Les divers portraits de l'intériorité. Représentation des passions et connaissance de soi

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LES DIVERS PORTRAITS DE L'INTÉRIORITÉ. REPRÉSENTATION DES PASSIONS ET CONNAISSANCE DE SOI Lucie Desjardins P.U.F. | Dix-septième siècle 2011/3 - n° 252 pages 441 à 454 ISSN 0012-4273 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2011-3-page-441.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Desjardins Lucie, « Les divers portraits de l'intériorité. Représentation des passions et connaissance de soi », Dix-septième siècle, 2011/3 n° 252, p. 441-454. DOI : 10.3917/dss.113.0441 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F.. © P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of Chicago - - 205.208.3.23 - 20/05/2014 14h55. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - University of Chicago - - 205.208.3.23 - 20/05/2014 14h55. © P.U.F.

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ISSN 0012-4273

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Desjardins Lucie, « Les divers portraits de l'intériorité. Représentation des passions et connaissance de soi »,

Dix-septième siècle, 2011/3 n° 252, p. 441-454. DOI : 10.3917/dss.113.0441

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XVIIe siècle, n° 252, 62e année, n° 3-2011

les divers portraits de l’intériorité . Représentation des passions et connaissance de soi

Où m’avez-vous pu voir ? Dans la Nouvelle-France ?Quinault, L’Amant indiscret ou le Maître étourdy, 1654 .

À l’hiver 1694, le comte de Frontenac conçoit le projet de faire jouer le Tartuffe de Molière au château Saint-louis, résidence officielle du gouverneur de la Nouvelle-France . Alors qu’à Versailles, la pièce avait été interdite après les premières représen-tations de 1664, à Québec, Mgr de Saint-Vallier s’oppose vigoureusement à ce projet avant même que la pièce ne soit montée, l’évêque allant même jusqu’à verser cent pistoles pour faire avorter l’entreprise1 .

Restée fameuse, cette anecdote que rappellent bon nombre d’histoires de la lit-térature québécoise montre bien que, depuis le canada, la littérature française du xviie siècle représente un objet d’étude jouissant d’un statut particulier, et volontiers ambigu, puisqu’elle est à la fois nôtre et étrangère : nôtre, car elle suppose un passé commun, mais aussi étrangère, dans la mesure où notre mémoire du Grand Siècle se partage entre deux continents en fonction d’un destin national profondément différent de celui de la France . c’est sans doute ce qui explique qu’une part importante de la recher-che s’est d’abord intéressée à l’expérience française en Amérique, que l’on songe aux travaux fondateurs de Réal Ouellet2, de Maurice lemire3 ou de Gilles Thérien4

1 . Sur cette question, on consultera Alfred Rambaud, « la vie orageuse et douloureuse de Mgr de Saint-Vallier, deuxième évêque de Québec (1653-1727) », Revue de l’Université Laval, vol . IX, 1954, p . 90-108 et « la querelle du Tartuffe à Paris et à Québec », Revue de l’Université Laval, vol . VIII, 1954, p . 421-434 .

2 . Voir, en particulier, « Œuvres de la Nouvelle-France à rééditer », Histoire littéraire du Québec, no 1, 1979 .

3 . Voir principalement Écrits de la Nouvelle-France, Québec, Nota Bene, 2000 .4 . Voir principalement « Des écrits de la Nouvelle-France à la littérature québécoise », La Licorne,

no 27, 1993, p . 23-46 .

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sur les écrits de la Nouvelle-France, jusqu’à ceux, plus récents, de Marie-christine Pioffet5 ou de catherine Ferland6 .

Mais si ces travaux procèdent d’un contexte où s’affirme souvent le souci de retracer, voire de constituer une histoire littéraire nationale dans laquelle la Nouvelle-France serait d’abord envisagée comme une origine, à quel rôle, à quelle place, les études sur le xviie siècle français peuvent-elles prétendre au Québec ? À vrai dire, de même que les travaux consacrés aux écrits de la Nouvelle-France se trouvèrent notamment favorisés par le mouvement général de redécouverte de la littérature viatique ; de même, au cours des dix ou vingt dernières années, la recherche en études françaises s’est-elle, en parallèle, beaucoup renouvelée en inscrivant ses objets et ses questions au cœur des préoccupations les plus actuelles qui animent la critique en France .

Dans le Québec moderne, l’histoire de cette aventure critique tient d’abord au rôle qu’ont joué Bernard Beugnot (Université de Montréal) et Françoise Siguret (Université de Montréal), lesquels ont tous deux grandement contribué à la forma-tion d’une nouvelle génération de chercheurs qui a complété ses études doctorales en France et qui, à partir de la seconde moitié des années 1990, a commencé à enseigner au Québec, au canada ou aux États-Unis . ces années seront aussi celles du développement des cotutelles et des différents accords de collaboration inter-nationale, avec la multiplication des ententes bilatérales franco-québécoises, des échanges crepuq (conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec), etc . ces collaborations et ces réseaux d’échanges se cristallisent en 1999, avec la naissance du cercle interuniversitaire de la République des lettres (cierl) qui réunit des littéraires, des historiens et des philosophes québécois et canadiens travaillant sur une période qui va de la Renaissance à la Révolution7 . ce regrou-pement a favorisé la création d’une importante collection rattachée aux Presses de l’Université laval (Québec), vouée à la publication d’études sur la littérature française d’Ancien Régime, et l’organisation de nombreux colloques s’intéressant tantôt aux discours sur la sympathie sous l’Ancien Régime8, tantôt aux rapports entre fictions et histoire9, tantôt à charles Sorel10 et, tout récemment, aux figures du

5 . Voir, entres autres, La Tentation de l’épopée dans les Relations des Jésuites, Québec, Septentrion, 1997, et, plus récemment, le no 90 de la revue Tangence . Nouvelle-France : fictions et rêves compensateurs (dir . Marie-christine Pioffet), 2009 .

6 . Voir Bacchus en Canada, Boissons, buveurs et ivresse en Nouvelle-France, Québec, Septentrion, 2010 .

7 . Voir www .cierl .ulaval .ca8 . colloque « les discours de la sympathie », Québec, 6 au 9 octobre 1999 . Voir Thierry Belleguic,

Sabrina Vervacke, Éric Van der Schueren (dir .), Les Discours de la sympathie. Enquête sur une notion de l’âge classique à la modernité, Québec, Presses de l’Université laval, coll . « les collections de la République des lettres », 2007 .

9 . colloque « les songes de clio », Québec, 3-6 octobre 2001 . Voir Thierry Belleguic, Sabrina Vervacke, Éric Van der Schueren (dir .), Les Songes de Clio. Fiction et histoire sous l’Ancien Régime, Québec, Presses de l’Université laval, coll . « les collections de la République des lettres », 2006 .

10 . colloque « charles Sorel dans tous ses états », Québec, 26-28 septembre 2002 . Voir emmanuel Bury et Éric Van der Schueren (dir .), Charles Sorel polygraphe, Québec, Presses de l’Univer-sité laval, coll . « les collections de la République des lettres », 2006 .

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monde renversé11, etc . ces colloques et ces publications témoignent de l’intensité et de la diversité de la recherche sur le xviie siècle français au Québec, mais aussi de l’intensité des relations franco-québécoises .

Or si, comme le soulignait récemment Hélène Merlin-Kajman à propos des rapports entre critique française et critique américaine, les principales différences d’historicisation de la littérature du xviie siècle tiennent surtout à « une diffé-rence de position critique, qui renverrait à une différence, elle-même histori-que, d’historicisation de soi, de part et d’autre de l’Atlantique12 », qu’en est-il de cette nouvelle génération de chercheurs québécois et canadiens ? De quelle façon, la recherche québécoise parvient-elle à proposer un point de vue singulier tout en s’inscrivant au cœur même des tendances actuelles de la recherche dix- septiémiste ? ce sont ces questions que nous souhaitons examiner à partir de quel-ques travaux récents liés à l’histoire du corps et de ses représentations qui, comme on le sait, constituent, depuis déjà quelques années, un champ de recherche particulièrement fécond de part et d’autre de l’Atlantique, comme en témoi-gnent, entre autres, les actes du colloque intitulé Le Corps au xvii e siècle, organisé par la North American Society for Seventeenth-century French literature et le centre international de rencontres sur le xviie siècle en 199413 ou encore, plus récemment, la grande histoire du corps d’Alain corbin, Jean-Jacques courtine et Georges Vigarello14 . ces contributions s’attachent à mettre au jour toute la complexité que cet objet offre à la critique, en mettant l’accent sur la question des normes et des règles régissant les usages du corps et ses représentations au sein de diverses pratiques et régime de discours, en abordant des questions aussi diverses que celles de la médecine (maladies, dissection et anatomie), la sexualité (obscénité, sodomie, onanisme), le sacré (macérations, mortifications, exaltation du martyre) ou encore la vie en société (raideurs vestimentaires, élaboration des étiquettes, des politesses, contrôle des bienséances et des expressions) . c’est, du reste, cette même préoccupation pour le corps qui a favorisé la tenue à Montréal du XXe colloque de la sator (Société d’analyse de la topique romanesque) en

11 . colloque « les figures du monde renversé de la Renaissance aux lumières . Hommage à louis Van Delft », Québec, 11-13 novembre 2010 . Placée sous le parrainage du cierl, du cellf 17-18, de la Société d’étude du xviie siècle et de la Société royale du canada, ce colloque a été l’occasion de rendre hommage à louis Van Delft, qui fut d’abord professeur à l’Université McGill de 1968 à 1981 et qui a toujours maintenu des relations privilégiées avec le Québec et le canada . en témoignent, par exemple, non seulement les nombreuses conférences données au Québec et au canada au cours des dernières années, mais aussi un manuscrit confié aux toutes jeunes collec-tions de la République des lettres . Voir louis Van Delft, Les Spectateurs de la vie. Généalogie d’un regard moraliste, Québec, Presses de l’Université laval, coll . « les collections de la République des lettres », 2005 .

12 . Hélène Merlin-Kajman (dir .), La Littérature, le xvii e siècle et nous : dialogue transatlantique, Paris, Presses de la Sorbonne-Nouvelle, 2008, p . 26 .

13 . Ronald W . Tobin (dir .), Le Corps au xvii e siècle. Actes du premier colloque conjointement orga-nisé par la North American Society for Seventeenth-Century French Literature et le Centre international de rencontres sur le xvii e siècle, Paris/Seattle/Tübingen, Papers on French Seventeenth-century literature, 1995 .

14 . Alain corbin, Jean-Jacques courtine et Georges Vigarello (dir .), Histoire du corps, Paris, Éditions du Seuil, 2005, 3 vol .

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juin 2006 sur le thème du corps romanesque15 . Il ne s’agira donc pas tant de proposer un bilan, car le champ est vaste et les publications trop nombreuses, on le voit, mais de privilégier quelques textes qui, d’une manière ou d’une autre, montrent que l’étude du corps au xviie siècle engage une réflexion sur l’inté-riorité et, par-delà, sur la généalogie de la conception moderne du sujet . Pareil tableau devrait permettre de comprendre de quelle façon la question du corps concerne aussi bien l’histoire des idées et des pratiques de sociabilité, la littéra-ture et l’anthropologie, que l’histoire des théories et des pratiques artistiques .

la conquête du corps

Dans un article paru en 1995, Bernard Beugnot a montré combien le corps, qui avait semblé jusqu’alors un « parent pauvre » des études dix-septiémistes, n’est pour-tant pas « absent des discours ; caché peut-être, masqué parfois, il fait entendre de toutes parts sa voix silencieuse »16 . Parce qu’il relève d’un art paradoxal qui vise à en parfaire les usages à l’intérieur d’un jeu social, le corps parle par le sourire, le regard, les vêtements, le maintien et les objets par lesquels le Moi choisit de se mettre en scène . Mais que l’on croie à la plus parfaite transparence du corps ou encore à son opacité, il n’en demeure pas moins que sa représentation inquiète et dérange, dans la mesure où celle-ci se déploie en un concert de signes livrés à la pluralité indécise des interprétations . en effet, si les signes émis par le corps fondent un lexique de la reconnaissance et constituent les éléments essentiels d’une caractérisation psycho-logique, leur ambivalence fait craindre, en même temps, leur indétermination . cet article de Bernard Beugnot allait exercer une influence considérable sur les travaux ultérieurs . c’est ainsi qu’en 1998 se tenait, à Québec, un premier colloque consacré à l’éloquence du corps sous l’Ancien Régime, organisé par Monique Moser-Verrey et Éric Van der Schueren (Université laval) . cette rencontre réunissait plusieurs jeunes chercheurs de l’époque qui cherchaient à mettre en lumière les façons d’explorer le corps et ses langages17, l’ensemble des communications et des articles qui en ont été tirés montrant à quel point le corps n’est pas le tout de l’être physique, mais qu’il est passé au « crible des conventions »18 .

Sur cette base, l’une des voies de la réflexion théorique sur le langage du corps au xviie siècle est passée par un approfondissement de la question des « passions de l’âme » . Si les passions sont insaisissables et immatérielles, les marques et les emprein-tes visibles qu’elles laissent à la surface du corps seront livrées à un regard savant qui va chercher à assigner un sens à la rougeur ou à la pâleur du visage, au mouvement

15 . colloque « le corps romanesque », Montréal, 1er-4 juin 2006 ; voir Monique Moser-Verrey, lucie Desjardins et chantal Turbide (dir .), Le Corps romanesque. Images et usages topiques du corps sous l’Ancien Régime, Québec, Presses de l’Université laval, coll . « les collections de la République des lettres », 2009 .

16 . Bernard Beugnot, « le corps éloquent », Le Corps au xvii e siècle, op. cit., p . 18 .17 . Voir Monique Moser-Verrey et Éric Van der Schueren (dir .), L’Éloquence du corps sous l’Ancien

Régime, Tangence, Rimouski, no 60, mai 1999 .18 . Éric Van der Schueren, « Dans les yeux d’un duc et pair . De l’autoportrait mélancolique à la

genèse des Maximes », dans Ibid ., p . 42 .

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des yeux ou à celui des sourcils, à la plus ou moins grande ouverture de la bouche, au geste ou à l’intonation de la voix si bien que, pour reprendre le mot célèbre de Marin cureau de la chambre, les passions se doivent « mieux connoistre dans les yeux que dans l’ame mesme »19 . De ce point de vue, chaque mouvement du corps devient signe d’une passion particulière et, de ce fait, objet d’un savoir que l’on cher-che à codifier . Mais qu’elles soient naturelles ou mises en scène à la faveur d’un artifice oratoire, ces marques corporelles peuvent, chaque fois, être dénombrées et classées en des listes impressionnantes de manière à former une sorte d’aide-mémoire portatif de la passion, facilement manipulable et à même de concourir à la connaissance de l’autre, voire à sa maîtrise . Définitions, types, classes, listes de signes, tableaux et illustrations deviennent les agents et les instruments d’un regard sur le corps qui permet de lire l’âme . c’est donc dans ce contexte que l’enveloppe extérieure du corps humain est désormais considérée comme un miroir dans lequel l’être intérieur, l’être intime, loin de se voiler, se livre au regard .

Si ce savoir se déploie dans les ouvrages de médecine et dans les traités des pas-sions, il investit également de nombreux textes dont le principal objet est autre, qu’il s’agisse de la peinture, du théâtre ou du roman, de l’éloquence, de la musique ou du chant, de la danse ou encore de la vie de cour . ce sont ces différentes formes de dis-cours que j’ai moi-même cherché à mettre en évidence dans Le Corps parlant. Savoirs et représentation des passions au xvii e siècle20 . l’ouvrage s’intéresse particulièrement aux règles qu’implique le projet d’une représentation des passions et, notamment, lorsqu’une aspiration à l’éloquence s’appuie sur une technique rhétorique soucieuse de reproduire et de montrer les signes des passions . l’enquête se voulait anthropo-logique, de manière à montrer que les passions s’inscrivent dans une méditation sur l’art de faire parler le corps et, plus encore, de lui apprendre à se taire . certes, les pas-sions sont de l’ordre de la nature – elles s’impriment, dit-on, de « façon naturelle sur le corps » –, mais leur étude permet de les mettre au service d’une ambition oratoire dominée par l’idée de persuader à la faveur d’une représentation .

Toutefois, la rhétorique dont il est ici question participe d’un art de vivre en société et, dans ce contexte, la connaissance du langage corporel des passions peut être mise au service d’un idéal et d’un art mondains réglés sur les principes d’une actio où le corps, devenu éloquent, permet à la fois de retracer une vérité qui se dissimule chez autrui et, paradoxalement, de lui mentir sur la nature de ses propres passions . c’est qu’afin de plaire, il faut respecter certaines bienséances, réprimer l’expression de certaines passions ou, au contraire, rechercher celles qui sont bien vues . À cet égard, si l’on suit le chevalier de Méré,

la joye honneste et spirituelle se fait aimer ; et l’humeur aspre et grondeuse est en aversion . la colère ne sied pas mal lorsqu’elle est raisonnable et proportionnée au sujet qu’on a de s’emporter . la tristesse aussi, pourveu qu’elle soit douce, et que le merite l’accompagne, peut faire de bons effets . elle inspire la tendresse, et quelquefois on est

19 . Marin cureau de la chambre, Les Characteres des passions, Paris, Jacques D’Allin, 1642, vol . I, p . 2 .20 . Voir lucie Desjardins, Le Corps parlant. Savoirs et représentation des passions au xvii e siècle,

Québec/Paris, Presses de l’Université laval/l’Harmattan, coll . « les collections de la République des lettres », 2001 .

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plus aise de voir les personnes les plus melancholiques que les plus enjoüées . Mais le chagrin, c’est-à-dire la tristesse et la colere quand elles sont ensemble ne produisent rien d’agreable . c’est qu’elles s’ostent reciproquement l’une à l’autre ce qu’on leur trouve de bon, lorsqu’on les voit séparées . car la colere empesche d’avoir pitié de la tristesse, à cause qu’elle donne à penser que la tristesse veut nuire, et la tristesse aussi témoigne que la colere est timide, et qu’elle desespere de se pouvoir venger . l’avarice rend méprisable tout ce qu’on a de meilleur ; et l’envie est une marque d’un méchant cœur, et d’un esprit de peu d’étenduë21 .

Difficile, sans doute, de s’y retrouver dans ce tableau où se donne à lire une véri-table combinatoire des passions, certaines devant être évitées si elles s’allient à une autre ou si elles n’ont pas un juste motif – mais on s’aperçoit également que le souci d’expressivité, de l’apparence et de l’éloquence y détermine la règle de civilité . De manière générale, on se fait aimer en évitant de montrer de la colère, de la tristesse, du chagrin, de l’avarice et de l’envie . la colère, par exemple, témoigne toujours d’un excès et même Marin cureau de la chambre souligne que la « modération de la colère est plus importante à la vie civile que toutes les autres passions »22 .

la physionomie rejoint alors la civilité ainsi que l’a souligné Roxanne Roy (Université du Québec à Rimouski) dans un ouvrage consacré aux représentations de la colère et de la vengeance dans les nouvelles historiques et galantes du xviie siècle23 . Solidaires de la réflexion théorique sur les passions, les nouvelles deviennent de véri-tables « laboratoires mondains » où l’on dissèque le cœur humain et où l’on exa-mine les mouvements des passions, comme le donne à lire cette observation tirée du Mercure galant :

ce qui m’a le plus satisfait dans votre Ouvrage, c’est que je l’ai trouvé fort profond dans une sorte de science qui m’est assez inconnue, je veux dire la science du cœur24 .

les nouvelles, comme le souligne Roxanne Roy, passent en revue tous les traits caractéristiques de la colère (yeux étincelants, rougeur ou pâleur du visage, voix aiguë, véhémente et précipitée, emportement du corps, démarche rapide et gestes brusques), comme l’attestent les nombreux exemples que fournit l’ouvrage . c’est ainsi que l’auteur de Tachmas, prince de Perse, décrit la colère de Soliman selon le code et les règles en usage :

Il ne poussa point alors les choses plus loin ; mais il fit assez connoistre par un front sévère, par des yeux tous pleins de fureur & par plusieurs branlements de tête, que la peine qu’il vouloit faire souffrir à ces Amans n’estoit que différée25 .

21 . chevalier de Méré, « Des agrémens », Œuvres complètes du chevalier de Méré, Paris, Éditions Fernand Roches, 1930, t . II, p . 49-50 .

22 . Marin cureau de la chambre, Les Characteres des passions, op. cit., vol . II, p . 310 .23 . Roxanne Roy, L’Art de s’emporter. Colère et vengeance dans les nouvelles françaises (1661-1690),

Tübingen, Gunter Narr Verlag, coll . « Biblio 17 », vol . clXIX, 2007 .24 . Étienne Pavillon, « À la spirituelle inconnue qui nous a donné la duchesse d’estramène »,

Mercure galant, mai 1682, p . 212-213 .25 . Anonyme, Tachmas, prince de Perse. Nouvelle historique, arrivée sous le Sophy Séliman, aujourd’huy

regnant, Paris, e . loyson, 1676, p . 91-92 .

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Mais les nouvelles ne font pas que dresser une liste de cas de figure, elles prolon-gent encore l’enseignement des traités de civilité à partir d’exemples posés comme des modèles à suivre . De ce point de vue, elles illustrent peut-être, mieux que tout autre texte, l’alliance entre représentation savante de la physiologie des passions et représentation sociale, devenant même « le nouveau bréviaire des mondains » et un complément indispensable aux traités de civilité . À cette réflexion qui lie le genre même de la nouvelle à la représentation de l’intériorité, sans doute convient-il d’ajou-ter que le roman s’offre aussi comme un laboratoire d’exploration des passions, ainsi que le souligne, par exemple, un Morvan de Bellegarde :

Pour moi, je suis persuadé que la lecture des Romans peut être d’un grand secours pour se façonner à l’Éloquence & pour apprendre à parler poliment, agréablement & avec art sur toutes sortes de matiéres . On y retrouve de belles descriptions […] on y peint le cœur & on développe tous les replis, on y décrit les humeurs & les inclina-tions des hommes26 .

On le voit, et c’est là un autre lieu commun des manuels de civilité, l’apparence devient une dimension essentielle du rapport à autrui, un corps qui, au surplus, trahit les passions de l’âme compromettant le secret et menaçant la discrétion si nécessaires au courtisan sans cesse exposé aux intrigues . Aussi tout le savoir sur l’expression des passions, l’art de les feindre ou de les dissimuler, ne repose-t-il pas que sur la seule observation des préceptes, mais encore, voire surtout, sur l’aptum, compris comme un ensemble de règles et d’habitudes en regard desquelles le corps doit s’exercer à un art de s’adapter afin de plaire .

en ce sens, la représentation éloquente des passions tient peut-être à la capacité de dépassement, voire d’effacement des règles au nom d’un naturel étudié . Pareil effacement ne peut toutefois s’opérer que dans la mesure où l’on maîtrise parfaite-ment ces règles : saisir et reconnaître la part indéterminée et irreprésentable de la passion sera, paradoxalement, une opération indissociable du code qui cherche à fixer le protocole de sa représentation et de sa lecture tout en incitant constamment au dépassement de ce protocole . cette double postulation sert à représenter les mouvements singuliers de la passion, mais aussi à en déjouer la lecture, voire même à annuler toute interprétation possible . De ce point de vue, s’il y a un savoir théori-que sur les passions, ce savoir doit se doubler d’un savoir mondain ou, pour mieux dire, d’un esprit de finesse, qui suppose, outre un savoir-faire, une pratique sociale des signes de la passion . en effet, la réflexion sur l’apparence et, notamment, sur l’apparence physique devient l’un des foyers de l’expérience morale et engage, à ce titre, de nombreuses questions sur ce qui est permis et autorisé, légitime, prescrit ou valorisé, et sur ce qui apparaît, au contraire, comme discutable, suspect ou condamnable, voire défendu et condamné . cette question me semble constitutive de la dynamique dans laquelle s’inscrit un art de la mise en scène de soi où se négo-cie sans cesse le rapport de la règle à sa transgression . Or, c’est précisément parce qu’il existe une telle volonté de codification des mouvements intérieurs que révèle

26 . Jean-Baptiste Morvan de Bellegarde, Modèles de conversations pour les personnes polies, Paris, Jean Guignard, 1697, p . 267-268 .

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un véritable travail de « spéléologie des passions »27, qu’il y a, paradoxalement, un constant défi lancé à cette représentation et que la passion se trouve traversée par la question d’un Moi irreprésentable ou, du moins, caché .

la conquête du Moi

ces travaux montrent à quel point le corps devient un lieu où s’incarnent à la fois les plus vives espérances sur les possibles d’une représentation susceptible de livrer l’inté-riorité dans la plus parfaite transparence et les plus grandes inquiétudes théoriques sur un monde dominé par les apparences . c’est, du reste, ce que montrent d’autres études qui entendent retracer les pratiques, les idées et les conduites par lesquelles le sujet moderne cherche à se connaître et à se définir, qu’il s’agisse de la recherche de lieux retranchés, d’espaces séparés et de déserts où trouver la solitude, l’intimité, le secret, le silence, comme l’ont montré Bernard Beugnot28 et Éric Van der Schueren29, ou encore de l’invention de formes nouvelles où ce sujet s’écrit et s’invente, étudiées par Nathalie Freidel (Université Wilfrid laurier)30 ou par constance cartmill (Université du Manitoba)31 . Mais cette réflexion sur le sujet moderne se développe également dans la pratique du portrait, dont le succès croissant au xviie siècle est intimement lié à une « accentuation des sensibilités individuelles32 » où la mise en scène de soi devient de plus en plus légitime, sinon valorisée .

Un bon portrait ne saurait se réduire à la simple reproduction ou imitation des traits du corps : il doit également décrire et faire connaître les mouvements les plus intimes dans le rendu même de l’apparence . c’est, du moins, ce que disent et répè-tent les textes qui s’intéressent à cette question et qui font l’objet d’une littérature abondante depuis le xvie siècle33 . Au surplus, nombreux sont les romans et les pièces de théâtre qui en reprennent les principaux motifs, au point de constituer une véri-table topique qui repose sur les principaux lieux communs du portrait peint, qu’il s’agisse du portrait comme substitut de la présence de l’autre, du problème de la

27 . l’expression est de Patrick Dandrey, « Molière et Racine . Un théâtre d’anatomie ? », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, 2003, no 55, p . 350 .

28 . Bernard Beugnot, Le Discours de la retraite au xvii e siècle, Paris, Presses universitaires de France, 1996 .

29 . Éric Van der Schueren, Les Sociétés et les déserts de l’âme : approche sociologique de la retraite reli-gieuse en France au xvii e siècle, Bruxelles, Académie royale de langue et de littérature françaises, 2001 .

30 . Nathalie Freidel, La Conquête de l’intime. Public et privé dans la correspondance de Madame de Sévigné, Paris, Honoré champion, 2009 .

31 . Voir, entre autres, « les déguisements du moi dans la correspondance de Madame de Sévigné ou la naissance de l’autobiographie », La Spiritualité/l’épistolaire/le merveilleux au Grand Siècle. Actes du 33 e Congrès de la North American Society for Seventeenth-Century French Literature, 2003, p . 139-146 et « Inventions du moi à l’âge classique : Sévigné et Bussy-Rabutin », dans Jean-Philippe Beaulieu et Diane Desrosiers-Bonin (dir .), Dans les miroirs de l’écriture. La réflexivité chez les femmes écrivains d’Ancien Régime, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll . « Paragraphes », 1998, p . 117-123 .

32 . Pierre Goubert et Daniel Roche, Les Français et l’Ancien Régime, Paris, Armand colin, 2000, p . 275 .

33 . Sur cette question, on consultera l’ouvrage d’Édouard Pommier, Théories du portrait de la Renaissance aux Lumières, Paris, Gallimard, 1998 .

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comparaison entre le modèle et l’image peinte, entre l’original et la copie, mais aussi celui de la mise en scène de soi, de la vanité ou encore de l’illusion créée par l’image du corps . On pourrait multiplier les exemples de ces scènes où la contemplation d’un portrait suscite l’amour pour un ou une inconnue ; on rappellera notamment Francion, qui s’éprend d’un tableau où il « voit la beauté la plus parfaicte et la plus charmante du monde »34, tableau qui l’engage non seulement à rechercher le modèle de ce visage parfait, mais aussi à ne plus quitter le portrait . Alors que pour certains personnages, la confrontation entre le modèle et la toile est heureuse35, puisque les véritables traits du modèle surpassent ceux qu’avait tracés le peintre, pour d’autres, il en résulte une déception . c’est le cas, par exemple, du personnage d’Osman de la tragédie de Tristan l’Hermite, qui est déçu par ce qu’il découvre : « en ce pinceau trompeur, j’eus trop de confiance », dit-il, pour ajouter quelques vers plus loin, que

le portrait qu’on en fist est un portrait flaté/ce ne sont pas ses yeux, ce n’est pas son visage /et cette gorge peinte éclate davantage36

Derrière l’anecdote, il y a l’idée selon laquelle la représentation du corps n’est qu’un leurre qui s’éloignerait de ce que serait le Moi véritable . « Ils vouloient tous que leur portrait fust fait sur ce qu’ils paroissoient estre, non pas sur ce qu’ils estoient effectivement »37, comme le souligne Sorel dans La Description de l’île de portraiture et de la ville des portraits . la représentation du corps fait alors écho au thème, cher à l’âge classique, du theatrum mundi où chacun se compose un air et une figure à partir de la projection imaginaire de modèles social et esthétique participant l’un et l’autre de la production des apparences, comme j’ai tenté de le montrer dans un article consacré à la représentation du visage au xviie siècle38 .

en outre, la vogue extraordinaire du portrait littéraire en France allait contribuer à diffuser une pratique de la représentation de soi dans le discours qui tisse des liens avec l’art pictural auquel elle emprunte ses termes : portraire, dessiner, peindre39 .

34 . charles Sorel, Histoire comique de Francion, Paris, Flammarion, coll . « G-F », 1979 [1623], p . 180 .

35 . les exemples sont nombreux, mais on peut ici songer au Polexandre de Marin le Roy de Gomberville (1619-1637) ou encore au personnage d’Agésilan dans le Agésilan de Colchos (1635) de Jean de Rotrou .

36 . Tristan l’Hermite, Osman . Le théâtre complet de Tristan L’Hermite, Alabama, The University of Alabama Press, 1975, acte II, sc . 3, v . 430, 436-438 . On soulignera, par ailleurs, que l’une des anecdotes que l’on retrouve le plus fréquemment dans la comédie, par exemple, est celle du valet qui préfère se faire représenter sous les traits de son maître pour faire parvenir un portrait plus avantageux de lui-même à sa bien aimée . Derrière le quiproquo qu’engendre la situation dramatique, il y a, en arrière-plan, l’idée selon laquelle la condition sociale se lit sur le visage . Du reste, la plupart du temps, l’amoureuse préfère les véritables traits du valet à ceux qu’il a choisi d’emprunter .

37 . charles Sorel, La Description de l’isle de portraiture et de la ville des portraits, Paris, charles de Sercy, 1659, p . 23 .

38 . lucie Desjardins, « De la “surface trompeuse” à “l’agréable imposture” . le visage au xviie siècle », Intermédialités, Envisager, no 8, automne 2006, p . 53-66 .

39 . Voir Jacqueline Plantié, La Mode du portrait littéraire en France 1641-1681, Paris, H . champion, 1994 .

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Dans une thèse soutenue en 2008 à l’Université laval, Sara Harvey40 a proposé la première édition critique intégrale des Divers portraits en mettant en évidence ce qu’elle appelle « l’ambiguïté fondatrice » de ce recueil, qui est ici abordé à la fois en tant que pratique attestée d’une mode dominée par l’invention et le plaisir, et comme un ouvrage d’histoire à vocation mémorielle . la thèse propose donc une étude appro-fondie de ce texte, selon ce double statut de « production galante » et d’« archive aris-tocratique », depuis sa genèse jusqu’à l’histoire de sa réception . l’enquête, qui s’inscrit au cœur même de la recherche actuelle sur la galanterie, montre que ce modèle est déterminant dans l’histoire des représentations sociales au xviie siècle41 et, par-delà, de la culture de la modernité . Aussi importe-t-il, comme le souligne Sara Harvey, de « faire le point sur l’imaginaire galant des portraitistes en répertoriant à chaque étape de l’enquête la place accordée « de fait » ou refusée « de droit » à la galanterie en tant que catégorie sociale et littéraire42 .

Dans cet univers mondain, le portrait est en effet plus qu’un simple divertisse-ment : il est à la fois un rapport privilégié à soi-même et une opération sociale de distinction . caractère et tempérament, vices et vertus, désirs les plus secrets devront en effet être révélés par le portrait qui cherche à atteindre l’invisible par le visible . la préface du Recueil des portraits et éloges paru en 1659 s’attache à définir un genre en le comparant aux œuvres des peintres qui

[…] ne s’arestent pas seulement a l’exterieur, & à tout ce qui paroist à nos yeux, ils font bien plus, & leur plume a beaucoup d’avantage sur le Pinceau . Ils decouvrent l’interieur, & s’attachent à l’Ame . Ils declarent si nous avons de l’esprit, du jugement, & de la memoire . Ils ne deguisent point nostre temperament, nos mœurs, nos simpa-ties, & nos antipathies, nostre fort, & nostre faible43 .

en prolongeant le regard des anatomistes et en livrant des images du sujet inac-cessibles directement, le portrait questionne le visible, l’apparence, le réel et fait appel à l’esprit critique . le sentiment même de soi passe par le regard clairvoyant qu’aiguise le portrait et par l’exercice de la pensée réflexive . en invitant à penser ensemble jeu des séductions trompeuses, difficulté de l’exercice réflexif et aspiration

40 . Sara Harvey, Divers portraits. Étude et édition critiques, thèse de doctorat, Québec, Université laval, 2008, vi-649 p . On se réjouit de la parution prochaine de cette thèse ; Histoire d’un livre princier : les Divers portraits de Mademoiselle de Montpensier. Étude et édition critique, Québec, Presses de l’Uni-versité laval, « les collections de la République des lettres » (à paraître) .

41 . Voir les textes de Delphine Denis sur la galanterie littéraire : « Réflexions sur le “style galant” : une théorisation floue », Littératures classiques. Le style au xvii e siècle, no 28, automne 1996, p . 147-158 ; La Muse galante. Poétique de la conversation dans l’œuvre de Madeleine de Scudéry, Paris, Honoré champion, 1997 ; De l’air galant et autres conversations (1653-1684) . Pour une étude de l’archive galante, Paris, Honoré champion, 1998 ; Le Parnasse galant. Institution d’une catégorie littéraire au xvii e siècle, Paris, Honoré champion, 2001 ; et ceux d’Alain Viala sur les dimensions sociologiques de la galanterie : L’Esthétique galante : discours sur les œuvres de Monsieur Sarasin et autres textes, Toulouse, Société des littératures classiques, 1990 ; La France galante, Paris, Presses universitaires de France, 2008 .

42 . Sara Harvey, Divers portraits, op. cit, p . 6 .43 . Recueil des portraits et éloges en vers et en prose : dédié à Son Altesse Royalle Mademoiselle, Paris,

c . de Sercy et c . Barbin, 1659, préface .

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à rendre un sujet dans sa vérité, le portrait questionne de manière exemplaire la légitimité des apparences . c’est du moins ce que donnent à lire de nombreux exemples, dont l’un des plus éloquents est sans doute cet extrait tiré de la Clélie de Madeleine de Scudéry :

[…] en peu de jours tous les hommes de la cour devinrent Peintres, & toutes les femmes firent leur portrait, sans considerer qu’il est tres difficile de parler bien à propos de soy-me [sic], car si on se louë, on se rend insupportable, si l’on se blasme equitable-ment, on feroit mieux de corriger ses deffauts que de les publier ; & si l’on n’en dit ni bien ni mal, on est assez ennuyeux . Mais enfin une constellation plus forte que la raison fist que tout le monde se peignit44 .

À ce titre, le portrait est susceptible d’engendrer toute une série de condamna-tions morales qui témoignent d’une profonde inquiétude sur la possibilité même d’une représentation du Moi ou, pour mieux dire, d’un désespoir à l’égard de toute authenticité . Du reste, comme l’a déjà montré Éric Van der Schueren45 dans son analyse de La Princesse de Clèves, les portraits manifestent les plus grandes inquié-tudes au sujet d’un Moi qui est « moins haïssable qu’irreprésentable parce qu’il ne se (re)connaît pas, ondoyant et troublé, toujours soumis aux événements qui le décomposent et au temps qui ne peut qu’en faire un cénotaphe de vanité » . De ce point de vue, le portrait n’est plus qu’une simple « esquisse, traits estompés, […] parce fixation immuable de la représentation de soi, il fait obstacle à l’enjeu du roman, la connaissance de soi » .

De la même façon, charles Sorel souligne à quel point, le voyage sur l’île de por-traiture a souvent pour principe l’aveuglement que causent la vanité et l’ambition . Sur la rue des peintres héroïques, on exploite en effet l’amour-propre de ces modèles rem-plis de « […] la croyance qu’ils avoient de meriter que leur Memoire fust conservée eternellement aussi bien que celle des plus grands Héros de l’Antiquité »46 . Dès lors, le portrait ne donne pas seulement à voir une personne, mais aussi les aspirations qui l’animent, voire les rêves et les prétentions d’une existence sollicitant l’approbation des regards qui la scrutent et désireuse de s’offrir à eux en modèle digne d’être imité . Si le modèle ne parvient pas à se connaître, comment le peintre pourrait-il prétendre à cette connaissance et le représenter fidèlement ? le portrait devient alors le lieu d’ancrage d’une poétique singulière dont le fondement réside moins dans une repro-duction mimétique des traits du corps que dans le rendu de cette instance fluctuante que constitue le sujet . en effet, les différents portraits de l’île de portraiture supposent d’abord une multiplicité de points de vue portés sur un même modèle . Aussi le texte de Sorel se fait-il l’écho des condamnations morales qui témoignent d’une profonde inquiétude sur la possibilité même d’une représentation du Moi, condamnations qui recourent généralement à des références dont les plus récurrentes restent la leçon de

44 . Madeleine de Scudéry, Clélie. Histoire romaine, cinquième partie, Paris, Augustin courbé, 1661 ; Genève, Slatkine Reprints, 1973, t . IX, p . 284-285 .

45 . Éric Van der Schueren, « le portrait dans La Princesse de Clèves . lectures pascaliennes », Littérature, no 40, 1999, p . 95-133 .

46 . charles Sorel, La Description de l’isle de portraiture, op. cit., Paris, c . de Sercy, 1659, p . 14 .

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Narcisse contemplant son image47 ou l’exemple de saint Paulin refusant d’envoyer à autrui sa « misérable image terrestre » : « Je rougis, écrit ce dernier, de me peindre tel que je suis, et je n’ose pas me peindre tel que je ne suis pas . Je hais ce que je suis et je ne suis pas ce que j’aime . »48 en mettant en scène la critique moraliste qui conçoit l’apparence comme un fantôme de l’amour-propre, Sorel fait du peintre une figure qui ressemble à celle du courtisan dont le travail s’ouvre sur une recherche de la vérité qui, elle-même, doit être inscrite dans une esthétique de la sensibilité .

De ce point de vue, et parce qu’il est le lieu privilégié de l’expression de soi, le portrait est susceptible de devenir une « surface trompeuse »49, comme l’affirme Pierre Nicole, ou encore une « agréable imposture »50, selon le mot de Sorel . le portrait soutient ainsi l’effort d’introspection commandé par la morale et renforce la conscience de soi . c’est aussi la leçon des manuels de civilité, qui prônent une véritable politique du visage où les règles qui président à la mise en scène du corps ne sauraient se réduire à de simples prescriptions ; elles supposent aussi une dyna-mique où se négocient des distances et où s’affirment des stratégies . l’essentiel de cette mise en scène tient donc à la tension, où il s’agit de souligner certains traits et d’en atténuer d’autres, mais toujours avec prudence, cette attitude supposant sans cesse de négocier un accommodement dans le rapport qu’entretient le sujet moderne à la norme . cet accommodement n’est ni application mécanique d’une règle ni transgression, mais suppose plutôt un art de paraître et de plaire . Aussi la mise en scène du corps ne saurait-elle se comprendre uniquement comme une rationalisation des comportements, car elle est aussi un « point frontière »51 entre un assujettissement aux impositions collectives et la valorisation de l’individu qui, pour exister, a besoin d’être doublé d’échos . en effet, si le Moi est un espace qu’il importe de cartographier et de découvrir, celui-ci ne saurait être soumis aux mêmes impératifs que l’espace physique, si bien que l’on assiste à l’élaboration inquiète d’une morale où l’image de soi est soumise à un étrange paradoxe : elle ne peut être celle dont les hommes changent si souvent pour plaire, ni être non plus ce hiéroglyphe illisible de l’intériorité . De ce point de vue, ce savoir sur les pouvoirs

47 . Ovide, Métamorphoses, l . III, v . 416 et suiv .48 . Saint Paulin de Nole, Sancti pontii meropii paulini nolani epistolae, Éd . de Guillaume de Hartel,

dans Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum, Prague-Vienne-leipzig, 1893, vol . XVIII . On notera, du reste, que ce thème comporte de multiples variations pendant tout le xviie siècle et se retrouvera, entre autres, dans le Dictionnaire chrétien, où sur différents tableaux de la Nature l’on apprend par l’Écri-ture et les Saints Pères à voir Dieu peint dans ses ouvrages et à passer des choses visibles aux choses invisibles du janséniste Nicolas Fontaine, Paris, 1691, p . 511 . Sur cette question, voir lucie Desjardins, « le vain fantôme de soi-même ou le portrait à l’épreuve de la morale », Les Écritures de la morale, 2001, Tangence, no 66, p . 84-100 .

49 . Pierre Nicole, Essais de morale, Paris, Guillaume Desprez, 1701 [1675], vol . III, p . 20 : « Il est vrai qu’il leur seroit aisé de s’empêcher d’y être trompés, & de se convaincre eux-mêmes, qu’il n’y a rien de si faux & de si vain que tous ces témoignages d’estime, d’affection, & d’attachement qu’on leur rend . Ils savent ce qu’ils pensent souvent eux-mêmes de ceux à qui ils en rendent de semblables, & ils n’ont pas sujet de juger les autres plus sinceres qu’eux . Mais ils sont bien-aises de n’approfondir pas les choses si avant . Ils se contentent donc de cette surface trompeuse . »

50 . charles Sorel, La Description de l’isle de portraiture, op. cit., p . 27 .51 . Alain corbin, Jean-Jacques courtine et Georges Vigarello (dir .), Histoire du corps, op. cit.,

vol . I, p . 12 .

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du corps expressif devient le lieu d’une profonde inquiétude épistémologique où se forge peu à peu une conscience neuve du Moi .

Au terme de ce parcours qui visait à donner un aperçu des recherches menées ces dernières années au Québec et au canada sur les rapports entre représentation des passions et connaissance de soi, quelques dernières remarques s’imposent . S’il fallait caractériser la recherche dans sa diversité, peut-être conviendrait-il d’insister sur une posture critique qui consiste à rendre compte des profondes mutations qui s’imposent à l’époque moderne en mettant aussi bien en rapport les textes et leur contexte his-torique de production et de réception, qu’en élargissant ce contexte à l’ensemble des discours, religieux ou philosophiques, médicaux ou légaux, théoriques ou esthétiques au sein desquels s’inscrit chaque œuvre singulière . Aussi n’est-il pas surprenant que la plupart des chercheurs québécois et canadiens qui s’intéressent à ces questions tra-vaillent sur de vastes corpus . l’ambition qui préside à ces travaux tient à la volonté de non seulement croiser les champs disciplinaires, afin de mieux dégager les interactions entre les pratiques, les réseaux et les institutions, mais aussi de favoriser le dialogue entre la recherche française et québécoise par-delà les clivages transatlantiques entre les États-Unis et la France . en effet, si les travaux récents sur le corps et l’intériorité s’inscrivent au cœur même des préoccupations actuelles de la recherche française, la proximité géographique avec les États-Unis nous amène également à suivre avec atten-tion les publications, les objets et les sujets de recherche dont on privilégie l’étude52 . enfin, loin d’être un objet de recherche dont on a exploré toutes les dimensions, le corps est toujours le lieu de réflexion et de travaux en cours, comme en témoignent plusieurs mémoires de maîtrise et thèses de doctorat qui traitent, d’une façon ou d’une autre, de cette question . les projets sont nombreux et les corpus variés, mais cette profusion témoigne de la vivacité des études sur le corps, ainsi que le montre, du reste, la tenue de deux événements qu’il convient de souligner, dans la mesure où ils sont la promesse d’un avenir fécond . en 2003 se tenait, à l’Université du Québec à Montréal, un premier colloque organisé par de jeunes chercheurs sous le titre Représentations du corps sous l’Ancien Régime. Pratiques et discours53 . Du roman à la lettre, de la rue au salon, des discours de la morale aux traités de physiologie, la réflexion sur le corps et sur l’intériorité s’y offrait dans une diversité critique stimulante . en 2009, de jeu-nes chercheurs en études sur les xviie et xviiie siècles de l’Université de Montréal renouvelaient l’expérience avec la tenue d’un colloque intitulé Le Corps dans l’his-toire et les histoires du corps54, sous la présidence d’honneur de Georges Vigarello .

52 . Sur le corps, les passions et l’intériorité, on consultera, par exemple, les textes d’erec R . Koch, The Aesthetic Body. Passion, Sensibility and Corporeality in Seventeenth-Century France, Newark, University of Delaware Press, 2008, et de James M . Bromley, « Intimacy and the Body in Seventeenth-century Religious Devotion », Early Modern Literary Studies, Mai 2005, revue en ligne http://extra .shu .ac .uk/emls/11-1/11-1toc .htm .

53 . colloque Représentations du corps sous l’Ancien Régime. Pratiques et discours, Université du Québec à Montréal, 7-9 mai 2003 . Voir Isabelle Billaud et Marie-catherine laperrière (dir .), Représentations du corps sous l’Ancien Régime. Pratiques et discours Québec, Presses de l’Université laval, cahiers du cierl, no 2, 2007 .

54 . colloque Le Corps dans l’histoire et les histoires du corps, Université de Montréal, 6-9 mars 2009, organisé par Mickaël Bouffard, Érika Wicky et Jean-Alexandre Perras . Un ouvrage est à paraître dans la collection des cahiers du cierl qui est devenue, au fil du temps, un foyer de diffusion par excellence des travaux de la relève en études d’Ancien Régime .

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les contributions de jeunes chercheurs venus du Québec et du canada, de la France et des États-Unis cherchaient à mettre en lumière les transformations des conceptions et des représentations du corps entre Renaissance et Révolution . c’est dire le dyna-misme de ce champ de recherche au Québec et au canada, mais c’est dire aussi à quel point le corps offre un vaste domaine d’étude encore en friche qu’anthropologues, historiens des représentations et littéraires n’ont toujours pas terminé d’explorer .

lucie DesjardinsUniversité du Québec à Montréal

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