forcé présente deuxcaractéristiques communes: «l’exercice dela coercition et le rejet de la liberté».

Selon le rapport du Directeur généraldu BIT, le travail forcé relève désormaisdes grandes catégories suivantes et se ren-contre dans les pays et régions suivants:

� L’esclavage et les enlèvements consti-tuent toujours des problèmes dans cer-taines régions d’Afrique, notammenten Mauritanie, au Libéria et au Soudan.

� La participation obligatoire à des tra-vaux publics est présente dans certainspays asiatiques, et plus particulière-ment au Myanmar (Birmanie), au Cam-bodge et au Viet Nam. Dans certainspays africains (République centrafri-caine, Sierra Leone, Kenya, Répu-blique-Unie de Tanzanie et Swaziland),la législation nationale prévoit toujourscertains types de cultures obligatoires.

� Le travail forcé dans l’agriculture et leszones rurales isolées, y compris les sys-tèmes coercitifs de recrutement, posentdes problèmes dans bien des régions dumonde. Il semblerait que les enfantssoient particulièrement touchés et for-cés de travailler dans des plantationsdans des pays d’Afrique de l’Ouest,dont le Bénin, le Togo et la Côte d’Ivoire,où certains d’entre eux seraient origi-naires du Mali et du Burkina Faso. Ilexiste des endroits au Guatemala, auMexique et au Pérou où la main-d’œuvren’est pratiquement pas payée et ces pra-tiques s’accompagnent d’obligations deservices. La République dominicaine etle Brésil luttent également pour éradi-quer cette forme de travail forcé.

� Les employés de maison en travailforcé se rencontrent en Haïti (le sys-tème restavek) et au Bénin; là encore, lesenfants sont particulièrement touchés.

� La servitude pour dettes reste un pro-blème en Asie méridionale, malgré lesefforts déployés par les gouvernements.

� Le travail forcé imposé par les militairesa été (et continuerait d’être) un pro-blème particulier au Myanmar (Birma-nie). L’imposition généralisée du travailforcé à des centaines de milliers de ci-vils au Myanmar (Birmanie), pour desraisons tant militaires que de dévelop-pement, a amené l’OIT à mettre sur pieden 1996 une commission d’enquête autitre de l’article 26 de sa Constitution.Dans son rapport, celle-ci concluait quele gouvernement du Myanmar (Birma-nie) était responsable de l’impositiongénéralisée du travail forcé, et en appe-lait à celui-ci pour qu’il mette immé-diatement un terme à cette pratique (etamende les lois en vigueur qui l’autori-saient). Le refus du gouvernement duMyanmar (Birmanie) d’apporter uneréponse positive aux recommandationsde la commission d’enquête de l’OIT adécidé la Conférence de l’OIT, en 1999,à entreprendre une action au titre del’article 33 de sa Constitution, pour lapremière fois dans l’histoire de l’Orga-nisation. La Conférence a demandé àtous les membres de la communauté in-ternationale de revoir leurs relationsavec le Myanmar (Birmanie) à la lu-mière des pratiques incessantes de tra-vail forcé qui y prévalent.

� Le travail forcé et la traite des êtres hu-mains. Dans un contexte de mondiali-sation accrue, on a assisté ces dernièresannées à un développement considé-rable de la traite d’êtres humains. Dansbien des cas, les personnes qui fontl’objet de cette traite achèvent leurvoyage dans une situation de travailforcé. Traditionnellement, la traite desfemmes est liée à la prostitution, le plussouvent dans certaines régions d’Asiedu Sud-Est, mais également en Europeet dans les Amériques. Néanmoins, cen’est pas toujours le travail dans l’in-dustrie du sexe qui les attend: certainespersonnes sont victimes d’une traited’êtres humains pour travailler dans

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l’agriculture (par exemple, en Répu-blique dominicaine ou dans certainesrégions d’Afrique de l’Ouest). La traited’êtres humains et l’exploitation de sesvictimes, y compris au moyen d’un tra-vail forcé contre leur volonté, touchenttoutes les régions de la planète.

� Aspects du travail pénitentiaire. La pri-vatisation accrue des activités carcé-rales dans de nombreux pays pose degraves problèmes au niveau du respectde la convention no 29. Cette questionest abordée plus en détail dans la sec-tion suivante.

Le recours au travail pénitentiaire pourobtenir des bénéfices privés 8

Depuis le milieu des années quatre-vingt,en particulier, on assiste à une tendancemondiale à la privatisation des infrastruc-tures pénitentiaires, dans le cadre decontrats avec les gouvernements. A la finde l’an 2000, 182 institutions étaient géréespar des sociétés privées de par le monde,avec une capacité d’accueil totale de141 613 prisonniers. Parmi ces prisons, 154se trouvaient aux Etats-Unis d’Amérique,et pouvaient, au total, accueillir quelque119 449 prisonniers. Bien que les Etats-Unis d’Amérique disposent de plus de pri-sons privées que n’importe quel autrepays, c’est en Australie que l’on rencontreles proportions les plus élevées de prison-niers détenus dans ce type d’institutions.Ainsi, jusqu’à une date récente, 47 pourcent des prisonniers de l’Etat de Victoriaétaient détenus dans des institutions péni-tentiaires privées.

On constate également que le secteurprivé recourt davantage à la main-d’œuvre pénitentiaire, principalement enraison de l’augmentation des coûts quesuppose le maintien en détention d’unnombre sans cesse croissant de prisonniersde par le monde. Les produits fabriquéspar les prisonniers sont souvent mis envente auprès du public et les bénéfices ser-vent à couvrir une partie des frais d’ex-ploitation des systèmes pénitentiaires.Ainsi, les industries pénitentiaires des

Etats-Unis ont réalisé, en 1999, un chiffred’affaires de 1,6 milliard de dollars à par-tir de la vente des produits fabriqués enprison. Dans l’Etat australien de Nouvelle-Galles du Sud, le chiffre d’affaires des pro-duits réalisés en prison est passé de20,2 millions de dollars australiens ($A) en1998-1999, à 25,5 millions en 1999-2000:une hausse de plus de 25 pour cent.

L’augmentation du nombre de prisonsgérées par des sociétés privées et la vo-lonté plus marquée du secteur privé d’em-ployer de la main-d’œuvre pénitentiairesont toutes deux liées aux processus plusvastes de la mondialisation, à l’instar de larestructuration économique, mais égale-ment de la portée mondiale des entreprisesmultinationales. Ce n’est pas une coïnci-dence si la multiplication des prisons ex-ploitées par le privé va de pair avec le faitqu’un petit nombre de sociétés multina-tionales des Etats-Unis (et plus spéciale-ment Corrections Corporation of Americaet Wackenhut Corporation) dominent lemarché à l’échelon planétaire.

Le travail que les prisonniers accom-plissent dans les prisons à exploitation pri-vée et dans d’autres institutions pour lesecteur privé (qu’il s’agisse d’ateliers à l’in-térieur ou à l’extérieur des prisons) ne né-cessite bien souvent que très peu de quali-fications et il est peu probable que cela aideles prisonniers à se réinsérer sur le marchéde l’emploi après leur libération. En 1998,au Royaume-Uni, les détenus de la prisonde Blakenhurst étaient employés au net-toyage de bétonneuses. Dans la mesure oùce travail ne pouvait s’effectuer sur le mar-ché du travail libre, il est permis de mettreen doute ses valeurs en matière de réin-sertion. Toujours en 1998, à la prison pri-vée de Borallon, dans l’Etat australien duQueensland, de nombreux prisonniersn’avaient pas grand-chose d’autre à faireque de balayer le sol et arracher les mau-vaises herbes. Lorsque la prison décrochaitdes contrats avec des entreprises commer-ciales, le travail était présenté comme uneméthode de formation professionnelle.Toutefois, le travail en cuisine, sous contratpour des sociétés locales de restauration,ne consistait souvent qu’à éplucher des

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pommes de terre et d’autres légumes, et àcouper les oignons en rondelles. Dans cecas-ci, l’opposition entre la formation desdétenus et les bénéfices pour l’opérateurde la prison s’est soldée en faveur d’unemain-d’œuvre bon marché et d’un moyenpour générer des profits.

La main-d’œuvre pénitentiaire ne reçoitqu’une maigre rémunération. Les détenusdes Etats-Unis, d’Australie et du Royaume-Uni n’ont généralement pas droit au salaireminimum, mais sont tenus d’accepter lebarème que le gouvernement détermineunilatéralement. Dans l’Etat australien duQueensland, le salaire des détenus varieentre 2,04 et 3,99 dollars australiens ($A)par jour, avec un maximum hebdomadairede 55,86 $A. Aux Etats-Unis, les détenusdes prisons fédérales travaillent pour dessalaires qui, au début des années quatre-vingt-dix, allaient de 0,12 à 0,40 US$ parheure, alors que le salaire minimum fédé-ral de l’époque était supérieur à 4 US$ del’heure. Au Royaume-Uni, les prisonniersgagnent au minimum 7,00 livres sterlingpar semaine (2,50 livres pour les détenussans emploi) et, en 1998, ils percevaient engénéral entre 23 et 30 livres par mois, pourun salaire minimum qui s’élevait à l’époqueà quelque 3,60 livres par heure. Un prison-nier de l’Etat australien de Victoria a écrità un journal pour décrire ses conditions detravail: «Les travailleurs … sont payés undollar par heure pour leur peine. Si l’und’entre eux est licencié pour l’une ou l’autreraison, il est puni en se voyant enfermerdans une cellule à raison de 21 heures parjour pendant les deux semaines qui sui-vent, après quoi il sera obligé de retournertravailler à l’usine».

Les gouvernements d’Australie, duRoyaume-Uni et des Etats-Unis affirmenttous que les détenus ne doivent pas avoirdroit au salaire minimum pour le travailqu’ils réalisent. L’un des arguments qu’ilsavancent est que les prisonniers sont net-tement moins productifs que les tra-vailleurs sur le marché du travail libre.Pourtant, en mars 2000, 47 juridictions sur49 aux Etats-Unis signalaient que leurs ac-tivités industrielles pénitentiaires étaientsoit autosuffisantes, soit rentables.

Les bas salaires que les prisonniers per-çoivent peuvent les rendre attrayants pourles employeurs et, bien souvent, les lois envigueur prévoient des dispositions spé-ciales qui régissent la capacité de l’indus-trie pénitentiaire à vendre ses produits enconcurrence avec le marché local de l’em-ploi. Traditionnellement, nombre de mar-chandises pénitentiaires sont utilisées parl’Etat lui-même. Dans bien des régions desEtats-Unis, cela reste la destination desproduits de la main-d’œuvre pénitentiaire.Un programme fédéral lancé par le gou-vernement sous le nom de «modernisationde l’industrie pénitentiaire» (PIE) vise àéquilibrer les intérêts de toutes les parties.Il permet la vente des produits fabriquésdans les prisons sur le marché du travailouvert, pour autant que certaines condi-tions soient respectées, et notamment lepaiement de salaires minima. Toutefois,dans les cas où le salaire en vigueur est su-périeur au minimum légal, le patronat sevoit toujours encouragé à transférer sa pro-duction dans les prisons. Un incident a faitl’objet de nombreux commentaires en1993, lorsque les industries Lockhart ontfermé une usine de production à Austin,au Texas, où plus de 130 travailleurs ga-gnaient plus de 10 dollars par heure pourassembler des circuits électroniques, pourla rouvrir peu de temps après dans une pri-son privée, dans le cadre d’un programmePIE, où les travailleurs (des détenus) nepercevaient que le salaire minimum.

L’application de la convention no 29à la main-d’œuvre pénitentiaire

Ces dernières années, les organes decontrôle de l’OIT se sont de plus en plusintéressés aux répercussions de ces pra-tiques sur le respect de la convention no

29 9. La commission d’experts a publié desremarques dans son rapport général de1998 et a énoncé des questions spécifiquesen 1999 à propos du respect de la conven-tion no 29. En 2001, la Commission d’ex-perts de l’OIT pour l’application desconventions et recommandations a pré-senté un rapport sur les quelques réponses

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qu’elle a reçues de la part des gouverne-ments, ainsi qu’une déclaration précisequant à l’application de la convention no 29dans les cas où les prisons sont gérées pardes entités privées, ou lorsque les détenussont employés de quelque autre manièrepar le secteur privé. La Commission del’application des normes de la Conférencede l’OIT a également discuté de l’applica-tion de la convention no 29 au travail desprisonniers pour le secteur privé, en 1998,1999 et 2000.

Les gouvernements doivent respecterchacune des conditions strictes que pres-crit l’article 2(2)c) de la convention no 29s’ils veulent que le travail des prisonniersrentre dans le champ des exemptions:

Les prisonniers doivent avoir étécondamnés par une décision judiciaire, cequi signifie dans le cadre d’un procès équi-table au sens acceptable sur le plan inter-national.

Le travail doit être accompli sous la su-pervision des autorités publiques. Cepoint est nécessaire, car il peut y avoir unconflit d’intérêt potentiel entre les objec-tifs correctionnels de l’Etat lorsqu’il em-prisonne ses citoyens et l’objectif de profitdes sociétés susceptibles d’employer desdétenus. Il est en outre nécessaire de veillerà ce que les conditions de travail des pri-sonniers ne soient pas inférieures à desnormes édictées publiquement.

Les prisonniers ne peuvent être concé-dés ou mis à la disposition de particuliers,de compagnies ou de personnes moralesprivées. Cela pose un problème particulierdans le cas des infrastructures péniten-tiaires exploitées par un opérateur privé.En effet, ce dernier intègre habituellementle travail pénitentiaire dans le calcul de sesbénéfices. De plus, l’opérateur privéexerce bon nombre des pouvoirs adminis-tratifs qui relèvent de l’administration pé-nitentiaire.

Manifestement, il peut s’avérer difficilede respecter la deuxième et la troisième deces conditions si une prison est totalementgérée par une entité privée ou si les déte-nus travaillent dans un atelier privé sousla supervision de salariés de la société pri-vée concernée.

Il importe de rappeler que la conven-tion no 29 n’interdit pas le travail péniten-tiaire volontaire, que ce soit à des fins deprofit privé ou pour d’autres motifs. Tou-tefois, compte tenu du pouvoir que les au-torités pénitentiaires exercent sur les pri-sonniers, qui forment véritablement unemain-d’œuvre captive, la commissiond’experts de l’OIT insiste sur la nécessitéde pouvoir déterminer, par des moyensobjectifs, qu’un détenu travaille en fait demanière volontaire. Cela implique unconsentement écrit et des conditions d’em-ploi proches de celles qui prévalent pourle même type de travail lorsqu’il est réa-lisé sur le marché du travail libre.

Le fait de déterminer si un prisonniers’est porté volontaire ou non pour tra-vailler peut constituer un problème épi-neux. A l’heure actuelle, le travail réalisépar les détenus vise avant tout à favoriserleur réinsertion, mais il reste obligatoiredans bien des juridictions. Dans beaucoupd’autres, même s’il n’est pas formellementimposé, différents facteurs incitent les pri-sonniers à travailler. Il convient de gardercela à l’esprit au moment de voir si les dé-tenus se sont véritablement portés volon-taires pour un travail, en particulierlorsque le secteur privé est concerné. Il sepeut que les performances d’un détenu autravail aient un impact considérable surses conditions d’emprisonnement. Peut-être leur supprime-t-on des privilèges s’ilsne travaillent pas ou pas bien. La qualitéde la cellule d’un prisonnier peut changerselon que les gardiens estiment qu’il ouelle est un bon travailleur. Dans les situa-tions les plus extrêmes, on retrouve des casoù les résultats d’un détenu au travail peu-vent entrer en considération pour déciders’il peut, ou non, bénéficier d’une libéra-tion sur parole. De toute évidence, il peutêtre difficile de répondre à la question desavoir si un prisonnier travaille de manièrevolontaire, et il s’agit là d’un problèmepour lequel les autorités pénitentiairesdoivent se montrer vigilantes.

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Conclusion

Le droit international interdit le travailforcé et obligatoire, mais il subsiste néan-moins sous de multiples formes, dont cer-taines sont particulièrement difficiles àéradiquer. Le développement de la traitedes êtres humains, par exemple, intervientdans un contexte de mondialisation, où deprofondes inégalités en matière de reve-nus incitent de façon presque irrépressibleles personnes à se rendre dans un autrepays, légalement ou non.

Dans le cas du travail pénitentiaireforcé, cependant, les normes de l’OIT relè-vent entièrement du pouvoir des gouver-nements, auxquels il incombe de déciders’ils souhaitent, ou non, privatiser l’ex-ploitation des prisons. Ce sont encore lesgouvernements qui déterminent si les pri-sonniers seront autorisés à travailler pourdes intérêts privés, que les prisons soientexploitées par des entités privées ou non.Ce sont les gouvernements toujours quifixent les barèmes salariaux des détenus.Enfin, ce sont les gouvernements qui peu-vent, et doivent, prendre les mesures né-cessaires pour éradiquer cette forme mo-derne d’esclavage.

Notes

1 BIT: Rapport de la commission d’enquête instituéeen vertu de l’article 26 de la Constitution de l’Organisa-tion internationale du Travail pour examiner le respect parle Myanmar de la convention (no 29) sur le travail forcé,1930, Genève, le 2 juillet 1998 [paragr. 203].

2 Convention no 29, article 2(1). Bien que laconvention no 105 ne prévoie pas sa propre définitiondu terme «travail forcé ou obligatoire», la Commis-sion d’experts de l’OIT pour l’application desconventions et recommandations a indiqué que la dé-finition figurant dans la convention no 29 pouvait êtreutilisée: OIT: Rapport de la Commission d’expertspour l’application des conventions et recommanda-tions, rapport III (partie 4B), Etude d’ensemble des rap-ports relatifs à la convention sur le travail forcé, 1930(no 29), et à la convention sur l’abolition du travail forcé,1957 (no 105), Conférence internationale du Travail,65e session, Genève, 1979 (ci-après dénommée Etuded’ensemble de 1979) [paragr. 39].

3 Etude d’ensemble de 1979 [paragr. 21].4 Convention no 29, article 1(1).5 Convention no 29, article 25.6 BIT: Rapport de la Commission d’experts pour l’ap-

plication des conventions et recommandations, rapportIII (Partie 1A), Conférence internationale du Travail,89e session, Genève, 2001 [paragr. 108].

7 Le rapport Halte au travail forcé est disponible àl’adresse: http://www.ilo.org/public/french/stan-dards/decl/publ/reports/rapport2.htm.

8 Une part importante des informations reprisesdans cette section est extraite d’un rapport que vientde commanditer la CISL: Private Benefit from ForcedPrison Labour: Case studies on the application of ILOconvention No. 29. L’intégralité de ce rapport peut êtreconsultée à l’adresse: www.icftu.org/displaydocu-ment.asp?Index=991212919&Langage=EN

9 En 1998, la commission d’experts de l’OIT a pu-blié des observations à propos de l’application de laconvention no 29 dans ces situations, dans le cadre deson rapport général: OIT, Rapport de la Commissiond’experts pour l’application des conventions et recom-mandations, rapport III (Partie 1A), Conférence inter-nationale du Travail, 86e session, Genève, 1998, [pa-ragr. 112 à 125]. En 1999, la commission d’expertsa publié une observation générale, sous la formede questions adressées aux pays à propos de leurspratiques.

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Lorsque, le 26 juin 1973, les déléguésparticipant à la 58e session de la Confé-

rence internationale du Travail de l’OITadoptent la convention (no 138) sur l’âgeminimum, ils n’imaginent pas que vingt-six ans plus tard, une nouvelle conventionserait nécessaire pour éliminer les «pires»formes de travail des enfants. Et pour-tant… Malgré la ratification de cetteconvention no 138 par 111 pays, il reste en-core plus de 250 millions d’enfants au tra-vail dans le monde, dont beaucoup dansles pires formes: esclavage, prostitution,armée, etc.1. Il était donc grand temps deredonner un second souffle à la luttecontre ce fléau, raison pour laquelle unenouvelle convention a été adoptée à l’una-nimité le 17 juin 1999. Intitulée «conven-tion (no 182) sur les pires formes de travaildes enfants», elle est d’ores et déjà la plusratifiée de l’histoire de l’OIT. Début août,pas moins de 90 pays l’avaient déjà rati-fiée. Aucun Etat n’a osé déclarer qu’il nevoulait pas l’approuver, au contraire de laconvention no 138. La ratification univer-selle de la convention no 182 ne serait doncqu’une question de temps 2.

Loin de remplacer la convention no 138,la nouvelle convention renforce son objec-tif, à savoir l’abolition totale du travail desenfants, avec des dispositions plus contrai-gnantes. «Là où la convention no 138 défi-nit un âge minimal pour accéder à un tra-vail, la convention no 182 va plus loinposant la question: lorsque, malgré la lé-

gislation, des enfants se retrouvent dansles pires formes de travail, que comptez-vous faire pour les aider à s’en sortir?»,souligne Tim De Meyer, conseiller juri-dique auprès du Programme internationaldu BIT pour l’abolition du travail des en-fants (IPEC). Les Etats qui la ratifient sontcontraints d’identifier, avec le soutien despartenaires sociaux, les secteurs où sub-sistent les pires formes de travail des en-fants, puis de lancer des programmes pouren soustraire les enfants, les réhabiliter, etempêcher que d’autres enfants n’entrentdans ces types de travail. «Tout Membrequi ratifie la présente convention doitprendre des mesures immédiates et effi-caces pour assurer l’interdiction et l’élimi-nation des pires formes de travail des en-fants et ce, de toute urgence», déclarel’article 1 de la convention no 182. On nesaurait être plus clair, tout en sachant que,selon ce nouvel instrument juridique, leterme enfant s’applique à toute personnede moins de 18 ans.

L’exploitation continue

Si l’on peut se réjouir du taux record deratifications dont fait l’objet la conventionno 182, les organisations syndicales inter-nationales restent prudentes quant à sonapplication sur le terrain. «Certains gou-vernements considèrent que leur tâche estterminée une fois la ratification effectuée»,

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Un consensus mondial pour un coup fatalaux pires formes de travail des enfants?

L’an prochain, la Conférence internationale du Travail examinera, dansle cadre du suivi de la Déclaration de l’OIT relative aux principes etdroits fondamentaux au travail, un premier rapport global sur le tra-vail des enfants. Il devra permettre une première évaluation de laconvention no 182 entrée en vigueur en 1999. Les internationales syn-dicales militent d’ores et déjà pour sa ratification et son application.

Samuel GrumiauJournaliste

explique Tim Noonan, responsable descampagnes à la Confédération internatio-nale des syndicats libres (CISL), «au lieude prendre des mesures pour appliquerune convention, ils attendent de voir sil’OIT va arriver pour leur apporter uneaide». Entre l’espoir qu’a fait naître chezles grandes organisations l’adoption de laconvention no 182 et son application sur leterrain, il y a donc encore un large fosséque tout un chacun a le devoir de contri-buer à combler. Pour la petite Sok, 11 ans,vendue plusieurs fois par jour à despédophiles dans le «village-bordel deSvay Pak», à 11 kilomètres de PhnomPenh (Cambodge), il est sans doute déjàtrop tard: à travers l’Asie, les organisa-tions non gouvernementales (ONG) quiont le courage d’accueillir les mineuressauvées des maisons de passe expliquentqu’elles finissent souvent par replongervolontairement dans la prostitution. Ellesont perdu toute estime d’elles-mêmes,sont déshonorées à vie par les exploita-tions qu’elles ont subies et n’ont aucun es-poir de décrocher un jour un emploi oùl’on peut gagner autant que dans la pros-titution. Pour les réinsérer dans la société,il faudrait beaucoup de moyens financierset humains… Le Cambodge a bien adoptéun plan détaillé pour lutter contre l’ex-ploitation sexuelle des enfants, maisquand aura-t-il les possibilités financièresde l’appliquer? Sa future ratification de laconvention no 182 pourrait aider à trouverquelques donateurs à cet effet, mais, avantque l’argent ne parvienne au projet quipourrait apprendre un métier à Sok, elleaura sans doute 14 ou 15 ans, si elle n’estpas morte du sida avant.

D’où l’importance de la préventiondans les régions où les proxénètes recru-tent leurs victimes. Plusieurs ONG s’y at-tellent au Cambodge, en Thaïlande, auNépal ou encore aux Philippines, parfoisavec le soutien de l’IPEC, mais, là aussi, ilfaut beaucoup d’argent: campagnes dansles médias, affiches, conférences dans lesvillages… Dans certaines régions, les piresformes de travail des enfants ne sont pasvraiment perçues comme telles par les fa-milles, en partie parce que celles-ci n’ont

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Les pires formes de travaildes enfants

Selon les dispositions de la convention no182,les pires formes de travail des enfants sont:• l’esclavage, le travail forcé et les pratiques

analogues (telles que la vente et la traited’enfants, la servitude pour dette, le recru-tement forcé des enfants en vue de leur uti-lisation dans les conflits armés, etc.);

• l’exploitation sexuelle, la prostitution et lapornographie;

• l’utilisation des enfants dans les activitésillicites (notamment pour la production etle trafic des stupéfiants);

• tout travail dangereux susceptible de nuireà la sécurité ou à la santé morale et phy-sique des enfants. Le contenu exact de cettecatégorie doit être déterminé dans chaquepays par la législation nationale ou l’auto-rité compétente, après avoir consulté syn-dicats et organisations d’employeurs. Leurliberté d’interprétation est tempérée parl’obligation de se référer à la «recomman-dation sur les pires formes de travail des en-fants», adoptée en même temps que laconvention, qui cite notamment l’exposi-tion à des produits chimiques dangereux,la manipulation d’explosifs, le travail dansles mines, carrières et sous l’eau, la manu-tention de charges lourdes, les travaux quis’effectuent pendant de longues heures oula nuit, etc.

pas d’autre choix pour assurer leur survieéconomique. Pour être crédibles, les ini-tiatives visant à appliquer la conventionno 182 doivent donc inclure des aides à lacréation d’emplois dans les régions lesplus pauvres, des programmes de micro-crédit, de création d’écoles, etc.

Un lien avec les autresconventions fondamentales

La ratification de la convention no182 nerésoudra certes pas à elle seule ce pro-blème, mais un engagement dévoué detous les partenaires sociaux en vue de sonapplication immédiate contribuera certai-nement à réduire l’ampleur de la pau-vreté… Et, par ricochet, il devrait faciliterl’application d’autres conventions de l’OIT,dont la convention no 138, que plusieurs

pays rechignent à ratifier parce que sesexigences seraient «impossibles à appli-quer dans leur entièreté». Les internatio-nales syndicales bondissent lorsque desgouvernements déclarent que la conven-tion no 138 est trop ambitieuse. «Nous re-jetons leurs arguments», affirme TimNoonan, «et nous mettons en garde contreles intentions de certains gouvernementsqui, tout en marquant leur accord pour lut-ter contre les pires formes de travail d’en-fants, ont affirmé dans des réunions pré-paratoires à l’UNGASS 3 que, pour le reste,l’objectif n’est pas d’éliminer tout travaildes enfants mais d’améliorer le sort deceux qui travaillent (par une hausse deleur salaire, de leurs conditions de travail,etc.). Ces gouvernements utilisent des ré-unions des Nations Unies pour affaiblir lesprincipes mêmes de l’OIT! D’autres vou-draient par ailleurs isoler l’application dela convention no 182 de celle des autresconventions fondamentales de l’OIT, refu-sant d’accepter la connexion qui existeentre elles. Or le travail des enfants conti-nuera tant que le salaire des parents ne serapas adéquat, un objectif pour lequel lessyndicats luttent lorsqu’on leur en laissela liberté.»

Un potentiel pour les syndicats

Jusqu’il y a peu, de nombreux syndicatsne considéraient pas la lutte contre le tra-vail des enfants comme l’une de leurs prio-rités, laissant aux ONG le soin d’agirconcrètement dans ce domaine. Leur rai-sonnement était qu’il fallait d’abord dé-fendre la liberté syndicale car, si celle-ciexiste pleinement, il y a beaucoup moinsde chances de voir un grand nombre d’en-fants au travail. Un principe empreint debon sens, mais force est de constater que,dans bien des pays, les entraves à la libertésyndicale demeurent nombreuses. Est-ceune excuse valable pour délaisser provi-soirement la question du travail des en-fants? Un engagement résolu des syndi-cats dans des campagnes en faveur de laratification et de l’application de laconvention no182 pourrait en tout cas raf-

fermir leur position auprès des gouverne-ments hostiles. En effet, les dispositions dela convention no182 obligent les gouver-nements à consulter les syndicats à diffé-rentes étapes: lors de la définition de laliste des travaux considérés comme dan-gereux, lors de l’examen périodique ducontenu de cette liste, puis lors de l’élabo-ration de programmes d’action en vued’éliminer les pires formes de travail desenfants.

Les gouvernements doivent donc, àtout le moins, consulter les syndicats, et lesconsidérer de bonne foi comme des inter-locuteurs d’importance, même dans lespays où le mouvement syndical est divisé,politisé ou ne représente qu’un faible pour-centage de la main-d’œuvre. En cas de refusde consultation des syndicats ou d’autresviolations de la convention, ceux-ci se doi-vent de le signaler au comité d’experts del’OIT. Dans un deuxième temps, la Com-mission de l’application des conventions etrecommandations peut demander au gou-vernement de fournir des explications (voirarticle de Monique Cloutier en page 9),avec des conséquences désastreuses pourl’image du pays qui refuserait ainsi d’ap-pliquer une convention aussi largementapprouvée.

Au sein de l’OIT, c’est le programmeIPEC qui est chargé de la lutte contre le tra-vail des enfants. «Notre nouvelle politiqueest de promouvoir les programmes assor-tis d’un calendrier», explique AshaD’Souza, responsable de campagne pourl’IPEC , «afin que les gouvernements s’en-gagent à éliminer les pires formes de tra-vail des enfants dans un délai de cinq oudix ans. La Tanzanie, El Salvador et leNépal ont déjà élaboré des plans en cesens, et nous espérons conclure des ac-cords avec plusieurs autres pays à l’ave-nir. Le but est de lier la lutte contre le tra-vail des enfants avec les programmes deréduction de la pauvreté et la politique dedéveloppement national. Dans la mesureoù les finances le permettent, l’IPEC peutdonc apporter un appui technique auxpays qui s’engagent sur cette voie: amé-lioration du système scolaire, sensibilisa-tion de la population au fléau que consti-

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tuent les pires formes de travail des en-fants, création d’emplois pour les parents,microcrédit…»

Les campagnes syndicalesinternationales

«Les organisations syndicales internatio-nales espèrent tirer profit du nouvel élanoffert par la convention no182 pour ren-forcer la collaboration entre IPEC et syn-dicats sur le terrain», affirme ClaudeAkpokavie, directeur des normes interna-tionales du travail auprès de la Confédé-ration mondiale du travail (CMT). Aprèsavoir ardemment milité en faveur del’adoption de la convention no 182 commecomplément à la convention no 138, les or-ganisations syndicales internationalesmontrent l’exemple en multipliant leursefforts pour lutter contre le travail des en-fants. La CISL s’est ainsi engagée dans unevaste campagne. Elle invite tous sesmembres et sympathisants à signer unepétition en faveur de la ratification de laconvention no 182 et à faire pression surleurs gouvernements pour ratifier les deuxconventions clés dans ce domaine 4. LaCMT a, pour sa part, lancé le 10 décembre2000 une campagne mondiale dans cebut 5.. CISL et CMT insistent également surle rôle crucial que peuvent jouer les orga-nisations financières internationales et lesmultinationales dans la lutte contre le tra-vail des enfants. «OMC, FMI, Banquemondiale et autres doivent l’intégrer dansleur stratégie», souligne Claude Akpoka-vie, «Le message commence à passer, no-tamment à la Banque mondiale, mais cesorganismes ne sont toujours pas trèschauds à l’idée que la lutte contre le tra-vail des enfants soit liée au respect de la li-berté syndicale! Quant aux multinatio-nales, elles doivent aussi respecter lesconventions interdisant le travail des en-fants. Et qu’elles ne viennent pas nous direqu’elles ne sont pas en mesure de le faire:si elles peuvent contrôler la qualité desproduits qu’elles achètent, elles sont enmesure de contrôler la manière dont ils ontété fabriqués… »

Syndicats, employeurs, ONG, Unicef,OIT avec l’IPEC et ses gouvernements do-nateurs…, un large consensus s’est formédans le monde pour décider que les piresformes de travail des enfants doivent dis-paraître dans un délai bref. Il est encoretrop tôt pour évaluer les conséquencespratiques de la convention no182: ses dis-positions prévoyaient qu’elle entrerait envigueur un an après la deuxième ratifica-tion. Les Seychelles ont été le premier paysà ratifier, puis est venu le Malawi le 19 no-vembre 1999. La convention est donc envigueur depuis le 19 novembre 2000, maiselle n’est obligatoire dans un pays qu’unan après sa ratification. Tous les Etats doi-vent, ensuite, soumettre des rapports ré-guliers à l’OIT sur la façon dont ils l’ap-pliquent. Le rapport global qui, en vertudu suivi de la Déclaration de l’OIT relativeaux principes et droits fondamentaux autravail, sera soumis l’an prochain à laConférence internationale du Travail, trai-tera précisément du travail des enfants.Espérons qu’il puisse faire état de progrèsdans le combat que mène l’OIT.

Notes

1 Pour une information générale sur le travaildes enfants dans le monde, consulter également lesite de la Marche mondiale contre le travail des en-fants (http://www.globalmarch.org/), ou encore lespages consacrées à l’IPEC sur le site de l’OIT(http://www.ilo.org/public/french/standards/ipec/).

2 Les textes complets des conventions nos138 et182 sont disponibles sur le site Internet de l’OIT, àl’adresse http://webfusion.ilo.org/public/db/stan-dards/normes/index.cfm?lang=FR.

3 Une des sessions spéciales de l’Assemblée gé-nérale des Nations Unies devait être consacrée cetteannée aux enfants et aux adolescents. Composée dechefs d’Etat et de gouvernements, d’ONG, de défen-seurs des enfants et de jeunes, elle devait se réunirdu 19 au 21 septembre 2001 à New York, au siège desNations Unies, pour donner un suivi au Sommetmondial de 1990 pour les enfants. Cette session a étéannulée en raison des attentats du 11 septembre 2001aux Etats-Unis.

4 Voir le site Internet de la CISL: www.icftu.org.5 Plus d’informations sur cette campagne sont

disponibles sur le site Internet de la CMT: www.cmt-wcl.org. A noter, entre autres, un excellent dossierpédagogique disponible à l’adresse http://www.cmt-wcl.org/fr/pubs/normchildpedag.html

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Le problème de la clause sociale est à laconfluence de thématiques politiques,

économiques et humanitaires. D’où la dif-ficulté d’en cerner les contours et de tenterde faire la part, dans les arguments échan-gés, de ce qui relève du combat idéolo-gique et de la réelle volonté de trouver unesolution pragmatique. Le Directeur géné-ral de l’Organisation mondiale du com-merce (OMC) soulignait, dès 1995, cettecontradiction en s’interrogeant: «Parlons-nous de l’avantage comparatif dont lespays en développement jouissent du faitde leur niveau plus bas de leurs salaires(comme on présente souvent les choses),des droits de l’homme ou des normes dutravail?». Pour lui, les sujets inclus dansune clause sociale s’inscrivaient dans lamême ambiguïté: «il faut identifier lesquestions clés en relation avec le com-merce; par exemple, faut-il considérer letravail des enfants et les droits syndicauxsous l’angle des normes de travail ou souscelui des droits de l’homme?».

La question telle qu’elle est posée au-jourd’hui est néanmoins de savoir s’il estpossible, ou souhaitable, d’imposer desnormes sociales dans les traités commer-ciaux de libre-échange, en particulier lesaccords signés dans le cadre de l’OMC.

Des règles minimales

Les tenants d’un ordre social mondial, aupremier rang desquels se trouvent les or-ganisations syndicales, défendent l’idéed’une disposition qui permette de lier l’ac-cès aux marchés mondiaux à des normesminimales qui seraient incluses dans lesaccords commerciaux internationaux, ycompris ceux édictés par l’OMC. Les gou-vernements qui ne respecteraient pas cetteclause seraient soumis à enquête et encou-ragés à remédier à la situation faute dequoi ils pourraient, en ultime ressort, s’ex-poser à des mesures de rétorsion.

Depuis sa création, l’Organisation in-ternationale du Travail (OIT) s’est inscritedans ce débat. Elle indiquait ainsi dans lePréambule de sa Constitution, adoptée en1919, que «la non-adoption par une nationquelconque d’un régime de travail réelle-ment humain fait obstacle aux efforts desautres nations désireuses d’améliorer lesort des travailleurs dans leurs proprespays».

Une préoccupation qui se retrouveraplus tard dans le Traité de La Havane qui,adopté en 1948, envisageait la créationd’une Organisation internationale ducommerce, à laquelle se sont opposés lesEtats-Unis, obligeant la communauté in-ternationale à se contenter d’un modesteensemble de règles commerciales provi-

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Le défi de l’avenir

La clause sociale: un débat inachevéLa demande de respect d’un socle de règles sociales minimales danstous les pays pour éviter les dérives de la mondialisation relève dubon sens. Mais les moyens de réaliser ce vœu se heurtent à bien despréoccupations, souvent légitimes, à des a priori et à des divergencesde conception qu’il conviendra à ses protagonistes de dissiper.

Jean-Louis ValidireJournaliste

Spécialiste des questions sociales internationales

soires, le GATT, lui-même remplacé prèsde cinquante ans plus tard par l’OMC. LeTraité de La Havane, rappelons-le, esti-mait dans son article 7 que «les conditionsde travail inéquitables particulièrementchez les producteurs à l’exportation en-gendrent des problèmes dans le commerceinternational».

Malgré leur opposition de principe àune formulation trop abrupte du pro-blème, les Etats-Unis eux-mêmes devaientfinalement se rallier à la nécessité de ne paslaisser «la main invisible» chère à AdamSmith régler les problèmes de concurrence.

En 1977, l’OIT adoptait la Déclarationde principes tripartite sur les entreprisesmultinationales et la politique sociale 1. Sice document n’est pas «contraignant», ilstipule, par exemple, dans son article 36que «les entreprises multinationales ainsique les entreprises nationales devraientrespecter l’âge minimum d’admission àl’emploi ou au travail, en vue d’assurerl’abolition effective du travail des en-fants». Par ailleurs, l’article 46 de la Dé-claration précise que: «Là où les gouver-nements des pays d’accueil offrent desavantages particuliers pour attirer les in-vestissements étrangers, ces avantages nedevraient pas se traduire par des restric-tions quelconques apportées à la libertésyndicale des travailleurs ou à leur droitd’organisation et de négociation collec-tive».

Dans un cadre plus restreint mais plussignificatif en raison de l’importance éco-nomique des pays qui la composent, l’Or-ganisation pour la coopération et déve-loppement économiques (OCDE) adoptaiten 1979 des «lignes directrices» pour lesentreprises multinationales qui compor-tent un certain nombre de recommanda-tions, sans aucune coercition toutefois, surla façon dont les problèmes sociaux doi-vent être abordés.

Le gouvernement des Etats-Unisd’Amérique lui-même imposait pour lapremière fois une «clause sociale» dans leCaribbean Basin Economy Recovery Actqui stipulait que «le Président peut retirerles avantages qui découlent de cette loi àl’Etat des Caraïbes qui ne reconnaît pas ou

ne met pas en place les moyens pour quesoient progressivement appliqués les droitsdes travailleurs internationalement recon-nus». Ceux-ci étaient définis en cinqnormes: la liberté d’association, la négocia-tion collective, l’interdiction du travailforcé, la fixation d’un âge minimum pourle travail des enfants et certaines conditionsconcernant le salaire minimum, les heuresde travail et la santé et la sécurité au travail.

Sur cette lancée, les Etats-Unis ont in-troduit des dispositions semblables dansd’autres traités, notamment celui du «Sys-tème généralisé de préférences» (Genera-lized system of preferences) et le Trade Actde 1974 qui permet aux entreprises et auxorganisations syndicales de déposer uneplainte pour non-respect des conditionsédictées ci-dessus. La procédure prévoitune enquête qui pourrait éventuellementdéboucher sur des mesures de rétorsion oule retrait des avantages consentis par letraité.

En Amérique latine, la République do-minicaine, le Guatemala, El Salvador,Haïti, le Nicaragua, le Paraguay, le Chili,le Brésil, le Mexique, la Colombie et le Su-riname ont été à un moment ou un autremenacés de tomber sous le coup de cetteclause. Dans la foulée, les Etats-Unis,comme ils avaient déjà timidement tentéde le faire lors du Cycle de Tokyo en 1953,visiblement satisfaits de cette arme, pro-posaient, en 1986, en accord avec le Ca-nada, la création d’un groupe de travail auGATT. Cependant, comme l’exemple ré-cent des tractations avec la Chine l’a mon-tré, les Etats-Unis semblent mettre enavant des préoccupations humanistes uni-quement quand leurs enjeux économiquesdirects ne sont pas en cause.

L’idée que reprend la Confédération in-ternationale des syndicats libres (CISL)implique l’inclusion dans les traités com-merciaux internationaux de la reconnais-sance des normes minimales découlantdes conventions no 87 (liberté syndicale etprotection du droit syndical), no 98 (droitd’organisation et de négociation collec-tive), no 138 (âge minimum), nos 29 et 105(interdiction et abolition du travail forcé)et nos 100 et 111 (égalité de rémunération

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et non-discrimination dans l’emploi ou laprofession). Cette liste présente un grandavantage politique, puisqu’il s’agit deconventions ayant été ratifiées par unegrande majorité (plus de 100 pays) desEtats Membres de l’OIT qui sont ceux quel’on retrouve dans toutes les enceintes in-ternationales, OMC comprise.

Si les motivations américaines ont tou-jours été suspectes pour de nombreux pays(qui font notamment remarquer que Wa-shington tente d’obliger des pays à respec-ter des normes que le gouvernement fédé-ral refuse de ratifier à l’OIT), il estcependant objectivement difficile d’affir-mer que la seule raison de cet engagementdes Etats-Unis est mercantile. Les Etats-Unis n’ont pas besoin de clause sociale pourconquérir les marchés internationaux. Leurdémarche semble plus relever d’un com-portement éthique et politique qui renvoieà leur culture et à la place qu’ils estimentdevoir occuper sur la scène internationalesurtout depuis la seconde guerre mondiale.

Inquiétudes des pays du Sud

Mais il n’en est pas moins vrai que cetappui accordé par les Etats-Unis à l’idéede clause sociale a suscité l’oppositiond’une grande partie des pays du Sud quiy perçoivent l’affirmation d’un protec-tionnisme qui n’ose pas dire son nom.

Au-delà des nombreuses péripéties quiobscurcissent le débat, la question fonda-mentale est de savoir quels sont les moyensadéquats pour s’approcher de ce que Mi-chel Hansenne, ancien Directeur généraldu Bureau international du Travail (BIT),appelait la «justice sociale». Pour lui, ce butpouvait être atteint par l’association de lalibéralisation multilatérale des échangesavec le respect de certaines règles. Celles-ci prendraient leur source dans la Déclara-tion de l’OIT relative aux principes et droitsfondamentaux au travail adoptée en 1998.Souhaitée par d’aucuns, son intégrationdans les accords commerciaux internatio-naux aurait d’abord pour objet la protec-tion des travailleurs contre la dégradationde leurs droits dans le contexte de déré-

glementation induit par la mondialisation.Elle viserait ensuite à l’amélioration de lacondition des salariés des pays en déve-loppement tout en protégeant les pays in-dustrialisés contre les formes de «dumpingsocial» .

Le problème évident d’une telle archi-tecture est la possibilité de faire appliquerune telle clause quand bien même la com-munauté internationale s’accorderait surson utilité. Comme le reconnaissaitd’ailleurs volontiers Michel Hansenne, leBIT «n’a pas de dents». Fonctionnant surle principe de la représentation tripartitedes acteurs nationaux (employeurs, tra-vailleurs et gouvernements), il n’a jamaisété doté de «casques bleus» ni d’instru-ments de sanction pour faire respecter lesconventions soumises à la ratification desEtats. Sa seule force réside dans la publi-cité qu’il peut donner aux manquements età l’aide technique qu’il accorde pour l’amé-lioration des normes sociales existantes. Cequi n’empêche, comme l’ont montré lesdeux premiers rapports publiés dans lecadre du suivi de la Déclaration portantrespectivement sur la liberté syndicale et letravail forcé, que nombre d’Etats ayant ra-tifié les conventions ne semblent guèrepressés de les faire respecter.

Il reste que les tentatives d’introduiredes «clauses sociales» ou des mesures s’eninspirant ne permettent pas aujourd’hui detirer des conclusions objectives confortantun camp ou l’autre. Sur le continent amé-ricain, les dispositions bien modestes del’Accord de libre-échange nord-américain(Alena) et les travaux du groupe «ad hoc»du Mercosur ne donnent que peu d’indi-cations sur la «faisabilité» et surtout surl’effet sur le développement d’un tel dis-positif. Pas plus d’ailleurs que les mesuresprises en Europe dans le cadre du Systèmegénéralisé de préférences (SGP) qui s’ins-pire fortement de l’exemple américain.

Un débat houleux

Deux clans irréductibles, qu’il est d’ailleursimpossible de circonscrire à la tradition-nelle opposition Nord-Sud, continuent à

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s’affronter. D’un côté, les partisans du li-béralisme économique pur et dur estimentque le Nord n’a pas à interdire au Sudd’utiliser les méthodes d’exploitation quiont permis aux pays industrialisés d’ac-cumuler leur capital. Ils rappellent volon-tiers que le travail des enfants était unedonnée des sociétés occidentales à la findu XIXe siècle. Certains pays en dévelop-pement font en outre valoir que leurs mau-vaises conditions de travail sont dues àdes facteurs externes, tels les bas prix desproduits primaires sur les marchés mon-diaux et la difficulté qu’ils éprouvent àécouler leur production. Ils estiment ainsique ce serait les pays les plus dépendantsdu commerce international qui seraientfrappés de plein fouet par d’éventuellesmesures commerciales, les petits paysétant démunis face aux plus gros et bienincapables de porter plainte à leur tour depeur de rétorsion.

Le débat sur la clause sociale renvoieen fait à un débat beaucoup plus largecomme le montrent aujourd’hui les af-frontements sur le problème de la mon-dialisation des échanges. Il est évident quel’exploitation ou la répression ne de-vraient pas pouvoir être utilisées commedes avantages comparatifs, y comprispour les pays se spécialisant dans les pro-ductions manufacturières. Il n’en est pasmoins évident qu’il n’est pas souhaitablede mettre sur pied un système de «clause

sociale» qui ne s’attaquerait qu’aux plusfaibles en ignorant les manquements desplus forts.

En l’absence d’un dispositif de «clausesociale» multilatéral et universel qui resteà inventer, aucun des systèmes actuels misen place par un seul pays ou groupe depays ne peut vraiment fournir la preuvede son efficacité. L’exemple, souventdonné, du Chili qui aurait libéralisé seséchanges en cédant à la demande desEtats-Unis qui souhaitaient voir les lois dutravail se conformer aux normes de sonSGP ne fait pas oublier que d’autres pays,et non des moindres, semblent échapper àtoute forme de pression autre que morale.Outre la nécessité de convaincre les paysen développement qu’un tel dispositif nesera pas utilisé comme une arme protec-tionniste, il faudra aussi veiller à son ca-ractère incitatif comme à son impartialité.C’est sans doute à l’aune de l’évolution dudébat sur ces aspects que seront jugées àla fois l’acceptabilité et la faisabilité d’unemesure qui, somme toute, devrait réconci-lier mondialisation et droits sociaux.

Notes

1 BIT: Déclaration de principes tripartite sur les en-treprises multinationales et la politique sociale adoptéepar le Conseil d’administration du Bureau interna-tional du Travail à sa 204e session, Genève, novembre1977, et telle qu’amendée par le Conseil à sa 279e ses-sion, Genève, novembre 2000.

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La mondialisation a, certes, engendréune richesse et des ressources sans pré-

cédent, mais il n’existe aucune volonté po-litique pour éradiquer la pauvreté de notreplanète. En revanche, nous voyons se creu-ser l’écart entre les revenus à l’intérieur despays et entre ceux-ci. Les normes fonda-mentales du travail sont prises pour ciblesdans de nombreux pays. Comme de précé-dents articles publiés ici l’ont déjà montré,la mondialisation tend à saper les protec-tions nationales des droits fondamentauxdes travailleurs, ou à leur ôter toute perti-nence.

Rien d’étonnant dès lors à ce que, dansce contexte, l’insécurité, la crainte et lespréoccupations de la population gagnentdu terrain dans tous les pays face au faitque les individus perdent le contrôle d’unmonstre appelé mondialisation. En no-vembre, la 4e Conférence ministérielle del’Organisation mondiale du commerce(OMC), qui se déroulera au Qatar, sera aucœur d’une confrontation (dans tous lespays du monde) entre les forces d’unemondialisation régie par les entreprises etcelles de la justice sociale.

La mondialisation est la source du pro-blème, de sorte qu’il convient de lui ap-porter des solutions mondiales. Pour lemouvement syndical international, la ré-

ponse réside dans toute une série de me-sures visant à humaniser le processus demondialisation et à l’amener à profiter auxcitoyens ordinaires, plutôt que de conti-nuer sur la voie de l’aggravation décrite ci-dessus. C’est la raison pour laquelle laConfédération internationale des syndicatslibres (CISL) lance un appel aux syndicatsdu monde entier pour qu’ils participent àla «Journée mondiale d’action syndicale»du 9 novembre 2001, afin de mettre enexergue nos revendications en faveur d’uneréforme de l’OMC et de ses politiques aumoyen d’une action fondée sur les lieux detravail. Cette journée d’action s’articuleraautour du thème «Amener la mondialisa-tion à travailler en faveur des gens».

Le côté négatif de la mondialisation

Le rapport entre les revenus moyens dansles 20 pays les plus riches de la planète etceux des plus pauvres est passé de vingtcontre un en 1960 à environ quarantecontre un aujourd’hui. Comme l’a récem-ment indiqué le Programme des NationsUnies pour le développement (PNUD),quelque 66 pays de toutes les régions dumonde sont désormais plus pauvres qu’ilsne l’étaient voilà dix ans.

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Amener la mondialisation à travailleren faveur des gens

Le 9 novembre 2001, les syndicats du monde entier participeront à une«Journée d’action syndicale mondiale» visant à exiger une réformede l’Organisation mondiale du commerce et de ses politiques. Cettejournée d’action s’articulera autour du thème «Amener la mondialisa-tion à travailler en faveur des gens». Cet article résume les problèmesque génère la mondialisation, en particulier sur le plan des droitsfondamentaux des travailleurs, ainsi que certaines des solutions quis’offrent aux institutions commerciales et financières internationales.

James HowardDirecteur

de l’emploi et des normes de travailConfédération internationale des syndicats libres (CISL)

Une telle inégalité aboutit à descontrastes scandaleux. Par exemple, 50 mil-liards de dollars sont consacrés chaqueannée à l’achat de cigarettes en Europe.Selon les chiffres publiés par les NationsUnies, il faudrait beaucoup moins d’ar-gent que cela pour assurer, dans tous lespays en développement, des services desanté et d’éducation de base, ainsi quel’approvisionnement en eau, les servicessanitaires et l’alimentation, pendant un an.

Plus de 10 millions d’enfants dans lespays en développement meurent toujourschaque année de maladies qui pourraientêtre évitées et que l’on rencontre rarementdans les pays industrialisés.

Par ailleurs, une étude de la Banquemondiale révèle que l’inégalité entre lespersonnes au sein des différents pays a, elleaussi, pris de l’ampleur pendant presquetoute la deuxième moitié du XXe siècle, etplus particulièrement après 1987.

Cette période de mondialisation galo-pante a également pour corollaire lesgraves répercussions sur les femmes de lalibéralisation du commerce. Dans de nom-breux pays en développement, les pro-duits agricoles traditionnels, principale-ment réalisés par les femmes, ne sont pasen mesure de concurrencer les marchan-dises importées lorsque les barrières com-merciales sont assouplies. Cela entraîne desurcroît une sécurité alimentaire moindre.

Du reste, l’expansion des zonesfranches d’exportation (ZFE) ainsi que dessecteurs du vêtement et du textile et del’industrie légère dans les pays en déve-loppement ces dernières décennies s’estgénéralement appuyée sur une main-d’œuvre féminine à bas salaire, travaillantdans des conditions inacceptables et ne bé-néficiant d’aucune protection du droit às’organiser en syndicats (lire en page 37).

Cette exploitation des femmes n’estqu’un exemple des liens que nous avonssi souvent constatés entre la mondialisa-tion et les violations des droits fondamen-taux des travailleurs au cours des vingtdernières années, voire davantage. Quinzemillions d’enfants, au moins, travaillentpour l’exportation dans des secteurscomme les mines, l’habillement et le tex-

tile, la chaussure, l’agriculture, la fabrica-tion de tapis ou de ballons de football,voire dans la production d’instrumentschirurgicaux.

Des dizaines de millions de travailleurssont, de nos jours, assujettis au travailforcé – connu également pour être l’unedes formes contemporaines de l’esclavage.Cela concerne des pays comme la Birma-nie (Myanmar), où des centaines de mil-liers de personnes autochtones travaillent,sous la supervision de gardes armés, à laconstruction de voies de chemin de fer oud’oléoducs, pour le compte de sociétésétrangères comme Total-Fina-Elf, Unocalet Premier Oil.

Une minorité de pays est disposée à to-lérer l’exploitation, dans l’espoir qu’elleleur conférera un avantage concurrentiel.Néanmoins, les pays les plus touchés sontceux en développement qui aspirent véri-tablement à protéger les droits humainsdes travailleurs et à rehausser le niveau devie de base, car il s’agit également des paysles plus vulnérables, qui risquent d’êtreévincés du marché mondial.

C’est pour prévenir de tels extrêmes enmatière d’exploitation, qui découlent ducommerce et des investissements mon-diaux, que des mesures doivent être prisesau niveau de l’OMC. Ainsi, la Déclarationde l’OIT sur les principes et les droits fon-damentaux au travail constitue un élé-ment particulièrement important dans laconstruction d’une économie mondialeplus humaine et moins instable. Il convientde mettre en place un suivi d’ensemble dusystème par toutes les institutions inter-nationales, notamment les organismes dé-pendant des Nations Unies, le FMI, laBanque mondiale et l’OMC.

Le rôle du FMI et de la Banquemondiale dans l’aggravationde la pauvreté

Cela fait plusieurs années que la société ci-vile, en ce compris le mouvement syndi-cal, critique le FMI et la Banque mondiale.Il apparaît désormais de façon manifesteque le modèle uniforme d’ajustement

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structurel imposé aux pays en développe-ment dans les années quatre-vingt etquatre-vingt-dix a bien plus détruit leséconomies qu’il ne les a aidées. Des coupesclaires dans les dépenses en matière desanté et d’éducation ont eu des consé-quences déstabilisatrices sur le plan socialet nuisibles au niveau économique en di-minuant le potentiel de ressources hu-maines à long terme des pays concernés.Cela n’a eu pour seul résultat que de pré-server un semblant de remboursement dela dette qui n’a profité qu’à une poignéede banques commerciales parmi les plusrentables de la planète.

Dans un récent discours prononcé lorsd’une conférence dont l’un des co-organi-sateurs était la centrale syndicale améri-caine AFL-CIO, Joseph Stiglitz, ancien cheféconomiste de la Banque mondiale, a sou-ligné que les économies les plus floris-santes parmi les pays en développementétaient celles qui n’avaient pas suivi les re-commandations des institutions de Wa-shington. Les pays qui les avaient respec-tées n’avaient pas obtenu des résultatsparticulièrement brillants. Les politiquesprônées par les institutions financières in-ternationales avaient contribué à l’instabi-lité, notamment sur les marchés financiers.Elles étaient axées sur la privatisation etavaient eu un impact social négatif. Dureste, elles n’avaient donné lieu à aucundébat sur des questions aussi cruciales quela réforme agraire.

M. Stiglitz a poursuivi en déclarant queces institutions s’étaient concentrées sur lapolitique monétaire et fiscale, mais pas surdes questions vitales, comme la protectionsociale ou le capital social, qui avaient étépassées sous silence, voire totalementignorées. Le rythme de la libéralisation etde la privatisation était devenu une fin ensoi, de sorte que les profits sont souventtombés dans de mauvaises mains. Nous envoulons pour preuve le fait que la pau-vreté en Russie soit passée de 2 pour centvoilà dix ans à près de 50 pour cent au-jourd’hui.

La Banque interaméricaine de déve-loppement (BID) a réalisé une étude au mi-lieu de 2001 qui venait corroborer les ar-

guments de M. Stiglitz. Elle révélait ainsique la libéralisation des marchés finan-ciers avait eu tendance à accroître la pau-vreté et l’inégalité en Amérique latine. Lespays qui connaissent une croissance éco-nomique positive, à l’instar du Mexique,du Pérou et du Venezuela, n’en affichentpas moins une progression du taux depauvreté.

Les syndicats du monde entier ont dûpar trop souvent faire l’expérience de voirles recommandations politiques des insti-tutions financières internationales pourleur pays préconiser de facto le rejet desnormes de travail fondamentales. Bien queles économistes du FMI soient rarementspécialisés dans les questions du travail,les prescriptions politiques du Fonds en-globent presque immanquablement desrecommandations en vue d’abaisser les sa-laires, de réduire la protection des tra-vailleurs ou de rendre de toute autre ma-nière le marché du travail plus «flexible».Il est possible d’adresser le même genre derécrimination à l’égard de l’interventionde la Banque mondiale dans les questionsdu travail de divers pays, ce qui se traduitpar un rejet des droits de négociation col-lective. En Europe centrale et orientale, parexemple, la Banque mondiale conseille àplusieurs pays de procéder à une révisionà la baisse de leur code du travail, de ma-nière à restreindre les droits de négocia-tion collective.

La 4e Conférence ministériellede l’OMC: les premières étapes

Toutes ces critiques à l’encontre de laBanque mondiale, du FMI et de l’OMCviennent s’ajouter à un avertissementcontre le fait qu’il ne faut pas ignorer lagestion mondiale des affaires publiques.

La conférence de l’OMC à Seattle en1999 a donné lieu à une volée de bois vertsans précédent contre le manque de trans-parence et de démocratie internes et ex-ternes à l’OMC, problème qu’il convientde régler de toute urgence au Qatar. Il estnécessaire d’assurer une transparence ac-crue et une assistance financière pour faire

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en sorte que tous les membres (en parti-culier les moins développés) soient en me-sure de participer pleinement à l’ensembledes activités et des procédures de l’OMC,y compris ses mécanismes de résolutiondes différends. La procédure d’adhésionde nouveaux membres à l’OMC doit pré-voir la possibilité d’une assistance tech-nique et d’un renforcement des institu-tions et doit s’orienter vers une intégrationau sein d’un système international fondésur le droit (ce qui revêt une importancetoute particulière dans le cas de l’adhésionde la Chine).

Par ailleurs, la transparence vis-à-vis del’extérieur est nécessaire pour la conduitede toutes les négociations de l’OMC. Il estnécessaire de disposer de structuresconsultatives spécifiques pour les syndi-cats, les parlements, les chambres du com-merce et les autres éléments représentatifsde la société civile, y compris dans le cadredu mécanisme d’examen des politiquescommerciales de l’OMC (MEPC), dont lechamp d’application doit être élargi, demanière à reprendre les préoccupationsliées au commerce en matière d’environ-nement, de problèmes sociaux et d’égalitéentre hommes et femmes, ce qui inclut lesnormes de travail fondamentales. Il doitexister des procédures permettant la parti-cipation effective des groupements com-pétents de la société civile concernés parun processus de résolution des différends,lequel doit être ouvert à l’information et àla participation de la population.

Les règles de l’OMC doivent être su-bordonnées à la protection de l’environ-nement, de la santé et de la sécurité, y com-pris sur les lieux de travail.

Parallèlement à cela, il est essentield’avancer vers un soutien des priorités enmatière de développement à l’OMC, parexemple, en rendant davantage opéra-tionnelles les dispositions de l’OMC rela-tives au traitement spécial et différentiel,en améliorant l’accès au marché pour lespays en développement, en procédant à unexamen de l’Accord sur les droits de pro-priété intellectuelle liés au commerce(ADPIC) afin d’y intégrer les préoccupa-tions des pays en développement, notam-

ment dans le domaine de l’accès aux mé-dicaments vitaux comme ceux contre leVIH/sida, et en concluant un accord mul-tilatéral permettant aux pays en dévelop-pement de prolonger les délais de mise enœuvre du Cycle d’Uruguay.

Dans le cadre des actuelles négocia-tions sur l’Accord général sur le commercedes services (AGCS), il convient de préci-ser clairement que les pays peuventconserver le droit de dispenser les servicespublics (comme l’éducation, la santé, ladistribution d’eau et les services postaux),ainsi que les services bénéfiques sur le plansocial, dans tout accord de l’OMC portantsur le secteur des services, y compris auxéchelons sous-nationaux de gouverne-ment. Les pays doivent avoir le droit deprendre une décision future visant à ac-croître le rôle du secteur public dans leurssecteurs de services (par exemple après unchangement de gouvernement), sans ris-quer d’encourir une plainte auprès del’OMC, comme cela serait le cas avec lesrègles actuelles.

L’OMC doit en outre entamer un pro-cessus de discussion destiné à voir dequelle manière le système commercialmondial peut commencer à soutenir, etnon à menacer, le respect des droits fon-damentaux des travailleurs. Il est essentielque l’OMC et d’autres institutions inter-nationales, dont l’OIT, établissent des lienset une coordination plus étroits, notam-ment au travers d’un statut d’observateurréciproque. L’OMC doit donner son ac-cord à l’une ou l’autre forme de groupe detravail ou d’étude, ou d’instance sem-blable, auquel participerait l’OIT et qui de-vrait analyser les règles et les procéduresde l’OMC et présenter des recommanda-tions permettant de les rendre compatiblesavec le respect des normes de travail fon-damentales.

Ce groupe de travail devrait examinerles modalités de mise en œuvre d’un plande mesures d’encouragement positivesdestinées à lier le commerce au respect desnormes de travail fondamentales. Il réflé-chirait aux mesures qui doivent être priseslorsque la libéralisation du commerce vade pair avec des violations de ces normes.

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Il aurait pour mission de procéder à unexamen de tous les mécanismes de l’OMC(y compris l’examen des politiques com-merciales et le mémorandum d’accord surle règlement des différends) en vue de per-mettre la pleine intégration des préoccu-pations sociales dans le travail de l’OMCrelatif à ces différents domaines. Le groupede travail devra de surcroît examiner l’im-pact social du commerce d’une façon plusgénérale, en ce compris l’impact des poli-tiques commerciales sur les femmes.

Toutes les propositions avancées doi-vent prévoir une procédure minutieuseétape par étape, de telle sorte que tous lesproblèmes de non-respect des droits fon-damentaux des travailleurs fassent l’objetd’un examen approfondi et que des solu-tions soient recherchées par le biais du dia-logue et de la coopération.

Il s’agit là d’un défi considérable qu’ilconvient de ne pas sous-estimer, mais quine peut pas non plus être évité. Trop degouvernements cherchent à éluder laquestion de ce qu’il faut faire avec les paysqui essaient d’agir à leur guise dans lecadre du processus de mondialisation encontrevenant aux droits fondamentauxdes travailleurs. Or les gouvernements dé-mocratiques, et plus encore ceux des paysen développement, doivent résister et dé-clarer explicitement qu’ils ne tolérerontpas les abus commis à l’encontre des droitsdes travailleurs dans d’autres pays.

Ils ont le devoir de le faire, car ce sontles droits de leurs citoyens et leurs écono-mies qui seront menacés. Cette idée fait sonchemin à l’heure actuelle dans des payscomme l’Inde et le Mexique, dont les gou-vernements se sont longtemps opposés àtoute discussion relative aux normes detravail à l’OMC, mais qui commencent dé-sormais à éprouver des difficultés à tenterde concurrencer des pays comme la Chineoù toutes les normes de travail fondamen-tales sont systématiquement enfreintes.

A une époque où la mondialisationgagne du terrain, le respect universel desdroits fondamentaux des travailleurs estessentiel pour chacun. La CISL souhaiteque l’OMC, en collaboration avec l’OIT,règle ouvertement cette question en s’ap-

puyant sur des principes multilatéraux.Nous croyons possible, par le biais du dia-logue et de la discussion, de trouver uneorientation qui soit compatible avec les ob-jectifs jumeaux d’un système commercialouvert et de respect des droits humainsfondamentaux sur les lieux de travail.

Réformer le FMIet la Banque mondiale

Depuis la crise financière asiatique de lafin des années quatre-vingt-dix, les insti-tutions financières internationales (IFI) ontété contraintes d’admettre l’importance dela transparence et de la responsabilitécomme moyens pour contrer la corruptionet prévenir des crises financières déstabi-lisatrices. Elles semblent aussi avoir admisque la transparence de leur propre part estun élément nécessaire pour que la sociétécivile participe efficacement au processusde développement.

Néanmoins, il faudra des changementsbien plus profonds si l’on veut que le FMIet la Banque mondiale justifient leur exis-tence même. Pour commencer, les IFI doi-vent cesser de prétendre que les initiativesactuelles en matière de réduction de ladette sont suffisantes et accepter la néces-sité d’un allégement beaucoup plus sub-stantiel de la dette largement revu à lahausse pour permettre aux pays en déve-loppement de retrouver le chemin du dé-veloppement durable.

La Banque et le Fonds doivent aban-donner leur programme idéologique desoutien inconditionnel à la privatisation età la libéralisation des marchés, pour adop-ter une approche plus pragmatique.Compte tenu des nombreux échecs debeaucoup de leurs prescriptions poli-tiques, les ressources de la Banque et duFonds doivent être mises à la dispositiondu développement et de la modernisationdes entreprises publiques, si les gouver-nements optent pour le maintien d’un ac-tionnariat public, plutôt que d’imposer laprivatisation comme condition à tout sou-tien financier. Il convient de respecter etd’épauler la volonté des pays de parvenir

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à la sécurité alimentaire et de soutenir desactivités génératrices d’emplois. Toutes lesmesures de privatisation et de libéralisa-tion qui sont encore prises doivent s’ac-compagner d’un soutien institutionnel etréglementaire qui a si souvent fait défautpar le passé.

Dans le contexte actuel de ralentisse-ment de l’économie mondiale, et donc, deperspectives accrues d’instabilité finan-cière, le FMI et la Banque mondiale doi-vent prendre des mesures rapides pourmettre en place un système financier in-ternational doté d’une nouvelle réglemen-tation. Par ailleurs, il convient d’améliorerles filets de sécurité sociale dans le mondeentier, en guise de garde-fous face auxforces de la mondialisation qui brisent lesstructures d’appui traditionnelles et ren-dent les économies nationales plus vulné-rables à l’instabilité et à l’incertitude. Lesinstitutions financières internationalesdoivent soutenir et encourager les gou-vernements à élaborer des régimes ex-haustifs de protection sociale, comprenantles pensions de retraite, les prestations dechômage, les allocations familiales, et lesprestations en cas de maternité, de mala-die et d’accident. Un système de relationsde travail solides, en vertu duquel les gou-vernements soutiennent et encouragentles bonnes pratiques de travail et la négo-ciation collective, dans l’esprit des conven-tions et des recommandations de l’OIT,constitue un élément essentiel à un cadrede protection sociale exhaustif.

Le droit qu’ont les pauvres et les déshé-rités de s’organiser est une condition préa-lable évidente à toute réduction de la pau-vreté. C’est la raison pour laquelle laliberté syndicale et le droit de négociationcollective, dont les deux institutions ontadmis le principe, sont au cœur de toutestratégie fructueuse de réduction de lapauvreté.

Le FMI et la Banque mondiale doiventdès lors promouvoir les normes de travailfondamentales de façon régulière etconstante dans toutes leurs activités.L’examen du respect des normes de travailfondamentales doit s’intégrer dans lecadre de toutes les stratégies d’assistance

au pays de la Banque mondiale et des rap-port au titre de l’article IV du FMI. Demême, le respect de ces normes doit deve-nir une partie intégrante de toutes les ac-tivités de la Banque et du Fonds, en tantqu’élément contraignant des dossierstypes d’appel d’offres de la Banque et desautres documents contractuels.

Enfin, le FMI et la Banque mondialedoivent se montrer plus cohérents dansleurs pratiques en matière de consultationdes syndicats et des autres acteurs de la so-ciété civile. Des procédures consultativesofficielles sont nécessaires dans ces deuxinstitutions financières internationales.

Le rôle d’une Commission mondialesur les aspects sociauxde la mondialisation

En novembre 2001, le Conseil d’adminis-tration de l’OIT doit examiner des propo-sitions portant sur la structure et la com-position d’une Commission mondiale surles aspects sociaux de la mondialisation,conformément à la décision prise lors dela Conférence internationale du Travail, enjuin 2001.

A la lumière de l’analyse que nous ve-nons de faire des nombreuses consé-quences négatives de la mondialisation, ilest évident que l’OIT pourrait assumer unrôle crucial en facilitant le travail d’une tellecommission. Pendant la durée de son man-dat, la Commission mondiale aura pourmission d’informer et d’assister les institu-tions internationales, parmi lesquellesl’OMC, le FMI et la Banque mondiale. Ellepeut et doit apporter une contribution àl’objectif d’élaboration de mécanismes effi-caces visant à faire en sorte que la libérali-sation des échanges et la mondialisation necontinuent pas à menacer les normes de tra-vail fondamentales et à aggraver la situa-tion déjà critique dans laquelle se trouventles pauvres du monde entier.

Dans un même temps, il apparaît defaçon manifeste que l’existence de la Com-mission mondiale n’empêchera pas quetoutes les institutions internationales, dontl’OMC, le FMI et la Banque mondiale, de-

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vront entamer un examen du rapport entremondialisation, développement écono-mique et normes de travail fondamentales,par le biais des mécanismes et des procé-dures qui leur sont propres.

Conclusions

Les multiples aspects négatifs de la mon-dialisation exposés ci-dessus et, en fait,tout au long de cette publication, entraîneune méfiance accrue de l’opinion publiqueenvers le système commercial et financiermultilatéral, comme cela est apparu àSeattle tant à l’intérieur des salles de né-gociation que dans la rue.

Les critiques se multiplient autour despolitiques et des interventions de l’OMCet du FMI, ce qui confère davantage depoids aux revendications visant à res-treindre fortement les activités et les man-dats de ces institutions internationales.Certains groupements et individus vontmême jusqu’à demander leur disparition.

Toutefois, supprimer ces institutionséquivaudrait à laisser au marché dit libre

et aux institutions financières privées lesoin de proposer les solutions à l’inégalitémondiale croissante et aux nouvelles me-naces d’instabilité financière internatio-nale. Or il est peu probable que l’on puissey voir un progrès vers un ordre mondialplus équitable sur le plan social.

En revanche, le mouvement syndicalinternational estime qu’il faut réformer enprofondeur l’OMC, le FMI et la Banquemondiale dans les domaines de la réduc-tion de la pauvreté, de l’allégement de ladette, du respect des normes de travailfondamentales, ainsi que d’un meilleurdialogue avec les syndicats à l’échelon na-tional et international.

Cet article indique certaines des pre-mières mesures qui doivent être prisespour permettre de tels changements. Des-tinées à instaurer la transparence, la dé-mocratie et la responsabilité au cœur deces institutions, ces réformes constituentdes conditions préalables essentielles sil’on veut que leurs règles cessent de nuireaux intérêts des travailleurs et aboutissentplutôt à une amélioration des conditionsde travail et de vie de par le monde.

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Pour bien comprendre les enjeux dudébat actuel sur les normes fondamen-

tales du travail (ou, selon la formule consa-crée à l’OIT, les principes et droits fonda-mentaux au travail), il faut en connaître lesdifférents paramètres et ce qui l’a précédé.Un rappel historique est nécessaire.

La création de l’OIT en 1919 a repré-senté une première tentative d’approcheinternationale des questions sociales etliées au travail sur la base du principe dutripartisme. Comme tel, le modèle proposépar l’OIT était d’avant-garde compte tenudes circonstances du moment. En effet,dans la plupart des pays, les organisationsd’employeurs et les organisations de tra-vailleurs ne s’étaient pas encore reconnuesmutuellement comme des partenaires denégociation à part entière. Cette approche,fondée sur la conviction que l’exploitationet l’injustice sociale avaient été des fac-teurs décisifs dans le déclenchement de lapremière guerre mondiale, se voulait unélément de l’édification de la paix. Cetteconviction se trouva, par ailleurs, encorerenforcée par les révolutions commu-nistes, ou les tentatives de révolution com-muniste, en Europe.

Il faut se rappeler les objectifs du mo-dèle de coopération tripartite et aussi cecontre quoi il était censé nous protéger.

Il visait à instaurer des relations har-monieuses dans la société et, en particu-lier, sur les lieux de travail où se créait etétait redistribuée la richesse. Il cherchait àpromouvoir des normes de travail dé-centes, ce qui voulait dire que la concur-rence ne pouvait pas s’exercer au détri-ment de la santé, de la sécurité et des droitsfondamentaux des travailleurs et tra-vailleuses. Il tablait sur une coopérationdonnant voix au chapitre à ceux et cellesqui sont directement concernés et, en cela,s’affirmait comme une composante essen-tielle de la démocratie.

Il proposait une autre formule face àl’injustice sociale qu’il rejetait et qui avaitconduit à la première guerre mondiale. Il re-fusait les solutions imposées, que ce soit parun seul des partenaires ou par les tenantsdes révolutions communistes. Il combat-tait ce qui, dans les années vingt et trente,déboucha sur les prétendus «paradis ou-vriers» de type fasciste ou communiste.

Tout cela reste d’actualité dans lecontexte actuel. Pour la première fois depuis

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Promouvoir les normes fondamentales du travail:une priorité pour le BIT

La promotion des principes et droits fondamentaux au travail estune des tâches primordiales de l’Organisation internationale du Tra-vail. A partir d’un modèle déjà très avancé lors de sa création en1919, elle a évolué au fil des ans, tenant compte des changementset, bien souvent, anticipant sur les événements en cours. Des conven-tions clés ont été identifiées et, en 1998, la Déclaration sur les prin-cipes et droits fondamentaux au travail a doté l’Organisation d’unnouvel instrument pour veiller au respect des droits des travailleurs.Celle-ci et son suivi constituent également pour les gouvernementsun nouvel encouragement à réaliser les principes auxquels ils ontsouscrit en adhérant à l’OIT.

Kari TapiolaDirecteur exécutif

Normes et principes et droits fondamentaux au travailBureau international du Travail

1914, date du déclenchement de la pre-mière guerre mondiale, nous nous retrou-vons dans une économie de marché quasiuniverselle. Les quelques économies com-munistes dirigées par l’Etat qui subsistentici et là sont devenues des exceptions quiconfirment la règle. La Chine fait désor-mais partie d’un marché mondial de plusen plus ouvert. La question n’est donc plusde savoir s’il existe une économie de mar-ché ou pas. La vraie question est de savoircomment la maîtriser.

C’est là le résultat de la fin d’uneconfrontation entre des systèmes poli-tiques, économiques et sociaux différents,marquée par la chute du mur de Berlin. Ilfaut cependant garder à l’esprit que, avecle mur, un des mythes de la guerre froides’est aussi écroulé. Il était, en effet, tropsimple de penser, on le voit aujourd’hui,que l’avènement de l’économie de marchécouplée à la démocratisation garantirait lebien-être pour tous. Avec le recul, on serend compte qu’il s’agissait là d’une visionnaïve véhiculée, au moins partiellement,par l’école de Harvard.

La transition économique et sociale ac-compagnée simultanément de change-ments structurels s’est avérée bien pluscomplexe que d’aucuns l’imaginaient.L’aspect mondial de l’activité économiquea réduit le contrôle direct que pouvaitexercer sur la chaîne de production unquelconque acteur, qu’il s’agisse des gou-vernements ou même des grandes firmes.On en est pourtant toujours à réfléchir,selon les points de vue, sur les moyens soitde «contrôler» soit de «promouvoir» lesactivités des entreprises multinationales, àpartir des modèles développés dans lesannées soixante-dix. Or les multinatio-nales ne sont pas aujourd’hui des agentsde leur pays d’origine capables de renver-ser des régimes jugés indésirables dans lespays hôtes. Pas plus qu’elles ne se pressentimmanquablement vers des pays dont lamain-d’œuvre est bon marché ou qui dis-posent de règles sociales moins contrai-gnantes ou répressives. Si c’était le cas, larépartition de la production mondiale se-rait bien différente de celle que nousconnaissons aujourd’hui.

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Résultat de la suppression ou del’abaissement des barrières douanières etdes communications accrues, la nouvelletransparence mondiale a permis deconstater que les anciens problèmes d’in-justice et d’exploitation n’ont pas disparu.En fait, ils sont devenus plus visibles pourle public en général, les syndicats, les mi-lieux d’affaires, les consommateurs, lesmouvements de citoyens et les autres seg-ments de la société civile.

Au début des années quatre-vingt-dix,la question du travail des enfants est de-venue un point d’entrée dans le nouveaudébat mondial sur les normes fondamen-tales du travail. Dans sa première Consti-tution en 1919, l’OIT avait déjà choisi l’éli-mination du travail des enfants commeune priorité. La première convention (no 5)sur l’âge minimum (industrie) était adop-tée la même année. Elle sera suivie par10 autres conventions avec pour pointculminant l’adoption, en 1973, de la conven-tion (no 138) sur l’âge minimum. Il a ce-pendant fallu attendre les années quatre-vingt-dix pour que le travail des enfants

Conventions fondamentalesde l’OIT

Le terme convention fondamentale s’appliqueà 8 conventions de l’OIT:

Liberté syndicaleLa convention (no 87) sur la liberté syndicaleet la protection du droit syndical, 1948. Laconvention (no 98) sur le droit d’organisationet de négociation collective, 1949.

Travail forcéLa convention (no 29) sur le travail forcé, 1930.La convention (no 105) sur l’abolition du tra-vail forcé, 1957.

DiscriminationLa convention (no 100) sur l’égalité de rému-nération, 1951. La convention (no 111) concer-nant la discrimination (emploi et profession),1958.

Travail des enfantsLa convention (no 138) sur l’âge minimum,1973. La convention (no 182) sur les piresformes de travail des enfants, 1999.

atteigne véritablement le même rang depriorité que les autres principes inclusdans la Constitution, comme la liberté syn-dicale, la discrimination ou le travail forcé.

En 1992, l’OIT lançait, grâce aux contri-butions volontaires de l’Allemagne, le Pro-gramme international pour l’abolition dutravail des enfants (IPEC). D’un pays do-nateur et 6 pays participants au départ, ilest aujourd’hui devenu le plus grand pro-gramme de coopération technique del’OIT, comptant pas moins de 25 pays do-nateurs et plus de 70 pays participants. Ila permis de prouver qu’un programmefondé sur une norme fondamentale pou-vait être mis en œuvre au travers de la co-opération technique.

Dans la foulée de ce nouvel effort dansl’action pour éliminer le travail des en-fants, une nouvelle convention a suivi en1999 portant sur les pires formes de tra-vail des enfants, la convention no 182, au-jourd’hui ratifiée par plus de la moitié desEtats Membres. L’effort a également portésur la ratification de la convention no 138qui, en six ans, depuis le lancement duprogramme, a vu le nombre de ratifica-tions doubler pour atteindre aujourd’huile nombre de 111.

Il y a encore moins de dix ans, aucunconsensus n’existait pour donner prioritéà la convention no 138. Certains souhai-taient même la voir supprimée. Elle est au-jourd’hui une des conventions clés fai-sant partie des normes fondamentales dutravail.

Dans les années quatre-vingt-dix, ledébat sur les normes fondamentales dutravail trouva son origine dans la prise deconscience que, à eux seuls, les marchés etla démocratisation ne pouvaient résoudretoute la misère du monde, en particuliercelle qui frappait les travailleurs et tra-vailleuses. Cette préoccupation s’expri-mait de manières diverses en différentslieux. Dans les pays industrialisés, elleétait un sujet de discussion à la table fa-miliale ou dans les cantines des entre-prises, avec au centre, à mesure que s’in-tensifiait l’incertitude face au changementglobal, des craintes grandissantes pourl’emploi et les revenus.

L’impression qui prévalait dans la par-tie du monde la plus aisée était qu’uneépoque touchait à sa fin. L’améliorationquasi automatique de la position des tra-vailleurs – qui forment aujourd’hui laclasse moyenne – n’était plus garantie. Laprospérité n’allait plus nécessairements’accroître de génération en génération.

Au même moment, dans les pays endéveloppement et en transition, les préoc-cupations portaient aussi sur l’emploi etles salaires. On avait cru que les pro-messes de la mondialisation de l’économies’adressaient à tous. En réalité, les béné-fices du changement concernaient très peude monde. Les oligarchies, les élites et lesintermédiaires ont ainsi obtenu bien plusqu’une part équitable du gâteau. Des gensse sont trouvés déracinés recherchant lespromesses de bonheur là où ils le pou-vaient. La chute n’en a été que plus durelorsqu’on découvrit, au travers des chocséconomiques qui ébranlèrent récemmentdes sociétés urbanisées en voie d’indus-trialisation, que les filets de sécurité n’exis-taient pas.

De ces deux expériences on a conclu àla nécessité d’un seuil de décence mini-mum pour tous les pays. Ce seuil devaitformer la base dans la façon d’aborder lesbesoins d’ajustement et les possibilitésqu’offraient les nouveaux marchés. Iln’existe cependant pas encore de consen-sus dans le débat sur les moyens de réali-ser ce vœu. Soutenus ardemment par lesuns, les liens qu’ils souhaitent établir entrele commerce et les droits fondamentaux autravail sont farouchement rejetés pard’autres. Pour des raisons tant politiquesque techniques, aucune solution au débatsur la «clause sociale» n’est en vue.

Cela dit, un important consensus s’estmalgré tout dégagé. Il porte sur le contenudes normes fondamentales du travail.Quatre catégories de droits sont reprisesdans la Déclaration de l’OIT relative auxprincipes et droits fondamentaux au tra-vail et son suivi adoptée en 1998. Ellesavaient déjà obtenu leurs lettres de no-blesse à Copenhague en 1995 lors du Som-met mondial sur le développement social.Ces catégories de droits (liberté syndicale

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et droit de négociation collective, abolitiondu travail forcé, élimination du travail desenfants et non-discrimination dans l’em-ploi et la profession) étaient directementliées aux normes de l’OIT sur ces thèmes.

Les conventions correspondantes ontalors fait l’objet d’une campagne spécialede ratification qui fait, aujourd’hui, quesur les 176 Etats Membres de l’OIT 175 ontratifié au moins une des conventions fon-damentales, alors que 47 pays Membresles ont toutes ratifiées. Ce succès remar-quable lance à l’OIT un nouveau défi.Après cette campagne de ratification,l’Organisation doit aujourd’hui se pencheravec encore plus d’attention sur l’applica-tion de ces conventions. Le programmeIPEC et le suivi de la Déclaration ouvrent,à cet égard, de nouvelles perspectives. Et,s’ils ne remplacent pas le système tradi-tionnel de contrôle de l’OIT, ils y appor-tent un complément important.

En 1995, le Sommet de Copenhague a,à la fois, tracé la voie à suivre et ébauchéla méthode. Les pays qui ont ratifié lesconventions fondamentales ont bien sûrl’obligation de s’y conformer. Et, commeil s’agit de normes prioritaires, des rap-ports sur leur application sont dus tous lesdeux ans, comprenant évidemment lescommentaires des organisations d’em-ployeurs et des organisations de tra-vailleurs. Les pays qui ne les ont pas rati-fiées doivent en respecter les principes duseul fait de leur appartenance à l’Organi-sation, en vertu de sa Constitution. Lesuivi de la Déclaration de 1998 prévoit dé-sormais un système de rapports quicouvre aussi les efforts entrepris dans laréalisation de ces principes par les paysn’ayant pas ratifié les conventions.

Ce système consiste, pour les paysn’ayant pas ratifié les conventions, en desrapports annuels qui sont examinés par leConseil d’administration du BIT. De plus,chaque année, un rapport global sur l’unedes quatre catégories de droits est préparé.

Deux rapports globaux ont déjà été dis-cutés par la Conférence internationale duTravail. En 2000, le rapport intitulé Votrevoix au travail portait sur la liberté syndi-cale et le droit de négociation collective1.

En juin 2001, la Conférence a discuté ledeuxième rapport global qui traitait dutravail forcé et obligatoire dans le mondeet s’intitulait Halte au travail forcé 2. Il s’agitdu rapport le plus complet jamais publiésur les anciennes et nouvelles formes detravail forcé ou obligatoire et sur la ma-nière d’y remédier. Et il est encourageantde constater que les participants à laConférence ont lancé, à cet égard, un appelunanime en faveur d’une action vigou-reuse par l’OIT et par la communauté in-ternationale.

Un troisième rapport global en prépa-ration traitera du travail des enfants et seradiscuté pendant la Conférence de 2002. Lecycle sera complété l’année suivante parun rapport global sur la discrimination.Ces rapports ne servent pas qu’au débat età l’information. Bien au contraire. Le pre-mier rapport global a débouché sur unprogramme d’action sur la liberté syndi-cale et le droit de négociation collective.Approuvé par le Conseil d’administrationen novembre 2000, il est déjà à piedd’œuvre et 35 pays ont déjà commencé àbénéficier d’assistance et de coopérationtechniques dans ce cadre.

Des fonds provenant de contributionsvolontaires ont déjà été orientés vers saréalisation sur le même mode que celui uti-lisé dix ans plus tôt par le programmeIPEC. En novembre 2001, le Conseil d’ad-ministration devra approuver un pro-gramme d’action sur le travail forcé.Lorsque le cycle sera complet, en 2003,l’OIT disposera de facilités de coopérationtechnique pour chacune des quatre caté-gories de normes fondamentales du tra-vail.

Voilà qui ouvre de nouvelles pers-pectives. Jusqu’ici, grâce au système decontrôle de l’application des normes, l’OITétait capable d’identifier les problèmes etde constater les manquements. Le défi au-jourd’hui est de jeter des ponts pour ap-porter des solutions à ces problèmes aumoyen de la coopération technique. Lesuivi de la Déclaration repose sur une éva-luation à la fois des problèmes et des be-soins, y compris une attention particulièreau problème de la pauvreté et aux moyens

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de promouvoir un développement axé surles droits. Le développement des capaci-tés des pays bénéficiaires, y compris le ren-forcement des organisations syndicales etdes organisations d’employeurs, est aucœur de tels programmes.

Il est peut-être bon de rappeler que,lorsque l’OIT a lancé le programme IPEC,celui-ci s’était heurté à une certaine mé-fiance des pays bénéficiaires. Non pasqu’ils niaient l’ampleur du problème,mais, et c’est compréhensible dans beau-coup de cas, ils craignaient que, en ad-mettant l’existence du problème, ils nes’exposent à des conséquences internatio-nale négatives, commerciales ou autres.Avec le temps, la méthodologie utilisée parle programme IPEC s’est imposée commeétant à la fois complète, réaliste et orientéevers le développement. Elle est à la basede son action pour réaliser l’objectif d’éli-miner le travail des enfants en commen-çant par les pires formes. Même l’approchenormative plus exigeante par le biais desconventions fondamentales sur l’âge mi-nimum et sur les pires formes de travaildes enfants n’a pas changé ce concept. Lesboycotts ou les mesures commerciales, àpart quelques exceptions dans certainesindustries ou pour certains produits, n’ontpas, quant à eux, joué de rôle déterminantdans le débat sur le travail des enfants.

On peut donc légitimement poser laquestion de savoir si le concept du pro-gramme IPEC peut s’appliquer aux quatrecatégories de normes fondamentales du

travail. Les ratifications des conventionsfondamentales sont en hausse et la trans-parence est assurée par un système de rap-ports dans le cadre du suivi de la Déclara-tion. Au milieu de cette décennie, l’OITdisposera ainsi d’un système efficace basésur la coopération technique qui pourracommencer à donner des résultats. Celui-ci ne remplacera pas l’actuel système decontrôle. Mais il pourra ouvrir, pour lespays qui ont la volonté politique maismanquent de ressources, la possibilité des’engager dans l’amélioration de leur sys-tème de normes du travail sans avoir àcraindre des répercussions négatives.

Il pourrait aussi répondre au besoind’une gouvernance sociale de l’économiemondiale, chose qui manque dans le débatglobal et qui est à l’origine de bien des pré-occupations dans tous les pays du monde.De cette manière, l’OIT pourra continuer,dans des circonstances nouvelles, de rem-plir son mandat initial de promouvoir ledéveloppement et la croissance au traversd’une justice sociale renforcée.

Notes

1 BIT: Votre voix au travail, Rapport global en vertudu suivi de la Déclaration de l’OIT relative aux prin-cipes et droits fondamentaux au travail, Conférenceinternationale du Travail, 88e session, Genève, 2000.

2 BIT: Halte au travail forcé, Rapport global envertu du suivi de la Déclaration de l’OIT relative auxprincipes et droits fondamentaux au travail, Confé-rence internationale du Travail, 89e session, Genève,2001.

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Attendu que la création de l’OIT procédaitde la conviction que la justice socialeest essentielle pour assurer une paixuniverselle et durable;

Attendu que la croissance économique estessentielle mais n’est pas suffisantepour assurer l’équité, le progrès socialet l’éradication de la pauvreté, et quecela confirme la nécessité pour l’OIT depromouvoir des politiques sociales so-lides, la justice et des institutions dé-mocratiques;

Attendu que l’OIT se doit donc plus quejamais de mobiliser l’ensemble de sesmoyens d’action normative, de coopé-ration technique et de recherche danstous les domaines de sa compétence,en particulier l’emploi, la formationprofessionnelle et les conditions de tra-vail, pour faire en sorte que, dans lecadre d’une stratégie globale de déve-loppement économique et social, lespolitiques économiques et sociales serenforcent mutuellement en vue d’ins-taurer un développement large et du-rable;

Attendu que l’OIT doit porter une atten-tion spéciale aux problèmes des per-sonnes ayant des besoins sociaux par-ticuliers, notamment les chômeurs etles travailleurs migrants, mobiliser etencourager les efforts nationaux, régio-naux et internationaux tendant à ré-soudre leurs problèmes, et promouvoirdes politiques efficaces visant à créerdes emplois;

Attendu que, dans le but d’assurer le lienentre progrès social et croissance éco-nomique, la garantie des principes etdes droits fondamentaux au travailrevêt une importance et une significa-tion particulières en donnant aux inté-

ressés eux-mêmes la possibilité de re-vendiquer librement et avec deschances égales leur juste participationaux richesses qu’ils ont contribué àcréer, ainsi que de réaliser pleinementleur potentiel humain;

Attendu que l’OIT est l’organisation inter-nationale mandatée par sa Constitu-tion, ainsi que l’organe compétent pourétablir les normes internationales dutravail et s’en occuper, et qu’elle béné-ficie d’un appui et d’une reconnais-sance universels en matière de promo-tion des droits fondamentaux autravail, en tant qu’expression de sesprincipes constitutionnels;

Attendu que, dans une situation d’inter-dépendance économique croissante, ilest urgent de réaffirmer la permanencedes principes et droits fondamentauxinscrits dans la Constitution de l’Orga-nisation ainsi que de promouvoir leurapplication universelle,La Conférence internationale du Travail,

1. Rappelle:

a) qu’en adhérant librement à l’OIT,l’ensemble de ses Membres ont acceptéles principes et droits énoncés dans saConstitution et dans la Déclaration dePhiladelphie, et se sont engagés à tra-vailler à la réalisation des objectifsd’ensemble de l’Organisation, danstoute la mesure de leurs moyens et deleur spécificité;

b) que ces principes et droits ont été ex-primés et développés sous forme dedroits et d’obligations spécifiques dansdes conventions reconnues commefondamentales, tant à l’intérieur qu’àl’extérieur de l’Organisation.

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Annexe 1

Déclaration de l’OIT relative aux principeset droits fondamentaux au travail

2. Déclare que l’ensemble des Membres,même lorsqu’ils n’ont pas ratifié lesconventions en question, ont l’obliga-tion, du seul fait de leur appartenanceà l’Organisation, de respecter, promou-voir et réaliser, de bonne foi et confor-mément à la Constitution, les principesconcernant les droits fondamentauxqui sont l’objet desdites conventions, àsavoir:

a) la liberté d’association et la recon-naissance effective du droit de négo-ciation collective;

b) l’élimination de toute forme de tra-vail forcé ou obligatoire;

c) l’abolition effective du travail desenfants;

d) l’élimination de la discriminationen matière d’emploi et de profession.

3. Reconnaît l’obligation qui incombe àl’Organisation d’aider ses Membres, enréponse à leurs besoins établis et ex-primés, de façon à atteindre ces objec-tifs en faisant pleinement appel à sesmoyens constitutionnels, pratiques etbudgétaires, y compris par la mobilisa-tion des ressources et l’assistance exté-rieures, ainsi qu’en encourageantd’autres organisations internationalesavec lesquelles l’OIT a établi des rela-tions, en vertu de l’article 12 de saConstitution, à soutenir ces efforts:

a) en offrant une coopération tech-nique et des services de conseil destinésà promouvoir la ratification et l’appli-cation des conventions fondamentales;

b) en assistant ceux de ses Membresqui ne sont pas encore en mesure de ra-tifier l’ensemble ou certaines de cesconventions dans leurs efforts pourrespecter, promouvoir et réaliser lesprincipes concernant les droits fonda-mentaux qui sont l’objet desditesconventions;

c) en aidant ses Membres dans leurs ef-forts pour instaurer un climat propice audéveloppement économique et social.

4. Décide que, pour donner plein effet àla présente Déclaration, un mécanismede suivi promotionnel, crédible et effi-cace sera mis en œuvre conformémentaux modalités précisées dans l’annexeci-jointe, qui sera considérée commefaisant partie intégrante de la présenteDéclaration.

5. Souligne que les normes du travail nepourront servir à des fins commercialesprotectionnistes et que rien dans la pré-sente Déclaration et son suivi ne pourraêtre invoqué ni servir à pareille fin; enoutre, l’avantage comparatif d’un quel-conque pays ne pourra, en aucunefaçon, être mis en cause du fait de laprésente Déclaration et son suivi.

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I. Objectif général

1. Le suivi décrit ci-après aura pour objetd’encourager les efforts déployés parles Membres de l’Organisation en vuede promouvoir les principes et droitsfondamentaux consacrés par la Consti-tution de l’OIT ainsi que par la Décla-ration de Philadelphie, et réitérés dansla présente Déclaration.

2. Conformément à cet objectif stricte-ment promotionnel, ce suivi devra per-mettre d’identifier les domaines oùl’assistance de l’OIT, à travers ses acti-vités de coopération technique, peutêtre utile à ses Membres pour les aiderà mettre en œuvre ces principes etdroits fondamentaux. Il ne pourra sesubstituer aux mécanismes de contrôleétablis ou entraver leur fonctionne-ment; en conséquence, les situationsparticulières relevant desdits méca-nismes ne pourront être examinées ouréexaminées dans le cadre de ce suivi.

3. Les deux volets de ce suivi, décrits ci-après, feront appel aux procéduresexistantes; le suivi annuel concernantles conventions non ratifiées impli-quera simplement un certain réaména-gement des modalités actuelles de miseen œuvre de l’article 19, paragraphe5 e), de la Constitution; le rapport glo-bal doit permettre d’optimiser les ré-sultats des procédures mises en œuvreconformément à la Constitution.

II. Suivi annuel concernantles conventions fondamentalesnon ratifiées

A. Objet et champ d’application1. L’objet du suivi annuel est de donner

l’occasion de suivre chaque année, parun dispositif simplifié qui se substi-tuera au dispositif quadriennal, mis enplace par le Conseil d’administrationen 1995, les efforts déployés conformé-ment à la Déclaration par les Membresqui n’ont pas encore ratifié toutes lesconventions fondamentales.

2. Le suivi portera chaque année sur lesquatre catégories de principes et droitsfondamentaux énumérés dans la Dé-claration.

B. Modalités1. Le suivi se fera sur la base de rapports

demandés aux Membres au titre del’article 19, paragraphe 5 e), de laConstitution. Les formulaires de cesrapports seront conçus de manière àobtenir des gouvernements qui n’ontpas ratifié une ou plusieurs des conven-tions fondamentales des informationssur toutes modifications éventuellesapportées à leur législation et à leurpratique, en tenant dûment compte del’article 23 de la Constitution et de lapratique établie.

2. Ces rapports, tels qu’ils auront été com-pilés par le Bureau, seront examinéspar le Conseil d’administration.

3. En vue de présenter une introductionaux rapports ainsi compilés, qui pour-rait appeler l’attention sur des aspects

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Annexe 2

Suivi de la Déclaration

méritant éventuellement un examenplus approfondi, le Bureau pourra faireappel à un groupe d’experts désignés àcet effet par le Conseil d’administration.

4. Des aménagements devront être envi-sagés aux procédures en vigueur pourpermettre aux Membres non représen-tés au Conseil d’administration de luiapporter, de la manière la plus appro-priée, les éclaircissements qui pour-raient s’avérer nécessaires ou utilespour compléter les informations conte-nues dans leurs rapports à l’occasionde ses discussions.

III. Rapport global

A. Objet et champ d’application1. L’objet de ce rapport est d’offrir une

image globale et dynamique relative àchaque catégorie de principes et droitsfondamentaux, observée au cours de lapériode quadriennale écoulée, et deservir de base pour évaluer l’efficacitéde l’assistance apportée par l’Organi-sation et déterminer des priorités pourla période suivante, sous forme deplans d’action en matière de coopéra-tion technique ayant notamment pourobjet de mobiliser les ressources in-ternes et externes nécessaires à leurmise en œuvre.

2. Le rapport portera à tour de rôlechaque année sur l’une des quatre ca-tégories de principes et droits fonda-mentaux.

B. Modalités1. Le rapport sera établi sous la responsa-

bilité du Directeur général, sur la based’informations officielles ou recueillieset vérifiées selon les procédures éta-blies. Pour les pays qui n’ont pas rati-fié les conventions fondamentales, ils’appuiera, en particulier, sur le résul-

tat du suivi annuel susvisé. Dans le casdes Membres ayant ratifié les conven-tions correspondantes, il s’appuiera enparticulier sur les rapports traités autitre de l’article 22 de la Constitution.

2. Ce rapport sera soumis à la Conférenceen vue d’une discussion tripartite, entant que rapport du Directeur général.Celle-ci pourra traiter ce rapportcomme un rapport distinct des rap-ports visés à l’article 12 de son Règle-ment et en débattre dans le cadre d’uneséance qui lui sera consacrée exclusi-vement, ou de toute autre manière ap-propriée. Il appartiendra ensuite auConseil d’administration, à l’une de sesplus proches sessions, de tirer lesconséquences de ce débat en ce quiconcerne les priorités et plans d’actionà mettre en œuvre en matière de co-opération technique lors de la périodequadriennale suivante.

IV. Il est entendu que:

1. Le Conseil d’administration et la Confé-rence devront être saisis des amende-ments à leurs Règlements respectifs quiseraient nécessaires pour mettre enœuvre les dispositions qui précèdent.

2. La Conférence devra, le moment venu,revoir, à la lumière de l’expérience ac-quise, le fonctionnement de ce suiviafin de vérifier s’il a convenablementrempli l’objectif général énoncé à lapartie I ci-dessus.

Le texte qui précède est le texte de la Dé-claration de l’OIT relative aux principes etdroits fondamentaux au travail et sonsuivi dûment adoptée par la Conférencegénérale de l’Organisation internationaledu Travail dans sa quatre-vingt-sixièmesession qui s’est tenue à Genève et qui aété déclarée close le 18 juin 1998.

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