Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du...

22
Gilles GRivEl Agrégé et docteur en histoire Professeur au Lycée Jean Lurçat de Bruyères Les famiLLes juives de Charmes Aujourd’hui, il ne reste quasiment aucune trace de la présence d’une communauté juive à Charmes. Cependant, celle-ci a joué un rôle actif au cours du XiX e siècle. C’est d’une famille juive de cette ville qu’est ainsi issue Mélanie isidor (1820-1901), la mère du sociologue Émile durkheim (1858- 1917), dont le nom vient d’être donné au centre hospitalier d’Épinal. Les débuts de la communauté juive La présence juive en Lorraine la présence juive dans la vallée du Rhin est attestée dès le iv e siècle 1 . dans ce qui correspond à l’actuelle lorraine, les indications mentionnant la présence de juifs sont plus tardives. Elles datent du Moyen Âge 2 . il est certain que des juifs vivent à partir du iX e siècle, le siècle de Charlemagne, à Metz et à verdun, et à partir du Xiii e siècle, le siècle de Saint-louis, dans le sud de la lorraine. À cette époque, dans le territoire de l’actuel département des vosges, des communautés existent à neufchâteau et à Saint-dié, mais aucune présence juive n’est mentionnée à Charmes. dans cette période de chrétienté, les juifs, qui constituent le seul groupe qui n’adhère pas au christianisme, connaissent une marginalisation croissante. ils sont ainsi contraints par les décisions du concile de latran de 1215 de porter un signe distinctif : une rouelle ou bien un chapeau jaune. Cette marginalisation religieuse a des répercussions sur le plan professionnel. les juifs n’ont pas le droit de posséder des terres et sont donc exclus de l’agriculture. ils le sont aussi de l’artisanat car les artisans appartiennent à des « corporations » qui sont des associations non seulement professionnelles mais aussi religieuses. ils n’ont pas le droit d’être « fonctionnaires » (juges, etc.), ni d’être soldats. ils doivent vivre du commerce et du prêt à intérêt, qua- lifié d’usure et théoriquement interdit par l’Église aux chrétiens. Cette spécia- lisation professionnelle renforce l’hostilité de la population à leur égard, une hostilité non seulement religieuse mais aussi économique, et qui débouche sur des massacres et des expulsions. 193 1 Patrick GiRARd, Pour le meilleur et le pire. Vingt siècles d’histoire juive en France, Paris, Bibliophane, 1986, p. 21. 2 Sur l’histoire des juifs en lorraine au Moyen Âge, voir Jean-luc FRAy, « la présence juive en lorraine au Moyen Âge. Continuités et ruptures », Archives juives, n° 27/2, 2 e semestre 1994, p. 25-38. CHARMES Et lA MoyEnnE-MoSEllE JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 193

Transcript of Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du...

Page 1: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

Gilles GRivEl

Agrégé et docteur en histoire

Professeur au Lycée Jean Lurçat de Bruyères

Les famiLLes juives de Charmes

Aujourd’hui, il ne reste quasiment aucune trace de la présence d’unecommunauté juive à Charmes. Cependant, celle-ci a joué un rôle actif aucours du XiXe siècle. C’est d’une famille juive de cette ville qu’est ainsi issueMélanie isidor (1820-1901), la mère du sociologue Émile durkheim (1858-1917), dont le nom vient d’être donné au centre hospitalier d’Épinal.

Les débuts de la communauté juive

La présence juive en Lorraine

la présence juive dans la vallée du Rhin est attestée dès le ive siècle1.dans ce qui correspond à l’actuelle lorraine, les indications mentionnant laprésence de juifs sont plus tardives. Elles datent du Moyen Âge2. il est certainque des juifs vivent à partir du iXe siècle, le siècle de Charlemagne, à Metz età verdun, et à partir du Xiiie siècle, le siècle de Saint-louis, dans le sud de lalorraine. À cette époque, dans le territoire de l’actuel départementdes vosges, des communautés existent à neufchâteau et à Saint-dié, maisaucune présence juive n’est mentionnée à Charmes.

dans cette période de chrétienté, les juifs, qui constituent le seulgroupe qui n’adhère pas au christianisme, connaissent une marginalisationcroissante. ils sont ainsi contraints par les décisions du concile de latran de1215 de porter un signe distinctif : une rouelle ou bien un chapeau jaune.Cette marginalisation religieuse a des répercussions sur le plan professionnel.les juifs n’ont pas le droit de posséder des terres et sont donc exclus del’agriculture. ils le sont aussi de l’artisanat car les artisans appartiennent à des« corporations » qui sont des associations non seulement professionnellesmais aussi religieuses. ils n’ont pas le droit d’être « fonctionnaires » (juges,etc.), ni d’être soldats. ils doivent vivre du commerce et du prêt à intérêt, qua-lifié d’usure et théoriquement interdit par l’Église aux chrétiens. Cette spécia-lisation professionnelle renforce l’hostilité de la population à leur égard, unehostilité non seulement religieuse mais aussi économique, et qui débouche surdes massacres et des expulsions.

193

1 Patrick GiRARd, Pour le meilleur et le pire. Vingt siècles d’histoire juive en France, Paris, Bibliophane,1986, p. 21.2 Sur l’histoire des juifs en lorraine au Moyen Âge, voir Jean-luc FRAy, « la présence juive en lorraineau Moyen Âge. Continuités et ruptures », Archives juives, n° 27/2, 2e semestre 1994, p. 25-38.

CHARMES Et lA MoyEnnE-MoSEllE

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 193

Page 2: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cetteexpulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion des juifsd’Europe occidentale à la fin du Moyen Âge. ils ont, en effet, été chassésd’Angleterre en 1290, du royaume de France en 1394. ils le furent en 1492d’Espagne.

ils se dirigent vers le monde musulman et l’est de l’Europe, c’est-à-direl’Empire et la Pologne. l’Empire est une mosaïque de principautés et de villesindépendantes. Si ces dernières très souvent ne tolèrent pas les juifs, les sei-gneurs les acceptent car ils peuvent être une source de revenus. les juifs seconsacrent à des activités commerciales dans des secteurs précis. ils sont col-porteurs ou marchands de bestiaux. ils peuvent aussi exercer des métiers liésà la vente d’objets de seconde main. ils sont donc fripiers ou brocanteurs. ilssont aussi prêteurs. les plus aisés sont fournisseurs des armées.

En 1559, avec le traité de Cateau-Cambrésis, Metz devient française.le roi autorise les juifs à s’établir dans la ville. ils lui sont utiles pour se pro-curer des chevaux, du fourrage, accorder des prêts. ils peuvent, au cours duXviie siècle, s’installer dans les autres villes de garnison de la lorraine dunord et au Xviiie siècle dans la lorraine ducale, en particulier à nancy et àlunéville. À la veille de la Révolution, les juifs en lorraine sont environ50003. En 1648, à la fin de la Guerre de trente Ans, l’Alsace, jusqu’alors terred’Empire, devient française. le pouvoir royal permet aux juifs de continuer àrésider dans cette province. ils sont environ 6500 au début du Xviiie siècle,22 000 en 1789.

dans la seconde moitié du Xviiie, des marchands juifs venus d’Alsaceou du nord de la lorraine viennent faire du commerce dans l’actuel départe-ment des vosges. Ce sont principalement des marchands de bétail. ils peuventprêter de l’argent à leurs clients. Ainsi, un acte notarié du 10 mai 17794,conclu en l’étude de maître Jean-François Mengin, de Charmes, nous apprendqu’un certain « israël, juif de Molsic [Mutzig] », prête à « nicolas le Clerc etPhilippe Gustin, tous deux laboureurs à la voisne, proche le dit Charmes »,275 livres. C’était une somme relativement importante. le salaire journalierd’un manœuvre se montait à environ une livre et la portion congrue d’unvicaire était alors de 350 livres. on peut supposer que ce prêt servait à l’achatde chevaux, mais le contrat ne l’indique pas.

194

3 Georges WEil, « Enquêtes sur les nations juives », dans Les Juifs de France, Les Collections del’Histoire, n°10, janvier 2001, p. 33.4 Arch. dép. vosges, 5 E 22/237 : acte notarié du 10 mai 1779. « israël, juif de Mutzig » signe l’acte encaractères hébraïques. il donne comme nom « Seligmann ». Aucune explication claire ne peut être don-née à cette utilisation de deux noms différents.

GillES GRivEl

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 194

Page 3: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

Doc. 1 : Acte notarié, 1779, étude de Me Mangin à Charmes.Arch. dép. Vosges, 5E 22/237, cliché G. Grivel.

d’après le recensement de 18085, trois familles juives sont établies àCharmes à la veille de la Révolution. Elles étaient originaires de l’actueldépartement de la Moselle :

- celle de Michel lazard, né à Hellimer, vers 1758, dans l’est de laMoselle, décédé à Charmes en 1838, qui a dû s’installer vers 1780,

195

5 Arch. dép. vosges, 7 v 19 : état nominatif des individus de la religion juive domiciliés dans l’arrondis-sement de Mirecourt, 26 août 1808.

lES FAMillES JuivES dE CHARMES

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 195

Page 4: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

- celle de Samuel Salomon (vers 1755-1847), arrivée en 1788,- celle de Michel Mayer, établie en 1789.

les familles juives résidant dans ce qui allait devenir l’actuel départe-ment des vosges étaient alors au nombre de huit6.

Doc. 2 : 1788 Implantation des familles juives dans les Vosges. © Carte Alexandre Laumond.

la Révolution française entraîne l’émancipation des juifs qui devien-nent, le 27 septembre 1791, citoyens français. C’est la fin des discriminationsdont ils étaient victimes. les juifs d’Alsace et du nord de la lorraine peuventdésormais habiter là où ils veulent et exercer n’importe quelle profession.Entre 1789 et 1800, 24 familles juives s’établissent dans les vosges, entre 1800et 1808, 47. En 1808, les familles juives sont au nombre de 79, dispersées dansquinze communes. Elles représentent une population de 374 personnes.

Doc. 3 :1808 Implantation des familles juives dans les Vosges. © Carte A. Laumond.

196

6 Cf : Charles KRAEMER et Alexandre lAuMond, « un autre aspect de la ‘régénération’. la place des israé-lites dans les réseaux intellectuels vosgiens de 1800 à 1914 », dans Marcel FouRniER et Charles KRAEMER,Durkheim avant Durkheim, une jeunesse vosgienne, 2015, Paris, l’Harmattan, p. 109.

GillES GRivEl

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 196

Page 5: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

La communauté de Charmes sous l’Empire

lors du recensement de 1808, la commune de Charmes est celle desvosges qui compte le plus de juifs. ils sont en effet 68, répartis en 12 familles,alors qu’ils ne sont que 19 à Épinal. la situation économique de ces famillesest dans l’ensemble difficile. Quatre des chefs de famille sont colporteurs,trois marchands de bestiaux, deux courtiers, un sans profession, un boucher,qui très probablement fournit aux familles de la viande cachère, c’est-à-direde la viande provenant d’animaux abattus selon les règles religieuses tradi-tionnelles, et un maître d’école, Joseph Cerf ulmann (1780 Charmes, 1843)7,qui, on peut le supposer, assure aussi les offices religieux. À propos de cedernier, il faut noter qu’il n’est pas originaire d’Alsace ou du nord de lalorraine, comme la quasi-totalité des juifs établis dans les vosges, mais deBavière, de la ville d’ichenhausen, qui abrite à l’époque une des plusimportantes communautés de cette région8.

d’après le recensement, trois n’ont quasiment pas de revenus :Salomon oury, « sans profession », Salomon david, le boucher, dont « l’in-dustrie est presque nulle », et Mayer Michel, un marchand de bestiaux, dont« l’industrie est [aussi] presque nulle » et qui est « soutenu par son frèrelazard Michel ».

Sept chefs de famille ont des revenus annuels compris entre 300 et600 francs ; le salaire journalier étant à l’époque d’environ 2 francs par jour.C’est le cas du maître d’école Joseph Cerf, qui reçoit 300 francs « de ses core-ligionnaires », des quatre colporteurs : lévi daniel (500 francs), AbrahamParis (400 francs), lévi lazard (400 francs) et lévi Mathias (300 francs), etdes deux courtiers : Ancel Cerf (400 francs) et Salomon Samuel (600 francs).

deux chefs de famille seulement sont dans l’aisance : Michel lazard,« aubergiste », et son gendre Joseph Marx isidor, « négociant ». les revenusdu premier sont estimés à 5000 francs, ceux du second à 1200 francs. En1808, le préfet écrit au ministre de la Justice que Michel lazard possède40 000 francs d’hypothèques et des propriétés foncières pour une valeur de50 000 francs9. il a acheté des biens nationaux.

dans ce même courrier, le préfet estime que, parmi les quatre-vingtsfamilles juives de son département, « à l’exception de quatre ou cinq […] laplupart sont des marchands colporteurs, des marchands de bestiaux et desbouchers [… qui] suffisent à peine, et ils ne suffisent même pas tous, par leurstravaux et leurs faibles négoces, aux besoins de leur famille ». Michel lazardfait partie de ces rares juifs fortunés. il est, avec les deux frères May de

197

7 Joseph Cerf est aussi appelé Cerf ulmann. Renseignement fourni par M. Jean-Camille Bloch, présidentde la Société d’histoire des israélites d’Alsace et de lorraine, 25 décembre 2014.8 http://www.alemannia-judaica.de/ichenhausen_synagoge.htm (uRl, 12 février 2015).9 Arch. dép. vosges, 7 v 19 : lettre du préfet au ministre de la Justice, 7 octobre 1808.

lES FAMillES JuivES dE CHARMES

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 197

Page 6: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

neufchâteau, isaac louis et Moïse, un des trois représentants des juifs desvosges10 à l’assemblée des 111 notables israélites convoqués de juillet 1806 àavril 1807 par napoléon.

C’est aussi un notable dans la ville de Charmes. En 1822, il est nomméconseiller municipal, fonction dont il démissionne vers 183011. À partir de1831, les conseillers municipaux sont élus. Son fils daniel Michel lazard (néen 1804) est élu en 1831 pour un premier mandat de trois ans12, en 1837 pourun second mandat de trois ans13 et en 1840 pour un mandat de six ans14.

Sa fille Rosalie (1789-1825) a épousé vers 1803 Joseph Marx, quiadopte comme nom de famille en 1806 isidor. C’est un marchand de chevaux,

originaire de lixheim, village prochede Sarrebourg, dont un des neveux,lazare isidor (1813-1888), seragrand-rabbin de France de 1867 à1888. Joseph Marx isidor, après lamort de sa première femme, qui lui adonné 11 enfants, se met en ménageavec sa belle-sœur15 Clairette lazard(1802-1875). il était de coutume dansles familles juives qu’à la mort de safemme, le veuf prenne pour épouse, sicela était possible, la sœur de la défun-te. on pensait qu’elle traiterait mieuxles enfants du premier lit qu’uneétrangère16. Mais à cette époque, lemariage entre beaux-frères et belles-sœurs était interdit par l’article 162 duCode civil. C’est seulement en 1832que ce type de mariage est devenupossible avec une dispense17. JosephDoc. 4 : Mélanie Isidor et ses fils, Émile à

gauche et Félix au centre. Coll. Marcel Durkheim.

198

10 http://www.genami.org/pour-tous/liste_notables1806_fr.php (uRl, 12 février 2015)11 Arch. dép. vosges, 3 M 49 : renouvellement des conseillers municipaux de l’arrondissement deMirecourt (1831-1846). 12 les conseillers municipaux sous la monarchie de Juillet étaient élus pour six ans, mais par série tous lestrois ans. daniel Michel lazard est élu en 1831 dans la série 2 qui n’accomplit qu’un mandat de trois ans.13 Arch. dép. vosges, 3 M 49 : renouvellement des conseillers municipaux de l’arrondissement deMirecourt (1831-1846). En 1837, daniel Michel lazard est élu en remplacement d’un conseiller démis-sionnaire qui avait accompli la moitié de son mandat.14 Idem.15 http://gw.geneanet.org/amdb49?lang=fr;pz=alain+michel;nz=diamant+berger;ocz=0;p=mendel+michel;n=lazard (uRl, 12 février 2015) et état-civil de Charmes. 16 Renseignement fourni à l’auteur par Mme Françoise Job.17 Cf. Claude lÉvy, Jean SuttER, « les dispenses civiles au mariage en France depuis 1800 »,Population, année 1959, vol.14, n° 2, p. 285-304 (consultable sur http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pop_0032-4663_1959_num_14_2_6280.

GillES GRivEl

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 198

Page 7: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

Marx isidor et Clairette lazard ont demandé cette dispense et ont pu se marierle 23 janvier 183318. ils ont légitimé les trois filles qui étaient déjà nées de leurunion. ils auront encore trois autres enfants. Au total, Joseph Marx isidor a eu17 enfants, dont deux seulement sont morts en bas âge. une de ses filles, Julie(1813-1889), a épousé en 1830 un boucher de toul, Moïse Abraham Aaron(1807-1882). Elle est l’arrière-grand-mère du philosophe et sociologueRaymond Aron (1905-1983). une autre fille de Joseph Marx isidor, Mélanie(1820-1901), épouse en 1837 le rabbin d’Épinal, Moïse durkheim (1805-1896). Elle est la mère du sociologue Emile durkheim (1858-1917). lors deson mariage, sa dot s’élevait à 6000 francs19.

Doc. 5 : Généalogie de la famille Isidor. Schéma G. Grivel.

L’épanouissement de la communauté

le nombre des juifs dans les vosges croît tout au long du XiXe sièclegrâce à une forte croissance naturelle et au maintien d’une immigration venued’Alsace et du nord de la lorraine. ils sont en 1834 près d’un millier, 1318 en1856 et un peu moins de 2000 à la veille du XXe siècle. ils constituent douzecommunautés, qui possèdent chacune une synagogue : Bruyères, Charmes,Épinal, Gérardmer, lamarche, neufchâteau, Rambervillers, Raon-l’Étape,Remiremont, Saint-dié, Senones et le thillot.

la communauté de Charmes continue à croître jusque vers 1850. Ellecomptait 68 fidèles en 1808, 120 en 1834 (elle est la deuxième plus importan-te communauté après celle de Remiremont), 124 en 1850. Elle représentait àcette date environ 5 % de la population totale de la commune.

199

18 Arch. dép. vosges, état-civil de Charmes, 23 janvier 1833.19 Arch. dép. vosges, 5 E 22/289 : contrat de mariage entre Moïse durkheim et Mélanie isidor, 16 août1837.

lES FAMillES JuivES dE CHARMES

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 199

Page 8: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

dès leur arrivée à la fin du Xviiie siècle, les familles juives disposentd’une synagogue. Située rue du Four, elle a été construite par un particulier,très probablement Michel lazard. Pour son utilisation, la communauté, dontles revenus s’élèvent à 400 francs, verse un loyer annuel de 265 francs en1838. les revenus de la communauté proviennent de la location des places àla synagogue et de la vente des honneurs, c’est-à-dire des sommes versées parles fidèles qui veulent lire un passage de la torah (les cinq premiers livres dela Bible) lors du service religieux20.

le ministre-officiant continue à être Cerf ulmann21. C’est aussi lui quienseigne à l’école juive. il utilise la méthode individuelle. Cette école est fré-quentée, d’après l’enquête de 1834, par 21 enfants (10 garçons et 11 filles),soit un peu moins de la moitié des enfants juifs de la commune. En effet,10 garçons sont inscrits dans les deux écoles primaires de la ville et 12 fillesà l’école des sœurs de la doctrine chrétienne. Son enseignement n’est estiméqu’« assez bien » par l’inspecteur, alors que celui des trois autres écoles estjugé « bien » ou « très bien sur tout »22.

À partir de 1834 et jusqu’en 1845, le ministre-officiant est MarxSchneider (1813, Wissembourg – 1903, Saint-Mandé)23. lorsqu’il est en

� � �

Doc. 6 : Répartition des Juifs dans les Vosges en 1896. © Carte A. Laumond.

200

20 Arch. dép. Meurthe-et-Moselle, 7 v 19 : tableau des synagogues du consistoire de nancy, et 7 v 191,1838. Ce document affirme que la synagogue de Charmes a été construite « il y a environ 60 ans », doncvers 1780, lors de l’arrivée de la première famille juive à Charmes.21 Cf. sa notice dans Jean-Philippe CHAuMont et Monique lEvy (dir.), Dictionnaire des rabbins et autresministres du culte israélite France et Algérie du Grand Sanhédrin (1807) à la loi de Séparation (1905),Paris, Berg international, 2007, p. 590.22 Arch. dép. vosges, 1 t 56 : enquête sur les écoles primaires des vosges, 1834-1837. Sur les écoles jui-ves Anny BloCH-RAyMond, « des écoles israélites du XiXe siècle aux écoles juives contemporaines »,dans Freddy RAPHAEl (dir.), Juifs d’Alsace au XXe siècle. Ni ghettoïsation, ni assimilation, Strasbourg, lanuée bleue, 2014, p. 19-33.23 Cf. sa notice dans le Dictionnaire des rabbins, op. cit. , p. 634-635 et http://www.geni.com/people/Marx-Schneider/6000000002765217978 (uRl, 14 février 2015).

GillES GRivEl

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 200

Page 9: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

fonction à Charmes, sa femme lui donne cinq enfants. il exerce ensuite sonministère à thionville de 1845 à 1870, puis à Paris.

un recensement des familles juives de Charmes est effectué approxi-mativement lorsque Marx Schneider quitte la ville. il est conservé dans lesarchives de la communauté juive de nancy24. il nous donne une idée de lacomposition socioprofessionnelle de la communauté. Malheureusement, seu-les ses deux dernières pages nous sont parvenues. Elles ne concernent que49 individus, soit moins de la moitié des fidèles, et 13 des 23 familles. lesactivités professionnelles des 19 adultes sont mentionnées. Quatre seraientconsidérés actuellement comme des « retraités » (deux « rentiers » et deux« sans profession »), trois sont domestiques, deux couturières et une institu-trice. les huit autres sont engagés dans des activités commerciales : deux sontbouchers, trois commerçants (un négociant, un chapelier et un marchandd’étoffes) et trois colporteurs. le nombre encore élevé de colporteurs révèlequ’une partie de ces familles vit encore très modestement. Seules deuxfamilles, celle de isaac Marx isidor, chapelier, et de son frère, lazard Marxisidor, négociant, ont à leur service un domestique, signe d’une certaineaisance.

une communauté qui décline en s’embourgeoisant

la communauté de Charmes atteint son apogée en 1852. Elle comptealors 124 fidèles. Elle décline dans les années qui suivent puisqu’elle necompte plus que 86 membres en 1860. Cet effectif se maintient jusqu’audébut des années 1890 (1873, 87 fidèles ; 1892, 86)25.

Doc. 7 : Évolution de la population juive à Charmes, entre 1808 et 1910.Source : Arch. dép. Vosges, 7 V 38.

201

24 Archives de la communauté juive de nancy, 352 Z 32 : recensement de la communauté de Charmes, vers1845.25 le nombre de juifs de Charmes est connu à partir des recensements réalisés chaque année pour la répar-tition entre les différentes communes de la circonscription rabbinique d’Épinal du paiement de l’indemni-té de logement du rabbin. Ces recensements se trouvent dans la série 7 v 38 aux Arch. dép. vosges. ils sontdisponibles de 1845 à 1905.

lES FAMillES JuivES dE CHARMES

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 201

Page 10: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

le déclin de cette communauté ne se retrouve pas dans les autres com-munautés juives vosgiennes. la plupart d’entre elles voit le nombre de leurfidèles s’accroître jusqu’à la fin du XiXe siècle.

Comme l’ensemble des juifs français, ceux de Charmes connaissentune ascension sociale remarquable dans la seconde moitié du XiXe siècle. lesrenseignements fournis par deux recensements effectués en 1896 le mettenten évidence. le premier a été réalisé pour la répartition entre les différentescommunes de la circonscription rabbinique d’Épinal du paiement de l’indem-nité de logement du rabbin. il ne fournit que la liste des noms et prénoms deschefs des famille juives de Charmes ainsi que le nombre de personnes de sexemasculin et féminin que compte chaque foyer. le second est le recensementgénéral de la population de Charmes, qui ne comporte aucune mention de lareligion des habitants. il donne en revanche, pour chaque personne, son nom,son prénom, son âge, sa profession et sa nationalité. le premier recensementdénombre 18 familles juives, soit au total 80 personnes. trois ménages juifsappartenant à la famille isidor, Clémence isidor (né en 1839) et son mariSimon lévy, Jules isidor et son épouse, Adèle Weil, octavie isidor et sa sœurAlinée, soit au total six personnes, ne figurent pas dans ce recensement maissont bien mentionnés dans le recensement général. leur absence dans lerecensement des familles juives peut s’expliquer de diverses raisons, peut-être une brouille avec la communauté.

les familles juives habitent essentiellement au centre de la ville : 7 laGrande Rue, 4 rue des Capucins, 3 rue du Pont, 2 rue du Four. Elles gardentcomme activité professionnelle très prédominante le commerce, mais plusaucun juif n’est colporteur. trois sont « marchands de chiffons », deux« voyageurs », un « courtier », un « négociant », un « agent d’affaires », un« marchand de chevaux », un « quincailler », une « chapelière ». deux âgéssont déclarés « sans profession », l’une « rentière ». un est ministre-officiant.Alexandre Blum est notaire. il a prêté serment le 3 décembre 1880 et exerceà Charmes jusque vers 189826. un autre juif a exercé une profession libérale àCharmes quelques années auparavant. il s’agit de Mathieu Weil, le petit-filsde lazare isidor, qui a été médecin dans les années 188027.

Signe de cette aisance nouvelle des familles juives de Charmes, 9 des21 familles emploient des domestiques. Julie Blum, « rentière », emploiedeux domestiques, Alfred lévy, « quincailler », trois domestiques. Cinq desdouze domestiques sont allemands, en fait très certainement alsaciens, signedes liens étroits gardés par les juifs de Charmes avec leur province d’origine.

202

26 Alexandre Blum figure dans l’Annuaire des Vosges jusqu’en 1898 (Annuaire des Vosges de 1898,Épinal, p. 228).27 Cf. les Annuaires des Vosges de 1882 à 1892.

GillES GRivEl

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 202

Page 11: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

l’ascension sociale est une des raisons principales des départs de Charmes.les jeunes quittent Charmes pour des villes plus grandes comme Épinal, nancyou Paris, où ils trouvent de meilleures opportunités professionnelles.

les juifs sont bien intégrés dans la ville. l’un d’entre eux fait généra-lement partie du conseil municipal. Ainsi, de 1878 à 1896, Jules isidor (né en1838), le fils d’isaac Marx isidor (né en 1805), le petit-fils de Joseph Marxisidor, est conseiller municipal28. un autre isidor avait été conseiller sous leSecond Empire29. Cependant, une certaine hostilité demeure à leur égard. lecommissaire de police de Charmes rapporte que les juifs « inspirent généra-lement de la défiance »30.

la synagogue, à la fin des années 1850, est en mauvais état. dans unelettre adressée au préfet, en novembre 185931, les responsables de la commu-nauté exposent ainsi la situation :

« les membres de la commission israélite de la synagogue de Charmes ontl’honneur de vous exposer que leur temple menaçant ruine, ils se sont adressésà M. Comandy [?], architecte et entrepreneur à Charmes, pour visiter le lieu ets’assurer s’il n’y a pas danger à laisser le bâtiment dans l’état où il se trouve.Celui-ci après avoir examiné en détail la maçonnerie, la charpente et la toiture,a jugé nécessaire et même urgent les travaux qui sont à faire pour consolider etembellir le bâtiment. d’après l’estimation de la dépense que nous avons l’hon-neur de vous soumettre, les frais de réfection se montent à une somme de6568,40 francs. la communauté israélite de Charmes se trouvant à peu prèssans ressources et ne pouvant qu’avec beaucoup de difficultés disposer d’unesomme de 4000 francs, nous venons vous supplier, M. le préfet, de bien vou-loir nous recommander au ministre des cultes pour compléter la somme de6568,40 francs, c’est-à-dire accorder une somme de 2500 francs. »

Ce premier projet n’aboutit pas. un second projet est élaboré en 1863.la communauté sollicite l’aide de la municipalité. le maire présente à la suitede cette demande ce rapport au conseil municipal du 13 mai 186332 :

« temple israéliteil me reste à vous soumettre une question dont vous puiserez la solution dansles sentiments d’équité, de justice distributive et de bienveillance générale quivous animent.la population juive de Charmes s’élève au chiffre de 70 individus.le temple à l’usage de son culte est dans un état de ruine, de dégradation, quicommande une immédiate réparation.

203

28 Arch. dép. vosges, 3 M 812, résultats des élections municipales.29 Arch. dép. vosges, 2 o 94/9, extrait des registres de délibération du conseil municipal de Charmes,13 mai 1863. nous n’avons pas retrouvé les listes des conseillers municipaux sous le Second Empire.Elles sont disparues dans l’incendie de l’hôtel de ville en 1944. 30Arch. dép. vosges, 8 M bis 8 (ancien classement), lettre du commissaire de police de Charmes au préfetdes vosges, 1875.31 Archives de la communauté juive de nancy, 352 Z 32, lettre de la commission israélite de la synagoguede Charmes, 21 novembre 1859.32 Arch. dép. vosges, 2 o 94/9, extrait des registres de délibération du conseil municipal de Charmes,13 mai 1863.

lES FAMillES JuivES dE CHARMES

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 203

Page 12: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

le budget de la communauté ne comporte qu’un actif disponible de 185francs.

le devis des travaux indispensables s’élève à 8000 francs. Pour couvrir cettedépense relativement considérable, la communauté devra faire un appel per-sonnel à chacun de ses membres dont, vous le savez, [si] quelques individua-lités sont dans une situation aisée, il n’en est pas de même de la masse de sapopulation.

il m’a donc paru, MM., que la caisse municipale devait venir en aide à uneœuvre de cette matière. Ce n’est pas en ce moment où la ville fait à l’églisecatholique des travaux qui s’élèvent à 50 000 francs qu’elle voudrait refuserune modeste subvention à ceux de ses habitants qui appartiennent à un cultedissident, tous ont droit à une égale protection, à jouir de la possibilité des’exercer, tous intéressent généralement la conscience, répondent à un besoinde haute utilité morale et religieuse et enfin la fortune communale doit profi-ter également à tous les membres de la communauté.

d’après ces considérations, je vous proposerais d’inscrire au budget de 1864 unesubvention de 2000 francs applicable à la restauration du temple israélite. […] »

le maire a été assez habile pour désamorcer toute critique éventuelle et« à la suite de ce rapport, le conseil municipal donne un assentiment unani-me33 aux 2000 francs proposés ».

Finalement, il est décidé de détruire la synagogue et de la reconstruire.Ses cinq propriétaires, à savoir daniel lazard (né en 1804), fils de Michellazard, Joseph Schill, dit Jull, et trois fils de Joseph Marx isidor, isaac (né en1805), lazare (1807-1893) et Goudchaux (1810-1879), font don au consistoi-re de nancy du terrain sur lequel elle se trouvait, et dont la valeur est de1000 francs. Cette donation s’effectue en juillet 186434. un an et demi plustard, le consistoire achète pour la somme de 1800 francs la maison voisine àAlfred Marchal et à son épouse35. Elle sera la maison du ministre-officiant.l’architecte de la ville de Charmes, Réveillez, dessine un plan de la nouvellesynagogue dont la réalisation se monte à 18 000 francs, la destruction del’ancien édifice coûtant 500 francs. la commune de Charmes accorde,comme elle l’avait promis, une subvention de 2000 francs et l’État un secoursde 3000 francs36. la construction de la nouvelle synagogue est achevée en1866. l’inventaire réalisé en 1906 lors de la séparation de l’État et des Églisesen donne une description assez précise :

204

33 Parmi les conseillers municipaux, se trouvait Auguste Barrès, le père de l’écrivain Maurice Barrès.34 la donation du terrain de la synagogue s’est effectué par un acte notarié du 29 juillet 1864 dressé parMe Camille Grandjean, de Charmes. Cet acte a disparu dans l’incendie de la ville de Charmes à l’automne1944. Son existence nous est connue par l’inventaire-index des Archives nationales, Dons et legs au titredu culte israélite (1831-1908), [sous-série F/19], p. 82, mais nous n’avons pas travaillé dans ce fonds d’ar-chives.35 Arch. dép. vosges, 2 o 94/9, copie du contrat de vente d’une maison de la rue du Four par Alfred Marchalet son épouse au consistoire israélite de la circonscription de nancy, 14 décembre 1865. 36 Archives de la communauté juive de nancy, 352 Z 32, lettre du consistoire central au consistoire denancy, 29 janvier 1866.

GillES GRivEl

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 204

Page 13: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

« la synagogue comprend 8 bancs dontquatre à droite et quatre à gauche à 4 pla-ces chacun, quatre appliques à cinq bran-ches, un lustre de milieu à quinze bou-gies, un autre petit lustre de six bougies,au milieu du temple, une enceinte d’unelongueur de 3 m environ, d’une largeurde 2 m, entourée d’une grille haute de1 m 50 environ, cette enceinte renfermantle tabernacle et un banc […] ; un four-neau en fonte, trois petits bancs ; une tri-bune pour dames pouvant contenir30 personnes environ, sur cette tribune,deux bancs ; un porte-flambeau ; unependule.le bâtiment a une longueur de 15 mètresenviron et une largeur de 10 mètres[…]. »37

Doc. 8 : Fragment d’une plaque de marbre setrouvant autrefois à la synagogue de Charmes

et sur laquelle étaient inscrits le début de chacun des 10 commandements. De haut en bas etde droite à gauche, on voit le début des 3e, 4e et 5e commandements : « Tu n’invoqueras pointle nom de l’Éternel ton Dieu en vain ; Souviens-toi du jour du Chabbat pour le sanctifier.Honore ton père et ta mère ». Bruyères, Musée Henri Mathieu.

d’après une lettre adressée par le président de la communauté deCharmes au ministre des Cultes en 1876, la synagogue est fréquentée « lesjours de fêtes » par les « israélites de Mirecourt et de vézelise, qui, n’ayant pasd’édifices religieux, viennent à Charmes pour assister aux offices. la popula-tion se réunissant alors au temple peut comprendre 160 à 175 personnes »38.

En 1876, il est nécessaire d’effectuer des travaux dans la maison conti-guë à la synagogue « qui sert de logement à l’officiant et contient une salled’école pour l’instruction religieuse des enfants de la communauté »39. Elle« tombe en ruine et le ministre-officiant ne peut plus l’habiter »40. le montantdes travaux qui sont réalisés sous la direction de l’architecte Gérardin s’élèveau total à 4605 francs41. la communauté paie 2700 francs. Elle a trouvé

205

37 Arch. dép. vosges, 8 v 60, inventaire de la synagogue de Charmes, 6 mars 1906.38 Archives du consistoire central israélite, lettre du président de la communauté juive de Charmes au minis-tre des Cultes, 17 septembre 1876. nous remercions M. Philippe landau, conservateur des archives duconsistoire, de nous avoir communiqué ce document.39 Arch. dép. vosges, 2 o 94/9, lettre du consistoire israélite de vesoul au préfet des vosges, 2 février 1877.40 Arch. dép. vosges, 2 o 94/9, lettre du président de la communauté de Charmes au ministre des Cultes,29 mai 1876.41 Arch. dép. vosges, 2 o 94/9, devis estimatif des dépenses à faire à la maison servant de logement auministre-officiant de la communauté israélite de Charmes et d’école pour les enfants, 2 décembre 1876.

lES FAMillES JuivES dE CHARMES

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 205

Page 14: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

500 francs en puisant dans ses économies et a recueilli 2000 francs grâce àune souscription42. l’État a accordé une subvention de 1900 francs43. « leconseil municipal [a] témoign[é] de son bon vouloir pour la communautéisraélite mais il [a] regret[té] que l’état des finances de la ville […] ne permet-te pas, quand à présent, d’accorder la moindre subvention »44.

le président de la communauté est, dans les années 1870, nathan (?)Berr ; dans les années 1880, un lévy ; au début des années 1890, un isidor45.

le ministre-officiant dans les années 1860 est léopold levy. il a unneveu, david lévy, orphelin de père et de mère, dont il a la charge. Ce der-nier est élève à l’école de travail de Strasbourg et obtient pour sa scolarité uneaide du consistoire de nancy46. En 1871, c’est un dreyfus qui assure les offi-ces47, de 1873 à 1879, un Singer48. d’après un extrait du budget49 de la com-munauté, joint à la demande de subvention pour les travaux à effectuer dansla maison contiguë à la synagogue, il toucherait un traitement annuel de1150 francs. il assure les fonctions de « ministre-officiant », c’est-à-dire qu’ilcélèbre les offices, mais il « est en même temps professeur d’hébreu et char-gé de l’instruction religieuse ». la communauté emploie aussi un bedeau,dont le traitement est de 200 francs. Elle dépense 320 francs pour « l’éclai-rage, l’entretien de l’édifice et les frais généraux ». le montant total desdépenses est de 1670 francs, alors que le montant total des recettes n’est quede 1020 francs (1040 francs proviennent des « cotisations » et des « loca-tions de places » à la synagogue, 180 francs des « dons des étrangers »). lebudget de la communauté connaît donc un déficit de 450 francs.

Singer a pour successeur léopold Meyer (né en 1859 à Brumath, enAlsace), qui a quitté l’Alsace alors allemande en 1876. il reste en fonction jus-qu’en 1898. il ne demande sa réintégration dans la nationalité française qu’en1887, mais il a cependant pu obtenir un secours, de 50 à 100 francs chaqueannée, de l’État de 1882 à 1895 pour compléter le traitement de 1100 francsque lui versait la communauté50. l’État, en effet, subventionnait depuis 1831le culte israélite mais il ne rémunérait pas tous les ministres-officiants.

206

42 Arch. dép. vosges, 2 o 94/9, extrait du registre des arrêtés du consistoire de vesoul, s. d.43 Arch. dép. vosges, 2 o 94/9, lettre du ministère de la Justice et des Cultes au préfet des vosges, 31 mars1877.44 Arch. dép. vosges, 2 o 94/9, extrait du registre de délibérations de la commune de Charmes, 8 mai 1876.45 Ces renseignements proviennent des Annuaires des Vosges qui n’indiquent pas le prénom des présidents.46 Archives de la communauté juive de nancy, 352 Z 32. 47 Dictionnaire des rabbins, op. cit., p. 263.48 Dictionnaire des rabbins, op. cit., p. 666.49 Arch. dép. vosges, 2 o 94/9, extrait du budget de la communauté israélite de Charmes, année 1876.50 Dictionnaire des rabbins, op. cit., p. 548-549.

GillES GRivEl

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 206

Page 15: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

La disparition de la communauté

la communauté, qui comptait 92 membres en 1892, n’en compte plusque 5551 en 1910. Ce déclin concerne aussi les autres communautés juivesvosgiennes, ainsi celle de lamarche, passe de 63 fidèles en 1893 à 46 en191052 ; Épinal faisant seule exception. Ce déclin est lié à l’ascension socialedes membres de ces communautés, qui partent s’établir à Épinal, nancy, Pariset, après la Première Guerre mondiale, à Strasbourg.

un bon exemple est donné par la famille Blum, une famille originairede Quatzenheim, un village situé à une quinzaine de kilomètres au nord-ouestde Strasbourg. Cette famille qui n’a pas de lien de parenté avec celle del’homme politique léon Blum, originaire de Westhoffen53, s’établit dans lesannées 1870 à Charmes et y exerce un rôle important. Elle est composée dela mère Julie (1824-1911), veuve, et de ses trois fils : Bernard Blum (né en1852), et Gustave Blum (1854-1917), marchands de « fers, fontes, aciers,quincaillerie et métaux » et banquiers ainsi qu’Alexandre Blum (1855-1930),notaire à Charmes entre 1880 et 1892.

Doc. 9 : Une facture de la maison Blum frères. Collection Daniel Manessier.

207

51 Arch. dép. vosges, 8 v 60, indemnité de logement au grand rabbin d’Épinal pour 1910, 7 mars 1910. lesindemnités de logement aux ministres du culte ont continué à être versées durant les cinq années qui ontsuivi la loi de séparation des Églises et de l’État. 52 Annuaire des Vosges 1893, p. 177 ; Annuaire des Vosges 1900, p. 189.53 Renseignement fourni par M. Jean-Camille Bloch, président de la Société d’histoire des israélitesd’Alsace et de lorraine.

lES FAMillES JuivES dE CHARMES

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 207

Page 16: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

Doc. 10 : Lettre avec le cachet de la banque Blum. Collection D. Manessier.

le fils de Bernard, Paul Alexandre54 (Charmes, 1878 – Strasbourg, 1933),devient docteur en médecine. il enseigne à la faculté de médecine deStrasbourg, à partir de 1922, la thérapeutique et puis en 1933, l’hydrologie.Son cousin Charles (Charmes, 1885 – new york, 1944), le fils du notaireAlexandre Blum, fait Polytechnique. il vivait déjà à Paris avec ses parentslorsqu’en 1904 il entre dans cette grande école. il s’associe aux frères latilpour concevoir des véhicules tout-terrain56.

la population juive en France s’accroît à la fin du XiXe siècle et audébut du XXe siècle avec l’arrivée d’immigrants venus de l’Empire russe oùils sont victimes de pogroms. il semble que seule une famille juive russes’établisse à Charmes. il s’agit de la famille Holstein, originaire de lituanie,qui arrive à Charmes dans les années 1890. le père Salomon (né en 1856) aun commerce de tissus. Son fils Bernard (Kaunas, 1890 – Auschwitz, 1943)devient chirurgien-dentiste. une fois ses études terminées, il ouvre un cabinetà Charmes57.

208

54 http://data.bnf.fr/11169413/paul_blum/ (uRl, 16 février 2015).55 Cf. sa fiche sur la base des anciens élèves de Polytechnique : https://biblialeph.polytechnique.fr/F/3tuEX45y5vtQM9JuM4MM292yd3HBiKtiQiSSdFlKB3Pn4FKSX6-39085?func=full-set-set&set_number=000598&set_entry=000008&format=999 (uRl, 16février 2015).56 http://www.avant-train-latil.com/histoire.php (uRl, 15 février 2015)57 Arch. dép. vosges, 6 M 635, recensement de la commune de Charmes, 1886.

GillES GRivEl

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 208

Page 17: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

L’affaire Dreyfus et ses répercussions à Charmes

la fin du XiXe siècle est marquée par l’affaire dreyfus. En 1894, lecapitaine dreyfus, un officier israélite de l’état-major, est condamné pour tra-hison au profit de l’Allemagne à la déportation à vie. Mais il apparaît que leprocès ne s’est pas déroulé avec toutes les garanties d’équité et que le vraicoupable est un autre officier, Estherhazy. les autorités militaires et le gou-vernement font tout pour empêcher une révision du procès. À la suite de l’ac-quittement par le conseil de guerre d’Estherhazy, le 10 janvier 1898, le jour-nal l’Aurore publie la fameuse lettre de l’écrivain Émile Zola qui dénonce lapartialité des juges et les intrigues ourdies contre la révision du procès.l’opinion se divise entre dreyfusards, partisans, au nom des droits de l’hom-me, de la révision du procès, et antidreyfusards, opposés, au nom de la défen-se de la nation et de l’Armée, à toute révision.

l’un des chefs de file des antidreyfusards est l’écrivain Maurice Barrès,originaire de Charmes. Proches de la frontière, les vosgiens dans leur majori-té considèrent avec un grand respect l’Armée et un fort courant nationaliste etantisémite se développe dans le département, comme dans tout l’est de laFrance. de nombreux incidents antisémites se produisent en janvier et février189858. À Charmes, le dimanche 6 février, des ouvriers crient devant le domi-cile des israélites « À bas les juifs ! À bas dreyfus ! ». À vincey, au sud deCharmes, une troupe de jeunes gens poursuit, en lui lançant des pierres, unagent d’affaires israélite de Charmes venu faire vendre le terrain d’un de sesdébiteurs59. Cette agitation nationaliste et antisémite entraîne un rapproche-ment d’une partie des républicains modérés du centre gauche avec les deuxgrands partis de gauche, le parti radical et le parti socialiste. ils constituent en1899 un gouvernement de défense républicaine. Cette coalition, le Bloc desGauches, qui est dominé par le parti radical, l’emporte aux législatives de1902.

À Charmes, l’un des chefs de file du parti radical est André Blum (1881-1954), le fils du banquier Bernard Blum. il est actif au sein de la section de laligue des droits de l’homme, dont il devient le vice-président60, et du comitéradical, dont il est le secrétaire adjoint61. Aux municipales de 1912, il est éluconseiller. Parmi les 23 conseillers, il arrive à la deuxième place pour le nom-bre de voix obtenues62. il est élu deuxième adjoint. l’administration le juge« intelligent, actif, jouissant d’une grande influence auprès de ses collègues »63.

209

58 Pierre BiRnBAuM, Le Moment antisémite, un tour de France en 1898, Paris, Hachette-Pluriel,1998, 350 p.59 Arch. dép. vosges, 8 M 8 (ancien classement), lettre du commissaire de police d’Épinal au préfet desvosges, 10 février 1898. 60 L’Avenir républicain, 5 janvier 1913. 61 L’Avenir républicain, 9 février 1913. André Blum est secrétaire adjoint du Parti radical à Charmes.62 Arch. dép. vosges, 3 M 812, liste des membres du conseil municipal, 12 mai 1912. 63 Arch. dép. vosges, 3 M 812, mutations survenues dans le personnel de la municipalité, décembre 1912.

lES FAMillES JuivES dE CHARMES

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 209

Page 18: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

Isaac Wurmser, le dernier ministre-officiant de la communauté

dans la seconde moitié des années 1890 et dans les années 1900, lacommunauté juive de Charmes a pour président désiré Mayer64 (né en 1838 àCharmes)65, un négociant demeurant rue du Four. À partir de 1899, le ministre-officiant est isaac Wurmser (thann, 1860 – Auschwitz, 1944). C’était leneveu du rabbin de thann, Moïse Wurmser (1830-1893). Avant de venir àCharmes, isaac Wurmser a été ministre-officiant à Balbronn, un village situéà 25 km à l’ouest de Strasbourg. lorsqu’il arrive, il est de nationalité alleman-de. le commissaire de police de Charmes écrit à ce sujet au sous-préfet deMirecourt66 :

« le choix que la communauté israélite de Charmes a fait pour son ministre-officiant de M. Wurmser de nationalité allemande ne me paraît pas heureux. Etdans les circonstances actuelles, il est de nature à faire craindre des critiques.

la ville accorde 100 francs d’indemnités et donne une corde de bois [soit2,9 stères] avec 25 fagots.

la presse réactionnaire ne manquera pas de se renseigner et de se livrer àtelles réflexions dont elle est coutumière, ayant le soin malicieux de faire inter-venir M. Eury [le maire de Charmes] et M. Blum.

Je me permets d’attirer votre attention sur ce point délicat et que je le tiensabsolument secret ici et confidentiel avec vous. »

isaac Wurmser demande sa réintégration dans la nationalité française etl’obtient par décret du 20 janvier 1900. il avait déjà quatre fils, david René(né en 1888), Arnaud (né en 1889), Marcel (né en 1893) et Gaston (né en1895) avant son arrivée à Charmes. dans cette ville, sa femme Rosalie Roos(née en 1859) lui donne un cinquième enfant, Jeanne (née en 1900)67.

le traitement annuel que lui verse la communauté se monte à900 francs. il est plus faible que celui accordé à son prédécesseur. le paie-ment de ce traitement est le principal poste des dépenses du budget de lacommunauté qui s’élevaient en 1899 à 1448 francs, contre 1427 francs derecettes68. isaac Wurmser reçoit de plus, de 1900 à 1905, chaque année,100 francs de secours de l’administration des Cultes. il se présente alorsvolontiers comme un homme engagé à gauche. il écrit en 1904 : « Je suis unferme républicain ministériel, membre de la ligue des droits de l’homme,membre de l’union démocratique, j’ai toujours manifesté ouvertement mes

210

64 Annuaire des Vosges 1896, p. 180 ; Annuaire des Vosges, p. 213.65 Arch. dép. vosges, 6 M 636, recensement de la commune de Charmes, 1911.66 Arch. dép. vosges, 7 v 22, lettre du commissaire de police de Charmes au sous-préfet de Mirecourt,23 avril 1899.67 Arch. dép. vosges, état civil de Charmes. Jeanne Wurmser s’est rendue au moins quatre fois en Argentineentre 1925 et 1932. Elle déclare comme profession celle d’artiste en 1925, 1927 et 1930 et celle de com-merçante en 1932 ; comme religion, israélite en 1925 et 1927, catholique en 1930 et 1932,(http://www.hebrewsurnames.com/WuRMSER1).

68 Arch. dép. vosges, 7 v 27, budget de la communauté juive de Charmes, 1899.

GillES GRivEl

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 210

Page 19: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

opinions républicaines. » En 1907, il signale au ministre chargé des Cultesque la mairie de Charmes lui a supprimé son allocation de bois de chauffage« parce que je suis blocard [c’est-à-dire partisan du Bloc des Gauches], doncmon opinion politique me coûte 60 francs par an ». voyant diminuer ses reve-nus, y compris ceux de l’abattage rituel, il prend, fin 1905, un commerce dechapellerie dans lequel il engloutit ses économies.

Au début de l’année 1910, il est nommé à la Ferté-sous-Jouarre, enSeine-et-Marne, puis en 1920 à Saint-Mihiel, dans la Meuse. C’est là qu’il estarrêté le 3 mars 1944. interné d’abord à Écrouves, il est transféré à drancy, le30 mars, puis déporté le 29 avril par le convoi n° 72 à Auschwitz, où il estassassiné69. il a été le dernier ministre-officiant de la communauté deCharmes. Son départ s’inscrit dans le cadre du départ des autres familles jui-ves de Charmes et des ministres-officiants de la plupart des villes vosgiennes.

Le déclin de la communauté entre les deux guerres

Après la Première Guerre mondiale, la famille Blum quitte aussiCharmes pour nancy70. la famille Holstein, c’est-à-dire le père Salomon, lamère Anna et le fils Bernard, chirurgien-dentiste, sont encore dans la ville aurecensement de 1921, mais plus à celui de 1926. le fils s’établit à Rouen.il y est arrêté le 15 janvier 1943 avec sa femme et sa fille denise (née en1927). tous les trois sont déportés à Auschwitz. Seule sa fille survivra71. Ellea témoigné de son expérience dramatique dans deux ouvrages72.

dans les années 1930, il ne semble rester à Charmes que deux famillesjuives, les familles dreyfus et lévy. Henry dreyfus est un marchand de bes-tiaux, né en 1876 à Rosières-aux-Salines en Meurthe-et-Moselle. il vit avecsa femme, Fernande lévy, née en 1885 à imling en Moselle, rue de la Gare ;ils n’ont pas d’enfant. la famille lévy est une famille établie à Charmesdepuis longtemps. le premier à avoir habité Charmes est léopold lévy, né en1823 à odratzheim, un village situé à environ 25 kilomètres à l’ouest deStrasbourg. il s’était marié en 1856 à Charmes avec Célestine Meyer (née en1831 à Charmes). le couple possédait une quincaillerie. leur fils Alfred lévy(Charmes, 1860 – Charmes, 1920), qui a repris le commerce familial, a épou-sé louise Aaron (1864-1922), la fille d’Albert Aaron (1838-1916), la petite-fille du boucher de toul, Moïse Abraham Aaron, et de Julie isidor (cf. infra).le fils d’Alfred, Robert lévy (né en 1886 à Charmes), a transféré en 1926 laquincaillerie de la Grande Rue, l’actuelle rue Maurice-Barrès, à la rue duFour. il a aménagé dans ce nouvel emplacement un magasin très moderne.

211

69 Dictionnaire des rabbins, op. cit. , p. 791-792.70 Renseignement fourni par M. daniel Manessier, ancien adjoint au maire de Charmes. 71 Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/denise_Holstein (uRl, 17 février 2015).72 denise HolStEin, Je ne vous oublierai jamais, mes enfants d’Auschwitz, Paris, éditions 1, 1995 et LeManuscrit de Cayeux-sur-Mer, juillet août 1945, Rouen - Drancy - Louveciennes - Birkenau - Bergen-Belsen, éditions le Manuscrit, 2008.

lES FAMillES JuivES dE CHARMES

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 211

Page 20: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

Doc. 11 : Facture de la maison Lévy, « Au bon marché ». Collection Daniel Manessier.

La Seconde Guerre mondiale

En septembre 1939, c’est la guerre. les Alsaciens-Mosellans habitantà proximité de la frontière allemande, en particulier les Strasbourgeois, doi-vent quitter leur domicile sur l’ordre des autorités militaires par crainte d’uneattaque ennemie. Parmi eux se trouvent un assez grand nombre de juifs. Cesréfugiés sont dirigés vers le centre et le sud-ouest de la France, mais certainss’établissent dans les vosges. il ne semble pas que Charmes en ait reçu beau-coup, à la différence d’autres communes vosgiennes, comme Gérardmer,Bruyères ou Rambervillers, qui ont vu leur population juive s’accroîtrefortement.

En mai-juin 1940, la France est envahie par l’armée allemande. lapopulation civile fuit devant l’envahisseur. le marchand de bestiaux Henridreyfus, qui fait partie de cet exode, trouve la mort à Champlitte en Haute-Saône, tué par un obus73. Après la défaite, la France signe un armistice le22 juin 1940. le 10 juillet de la même année, la troisième République estremplacée par l’État français du maréchal Pétain. Ce dernier adopte des mesu-res antisémites en octobre 1940 avec le statut des Juifs, qui obligent ceux-cià se faire recenser, les excluent de la plupart des professions et les privent deleurs biens.

les propriétés appartenant aux juifs de Charmes sont confisquées.C’est le cas des biens des familles dreyfus et lévy. C’est le cas à Rugney,commune proche de Charmes, de la ferme de Xugney74. Elle avait été achetéele 27 avril 1940 par une société possédée par deux marchands de chevaux

212

73 Jean-Camille BloCH, Juifs des Vosges (1940-1944), 1200 martyrs presque oubliés, Barr, chez l’auteur,

2007, p. 285.

GillES GRivEl

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 212

Page 21: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

juifs d’Épinal, André netter et Pierre Picard. C’est une ferme dont la superfi-cie est de 141 hectares. « toutes les constructions sont d’une date trèsancienne et certaines ne peuvent même plus servir à l’exploitation. [...] Aumilieu des bâtiments, à la meilleure place, se trouve une bâtisse dont la cons-truction remonte au Xiie siècle et qui constitue une chapelle classéeMonument historique. » l’administrateur provisoire propose de vendre laferme en indivision à René didierjean75, marchand de bois, président de laFédération nationale du bois, et à André Hanus, directeur des brasseries deCharmes, mais ce dernier se retire de la vente. René didierjean et son épou-se, Augusta Abraham, « tous deux cent pour cent aryens ainsi qu’ils le décla-rent expressément », l’achètent seuls. le contrat de vente est passé devantMe lamielle, notaire à Charmes, le 3 janvier 1942.

À partir de 1942, les Juifs sont arrêtés et déportés à Auschwitz, où ilssont assassinés. Robert lévy est déporté à Auschwitz par le convoi n° 06 audépart de Pithiviers le 17 juillet 194276. la femme d’Henry dreyfus, Fernandelévy77, est arrêtée à son domicile à Charmes en mars 1944. Elle est internéele 15 mars 1944 à Écrouves, près de toul, transférée à drancy le 30 mars1944, et, de là, déportée le 13 avril 1944 à Auschwitz par le convoi n°71, oùelle est gazée.

Après la guerre, la veuve de Robert lévy et son fils (né en 1939), quiont survécu, récupèrent leurs biens, mais ne reviennent pas à Charmes. Enrevanche, la sœur de Robert lévy, Gabrielle (1889-1976), qui avait quittéCharmes dans les années 1920 et dont le mari était mort en déportation, yretourne pour ouvrir un magasin. Sa disparition marque la fin définitive de laprésence des familles juives à Charmes, une présence qui remontait à la findu Xviiie siècle.

Conclusion

la communauté juive de Charmes présente des traits communs avec lesautres communautés juives du département des vosges. Elle est formée d’im-migrés venus de Moselle et d’Alsace. Elle s’épanouit au cours du XiXe siècle.À son apogée, elle compte plus d’une centaine de fidèles. Elle possède unesynagogue et salarie un ministre-officiant. Ses membres exercent leur activi-té professionnelle dans le secteur commercial. Au départ, ils sont majoritaire-ment des colporteurs. Ensuite, ils s’enrichissent et deviennent des commer-

213

74 Arch. nat., A J 38/5/100, dossier 382, SARl Picard & netter. nous remercions Alexandre laumond, denous avoir communiqué ces informations. 75 René didierjean (1887-1954) a été maire de Charmes de 1947 à 1954.

lES FAMillES JuivES dE CHARMES

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 213

Page 22: Les débuts de la communauté juive - genealoj.org · En 1477, les juifs sont ainsi expulsés du duché de lorraine. Cette expulsion s’inscrit dans un mouvement général d’expulsion

çants à demeure, actifs particulièrement dans le commerce des bestiaux et desproduits textiles. ils réussissent à se faire accepter par la population, malgrél’existence d’un antisémitisme, qui devient virulent durant l’affaire dreyfus.une preuve de cette intégration est leur entrée au conseil municipal. À la findu XiXe siècle, leur ascension sociale se poursuit avec l’accès de leurs enfantsaux professions libérales (exemple à Charmes, médecin ou notaire). Cetteascension est la cause de leur départ vers de plus grandes villes où les oppor-tunités professionnelles sont plus grandes. les communautés juives disparais-sent des petites villes vosgiennes dans la première moitié du XXe siècle. lacommunauté de Charmes présente l’originalité d’avoir été, jusque sous lamonarchie de Juillet, la plus importante du département et d’avoir connu undéclin plus précoce que les autres, dès le Second Empire.

Nous voudrions remercier Mme Françoise Job, docteur en histoire,M. Philippe Landau, conservateur des archives du consistoire israélite deFrance, M. Jean-Camille Bloch, président de la Société d’histoire desisraélites d’Alsace et de Lorraine, M. Daniel Manessier, ancien adjoint aumaire de Charmes, et M. Alexandre Laumond, pour leur aide précieuse.

214 GillES GRivEl

JEV Charmes ok:Le thillot 17/09/2015 11:31 Page 214