Les dossiers de demain N°7 "Villages cherchent visages"

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Villages cherchent visages Mai 2009 - n° 7 les dossiers de demain L’AGENCE D’URBANISME DE LA RÉGION GRENOBLOISE les dossiers de demain n°7 Mai 2009

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Publication sur les modes de vies éditée par l'Agence d'urbanisme de la région grenobloise

Transcript of Les dossiers de demain N°7 "Villages cherchent visages"

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Villagescherchent visages

Mai 2009 - n° 7

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21, rue Lesdiguières 38000 Grenoble - Tél. : 04 76 28 86 00 - Fax : 04 76 28 86 12 - Mél : [email protected] - www . aurg.org

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Sommaire

Éditorial par Jérôme Grange 3

Utopies sociétales et pratiques urbanistiques Table ronde 4

Le village nouvelle frontière par Luc Gwiazdzinski 9

Que sont nos villages devenus par Pascal Dibie 13Tentative de définition du village 14

« Revillagiser » le monde avec Serge Latouche 16Mon quartier c’est un village 16

Être village à 12 kilomètres de Grenoble par Roger Caracache 19Créer des agglomérations rurales pour sauver le village par Claude Térouinard 20

Un village sur la planète photographies 23

Le village comme récit de soi par Nicole Mathieu 27

Ces villageois qui n’en sont pas par Annabelle Morel-Brochet 30Habiter la Bièvre 32

Images du village dans l’agglomération grenobloise par Martine Goujon 35

Villages croqués : dessins 37

Retour vers le rural issu des textes de Village magazine et du collectif Ville campagne 45A le recherche de l’identité rurale par Frédéric Delattre 46

Bienvenue au village issu de documents de Mairie conseil -Caisse des dépôts et consignations 48Une installation « à la campagne » avec Adeline Ancel 48

Vies de femmes en villages par Blandine Glamcevski 51

L’Alpe des villes et l’Alpe des champs par Alexandre Mignotte et Claire Simon 53

Villages de vacances, un vrai laboratoire par Pierre Belli-Riz 55Labels et réseaux par Mohammed Chahid 56

Bibliographie 59

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Les textes contenus dans cette publication n’engagent que leurs auteurs.

Les Dossiers de demain sont publiés par l’Agence d’urbanisme de la région grenobloise.Toute reproduction doit être faite en accord avec l’Agence d’urbanisme et les auteurs.Un Flip book est diffusé avec le présent Dossier de demain

Président de l’Agence d’urbanisme de la région grenobloise : Michel IssindouDirecteur de la publication : Jérôme GrangeConception et réalisation : Sylvie Barnezet, Rachel Bernard, Florence Binet-Jourdain, Jacques Bondon, Fabrice Bouvier,Corinne Creissels, Juliette Desmots, Caroline Nocart, Chloé Thomas.

Ont également contribué à ce numéro : Adeline Ancel, Pierre Belli-Riz, Olga Braoudakis, Roger Caracache,Mohammed Chahid, Fanny Charon, Philippe Couillens, Frédéric Delattre, Pascal Dibie, Blandine Glamceski, FlorianGolay, Martine Goujon, Serge Gros, Luc Gwiazdzinski, Serge Latouche, Fabrice Latuillerie, Sylvie Le Calvez, NicoleMathieu, Anne-Marie Maür, Alexandre Mignotte, Annabelle Morel-Brochet, Jean-Yves Pineau, Frédéric Pontoire,Philippe Rannaud, Christophe Séraudie, Claire Simon, Claude Térouinard, Sylvie Vallet, André Zanassi.

Crédits photographiques : page 10 : Benjamin Cuartero, page 11: Martine Bosshardt, page 14 : Agence d’urbanismede la région mulhousienne, page 18 : Chloé Thomas, page 22 : Michel Aveque, page 23 : Philippe Couillens, page 24et 25 : Agence de développement et d’urbanisme du pays de Brest, Agence d’urbanisme de l’agglomération deBesançon, Agence d’urbanisme et de développement intercommunal de l’agglomération rennaise, Agence d’urbanismede la région mulhousienne, Fabrice Bouvier, Mara Calabro, Bruno Colard, Marie Couvrat-Desvergnes, F. Guy/Agenced’urbanisme de la région lyonnaise, Nathalie Rivet, Chloé Thomas, page 26 : Agence d’urbanisme de la région mul-housienne, page 31 : Philippe Couillens, page 34 : Agence d’urbanisme de l’agglomération de Besançon, page 50 :Agence Clermont-Métropole, page 53 : Cipra, pages 56 à 58 : Pierre Belli-Riz et Chantal Callais.

Dépôt légal : à parution.Numéro ISSN : 1635-317X

Imprimé par l’imprimerie des Eaux Claires sur papier recyclé Fedrigoni Symbol Freelife Satin et Inapa Oxygen.

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Jérôme Grange,directeur général

de l’Agence d’urbanisme de la région grenobloise

ÉditorialLe village tourne la page…

La ruralité interpelle l’urbaniste de multiples manières. Elle le fait notammentautour de sa compétence professionnelle. Il ne se passe pas un mois sansqu’un interlocuteur n’exprime son étonnement sur la capacité d’un urbaniste àêtre pertinent en dehors du tissu urbain constitué, en dehors de la ville.

Or le village constitue notre horizon d’intérêt quotidien. En premier lieu, en rai-son des travaux (la lutte pour certains) sur l’étalement urbain et la périurbani-sation, qui forment l’un des socles actuels de nos interventions et de nosréflexions.Notre horizon, également, par le fait que les villages, ou du moins les valeursque notre société leur attache, paraissent représenter des modèles à devoirpartout transposer. Dans nos villes, nos contemporains expriment vouloir réap-prendre du village : convivialité, proximité, autonomie. Mais s’agit-il bien demodèles, ou alors de la confrontation à la résurgence d’un mythe, où les désirsdes individus naviguent entre réalités et utopies.S’agit-il des indicateurs émergents d’une civilisation durable qui saurait créerdes liens entre qualités réciproques de l’urbanité et de la ruralité ? Ou bien,s’agit-il des signes d’une quête irréfléchie d’assurance et de réassurance pourune société occidentale déboussolée, au risque de passer le village au photo-copillage du marketing immobilier.

Nos villes métropoles sont les espaces publics de notre village planétaire, lieuxde rencontres et d’échanges d’une humanité mondialisée. Dans ce contexte,quels rôles, quels développements pour le grain le plus fin de notre urbanitélocale ?

Pour un retour vers le futur, comme vous, lecteur, le village peut-il tourner lapage ? !

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Utopies sociétales et pratiques urbanistiquesEn vue d’interroger la place de la notion de « village » dans nos pratiques,se sont réunis un après-midi à l’Agence d’urbanisme, une quinzaine de pro-fessionnels de la ville, principalement urbanistes et architectes. De la bande d’enregistrement de trois heures, cinq thèmes ont émergé. Le village comme réalité, le village comme image, le village comme modèle,le village comme symbole et le village comme référence. Cinq thèmes comme fil conducteur de ce numéro des Dossiers de demain.

Le village comme réalitéL’influence des modes de vie urbanisés a transformé bien plus profondément les villages que la ville. Unemutation qui amène à se poser la question de ce qui reste de « villageois » aux villages actuels. Une inter-rogation encore plus prégnante quand elle porte sur ces villages périurbains qui se réclament haut et fortde leur identité villageoise pour exister dans la métropole. La seule réalité villageoise actuelle ne serait-ellepas alors de ne pas être la ville, une simple proposition pour un cadre de vie différent, un décor de vie ?

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Ce texte est issu d’une tableronde qui a réuni Sylvie Barnezet, Pierre Belli-Riz,

Olga Braoudakis, Fanny Charon,

Philippe Couillens, Corinne Creissels, Martine Goujon,

Florian Golay, Serge Gros,

Fabrice Latuillerie, Anne-Marie Maür, Frédéric Pontoire, Philippe Ranaud,

Christophe Seraudie, Chloé Thomas,

Sylvie Vallet, André Zanassi.

Souvenirs de vies au village« J’ai vécu dans un petit village des Hautes-Alpesoù j’allais à l’école, je participais aux travaux desfoins, des labours. J’y suis repassé il y a un moisenviron et j’ai été catastrophé : une tristesse épou-vantable ! Il ne s’y passe plus rien. Et pendanttrente ans, j’ai participé à la démolition de toutcela. »« J’ai vécu enfance et adolescence dans un villagerural de Corrèze dans les années 1970. Pour moi,le village c’est l’endroit où on se fait mordre par leschiens, où c’est difficile de ne pas se salir en traver-sant une cour de ferme parce qu’il y a des volailles,des cochons, etc. »« J’ai vécu dans un village du Nord-Isère qui votaitFront national, avec la chasse tous les dimanches,l’imaginaire du village c’est la glandouille devantl’église parce que tu n’as pas de mobylette pouraller faire un tour. »

Aujourd’hui, la vie au village« J’habite dans un hameau avec des voisins de 80ans qui m’imposent de faire des corvées, dedébroussailler les chemins, etc. »« Les pensées routières colonisent aujourd’hui lesvillages : on les a éventrés, on a gommé les traces

de bouse, de crottin et on a goudronné les cours defermes, les espaces publics, jusqu’aux limites del’église ou du monument aux morts. Il n’y a plus dedistinction puisqu’il faut pouvoir aller partout demanière équivalente. »« Le développement voulu par les élus qui disentrêver de devenir ou retrouver leur village, c’est toutsauf du village. Parce que le village c’est une fortedensité et, avec la pratique actuelle du territoire, lesgens ne veulent plus vivre dans un village. »

Mais c’est quoi un village ?« Le seul moment où la question de ce qu’est un vil-lage se pose, c’est lorsqu’on applique la loi mon-tagne. C’est l’un des rares textes dans le Code del’urbanisme où il est vraiment fait référence à lanotion de village. »« Un village, dans le vocabulaire des montagnards,c’est un hameau. Souvent, le terme de village est liéà la commune et désigne un bourg et seshameaux. »« Avec le village, on est sur un modèle économiqueet de vie qui est en intelligence directe, immédiate etempirique avec son territoire de proximité. C’estcette culture, cette adéquation de relations avec sonmilieu qui fait village.

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Utopies sociétales et pratiques urbanistiques

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Le village comme imageLa demande de « village » est forte, elle fait même partie des arguments politiques de plus en plus decommunes qui environnent les pôles urbains. Le terme est utilisé soit comme un argument identitaire, soitcomme un projet communal. Il permet souvent de dire sa différence d’avec la ville, parfois même d’expri-mer une forme d’opposition. La représentation collective du mot « village » semble donc à la fois forteet positive, mais son utilisation courante n’empêche-t-elle pas d’affronter les réalités et les évolutions deces communes ? La trace d’un passé idéalisé que ce terme véhicule invite à une nostalgie qui ne peutconstituer un fondement valable de projet.

Des questions pour l’urbaniste

Comment travailler à l’amélioration des villages dans ce paradoxe entre mode de vie urbain et cadre de vie seréférant à des valeurs du passé ? Comment met-on en valeur une place de l’église vide et un centre-bourgdélaissé par les commerces ? Comment associe-t-on des espaces de stationnement à une densité de bâtimentsqui exprime le cœur de la communauté villageoise ? Jusqu’où un village supporte des adjonctions de quar-tiers résidentiels lâches sans perdre un centre gravitaire et identitaire ? Quand on travaille pour un village,s’adresse-t-on à des utilisateurs de village ou à des citoyens-villageois ?

Malgré ou contre la ville« La notion de village est utilisée par les élus dèsqu’ils se présentent et on sent qu’il existe unbesoin de se reconnaître comme village (« notrevillage »), même dans des communes apparte-nant à la Métro [communauté d’agglomérationGrenoble Alpes Métropole] et dépassant les2 000 habitants. Et même sur des communes quivont jusqu’à 10 000 habitants : c’est un gros vil-lage !» « La commune est parfois partagée entre plu-sieurs identités : un côté villageois avec le centre-bourg, la petite église, la place… cette image quetous les habitants de la commune ont générale-ment, et d’un autre côté une forte relation à laville par le travail, les loisirs… »

Ces éléments qui font village« Il y a toujours une survalorisation du centre avecl’église, le marché… ce qu’on met sur la couver-ture du magazine communal, sur le site internet,et des endroits où l’on sent qu’il y a un besoind’urbanité, où il n’y aurait pas beaucoup à faireen termes de liaisons, d’accès aux berges, d’amé-nagements de sortie de gare… Mais ce n’est tel-lement pas le centre village qu’ils ne sont pas dansune idée d’investissements publics... »

Marketing politique« Tout dépend de ce qu’on entend par village : le

village traditionnel ou l’argument du maire quinous dit « venez me faire un village hein ?! »« Aujourd’hui, on a plus de mal à parler du quar-tier que du village, parce que le quartier a pris desconnotations différentes. Il y a donc un travail àfaire là-dessus parce que c’est une vraie façon dene pas aborder les problèmes, de faire du marke-ting politique. »

Une nostalgie de village qui piège « Nous avons animé une opération « Cœur devillage » qui me faisait froid dans le dos parcequ’elle me semblait beaucoup trop empreinte denostalgie plutôt que de poser loyalement les don-nées du projet urbain d’extension villageoise. Leproblème est là : lorsqu’on a vidé la ruralité deson sens et les habitants d’un village, il ne resteplus que l’écrin. »« Le village est intéressant mais il peut être aussipiégeant que le chalet en architecture. »

Ancrage au territoire et à l’histoire« Si on imaginait de raser complètement un vil-lage de Chartreuse et de le reconstruire à l’iden-tique, je ne suis pas convaincu que lesautochtones, même les néo-ruraux, le reconnai-traient en tant que village ; parce que les pierresne sont pas les mêmes, parce qu’elles ne sont pasanciennes, parce qu’il n’y a pas cette appropria-tion territoriale identitaire. »

Des questions pour l’urbaniste

Comment faire des représentations de villages un réel ferment d’imagination et de création pros-pective ? Comment utiliser ces images dans le travail de l’urbaniste en dépassant une nostalgie quifige, vers des propositions adaptées aux nouveaux enjeux des communes périurbaines ? Faut-il tra-vailler pour un décor ?

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Le village comme modèlePour constituer un modèle, le village doit être décomposé en différentes parties ou éléments de référence :la place, la rue, la maison, l’entrée, le monument… Mais également des parties de ce qui constitue lemode de vie villageois : la reconnaissance, la proximité, les temps collectifs, le contact avec la nature…Au-delà de la recherche de certains repères précis, il y a également des valeurs plus diffuses à retrouver :laisser faire le temps, garder des espaces non définis et permettre l’évolution. Une des transpositions du modèle villageois est le « village de vacances ». Ce type de programme est unvrai domaine de recherche urbanistique fondé sur l’analyse du modèle villageois car les modes de vie devacances permettent des transpositions qui ne sont plus possibles dans le contexte périurbain. Lesréflexions urbaines actuelles sur les éco-quartiers rejoignent en partie cette discussion et interrogent lemodèle villageois par la quête d’un « espace bienveillant » au-delà des objectifs environnementaux.

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Le village comme symboleIl y a certainement là un enjeu professionnel pour les urbanistes : le décryptage d’une demande de village rejoignant une quête identitaire à respecter. La discussion a permis d’identifier deux types de valeursymbolique : une signification négative de repli et d’opposition : le village comme refus de l’urbain ; une signification positive de demande de liens sociaux, de solidarité : le village comme larecherche de l’espace « bienveillant pour la communauté ».Ces deux valeurs symboliques ne s’excluent pas, elles font toutes les deux partie de cette attente impliciteà décoder et sur laquelle les urbanistes doivent travailler dans le dialogue avec les habitants et les élus.En outre, l’expression d’une demande de village dépasse les contextes locaux particuliers pour trouver unsens plus général, comme la recherche d’une appartenance territoriale et temporelle et un ancrage dansl’histoire en contrepoids de la métropolisation et la mondialisation. ».

Laisser faire le temps« Il faut bien préparer les espaces bâtis et lesespaces libres pour que ça fonctionne. Et laisserfaire le temps. » « Il faut laisser des marges, des « dents creuses »,des espaces libres d’évoluer. »

Le modèle des villages de vacances« La question de la transposition possible de l’ha-bitat permanent sur l’habitat de loisir est très inté-ressante mais à prendre avec des pincettes. […] Ily a des schémas dont on peut s’inspirer, qui sontrelativement transposables. La question c’est :pourquoi certains schémas sont acceptés, voirerecherchés dans l’habitat de loisir et rejetés dansl’habitat permanent ? Je fais l’hypothèse que lesgens qui recherchent l’esprit de village dans l’ha-bitat permanent sont des gens qui ont fait l’expé-rience de l’habitat de loisir et qui recherchent unpeu la même chose… »« Aujourd’hui, on fait des parkings énormes à

l’extérieur des villages-vacances et les gens ne

touchent plus leur voiture pendant des jours. Il y adonc des plans d’aménagements très intéressantsà faire, avec uniquement des cheminements pié-tonniers… »

Dans des opérations actuelles« À Échirolles, il y a un quartier important qu’ona appelé « le village ». Il y a eu un effort pourcréer un endroit avec un espace, une place, où ona essayé de retrouver des éléments significatifs,des repères… Mais ça ne vit pas parce qu’ilmanque le commerce, il manque « l’église »,enfin les éléments qui permettent d’obtenir unespace équilibré où les gens se sentent bien ».

Les éco-quartiers, un lien avec le modèlevillageois« Pour le quartier Vauban à Fribourg, on ne parlepas de village alors qu’il est comme un village-vacances : ils garent la voiture et vont à pieds, àvélo, et ils ont l’air contents comme au VVF ! Il ya donc peut-être quelque chose à fouiller… »

Des questions pour l’urbaniste

Qu’est ce qui fait village ? Quels sont les éléments urbains significatifs, les pratiques sociales des villagesqui sont transposables dans des opérations actuelles ? Comment introduire des réflexions sur le modèlevillageois (formes et usages) dans l’actualité des éco-quartiers ? Comment trahit-on un modèle en sépa-rant formes urbaines et modes de vie ?

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Des questions pour l’urbanisteComment instaurer un dialogue avec les habitants et les élus pour explorer ensemble l’at-tente de « village » et aller au-delà de l’image ? Comment traduire en formes urbainesl’« espace bienveillant » ? Comment travailler en urbanisme sur les valeurs collectivesqui sont contenues dans la demande de village, tout en répondant aux exigences fortesdes libertés individuelles aujourd’hui acquises : propriété, tranquillité, accessibilité,autonomie, services… ?

La question identitaire est posée« Si on veut comprendre les ressorts de nospublics et de nos élus, il faut respecter leur per-ception du village selon qui ils sont. On n’aurapas la même perception du village depuis l’anciendu village dont la famille est là depuis 300 ans,que depuis le néo rural. »« Lors de la concertation liée à l’élaboration d’unPLU, la notion de village est travaillée entre lesélus et les citoyens, comme s’il y avait un contratdisant que les élus vont garder ce caractère villa-geois, s’en porter garants ».« La notion de « village historique » est au cœurde la présentation que font d’elles-mêmes toutesles communes de l’agglomération grenobloise »

La nostalgie« Je suis tous les jours confronté dans ma pratiqueprofessionnelle à l’emploi du terme « village »comme référence, comme symbole d’une certainenostalgie ».

Le rejet de l’urbain « L’appellation de village est galvaudée et sembleêtre un rejet de l’urbain. La campagne présiden-tielle de Mitterrand en est un bon exemple : onfait rêver les Français sur l’appartenance au vil-lage et le culte de la maison individuelle, qui vontun peu de pair. »« L’approche actuelle du village, cette sensibilité

par rapport au village, c’est plus une définitionpar défaut et par réaction par rapport à unmodèle urbain que les gens ne maîtrisent pasdans sa complexité. »

Le repli« La question du repli communautaire est impor-tante. Au village olympique [quartier de Grenoble]par exemple, le sentiment d’appartenance à unvillage, à une communauté d’habitants qui seconnaît, à une qualité de vie, etc., est extraordi-nairement fort. À la Tronche [ville de l’aggloméra-tion grenobloise], c’est la même chose. Et quandon va dans un vrai village comme Le Sappey [lirel’article de Roger Caracache, page 8] , il y a aussiun rejet de l’extérieur, qui vient plus souvent desderniers arrivants que des historiques. »

La communauté, la solidarité, le lien social« S’il y a un référent commun à tout le mondequant au village, c’est l’idée de lien social, decommunauté. Mais lorsqu’on essaie de la mettreen œuvre en préconisant d’articuler et de rappro-cher les habitations, de créer des espaces publicsde rencontre, de favoriser la mixité sociale, etc.,ça vole complètement en éclats. ».

L’espace « bienveillant » « Ma culture personnelle et ma pratique de la villeme renvoient aussi au village : j’habite dans lequartier Saint-Bruno [à Grenoble] mais on dit quec’est un village parce que c’est sympa, il y a lemarché, tout le monde se connaît, etc. Enmême temps, on parle des villages de Paris, deGreenwich village… ça recouvre donc aussi d’au-tres types d’espaces. À la fin, on ne sait pas si« village » signifie quelque chose, mais on sentque ça représente une sorte d’espace bienveillantpour une communauté, quelle que soit sa taille. Etpar rapport au rejet de l’urbain, le village pour-rait en fait représenter la part qu’on aime bien dela ville, cette urbanité qu’on ne sait pas biendécrire et qui est faite de rencontres, d’événe-ments, d’activités, de commerces, d’espacespublics, etc. »

Une urbanité de proximité et d’appartenance« La question du village renvoie à celle des appar-tenances territoriales. Les individus se situent dansde multiples appartenances et trouvent des réfé-rences à la fois dans le très local et dans le trèsglobal. La notion de village traduit cette référenceau très local : les gens éprouvent le besoin de seréférer à un espace habité qui leur est proche,qu’ils valorisent, qui les valorise et auquel ils prê-tent de nombreuses vertus. »« La question du village renvoie à celle de l’en-

tre-soi. Est-ce que le village n’est pas le lieu danslequel on va chercher à retrouver des gens quinous ressemblent ? »

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Des questions pour l’urbaniste

Comment inventer, innover, bousculer, rassurer, avancer… dans des projets d’urbanisme àpartir d’une réflexion sur la demande de « village » caractérisant le besoin paradoxale d’in-dividualisme, de mouvements, de liberté, de choix, d’une part et d’autre part, des valeurscommunautaires, d’ancrage historique et territorial, de solidarités et de permanences ?

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Le village comme référenceLa notion de village peut devenir un outil de l’urbaniste à la condition de le considérer dans toutes sesdimensions : réalités, images, modèles, symboles et références. Cela suppose de dépasser nostalgie,idéalisation et vision archétypale pour en faire un objet d’échanges et de débat. Le concept de villagedevient ferment de projets s’il a permis à l’urbaniste de se rapprocher d’une demande plus explicite etmoins paradoxale.Les transpositions des « qualités villageoises » sont alors possibles vers des projets de natures très diffé-rentes, ce n’est plus un modèle mais un ensemble d’attentes et de besoins mieux exprimés. Il reste alorsà se donner ensemble, habitants, élus, professionnels, les conditions de l’imagination, de la créativité pourinnover. Peut-être une histoire de confiance et d’optimisme.

La notion de village, un outil pédago-gique« En tant qu’urbanistes, nous pouvons utiliser levillage comme outil pédagogique pour faireémerger une réflexion urbanistique avec les élussur la pratique de l’habiter » « On est amenés à utiliser la notion de village,voire à l’instrumentaliser pour poser d’autresquestions, interroger l’identité, sensibiliser à cer-tains enjeux… »

Dépasser l’archétype« En rentrant par le biais modes de vie et fonction-nement objectif du territoire, on échappe un peuà l’archétype villageois qui n’est pas moteur »

Ne pas idéaliser la notion de village« Je m’interroge sur ce que la ville permet que nepermet pas le village et sur ce qu’on va perdre enessayant de faire des espaces bienveillants par-tout. […] Je trouve que la ville, avec toutes sesimperfections, permet l’anonymat, l’expression dela différence, des espaces de frottements, deconflits, d’expression de contradictions… Oùsont-ils relégués ? »

Le village dans la ville dense« Dans les quartiers d’habitat social qui produi-sent pourtant des représentations avec de trèsfortes densités, des hauteurs très importantes, uneminéralité forte… mais que les habitants qualifient

de villages dans la vie quotidienne, du fait quetout le monde se connaisse, que les gens sedéplacent à pieds facilement et que la plupart desservices de proximité soient présents. »

Une vie de village dans la métropole« Beaucoup de villageois travaillent en ville etviennent tous les jours en vélo et en train. Ils serencontrent tous les matins dans le train et formentune vraie communauté d’habitants, qui seconnaissent et ont un vrai temps ensemble. Etcette temporalité fait village. Ils ont fabriqué unesociabilité dans les trajets, comme on le faisait surles charrettes quand on allait faire les foins. »« Aujourd’hui un village, c’est au moins nos deuxou trois vallées : la sociabilité s’établit à l’échelledes bassins d’emploi, des milieux de vie. »« Des communes urbaines de petite ou moyennetaille qui voient arriver un tramway revendiquentparfois une double dimension : celle du village etcelle de l’agglomération. […] Ce croisement entredimension très locale et dimension métropolitaineest très présent dans les communes de deuxièmecouronne où il n’apparaît pas comme contradic-toire, ni aux élus ni aux habitants. Ils considèrentqu’ils ont à la fois droit à la faible densité et àl’appellation de village et aux services du trèsurbain. Il faudrait donc resituer le village dans lanotion de métropole. »

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« VILLAGE. n.m. (de villa). Groupe de maisonshabitées principalement par des paysans »1. C’esten ces termes que les dictionnaires définissaient levillage au milieu des années cinquante. À cetteépoque, on parlait encore avec condescendanced’« habitudes villageoises » dans les « Provinces ».Les temps ont changé même si certains clichésrestent tenaces, à l’image de ces quelques synonymes glanés sur Internet : « bourgade »,« commune », « hameau », « localité », « patelin »et même « trou ».

Un poids non négligeableOn définit souvent le village en creux par rapportà la ville, commune de plus de 2 000 habitants.D’après l’INSEE, l’Espace à dominante rurale -défini comme l’ensemble des communes qui ne sesituent pas dans l’Espace à dominante urbaine -rassemblerait 18 % de la population, soit10,5 millions d’habitants, sur 59 % du territoire.Malgré le discours dominant pour la suppressiondes 36 782 communes-aussi-nombreuses-que-dans-le-reste-de-l’Europe, malgré les impréca-tions sur le coût des petites communes et desvillages, les échelons de base de la démocratierésistent encore. La « démocratie chaude » resteune réalité vivante et les maires des petites com-munes, propulsés assistantes sociales, dévelop-peurs et aménageurs à la fois, sont bien lesderniers piliers de la République2.

Des images contrastéesTout le monde s’accorde pour dire que la villeidéale, lieu de rassemblement et de séparationpar excellence, n’a jamais existé. Le village idéalnon plus. Les images sont contrastées. C’est souvent un petit monde enchanté pour celles etceux qui n’y ont pas vécu. Pour celles et ceux qui

y sont nés et ont dû s’en aller en ville faire l’expé-rience de l’altérité et de l’anonymat, le village estplutôt synonyme d’enfermement, un univers étroitsoumis au contrôle social. La ville rend libre.En ce début de XXIe siècle, le terme de « village »paraît à la fois désuet et furieusement tendance.Désuet d’abord car le mot même de village avieilli. Tendance, car l’image du village est revisitéeen permanence par la publicité et le marketing quicherchent à ré-enchanter l’image authentiqued’une France profonde en y puisant sans cesse clichés, personnages typiques et paysages bucoliques.Plus le village disparaît et se dilue dans la moder-nité, plus il semble présent dans les imaginaires.Plus il perd de sa substance, plus il paraît éternel.Plus il se transforme, plus on aimerait le retrouverinchangé, figé, pareil à autrefois, dans un passéidéalisé. Plus la ville nous angoisse, plus le villageparaît rassurant. Plus les relations urbaines s’affa-dissent, plus le village se pare d’attributs convi-viaux. Dans un monde de plus en plus mouvant etcomplexe, dans un univers qui nous échappechaque jour un peu plus, la figure du villageapparaît pour beaucoup comme un refuge sûr, lelieu stable de la proximité et du réel. Il est à la foisle repaire des gens d’ici et le repère des accourusd’ailleurs, celui des sédentaires et celui desmobiles. Il donne à qui le souhaite l’illusion d’unmonde contrôlable, appréhendable, simple etorganisé. Un monde où chacun se salue, se situe,un lieu où chacun est à sa place entre le « je » etle « nous ». Héritière de la paroisse, la commune ancre profondément ses racines dans l’histoire natio-nale. C’est l’échelon de base de la démocratie. LaFrance éternelle est d’abord celle des villages quel’on contemple de la Colline inspirée. Image éternelle de l’enfance, image des clochers et des

Par Luc Gwiazdzinski ,géographe, enseignant-chercheur à l’Université

Joseph Fourier de Grenoble.

1. Nouveau PetitLarousse Illustré,Dictionnaire encyclopédique,1955, LibrairieLarousse, p.10832. Gwiazdzinski L., Rabin G., 2007, La fin des maires. Dernier inventaireavant disparition, FYP Editions

Le village nouvelle frontièreLes faits sont là, ténus. Nous vivons désormais dans une France urbaine.Malgré tout, les villages n’ont pas disparu. Alors que les modes de vie se rapprochent, l’opposition symbolique entre « ville » et « campagne »,« urbain » et « rural » semble paradoxalement ravivée.

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bords de route, image de juillet où tout un payssaucissonne en attendant le passage de la cara-vane du Tour de France. Une France villageoisedes vacances estivales vers l’Ouest ou le Sud. UneFrance des bals populaires et des feux d’artifice.Une France de cartes de vœux où de petits villages sous la neige attendent la nouvelle année.L’église, la mairie, la Poste, le bistrot, l’école et la boulangerie : le décor paraît immuable. Le village, c’est aussi l’image d’une France éternelle,revisitée en permanence par la propagande et lespublicitaires, entre les affiches du Maréchal Pétainet celles plus récentes de Jacques Séguéla pour lecandidat François Mitterrand. Celles et ceux qui continuent à regarder le présentavec ces lunettes d’hier seraient bien inspirés d’aller faire un petit tour au village.

Des évolutions rapidesLe village a profondément changé, tant d’un pointde vue paysager, sociologique que sur le plan institutionnel. Tout d’abord, on n’entre plus si facilement dansnos villages. On n’y pénètre plus toujours par unebelle traversée sensuelle et charnelle. Le rond-point redistribue les flux à l’entrée et des contour-nements permettent à peine d’effleurer le village.La plupart du temps, c’est le grand tour avec vuesur les arrières cours et passage obligé à la sortiedes villages par les bâtiments agricoles que l’ondistingue à peine des ateliers municipaux et desbâtiments de la zone artisanale, non loin de bientristes lotissements.Les caractères traditionnels de la ruralité ne permettent plus de décrire et d’expliquer ce terri-toire. Longtemps, la société rurale a été définie

par une relation étroite entre un espace local et ungroupe d’individus. S’opposant à l’urbain, lieupar excellence de la modernité, le rural étaitcaractérisé comme le lieu où les activités agricoleset artisanales étaient réalisées par des populationsattachées à leur territoire et vivant en quasi-autarcie.Dès les années soixante, Henri Mendras3 a mon-tré la transformation rapide du rural en un espaceagricole destiné à la production de denrées ali-mentaires. Puis on a assisté à la généralisation desmodes de vie urbains. « L’hypersédentarité […] dela ruralité » s’est effacée sous l’effet de la généra-lisation de la « mobilité urbaine »4. Là où autrefoisune quinzaine d’agriculteurs vivaient dans lebourg, un ou deux seulement poursuivent désor-mais leur activité. Pour une commune où subsis-tent encore une école, une épicerie, uneboucherie, un bistrot et une boulangerie, combiende villages dortoirs ? Plusieurs phénomènes expliquent la transformationrapide du village et du monde rural : les recom-positions sociales sous l’effet des mobilités, ladiminution de la population agricole, la montée denouvelles attentes en termes de patrimoine,d’écologie ou d’identité et l’émergence de fonc-tions nouvelles comme l’entretien du paysage, laqualité de production ou la protection de l’envi-ronnement. Enfin, la notion de « cadre de vie » estdevenue une composante majeure dans la dyna-mique d’évolution des ruralités.L’éclatement des temps, des espaces et des mobilitésa fait voler en éclat les cadres de la quotidienneté.Aujourd’hui, ce sont les vieux qui « tiennent le vil-lage » en journée, accompagnés des enfantsquand subsiste encore une école. Celles et ceuxqui vivent là travaillent désormais ailleurs. On neles croise plus que le matin tôt, le soir après dix-huit heures ou le week-end. Les néo-ruraux se sontparfois installés ici, attirés par le cadre bucolique,ou rejetés au loin par la ville. Le week-end, d’au-tres populations rejoignent le village pour peuplerles maisons aux volets clos. À la belle saison, lestouristes ou les enfants des anciens habitants fontrevivre les villages les plus attirants. Il n’est pas sûrque tous ces usagers se croisent vraiment, coloca-taires d’un espace commun sans histoire ni tempscommuns. Il n’est pas sûr non plus qu’ils habitentvraiment les lieux de la même façon. Ils cohabitentet parfois le miracle se produit le temps d’une fête,d’un marché, d’une foire ou grâce au dynamismed’une association. Le plus souvent, on s’ignore,comme on le fait si souvent en ville, et on vit unpeu hors sol dans un décor champêtre. Les inté-rêts et les besoins ne sont pas les mêmes. Parfois,des conflits éclatent entre les néo-ruraux quiaiment le village sans ses odeurs, les cloches des

3. Mendras H., 1967, La fin des paysans,

Sedeis4. Hervieux B., Viard J.,

1996, Au bonheur des

campagnes, L'Aube

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vaches ou celles de l’église, et les autochtones quitrouvent là des repères essentiels. La chasse, l’en-vironnement, la gestion des déchets ou l’urba-nisme font partie des sujets de discorde.

Des personnages héroïquesComme les santons dans la crèche, le village ases figures éternelles : le curé, l’instituteur, le boulanger, le facteur et le maire. Seul, suite à ladésertion de l’É tat et des prêtres, ce dernier s’accroche encore. Dernier pilier de la République, ilfait front et pare au plus pressé dans ce grandbazar de la décentralisation. Seul, mal formé etexcédé, le maire de petite commune ploie sous lepoids de la paperasse et des responsabilités. Lemaire est le premier interrogé quand une entre-prise cesse son activité, quand une maison brûleou quand les routes sont enneigées. C’est aussi lepremier interpellé quand les écoles ferment,quand les trains ne s’arrêtent plus, quand uneentreprise cherche un terrain où s’implanter ouquand le petit dernier ne trouve pas de boulot. Lemaire, toujours le maire, alors qu’en parallèle,sans sa politique, ses représentations, sa présencemême au cœur des communes, l’État a renoncé,comptable plutôt qu’organisateur, arbitre desbonnes mœurs libérales plutôt que visionnaire.Comment faire sans la Poste pour les envois ou lesuivi des économies sur le Livret A ? Commentfaire sans l’école, sans les postes d’instituteurs,dans des classes à trente-cinq élèves en banlieueoù l’exclu est encore plus exclu. Comment fairequand le train n’est plus là, ou jamais à l’heure ?Comment faire quand l’électricité est privatisée ?Quoi faire quand l’état des routes dépend de l’argent du conseil général, déjà englué dans lesocial. Comment imaginer les justes arbitragesquand la politique d’aménagement du territoiredépend d’un conseil régional dont les élus sontissus d’une liste départementale élue à la propor-tionnelle… Alors qui est responsable, ou mieux, à qui profitele crime ? À la fois aménageurs, développeurs etassistantes sociales, les maires, héritiers desparoisses du Moyen-âge s’accrochent encore, làoù les receveurs de Poste, les employés de lasécurité sociale, les gendarmes, les percepteurs etmême les curés ont renoncé. Ils résistent encore ettoujours à la montée de l’intercommunalité et aurepli de l’État. Ailleurs en Europe, on les regardeavec une certaine curiosité, comme des symbolesde la fameuse exception culturelle française. Onles aime, on attend beaucoup d’eux et pourtantles maires se sentent de plus en plus seuls etabandonnés. L’amour des Français ne suffira sansdoute pas à les rassurer. Combien de temps résisteront-

ils ? Combien de temps tiendront-ils encore faceaux coups de butoir de l’idéologie dominante,isolés et sans l’aide de l’État ? Vont-ils être sacri-fiés sur l’autel de la normalisation ? Va-t-on lesremplacer par d’autres, à d’autres échelles ?Vont-ils disparaître et avec eux les villages ?

Un retour en grâce

Pendant des années, les sciences sociales ontdélaissé l’étude des espaces ruraux et de leurshabitants. Pourtant les temps changent. Depuispeu, le monde rural revient à la mode. Le villageest régulièrement réinvesti par le marketing. Lesquartiers des métropoles s’accaparent le terme àdes fins de convivialité. À Paris, « Bercy village »est un succès. Ailleurs, des « villages étapes »vous accueillent sur les autoroutes ou voiesexpress. Sur internet, le quartier de Belleville5 semet en scène comme un vrai village avec son histoire, son plan, ses fêtes de village, ses com-merçants, ses débats, son guide pratique. Le villageen ville. À quand Paris village ? Les « villages demarques » ou « d’antiquaires » ne désemplissentpas. Les distinctions se multiplient. Le club des« plus beaux villages de France » s’agrandit. Lamaladie de la distinction et de la muséificicationcontamine jusqu’à la plus petite de nos communes.Des « villages fleuris » au haut débit, rien n’esttrop beau pour exister, avec ou sans l’aide del’Europe. On prête bien des vertus au monde rural. Dans unpays qui craint le futur et le changement et oùchacun baigne dans « l’antepathie » - ou amourdu passé -, on lui trouve tout à coup bien desatouts et avantages dont la sécurité, le bien-être etla convivialité après lesquels tout le monde court.C’était toujours mieux hier. L’église était au centredu village et les vaches étaient bien gardées.Le travail d’associations comme « Notre Village »est à l’image des mutations qui traversent lemonde rural. D’un côté, elles continuent à œuvrer 5. belleville-village.com

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pour « lutter contre la désertification de certains villages ». De l’autre, et face au retour de certaines populations en milieu rural, elles s’inves-tissent pour « faire face à l’arrivée de ces nouveauxhabitants et organiser la vie en commun demanière à préserver, voire à améliorer le cadre devie en général ». Face à l’augmentation des coûtsdu foncier et des loyers, nombreux sont les couples aux revenus modestes qui ont été chassésdes centres des villes, et à l’autre bout les famillesplus aisées qui ont trouvé en milieu rural un cadreagréable loin des désagréments supposés de laville. Dans les milieux parisiens, la « nouvelle loiPLM » (Paris-Luberon-Marrakech) a consacré laplace essentielle de la maison de village dans leparcours zigzagant des élites françaises mondiali-sées. Pour certains, la résidence secondaire a parfois même pris le dessus sur la résidence principale. La cohabitation n’est pas toujoursfacile. On craint surtout l’arrivée de populations endifficultés, les problèmes d’intégration et les coûts.Le monde de la recherche réinvestit actuellement lemonde rural et le village pourrait en profiter. Avecla publication récente de son ouvrage Le Villagemétamorphosé, l’ethnologue Pascal Dibie6 (lire sonarticle page suivante) semble avoir donné le signaldu départ pour de nouvelles investigations. Aprèslui, colloques, articles scientifiques et programmesde recherche annoncent au moins un retour engrâce du monde rural, avant peut-être une vaguede fond. Le rapport du groupe de travail« Nouvelles ruralités » sorti en 2008 sous le titreLes nouvelles ruralités en France à l’horizon 20307

s’aventure même sur les chemins trop désertés dela prospective rurale.

Résistance ou futurs gagnants ?Malgré les apparences, le village et le monde ruralrésistent encore à leur manière aux réseaux, à laconvergence croissante des activités et des modesde vie, à la désertion de l’État, à l’ambition folle degommer les particularités et les différences. Leurseule présence est un signe fort face à la tentationde bâtir un monde homogène et artificiel. Mieux,ils peuvent passer de la résistance à l’offensive, seservent de ce nouveau contexte pour recomposerautre chose échappant au regard impérieux de laville sur ses marges pour devenir un centre. On avu qu’il était difficile de réduire le village et l’es-pace rural à quelques tableaux de chiffres et cartesmulticolores. Réfugié derrière des clichés exhibéscomme autant de leurres, l’espace rural n’est pasimmédiatement compréhensible, aisément quanti-fiable. Avec ses frontières, ses entraves, ce n’estpas un simple espace économique, sans attacheslocales et identités mais un territoire singulier et

complexe, rocailleux, rustique comme l’accent deceux qui y vivent, un territoire qui exige du temps.Il colle aux souliers. Il laisse entrevoir sa « fini-tude » et son imperfection. Incarné, il oppose sou-vent une sourde résistance à ceux qui ne voient enlui qu’une source de complications face à l’exten-sion du domaine de la ville. L’idée même de villagedépasse la matérialité des murs de pierre.

Inersement des valeurs ?En ces temps de rejet du gigantisme, d’échec desmodèles de développement et de repli de l’État, ilest possible que le village retrouve bientôt lesfaveurs de l’opinion, des aménageurs, urbanisteset autres développeurs. Il est possible que la ville etles urbains viennent y puiser de nouvelles idées etressources. Les routes du développement durablepasseront avec profit par le village. Le label « Notre Village Terre d’avenir » décerné par l’association « Notre village » qui « permet auxvillages d'aborder le développement durable demanière concrète et adaptée » est peut-être précurseur. Le retour du small is beautiful, l’arrivéedu slow food, le retour en grâce du jardin et d’autres mouvements pourraient prochainementemporter l’adhésion du plus grand nombre. Il estpossible que l’on assiste bientôt à un inversementdes valeurs : alors que la vie en ville paraît de plusen plus contraignante, la campagne pourrait deve-nir le nouvel espace de liberté, d’épanouissement,un lieu d’hybridation des modes de vie, d’inventionet de créativité. Il faut ré-ouvrir le chantier du ruralet du village pour enchanter l’avenir en toutemodestie. À la marge de la ville, des hommes etdes femmes ont reconstruit des parcours de vie,développé d’autres activités, imaginé de nouvellespratiques et modes de vie, qui peuvent nourrir lesréflexions sur la ville et sur l’urbain. Le village a longtemps été synonyme de « contrôlesocial ». On le quittait pour accéder à l’anonymatet faire carrière à la ville. L’hypermodernité va-t-elleinverser les flux ? Ira-t-on demain faire carrière àla campagne ? Fuira-t-on en masse la ville pourmonter au village ? Après tant d’excès et de prétention urbaine, notre société reviendra peut-être à plus de modération et de modestie. Loin desclichés, le village pourrait alors tirer son épingle dujeu.Le village prendra-t-il ses quartiers en ville ou laville s’emparera-t-elle à nouveau de la campagne,manière de la faire disparaître ?… !

6. Dibie P., 2006, Le village métamorphosé,

Terre Humaine, 405 p.7. Les nouvelles ruralités

en France à l’horizon 2030,

rapport du Groupe de travail. Nouvelles rura-

lités, 2008, INRA, 82 p.

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Chaussant ses lunettes d’ethnologue, Pascal Dibie a transformé son villagebourguignon de Chichery en laboratoire, pour analyser les profondes trans-formations du monde rural qu’il a observées en trente années.

Par Pascal Dibie,ethnologue, écrivain, enseignant-chercheur à l’Université Paris 7

Le village n’est rien d’autre à l’origine que le résultat d’un début de vie en commun de famillesdistinctes qui produisirent un arrangement de l’espace où l’homme et ses maisons contiguës secalèrent au mieux qu’ils purent jusqu'à construireune harmonie. C’est aussi le fruit d’un univers quis’invente en résonance avec les hommes qui lepeuplent. Le village est une idée, comme l’écrivaitGaston Roupnel, sortie de « la mise en comptehumain de toutes les valeurs et de toutes lesfigures inscrites par le sol et les lieux […] C’est unêtre vivant, qui a pris forme de son chantier ets’est façonné, comme les hommes, de sesœuvres. Il se dilate ou se contracte ; s’amplifie ouse rétrécit du mouvement qui recule ses frontières ».Les frontières de mon village, Chichery, ont eneffet bougé, pour ne pas dire explosé. Nous ensommes à cet instant où l’espace géographique etsocial se modifie et où les villages, tous les villagesdu monde, se métamorphosent. D’hommes enpays il ne reste plus guère ; quant à nous, si nosmaisons existent encore, nous sommes bel et bienmontés dans le train à grande vitesse de lamodernité et notre emballement ne surprend pluspersonne. Personne ne contestera que, toutcomme les paysages, les villages se modifient. Ce qui faisait leur terreau et l’alimentait de sa dra-matique quotidienne, l’homme, s’échappechaque jour vers d’autres horizons, aimanté parl’irrésistible périphérie des villes où se développentles temples d’une nouvelle façon d’être : laconsommation.

La nouvelle donne d’une société deconsommationIl semble que ce soit l’invitation et l’accès à uneconsommation plus large qui ait obligé les gens à

sortir du village puis à prendre l’habitude d’allerchercher ailleurs ce qu’on ne pouvait trouver surplace. Avec ces « sorties », l’espace relationnels’est élargi, on a commencé à fréquenter un peumoins nos voisins, fait de plus en plus de« connaissances » à l’extérieur et, avec ces nou-veaux amis, mis en place, sans s’en rendre vrai-ment compte, un univers quotidien qui neressemble plus du tout à l’ancien. La variété, quin’était pas traditionnellement inscrite dans lemonde paysan, a fait son entrée dans le village :produits nouveaux, amis nouveaux et modes nou-velles ont créé des goûts et des expériences iné-dites dont on se délecte encore un peu. Le villagea rejoint la ville, sinon dans ses plaisirs, au moinsdans ses loisirs. En tout villageois, il y a désormaiscomme un citadin privilégié. Oui, nous avons leprivilège de l’espace - une maison, un jardin -, dela tranquillité et (croit-on) du bon air… Nousavons aussi le bonheur de la voiture facile quinous fait nous déplacer où nous voulons quandnous voulons et nous donne ce sentiment d’exis-tence libre et choisie. Par contre, plus compliquéest devenu le voisinage.

Qui sont les habitants de mon village ?On assiste en effet à une complexification de lapopulation dite à tort villageoise, les termes enzone rurale, pour nos (ex)villages et rurbains pourleurs habitants, seraient plus appropriés. Toujoursest-il que le fameux refrain sur l’homogénéité deshabitants des villages n’est plus la règle. À bien y regarder, dans mon propre village, àChichery, on peut désormais compter une minoritéd’anciens paysans, les derniers « campagnards »qui ne représentent plus en France que 10 % de lapopulation des villages.

Que sont nos villagesdevenus ?

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Définir le terme village n’est pas chose aisée. Sil’on commence par revenir à son étymologie, onconstate que village dérive du latin médiéval vil-lagium qui signifie groupe d'habitations rurales.Le Petit Robert ajoute « groupe d’habitationsassez important pour avoir une vie propre (à ladifférence du hameau) ». Côté démographie, il n’existe pas de définitiondu village. Ou en creux, si l’on considère quel’urbain ou la ville commence avec 2 000 habi-tants agglomérés. Sur les 36 500 communesfrançaises, 31 200 sont rurales et 5 300urbaines. Parmi les communes rurales, le plusgrand nombre (27 000) ont moins de 1 000habitants et plus de 10 000 communes comptent

entre 200 et 500 habitants.En France, la population rurale est particulière-ment nombreuse dans l’Ouest de la France. Danscertaines régions françaises, comme en Loire-Atlantique ou en Bretagne, les habitants utilisent leterme de village pour toute agglomération d'habi-tations, par opposition au bourg qui est le chef-lieu communal. La dénomination village peutalors être utilisée en lieu et place de celle dehameau. En Haute-Loire, on parle également dubourg et de ses villages.Finalement, ce qui caractérise le plus concrète-ment le village, c’est d’une part sa forme continueet d’autre part son caractère vivant. D’après ladirection générale de l’Urbanisme, de l’Habitat et

Tentative de définition du village

1. Source :http://www.urbanisme.

equipement.gouv.fr/IMG/pdf/Littoral_3_c

le72d5d6.pdf

On peut y ajouter les bienheureux retraités locaux,le plus souvent des enfants du pays qui s’étaientexilés en ville et font un retour au village bienmérité. Ces derniers estiment qu’ils vont enfinpouvoir jouir de leur vie libre sur ce qu’ils consi-dèrent plus comme leur terroir que leur territoire.Très souvent, aux premiers temps de la retraite, ilss’investissent dans la vie du village, avant que dese sentir fatigués, ils ne cèdent leur place à desplus jeunes, voire à des « étrangers ». Une nouvelle espèce d’habitants vient en effetrepeupler nos villages. On peut les catégoriseren « conversationnistes » et en « réenracinés ».Ces héros contemporains du grand retour sontvenus se ressourcer à la campagne. Ils n’ont decesse d’essayer de reconstituer la campagne.Militants du « vrai », de l’authentique, ce sont desdécalés du temps qui voudraient que subsisteencore le village d’hier. Ils s’inventent des associa-tions aussi diverses que peu variées pour défendrede nouveaux terroirs au nom de la patrimonialisa-tion du monde rural. Partout désormais fleurissentces « logiques vertes » qui réclament l’impossible :du naturel, du rural, du bucolique, du sans bruit,du sans pollution, du sans odeur et tous les avan-tages de la ville… La mode passera, si elle n’estpas déjà passée !Il y a aussi ces nouveaux voisins qui sont en villageparce qu’ils refusent la civilisation urbaine et sestracas. Ces derniers, à la recherche d’un anti-modèle urbain anticapitaliste, venus chercherl’opposé de ce qu’ils vivaient en ville, croient unpeu en l’ancien théâtre rupestre idéal, mais ils ontle mérite de l’ouverture, du dialogue et de larecherche d’échanges, aussi bien de services

qu’intellectuels.Plus inquiétante du point de vue du devenir de nosespaces ruraux est l’arrivée d’habitants inattendusissus d’une logique du refus. Il s’agit d’une frangenouvelle et de plus en plus importante qui vienthabiter les quelques logements sociaux mis a leurdisposition dans nos villages. Tout comme leursvoisins, ils voudraient bien jouir des plaisirs de laconsommation et de l’accès aux services de laville, mais leurs revenus quasi inexistants font quele plus souvent ce sont des victimes de la logiqueurbaine de l’exclusion. Ils sont devenus, par lesfaits économiques, des sous-citoyens en ce qu’ilsne peuvent pas participer à temps plein à lasociété de consommation. Ceux-ci, presque ostra-cisés par la population qui les entoure et s’enméfie, vivent le village comme un lieu de réclu-sion. Périphérisés contre leur gré, ils vivent trèsmal « le profond emmerdement de la ruralité »,pour reprendre l’expression de Raymond Queneau,et se sentent comme assignés à résidence par

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manque de moyens. Ces derniers sont vécus dansles villages comme l’avant-garde des exclus dusystème.

Une inexorable accélération ?Pour la majorité des habitants, l’histoire indivi-duelle ne se construit plus au village, d’une partparce que le village n’a plus cure de son finage etqu’il fait désormais partie intégrante d’un territoireurbain, d’autre part parce que notre rapport autemps et à l’espace s’est entièrement modifié.Nous avons subi, comme en ville, l’accélérationgénérale de notre vie et de ce qui s’y rapporte, cen’est plus désormais le présent qui nous préoccupemais le futur qui s’est installé comme la philosophie du temps. Il semblerait que la dimen-sion temporelle se développe en un continuumininterrompu où le futur, comme le passé, est sanscesse valorisé et le présent inexistant. Ainsi, c’estle rythme, notre rythme de vie qui s’est profondé-ment modifié. Il s’est accéléré au point que pluspersonne au village n’a de temps pour l’autre endehors de la famille. Tous, nous nous sommes inscrits dans une urgence absolue qui nouspousse toujours plus en avant et fait de la vitessele parangon de notre fonctionnement. Le change-ment est visible de ce côté-là ; nous sommes prisdans cet étrange maelström et nos récriminationsindividuelles, lorsque nous nous rencontrons, vontdans ce sens, sans que nous puissions donneraucune réponse.Wittgenstein écrit à propos des tentatives dedécryptage de nos sociétés contemporaines« nous attendons à tort une explication alors quec’est une description qui est la solution de la diffi-

culté ». Voila pourquoi j’ai chaussé, à trente ansd’intervalle, mes lunettes d’ethnologue et me suislancé dans la description au plus près de monpetit village de l’Yonne à travers Le village retrouvé(1979) et Le village métamorphosé. Révolutiondans la France profonde (2006). C’est ainsi quej’ai tenté de débusquer les changements des cultures, des hommes et des consciences survenusdans notre fragile univers. Je me suis intéressé auxphénomènes banals mais irrésistibles qui, en cetteentrée dans le XXIe siècle tout neuf, ont opéré unevéritable révolution dans nos villages et dans nosvilles désormais inséparables. J’ai décrit autantque j’ai pu et j’ai reçu la confirmation que lamétamorphose de nos sociétés est bien réelle, quenos échelles ont changé et avec elles la pensée etun large pan de notre humanité. !

de la Construction1, le village est un ensembled'habitations organisé autour d'un noyau tradi-tionnel, assez important pour avoir une vie pro-pre. Plus importants que les hameaux, les villagesoffrent des services de proximité - administratifs(mairie, école…), cultuels ou commerciaux - toutau long de l'année. En termes de composition, ce qui caractérise levillage est son unité. Unité par la continuité dubâti, par son organisation et son implantationspatiale le long des voies et des espaces publics.Notons que cette forme continue peut prendre desconfigurations diverses, selon la géographie etl’histoire du lieu, villages-rue en Lorraine, villagescirculaires du Languedoc, villages perchés, etc.

Le caractère rural est inhérent au village ; le par-cellaire agricole préexistant conditionne la tramedu tissu urbain et, par conséquent, le rythme desconstructions et l'orientation des voies. Le reliefapparaît souvent comme un facteur qui ordonneet clarifie la forme urbaine des villages.

Le village planétaireQuant au village planétaire (en anglais global vil-lage), c’est une expression récente qui manifesteà la fois le raccourcissement des distances dû audéveloppement des communications (particulière-ment avec les NTIC) et met en évidence la globa-lisation de l’économie qui engendre une« autarcie » à l’échelle de la planète entière .

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Le monde est tout sauf un village, et dans le mêmetemps, il faut se faire à l’idée qu’il ne sera pluscomme avant, avec des cloisonnements, que l’onne pourra plus s’enfermer dans un lieu séparé desautres. Ce qui se joue d’un côté a des répercus-sions sur l’autre : avec internet, nous sommestous reliés en temps réel, mais ce village est aussitraversé de conflits. Il me semble que cette notion de village globalrecouvre celle d’universalisme, avec cette idée unpeu terrifiante, un peu totalitaire d’uni. L’hommen’est pas fait pour vivre dans une seule société,dans une seule culture. Pour qu’il y ait une culture,il en faut au moins deux différentes, chacune se

définissant par opposition ou en complémentaritéavec une autre. Je pense beaucoup plus à unmonde pluriel de coexistence de dialogues inter-culturels, de dialogues plus ou moins conflictuels,un espace de « diversalité », plutôt que d’universalité.Mes collègues économistes disent que noussommes allés beaucoup trop loin - cela estconfirmé, la crise financière est en partie uneconséquence de l’unification des marchés financiers.Il faut donc aujourd’hui refragmenter les marchésfinanciers. « Revillagiser » le monde, cela ne seraitpas, à mon avis, une idée stupide.En tant qu’économiste, je suis sensible à l’idée derelocaliser les emplois, notamment face aux

Entretien avec Serge Latouche,

économiste, contributeur de la revue

du Mouvement anti-utilitariste en sciences

sociales, professeur émérite à la faculté de droit,

economie et gestion JeanMonnet de l’Université

Paris XI.

« Revillagiser »le mondeSurtout connu comme l’un des penseurs de la décroissance, Serge Latouchea notamment conceptualisé l’après-développement. Il pointe les dangers del'uniformisation du monde, sous prétexte d'universalisation du modèle politico-économique.

Dans chaque quartier, des habitants structurent leurvie sociale au niveau local du quartier, tandis quepour d’autres, le quartier est un « simple toit ». Sices derniers réduisent volontiers le quartier à l’unitérésidentielle du logement, les premiers, plus nom-breux, ceux qui enracinent leur vie dans le quartier,le qualifient volontiers de micro-monde autosuffi-sant. « Mon quartier, c’est un village » est une premièrereprésentation formulée dans plusieurs quartiers,très différents les uns des autres. Quelle représenta-tion est à l’œuvre dans cette formulation ?

Mon quartier est uniqueL’affirmation « mon quartier, c’est un village » acertainement un rapport avec la mémoire du quar-tier. Alors que son histoire est mal maîtrisée par leshabitants, alors que depuis longtemps, les anciensquartiers ont disparu, le village de la tradition seréintroduit métaphoriquement dans les quartiers.Les habitants réinventent-ils un fil avec le passé ?Est-ce une manière de rendre le quartier habita-

ble ? Cela exprime-t-il un propos anti-ville ? Danscertains cas, oui. La ville est alors vue commenocive, destructrice de liens, etc. Dans d’autres cas,non : n’est-ce pas alors plutôt reconnaître une forte« identité de quartier » ?Est-ce vouloir montrer la singularité de son quartier,face à l’universel de l’urbain ? Est-ce une manièred’humaniser son quartier ? Est-ce une façon decontrecarrer la qualification de quartier dit « fragi-lisé » ? Car le village, par sa métaphore, est fondésur l’interconnaissance, sur le mélange « harmo-nieux » des différences sociales, économiques etculturelles.Est-ce une manière de fournir une image alternativedu quartier, pour combattre la réalité d’une doubledésaffiliation qui conjugue précarité du travail etfragilité relationnelle ? Ou est-ce une manière dese défaire du « statut d’assisté » ?Dire du quartier, « c’est un village », c’est en toutétat de cause lui donner une dimension humainequi signale qu’on y est attaché, mieux, qu’onappartient à cette entité.

Mon quartier, c’est un village

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Texte issu du travail réalisé par

l’Agence d’urbanisme et le département de sociologie

de l’Université deGrenoble appelé

Baromêtre de quartiers.

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problèmes de chômage. En fait, je pense qu’il fautrelocaliser la vie tout simplement, redonner sensau vivre localement, donc « reterritorialiser »,relocaliser la politique, le politique. Cela touche àla question démocratique, qui ne peut qu’être villageoise, de mon point de vue. Or, notre système politique entraîne une perversion, que j’aipu observer, dans le village de trois cents habitants des Pyrénées Orientales dans lequel jevis. Nous avons élu une équipe municipale trèssympathique, plurielle, avec une charte éthiquequi a fonctionné quelques mois, mais qui ensuiteest retombée. Car il faut le savoir, le Code descommunes ne reconnaît qu’une personne : lemaire. La collégialité n’est pas reconnue. Les villages font, d’un certain point de vue, larichesse de la France. Je passe une grande partiede ma vie en Italie, pays qui comporte moins decommunes. Il existe des communes qui sont fractions d’autres : par exemple, la commune deGrimaldi Ventimiglia est une commune de montagnede mille habitants, fraction de Ventimiglia, c'est-à-dire qu’elle n’a aucun pouvoir. Dans cette ville, iln’y a pas une épicerie, la première est à unedemie heure sur des routes de montagne, sansbus. Ces villages finissent par devenir des lieux derésidence secondaire pour des gens qui viennenten voiture, avec au moins deux voitures par foyer.En revanche, ces villages sont vides, sans unemploi local, il n’y a rien mis à part le curé. À partir de cette expérience italienne, je me posedonc la question de ce que vont produire, en

France, les regroupements de communes, lescommunautés de communes…

Des villages autonomes ?Je pense, comme certains du Mouvement pour ladécroissance, qu’il faudrait fractionner les villes etconstituer des « démos ». Une ville de six millionsd’habitants nous paraît trop importante, chaquequartier pourrait constituer un « démos » autonome...En effet, nous pouvons nous poser la questionface à la crise écologique : est-ce qu’une ville desix millions d’habitants, et à plus forte raison, unemégalopole comme Shangaï ou Mexico avec sesvingt à vingt-cinq millions d’habitants, sont des villessoutenables ? Il serait raisonnable de limiter lestailles des villes. Certains avancent le chiffre detrente mille, d’autres de soixante mille habitants…un nombre qui permet d’être à la fois autonomeet complémentaire. Mais cela suppose une vérita-ble révolution culturelle. On peut regarder du côtéde l’histoire, ce qui nous permet d’inverser notreréflexion actuelle : par exemple, à l’époque de lafin de l’empire Romain, lorsque Rome est passé dedeux millions à trente mille habitants, voire moins.Les archéologues redécouvrent aujourd’hui lapériode que les Italiens appellent le « tardoantico ». Ils analysent comment, petit à petit, touts’est dégradé, les aqueducs ne fonctionnaientplus et l’agriculture déclinait. L’approvisionnements’organisait alors autour de « diacres », chargéspar des petits groupes d’habitants de subvenir auxbesoins des communautés qui installaient une

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Mon quartier, cette grande familleCela exprime-t-il un repli sur des valeurs locales quilimite l’horizon à un rêve d’autarcie villageoise ? Lequartier comme village rejoint alors l’idée du quar-tier comme « grande famille », qui assure uneautosuffisance affective et économique ainsi qu’uneprotection rapprochée.Les relations, fondées sur un partage d’expériences,nouent une communauté de fortune, où la commu-nication, sans aller jusqu’à la communion, constateau moins un destin partagé. Il y a à l’œuvre uneculture relationnelle d’entraide. Cela témoigned’un art de garder un réseau de distances vivablesoù l’on recherche une ambiance protectrice decamaraderie. Mais cette ambiance de camaraderieest fragile, tout ce qui y met du désordre risque dela menacer. N’oublions pas que le village est unlieu où les conflits sont exacerbés. La métaphore du quartier-village est-elle l’expres-sion « naïve » d’une prédisposition à la sociabi-lité ? C’est le mélange jeunes/vieux, plusriches/moins riches, etc., qui assure la circulationdu désir de vivre ensemble, avec et malgré les dif-férences et les difficultés.

Le quartier, solidaire et collectifFace à un monde social en plein bouleversement,n’est-ce pas alors se rassurer à bon compte et dési-gner là un havre de paix sociale complètement endécalage par rapport aux représentations média-tiques des banlieues ? Ce retour à des valeurs passées exprime unemanière de reconstruire du stable, là où on estmenacé par la précarisation. Le village n’est-il pasune métaphore pour contrer toutes ces représenta-tions d’anomie que les experts collent aux habi-tants ? Ne s’agit-il pas, face au processusd’individualisation, de déclarer une manière de viequi s’imagine encore solidaire et collective ?Dans beaucoup de quartiers, nous avions diagnos-tiqué une espèce de repli frileux d’une partie deshabitants dans la sphère du logement, commecocooning ultra moderne et spécifique aux classessociales à l’abri. Ne faut-il pas faire volte face et sedemander au contraire, loin de l’individualismeimposé par nos sociétés, comment le collectif est ensourdine fabriqué en permanence par les discoursdes habitants ? Le village n’est-il pas alors uneexpression de vie plus collective que passéiste ?

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petite église dans un ancien temple…

Des villages en résistanceIl existe aujourd’hui en Angleterre un mouvementappelé « transition towns » : ce sont des villes sepréparant à l’autonomie énergétique. Je pourraisaussi pointer le cas de communes qui tententd’éviter des catastrophes, comme ce fut le cas deMouans-Sartoux, à quelques kilomètres deCannes. Cette zone, particulièrement sensible à lapression foncière, était destinée à devenir unebanlieue de Cannes, avec des projets faisant disparaître tout ce qui pouvait rester d’agriculture,alors que c’était encore une zone de vignobles etde culture florale. La première bataille de l’équipeélue menée par André Aschieri, a été d’empêcherla destruction du tissu agricole ; elle a en partieréussi et il reste aujourd’hui quelques agriculteurs.L’équipe a aussi évité le pire des projets immobi-liers de construction de résidences de luxe, quiprévoyait de faire passer la commune à trentemille habitants. La seconde bataille à été d’obte-nir la réouverture de la gare, qui permetaujourd’hui plus de dix dessertes par jour.

Les villages africainsEn Afrique, la ville, le village est avant tout ungroupe humain, le bâti est tout à fait secondaire.L’idéal traditionnel de la société africaine estexprimé par le mot bamtaare qui est l’harmoniedu groupe humain vivant dans le même lieu, etc’est la fonction fondamentale de la palabre. Lapalabre est cette gestion de l’harmonie villa-geoise, qui ne réussit certes pas toujours ;lorsqu’il y a de gros conflits, le village éclate etune partie va fonder un autre village. En Afrique,une communauté humaine crée son habitat etencore aujourd’hui, des communautés se dépla-cent et vont construire le village ailleurs. EnOccident, des gens s’installent et ne feront jamaisune communauté au sens africain, notre façond’habiter est totalement différente. Ce qui ne veutpas dire qu’un village africain ne peut pas facile-ment accueillir des étrangers. Dans l’histoire afri-caine, on sait que telle famille n’est pas dans lacommunauté originelle, c’est inimaginable letemps que passent les villageois à parler des origines,de la généalogie ; et comme il n’y a pas de textesécrits, chacun peut réinventer une histoire qui alimente les discussions le soir, à la veillée, et quialimente aussi les conflits.

L’économie du villageOn oppose souvent la ville et le village, ce dernierétant un lieu où il n’y aurait pas d’échanges. Maisla ville était le lieu du marché et donc des

échanges marchands. Dans les villages, il existedes échanges non marchands, les coups de mainétaient traditionnels, on tenait une comptabilitéd’entraide, l’économie du don. Il existe donc uneéconomie, des échanges importants, mais nonmédiatisés par le marché et très peu par la mon-naie. Les villes, elles, ont besoin de s’approvision-ner et donc de consommer ce qu’elles neproduisent pas, et avec notre système actuel, noussommes arrivés à des cas caricaturaux commecelui des crevettes danoises nettoyées au Marocpuis revenant au Danemark avant d’être venduesdans le monde entier…En revanche, il faut garder les marchés locaux,lieux d’échanges, de marchandage, avec des rapports humains, où le prix change d’après lestatut des personnes… Les Français adorent lesmarchés, ils vont aux puces le dimanche, c’est letype même des marchés de sociabilité où l’onpasse du temps, ça a un côté festif et ça n’a rienà voir avec un supermarché ! Dans la société dedécroissance telle que je l’imagine, l’idée est d’articuler des échanges non marchands et deséchanges marchands qui n’obéissent pas à lapure logique du marché, une sorte de métissagedu marché par l’esprit du don, du marchand parle non marchand et le plus possible local. Ce n’estpas vraiment nouveau, car John Maynard Keynesdisait : « les marchandises doivent circuler lemoins possible, les hommes et les idées peuventcirculer le plus librement possible, et les capitauxpas du tout », or nous avons fait exactement lecontraire.

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Depuis 1871, les élus du Sappey se posent régu-lièrement la question de l’aménagement d’uneplace de village. Or, le Sappey c’est : un villagecoupé en deux par une départementale, un habitatdiffus, un centre village difficile à identifier endehors de l’église. Nous voulions éviter que lacréation d’une place soit un simple geste orne-mental et nous conduise à faire l’impasse sur uneréflexion en profondeur sur l’espace. Le villageavait le sentiment de ne pas exister s’il n’avait pasun lieu central qualifié de « place de village ».L’idée est venue d’inverser la question : la placede village, non pas comme point de départ, maiscomme aboutissement.

Qu’est-ce qu’un village ?Nous nous sommes posé la question : qu’est-cequi fait village ? Où ça commence, où ça s’arrête ?Cela nous a renvoyé aux limites et formes du village.Nous nous disions que lorsque nous aurionsexploré les deux questions, celle de la place arri-verait naturellement, comme un aboutissement. Cela nous a fait changer de méthode : au lieud’engager tout de suite des travaux, nous avonsconstitué un groupe de travail réunissant leCAUE1, l’Agence d’urbanisme, le Syndicat mixtedu Schéma directeur, la DDE. Pour une fois, un vil-lage ne s’occupait pas que de son embellissementmais proposait une réflexion sur l’espace de vie,ses fonctions et ses articulations dans le temps. Le CAUE a produit un diagnostic : l’histoire dulieu, sa morphologie, ses dysfonctionnements, sesatouts. Et nous avons commencé à tracer des axespolitiques. Ce document a permis de faire évoluerla réflexion des élus. Et cela a permis de gagner

cinq ou dix ans, car au lieu d’être dans l’acces-soire, nous n’étions pas loin d’un PADD2. Nousposions les bonnes questions, nous savions globa-lement ce que nous ne voulions pas et vers quoinous voulions aller. Qu’est-ce qui fait village ? Et bien ce qui fait village, c’est la possibilité de subvenir aux besoinsde la population sur place, c’est développer lesservices de proximité et des emplois intramuros etêtre en relative indépendance de la grande ville,tout en (dans notre cas) entretenant des échangesavec la vallée.Les gens qui viennent habiter là ont des projets devie qui supposent d’être à la fois en rupture et enliaison avec l’urbain. Pour qu’il y ait village, il fautqu’il y ait un vide autour, autrement c’est un quartier,c’est un espace habité relié à une continuité d’ha-bitat. Au fond, pour moi, ce qui fait village, c’estla dialectique entre le creux et le plein. Cette réflexion allait aussi nous servir pour dimen-sionner cet espace de vie. Si nous voulions restervillage, nous avions un adversaire, c’était l’étale-ment. À douze kilomètres de Grenoble, commentpeut-on encore faire village ? Nous avions un pre-mier atout : il y a un col à passer, nous sommes àmille mètres d’altitude, il y a un changement climatique… Mais nous pouvons très facilementdevenir une banlieue verte de Grenoble. Et l’idéed’être un élément accroché à Grenoble étaitinconcevable pour les élus.Pour qu’il y ait village, il faut qu’il y ait une entréeet une sortie, et c’était à nous de bien marquer leslimites. Elles devaient être le moins artificiellespossible, c'est-à-dire que par la suite, l’habitatdevait s’inscrire dans cette morphologie pour

Par Roger Caracache, maire du Sappey de 2001 à 2008

Être village à 12 kilomètres de GrenobleLe Sappey-en-Chartreuse, niché à mille mètres d’altitude, à une douzaine de kilomètres de Grenoble, séduit de plus en plus d’urbains en quête de verdure et de grands espaces. Comment continuer à construire un villagevivant sans devenir une banlieue verte de Grenoble ? Roger Caracache nouslivre son expérience et quelques pistes de réflexion.

1. Conseil d’architecture,d’urbanisme et de l’environnement2. Projet d’aménagement et de développement durable

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venir l’affirmer et la revendiquer. Derrière cettequestion, cela supposait la densification, uneréflexion sur la forme du bâti, une réflexion quirenoue avec l’histoire de l’habitat local.

Une proposition qui a fait polémiqueEn 2004, la commune a proposé un projet de créationd’un bâtiment de douze logements sociaux, contem-porain sur le plan architectural, sur pilotis, tout enbois et sans le « traditionnel » toit à quatre panschartrousin. Ce projet a provoqué une importantelevée de boucliers [ndlr].Les opposants au projet considéraient les aména-gements proposés comme trop modernes. Cettepolémique a été très intéressante, car nous nepouvions pas être dans cette dialectique duproche de l’urbain et de la distinction si à notretour on n’inversait pas ce sens-là, en montrantqu’en montagne nous n’étions pas obligés defaire de « l’esthétique ONF ». Nous pouvons êtreun village de montagne, affirmer nos atouts dansl’identitaire - la forêt, la nature - et en mêmetemps produire de la modernité.Pour les habitants, ce qui fait village, c’est unebonbonnière au centre avec mon épicier, monécole, ma poste, mon église, mon parking, monbistrot… ça c’est pour la socialité, et le reste, c’estma maison-chalet avec deux à trois mille mètrescarré de terrain. Mais le village ce n’est pas ça, levillage, c’est un bourg avec évidemment tout cela,

et puis un habitat densifié : des petits groupes demaisons, des hameaux densifiés aussi. C’est uneconduite urbanistique très encadrée, où sontimposés des gabarits de hauteurs, d’alignements,avec un cahier des charges dans lequel l’archi-tecte devra s’inscrire et non pas passer des heuresen commission urbanisme pour savoir si tel pande mur est conforme ou pas. Il s’est joué un vrai conflit sur la perception de cetespace là. Au fond, nous avons désespérémenttenté cette hypothèse qui persistait à dire : « jepeux être différent à douze kilomètres d’une villeet de ma différence je vais faire un atout, je vaisjouer moderne pour marquer plus fort… ». Aulieu de faire un modèle réduit de la ville, je voulaistravailler sur la modernité pour aboutir à une per-sonnalisation du lieu qui se distingue de la villepar sa morphologie et qui propose une manièred’habiter en montagne créative. Ça n’est paspassé.

Conjuguer tradition et modernitéLe pari était d’être à la fois inscrit dans une formeurbaine de tradition, et en même temps dans lamodernité. Modernité dans les actes et les formesarchitecturales, c'est-à-dire l’inverse de l’urbain :l’inverse de la vallée qui s’étale, l’inverse de lavallée qui se coupe en pastilles… Pour les habitants, collectif est égal à ville. C’estcurieux, parce que des logements collectifs au

Selon vous, quels sont les critères qui définis-sent un village, aujourd’hui ?Un village, c’est le temps qui passe et qui ne meurtjamais : c’est aussi les matériaux du lieu qui ontservi à bâtir les maisons du village, simples maisexpressions d’un terroir. Les habitants y passent, s’yenracinent parfois, mais le village a toujours lamême mission : les accueillir au fil des ans. Un vil-lage, ça permet d’échapper à la part de fragilité quinous interpelle en nous procurant la certitude d’unecertaine pérennité, où l’habitant met ses pas dansceux de ceux qui l’ont précédé, tout en préparant laplace des générations à venir. Il y a encore beau-coup de sédentarité au village, dans un monde bou-leversé par la mobilité et la concentration urbaine .C’est un des grands défis de la ruralité : après le« paysan maître en son village », savoir, dans lavocation résidentielle du village, préserver l’âme duvillage pour sauver en chaque villageois toute sapart d’humanité et d’altruisme. Les critères d’un vil-lage resteront toujours identiques, car le villagehabite le villageois,.

Quel est le quotidien d’un maire d’un village,aujourd’hui ?Le quotidien d’un maire aujourd’hui a changé, carles habitants, de plus en plus éduqués en ville, yéprouvent parfois un sentiment d’éloignement etd’isolement. Le maire vit au milieu de tous, lesécoute, leur donne les dernières nouvelles, lesconseille pour s’y retrouver dans la complexité descircuits administratifs. Le maire essaie aussi, avec depetits moyens humains et financiers, d’adapter sonvillage aux défis de la « résidentialisation » tout ensauvegardant une certaine vision de l’espace et dela répartition de l’habitat.

On dit que l’avenir des villages passe obligatoirement par l’intercommunalité....Les villages sont aujourd’hui confrontés à l’ambition« métropolitaine » de mettre en place la société del’urbanité généralisée, où les campagnes seraientavant tout des lieux de contemplation et accessoire-ment des espaces de production. La ville veut impo-ser sa vision du village pour y retrouver des racines,

Créer des agglomérations rurales pour sauver le village

Rencontre avec Claude Terouinard,

Président des maires ruraux d'Eure-et-Loir,

maire de Chatillon-en-Dunois

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Sappey, il y en a, et pas toujours très heureux surle plan architectural. Comment se fait-il que nousavons fait des bâtiments collectifs de dix, quinze,vingt logements il y a quinze ou vingt ans etqu’aujourd’hui on en soit incapable ? J’ai undébut d’explication avec les anciens : les anciensdu village ne se sont jamais opposés à tout cela ;pour eux, un vrai village, c’est un village qui investit,qui crée des logements pour les habitants. Ce typed’aménagement, si cela ressemble à la ville, celaveut dire que l’on a de l’avenir, que l’on est enprogrès. Si nous n’intégrons pas de mixité, desclasses moyennes, des jeunes, nous n’aurons nidiversité, ni potentialités de services.

Structurer le cœur de villageÀ partir d’une question de place, la réflexion adonc été riche. La première attente était de renfor-cer le tissu de service de proximité commercial, laseconde était d’être un village plus accueillant surle plan du cadre de vie. Pour cela, il était néces-saire d’avoir de la maîtrise foncière pour pouvoirproduire du logement là où nous le décidions, etpas en fonction de l’évolution du marché, afin dedonner un tissu plus dense au sein du village. Cela s’est accompagné de mesures politiques.Nous avons été le premier village à entrer dansl’EPFL3. Et nous en avons abusé, de l’EPFL,puisque nous avons fait quatre opérations.Lorsque nous avons parlé de maîtrise foncière,

cela a fait un tollé. Et nous avons montré que celapouvait se faire dans des conditions très loyales.La commune a acheté la grange qui est à l’entréedu village pour y installer douze logements et dessurfaces commerciales ou de services. Elle a surtoutacheté, sur le centre même du village, une grandemaison ancienne pour y installer la mairie. Elle aaussi acquis un pan de maison pour transférer lebureau de tabac qui était dans une impasse, ellea acheté un bout de terrain à l’autre bout de laplace… Enfin, nous avons fait un jeu de dominosqui a structuré pour les quinze à vingt ans à venirle cœur de village. Nous jouions les développeurs locaux en facilitantle déménagement de certains commerces et enservant de marchepied. Peu à peu, une dyna-mique s’est installée, mais vous êtes obligé depasser par là pour montrer que c’est possible.

Être producteur de son lieu de vieNous avons aussi des reproches à nous faire, ladémonstration n’a jamais vraiment été faite quel’habitat groupé, l’habitat intermédiaire, étaient siconvaincants que ça. À Villeurbanne, il y a une opération qui s’appelle« le village vertical ». Des personnes constituentdes groupes pour acheter des terrains et concevoirde l’habiter ensemble. L’image du village verticalest intéressante, car nous retrouvons à la fois lasymbolique du village, du vivre ensemble et le

3. Établissement public foncier local

des lieux de beauté et de liberté.L’intercommunalité, face à cette lourde menace,doit dépasser la mutualisation de services à lapopulation. Elle doit non seulement regrouper lesvillages, mais, face au retrait inéluctable de l’État,elle doit atteindre une taille critique qui lui permet-tra de recruter des hommes et des femmes enmesure de répondre aux défis de cet impérialismeurbain. C’est peut-être par la création d’agglomé-rations rurales que l’on sauvera le village. L’habitatet l’urbanisme doivent être l’expression concrèted’une certaine vision du village, sachant habilementmarier tradition et modernité.

La notion de village est très présente dans latête des gens, pourquoi ? La France fut une nation paysanne jusqu’à la fin duXIXe siècle et même au début du XXe siècle. Dès quel’on part à la recherche de ses ancêtres, on aboutitdans un village, véritable mémoire de la société,alors modelée par l’agriculture. Et puis le temps de

l’industrie a concentré dans les banlieues leshommes de la terre. Mais avec la montée des ser-vices et de l’individualisme ou de l’indifférence àl’Autre, on rêve d’une autre vie… Alors, les citadinsredécouvrent toutes ces petites communautéshumaines que sont nos villages, où ils ont sansdoute l’impression que dans un monde agité, bou-leversant, ici, au village, le temps s’est commeimmobilisé, que les gens ne sont pas obsédés par lafrime, que l’être y compte plus que l’avoir, quemanger les légumes de son jardin est un luxe de roi,qu’au fond, à part la santé, il ne peut rien vous arri-ver et que même s’il vous arrive quelque chose, il yaura toujours un bras secourable pour vous soute-nir, à commencer par le maire. Car le village saittoujours accueillir celui qui fait l’effort de le com-prendre et de l’aimer. Le village est une structuredurable, qu’il convient de développer dans le res-pect de son environnement et de son harmoniesociale. !

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vertical. Pour une fois, il y a une demande sociale,qui n’est pas typée, et qui se pose la question dupartage et de la mixité de l’espace, du déplace-ment, de l’intergénérationnel, etc… Et ces personnes,réintroduisent la notion de village par le vécu.

Cela suppose aussi qu’il y ait des architectes quise mobilisent et que les gens ne désertent pas lecollectif au profit de la maison individuelle.J’ai commencé à le vivre au Sappey avec l’arrivéede jeunes couples qui avaient envie de quitter laville et qui, pour une fois, pensaient que c’étaitidiot d’acheter deux mille mètres carré et que plutôt que d’acheter seuls, ils pouvaient s’y mettreà plusieurs et cela coûterait bien moins cher.Donc on entre par le biais de l’économie et par lagénération nouvelle dans une autre façon deconcevoir le bien-être et l’aménagement, à la foispoussée par l’économie et par une forme d’utopie.Regardez ce qui se passe dans le logement social,on catégorise, puis on va chercher les habitants.Et si nous faisions l’inverse ? Si nous réunissionsdes gens et si avec eux nous montions le projet. Jecrois que nous pouvons être producteurs de notrelieu de vie. Il faudrait avoir des aides institutionnelles qui permettent notamment aux petits villages de tentercette aventure de la densification, d’une nouvelleforme urbaine. Or politiquement, sur le plan desmoyens, il n’y a pas un soutien très fort, donc lavision dominante reprend le dessus.

Le village imaginaireQu’est-ce qui fait que l’on soit, depuis quelquesannées, dans ce retour idéologique et culturel versle pastiche et l’ancien ? Pourquoi ce refus de la« modernité » ? Pourquoi s’accrocher désespéré-ment à cette pseudo forme du passé ? Qu’est-cequi fait que ces habitants en mal de ruralité fabri-quent un espace esthétique qui n’a aucun senshistoriquement ? Si nous lâchions nos règlements d’urbanisme, desmaisons en rondins de bois fleuriraient partout…C'est-à-dire que l’on associe la moyenne montagneau chalet suisse. Il serait intéressant de creuser la question del’imaginaire dans l’habitat, l’imaginaire imposéaussi. Pourquoi la singularité, la fantaisie, la personnalisation ne s’expriment pas là, alorsqu’elles s’expriment dans l’habit, dans les mœurs,dans la voiture ? Si vous dites aux gens quedemain il n’y aura que trois types de voiture, ilsdescendent tous dans la rue pour défiler ; et dansl’habitat, grosso modo, ils font tous la même maison, croyant d’ailleurs qu’ils n’ont pas lamême. C’est un paradoxe de la situation. Je n’arrivepas à m’expliquer ce besoin de standard !Je m’interroge sur la survie du village. Si les com-munes n’abandonnent pas l’idée qu’elles sont unestation de ski pour devenir un village quelque parten Chartreuse avec une réflexion profonde surl’identité, la capacité de développement, l’originalitédu site, elles vont se faire dépasser urbanistique-ment, au nom de cette population qui, grâce auParc [naturel régional de Chartreuse] peut achetertrois mille mètres carré de terrain. Nous sommesdestinés à être des zones résidentielles de grandluxe.

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Un village sur la planète

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« Interroger à nouveau le village »1, cette ques-tion me donne l’opportunité de réfléchir sur la raison pour laquelle j’ai toujours considéré quel’enjeu du travail d’un chercheur est de penserl’écart entre les représentations savantes et/oupolitiques de la nature, du rural et de l’urbain etle contenu complexe - chargé d’affects et devaleurs symboliques - des mots2 par lesquels lesgens désignent et expriment leurs rapports auxlieux. La nature, la campagne, la ville, et bien sûr le village, sont ces mots populaires qui font partie dulangage quotidien, des récits de soi comme desrécits de lieux de vie, avec presque toujours laconscience de ce paradoxe : les mêmes mots servent à identifier des lieux qui ne cessent dechanger. Construire des concepts ayant pouvoirde passerelle entre la pensée ordinaire et populaireet la pensée savante à laquelle s’abreuve le poli-tique est, de mon point de vue, la tâche principaledu chercheur.

Le concept de mode d’habiterBâti sur un entre-deux-concepts, celui géogra-phique de genre de vie3, devenu obsolète pourcause d’abandon du paradigme des rapportssociétés/natures par la géographie, et celui socio-logique de mode de vie, banalisé par l’usage statistique et le discours circulant sur les modes devie urbains, le concept de mode d’habiter estconstruit pour recomposer les deux versants desexpressions antérieures. Pour genre de vie, le versant de la matérialité et de la naturalité dusocial ; pour mode de vie, la force des représen-tations individuelles et collectives. Le terme moded’habiter est alors lancé pour réactiver les sens

endormis ou perdus dans les deux autres. En toutétat de cause, il a été conçu pour dépasser lesnotions de résidence, de logement, d’habitat voired’habiter, qui réduisent à une seule dimension - siimportante soit-elle - le rapport sensible de chacun,à tous les lieux marqués par sa présence physiqueou qu’il rêve d’habiter.C’est en retraçant les étapes de cette construction,que je tenterai de démontrer qu’il est révélateur dece que contient a(e)ffectivement le terme de village,une vision de la relation entre la nature et les lieuxet milieux de vie, qu’ils soient ruraux ou urbains,village de ville ou village de campagne.

L’habiter en 2020Le concept de mode d’habiter m’a d’abord servi àmettre en évidence la diversité qu’engendrent lesdifférentes représentations et formes de relationentre le rural et l’urbain. Il m’a aussi permis d’établir une passerelle entre les représentationssociales exprimées en termes savants pour dési-gner des types d’espaces - urbain, périurbain,rural métropolisé ou isolé - et ceux populaires deville et de campagne, de bourg ou de village, quirenvoient à des préférences, voire des attache-ments individuels à des lieux, à des rapports entreville et campagne, mais aussi ville et nature, ainsiqu’à des modèles régionaux et locaux (commu-nautaires ?) de l’habiter.Comment, si l’on veut imaginer l’habiter en 2020,ne pas tenir compte de ces modèles régionaux depeuplement et de relations villes/campagneseuropéens ? La conception de la place de lanature et des ressources dans la relation entre laville et la campagne, la disposition des habitats etla relation entre le centre-ville, le bourg, le village,

Le village, commerécit de soiPour Nicole Mathieu, l’importance est d’entendre ce que les gens disent etressentent, les mots qui révèlent leurs souffrances ou désirs et leur aspiration aubien être. Ella a construit le concept de « mode d’habiter » qui désigne lestypes de relation des sociétés à leurs lieux de vie, à leurs milieux et ressources.

Par Nicole Mathieu, directrice de recherches émérite au CNRS, UMR Ladyss (Laboratoiredynamiques sociales etrecompostion des espaces)

1. Grodwohl, M., 2008,recherhches en cours :« être » et « habiterensemble »,http://www.marc-grod-wohl.com2. Je ne dis pas lessavoirs profanes car onne peut parler de« savoirs » que lorsquel’on a mis au jour etthéorisé les dessous deces mots en termesd’émotions, de mémoireet de pratiques.3. Sorre Maximilien,1948 La notion de genreet de vie et sa valeuractuelle. Annales degéographie

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« Mon village »

Ce que me dit jeudi 24 septembre 2008, un taxiparisien venu me chercher à La Ruche à 6 heuresdu matin pour me conduire à la gare Saint-Lazare : « J’ai cru que vous sortiez du bois !Comme de mon village du Congo ! Je n’aimepas le béton, ici on ne marche jamais sur le sol,dans l’appartement c’est le ciment, c’est le cimentdehors… » Et en me montrant depuis laConcorde la place de la Madeleine : « Bien sûrc’est beau pour le touriste, mais on ne peut pasvivre ici, ici ce n’est pas la vie ! ». Il a acheté unemaison dans son village au Congo et y a fait« creuser un puits où il y a de l’eau minérale [sic].Ma fille, décoratrice, qui a fait la Sorbonne s’estétonnée : tes cheveux ont poussé ! C’est l’eau jelui réponds ! Et ma femme qui a voulu apporterdu lait et des lotions pour les cheveux, la figure et

le corps ! Mais là-bas ce n’est pas la peine ! ».Et tandis que je paye la course : « J’aime lanature, j’ai appelé ma deuxième fille Naturelle,elle va à l’école à Fontenay-sous-Bois. » Inversement, le 19 novembre 2008, tandis quej’attends le bus 82 devant la gare du RERFontenay-sous-Bois, un homme de cinquante anset quelque, noir, assez élégant dans son costumecravate, m’interpelle perdant patience, du fait decette longue attente : « Ici c’est un village, cen’est rien, c’est froid ! Moi j’aime Paris, c’est laville, c’est chaud, on peut parler, se promener,vivre. Je ne peux pas me passer de Paris, et on n’apas besoin de payer un ticket pour y arriver si ony est, tandis qu’ici, il faut payer pour sortir et entrerdans un village, vide. »

le lotissement et jusqu’au lieu-dit et à la ferme isolée ; la circulation entre toutes ces formesd’agglomération et de localisation des activités etdu travail, la temporalité et les lieux des événe-ments et de fêtes qui donnent sens à la commu-nauté ou au vivre ensemble ; tout ceci définitdifférentes cultures de l’habiter, différents modesd’habiter, méditerranéen, nordique, d’Europecentrale, voire tout simplement français en toutesses régions. Le savoir populaire ne s’y trompe pas et repèreavec ses mots les différences de formes qui distin-guent la ville de la campagne, le bourg viticole duvillage lorrain, les quartiers de villas des lotisse-ments de maisons standardisées et bon marché…Les mots savants de mitage, urbanisation, périur-banisation, espace ouvert, ceinture verte font obstacle à une compréhension de ce pourquoi lesgens vivent là plutôt qu’ailleurs, du pourquoi deleur choix - entre raison et désir - de travailler ici,de résider là, de circuler par là et d’organiser leurvie quotidienne autour de lieux qu’ils désignent etauxquels ils accordent des valeurs plus ou moinsgrandes : la campagne, la ville, le bourg auxmaisons basses et serrées, le village - en villecomme à la campagne - tantôt disposé commeun bourg sans commerce, tantôt composé demaisons dispersées mais liées par le nom mêmedu lieu dit, la maison, la ferme ou la barre parfoisappelée cité.

Le mode d’habiter comme révélateuraffectif et sensibleEn faisant jouer le sens du concept de mode

d’habiter du côté des lieux, on a donc mis en évi-dence à quel point, en dépit de l’uniformisationqu’entraînent les matériaux et les modes de vieglobalisés, les formes dans lesquelles les gensvivent, et qu’ils produisent, sont loin de coïncideravec les termes utilisés dans le discours des prati-ciens de l’aménagement et de l’urbanisme pourdire la relation rural/urbain : l’étalement urbain,la ville compacte, l’urbanité ne recouvrent pas ladiversité des modes et des cultures locales de l’ha-biter et en particulier, la place importante - idéelleet réelle - accordée à la forme du village. Dans la pensée démographique, cette relationville/campagne se résume à des gens qui migrentvers la ville parce que c’est là qu’on trouve du travail ; à des gens qui préfèrent s’installer enpériurbain parce qu’ils ressentent un besoin denature qui ne peut être satisfait en ville ; à unensemble de stéréotypes auxquels il est difficiled’échapper, sauf quand il y a enjeu commercialou politique. Ainsi, le mot village, absent du langage de lasphère politique, statistique et urbanistique, réap-paraît quand il faut rassurer et donner un visagehumain du politique - la fameuse affiche qui fitélire François Mitterrand. Ou quand il faut vendredes maisons industrielles regroupées en lotisse-ments et néo villages. Ou pour attirer le touristede passage vers une ville. Voire même, lorsqu’ilfaut rendre la ville aimable en dépit des difficultésrencontrées pour l’habiter.C’est donc en se tournant délibérément vers lamise au jour du rapport que chaque individuentretient avec ses lieux et milieux de vie,

4. En particulier le pays deLuzy (Nièvre), le Causse

Méjan (Lozère), le cantonde Gavray (Manche) et

plusieurs quartiers de Paris(la Bastille, La Ruche, laplace des Fêtes…) mais

aussi la lecture des terrainsde recherche de Lucile

Grésillon à Paris, deWandrille Hucy à Rouen,de Blandine Glamcevski

en Lorraine.

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comment il se les représente, comment il les pra-tique, que l’on peut donner sens à ce qu’habiterveut dire, du côté des gens eux-mêmes.Dans les nombreux récits de lieux de vie que jerecueille depuis plus de vingt ans dans mes terrains d’observation4, comme dans ces terrainsde passage que sont le métro, les tramways, lesbus et taxis parisiens, les trains… trois mots, troisqualificatifs des lieux, reviennent toujours pourexprimer un rapport entre les individus et leurslieux de vie : la nature, le village et la maison,associés dans une combinatoire complexe avec lacampagne et la ville. C’est autour de ces troisarchétypes que se définit - ou s’espère - le bien-être ressenti à les traverser ou à y rester un tempsplus ou moins long.

Le rapport à la natureDe tous ces récits de lieux de vie, ressort de façonrécurrente l’importance du rapport à la nature,nature dans la ville, nature dans la campagne,nature domestiquée, nature sauvage5. Avec uneplus ou moins grande acuité selon le sexe, l’âgeet les capacités physiques des personnes, la sensibilité au climat, aux odeurs6, au bruit, à l’animal et à la végétation, à ce qui est offert auregard, en somme, aux différences dans le tempset dans l’espace des qualités physiques desmilieux où chacun circule, travaille, se repose etcôtoie l’autre est constituante du rapport affectifaux lieux. La préférence pour le modèle de lamulti résidence - au centre-ville, à la campagne,à la montagne etc. - se fonde, en partie, sur cetteévaluation sensible des milieux où chacun vit -physiquement ou par le souvenir - un temps plusou moins long. D’où la « ville mal-aimée »7 quecertains ne peuvent supporter que s’ils ont unemaison de campagne ou de village, d’où aussi lamise en culture ou en paysage des sols urbains -une terrasse au neuvième étage d’un immeubleoù vigne, pommier, légumes sont cultivés, les jardins privés des maisons de la loi Loucheur, lesjardins collectifs (d’insertion) au pied des barres ettours de cités… Inversement, si la campagne estmal-aimée, on se fait un refuge urbain dense enrevenant au bourg ou à la petite ville ou en équi-pant sa maison isolée du maximum de NTIC.Mais ce rapport sensible au rural et/ou à l’urbaintrouve aussi son fondement dans l’attachement àdes lieux de mémoire ordinaires et personnels.L’origine rurale ou citadine, et la position socialemodèlent également ces préférences pour le villageet la maison rurale qui symbolisent le lieu du vivreensemble, du voisinage et de la moindre sépara-tion entre lieu de travail et lieu de vie.

Le rapport àl’habitatAvec l’irruption de l’utopie politique du dévelop-pement durable8, la question qui se pose à nousest celle de l’usage partagé des milieux et des ressources naturelles, celle d’une cohabitation deshommes et des sociétés telle qu’elle permette deconcilier les trois dimensions contradictoires del’environnemental, de l’économique et du social.On en revient alors à la propriété principale duconcept de mode d’habiter, à savoir sa capacité àconfronter et à articuler l’analyse des lieux habitéset la conscience qu’ont les gens de les habiter. Ils’agit à la fois d’évaluer les propriétés et les processus des écosystèmes qui constituent leshabitats et de les qualifier par rapport à desdegrés d’habitabilité, et d’éthique de l’habiter, quirenvoient aux représentations et pratiques indivi-duelles et à celles collectives, à l’échelle du quartierou du village, du territoire ou du milieu de vie.Cette co-évaluation des pratiques des individus etdes collectifs, ainsi que des lieux et milieux, pourleur capacité à être durables, est notre tâche principale.Mais une fois de plus, la nécessité de construireune passerelle entre la conceptualisation et leschangements des représentations et des pratiquespopulaires est essentielle. Savoir comment chaque individu perçoit l’effet deses pratiques de circuler, de travailler, de se loger,de vivre ensemble sur la « face de la terre »9,comment chacun habite et se comporte par rapport aux ressources des lieux sur lesquels ilpose son empreinte, comme sur celles rares quisont éloignées mais qu’il consomme indirectement,est d’autant plus important que les changementsde comportements se manifestent déjà dans lespratiques alimentaires, les consommationsd’énergie, la gestion des déchets… Mais encoreplus important, est d’observer ce qui se passe àl’échelle du « village »10, c'est-à-dire dans le lieuoù pourrait se construire ou se retrouver cetteconscience collective d’une responsabilité commune,vis-à-vis d’un milieu partagé, où la cohabitationse détermine en surmontant les conflits d’usage desols et de ressources à repenser comme des bienscommuns.

5. Cf. Hucy, W, Mathieu,N., 2006, « Vivre et habiterdans une ville au naturel.L’agglomérationrouennaise : terrain d’expérience et modèle »,in Quatre ans de rechercheurbaine 2001-2004 ACI-Ville ministère de laRecherche coordonné parE. Bajolet, M.-F. Mattei etJ.-M. Rennes, PressesUniversitaires FrançoisRabelais/Maison desSciences de l’Homme« Villes et territoires », pp. 127-140. 6. Cf. Lucile Grésillon,2005, Sentir Paris, Bien êtreet valeur des lieux, Thèsede doctorat Université deParis 1, à paraître aux éditions Quae.7. Salomon Cavin, J.,2005, La ville mal-aimée.Représentations anti-urbaines et aménagementdu territoire en Suisse :analyse, comparaisons,évolution, Lausanne,Presses polytechniques et universitaires romandes8. Cf. Mathieu, N., 2006,« L’urbanisme touché par ledéveloppement dura-ble ? », Natures SciencesSociétés, 14, 341-342 ;Mathieu, N., 2006, « Pourune construction interdisci-plinaire du concept demilieu urbain durable »,Natures Sciences Sociétés,14, 376-382 ; Robic, M.-C., Mathieu, N.,« Géographie etdurabilité : redéployer uneexpérience et mobiliser denouveaux savoir-faire », inLe développement durable,de l'utopie au concept : denouveaux chantiers pour la recherche,Marcel Jollivet, Editeur scientifique Paris ;Amsterdam ; Elsevier, New-York, 2001, pp. 167-190.9. Pinchemel, G. et P.,2005, Géographes, uneintelligence de la terre,Paris, éditions Arguments. 10. Village au sens de l’habitat d’une populationqui peut être le territoiredes sans domiciles du boisde Vincennes, comme celuid’un « village » classique,quartier rural ou urbain.

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Questionner le village aujourd’hui revient à inter-roger plusieurs réalités du peuplement des petitescommunes1. La première est constituée par ladiversité de leurs habitants, de leurs origines, desmotifs et des contextes qui les ont conduits à yélire domicile. Mais il faut aussi considérer leur viequotidienne : les contraintes, les activités, ainsique la géographie des réseaux sociaux de ces« villageois » qui sans doute pour la plupart nese retrouvent pas dans cette expression un peusurannée.Notre propos s’appuie, outre la littérature scienti-fique, sur un corpus d’entretiens, réalisés dans lecadre de trois recherches récentes2 auprès d’unecentaine de personnes habitant pour la plupartdes petites communes rurales et périurbaines duMaine-et-Loire et de Seine-et-Marne.

Le village est mort, vive le villageCommençons par remonter le temps sur plusieursdécennies, car la période dite des TrenteGlorieuses3 a été le creuset d’intenses mutationsde la société française, tant dans son organisationsociale que spatiale. L’accélération de l’exode rural a participé à alimenter la formidable croissance urbained’après-guerre. Mais dans le même temps, c’estaussi pour le milieu rural, et tout spécialementagricole, un grand mouvement de modernisationdes systèmes de production et des exploitations.S’en suivra ce qu’Henri Mendras appelle la « findes paysans »4, c’est-à-dire la fin de la sociétérurale organisée par et autour de la paysanneriefrançaise. D’autres éléments un peu plus tardifs, parmi lesquels la généralisation du travail féminin,l’amélioration des conditions de transport ou

encore l’évolution des politiques de logement, sesont conjugués avec un regain d’intérêt pour lescampagnes comme cadre de vie plus enviableque l’environnement dense des grandes métro-poles. C’est ainsi que sous les traits du village, lesformes plus diffuses de la croissance urbaine ontrencontré cette « renaissance rurale »5. Ce mou-vement migratoire alimentant les petites com-munes françaises, qu’on les qualifie de rurales oud’urbaines, se poursuit aujourd’hui encore6.Dans les villages et les petites villes, les nombreuxdéparts et arrivées de populations aux trajectoiresdiverses ont eu pour conséquence un brassageinédit. Les principes de l’organisation de la sociétévillageoise en ont été altérés, avec toutefois desvariations importantes selon les contextes géogra-phiques et les combinaisons sociales locales. Lesformes de sociabilité et d’interconnaissance, l’assiduité aux manifestations festives, les règlesdu contrôle social informel ou encore la composi-tion et l’équilibre des pouvoirs au sein des instances de représentation collective (conseilsmunicipaux, associations, etc.) s’en sont trouvésmodifiés. Ceci n’a pas été sans susciter quelquesconflits sur les scènes communales. Mais c’est aussi l’apparence des villages qui achangé. Au bâti rural traditionnel, s’est ajouté unbâti plus récent, plus standardisé aussi, sous uneforme groupée et excentrée (lotissements) ou plusdispersée. Le village a donc bien changé devisage.

Partir à la campagne ? Habiter au village ?Qu’est-ce qui a conduit tant de ménages à choisird’habiter dans un village, parfois loin de tout ? Enmatière de stratégies de localisation, lesrecherches des dernières décennies ont établi

Par Annabelle Morel-Brochet,

géographe, laboratoire VilleMobilité Transports

(ENPC – INRETS – UPEMLV)

1. On ne peut considérercomme villages les seules

communes dites rurales, niles communes de l’espace

à dominante rurale. 2. Thèse de doctorat

d’Annabelle Morel-Brochet(Université Paris 1) sur Ville

et campagne à l’épreuvedes modes d’habiter,

2006 ; ContratMEDAD/PUCA sur Vieilliren pavillon, rapport final

2008, sous la direction deL. Rougé et M. Berger ;Recherche R2DS / LVMT

sur Les Natifs du périurbain francilien,

2008-2009.3. On peut aussi

considérer une autre possi-bilité avec un premier de

1945 à 1965 et unsecond de 1965 à 1985.

Voir Mendras H., La Seconde Révolutionfrançaise 1965-1984,

Gallimard, Paris, 1988.4. Mendras H., La fin despaysans ; changement et

innovation dans les sociétésrurales françaises, ActesSud, Arles, (réed.1996). 5. Kayser B., La renais-

sance rurale : sociologiedes campagnes du mondeoccidental, Armand Colin,

Paris, 1989.6. D’après les résultats du

recensement de la populationde 2004, INSEE.

Ces villageois qui n’en sont pasLe terme de « village » n’est pas anodin. Il renvoie à un mode d’habiter évocateur d’un passé rural et agricole, d’une sociabilité locale qui contrasteavec le mouvement et l’anonymat d’une urbanité elle aussi mythifiée. Il estindispensable de prendre la mesure de sa profonde transformation.

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qu’un certain nombre de facteurs entraient toujoursen jeu. Parmi ceux-ci, figurent en bonne place lelieu d’emploi, et donc les distances-temps induitesentre le domicile et le travail, la répartition géo-graphique de l’offre immobilière (dans les petitescommunes, les locations et les appartements sontrares voire inexistants), la structure du ménage etsa position dans le cycle de vie7.Or, on a pu assister à un desserrement progressifde l’emploi des grandes métropoles vers leur péri-phérie, à une accessibilité plus grande du territoire,appuyée sur la performance du déplacement automo-bile8 et, dans certaines régions, sur le développementdes transports en commun. De plus, et malgré unedivision sociale de l’espace qui contrarie lalogique purement concentrique, plus on s’approchedu pôle urbain principal, plus les prix des logementssont élevés. Enfin, les représentations collectivesde la ville et de la campagne se sont en partiemodifiées, au gré de la croissance urbaine et dela montée des préoccupations environnementales.Se sont ainsi développés une idéologie anti-urbaine9 et un intérêt, si ce n’est pour la natureavec un grand N du moins pour un cadre de viemoins artificialisé et plus végétalisé, de même quepour des lieux de vie à « dimension humaine ». Cet ensemble de facteurs, soutenus par différentespolitiques publiques et la volonté de nombreusespetites municipalités de voir croître leur popula-tion, ont ainsi permis de répondre favorablementà une aspiration constante et commune à unemajorité de ménages : devenir propriétaire et, sipossible, d’une maison individuelle.

Population des villes, population deschampsNos enquêtes identifient globalement une ligne departage social et économique, confirmée par lesstatistiques, entre la population des pôles urbainset celle qui vit en dehors de ceux-ci (communespériurbaines et de l’espace à dominante rurale).Dans ce deuxième ensemble, il se dessine unereprésentation de toutes les catégories sociopro-fessionnelles, avec cependant une sous-représen-tation des étudiants, des cadres et professionsintellectuelles, et des ménages d’une personnequi, à l’inverse, sont surreprésentés dans les centresurbains denses. Par ailleurs, la surreprésentationouvrière hors des pôles urbains et des employésen leur sein peut sans doute être attribuée à laforte présence du tertiaire de commandementdans les pôles, à la différence des établissementsindustriels et logistiques largement plus desserrés10.Cette ligne de partage se manifeste au-delà duprofil des habitants, dans leur mode d’habiter leterritoire. Si beaucoup n’aspirent pas à vivre au

cœur de Paris ou d’Angers, ils n’entretiennent pasavec la ville de rapport de détestation ou de soumission. La ville fait partie de leur vie : quoti-diennement pour ceux qui y travaillent, régulière-ment ou occasionnellement pour les autres. Lesaménités commerciales et récréatives de la villesont d’ailleurs plus volontiers exploitées par ces derniers ; les premiers évitant souvent le pôlelorsqu’ils ne sont pas contraints et préférant lespolarités secondaires à proximité du domicile.

On n’habite nulle part par hasardOn ne peut pourtant pas affirmer qu’il y a un seultype d’habitant dans ces villages, ne serait-ce queparce que ceux-ci regroupent des autochtones(villageois « de souche ») et des allochtones. À propos des nouveaux venus, on évoque souventleur culture et leur mode de vie « urbains » quicontrastent avec les pratiques du vivre ensemblelocal. On parle également de l’absence d’ancragessociaux antérieurs dans la commune ou ses envi-rons, dans le « pays ». On donne souvent d’euxl’image de familles qui auraient pu s’implantern’importe où, indépendamment de toute stratégiegéographique, au simple gré des opportunitésd’accession à la propriété. Un peu comme si l’espace, les lieux, étaient vides de sens, de signi-fications, d’a priori. Pourtant, et c’est un des enseignements de cesrecherches empiriques, il est rare que ces personnesn’aient aucun lien préalable sur place ou à proximité,ni aucune raison de s’installer ici plutôt qu’ailleurs. Leplus souvent, un membre du ménage au moins aune connaissance, un ami, un collègue, un frèreou une cousine sur la commune ou dans unelocalité voisine. « Comment vous êtes arrivés ici ?(Lui) Ah bah, parce que moi j'ai de la famille dansle coin, une cousine. (Elle) Et puis... parce que nosenfants habitent à l'est de Paris, on ne voulait pasaller trop loin. » Souvent aussi, si l’on remonte

7. Bonvalet C., FribourgA.-M., Stratégies résiden-tielles, PUF / Ined, Paris,1990.8. Motte B., « L’accès desménages aux servicesdans l’espace périurbainfrancilien », Strates, n°14,pp. 149-164, 2008.9. Mathieu N. in EiznerN., Jollivet M. (dir.),L’Europe et ses cam-pagnes, Paris, 1996. 10. Piron O., « Où va-t-on construire demain ? »,Études Foncières, n°124,pp.12-15, nov./déc.2006.

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Le territoire de la Bièvre, situé entre Lyon etGrenoble, a la particularité de ne pas êtreconstruit autour d’une seule ville centre, maisorganisé à partir d’un réseau de bourgs demoyenne importance, de 1 000 à 4 000 habi-tants, qui sont tous de véritables petits centres éco-nomiques et administratifs. L’autre caractéristique dece territoire est d’être soumis à des influencesurbaines diverses : les agglomérations voiron-naise, grenobloise et lyonnaise, Bourgoin-Jallieu,L’Isle-d’Abeau, Saint-Marcellin et Romans, la val-lée du Rhône.Territoire de plaines agricoles et de collines, laBièvre est considérée comme un espace de respi-ration entre les pôles urbains. Depuis plusieursannées, le territoire attire de plus en plus de rési-dents issus des agglomérations voisines. Cetteforte attractivité constitue un enjeu de taille pouraccueillir les nouvelles populations, maintenir l'es-pace nécessaire au développement économique,préserver l'identité et la qualité du cadre de vie etadapter le niveau d'équipements et de services àde nouveaux besoins. Le territoire étant peu desservi par les transports encommun et les habitats étant diffus, les habitantsfonctionnent avec l’automobile, et pas forcémentà l’échelle de la proximité. Dans ce contexte, le vil-

lage est à la fois toujours pôle de référence, parson caractère de lieu de mémoire, de patrimoineet de convivialité, mais l’on voit émerger aussi denouvelles centralités reposant sur le concept del’accessibilité, comme des zones commerciales etéconomiques proches de l’autoroute. On pourraitainsi dire que la proximité de l’autoroute est peut-être plus cruciale que celle du village. Par ailleurs,les habitants mettent en balance le développementsouhaitable des services locaux avec la nécessairepréservation du caractère « rural » et tranquilledes lieux qui doit l’emporter.Pendant plusieurs semaines courant 2008,Benjamin Cuartero, stagiaire à l’Agence d’urba-nisme de la région grenobloise a arpenté lesroutes, les chemins et les places des villages de laBièvre. Et il a rencontré des habitants ancrés dans ceterritoire ou nouvellement arrivés. Voici quelquesextraits de paroles d’habitants.

Le calme de la nature « Un havre de paix ». « Le calme, c’est vraimentl’adjectif le plus important… La tranquillité, la séré-nité… l’aspect paisible aussi… sans aucun pro-blème. »« Entendre des voitures en ouvrant les fenêtres,entendre le brouhaha des voitures en bas de chez

Habiter la Bièvre

dans la biographie résidentielle, l’un des deux avécu dans ce « pays » ou dans le pays voisin par le passé.Toutefois, le périmètre de recherche résidentiellese limite rarement à une commune bien précise,encore moins s’il s’agit d’un village. Le ou les lieuxde travail interviennent évidemment dans la défi-nition de ce périmètre, de même que le rapportentre coût immobilier et capacité financière duménage. Mais d’autres éléments sont aussi consi-dérés. Pour les jeunes couples enquêtés, le choixd’habiter dans un village répond à une cultureantérieure non urbaine et à un désir de trouver uncadre de vie moins urbain encore que celui qu’ilsont connu jusque-là. « Vivre ici, c’était vraiment leprojet… de se dire ouais on veut aller vivre à lacampagne, on veut plus vivre en ville. On s’estsurtout dit que ce serait beaucoup plus facile dedéménager de la campagne pour aller vivre enville si on se plaisait pas que de prendre un petitappart maintenant en ville, d’y faire grandir nosenfants et de péter les plombs… et quand tesgamins ont douze ans, passer de la ville à la cam-brousse où il y a rien, c’est pas évident pour eux.Donc on a préféré le cheminement inverse. »Plus la région est urbanisée et le prix du foncier

élevé, comme c’est le cas pour l’Île-de-France,plus les jeunes ménages sont contraints de s’éloigner (de leurs proches, de leur travail, de lalocalisation idéale, etc.). « Ça faisait trois week-ends qu’on visitait des maisons vers Nemours. Etle type de l’agence me dit : je vais vous emmenervoir une maison à Auxy. Alors moi je lui dis : bennon Auxy ça existe pas… moi, je l’ai pas sur lacarte. Forcément, c’est pas en Seine-et-Marne !C’est dans le Loiret. Je lui dis : Non c’est pas lapeine ; déjà Nemours ça me paraissait un troupaumé ! Finalement on est allé visiter et puisquand on a vu la maison… ! Par rapport à tout cequ’on avait vu avant… ça a fait tilt. Bon, on s’estdit cette maison… si nous on peut se payer ça ilfaut qu’on se le paye. Parce que… Vingt kilomè-tres plus haut pour le même prix, enfin pour pluscher, y avait à peine des murs ! » Si le compromisde l’éloignement est consenti, il ne doit pas met-tre en péril le lien social antérieur, du moins lesliens sociaux les plus essentiels pour le ménage. Presque toujours, il s’agit aussi pour eux de setrouver à une distance-temps raisonnable etacceptable du réseau social antérieur, des parents(pour des raisons affectives mais aussi d’entraide),d’un ou plusieurs amis. « Toi, si t’avais les

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moyens, où tu irais t’installer ? Ben j’irais là oùsont les amis ou la famille quoi surtout. Là où j’aiun intérêt à être. » Cette distance qui les séparene doit pas être un obstacle au maintien de rela-tions régulières. C’est pourquoi, pour eux, leréseau de transport (son implantation géogra-phique, sa fluidité, les accessibilités) est largementpartie prenante des stratégies de localisation. « Tuvois, on va régulièrement le samedi soir chezSophie et Nico et on rentre après. Tu mets uneheure. C’est pas pire que quand on habitait àCombs-la-Ville et eux place Clichy. Donc c’est vraiqu’il y a du kilomètre mais en temps, finalement,c’est pas si loin. »Si l’un est amené (plus souvent l’homme) à effectuerde longues navettes, on assiste souvent, préala-blement (pour les enseignantes notamment) oupar la suite, à une relocalisation de l’emploi del’épouse à proximité du domicile. Toutefois, ladépendance à l’automobile n’est bien souvent pasun apprentissage à réaliser au moment de cetteinstallation résidentielle qui met à distance lieu detravail et réseau social. Elle est souvent déjàacquise et pleinement intégrée au mode d’habiter.« Moi ça fait des années que je prends ma voiturepour aller chercher le pain ou autre chose, alors

que je fasse 200 mètres ou 8 kilomètres, pourmoi, c’est pareil ».

S’intégrer, un enjeu toujours présentLe plus délicat lorsque les nouveaux arrivantss’installent, c’est bien sûr l’intégration villageoise,surtout lorsqu’ils ne bénéficient pas de connais-sances sur place. Dans les villages et petites villes,le processus d’intégration commence classique-ment par une prise de contact avec le voisinage,puis par l’école des enfants et, éventuellement,par une pratique associative, largement facilitéepour ceux qui ont une culture associative préalable.Quoi qu’il en soit, dans les premiers temps quisuivent l’installation, les arrivants font ce qu’il fautpour s’attacher quelques sympathies ou solidaritéslocales, avec le voisinage immédiat notamment.Et ce, qu’ils soient arrivés de façon isolée ou qu’ils’agisse d’installations simultanées dans un lotis-sement tout juste achevé. « Ben ici… on connaîtdes gens… nos voisins. Ils sont hyper gentils enfait, on a été les voir au départ… on s’est présentés.Je pense qu’ici il faut aller se présenter. Et puisaprès on a été rapidement un peu dans la panadeparce que c’est vrai que, la vie à la campagne,c’est beau quand c’est l’été et qu’il fait beau. Alors

moi, je ne supporte pas… ». « C’est déstressant, c’est la campagne… ». « Lanature, le calme, la verdure... entendre les oiseauxchanter… Ne pas se lever le matin et avoir l’im-meuble d’en face devant les yeux, ne pas entendreles voitures qui klaxonnent dans la rue […] ».« Ce n’est pas la ville, c’est le rural, mais sansl’être de trop […] On n’est pas loin du centre-ville,de l’école… C’est semi-rural ».« En plus le climat est parfait. La colline nous pro-tège du nord, on est plein sud […] et puis on peutprofiter de la piscine l’été. […] c’est réel, c’est pasartificiel comme environnement… »

A taille humaine« […] Il y a deux mamies qui habitent juste àcôté ; quand je fais de la soupe, je leur en amène.Parfois, l’été, on va boire l’apéro, sur le petit per-ron… »« J’ai commencé à amener les enfants à l’école.J’y ai rencontré la personne qui est aujourd’huidevenue ma meilleure amie… C’était la prof dedanse de ma fille […] ».

Le sentiment de sécurité« Voilà c’est un territoire où je me sens en sécu-rité, c’est un territoire où je respire… »« C’est quand même relativement paisible [...] et

avoir une gendarmerie dans le village, c’est pasinintéressant. »

Le vécu des déplacements« On est dans une situation géographique intéres-sante du fait qu’on est à proximité de Lyon, à proxi-mité de Grenoble, on n’est pas dans le quotidiendes bouchons de Grenoble, ni de ceux de Lyon ».« Je trouve que les cadences de cars sont trop fai-bles ».« Tous les jours on se fait Grenoble-Colombe […].En moyenne une heure et quart, une heure etdemie […] ça peut aller jusqu’à deux heures. Et lesoir idem… Donc ça fait du deux heures et demievoire trois par jour. »« Je suis très critique à propos de la SNCF. Leshoraires ne sont pas adaptés et il n’y a pas assezde trains. Au niveau de l’autoroute, même si lasortie est toute proche, globalement je mets unpeu plus de temps pour rentrer chez moi chaquejour… »« Je pense que les trois quarts serait d’accordpour prendre le train, si y en avait beaucoup plussouvent. »

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on a été les voir, tu vois. On y va souvent : on leurachète des œufs, ils nous ont donné du raisin, destrucs comme ça. »La configuration spatio-temporelle des nouveauxlotissements met « automatiquement » en contactdes ménages aux profils souvent assez proches etqui ont, par leur statut de nouvel arrivant, desintérêts et des problématiques en commun. Audépart, dans les lotissements, tout va bien engénéral : beaucoup d’efforts sont faits, des services sont rendus. L’entraide fonctionne et ungroupe social prend forme pour la circonstance.Par la suite, l’individualisation et la singularisationdes parcours, des profils, des personnalités s’affir-ment au gré de la progression de l’ancrage, de lafamiliarisation avec l’espace local et l’appropriationterritoriale (la maison, le jardin, le « quartier », levillage, le secteur environnant). « Au début, il n'yavait pas de barrières, il n'y avait rien. Les gens sesont mélangés : les apéros collectifs, tout ça, vousvoyez. Et puis petit à petit, les petites histoires sontsorties et c'est devenu plus difficile. Moi, je n'aigardé des relations qu'avec ma voisine qui estdécédée il y a trois mois et avec les voisins d'enface. » C’est ainsi que cette collectivité de circonstanceet d’intérêts communs, qui a moins de raisons d’être, se défait progressivement pour serecomposer. Des groupes plus restreints se reformentalors au gré des affinités, le réseau social locals’étend à d’autres foyers géographiquementmoins proches. Le lien social local se complexifie.Le contexte d’installation le plus éprouvantconcerne un cas de figure assez particulier, celuide ces communes « champignons » qui ont vuleur population croître brutalement dans lesannées 70, sous l’impulsion des politiquespubliques du type « Chalandonnettes » (LoiChalandon). Dans le cas d’une commune commeOthis (Seine-et-Marne), qui ne disposait qued’une trame villageoise traditionnelle très réduite,les cinq à dix premières années ont constitué undéfi complet pour les nouvelles populations.D’une part, beaucoup avaient vécu jusque-là tout

ou partie de leur vie en milieu urbain dense, maisaussi en appartement et dans le secteur social. Lechangement de mode d’habiter était total. Deplus, malgré l’attractivité de ces opérations rési-dentielles et d’une accession jusque-là rêvée, certains ménages ont sacrifié beaucoup pour« être là ». « C'est comme ça qu'on a pu... engrappillant d’un côté et de l'autre, on arrivait àpayer, mais tout juste, quoi. Il fallait d'abord payer,et puis on mangeait après, si on pouvait… Ontirait le diable par la queue. » Et comme la plu-part étaient de jeunes couples avec enfants et queni l’équipement communal (services, commerces)ni le réseau de transport n’avaient été anticipés ouadaptés, les contraintes de mobilité, et plus large-ment l’ensemble de la vie quotidienne desfamilles, se sont avérés extrêmement pesants.Aujourd’hui, ces communes sont mieux équipéeset mieux desservies, permettant aux familles arrivées plus récemment une phase d’installationmoins pénible. De ce point de vue, ces villagessont devenus en une ou deux décennies de« vraies petites villes ».

Les ressorts du village contemporainEn somme, la première chose pour qui s’interrogesur les villages d’aujourd’hui et leurs habitants, estde se départir d’une représentation surannée duvillage qui, pour active qu’elle soit, ne doit pasignorer les profondes transformations matérielleset sociales de son organisation. L’origine de cesdernières est à la fois endogène et exogène : lafin des sociétés rurales, la mobilité croissante desindividus et la métropolisation des territoires.Ensuite, et de ce fait, la figure du village s’avèrecomposite et complexe. Et cela s’en ressent sur lafragmentation et la labilité des identités spatiales.Aussi, le désir de vivre dans un village, l’attache-ment affectif et concret à ce mode d’habiter, ne selisent-ils que difficilement à travers une identité villageoise locale. Une attention à la culture habi-tante des individus, à leur trajectoire résidentielle,est fondamentale. Mais un souci constant pour latrivialité des pratiques sociales et spatiales régu-lières, sinon quotidiennes, et un regard attentif àce qui guide les comportements résidentiels desménages sont des clés plus opérantes pour saisirles ressorts du village contemporain.

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Le village : toute une histoireLe village d’origine fait partie de l’histoire descommunes. Petites ou grosses, toutes font référenceau village historique. Sur la plupart des sites inter-net des communes, la référence à l’ancien villageest présente et fait partie de la mémoire collective.

« Le petit village d'antan de Meylan atteint les3 000 habitants (1960) et des quartiers voient lejour : Mi-Plaine en 1960, Grand-Pré et le débutd'Inovallée (Zirst) en 1970, pour une populationatteignant les 10 000 personnes, les Béalièressont habitées en 1984 et, dès 1990, l'aménage-ment des quartiers Maupertuis et Charlaix. Seul lequartier du Haut-Meylan recouvre le site occupépar le village d'autrefois. »« En 1698, la commune de Gières compte 660habitants. Ses ressources sont exclusivement agri-coles et l’on y cultive en particulier le chanvre.C’était aussi le temps des foires, et le 18 octobrede chaque année se tenait la « Foire aubeurre »[…]. Les ménagères y achetaient leurprovision de beurre pour toute l’année, mais aussiles sabots et galoches en prévision de l’hiver.C’était aussi un marché à bestiaux, principalementdes moutons et brebis. »« En 1826, Fontaine ne compte pas plus de 500à 550 habitants. Le village est composé d'ungrand nombre de petits hameaux et de maisonsisolées ».

Devenues villes, certaines communes continuentd’évoquer le village historique qu’elles étaient,comme témoignage de leur évolution :« À l’aube du XXe siècle, Sassenage n’est encorequ’un village d’à peine 1 500 âmes ; un chiffre

d’ailleurs resté d’une relative stabilité depuis lamoitié du siècle précédent. La commune a ensuiteconnu une croissance exponentielle. »« Durant des siècles, Domène fut un villageessentiellement tourné vers l'agriculture et l'artisa-nat. Un contexte bouleversé à la fin du XIXe sièclepar la découverte de la houille blanche ».« De village, Eybens est devenu une ville de prèsde 10 000 habitants ».« Après-guerre, Échirolles n’était qu’un village aupied de la Frange Verte ».

Aujourd’hui, certaines communes entendent bienpréserver cette image de village associée à laqualité de la vie, au charme d’une « ville-village »ou d’une « ville à la campagne ».« Seyssins est une commune de l'agglomérationgrenobloise appréciée pour son environnement etson cadre de vie agréables. Ces caractéristiqueslui valent cette reconnue "Ville à la campagne". »« Des berges de l'Isère aux sommets du Néron etdu Rachais, Saint-Martin-le-Vinoux s'étire sur unterritoire de plus de 1 000 hectares. Si la partiehaute est encore largement rurale, le villageconserve son cachet du début du siècle ». « Sassenage : en quelques pas, vous aurezoublié la proximité de l’agglomération grenobloisepour découvrir le charme et la tranquillité d’uneville-village où il fait bon flâner ».

Les « vrais villages » revendiquent leuridentité Les petites communes rurales de l’agglomérationgrenobloise tiennent à leur appellation de village.Leurs enjeux sont multiples et la maîtrise du déve-loppement communal en constitue un des principaux.

Images du village dans l’agglomération grenobloiseComment les communes de l’agglomération grenobloise définissent-elles leurrapport au village ? Quelle image du village est véhiculée ? C’est ce que nousavons voulu savoir en nous rendant sur les sites internet de chacune des com-munes. Citations et extraits…

Par Martine Goujon,documentaliste à l’Agenced’urbanisme de la regiongrenobloise

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Ainsi, on peut lire sur le site du Fontanil : « Vingt-cinq ans d'efforts ont su faire du Fontanil un villageà l'environnement privilégié, protégé, valorisé etconforté. Pour y parvenir, il a fallu maîtriser l'urba-nisation, protéger les coteaux, conserver et réhabiliterle patrimoine, réaménager divers lieux et places,réorganiser, assurer la pérennité des équipements,veiller à la propreté et embellir le village. » La commune de Noyarey entend, elle, préserverses atouts agricoles : « La plaine de Noyareyconstitue, avec son prolongement sur Sassenage,un périmètre d'environ 200 hectares de terresalluviales, riches. Équipé depuis 1990 d'un réseaud'irrigation, cet espace idéal pour le développe-ment des cultures maraîchères et des petits fruits[…] approvisionne directement l'agglomération[…]. Ces cultures spécialisées partagent l'espaceavec les grandes cultures comme le maïs maisaussi de nombreux jardins familiaux.Avec l'appui de la Métro1, un projet de territoirecoordonné par l'ADAYG2 est en cours d'élabora-tion pour favoriser le développement durable decette plaine, l'une des trois zones agricoles de l'agglomération.Les agriculteurs et leur personnel, familial ou salarié,représentent une vingtaine d'emplois. […] Parmieux, deux sont éleveurs de moutons. »

Réussir son urbanité« Situé entre plaine et montagne, au pied duVercors, sur la rive gauche de l’Isère, à quelqueskilomètres de Grenoble », Noyarey affiche sa« rurbanité ».Le Fontanil, « petit village au sein de l'agglomé-ration grenobloise, à dix minutes du centre deGrenoble » affiche son caractère de « campagneà la ville » : « Avec bientôt 3 000 habitants, lacommune du Fontanil représente 0,5 % de lapopulation de l'agglomération grenobloise dontelle fait partie. Il y a maintenant vingt-cinq ans,nous avons décidé de réussir notre rurbanité.Depuis cette date, nous nous sommes attachés àrester rurbains afin de devenir la « campagne à laville » de notre village. Le titre de ChampionRhône-Alpes de l'environnement en 1986 et latroisième fleur en 2003, confirmée en 2007 sontvenus couronner et conforter nos efforts dans cettedirection. »

Une certaine qualité de vieL’identité des villages passe également par unequalité de vie : villages fleuris, fête des moissons,foires et kermesses et autres animations en consti-tuent un des ingrédients.Ainsi à Noyarey : « La forte identité de villagedynamique que cultive Noyarey depuis plusieursannées, s’illustre aujourd’hui à travers un tissu

associatif particulièrement riche […], le dévelop-pement des services aux habitants, les nom-breuses animations et fêtes du village… ». ÀNoyarey également, « l'un de ces rendez-vousincontournables est la fête de la Saint-Antoine etson traditionnel passage du Crochon… Tous lesans, la tradition veut que le patron des charcutierset les éleveurs de porcs soient honorés autour d'unbanquet. Les réjouissances sont organisées à tourde rôle par les Nuccérétains détenteurs du fameuxCrochon pour une année ».La fête des moissons a lieu tous les ans à Saint-Paul-de-Varces au cœur du village, avec exposi-tion d’outils et de vieux matériels agricoles,battage du blé et remise en service du matériel dusyndicat agricole…Enfin, la commune du Fontanil propose des manifestations liées au village et à la culture :Fontalivre Village (un salon du livre) et Font'ArtVillage (rencontre de peintres, expositions depeintures d'art contemporain…).

Les quartiers sont aussi des « villages »Devenues petites ou grandes villes, les communesont gardé l’appellation village pour nommer leursquartiers. Sur la plupart des sites internet, lanotion de village est toujours présente mais ellerevêt une acception multiple : quartiers, zone arti-sanale, zone d’activité… Référence à la notion deproximité ? À la qualité des services et des équi-pements ? Image de la diversité sociale et de lamixité ? Les exemples sont nombreux : Village sudà Echirolles, Village olympique à Grenoble,Village à Saint-Martin-d’Hères, Village artisanal àClaix…Ainsi à Claix, le « village artisanal concilie activitéet habitat, participant ainsi au maintien d'une viepermanente dans la zone. [Il] ne subit pas les nui-sances de l'autoroute car il en est plus éloigné etprotégé par un écran de verdure, ponctué par leruisseau du Lavanchon récemment embelli ».À Échirolles, « Le Village Sud, sélectionné parl’ANRU3, fait l’objet d’un grand projet de renouvel-lement urbain de 2007 à 2012. L’objectif ? Ouvrirle quartier sur la ville et améliorer son image. »

1. Communauté d’agglomérationGrenoble Alpes

Métropole2. Association pour le

développement de l’agri-culture dans l’Y greno-

blois3. Agence nationale

pour la rénovationurbaine

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Villages croquésLorsqu’on évoque le village, viennent à l’esprit des images, des odeurs, des musiques, une lumièreparticulière, celles d’un lieu qui a pu émerveiller (ou terroriser) nos sens. C’est à partir de cette hypothèse qu’une douzaine de personnes travaillant ordinairement à l’Agence d’urbanisme, se prêtant au jeu, ont volontiers troqué la souris et l’esprit rationnel pour offrir leur coup de pinceau,leurs couleurs ou leurs mots pour dire un village. Quatre regards graphiques ont inspiré les plumes et fait naître des textes lors d’un atelier d’écriture.Nous y avons glané quelques bribes qui, entrant en résonnance avec les images, offrent un regardsingulier sur le village. Par petites touches de nostalgie, de tendresse, mais aussi au travers deregards acerbes et emprunts parfois de tristesse, Caroline, Chloé, Fabrice, Fatima, Florence, Juliette,Marie, Rachel, Sylvie vous invitent à faire un tour au village.

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« En venant ici, tu voulais

quitter ta cité, ses rixes et

trouver un sentiment

de bonheur comme pour te dire

que tu pourrais vivre ici et

t’éloigner de la ville. »

« Tante Adèle m’a donné quelques petites consignes pour bien réussir

les fameuses confitures de cerises. Succulent ! »

« Des rubans de souvenirs se sont

rencontrés, bousculés, entremêlés,

et ont fait des glissades dans ma

mémoire. »

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« Sinon, les pieuses sont toujours aussi charmantes avec leur dieu. »

« Je t’attends donc, ma chère Henriette, pour sortir de mon boudoir.

Il y a au mois d’octobre la foire au maïs et le concours de

pétanque ; et on pourra manger des oursins et des huîtres. »

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« J’aimerais tellement que cette maison ne soit pas comme

une vasque vide et vaseuse… »

« Nous tirerons les volets pour masquer le soleil, nous quitterons la

maison comme deux copines pleines de vie, main dans la main, pour

courir vers d’autres horizons, enfin ! »

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« Et puis des maisons se construisent tout autour. Ce n’est plus le vil-

lage, avec les parties de boules, les promenades ordinaires du

dimanche après un bon repas qu’on faisait avec Maurice. »

« Tu voyais les corbeaux dans un ciel plombé, et forcément

tu ne voyais qu’eux, alors que l’ensemble des villageois te

tendaient les bras. »

« Un type se sera perdu et te demandera son chemin. Lentement, tu le

guideras entre les maisons serrées serrées jusqu’à l’orée du désert

doré du labeur des foins. »

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« Je prends pourtant ma tâche à cœur et, puisque c’est là que toute la

famille se retrouve, je cherche la décoction magique qui fera revenir le

temps où nous jouions à la pétanque en toute saison, où nous allions

ramasser des jonquilles, des girolles ou de la mâche sauvage qui se

cache au bord de certains chemins… »

« Malgré toutes ces lumières qui

dansent sur le toit des maisons, malgré

toutes les rencontres que j’ai faites,

le village est vide et triste. »

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« Devine Maurice ! Hier, je me suis retrouvé

devant ce vieux café où nous avons passé tant

de temps à faire le monde ! Et le monde n’a

pas bougé…Enfin, c’est peut-être moi… »

« Au repas de midi, ça discute dur.

On n’est pas d’accord pour

l’activité de l’après-midi. Moi il faut que ça

bouge et papa il veut rien, du silence ! »

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« Nos bains dans la fraîcheur du

soir, nos promenades entourées

de tranquillité, sans bruit, nos

« chasses à la framboise » en

rentrant de la mer. »

« On ira lancer des balles dans le

silence du ciel et faire voler des

cerfs-volants dans la brise légère. »

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Le phénomène de migration ville campagne s’inscritdans un large mouvement de mobilité. Au quoti-dien (travail, loisirs…), au niveau saisonnier(séjours en vacances) et même à l’échelle de lavie entière (ruptures et changements familiaux,professionnels…), notre vie est marquée par lemouvement. Dans ce contexte de turbulences, ilest indispensable de garder à l’esprit que les nouveauxarrivants des campagnes ne sont pas acquis dura-blement, peut-être ne font-ils que passer… Bref,« c’est un phénomène réversible », selon les motsde Jean-Claude Bontron, directeur de la Sociétéd’études géographiques et sociologiques appli-quées. Cette idée, relativement nouvelle, est àprendre en compte concrètement dans l’accom-pagnement des porteurs de projets et dans laconstruction des politiques territoriales.

L’ère de la mobilitéLes migrations interrégionales se sont, en effet,accrues : en moyenne, chaque année depuis1999 en France, 1,9 % des habitants ont changéde région, contre 1,6 % la décennie précédente,avec onze régions bénéficiaires et onze déficitaires.On note un accroissement démographique deszones périurbaines (+1,4 % par an) et desespaces à dominante rurale (+0,8 % par an).Entre 1990 et 1999, cela représente 2,2 millionsde personnes de plus pour le périurbain et 1,8millions pour le rural, avec notamment une nouvelleattractivité pour le rural « isolé », ce qui constitueun renversement de la tendance démographiquehistorique. 500 000 néo-ruraux se sont installés« à la campagne » de 1999 à 2004 ; c’est unetendance démographique lourde confirmée parles derniers recensements. De fait, aujourd’hui,

plus de 60 % des communes rurales retrouvent ungain de population et se disent qu’il n’y a pas defatalité au déclin et à la déprise…Ce sont globalement les départements littoraux dusud qui gagnent en population. Mais les départe-ments ruraux, y compris ceux enclavés dans leszones de montagne, attirent de nouveaux arrivantsau point de compenser le manque de naissance.Exemple, le Cantal (environ 150 000 habitants),avec un excédent migratoire de 490 personnespar an entre 1999 et 2005, est passé du statut deterre d’exode qui était le sien depuis plus d’un siè-cle - il connaissait encore dans les années 90 undéficit migratoire de 1 000 habitants par an - àcelui de terre d’accueil. Cet apport de populationcompense presque l’excédent des décès sur lesnaissances.Autre exemple, la Creuse (123 000 habitants) dontle solde naturel négatif est compensé par le soldemigratoire positif (+0,6 points entre 1999 et2005). De même, deuxième département lemoins peuplé de France, les Hautes-Alpes voientleur population augmenter depuis dix ans, ayantpresque atteint son plus haut niveau historique…

Qui sont les migrants et quelles sontleurs motivations ?Tout d’abord les retraités du Nord, mais aussi lapopulation active et en particulier de jeunesménages en quête de qualité de vie. En effet, plusde 40 % des migrants sont des actifs, 14 % sontdes retraités, 9 % sont des « étrangers » européenset non européens. Le profil type des migrants estune famille dont les parents sont âgés de 30 à 45ans, employés, cadres ou professions intermé-diaires, avec des jeunes enfants.

Retour vers le rural

La migration de la ville vers la campagne représente une véritable recomplexification des tissus ruraux. Loin d’être un phénomène isolé, cettemigration s’inscrit dans un contexte plus large, celui d’une société en muta-tion en train de créer une nouvelle géographie.

Texte issu de documentsde Village magazine, et du collectifVille campagne

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Comment faire vivre un territoire mouvant en pre-nant en compte son identité rurale ? C’est laquestion sous-tendue par le projet Leader1 du Paysvoironnais. Passage obligé entre Grenoble, l’ag-glomération lyonnaise et la vallée du Rhône, lePays voironnais bénéficie d’une situation straté-gique importante. À l’image de nombreux terri-toires, largement vert et agricole, mais aussifortement confronté aux problématiques dupériurbain, il est très marqué par la disparition del’identité villageoise. C’est notamment la suppres-sion progressive des limites franches des villageset des vides entre les hameaux qui participe à cedélitement. Favoriser les stratégies locales et inno-vantes de développement d’un territoire à la foisrural et urbain, tel est l’objectif énoncé du pro-gramme Leader . Ayant déjà largement entamé la réflexion sur lapréservation et la valorisation de ses espaces

naturels, le Pays voironnais s’est fait fort d’étendrela démarche aux dimensions touristique, patrimo-niale, économique, pour construire un projet quipermette de « faire émerger et consolider une cul-ture commune de territoire assise sur l’identitérurale ». Ce projet, coordonné par un grouped’action locale composé de partenaires publics etprivés, se veut le plus transversal possible, basésur le partage, l’échange, le dialogue, pour tenterde créer une identité commune de territoire, entreruraux et urbains, entre nouveaux et anciens habi-tants du Pays voironnais.

Partager les points de vuesQu’est-ce qui est facteur d’identité rurale ? Lesfrontières sont ténues, entre ce qui tient du rural etce qui tient de l’urbain. Et si l’on interroge deuxhabitants, ils n’auront pas la même appréhension.L’important dans ce projet, est donc avant tout de

A la recherche de l’identité rurale

D’après une enquête Ipsos réalisée en 20051,près de 34 % des citadins souhaiteraient vivre enmilieu rural. 13 % (2,7 millions) disent vouloirengager des démarches dans les cinq années àvenir. Et 12 % des citadins (2,5 millions) disentvouloir s’installer en milieu rural pour y continuerleur vie professionnelle..

Les motivations des migrants

Les enjeux pour les villages qui accueil-lentQue l’on soit « néo » ou pas, les attentes enmatière de services sont à peu près les mêmes :services d’éducation, services à la personne, servicesmarchands, services de santé et de transports encommun et services socioculturels. On peut identifier deux types de territoires d’ac-cueil : les territoires qui développent des straté-gies proactives visant à « faire venir » (création deflux) et les territoires constatant l’arrivée de nou-velles populations, avec des stratégies visant à « intégrer » (gestion de flux). Parce qu’elle esttransversale, inscrite dans la durée et qu’elleprend en compte les spécificités du territoire, unepolitique d’accueil peut devenir le pilier d’un

projet de développement local. Trois principauxenjeux sont à relever pour ces villages : l’informa-tion et l’accompagnement, les services et les équipements, enfin l’intégration.

Une montée en puissance des territoiresLes territoires peuvent disposer de plusieurs programmes ou d’outils structurants, notammentdans le cadre de programmes européens : lesprogrammes Leader2 (soixante-cinq territoires enbénéficient), le dispositif « Sites de proximité enRhône-Alpes », la possibilité de créer des Pôleslocaux d’accueil ou des Relais locaux d’accueil etd’information (région Limousin, groupes d’actionlocale3 du Pays d’Aurillac et des Cévennes…).Certaines collectivités locales, comme la régionLimousin, les conseils généraux des Côtesd’Armor, du Lot, de l’Allier, de l’Ariège, du Cantal,créent des services tournés spécifiquement versl’accueil. Ces collectivités ont une volonté d’agirsur l’offre et l’attractivité du territoire en travaillantles conditions d’activité, de réceptivité (logements,foncier) et d’habitabilité du territoire (services, cul-ture, liens sociaux…). La dynamique est aujourd’hui en route : unecharte nationale de l’installation en milieu ruralexiste avec des déclinaisons territoriales, des outilscommuns de promotion de l’offre sont développés,des rencontres professionnelles ont lieu, commeProjets en campagne4, manifestation biennale coor-ganisée par la région Limousin, le collectif VilleCampagne et le Cnasea5 avec pour objectif deréunir en un lieu unique des territoires ruraux detoute la France, des personnes désireuses de s’ins-taller en milieu rural ou semi-rural et des organismes conseils dont la mission est d’accompagner ces candidats dans la construc-tion de leur projet.

2. Le programme Leader vise audéveloppement des zones

rurales, sur la base d’un partenariat territorial entre acteurs publics

et privés, lire aussi l’article ci-dessous.

3. Les bénéficiaires de Leadersont constitués en Groupes

d'action locale composés d'acteurs publics et privés.

4. Pour en savoir plus, connectez-vous sur

www.projetsencampagne.com.5. Centre national pour

l'aménagement des structures des exploitations agricoles.

1. Radioscopie d’un phénomène durable :

l’installation de citadins à la campagne, enquête réalisée

auprès de 453 personnes constituant

un échantillon représentatif des « citadins » ayant leur

résidence principale dans desvilles et/ou agglomérations de

plus de 100 000 habitants

À partir de propos recueillis auprès

de Frédéric Delattre,coordinateur

du programme Leader du Pays voironnais

1. Liaison entreactions de

développementde l’économie

rurale, programme de

financementeuropéen.

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construire une culture commune de territoire. Et lepoint de convergence pourrait bien être le village.

De nombreuses pistes d’actions C’est dans cette perspective que s’inscrit le pro-jet, qui affiche l’enjeu « rester et vivre au vil-lage » comme facteur d’équilibre du Paysvoironnais. Dans cette mesure, il s’agira de tra-vailler sur la relation entre nouveaux arrivants ethabitants locaux afin d’améliorer l’accueil et l’in-tégration des nouveaux. Ceci pourrait par exem-ple se traduire par la réalisation d’un guide dusavoir vivre en Pays voironnais. Dans la mêmeperspective, la création de pépinières ou de jar-dins éducatifs à destination de la populationpourrait être de nature à instaurer le dialogueentre habitants et agriculteurs, désamorçant ainsiles tensions possibles et les conflits d’usage.Rendre chacun acteur de son lieu de vie participe

en effet à un partage serein du territoire.Face aux questions de la périurbanisation et des villages-dortoirs, il sera de mise de faire vivre les villages en développant notamment les services àla population, importants pour la cohésion du ter-ritoire. Ainsi, les projets de commerces multiser-vices par exemple, pourront être favorisés,permettant, comme le préconise le schéma desecteur du Pays voironnais, de garantir un certainéquilibre des villages vis-à-vis les uns des autres. La valorisation de la production locale grâce à desévénements culturels et artistiques greffés à descomices agricoles, grâce au développement desentiers de promenades et randonnées, grâce à lacréation d’une « route des saveurs » permettrontà tous, habitants et agriculteurs, de se sentirappartenir à un territoire qui vit et qui nourrit. Pourque tous les Voironnais puissent dire « j’appartiensà ce territoire ».

Village magazine

Village magazine et L’Acteur rural sont le fruitd’une aventure collective. Celle d’un grouped’amis, professionnels de la communicationpour certains, du développement local pourd’autres, tous passionnés par la campagne.Montrer que la campagne est certes lieu demémoire, de culture, de savoir et de savoir-fairemais aussi lieu de création, d’innovation, labora-toire où se construit l’avenir autrement, telle estson ambition. À l’origine du projet, Sylvie LeCalvez et Claire Lelièvre, cofondatrices en 1993de L’Acteur rural, société de presse installée aucœur de la campagne normande. Quinze ansplus tard, elles sont toujours là, à la tête d’unprojet éditorial ambitieux qui se donne pourobjectif de valoriser la campagne, d’informer surla vie et la création d’activités économiques,sociales et culturelles en milieu rural, et de met-tre en perspective les enjeux sociétaux de la cam-pagne.www.village.tm.fr.

Réseau de compétencesAssociation créée en 1999, le collectifVilleampagne rassemble vingt-trois membres (associa-tions spécialisées, collectivités, organismespublics et médias). Ensemble, ils forment unréseau de compétences pour les territoires rurauxsouhaitant accueillir de nouveaux habitants etpour les particuliers porteurs d’un projet d’instal-lation à la campagne. À l’origine du concept de politique d’accueil denouvelles populations, le collectif VilleCampagne réalise des études, anime des forma-tions, accompagne les territoires et les projets,

diffuse les expériences. Il coorganise égalementdes manifestations d’envergure nationale : Projetsen campagne, dont la Foire nationale a pourobjectif de mettre en relation territoires et candi-dats à l’installation ainsi que l’Université euro-péenne de l’accueil, qui permet les échangesd’expériences remarquables et offre un espace deréflexion pour la construction des politiques d’ac-cueil. En tant que centre de ressources, il anotamment créé le portail web de l’installation àla campagne. www.installation-campagne.fr.

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Quelles raisons vous ont poussée à vous installer à la campagne ?Je suis une « fille de la campagne », j’ai grandidans le Lot-et-Garonne. C’était donc un choixclair depuis le début de ma recherche que detrouver un endroit où je pourrais m’épanouir,aussi bien professionnellement que personnelle-ment, dans une zone relativement peu urbaine.J’ai donc choisi Guéret et la Creuse pour sonenvironnement rural. Ensuite, la recherche d’unemaison à louer m’a amenée à Sainte-Feyre, dansun hameau extrêmement calme, mais qui restetout de même très près de Guéret.

Avez-vous rencontré des difficultés particu-lières ? La principale difficulté était de trouver une maisonen location où je puisse à la fois vivre et installer

mon cabinet. J’ai sûrement eu beaucoup dechance, car lors de mes différents contacts avecles professionnels immobiliers du secteur, ceux-cim’avaient prévenue qu’il y avait très peu de mai-sons à louer, mais les trois locaux que j’ai visitésauraient pu tous convenir à l’usage prévu. Il faut dire que j’ai été bien encadrée et aidée parles personnes s’occupant du Pôle local d’accueilde Guéret que j’ai rencontrées pendant plus d’uneheure, leur exposant mes désirs d’installation, etelles m’expliquant la situation médicale enCreuse. Par la suite, elles m’ont aidée à trouverune maison en location. Les gens, et en particulier les personnes âgées,sont extrêmement contents de voir un jeune s’ins-taller dans leur village ou leur département, et sur-tout quelqu’un qui apporte un service quimanquait jusque là. Donc je ne peux pas dire que j’ai rencontré de diffi-

En deux décennies, de 1980 à 1999, le pays deLangres (165 communes, 12 communautés decommunes et 48 000 habitants aujourd'hui) s'estvidé de près d'un dixième de sa population. En2003, la charte du pays s'est fixé l'objectif pour2013, « d'enrayer le déclin démographique et derenforcer l'attractivité du territoire ».

Installations en pays de LangresLe conseil de développement local du Pays deLangres a alors expérimenté une démarche d'ac-cueil de nouvelles populations en créant, en sonsein, un comité de suivi des candidats à l'installa-tion, en partenariat avec le pays de Chaumont.Les candidats sont mis en contact avec un destechniciens qui accompagne le projet.

Cette démarche d'accueil commence à porter sesfruits. Depuis janvier 2006, une trentaine d'instal-lations ont été conduites (reprise d'un restaurant,création d'une activité de prestation touristiqueautour de la randonnée avec des ânes, créationd'une activité autour de la production d'escargots,etc.), par le comité de suivi qui s'occupe aujourd'huid'une quarantaine de projets. Parallèlement, lepays connaît une évolution démographiqueencourageante : le déclin démographique quiétait de - 8 % entre 1980 et 1999, a atteint -1,15 %entre 1999 et 2007. Pour la première fois depuistrente ans, le solde migratoire s'approche de zéro,même si le solde naturel, compte tenu du départde jeunes actifs, est devenu négatif.« Les résultats de cette politique d'accueil portent

Bienvenue au villageDes villages et des territoires en perte de population ou avec une populationvieillissante se retroussent les manches pour accueillir de nouveaux habitants.Voici l’exemple de deux territoires, le pays de Langres, entre Chaumont etVesoul et le pays de Combraille en Marche, dans la Creuse, qui s’appuientnotamment sur leur conseil de développement. Visites.

Une installation « à la campagne »

Rencontre avecAdeline Ancel,

ostéopathe à Sainte-Feyre, dans la Creuse

Texte issu de documents de

Mairie Conseils, Caisse des dépôts

et consignations

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cultés particulières. Cela s’est passé très rapide-ment, moins de trois mois entre la première visiteà Guéret et le début de mon activité profession-nelle.

Aujourd’hui, quel bilan tirez-vous de cetteexpérience ? Après juste un an d’exercice et plusieurs centainesde patients reçus, le bilan est excellent. Je travaillede façon régulière, et plus que beaucoup de mesanciens camarades de promotion installés dansde grandes agglomérations. Le bouche à oreille aextrêmement bien fonctionné et continue de m’ap-porter beaucoup de patients. C’est aussi un avan-tage de la campagne, où les gens ont plus derelations les uns avec les autres et ont tendance àparler facilement de leurs soucis de santé et de lapersonne qui leur a apporté un soulagement. Mon cadre de vie et de travail est extrêmement

agréable. J’avais un peu peur en m’installant deme retrouver isolée et éloignée géographique-ment de Guéret pour mes patients. Mais ceux-ciarrivent toujours à s’arranger pour venir enconsultations, ils se font amener par des voisins, lafamille, des amis… c’est ça aussi, la campagne !Et ils apprécient en général le fait que je sois ins-tallée au calme, loin du bruit et de l’agitation (etégalement le fait qu’ils ne rencontrent pas de dif-ficultés pour se garer juste devant !). L’une desphrases que j’entends le plus souvent de leur partest « vous êtes bien installée, ici ! »

Votre installation vous a-t-elle « changé lavie » ?Le désir de rester et de continuer à m’implanter iciest présent. Néanmoins, je ne peux pas dire si jeresterai ici toute ma vie, on ne sait pas toujours ceque nous réserve le futur…

sur des quantités relativement faibles, note SophieSidibé, chargée de mission accueil et emploi aupays. Mais il faut prendre en compte d'autres indi-cateurs qualitatifs, par exemple la capacité à rassembler les techniciens de divers organismesautour d'une table, favorisant une meilleureconnaissance du travail des uns et des autres etune meilleure collaboration. Cette mobilisationest essentielle pour aller plus loin. Par ailleurs, ilfaut prendre en compte le facteur temps, un desparamètres difficile à maîtriser : du projet à l'ins-tallation, il faut compter deux ans, notammentparce que l'accompagnement se fait le plus souvent à distance. Notre problème est aussi celuides moyens. La première étape de cette démarchea été financée sur les deniers du pays, avec unbudget annuel allant de 2 500 à 5 000 euros.Cette expérimentation aura permis de positionnerl'accueil et le maintien de populations et d'activi-tés, comme stratégie pour la seconde période(2007-2013) de mise en œuvre de la charte [dupays]. »Les trois axes de travail fixés pour construire unepolitique globale d'accueil sont expliqués parSophie Sidibé : « Le premier est de mieux connaîtreet renforcer l'offre existante du territoire. Les offresd'activités économiques sont répertoriées par leschambres consulaires ou l'Adasea1. En revanche,nous devons faire davantage de recherches sur lesoffres d'espaces (logements, locaux profession-nels, foncier, etc.) et de services par exemple. Lesecond est de promouvoir l'offre d'accueil endéveloppant une stratégie de communication versl'extérieur, en ciblant davantage les publics, parexemple les personnes originaires du pays et quivivent dans les centres urbains proches (Dijon),

mais aussi les résidents secondaires. Enfin, noussouhaitons mieux accompagner la personne dansl'adéquation individu/projet de vie/territoire et sonintégration locale. Ce dernier point peut être enpartie résolu par le développement d'une culturede l'accueil s'appuyant sur les associations qui ontcette capacité de mobilisation locale. C'est impor-tant. Si la population n'est pas convaincue de lanécessité d'une démarche d'accueil, si elle n'a pasconfiance en son territoire, cela peut porter préju-dice à l'arrivée de nouveaux habitants et à lapérennité de leur installation. »

Le pôle accueil de Combraille en MarcheLe pays de Combraille en Marche, dans laCreuse, a, lui, mis en place en 2005 le pôle locald'accueil qui propose notamment un accompa-gnement spécifique pour les populations anglo-phones et organise des stages découverte àdestination des candidats à l'installation.Le pays de Combraille en Marche est composé decinq communautés de communes (76 communeset 27 434 habitants). C'est un territoire enclavé,victime d'un fort déclin démographique (il a perdule tiers de sa population en quarante ans). Il est enoutre marqué par sa faible densité (17 habitantsau kilomètre carré) et le vieillissement de la popu-lation : 38 % de la population a plus de 65 anscontre une moyenne française de 20,6 %. C’estpour contribuer à rééquilibrer cette situation etpermettre une meilleure intégration des nouveauxarrivants que le pays a mis en place un pôle locald'accueil. Un accompagnement est proposé par leconseil régional du Limousin depuis le début desannées 2000. À la demande des territoires inté-ressés et après analyse de leurs forces et faiblesses

1. Association départementale pour l'aménagement des structures des exploitationsagricoles

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en matière d'accueil, le conseil régional financel'animation d'une politique d'accueil et encouragela création d'actions adaptées.La mission du pôle consiste tout d'abord à sensi-biliser les acteurs à la nécessité de l'accueil. « Cetravail se fait notamment par l'intermédiaire descent personnes qui composent le conseil de déve-loppement et qui se font l'écho de cette politiqued'accueil », explique Roland Desgranges, chargéde mission accueil au pays. Il se fait également àtravers la mobilisation des maires et par la lettred'information du pays, diffusée deux fois par anauprès de tous les habitants. « Nos messagesassocient toujours la volonté d'accueil à celle dumaintien de l'existant. En effet, favoriser unique-ment les projets des nouveaux arrivants pourraitêtre mal vécu par les personnes qui vivent icidepuis longtemps. » La politique d'accueil se traduit également par le repérage des opportunités(bail à céder, nouveaux projets, etc.) et de l'offre enmatière d'habitat.

Par ailleurs, le pôle local d'accueil a mis en placedes cours de langue française et un accompagne-ment des populations anglophones ainsi que desstages. Les cours ont bénéficié à cent quarantepersonnes en 2007. La même année, cent cinquantepersonnes se sont rendues aux permanencesorganisées tous les quinze jours, dans cinq com-munes du pays. Pour compléter le dispositif, dessoirées thématiques, consacrées à la sécuritésociale, à l'urbanisme, aux impôts, au tourisme,sont organisées quatre fois par an et ont attiré en2006 environ quarante personnes par soirée.Des stages « découverte » sont destinés à mettreen relation les candidats à l'installation avec lesacteurs concernés par leur projet : techniciens deschambres consulaires, notaires, boutique de ges-tion, etc. Outre ces séances d'information/formation,sont proposés des visites du territoire et un bilanpersonnalisé sur le développement des projets.« L'objectif de ces stages est de transformer l'essai, explique Roland Desgranges. Nous sélec-

tionnons, en fonction des besoins du territoire, despersonnes dont les projets sont déjà avancés, afinque l'installation puisse se réaliser dans l'annéequi suit le stage. Le taux de réussite est satisfaisantpuisque l'installation se concrétise en moyennepour 50 % des participants. » Chaque année, dixcandidats suivent ces stages, organisés une foispar an. Le budget de cette politique d'accueil s'élève à40 000 euros pour l'animation, pris en charge parle conseil régional. Le coût des stages est de l'ordrede 7 000 euros, subventionnés par l'État. Les dis-positifs en direction du public anglophone sontpris en charge à 50 % par le Fonds social euro-péen et à 20 % par le conseil régional duLimousin.« La politique d'accueil ne se résume pas au pôlelocal d'accueil, elle réunit tous les aspects écono-miques, sociaux, culturels du territoire. Tout est lié,souligne Roland Desgranges. Dans le cadre decette politique, l'habitat est le chantier primordialet une OPAH à l'échelle du pays est en cours ».Le pays réfléchit également à la création de loge-ments et de locaux professionnels temporaires. Enprojet : la construction d'un bâtiment de centmètres carrés, pour accueillir une activité en atten-dant que le porteur de projet trouve des locauxadéquats.

Pour en savoir plus : www.localtis.fr. Ce site internet deMairie-conseils édité par la Caisse des dépôts et consi-gnations, présente de très nombreuses expériences deterritoires.

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Il n’y a pas un type de femme, un type de viedans l’espace rural, mais une diversité de situa-tions. Alors qu’il paraît normal aujourd’hui queles femmes se présentent sur le marché du tra-vail, il est nécessaire de prendre en compte cettedonnée, pour comprendre leurs modes de vie. Ilfaut considérer aussi le fait que la journée de tra-vail d’une femme s’articule autour du travaildomestique et du travail professionnel, puisquecomme le confirme un certain nombre d’études,l’essentiel des tâches domestiques lui incombent.Ce constat justifie l’analyse de cette populationparticulière, étant donné que dans un village,l’offre en termes de services, de structures degarde et d’emploi est moindre par rapport àcelle proposée en milieu urbain1.

Qui sont ces femmes ?Les femmes qui habitent en milieu rural s’y sontinstallées pour des motivations différentes et leplus souvent dans une démarche d’accession àla propriété. Les nouvelles arrivantes, selon leursituation par rapport à l’emploi, subissent leur installation en milieu rural ou en sont actrices. Une part de la population féminine, en effet, netravaille pas ou arrête de travailler au momentde déménager. Elle quitte en principe un loge-ment HLM pour venir habiter dans une maisondont elle est propriétaire. La disponibilité des ter-rains constructibles à des distances raisonnablesdu lieu de travail du conjoint détermine le choixdu village. Le choix de l’espace rural est justifiépar le coût du terrain qui est moins importantque dans l’espace urbain. Les lotissements ainsiconstitués renforcent le sentiment d’isolementque peuvent ressentir ces femmes qui n’ont pas

d’emploi, exacerbé par l’absence de com-merces, d’activités et de lieux de sociabilité. Elles fréquentent alors le village à leur manière.Elles arpentent les rues et les chemins pour lespromenades, se rendent dans les commercesquand ils existent, elles vont à l’école chercherleurs enfants, mais passent aussi beaucoup detemps chez elles. Ces femmes sont peu quali-fiées. Parmi elles, un certain nombre refuse quecette situation dure et occupe alors des emploisprécaires sur place : elles deviennent assistantematernelle, femme de ménage… Une autre part de femmes habite le milieu rural,sans toutefois l’investir vraiment, l’essentiel étantd’avoir trouvé la maison idéale. Le rapport autravail reste privilégié puisqu’il faut maintenirl’emploi à tout prix, même si les trajets domicile-travail sont importants, n’excluant pas la possibi-lité d’essayer de trouver un emploi plus près dechez soi, par la suite. Ces femmes apprécient laqualité de vie apportée par l’espace rural : lecalme, l’espace, le paysage, la possibilitéd’avoir un jardin pour s’y reposer et créer unpotager. Toutes ces caractéristiques sont égalementrecherchées par une autre part de la populationféminine, mais s’accompagne, en plus de l’inté-rêt porté à la maison, par un intérêt porté à lalocalité. En effet, la recherche se fait aussi enfonction de la perception du dynamisme local,ces dernières souhaitant souvent s’investir dansla vie locale, avec contrairement aux deuxgroupes précédents, l’espoir d’établir des rela-tions avec les habitants. Enfin, des femmes originaires du village ont sou-haité habiter là plutôt qu’ailleurs, dans un uni-

Par Blandine Glamcevski,sociologue

Vies de femmesen villagesQui sont les femmes qui choisissent de s’installer dans un village ? Pourquoifont-elles ce choix ? Quels modes de vies induit-il ? À partir de rencontres defemmes installées dans des villages lorrains, Blandine Glamcevski propose desportraits de femmes plus ou moins impliquées dans leur vie de village.

1. La recherche qui a permis d’étayer les résultatsprésentés dans ce texte aété réalisée auprès defemmes en âge de travailler qui habitentdans des villages lorrains.

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vers qu’elles connaissent, bénéficiant du réseau d’entraide dont elles sont familières et du patri-moine familial. Les agricultrices, en revanche, s’installent davan-tage dans le village du conjoint.

Le rapport au travail Les femmes qui n’ont pas d’activité profession-nelle sont amenées à fréquenter davantage delieux au sein du village. C’est le cas égalementde celles qui travaillent dans la localité, mais lerapport au local n’est pas de même nature. Lesfemmes inactives ont un rapport routinier avecles lieux : promener les enfants, les accompa-gner à l’école, aller acheter le pain… et créentdes liens ou des habitudes avec les gens qu’ellesrencontrent chaque jour : discuter avec la bou-langère, aller boire le café chez une autre… L’infirmière ou la boulangère, par exemple, s’ins-crivent autrement dans les lieux : elles créent desrelations sociales privilégiées avec les patientsou clients, tout en gardant une distance socialesuffisante pour conserver l’intégrité de leur vieprivée. Toutes n’accèdent pas à l’emploi local dans lesmêmes conditions : une partie d’entre elles sai-sit l’opportunité d’un emploi offert sur place.Pour d’autres, l’installation en milieu rural a étémotivée par un projet professionnel individuel oude couple. Le rapport au local des agricultrices est spéci-fique. Il s’exprime dans la pratique de leur acti-vité, essentiellement. Le statut juridique auquelelles peuvent prétendre (exploitante associée)leur procure une identité professionnelle. De plus en plus d’agricultrices proposent desactivités agritouristiques. Cela montre leurvolonté et leur capacité à développer des activi-tés qui requièrent des compétences particulières,mais aussi leur faculté à s’adapter aux nouvellesdemandes du public et donc, à l’évolution de lasociété. Les femmes qui travaillent à l’extérieur du villageont, par la force des choses, moins d’occasionsde le côtoyer. Le temps consacré à l’extérieur dechez soi et de la commune réduit les possibilités.Cependant, les enfants en bas âge, le lieu de lafamille élargie, la durée du travail amènent à fréquenter le village.Mais la fréquentation des lieux au sein du villagene dépend pas uniquement du temps dont ellesdisposent. Celles dont l’installation en milieurural a été motivée par la recherche d’une cer-taine qualité de vie et d’un dynamisme local,sont davantage investies sur les lieux que la plu-part des femmes inactives. Les priorités sont dif-

férentes et les façons d’habiter diverses. Cespriorités résultent du rapport à l’activité d’unemanière générale, qui se caractérise par unebonne adéquation entre l’emploi occupé et cequ’en attend l’individu. L’espace rural est, selon le rapport que l’on entretient avec le travail, soit une source de dynamisme individuel, parce qu’on peut s’investirou participer à de nombreuses activités en dehorsdes activités routinières, soit un frein parce qu’ilcondamne à un certain isolement lorsque l’onn’exerce pas d’activité professionnelle et que l’onest relativement peu mobile.

L’activité associative Deux formes principales de participation à la vieassociative du village peuvent être identifiées. La première consiste à proposer des activités quin’existaient pas auparavant, souvent innovantes,culturelles ou artistiques, à l’initiative de nouveauxarrivants qui ont le désir de s’investir dans cet espace,avec le soutien de certaines personnes habitant levillage depuis longtemps ou depuis toujours. Cespratiques ne concernent pas un public exclusive-ment féminin. L’association fait office alors, dansce cas, d’organe intégrateur. Les activités propo-sées peuvent être des loisirs, mais aussi des services,comme la création d’un accueil périscolaire.La deuxième forme est illustrée par le souci defaire perdurer des activités existantes, en assurantle retour des personnes qui y participaient lesannées précédentes. Ce sont des activitésmanuelles accessibles à un large public et prati-quées dans une ambiance conviviale. Elles permettent surtout la création d’un lieu de socia-bilité pour certaines femmes au foyer, mais aussiretraitées. Les personnes les plus à même de par-ticiper aux activités associatives de leur villagesont celles qui entretiennent un rapport affectifavec le local.

Recherche d’une adéquation entre travailet milieu de vie Le repérage et l’analyse des pratiques dans le rapport au territoire et au travail permettent decomprendre que la quête des individus est finale-ment unique. Malgré les aspirations diverses, laquête d’un bien-être, mais aussi et surtout larecherche de repères et d’une identité, motiventles modes d’habiter. Les unes cherchent àconstruire un autre idéal de femme au foyer, lesautres veulent s’épanouir dans leur travail encréant un environnement domestique apaisant, etenfin, les dernières aspirent à être actrices de leurenvironnement, par la pratique d’activités qui leslient à leur espace.

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« C’est vraiment l’idéal du village alpin ici… quec’est chouette ! Ces maisons, solides, toutes cesfleurs, le petit ruisseau, les oiseaux… ». Voilà cequ’on pouvait entendre hier encore, à vingt-cinqminutes de Grenoble. C’est vrai que c’est beau cecoin autour de Proveysieux, Sarcenas, Quaix-en-Chartreuse. À bien regarder ces belles bâtisses fleu-ries, les prairies ragaillardies du printemps, on enoublierait presque ce gros anneau brillant dans lavallée1, et puis aussi l’autoroute et les zones com-merciales toutes proches. Tous les atomes, véhi-cules, consommateurs, qui s’activent dans cesinfrastructures pensent-ils à lever les yeux, alors quenous oublions de baisser les nôtres ? Le village est l’élément central de la structurationsymbolique des Alpes. Il est le lieu des racines et del’authentique, le lieu de la constance et de lamémoire. Le village alpin c’est le lieu du tempsretrouvé, des saisons. Mais c’est aussi, de plus enplus, le lieu d’un temps qui s’échappe et qui s’ac-célère.

Tradition et modernitéDepuis près d’un demi siècle, des changementsmajeurs ont progressivement mis en œuvre de nou-veaux modes de régulation et d’organisationsociale, économique et territoriale qui ont peu àpeu modifié toutes les régions du monde, y comprisles vallées alpines les plus reculées.Si les représentations archétypales des Alpes se fon-dent encore souvent sur une association d’activitéset de sociétés traditionnelles à dominante rurale,articulées autour du village et comme préservéespar les crêtes enneigées du monde globalisé, plusde 60 % de la population alpine vit aujourd’huidans des villes.

Les transformations associées à ce phénomène deglobalisation concourent à une « remise à jour »des conceptions héritées de l’identité et de la cul-ture alpine. L’iconographie et le titre du troisièmerapport de la Cipra sur l’état des Alpes, Nous lesAlpes, ont cherché à témoigner de ce renouvelle-ment de l’« habiter » dans les Alpes et par làmême, de la notion de village alpin.

Il convient toutefois de s’interroger sur le contenu etle message délivrés par ces images. Le villagealpin, à l’instar du Japon dont les clichés éculésperdurent pourtant, serait-il aussi, désormais, faitd’une douce alchimie mêlant tradition et moder-nité ? Mais quelle modernité dans ces anciennesvallées industrielles désertées ? Et quelles traditionsdans ces superettes de village où le saucisson leplus local est au mieux breton ? Le village, comme les voitures, serait-il donccondamné à devenir hybride pour survivre ? Cen’est certainement pas le cas pour de nombreuxélus locaux, qui du Mercantour au Triglav n’ont pasattendu la prime de reprise des anciens modèles

Par Alexandre Mignotte,CIPRA France etClaire Simon, Réseau decommunes Alliance dans les Alpes

L’Alpe des villes et l’Alpe des champs

La proximité entre un village et une ville alpine n’est pas récente. Mais l’évolution de leurs relations et des tensions qui les animent est bel et biensensible à travers tout l’arc alpin. Par là même, la notion de village alpin estpartout interrogée.

1. Le Synchrotron

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pour faire de leur village un creuset d’innovation etd’adaptation. Les ressorts de l’avenir du village,qu’ils soient démographiques, économiques ouautres, sont autant en dedans qu’en dehors decelui-ci. L’autarcie - énergétique pour l’instant - estautant recherchée et affichée qu’un désir d’hyper-connexion.

Des villages se prennent en mainCet art du grand écart est l’apanage de 270 com-munes alpines regroupées au sein du réseauAlliance dans les Alpes né en 1997. Pour de nom-breuses communes du réseau, ce grand écart sedécline par le courage d’avoir une grande visionmais d’avancer à petits pas, par la sagesse de met-tre à plat les conflits pour mieux coopérer, par legénie de mettre en valeur la créativité et les atoutsdes habitants et de leur territoire et par la patience,car réinventer la notion de village demande desannées, voire des décennies. Enfin, nombre demembres du réseau sont dotés d’une générosité quiles pousse à partager leurs expériences avec d’au-tres communes…Les plus innovants sont souvent les communes en« crise », qui sauvent leur village du déclin, parfoismême de la mort. Ainsi, après vingt ans de crise liéeà la fermeture d’une importante usine de coutelle-rie, Steinbach an der Steyr (Autriche), comptait aumilieu des années quatre-vingt, 1 847 habitants,68 emplois et 27 entreprises. Alors que le proces-sus de déclin paraissait inexorable, les habitants deSteinbach ont décidé de ne plus assister en specta-teurs passifs au délabrement de leur commune.Élus de tous bords, experts et citoyens ont fait tablerase de leurs conflits pour faire ensemble l’inven-taire des forces et faiblesses de leur village et pourfaire émerger une vision d’avenir ambitieuse. Puis,pas à pas, tous se sont mis à l’œuvre pour rénoverle centre du village, rouvrir ses boutiques, repeuplerses appartements… Aujourd’hui, avec ses quelque2 030 habitants, 258 emplois et 56 entreprises,Steinbach a dépassé les chiffres de 1967. Les asso-ciations et le bénévolat fleurissent et les jeunes -plus nombreux que la moyenne autrichienne - s’im-pliquent dans la politique locale. Au-delà des chif-fres, Steinbach a réinventé son village sur le fond ;en témoigne l’importance de la production agricolebiologique dans la commune ou encore la bonnequalification de ses habitants et entrepreneurs. Il y a aussi Massello (Italie) ou Auzet (France), qui,avec quelques dizaines d’habitants et d’élus enga-gés, réassemblent une à une les pierres de leur vil-lage. Massello a vu, dans la gastronomie et laproduction agricole locale, une recette appétis-sante pour faire venir des visiteurs et créer desemplois dans la restauration et l’agriculture. ÀAuzet, c’est un savant mélange d’ateliers relais

(boulangerie et menuiserie), de revalorisation desactivités agricoles et forestières, de développementd’activités éco-touristiques et musicales, qui a per-mis à la population de passer de 35 habitants dansles années quatre-vingt, à 85 en 2008. Etaujourd’hui, Auzet doit construire de nouveauxlogements, qu’elle souhaite passifs, pour relever dumême coup le défi énergétique qui se pose à nossociétés !Peu de communes touristiques dans les Alpes sepensent en crise. Pourtant il y a une quinzaine d’an-nées, Werfenweng (Autriche) a perçu les bénéfices,mais aussi les nuisances engendrées par le tou-risme, notamment l’invasion des voitures. La com-mune a alors imaginé d’accueillir des visiteurs quichoisissent de laisser leur voiture au garage pen-dant les vacances. Depuis, Werfenweng se forgeune nouvelle identité autour de la mobilité douce.Grâce à ses groupes de travail, à sa politique demarketing et autres investissements, Werfenwengpeut afficher des nuitées en hausse (à capacité delits égale), une place du village remodelée en« place de la mobilité », de nouveaux modes detransport sur ses routes et chemins… En douceur,cette révolution de la mobilité déteint sur tout le vil-lage : les bornes solaires pour recharger les véhi-cules électriques sont devenues le symbole deWerfenweng, les filières économiques localess’épanouissent...

Un réseau pour innoverSteinbach, Auzet, Massello ou Werfenweng arbo-rent les succès de leurs efforts. Mais en ces tempsoù tout change à la vitesse des fibres optiques,aucun de ces villages ne peut se reposer longtempssur ses lauriers. Pour maintenir la flamme en vie etsusciter de nouvelles « vocations », Alliance dansles Alpes mise sur les échanges d’expériences. Ainsien mars dernier, une cinquantaine de personnes seretrouvaient à Cruseilles (France) autour du thème« Nouveaux enjeux, nouvelle identité, nouvelle vita-lité : pour une commune, comment créer son pro-jet d’avenir ? ». Les représentants des communesfrançaises, italiennes, suisses et autrichiennes sontrepartis avec un nouvel élan pour continuer àfaçonner et à croire en leur vision pour l’avenir deleur village. Les 16 et 17 octobre 2009 à BadReichenhall/D, Alliance dans les Alpes invite àdécouvrir sous un autre angle ce que des com-munes innovantes proposent pour que l’Alpe desvilles et l’Alpe des champs mènent un dialoguefructueux et unissent leurs forces, afin que les Alpesne soient pas qu’un décor pour âmes nostalgiques,mais un véritable lieu de vie conscient de sesracines et tirant parti des bienfaits des tempsmodernes.

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Villages de vacances,un vrai laboratoire

L’habitat de loisirs prend souvent le village comme référence pour proposerle cadre de vie de moments privilégiés. Quelles leçons en tirer ? Cet habitatpeut-il être considéré comme une avant-garde pour inspirer les formes del’habitat permanent ?

Par Pierre Belli-Riz,architecte DPLG, urbaniste OPQU, enseignant chercheur àl’École nationale supérieured'architecture de Grenoble

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L’imaginaire du village renvoie principalement àdeux mémoires, celle du passé et de la traditiond’une part - les villages de notre enfance - celledu temps libre et des loisirs d’autre part - les villagesde nos vacances. Les deux peuvent parfois s’asso-cier dans une même nostalgie, celle des villagesdes vacances de notre enfance… Mémoires dérisoires ? Pas si simple ! Le tempsdes loisirs peut être celui de la futilité, l’habitat deloisirs n’est que temporaire, mais il n’en est pasmoins une affaire sérieuse. En France, le tourismesocial devient même dans les années soixante uneaffaire d’État, avec l’aménagement du littoral etdes stations de montagne. Cette politique estl’exacte symétrique de celle des grands ensemblesde logement social ; d’un côté, l’habitat permanentsous forme de machines à habiter, de bâtimentsimpersonnels conçus pour le Français moyen, untravailleur anonyme qui ne doit surtout pas s’attacherà un territoire particulier ; de l’autre, l’habitat deloisirs de masse pour offrir à ce même Françaismoyen un repos bien mérité et un dépaysementsalutaire. D’ailleurs, les mêmes architectes sontparfois simultanément à l’œuvre dans les deuxdomaines ; et ils semblent souvent plus inspirésdans le deuxième cas que dans le premier.Quelles leçons tirer de ces expériences urbanis-tiques et architecturales souvent originales ?

Le temporaire supportable et le perma-nent insupportable ?Pas question, bien sûr, de reproduire des solutionstoutes faites. Les conditions de vie ne sont pasvraiment comparables : le temps des vacances,ce moment privilégié où l’on a envie de profiter del’instant, engage paradoxalement à plus de tolé-

rance que la vie de tous les jours. On accepte deschoses que l’on ne supporterait pas en tempsordinaire : l’espace vital réduit et la promiscuitéont moins d’importance parce que l’on vit beau-coup dehors. Le bruit des autres invite plutôt àpartager la fête. On s’installe dans un rythme devie commun, communautaire presque, même sion n’a pas plus choisi ses voisins qu’en ville. On se libère de certaines contraintes pour enaccepter d’autres. La relation à l’automobile, parexemple, est bien différente : cet objet familier,qui d’ordinaire doit rester proche et disponible àtout moment, peut être quasiment abandonnépour toute la durée du séjour, sous le soleil ousous la neige…Par ailleurs, dans les villages de vacances, beau-coup de services sont pris en charge par des pres-tataires intégrés ou extérieurs. Cela a un coûtparfois important, voire un surcoût inattendu.Mais en vacances, on est généreux ou on oubliede compter, souvent. Et il faut bien que quelqu’unentretienne le beau paysage des espaces collec-tifs : on ne peut pas compter sur l’appropriationindividuelle des espaces extérieurs pour en assurerune image harmonieuse. Des terrasses ou desbalcons, mais pas de grands jardins privatifs,donc : on apprend une certaine économie del’espace. Et au final, on peut faire l’expérience de nouvellesrelations de voisinage, dont certains aspects peu-vent changer l’idée du quotidien, en particulier levécu de la proximité et de la densité1.

Unité et diversitéOn croit parfois que les conditions de productionde l’habitat de loisirs sont différentes, et que la

1. Attention cependant à nepas se faire trop d’illusionssur ces notions ! Lire ourelire Jean-ClaudeChamborédon etMadeleine Lemaire :« Proximité spatiale et distance sociale, les grandsensembles et leur peuplement »in Revue française de socio-logie XI-1, janvier-mars1970.

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rigueur de l’économie y est moindre. Au contraire !L’image du luxe est trompeuse, en réalité, elle nedoit pas coûter cher. D’abord, il s’agit d’une pro-duction de masse, comme pour le logementsocial, permettant des économies d’échelle.Ensuite, les périodes d’occupation étant réduites,l’amortissement de l’investissement est encoreplus exigeant que pour l’habitat permanent. Et lescourtes saisons de chantier obligent à choisir destechniques particulièrement rapides et perfor-mantes. En contrepartie, certaines performancestechniques peuvent être moindres. En fait, l’habitat de loisirs est un champ d’expérimentation privilégié pour la constructiontrès économique, avec des techniques légères,modulaires, des systèmes de composants, parexemple. L’important est de produire de la diversité,même si le fractionnement des volumes cache uneunité de conception et de gestion très forte et pro-duit une identité commune. L’équilibre entre unitéet diversité, c’est peut-être cela, la magie du village…

De Port Grimaud à GassinQui ne connaît Port-Grimaud, décor de carte pos-tale qui provoqua en son temps, dès 1964, unepolémique virulente et l’accusation sans appel depastiche ? À y regarder de près, Port-Grimaud estbien une invention moderne : un village sans voi-tures, une marina où l’on peut garer son bateauau bout de son jardin, des techniques deconstruction rationnelles et économiques, desvariations de façades reposant sur l’utilisationhabile d’un catalogue de composants, un voca-bulaire architectural inventif qui synthétise desinfluences multiples… Rien, en fin de compte, quine soit pas transposable dans l’habitat de tous lesjours, quoiqu’on dise. L’architecte FrançoisSpoerry rêvait d’ailleurs que des résidents perma-nents habitent sa marina. Les promoteurs d’alorsont jugé que c’était trop beau pour ça ; mais lesvacanciers d’hier sont les retraités d’aujourd’huiqui y passent la plus grande part de leur temps. EtSpoerry a réalisé son rêve en 1989 à quelqueskilomètres de là, à Gassin : l’extension discrèted’un village ancien, avec les mêmes principes,inclut des HLM qui ne ressemblent décidémentpas à des HLM2. Autant on peut reprocher à PortGrimaud son caractère fermé, introverti, autantl’opération de Gassin est une greffe réussie, encontinuité douce avec le vieux village.

Entre modernisme et régionalismeCet exemple n’est pas isolé. Spoerry a inspiréd’autres architectes, comme Jacques Sixtus qui aréalisé en 1981 une extension de village à Saint-Pantaléon-les-Vignes, dans la Drôme3. À l’origine,le promoteur voulait vendre ces maisons commedes résidences secondaires ; elles se sont rapide

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Que cherchent les élus des villageslorsqu’ils adhèrent aux labels et réseaux dutype « Les plus beaux villages deFrance » ?Les responsables des collectivités locales recher-chent tout d’abord la reconnaissance de leurscommunes et au travers elle, la valorisation patri-moniale de leurs sites et des efforts consentis parla collectivité pour se démarquer. L’émiettementcommunal, avec plus de 36 000 communes, nepermet pas une identification de celles qui dispo-sent d’un véritable potentiel patrimonial. Deslabels de qualité peuvent faire émerger une réellereconnaissance de sites remarquables. Par lasuite, la labellisation doit être accompagnéed’une dynamique de réseau, d’appui auxdémarches locales et d’une mutualisation desbonnes pratiques.

Pourquoi ces labels et réseaux se sont-ilsautant développés ?Le développement de labels trouve sa justificationdans des reconnaissances spécifiques, voire secto-rielles et apporte difficilement une réelle plus-value. Mais il s’agit de distinguer les démarchesprivées, portées par les socioprofessionnels ayantpour finalité le développement économique, etcelles publiques ou parapubliques, mettant plusl’accent sur la valorisation patrimoniale ou l’at-tractivité générale d’un site ou d’un territoire. Lagrande dispersion du patrimoine rural a logique-ment induit la mise en place de labels et deréseaux, mais trop nombreux qui ne favorisent pasla lisibilité des démarches. Seuls quelques unsarrivent à tirer leur épingle du jeu.

Labels et réseaux Entretien

avec Mohammed Chahid,consultant-directeur

de MATI Cabinet Conseil,Mission d’appui

aux territoires et à l’innovation

2. François Spoerry : opération « greffe de

village » à Gassin,1989. La commune deGassin a reçu en 1995la Marianne d’Or pourcette réalisation et pourson effort de logement

des actifs locaux.3. Jacques Sixtus,

Bernard Gouyon et P.L.Coutos, architectes :

opération d’habitatindividuel groupé àSaint-Pantaléon-les-

Vignes (Drôme), 1981,analysée in Pierre Belli-

Riz (dir.) : La mesureurbaine de la maison

individuelle, rapport de recherchePUCA-METL, 2003.

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ment arrachées comme résidences principales. Il faut aussi citer l’architecte Pierre Lajus qui, danssa région du Sud-Ouest, a développé des procé-dés constructifs modulaires souples et légers quise sont appliqués aussi bien à des villages devacances qu’à des résidences principales4. Ilreconnaît par ailleurs s’être inspiré des cabanesde pêcheurs du bassin d’Arcachon dans la VillaMorton qu’il a réalisée en 1979 près deBordeaux5. Pierre Lajus accomplit dans cette réalisation unesynthèse entre régionalisme et modernisme, alorsque dans les années soixante l’opposition faisaitrage entre ces deux notions. Pourtant, l’idéal duvillage était déjà très présent dans le courantmoderniste. Georges Candilis, par exemple, sesouvient de ses racines grecques dans ses projetset réalisations pour le littoral Languedoc-Roussillon ; mais il choisit de traduire l’idée orga-nique du village à travers une rationalitégéométrique quasi obsessionnelle, avec des sys-

tèmes très perfectionnés de trames et demodules6. L’Atelier de Montrouge réalise de même des opé-rations remarquables dès la fin des années cin-quante, notamment le village de vacances LeMerlier à Ramatuelle, classé au Patrimoine du XXe

siècle7. Mais lorsque Jean Renaudie développe lemême registre dans le logement social, la récep-tion de l’image n’est plus du tout la même. Cettearchitecture d’influence méditerranéenne, quipeut nous rappeler les villages pittoresques et lesmédinas où l’on a aimé flâner en touriste, reçoitle surnom dévalorisant de casbah8. On peut y voirune peur de l’étranger ; on peut aussi compren-dre un rejet de l’étrange, du déplacé, ou encorede cet universalisme moderne qui a, par son sys-tématisme excessif, produit de la banalisation etde la confusion. La transposition des référencesmontre ici ses limites : hors de son contexte, ledépaysement est devenu déracinement. D’autres architectes ont compris plus tard qu’entremodernisme et régionalisme, ce n’est peut-êtrequ’une question de style qui peut cacher la mêmeforme urbaine. L’architecte Jean-Marc Legrand,par exemple, conçoit en 1964 une « unité touris-tique » pour La Grave (Hautes-Alpes) dans le stylemoderne de l’époque. Il ne réalise le début de ceprogramme qu’en 1980, sur les mêmes principesde groupement, mais dans un style régionalistecomplètement différent et tout aussi maîtrisé9 ; eten 1998, un Village-hôtel vient compléter unensemble cohérent identifié aujourd’hui comme le« nouveau village ».

4. Voir notamment Pierre Lajus : « Le pré-caire et le permanent »in Techniques et architecturen°333, décembre 1980. 5. Pierre Lajus,architecte : Villa Morton,45 rue Morton àBordeaux Caudéran,1979 ; opération analy-sée in Pierre Belli-Riz(dir.), op. cit. 2003. 6. Georges Candilis :Recherches sur l’architec-ture des loisirs, KarlKrämer Verlag, Stuttgart,1972 ; nombreux projetset réalisations à Canet-Plage, le Barcarès-Leucate, le Grau-du-Roi,Deauville, etc.7. Atelier de Montrouge(Jean Renaudie, PierreRiboulet, GérardThurnauer, Jean-LouisVéret, architectes) : vil-lage de vacances LeMerlier à Ramatuelle(Var), 1959-1965 ; voirnotamment CatherineBlain (dir.), L'Atelier deMontrouge, la modernitéà l'œuvre (1958-1981),éd. Actes Sud-Cité del'architecture et du patri-moine, Arles, 2008. 8. C’était notamment un surnom populaire donnéau quartier Renaudie deSaint-Martin-d’Hères(Isère) réalisé entre 1974 et1982.

Un village uniquement dédié au tourismeest-il viable ? Un village uniquement dédié à une unique activitécomme le tourisme se risque à une certainemono-fonctionnalité déconnectée des réalitéssociales et des autres dynamiques économiqueslocales. Les entrepreneurs peuvent être extérieursau village, ce dernier devenant un fond de com-merce comme un autre. L’immobilier et le foncierd’une manière générale deviennent hors de prixpour des jeunes résidents obligés d’aller ailleurspour s’installer. Le village monotouristique devientrépulsif pour ses propres habitants.Le développement durable est aujourd’hui de plusen plus incontournable et appelle à un dévelop-pement intégré autour de valeurs et de principescommunément admis : équité sociale, préserva-tion de l’environnement et efficacité économique.

Comment penser le développement d’un village avec un label ou dans le cadre d’unréseau qui a priori fige l’image du patrimoine ? Le processus de labellisation ne doit pas prendrele pas sur le projet de développement.L’association des habitants devient ici une fortenécessité pour une réelle appropriation du villageet de son projet. Le recours à une médiation conti-nue permet d’atténuer les difficultés rencontréespar une trop forte emprise du tourisme sur le vil-lage. En outre, le village ne peut se détacher deson ancrage territorial. La diffusion vers d’autressites du territoire d’appartenance a le doubleavantage de limiter l’effet de la concentration tou-ristique et de valoriser les autres formes du patri-moine local. Enfin, le recours à une diversificationéconomique peut être salutaire pour éviter uneimage figée et statique du développement. Ici,trop de tourisme peut nuire à une attractivitébasée sur d’autres potentiels du territoire. 57

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9. Jean George etJean-Marc Legrand,architectes : « Unité

touristique de LaGrave-La Meije » in

Techniques et architec-ture n°333, décembre

1980. 10. Voir notamment à

ce sujet Daniel Le Cou -édic : La maison oul’identité galvaudée,

Presses universitaires deRennes, Rennes, 2004.

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Du dépaysement au repaysement On pourrait encore multiplier les exemples. Biensûr, dans chacun, il faut distinguer la valeur detypicité (les traits communs, les principes générauxqui peuvent être reproduits, la base des variationspossibles) et la valeur de singularité (le caractèreunique d’une situation locale et historique qui faitqu’on ne peut le reproduire tel quel, comme unmodèle). Il faut aussi distinguer la forme urbainedu style architectural, qui plaît à certains et pas àd’autres : vaste débat…L’exemple a donc besoin d’être sans cesse inter-prété dans une situation nouvelle, unique. Laquestion ne saurait se réduire à une questiond’image, le pittoresque n’est que la partie émergéed’un iceberg. Mais il faut peut-être reconnaîtrequ’à travers l’habitat de loisirs, l’idée du village,après une période qui proposait le dépaysementcomme palliatif à la banalisation du cadre de vie,nous amène aujourd’hui vers un désir de « repay-sement » : se retrouver, se sentir quelque part,dans un territoire qui nous appartient et auquel onappartient. Pour beaucoup, ce sera sûrement plus une fictionnouvelle qu’un retour aux sources. Cette fictionexprime selon certains le retour du refoulé, la nos-talgie d’une réalité disparue, et elle échapperasans doute difficilement à la marchandisation etaux lois de la consommation culturelle10. Mais cepeut être malgré tout une belle fiction, une bellehistoire. À suivre ?

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Bibliographie« Le village ambigu. Des voisins de la ville » Gérard BAUDIN et Sabine DUPUY, Les Annales dela recherche urbaine, n° 90, sept. 2001, p. 77-84.La représentation citadine du village comme territoire idéal offre au politique la métaphoregéographique et patrimoniale qui illustre son discours sur la nécessaire proximité. À écouter leshabitants, il s’agit d’un village qui concentre enminiature les aménités et la diversité de la grandeville. Cette ville dans le village semble être lemiroir ambivalent des désirs contradictoires etcontrariés des diverses couches moyennes.Disponible sur :http://www.annalesdelarechercheurbaine.fr/IMG/pdf/Baudin_Dupuy_ARU_90.pdf

La rurbanisation ou la ville éparpilléeGérard BAUER et Jean Michel ROUX, Seuil, 1976,192 p.

Le village retrouvéPascal DIBIE, Grasset, 2008, 256 p. (Coll.L’Aube/poche essai) (Réédition de l’ouvragepublié en 1979).L’ethnologue Pascal Dibie livre une analyse à lafois empirique et documentée du milieu paysandes années quatre-vingt face à l'avancée de laville.

Le village métamorphosé. Révolution dansla France profonde Pascal DIBIE, Collection terre humaine, Plon,2006, 405 p.Vingt-sept ans après Le village retrouvé, un récitethnologique sur le village rurbanisé et sur lafaçon dont le villageois s’urbanise et évolue entrelocal et mondialisation.

« Que reste-t-il de nos hameaux ? »Christine DURAND (coord), Village, n° 57, juillet-août 2002, p. 22-36.Comment acquérir et restaurer un hameauaujourd’hui ? Quel est le rôle des sociétésd’aménagement foncier rural ? Quelles peuventêtre les difficultés de chantier ? Quelles sont lestendances de ce marché immobilier singulier ?Pourquoi mesure-t-on ce fort développement desécovillages ? Autant de questions qui sont abor-dées par ce dossier.

La fin des maires. Dernier inventaire avantdisparition

Luc GWIAZDZINSKI et Gilles RABIN, FYP Editions,2007, 160 p.« Coincés entre la désertion de l'État et la montéede l'intercommunalité, nos maires vont-ils dispa-raître ? ... »Au bonheur des campagnesBertrand HERVIEUX et Jean VIARD, L'Aube, 2005,154 p. (Réédition de l’ouvrage publié en 1996).Cet ouvrage est le fruit d'une vaste enquête menéetant dans les villages que dans les villes. Il analysela mise en désir de cette campagne, lieu de loisirsmais aussi de paysannerie gardienne des pay-sages, par des villes devenues sans limite.

Vivre et habiter une villme au naturel.L’agglomération rouennaise : terrain d’ex-périence et de modèleWandrille HUCY et Nicole MATHIEU, in Quatre ansde recherche urbaine 2001-2004, ACI-Ville,Ministère de la Recherche, Presses UniversitairesFrançois Rabelais/Maison des Sciences de l’Homme« Villes et territoires », 2006, p. 127-140.

Envies de campagnes : les territoiresruraux français Jean-Pierre HUSSON, Ellipses Marketing, 2008, 207 p.Les espaces ruraux français sont aujourd'huirevendiqués, plébiscités, redevenus à la mode etpour beaucoup en renaissance. Nos campagnessont pour l'essentiel vivantes ou revivifiées, portéespar des projets qui mutualisent leurs forces au seinde nouvelles échelles de territoires voulues et par-tagées. Les campagnes demeurent des mosaïquesnourricières mais sont encore perçues comme desécrins de patrimoine, des lieux de nature et debiodiversité, avec des paysages amènes et séda-tifs. L'ouvrage réalise une mise au point actualiséesur ces territoires placés entre nature et société,situés entre promotion, succès, envies et dysfonc-tionnements. (Présentation éditeur).

« L'Europe et ses campagnes »Marcel JOLLIVET et Nicole EIZNER (dir.),Presses deSciences Po, 1996, 399 p.Peut-on parler d'une Europe « agrarienne » oud'un « agrarianisme » européen ? Peut-on parlerd'une fin des campagnes agricoles en Europe ?Comment s'opère le passage à un espace rural nese confondant plus avec un espace agricole ?Pour y répondre, il faut s'interroger sur ce que sontles agriculteurs et sur ce qu'est le rural, tant dansles ex-pays de l'Est que dans les pays de la nou-velle Union. (Présentation éditeur).

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La renaissance rurale : sociologie des cam-pagnes du monde occidentalBernard KAYSER, Colin, 1989, 316 p.L’ouvrage propose une analyse sociologique duredéploiement que connaît aujourd’hui l’espacerural et montre notamment comment les politiquesd’aménagement et de développement le prennenten compte en y accordant des moyens non négli-geables.

« L’urbanisme touché par le développementdurable ? »Nicole MATHIEU, Natures Sciences Sociétés, 14,2006, p. 341-342.

« Pour une construction interdisciplinaire duconcept de milieu urbain durable » Nicole MATHIEU, Natures Sciences Sociétés, 14,2006, p. 376-382.

La fin des paysans ; changement et innova-tion dans les sociétés rurales françaisesHenri MENDRAS, Arles, Actes Sud, 1996, 437 p.(Réédition de l’ouvrage publié en 1967).Un ouvrage qui a suscité des polémiques lors desa parution : l’auteur constatait la disparition dumode de production paysan pour donner place àdes agriculteurs-producteurs obéissant aux règlesdu marché et de la technique. Le livre est devenuun classique.

Les nouvelles ruralités en France à l’horizon2030 Olivier MORA (dir), Ed. Quae, 2009, 112 p.En posant la question des « nouvelles ruralités »,cet ouvrage, comnadité par L’INRA, étudie lesdynamiques de tous ordres qui jouent sur les rap-ports entre villes et campagnes. Après un état deslieux des espaces ruraux et de leurs tendancesd'évolution, il propose quatre scénarios de deve-nirs possibles des ruralités à l'horizon 2030.

Ville et campagne à l'épreuve des modesd'habiter. Approche biographique deslogiques habitantes Annabelle MOREL-BROCHET, Doctorat de géogra-phie, Université Paris 1, 2006, 572 p.Cette étude, centrée sur l’habitant, analyse lessensibilités géographiques et la valeur des milieuxde vie urbains, périurbains et ruraux. À partir desoixante-neuf récits de lieux de vie, l’auteurexplore les composantes et les mécanismes de larelation habitante.

Disponible sur http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00264308/fr/

« L’accès des ménages aux services dansl’espace périurbain francilien »Benjamin MOTTE, Strates, 2008, 14, p. 149-164.Disponible sur : http://www.geographiedijon.fr/IMG/pdf/Motte-Baumvol_2008.pdf

« Géographie et durabilité : redéployerune expérience et mobiliser de nouveauxsavoir-faire »Marie-Claire ROBIC et Nicole MATHIEU, Le dévelop-pement durable, de l'utopie au concept : de nou-veaux chantiers pour la recherche, Elsevier, New-York,2001, p. 167-190.

Vieillir en pavillon : mobilités et immobilitésdes personnes âgées dans l‘espace périur-bainMartine ROUGE et Lionel BERGER (dir.), PUCA,2008, 195 p.À partir d’informations statistiques et d’entretiensavec des retraités habitant en logement individueldans des communes périurbaines d'Ile-de-France,de l'aire urbaine de Marseille et de l'aire urbainede Toulouse, cette étude propose une analyse dela mobilité ou de l'immobilité résidentielle de cesménages.

La ville mal-aimée. Représentations anti-urbaines et aménagement du territoire enSuisse : analyse, comparaisons, évolutionJoëlle SALOMON-CAVIN, Lausanne, Presses poly-techniques et universitaires romandes, 2005, 237 p.Cet ouvrage rassemble les résultats desrecherches doctorales réalisées par JoëlleSalomon-Cavin qui s’est intéressée aux origineshistoriques du sentiment anti-urbain en Suisseainsi qu’à son évolution. L’auteur a tenté d’appro-fondir les implications de ce sentiment sur l’amé-nagement du territoire. Cette hostilité envers lagrande ville exercerait selon elle une influence surl’orientation des politiques d’aménagement duterritoire.

Bibliographie (suite)

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21, rue Lesdiguières 38000 Grenoble - Tél. : 04 76 28 86 00 - Fax : 04 76 28 86 12 - Mél : [email protected] - www . aurg.org

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