LES DERNIÈRES VICTOIRES

DE NOSTRADAMUS

DES MÊMES AUTEURS

Vlaicu IONESCU

Le Message de Nostradamus sur l'Ère Prolétaire (Édition de l'auteur)

Nostradamus, l'histoire secrète du monde (Éditions du Félin)

Marie-Thérèse de BROSSES

De la politique à la gnose (Entretiens avec Raymond Abellio) (Éditions Pierre Belfond)

La Dimension d'absence (Éditions Christian Bourgois)

De l'autre côté de la vitre (Éditions Robert Laffont)

Je t'emmènerai à Syracuse (Editions Robert Laffont)

Vlaicu Ionescu Marie-Thérèse de Brosses

LES

DERNIÈRES

VICTOIRES

D E

NOSTRADAMUS

filipacchi

@ 1993 — ÉDITIONS FILIPACCHI — Société SONODIP 63, avenue des Champs-Élysées - 75008 Paris

Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est interdite sans l'autorisation préalable et écrite de l'éditeur.

« L'interprète aurait atteint son but s'il parvient à démontrer aux sceptiques érudits — comme il a la satisfaction de s'en convaincre lui- même — par l'analyse grammaticale d'un texte trois fois séculaire, qu'il existe réellement un ordre surnaturel, distinct des fonctions ou des sécrétions les plus élevées de la vie organique, rempli de phénomènes inexplicables, et dont le rayonnement, si affaibli qu'il soit par les ténèbres de l'intellect humain, doit faire naître en celui-ci, non pas une curiosité morbide, non pas le goût des pratiques suspectes qui n'aboutiraient finalement à rien de positif, mais la crainte salutaire des jugements du Seigneur... »

Anatole Le Pelletier Les Oracles de Michel de Nostredame, 1867

« Nostradamus n'a pas écrit ses Prophéties pour encourager l'apocalypsomanie. Il a prévu des événements pour démontrer qu'il y a des forces dans notre esprit, dont nous ne soupçonnons pas la portée et la profondeur. »

Vlaicu Ionescu Le Message de Nostradamus

sur l'Ere Prolétaire, 1976

« Les livres ne sont pas faits pour être crus, mais pour être soumis à l'examen. Devant un livre, nous ne devons pas nous demander ce qu'il dit, mais ce qu'il veut dire... »

Umberto Eco Le Nom de la rose

AVANT-PROPOS

A Bucarest, à la fin des années 50, un jeune peintre anticommuniste fait circuler clandestinement un manuscrit dont il est l'auteur.

S'entourant d'infinies précautions, il ne le confie qu'à des amis sûrs à qui il répète :

« Ce n'est pas très réjouissant : il nous faudra encore tenir jusqu'en 1991. Cette année-là seulement, nous serons enfin débarrassés du communisme qui alors s'effondrera en URSS. »

A cette époque, la République Populaire de Roumanie connaissait l'exceptionnelle rigueur d'un régime inféodé aux directives de l'URSS. Les répressions succédaient aux répressions. Venue d'un intellectuel en proie aux persécutions du régime, une telle certitude semblait trop le fruit d'espérances déçues pour être crédible ; et lorsque l'auteur-peintre confiait qu'il en avait trouvé l'origine dans... Nostradamus, qui aurait pu le prendre au sérieux?

Il faut reconnaître que, depuis le xvic siècle, on a tout fait dire au célèbre médecin provençal. Du « sérieux » (parfois) comme du « délirant » (la plupart du temps). Normal : ses quatrains sont rédigés de manière si obscure qu'ils offrent à l'imagination la même possibilité d'exprimer des fantasmes que les taches d'encre du test de Rorschach. On peut tout lire dans les premiers de même qu'on peut tout voir dans les secondes. Au nom de Nostradamus, ne nous avait-on pas annoncé pour les années qui viennent de s'écouler : l'invasion de la France par les Soviétiques, la victoire sur le cancer, le débarquement des extraterrestres, etc. ? Tout récemment, un ouvrage 1 s'appuyant sur

1. « Nostradamus : prédictions pour la fin du millénaire », par V. J. Hewitt et P. Lorie (Editions Solar, 1992).

un décodage numérique aussi pittoresque que farfelu, affirme que le Sage de Salon a tout prédit et daté, aussi bien un séisme en Californie (prévu pour le 8 mai 1993 à 7 h 05 : on n'est pas plus précis !), que l'emprisonnement (le 1er février 1995) de nombreux prêtres catholi- ques car ils auront contaminé leurs ouailles par le sida, l'accusation de corruption lancée entre le 5 et le 8 mai 1994 par Michel Noir à rencontre de l'ancien gouvernement de Mitterrand, ou l'élection en 1995 d'un pape anglais (le cardinal Hume archevêque de Westmins- ter)? D'après les deux auteurs, des événements aussi essentiels et bouleversants que l'abandon de Hollywood par Richard Gere en juin 1994, feraient donc partie des préoccupations du visionnaire.

Quoi qu'on pense de Nostradamus, nul ne saurait lui dénier l'incroyable talent d'engendrer de beaux délires. Chose étonnante, les plus folles « interprétations », vite ramenées par les faits à leur véritable statut d'élucubrations, ne parviennent même pas à décrédi- biliser leur auteur. On voit périodiquement aux Etats-Unis, les leaders de petites sectes annoncer à leurs adeptes que le « grand cataclysme qui engloutira l'humanité pécheresse » est prévu pour telle date. Seule la secte pourra être épargnée grâce à la toute-puissance du gourou, surtout si les disciples lui abandonnent leurs biens et se réfugient auprès de lui au moment fatidique, dans un lieu « protégé ». Constatant qu'une fois passée l'échéance tant redoutée, l'humanité — pécheresse ou pas — n'a toujours pas été engloutie, les adeptes ne songent pas à réviser leur confiance envers leur gourou2. Le même phénomène se produit avec Nostradamus. Les interprètes ont beau être démentis par les faits, ils n'en continuent pas moins à être écoutés. S'il est admis que « le ridicule n'a jamais tué personne », sans doute pourrait-on perfectionner le dicton en ajoutant «.. . et il ne ridiculise même pas toujours », tant les amateurs de merveilleux sont peu rancuniers envers ceux qui les bernent.

2. Cette hantise de la fin du monde n'est pas réservée aux Etats-Unis et le scénario mentionné plus haut vient de se réaliser à la fin de l'année dernière où le leader de la secte du « Doomsday » (répandue dans le Sud-Est asiatique et particulièrement en Corée) avait annoncé que la fin du monde se produirait le 28 octobre 1992. Au jour J., vingt-huit mille Coréens du Sud avaient littéralement disparu avec leur gourou, sans rien annoncer à leur entourage. Leur foi absolue en leur maître n'a pas été affectée par... cette erreur de date !

Si Nostradamus est bien le grand Prophète inspiré ayant eu, comme le veut sa réputation, la vision du destin de l'humanité, rares sont les « élus » dans la course à son interprétation (course qui prend souvent des allures de petite guerre tant l'animosité semble être de mise entre les « spécialistes » !). Avec le recul du temps, il faut se rendre à l'évidence : le jeune Roumain avait vu juste dans son extravagante prédiction. Aurait-il bénéficié « par hasard » d'un de ces heureux coups du sort dont seul un statisticien pourrait calculer la possibilité d'apparition ?

L'histoire ne s'arrête pas là. Loin de tout tapage médiatique, le chercheur roumain continua ses

investigations nostradamiennes avec un bonheur tel qu'il faut s'y résigner : la justesse de ses interprétations ne saurait être attribuée à une longue série de coups heureux : le hasard a rarement de telles complaisances...

En 1976, paraît un gros volume au titre surprenant : « Le Message de Nostradamus sur l'Ere Prolétaire ». Indifférence générale ou presque. Quel critique a le courage — et le temps — de s'aventurer dans un tel pavé ?

Edité aux Etats-Unis à compte d'auteur, cet ouvrage touffu a tout pour rebuter le lecteur : mal composé, truffé d'innombrables coquilles et fautes typographiques, rédigé dans un français approximatif, alourdi de répétitions... mais ceux qui ont la patience de ne pas s'arrêter à ces irritants défauts de forme, reconnaissent que ce livre passionnant s'avère, en outre, tout à fait novateur. Son auteur, Vlaicu Ionescu, Roumain réfugié aux USA, y revendique de façon explicite s o n a p p a r t e n a n c e à l a p e n s é e t r a d i t i o n n e l l e 3 . I l e x p o s e s a m é t h o d e

d ' a p p r o c h e d e N o s t r a d a m u s q u ' i l p r é s e n t e c o m m e u n a l c h i m i s t e

a p p a r t e n a n t à l a l i g n é e d e s p h i l o s o p h e s h e r m é t i q u e s . C ' e s t , b i e n s û r ,

l e j e u n e p e i n t r e d e B u c a r e s t .

S o n l i v r e e s t d ' u n e r i c h e s s e s t u p é f i a n t e t a n t il o u v r e d e p e r s p e c t i v e s

s u r l e p h é n o m è n e n o s t r a d a m i e n . S t u p é f i a n t e é g a l e m e n t e s t l ' é t e n d u e

3. Voir annexe 1 p. 257.

des connaissances impliquées par ce travail de bénédictin, dans le domaine de l'érudition classique et de l'étymologie, comme dans ceux, plus spécifiques, de la cabale, de l'astrologie, de l'hermétisme et de l'alchimie. S'appuyant sur de nombreux textes du Sage de Salon, l'auteur y soutient une thèse surprenante : « Nostradamus a eu comme mission essentielle la présentation critique de l'ère prolétaire d u p o i n t d e v u e d e l a p e n s é e t r a d i t i o n n e l l e e t c ' e s t d e c e t t e é p o q u e 4

que parlent sinon la majorité, du moins une très grande partie de ses q u a t r a i n s . » 5

Le Prophète, explique Ionescu a vu la naissance, l'ascension et l'apogée de cette « hérésie » qu'il condamne au nom des valeurs traditionnelles qu'il respecte, mais il nous en annonce également le déclin. Vlaicu Ionescu termine son essai par un saut dans le futur. Quittant la minutieuse analyse de textes qui se sont déjà réalisés, il s'attaque à ceux qui concernent notre proche avenir. Il n'a aucun doute sur la validité de sa méthode et intitule un de ses chapitres : « La doctrine communiste perd du terrain dans la conscience des masses ». L'interprétation des textes nostradamiens lui permet de titrer ainsi ses subdivisions :

— C e u x « d e g a u c h e » c h e r c h e r o n t v e r s « l a d r o i t e » 6

— L ' o r d r e p r o l é t a i r e p e r d r a l e p o u v o i r .

— L a l o y c o m m u n e 1 s e r a r e m p l a c é e p a r s o n o p p o s é .

U n a u t r e c h a p i t r e , a u t i t r e n o n m o i n s c a t é g o r i q u e ( « 1 9 9 1 , l ' a n n é e

d e l ' é c r o u l e m e n t d u r é g i m e s o v i é t i q u e » ) , s ' o r n e d ' u n s o u s - t i t r e

e n c o r e p l u s p r é c i s d a n s s o n d é f i a u t e m p s : « l e s 7 3 a n n é e s e t 7 m o i s

d u R é g i m e s o v i é t i q u e . »

A u j o u r d ' h u i e n c o r e , l a l e c t u r e d e c e s p a g e s e s t i m p r e s s i o n n a n t e

t a n t e l l e o b l i g e à r é f l é c h i r s u r l a p o s s i b i l i t é d u p h é n o m è n e p r o p h é t i -

q u e . I c i , il n ' e s t p a s q u e s t i o n d ' a p p r o x i m a t i o n , d e f l o u . D e p u i s l e

x v i e s i è c l e , u n e d a t e p r é c i s e ( s o i x a n t e - t r e i z e a n s e t s e p t m o i s ) n o u s a

4. Vlaicu Ionescu appelle « ère prolétaire » cette période noire du Kali Yuga (voir la note 18 du chapitre 1 p. 38.) au cours de laquelle les valeurs sont inversées et les hérésies antitraditionnelles ont pris corps. Cette ère débute avec la Révolution française et s'étend jusqu'à la fin du xxe siècle. Le communisme correspond à son apogée.

5. Cf. « Le Message de Nostradamus sur l'Ere Prolétaire » p. 21. 6. L'expression est de Nostradamus. 7. Idem.

été donnée pour la durée du régime communiste en URSS, et cette date sera corroborée par les faits.

« Le Message de Nostradamus » était écrit, rappelons-le, pendant l'apogée du pouvoir soviétique (lorsque ce dernier était, selon la formule de Nostradamus, à sa plus haute et sublime dignité), à un moment où les chefs d'Etat de l'Occident, ne voyant s'annoncer aucun signe de faillite pour ce régime, cherchaient des moyens d'entente et de « coexistence pacifique » et soutenaient un dictateur tel que Ceaucescu !

Si l'époque, friande de sensationnalisme, n'a pas su reconnaître alors l'extraordinaire portée de ce livre qui renouvelait l'exégèse nostradamienne et proposait, sur la nature du phénomène prophéti- que, une réflexion trop souvent oubliée au profit de jongleries étymologiques, quelques ésotéristes férus de pensée traditionnelle ne s'y trompèrent pas, affirmant que Vlaicu Ionescu ferait incontestable- ment date.

Au milieu des années 70, alors que la toute-puissance de l'Ours soviétique apparaissait comme une menace pour l'Occident, cette annonce de l'effondrement du communisme en URSS — prévu pour 1991 — ressemblait à un mauvais scénario de politique-fiction : nul kremlinologue n'aurait osé l'envisager. Cependant, les quelque huit cent trente pages de l'ouvrage offraient une si fascinante combinaison d'érudition, d'intuition et de méthode, que la démarche la plus intelligente, la plus honnête eût été de suivre l'exemple du philosophe Raymond Abellio qui, en 19848, n'hésitait pas à écrire :

« C'est un fait : nous n'aurons pas longtemps à attendre pour vérifier la validité des interprétations de Vlaicu Ionescu puisque, dans ses deux ouvrages, il fixe au mois de juin 1991 l'écroulement du communisme russe, après un règne qui aura duré soixante-treize ans et sept mois à partir de la Révolution d'octobre 1917... Ce même proche avenir nous dira aussi si Vlaicu Ionescu est, comme on peut le croire, le décrypteur privilégié du Sage de Salon et en quelque sorte son fils spirituel, son héritier prédestiné, à son tour inspiré. »

L'époque en décida autrement. En 1981, dans une débauche de

8. Texte publié comme préface à « Nostradamus, l'histoire secrète du monde » de Vlaicu Ionescu (Editions du Félin, Paris, 1987).

grands titres-catastrophes, elle choisit de faire un triomphe à Jean- Charles de Fontbrune9 selon lequel Nostradamus prédisait pour la décennie 80-90 :

— la disparition de la liberté d'expression en France (due à l'avènement du socialisme),

— l'invasion de la France par les Soviétiques, — la destruction de Paris, de Genève et de Toulouse, — l'établissement de la nouvelle capitale de la France en Avignon, — l'assassinat de Jean-Paul II à Lyon après que le siège de la

papauté ait été déplacé de Rome en France, etc. L'imminence de telles catastrophes eut un retentissement qui

dépassa les plus folles espérances de l'éditeur et propulsa Fontbrune au rang des best-sellers tandis que Ionescu demeurait confiné sur les rayonnages de quelques rares amateurs d'ésotérisme.

Cette chape de silence finit par se fissurer dans un pays que l'on imagine mal atteint de nostradamite aiguë : le Japon. En 1991, l'empire du Soleil-Levant se prit de passion pour les travaux du Roumain. Accueil triomphal. Cette fois, l'intérêt ne venait pas d'en bas — le goût morbide du grand public pour les prophètes de malheur — mais d'en haut : en l'occurrence, du professeur Tadao Takemoto 10 (qui fut l'ami de Malraux à qui il consacra plusieurs ouvrages). Enthousiasmé par ce travail dont la profondeur de réflexion tranchait singulièrement sur le niveau des innombrables élucubrations suscitées par Michel de Nostredame, il décida de le traduire lui-même en japonais.

Telles que les avait décodées Vlaicu Ionescu, les prédictions nostradamiennes sur la chute du Mur de Berlin et la réunification de l'Allemagne en 1989 s'étaient réalisées dans les temps annoncés. Aussi le Pr. Takemoto était-il certain que celles qui prévoyaient l'effondrement du communisme en URSS pour juin 1991 s'accompli- raient également ; c'est pourquoi il obtint que l'éditeur fasse paraître

9. Cf « Nostradamus, historien et prophète » par Jean-Charles de Fontbrune (Editions du Rocher).

10. Directeur de l'Institut de langues et cultures modernes de l'université de Tsukuba. Cette grande université japonaise est devenue mondialement célèbre lorsque s'y tint un congrès désormais fameux qui, prolongeant les travaux du colloque de Cordoue, s'efforça d'établir un lien entre la Tradition et la Science.

l'ouvrage au mois de mars 1991, avant l'accomplissement annoncé. La sûreté de la méthode de Vlaicu Ionescu n'avait pas fini de faire

ses preuves. En avril 1991, le Roumain profita de son passage à Tokyo pour annoncer à la télévision nipponne le terme proche de la carrière politique de Gorbatchev : « Selon Nostradamus, le leader soviétique sera contraint d'abandonner avant la fin septembre 1991 ». Révélée ainsi, sans ménagements, une telle nouvelle ne suscita pas seulement l'étonnement, mais un certain embarras : le fameux hasard — qui n'existe pas — voulut qu'à ce moment même, Gorbatchev fût en visite officielle au Japon...

Une fois encore, le tandem Nostradamus-Ionescu frappait juste ! Parce que j'avais plus que largement contribué au succès de Jean-

Charles de Fontbrune11 (dont une bonne partie du scénario-catas- trophe correspondait aux peurs et aux fantasmes suscités par la guerre froide), le silence fait en France autour de l'œuvre de Ionescu m'a longtemps mise mal à l'aise : mon propre mutisme participait de cette injustice et c'est pourquoi je veux ici faire connaître ses étonnantes découvertes.

Que les textes nostradamiens aient décrit des événements histori- ques et des personnages ayant vécu au cours des quatre siècles qui nous séparent de la mort du Sage de Salon, est un fait attesté par de nombreux érudits qui ont démontré la concordance de ces textes et de l'Histoire. Après coup, il est (relativement) plus facile d'appliquer les quatrains à des événements révolus. Mais que ces textes, tellement difficiles à comprendre tant ils sont cryptés12, puissent permettre à un interprète d'y trouver l'annonce précise d'événements à venir, voilà qui semble établir que le phénomène prophétique est possible et que son expression n'est pas condamnée à demeurer floue et vague.

Les théories matérialistes n'admettent pas la possibilité de sortir du monde physique ni du déterminisme pour plonger dans un mystérieux monde de l'esprit où l'on pourrait contempler à l'avance les événe-

11. L'interview-fleuve de Jean-Charles de Fontbrune paru dans Paris-Match est à l'origine du succès de ce livre dont la sortie, presque un an auparavant, avait été tellement discrète que l'auteur se croyait, ainsi qu'il me l'avait affirmé lors de notre première rencontre, victime d'une « véritable conspiration du silence ».

12. Il faut quelquefois plus de dix pages à Vlaicu Ionescu pour mettre en lumière le sens que Nostradamus a pu condenser en quatre vers décasyllabiques !

ments majeurs qui prendront place sur la scène de l'Histoire. Si un esprit humain parvient à pénétrer dans cette « sphère métaphysique » et à découvrir certaines réalités qui n'existent pas encore matérielle- ment, une conclusion s'impose : il existe une autre réalité, un plan supratemporel où les faits seraient tracés avant de se manifester. L'existence de cet autre niveau de réalité prouverait la faillite des théories matérialistes.

A plusieurs reprises, comme nous le verrons dans cet ouvrage, Vlaicu Ionescu a pu, en s'appuyant sur Nostradamus, annoncer à l'avance, et de façon très précise dans le temps, des événements tels q u e l e s c a n d a l e d u W a t e r g a t e 13, l a c h u t e d u M u r d e B e r l i n ,

l ' e f f o n d r e m e n t d u c o m m u n i s m e e n U R S S , l a f i n d e l a c a r r i è r e

p o l i t i q u e d e G o r b a t c h e v e t l ' a v è n e m e n t d e B o r i s E l t s i n e . . . L e s a u t r e s

e x é g è t e s n e n o u s a v a i e n t p a s p e r m i s d e c r o i r e q u ' i l é t a i t p o s s i b l e d e

d é c r y p t e r a i n s i l e S a g e d e S a l o n a v e c a u t a n t d ' e x a c t i t u d e !

S o y o n s h o n n ê t e s , il f a u t r e c o n n a î t r e q u ' i l y e u t q u e l q u e s ( t r è s r a r e s )

p r é c é d e n t s à d e t e l s s u c c è s . J e n ' e n c i t e r a i q u e d e u x . A u x i x e s i è c l e ,

A n a t o l e L e P e l l e t i e r 1 4 , a p r è s a v o i r m o n t r é c o m m e n t c e r t a i n e s p r é d i c -

t i o n s c o n c e r n a n t N a p o l é o n I I I s ' é t a i e n t d é j à a c c o m p l i e s , p r é s e n t a l e

q u a t r a i n V I I I - 4 3 c o m m e l ' a n n o n c e d e l a f u t u r e d é f a i t e d e S e d a n . L a

p r é d i c t i o n s ' a c c o m p l i r a t r o i s a n s a p r è s l a p u b l i c a t i o n d e s o n o u v r a g e .

I l e s t d u r e s t e a m u s a n t d e v o i r c o m m e n t L e P e l l e t i e r ( q u i r é d i g e a s o n

œ u v r e s o u s l e r è g n e d e N a p o l é o n I I I ) , p r i t s o i n d ' e n t o u r e r s e s

i n t e r p r é t a t i o n s d ' e x c u s e s e m b a r r a s s é e s , t o u t e n t e n a n t à a v e r t i r

c l a i r e m e n t l ' e m p e r e u r d e l a d é f a i t e q u ' i l s u b i r a :

« A u s s i n ' e u s s é - j e p o i n t i n t r o d u i t l e s d e u x s t r o p h e s p r é c é -

d e n t e s 15 d a n s le t h è m e f a t i d i q u e d e S a M a j e s t é l ' E m p e r e u r

N a p o l é o n I I I , s a n s l ' e x t r ê m e j u s t e s s e d e l e u r s p r é m i s s e s , e t

s a n s l ' i n t é r ê t b i e n l é g i t i m e q u i s ' a t t a c h e a u x d e s t i n s f u t u r s

d ' u n si g r a n d p r i n c e . E t m a l g r é l e u r a m b i g u ï t é , j e c r o i s — e t

c e s e r a i t s a n s d o u t e a u s s i s a c o n v i c t i o n , s i c e t é c r i t p a s s a i t

13. Vlaicu Ionescu écrivit même au président Nixon pour l'avertir que Nostrada- mus annonçait qu'un grand scandale abrégerait la durée de son second mandat. (Voir le chapitre 5, p. 95.)

14. « Les Oracles de Michel de Nostredame » Paris, 1867 (deux volumes). 15. Les quatrains prédisant la défaite.

par hasard sous ses yeux — je crois qu'il ne peut que lui être avantageux de les connaître tels qu'ils sont, afin d'y trouver un avertissement utile à sa fortune et à sa gloire, dans le cas où des faits de cette nature, tout à fait invraisemblables a u j o u r d ' h u i , v i e n d r o n t s e r é a l i s e r p l u s t a r d . »16

Plus près de nous, l'Allemand Karl Krafft essaya également d'adresser un avertissement à Hitler en lui annonçant, toujours de la part de Nostradamus, l'occupation de l'Allemagne par les Russes : cela lui valut d'être obligé de réécrire totalement son ouvrage pour prédire au Führer la plus grande gloire, et de mourir dans un camp de concentration !

De tels exemples semblent bien indiquer que Nostradamus a effectivement eu accès à cette mystérieuse région intemporelle dont nous parlions plus haut et qu'une véritable méthode permettrait à certains interprètes de dissiper un peu l'obscurité dont le célèbre Provençal a délibérément voilé ses textes.

Une conclusion qui vaut la peine de prendre le temps de s'y attarder. Ionescu a eu le bonheur d'avoir pu vivre jusqu'à la réalisation de la prophétie, tant attendue par lui depuis les années 50, où il annonçait déjà les soixante-treize ans et sept mois de l'Empire soviétique. Comment avait-il pu, contrairement à ses collègues, être aussi précis et juste dans ses interprétations?

Au téléphone, il m'avait affirmé, sans la moindre nuance d'hu- mour :

« Je ne me base pas sur ce qu'affirment les hommes politiques ou les politologues : rien de ce qu'ils ont prédit ne s'est avéré exact. J'ai toujours eu beaucoup plus confiance en Nostradamus — dont l'œuvre est un des plus grands miracles de l'esprit humain — qu'en tous ces hommes " importants et informés " qui jamais n'auraient pensé que 1989 verrait la banqueroute du communisme. Nostradamus est le plus grand homme politique de notre siècle : cela fait quarante années que je le répète, et je ne change pas d'avis ! »

Depuis la parution, déjà ancienne, de ses livres, avait-il poussé plus loin ses analyses? Il me fallait en savoir davantage...

16. Le Pelletier, op. cit. (réédition Jean de Bonnot, Paris, 1976, p. 286.)

Rencontrer Vlaicu Ionescu est une véritable aventure. Non que l'homme joue au prophète (il se veut l'interprète d'un

prophète, c'est bien différent), mais son approche de l'Histoire (dont il ne cesse de vérifier les moindres points de détail) n'a que faire de la modernité. Ayant de lui-même une très haute idée, il supporte avec indifférence les ricanements que ne manque jamais de susciter, chez les « fortes têtes », un intérêt prononcé pour un sujet aussi contesté. Une sarabande de petits événements le confortent dans sa sérénité et Ionescu se voit gratifié d'une profusion de « signes » qu'il considère comme autant de preuves qu'il a bien choisi sa voie. Comme par « hasard », les plus troublantes circonstances et « coïncidences » s'accumulent autour de lui. Semblable au « daîmon »17 qui s'entrete- nait avec Socrate, une « voix intérieure » lui dit ce qu'il sera ; ses problèmes matériels (financiers et de logement) s'arrangent comme par magie ; livres et manuscrits précieux concernant Nostradamus trouvent tout naturellement le chemin de sa bibliothèque, etc, etc.

J'ai moi-même été l'agent indirect d'une de ces dernières « coïnci- dences ». Lors de la première visite que je lui fis à New York pour nos entretiens, j'avais insisté sur l'intérêt que présentait l'annonce du très prochain rétablissement en France de la monarchie que, me disait-il, Nostradamus prévoyait pour les décennies à venir. Je désirais qu'il approfondît davantage l'étude de ces textes, poursuivant un travail dont il avait trouvé la base chez Le Pelletier. Peu de temps après mon retour en France, Vlaicu Ionescu m'écrivait :

... Comme je vous l'avais dit, la première prophétie concernant ce futur roi de France a été faite par saint Méthode, évêque du Ille siècle, ainsi que le précisait Le Pelletier. Les écrits — attribués à saint Méthode — où se trouve cette prophétie, ont été publiés dans un incunable de 1497, achevé en 1515. Le Pelletier ne mentionne pas ce rarissime incunable dont j'ignorais également l'existence jusqu'à ce jour où il vient de me tomber entre les mains.

17. Dieu auprès duquel Socrate, selon ses disciples, disait recueillir l'essentiel de ses paroles et les directives pour son action.

Cet incunable faisait partie de la bibliothèque de Daniel Ruzo, l'auteur du « Testament de Nostradamus »18, un savant, mort il y a deux ans, que je respectais beaucoup... et qui possédait la plus riche bibliothèque nostradamienne du monde : quinze cents volumes !

Lorsque vous étiez à New York, vous m'avez présenté un de vos amis, journaliste chilien, intéressé par mes études; il m'a mis en rapport avec la famille Ruzo qui détient encore la bibliothèque de l'érudit. Parmi de vieux livres, sans relation directe avec Nostradamus, j'ai trouvé cet incunable qui donne le texte de la prophétie de saint Méthode ; le petit-fils de Daniel Ruzo a eu la bonté de me l'offrir. Ce livre est enrichi de nombreuses gravures sur bois dont certaines représentent (pour la première fois dans l'histoire !) le légendaire roi des Francs qui rétablira à l'avenir l'empire romain chrétien pour la dernière fois...

Ce n'est pas la première fois que cette sorte d'extraordinaires coïncidences m'arrivent. Des livres rares viennent à moi au bon moment, comme envoyés par les forces supérieures qui semblent veiller sur moi...

Un bel exemple de ce que le physicien Wolfgang Pauli et son analyste, le célèbre Carl Gustav Jung, ont nommé la « synchroni- cité » : une sorte de principe apparemment « a-causal » qui semble relier les événements ayant la même signification.

Mais Vlaicu Ionescu va plus loin encore : ... Quelquefois, j'ai la tentation de croire que Nostradamus serait

intervenu dans ma vie... Je considère l'apparition inattendue de cet incunable comme un signe. Il pourrait signifier, pour moi, la confirma- tion de ma découverte sur la date de la naissance de ce grand roi et, du même coup, de ma solution du quatrain mentionnant la date de 1999 : un des plus fameux et qui a suscité les plus diverses, pour ne pas dire les plus fantaisistes, interprétations.

Dans un tel contexte, il n'est guère surprenant que Vlaicu Ionescu ait consacré sa vie à l'étude des prédictions de Michel de Nostredame. Une vie qu'il faut connaître pour comprendre comment il était prédestiné à se vouer à cette recherche.

L'existence d'un intellectuel roumain — d'abord opprimé par une

18. Editions du Rocher.

dictature, puis fuyant son pays pour échapper au communisme — est certes plus mouvementée que celle d'un intellectuel vivant dans un pays libre, mais ces prémices ne sauraient permettre de comprendre les étranges « accidents » de la vie de Ionescu. Une vie marquée du sceau de l'Invisible et jalonnée de tant de signes qu'il faudrait être aveugle pour ne pas y lire l'annonce d'un destin particulier.

Du long récit qu'il m'en fit, je ne retiendrai que les épisodes particulièrement significatifs pour un homme qui devait dédier toute son énergie à élucider les textes de ce mystérieux homme de la Renaissance qui semblait se jouer des contraintes de l'espace et du temps.

Le régime communiste m'a d'abord persécuté car mon « dossier » n était pas très « pur ». J'étais fils de prêtre (professeur d'histoire de l' Eglise et théologien de surcroît) et à cette dangereuse filiation venaient s'ajouter mes activités suspectes de peintre; refusant de me plier aux directives d'un art socialiste qui, pour moi, n'était pas de l'art, je continuais à faire une peinture personnelle...

La diversité de mes études universitaires (philosophie, architecture, mathématiques, peinture, musicologie) ne faisait que renforcer mon appartenance prétendue à cette « tendance décadente et cosmopolite » haïe par le communisme.

Pendant mes études, je m'étais particulièrement intéressé à l'aspect traditionnel et ésotérique de la philosophie. Je lisais beaucoup (Gué- non, Schuon, Evola, l'ésotérisme moderne, l'anthroposophie ...). A l'âge de vingt et un ans, en faisant les exercices spirituels de Rudolf Steiner19, j'ai eu une expérience mystique au cours de laquelle j'ai demandé à cet « être intérieur » qui communiquait avec moi comme mon alter ego ce que je ferai de ma vie. (Je rêvais à l'époque d'être un grand peintre.) A mon profond étonnement, il m'a répondu : « Tu seras une sorte de Nostradamus ».

Jamais je n'oublierai ces mots. Pour moi, Nostradamus, ce n'était qu'un nom, mais ce jour-là naquit mon intérêt pour ce personnage hors du commun — un intérêt qui allait se transformer en passion.

19. Penseur autrichien (1861-1925), fondateur de l'anthroposophie. Cette doc- trine, selon son auteur, se présente comme « un chemin de connaissance qui tente de conduire du spirituel dans l'homme au spirituel dans l'univers. »

Sans plus attendre, j'ai commencé à l'étudier et, dans les années 50, j'ai rédigé un premier manuscrit de décryptage de ses centuries, axé sur les prophéties ayant trait au communisme. Très vite, j'avais été frappé par cette promesse faite par Nostradamus, au cours de sa préface, de s'étendre sur le phénomène du commun advénement. La signification de cette expression était claire pour moi, j'ai tout de suite reconnu qu'il s'agissait là du communisme. Du reste, il existe chez Nostradamus toute une série d'expressions pour définir ce régime : la loi commune, la loi morique 20, la pestilence, la dame adultérine, la prostituée, la dame g r e c q u e d e b e a u t é l a ï d i q u e 2 1 . . .

P a r f a i t e m e n t c o n s c i e n t q u e s i c e m a n u s c r i t ( d o n t , p a r p r é c a u t i o n , j e

n e p o s s é d a i s q u ' u n s e u l e x e m p l a i r e ) é t a i t t r o u v é c h e z m o i , j e s e r a i s

c o n d a m n é à u n m i n i m u m d e v i n g t - c i n q a n n é e s d e p r i s o n , j e n e l e

p r ê t a i s q u ' à d e t r è s b o n s a m i s ( p o u r e u x a u s s i l a d é t e n t i o n d ' u n t e l

o u v r a g e p r é s e n t a i t d e s é r i e u x r i s q u e s ! ) . L e u r r é a c t i o n é t a i t t o u j o u r s l a

m ê m e : u n e s u r p r i s e t o t a l e m a i s s u r t o u t u n p r o f o n d d é c o u r a g e m e n t . A

l ' é p o q u e , l e s R o u m a i n s v i v a i e n t d a n s l ' a t t e n t e d ' u n e i n t e r v e n t i o n

a m é r i c a i n e q u i l e s d é l i v r e r a i t d u c o m m u n i s m e e t m e s a m i s r e f u s a i e n t

d ' a d m e t t r e q u e , c o m m e l ' a n n o n ç a i t N o s t r a d a m u s , c e r é g i m e é p o u v a n -

t a b l e d u r e r a i t j u s q u ' e n 1 9 9 1 . P a r a p h r a s a n t D a n t e , j e l e u r r é p é t a i s :

l a s c i a t e o g n i s p e r a n z a 2 2 , e t s u r t o u t j e l e s e x h o r t a i s à s e p r é p a r e r à u n e

t e l l e d u r é e . . .

E n t r e - t e m p s , l e j e u n e I o n e s c u , é t u d i a n t a u c o n s e r v a t o i r e d e

M u s i q u e , p a r v i e n t ( g r â c e à u n c o n c o u r s é t o n n a n t d e c i r c o n s t a n c e s

q u ' i l s e r a i t t r o p l o n g d e r a p p o r t e r i c i ) à s e c o n s t i t u e r u n e i m p o r t a n t e

c o l l e c t i o n d e t a b l e a u x . E t p a s n ' i m p o r t e l e s q u e l s ! T r e n t e - c i n q t o i l e s

d e m a î t r e s d o n t u n R e m b r a n d t a v e c t o u s s e s c e r t i f i c a t s . . .

20. Par cette métaphore qui souligne l'aspect utopique du communisme, Nostrada- mus fait allusion à l'œuvre de Thomas Morus, De optimo republicœ statu deque nova insula Utopia, où l'auteur décrit un état idéal — situé dans l'île d'Utopia — dont le régime est basé sur le travail obligatoire, où l'argent et la propriété privée sont abolis. Paru quarante ans avant « les Prophéties », l'ouvrage de Thomas Morus est devenu le modèle d'un nouveau genre littéraire, l'utopie, qui décrit une société imaginaire où tout est parfaitement réglementé pour le bonheur de l'homme.

21. Allusion à la démocratie corrompue d'Athènes et à la célèbre courtisane grecque Laïs.

22. Célèbre phrase stigmatisant l'entrée de l'Enfer : « Abandonnez toute espé- rance, vous qui pénétrez ici... »

Ces tableaux provenaient de familles aristocrates roumaines qui, pour vivre, étaient obligées de vendre leurs toiles ... lorsqu'elles n'étaient pas confisquées par l'Etat23. Comme il y avait peu d'ache- teurs en Roumanie où les étrangers ne pouvaient pénétrer, et que les Roumains n'avaient que des salaires de misère, ces toiles étaient vendues à vil prix.

... En 1958, après en avoir terminé avec les condamnations politiques et avoir réussi à exterminer la plupart des intellectuels et des artistes de l'ancienne génération, la Police et la Sûreté commencèrent des opéra- tions de « droit commun » pour éliminer les éléments « bourgeois » qui ne s'inséraient pas dans le moule socialiste. Elles décidèrent, notam- ment, d'arrêter les collectionneurs et de confisquer leurs biens. C'est ainsi que le 18 novembre 1958, la police débarqua chez moi; peut-être voulait-on seulement confisquer ma collection de disques (je possédais une discothèque classique unique en Roumanie), mais je n'avais qu'une obsession : mon manuscrit sur Nostradamus qui se trouvait bien en évidence sur mon bureau. Je redoutais qu'un de mes amis ait pu, par inadvertance, mentionner l'existence de ce texte devant des oreilles ennemies : à l'époque, nous devions nous méfier de tout le monde.

Effectivement, un officier le trouva et commença à le feuilleter. Je savais ce que je risquais et je me sentais me pétrifier d'angoisse. Je ne pouvais que prier. Seul un miracle pouvait me sauver.

C'est alors que l'incroyable se produisit. La perquisition permit aux policiers de découvrir mes tableaux (trente-deux, dont un Corot, un Courbet, une esquisse sur huile de Delacroix, un Guido Reini, un Rubens, et de grands maîtres hollandais et roumains ...). L'importance du butin monopolisa toute l'équipe et l'officier posa le manuscrit sur la table, pensant sans doute le reprendre plus tard. Sans me faire remarquer, je suis parvenu à le glisser dans un tiroir. Le miracle s'était produit! Mais j'ai été arrêté et emmené à la prison de la Direction générale de la Milice pour l'enquête.

— Vous êtes peintre, m'a dit l'enquêteur, vous savez comment construire un beau tableau. Moi, je sais construire un « beau dossier » : un beau dossier mène à une condamnation sûre...

23. Il existait des « magasins de consignation » d'Etat où étaient vendues toutes les antiquités réquisitionnées.

Ils ont constitué un « beau dossier » contre moi, ont confisqué mes tableaux et m'ont condamné à deux ans de prison. (Je n'en ai fait qu'un an et demi car j'ai travaillé dans les champs, ce qui m'a valu une réduction de peine.) Le soir même de mon arrestation, ma femme avait détruit mon manuscrit...

Cette sinistre mésaventure ne réussit pas à tempérer l'amour de l'art de Ionescu ni son goût « capitaliste » de la possession. En véritable Bélier 24 toujours épris du danger, il a le sens de l'aventure et le goût de la provocation : sans se soucier des conséquences, il parvient encore à se constituer une autre collection de peintures dont la pièce maîtresse allait être un Raphaël présumé, une « Madone entre sainte Apollonie et sainte Marguerite ».

... Personne ne pensait qu'il s'agissait d'un véritable Raphaël : ce tableau avait été réquisitionné et le Musée national de Bucarest, doutant de son authenticité, l'avait refusé... C'était une œuvre admirable que j'ai mis trois ans à payer. En étudiant la toile, j'ai découvert, dans la blouse de la madone, la signature : « Rafael Urbinas pingebat ». J'ai envoyé mon étude et toute une série de photos à l'Académie d'Urbino qui confirma l'exactitude de l'attribution...

La presse européenne fait un large écho à cette découverte d'un Raphaël à Bucarest ; lorsque les autorités roumaines apprennent qu'elles ont laissé échappé un tableau dont la valeur est longuement commentée dans les colonnes du monde occidental, elles se mettent à la recherche du Raphaël. Leur zèle est sérieusement motivé : le président Ceaucescu désire s'approprier le tableau pour... ses collec- tions particulières.

Plutôt dangereux pour Ionescu qui, saisissant le prétexte d'une exposition de ses propres œuvres à Munich, se cache avec sa femme en Allemagne avant d'obtenir son statut de réfugié politique aux USA. Ses enfants et petits-enfants (sept personnes) sont demeurés en Roumanie. Comment les faire sortir? L'envie frénétique du « Génie des Carpathes » de posséder personnellement le Raphaël et de pouvoir humilier les directeurs du Musée, coupables d'avoir refusé un chef-d'œuvre désormais reconnu, constitue son seul atout. Une carte bien difficile à jouer...

24. Vlaicu Ionescu est né le 1er avril 1922.

Après une année de démarches, aux termes d'une rocambolesque histoire dont je ne suis pas autorisée à divulguer les détails, Vlaicu Ionescu est parvenu à échanger le Raphaël et les derniers tableaux qu'il possédait encore, bien cachés en Roumanie, contre les passe- ports des membres de sa famille (Le Raphaël a — comme on peut l'imaginer — été directement acheminé dans une des résidences privées des Ceaucescu).

... En prison, j'avais fait le vœu de refaire mon livre sur Nostradamus si jamais il m'était donné de vivre dans un pays libre. J'espérais pouvoir réécrire cet ouvrage d'une manière encore plus approfondie...

Vlaicu Ionescu a respecté son vœu. Mais lorsqu'il publia ses livres, il était encore dans l'expectative. Ses interprétations étaient-elles cor- rectes ? Nous savons maintenant qu'il avait vu juste et que Nostrada- mus avait prévu, en détails bien saisissants, les circonstances mêmes des changements révolutionnaires de l'Europe de l'Est. Serait-ce la preuve de notre appartenance à une réalité bien plus cachée et, pourquoi ne pas oser le dire, une preuve de l'existence de l'architecte qui a conçu et programmé l'Histoire, en dépit de notre savoir et de notre pouvoir? Demeurerait encore l'énigme de notre possibilité d'appréhender cette réalité. Parlant de la voyance nostradamienne, Raymond Abellio commentait :

« On peut rapporter cette faculté à la grâce divine (c'est ce que fait Nostradamus) ou à des propriétés encore inconnues et inexploitées du cerveau humain, qu'une ascèse appropriée permet de développer et de tirer au jour. Quoi qu'il en soit, tout laisse penser que Nostradamus a été l'inégalable détenteur de tels pouvoirs qui seront peut-être un jour ceux d'une humanité régénérée ayant retrouvé ou acquis, hors du temps, la maîtrise du temps. ».

De telles perspectives ne sauraient laisser indifférent.

Marie-Thérèse de BROSSES

LISTE DES ABRÉVIATIONS

Les quatrains sont indiqués par le numéro de la centurie en chiffres romains, suivi du numéro du quatrain en chiffres arabes. Par exemple X-12 veut dire centurie X, quatrain 12.

Epître = Lettre à Henry, Roy de France Second. H.S. = Nostradamus, l'histoire secrète du monde (Vlaicu

Ionescu, 1987). M.N. = Le Message de Nostradamus sur l'Ere Prolétaire (Vlaicu

Ionescu, 1976). Préface = Préface de Nostradamus à ses Prophéties (dédiée à son

fils César). Prés. = Présage. Six. = Sixain.

La présentation en italique (pour des mots, des phrases ou des paragraphes) indique que le texte est de Nostradamus, sans interpré- tation ni traduction.

1

Soixante-treize ans et sept mois

Où l'on verra comment, a u cours d ' u n e E p î t r e

qui n e s ' adressa i t po in t à son a p p a r e n t des t ina ta i r e , le P r o p h è t e avai t su ass igner à la nouvel le B a b y l o n e

(le c o m m u n i s m e sovié t ique) son exac te d u r é e : septante trois années et sept mo i s . . .

Marie-Thérèse de BROSSES : Depuis le xvie siècle, les énigmati- ques Prophéties laissées par Nostradamus semblent lancer un défi. Ces écrits sibyllins ont-ils un sens, sont-ils véritablement prophéti- ques? Par centaines, des chercheurs se sont efforcés de les compren- dre et de les traduire ; périodiquement, des scénarios plus ou moins catastrophiques (et qui, heureusement, ne se réalisent pas!) sont proposés à l'attention du public. Il n'est pas question de jeter la pierre à ceux qui se fourvoient dans leurs interprétations car c'est véritable- ment une tâche ardue que de s'attaquer à la forteresse du langage nostradamien, cependant on juge l'arbre à ses fruits et il faut bien reconnaître, Vlaicu Ionescu, que les solutions que vous apportez résistent à l'épreuve des faits !

Le monde vient de vivre un événement absolument capital : la chute du communisme en Russie. Cet événement, aucun de ces interprètes n'en avait parlé. Sauf vous. Vous venez d'un pays de l'Est (la Roumanie) et depuis les années 50, vous prédisiez la désagrégation

du communisme dans les pays au-delà du Rideau de Fer, et surtout vous annonciez — sans faire d'erreur — la date de son effondrement en Union Soviétique. Date (juin 1991) que vous dites avoir trouvée chez Nostradamus. Aucun des autres exégètes n'avait su le faire ! Aussi, avant de développer votre approche si particulière de Nostra- damus et de vous demander ce qu'il prédit pour notre époque, je voudrais savoir comment vous avez pu être si précis en annonçant — sans vous tromper — que le régime communiste soviétique durerait soixante-treize ans et sept mois.

Vlaicu IONESCU : J'ai trouvé cette durée dans un long texte en prose, VEpître à Henry, Roy de France Second, qui est le dernier écrit nostradamien.

M.-T.B. : Depuis quatre siècles, tous les interprètes de Nostrada- mus se sont attentivement penchés sur ce texte. Comment se fait-il qu'aucun, même parmi les plus récents, ne soit parvenu à en tirer cette information ?

V.I. : Que voulez-vous que je réponde si ce n'est que c'est fâcheux pour eux !

Publiée en 1568, l'Epître est, effectivement, un texte capital : elle contient les prédictions des événements les plus importants de notre Histoire. Il était donc logique d'y voir mentionnée la Révolution de 1917 qui amena le communisme en URSS.

Or un paragraphe, que j'ai toujours considéré comme le texte fondamental pour notre époque, dit :

... et sera au Moys d'Octobre que quelque grande transla- tion sera faicte, et telle que l'on cuidra la pesanteur de la terre avoir perdu son naturel mouvement, et estre abismée en perpetuelles ténèbres, seront precedens au temps vernal et s'en ensuyvant après d'extremes changements, permutations de regne, par grand tremblement de terre, avec pullulation de la neufve Babylone, fille misérable augmentée par l'abomina- tion du premier holocauste, et ne tiendra tant seulement que septante trois ans, sept mois.

C'est-à-dire :

Et ce sera au mois d'octobre qu'une grande transmutation sociale (translation) sera faite. Elle sera tellement boulever- sante que l'on croira que la Terre avec sa gravitation (la pesanteur) aura perdu son mouvement naturel et sera abîmée dans de perpétuelles ténèbres. Au mois de mars (au temps vernal), se seront produits des événements précur- seurs (seront precedens)1. Il s'ensuivra des changements extrêmes, des renversements de gouvernements (permuta- tions de regne) en même temps qu'une grande guerre mondiale (grand tremblement de terre). Ce sera la pullula- tion de la nouvelle Babylone, fille misérable de la pre- mière2, mais beaucoup plus grande dans ses abominations (augmentée par l'abomination) et par le nouvel holocauste3 plus horrible encore que le premier 4 (premier holocauste)... Et son règne ne durera seulement que soixante-treize ans et sept mois...

Quand on vit — comme j'ai vécu — sous le communisme, on est sans cesse bombardé d'expressions telles que « le grand octobre » ou « la grande Révolution d'octobre ». Chaque année on célébrait cet « Octobre Rouge » ! Aussi me suis-je immédiatement demandé si par cette première phrase (et sera au Moys d'Octobre), Nostradamus ne visait pas la Révolution d'octobre. En étudiant tout le paragraphe, j'ai vu des concordances extraordinaires. Cinq éléments de ce paragraphe permettent de l'attribuer sans hésitation à la Révolution russe de 1917 :

1°) D'abord l'indication du mois aujourd'hui devenu un paradigme de cette Révolution dite « d'octobre ->y. Déjà, dans son Présage 89 (dédié à un mois d'octobre !) Nostradamus avait souligné l'importance de ce mois :

1. La Révolution de mars avec l'abolition de la monarchie. 2. La Révolution française. 3. Le massacre de la famille du tsar. 4. Exécution de Louis XVI et de sa famille.

Voici le mois qui sera tant à redouter pour les malheurs qu'il apportera (par maux).

Ceux des classes régnantes (seigneurs) seront tous exter- minés par le fléau de la révolution (peste) 5 et il s'ensuivra la famine (faim), la pauvreté et les luttes intestines (quereller).

Ceux qui auront été renversés de leurs positions (ceux du rebours)6 et s'enfuiront en exil (d'exil), exposeront ces choses dans leurs écrits (viendront noter).

Les nouveaux chefs (grands) utiliseront l'espionnage et la Police Secrète (secrets) et condamneront à mort (morts) ceux qui oseront s'opposer à leur enrôlement dans la nouvelle idéologie (non de contreroller)1.

2°) La claire allusion à la Révolution de mars au cours de laquelle le gouvernement de Kerenski a liquidé la monarchie. Ce précédent (precedens) à la Révolution d'octobre eut justement lieu au temps vernal comme le précise Nostradamus, c'est-à-dire en mars, à l'équinoxe du printemps8.

3°) La comparaison de la Révolution russe avec la Révolution française (que Nostradamus appelle Premier Antéchrist, et Première Babylone) dont elle sera la fille misérable car elle sera augmentée dans ses abominations. La Révolution russe est donc nommée le Second Antéchrist, la Nouvelle Babylone ou le Commun Advénement.

5. Un des noms donnés par Nostradamus aux hérésies et utopies sociales. 6. Du roman « rebors » : renversement, façon d'aller de mal en pis. 7. Au xvie siècle, « contreroller » signifiait inscrire dans un registre. 8. Pour cette révolution et la chute du tsar, Vlaicu Ionescu proposait également

(M.N. p. 427.) le quatrain VI-59 : « Le peuple excité et incité par la rage de la révolution (par rage

d'adultère) se dressera et pressera le tsar par une conjuration (son prince conjurer) d'abdiquer (non de dire) en faveur du « Gouvernement provi- soire ». (Cette conjuration est connue comme la Révolution de mars.)

Mais peu de temps après (en octobre : mais bref) sera connue (sera cognue) la vraie coupable et digne de tout blâme (la vitupère, du latin « vituperare », blâmer ; la « vitupère » est celle qui est à blâmer.) qui mettra dix-sept membres de la famille impériale à martyre. »

Ce quatrain est également très intéressant du point de vue de la pensée traditionnelle qui considère le lien entre le roi (principe solaire) et son peuple (principe lunaire) comme un mariage mystique. Lorsque le peuple se révolte contre le roi légitime, il commet « l'adultère ».

4°) La contemporanéité de cette Révolution d'octobre avec une grande guerre (grand tremblement de terre). Ce rapprochement de deux événements majeurs se trouve ailleurs dans l'œuvre de Nostrada- mus : parmi les quatrains prédisant la Première Guerre mondiale, certains9 annoncent aussi que la Révolution russe se produira pendant cette guerre et Nostradamus va plus loin puisqu'il assigne à cette guerre des positions planétaires qui sont celles de l'année 1917 ! D'autre part, le texte de l'Epître précise également que la Révolution d'octobre se déroulera au même moment qu'une guerre mondiale. Tout concorde.

5°) La claire allusion à deux « holocaustes » : l'exécution de Louis XVI et de sa famille, et l'assassinat de la famille impériale du tsar Nicolas II.

Ces cinq points prouvant sans équivoque que ce paragraphe est bien la description de la Révolution russe, la dernière phrase du texte, qui assigne à ce phénomène une durée de soixante-treize ans et sept mois, donne la durée du communisme soviétique. Je me suis contenté d'ajouter 73 ans et 7 mois à cette date bien connue d'octobre 1917 et j'ai obtenu juin 1991 !

M.-T.B. : Soixante-treize ans et sept mois après octobre 1917, cela donne mai 1991 et non pas juin !

V.I. : Vous oubliez qu'à l'époque, la Russie utilisait le calendrier julien. Le 25 octobre 191710 du calendrier julien correspond au 7 novembre du calendrier grégorien, le calendrier actuel. Donc, avec notre calendrier, nous obtenons bien juin, or c'est le 12 juin 1991 que l'élection libre de Boris Eltsine sonna effectivement le glas des forces communistes...

Cette précision de Nostradamus est tout à fait remarquable car elle est confirmée d'une autre manière. La RSFSR11 a été fondée officiellement par Lénine lors du 3e congrès des Soviets, le 31 janvier

9. Quatrains VIII-48, 1-26 et IX-55. 10. Date de la prise du Palais d'Hiver de Saint-Pétersbourg qui marque la victoire

de la Révolution d'octobre.

11. La RSFSR (République soviétique fédéraliste socialiste de Russie) est aujour- d'hui la République de Russie. L'URSS sera fondée seulement en 1922, après la guerre civile.

11. Analyse astronomique du quatrain donnant la configura- tion planétaire — y compris l'étoile Véga — pour le coup d'Etat manqué d'août 1991 et pour les réformes de Boris Eltsine 289

12. Trois textes sur la guerre du Viêt-nam et le président Nixon 294

13. Date du couronnement du Grand Monarque comme roi et empereur 297