Les contrats et l'internet en droit suisse

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Frédéric Borel, décembre 2010 Les contrats et l‘Internet

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Frédéric Borel, décembre 2010

Les contrats et l‘Internet

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Le contrat est parfait lorsque les parties ont, réciproquement et d’une manière concordante, manifesté leur volonté.

La manifestation de volonté électronique implique toujours l’existence d’une volonté humaine antérieure.

Le simple fait de programmer une application initiant une offre est suffisant pour qu’il s’agisse d’une manifestation de volonté. La transmission même entièrement informatisée d’un message concrétise une intention de contracter antérieure.

Formation du contrat en ligne

Art. 1er CO

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State Farm Mutual Automobile Insurance Company, Corp. v. Bockhorst, 453 F.2d 533 (10th Cir. 1972) L'assuré s'est vu suspendre sa couverture, n'ayant pas

payé les primes. Impliqué ensuite dans un accident, il paye la totalité de l'arriéré, de manière à réactiver avec effet rétroactif sa couverture. Simultanément, il déclare le sinistre. Le système informatique de l'assurance réactive la couverture avant que le service sinistres ne saisisse le dossier. L'assuré est informé que la couverture rétroactive lui est acquise. Le service des sinistres, qui aurait pu ne pas intervenir, est lié par la déclaration électronique automatique de réactivation de la couverture.

Le système informatique est donc mis sur le même pied qu'un employé.

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Art. 7 CO 2 L’envoi de tarifs, de prix

courants, etc., ne constitue pas une offre de

contracter.

3 Le fait d’exposer des marchandises, avec indication du

prix, est tenudans la règle pour une offre.

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Art. 7 al. 2 COEnvoi d'une offre par

courrier électronique.Publicité de masse

(cf. ci-dessous).

Art. 7 al. 3 COApplicable si le texte

d'une offre est affiché à l'écran d'un site Internet commercial ? Non, selon la doctrine majoritaire (pour éviter que le vendeur ne perde la maîtrise de son stock, de sa clientèle, de la solvabilité des clients). On applique donc 7 al. 2 CO.

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Publicité de masseArt. 3 let. o LCD (en vigueur depuis le 1er

avril 2007) : agit de façon déloyale celui qui, notamment : envoie ou fait envoyer, par voie de télécommunication, de la publicité de masse n’ayant aucun lien direct avec une information demandée et omet de requérir préalablement le consentement des clients, de mentionner correctement l’émetteur ou de les informer de leur droit à s’y opposer gratuitement et facilement (…)

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(suite) celui qui a obtenu les coordonnées de ses clients lors de la vente de marchandises, d’oeuvres ou de prestations et leur a indiqué qu’ils pouvaient s’opposer à l’envoi de publicité de masse par voie de télécommunication n’agit pas de façon déloyale s’il leur adresse une telle publicité sans leur consentement, pour autant que cette publicité concerne des marchandises, oeuvres et prestations propres analogues.

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Conclusion du contrat par l’acceptation de l’offre

L’acceptation : pas de problème de droit matériel particulier.

Il s’agit plutôt de la question de savoir comment s’assurer de pouvoir apporter la preuve de l’assentiment de son cocontractant aux termes du contrat.

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Le moment de la formation du contrat

Contrats entre présents (art. 4 CO)

ou entre absents (art. 5 CO)?

Un contrat conclu sur Internet (par l’échange de courriers électroniques ou par appui sur une touche lors de l’affichage d’une page web) suit la réglementation prévue pour les contrats entre absents.

Pourquoi ?

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Parce que la transmission des données incorporant les manifestations de volonté n’intervient pas nécessairement sans délai, au contraire du téléphone où un dialogue direct reste toujours possible. Cela sous réserve de situations particulières (p. ex. chat rooms).

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Dès lors, en vertu de la théorie de la réception qui s’applique aux contrats entre absents, le contrat est conclu au moment et au lieu où l’acceptation parvient dans la sphère de puissance de l’offrant, c’est-à-dire qu’il peut raisonnablement en prendre connaissance, par exemple lors du dépôt dans une boîte aux lettres.

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Droit de révocation des art. 40a ss. CO

Ces articles ne sont pas applicables sur Internet – y compris dans le cas de courriers électroniques non sollicités : leur application est en effet limitée aux contrats conclus entre présents.

La loi fédérale sur le commerce électronique n’a jamais vu le jour (projet de 2001 abandonné en 2005).

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Capacité de contracterLa majorité civile en droit suisse est fixée à 18 ans (art. 14 CC).

De nombreux mineurs sont donc susceptibles d’intervenir comme parties à des contrats passés par Internet.

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Ces contrats ne peuvent sans autres être remis en cause en application de la jurisprudence considérant que celui qui était négligeant au point de laisser libre accès à un livret d’épargne permettant de se légitimer auprès de l’établissement bancaire devait se laisser imputer les conséquences d’une utilisation indue du livret par des tiers, donc aussi par des mineurs (ATF 111 II 263).

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Forme du contratSi aucune forme particulière n’est

exigée, le contrat peut se conclure de manière électronique (p. ex. par courriels). Cela n’est pas possible si le contrat doit respecter une forme particulière (soit de par la loi soit de par la volonté des parties, soit dans des conditions générales).

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Il est possible en Suisse depuis le 1er janvier 2005 de satisfaire à l’exigence de forme écrite grâce à la signature électronique (art. 14 al. 2 CO). Malgré la signature électronique, la signature électronique de certains contrats (cautionnements, voir crédits à la consommation) reste exclue.

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Question particulière : incorporation de conditions générales dans le contrat

On sait qu’elles ne sont opposables que si elles ont été incorporées dans le contrat. L’incorporation découle du consentement des parties à l’applicabilité des CG.

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N’est donc pas décisive la question de savoir si le texte a été lu ou si chaque partie en a véritablement pris connaissance.

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(cf. art. 8 LCD : CG abusives si de nature à provoquer une erreur et dérogent notablement au régime légal ou prévoient une répartition des droits et obligations qui s’écarte notablement de celle qui découle de la nature du contrat).

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1) Comme exigence minimale sur Internet, il doit être possible de télécharger rapidement le texte des conditions générales et de le conserver durablement soit après l’avoir imprimé, soit après l’avoir enregistré. Le renvoi à un autre site, par exemple par lien hypertexte, n’est valable que s’il est effectif et bref. La seule indication « veuillez lire les conditions générales » ne suffit pas. Tout cela surtout en matière de contrats conclus avec des consommateurs.

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2) Ces principes paraissent s’appliquer de manière analogue en Suisse, dans l’UE, et aux U.S.A.

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Exemple : arrêt rendu en 2002 par la cour d’appel fédérale américaine du 2è circuit (New York), 306 F.3d 17 (Sotomayor, J.), Specht v. Netscape

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Netscape met à disposition sur sa page Internet des logiciels qui peuvent être téléchargés gratuitement. Le téléchargement se fait par un clic de souris sur le bouton « download ».

Au-dessous de ce bouton se trouvent des conditions générales et notamment un contrat de licence qui contient une clause d’arbitrage.

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Ces conditions générales ne sont pas visibles sur l’écran qui contient le bouton à cliquer, il faut descendre plus bas avec la souris pour les trouver.

Elles ne lient pas l’acquéreur. L’acte de télécharger le logiciel n’implique pas une manifestation de volonté sans ambiguïté d’accepter les conditions générales.

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3) Pour être lié par des conditions générales, il n’est pourtant nullement besoin de cliquer sur un bouton de type « j’accepte ». Il suffit qu’il soit démontré que ces conditions générales étaient accessibles et aisément lisibles et imprimables ou enregistrables (Register.com, Inc. v. Verio, Inc., 356 F.3d 393 (2d Cir. 2004)).

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L’inclusion dans le contrat d’une responsabilité pour les Consequential damages : la règle de la jurisprudence Hadley v. Baxendale (1854).

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Les ventes aux enchères en ligneIllustration par

une décision allemande : l’affaire Ricardo.de jugée en seconde instance le 14 décembre 2000 par l’Oberlandesgericht de Hamm (D).

Le Tribunal a jugé que la mise à disposition des objets qui devaient être vendus sur le site Internet de vente aux enchères privées de Ricardo.de contenait tous les éléments d’une offre au sens du §145 BGB.

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Le Tribunal relève que cette manifestation de volonté est très clairement dirigée et destinée à la conclusion d’un contrat.

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En outre, cette déclaration de volonté contient déjà tous les éléments essentiels du contrat qui, s’ils ne sont pas entièrement définis, sont du moins déterminables ; il en va ainsi du prix et du partenaire contractuel (s’agissant du dernier enchérisseur dans le laps de temps autorisé).

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Enfin, il ne s’agit pas d’une dette de jeu, l’élément de pur hasard faisant défaut, de sorte que la dette doit être acquittée et peut être réclamée en justice.

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Droit international privéLes contrats conclus sur Internet le sont

souvent entre personnes dont les sièges ou domiciles se situent dans des juridictions différentes. De ce fait, les questions du Tribunal compétent et du droit applicable à un tel contrat se posent logiquement.

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(Sachant qu’Internet est dans son essence libéré des frontières nationales, ce n’est pas le moyen de communication qui crée l’internationalité mais la localisation des participants et/ou la localisation des prestations des parties).

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Si le droit applicable est celui d’un des états de l’Union Européenne :Se souvenir que principalement 4

directives sont susceptibles de s’appliquer en matière de contrats conclus par Internet. L’Allemagne p.ex. a déjà intégré ces 4 directives à son droit national. Ces directives comprennent des dispositions impératives relatives à la protection des consommateurs.

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Les 4 directives :

Directive 1997/7/CE se rapportant à la protection des consommateurs en cas de conclusion de contrats de vente à distance,

Directive 1999/44/CE concernant certains aspects de la vente de biens de consommation et les garanties liées aux biens de consommation,

Directive 1999/93/CE sur un cadre communautaire pour les signatures électroniques,

Directive 2000/31/CE relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur.

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En particulier, la Directive sur la vente à distance prévoit un droit de révocation en faveur des consommateurs d’au moins 7 jours ouvrables.

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La Directive sur le commerce électronique part de l’hypothèse qu’un contrat est conclu avec un consommateur et commence à déployer ses effets lorsque le client reçoit du vendeur, par voie électronique, une confirmation de réception de sa commande.

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Dite directive relative au commerce électronique prévoit l’obligation pour le vendeur de divulguer son identité, d’informer le client des diverses étapes de saisie menant à la conclusion du contrat, des moyens disponibles pour corriger les erreurs de saisie, de la possibilité d’enregistrer et de disposer du texte du contrat.

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Le devoir d’information du vendeur va encore plus loin lorsqu’il s’agit de contrat conclus avec des consommateurs. Le vendeur en ligne doit rendre les informations suivantes accessibles au consommateur :

Caractéristiques déterminantes de la marchandise ou de la prestation de service, prix final (TVA incluse), frais d’expédition ou de livraison, conditions spéciales (p. ex. durée de validité des offres limitées dans le temps), durée minimale du contrat, conditions de paiement et de livraison, existence du droit de révocation et de renvoi.

Frédéric Borel, décembre 2010

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Pour les contrats conclus avec les consommateurs, une violation de ces devoirs d’information a pour conséquence que le délai de révocation ne prend fin que 6 mois après la livraison des marchandises.

Si l’information relative au droit de révocation manque, il n’y a pas de délai du tout et le consommateur peut en tout temps résilier le contrat.

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La Suisse ne connaît donc pas de telles dispositions en faveur des consommateurs.

Si des clients sont visés dans l’Union européenne et si des marchandises sont vendues par Internet depuis la Suisse à des consommateurs dans l’UE, c’est le droit applicable au domicile qui s’applique, donc le droit de l’UE.

Pour les vendeurs en ligne suisses, il est donc recommandé de respecter les devoirs d’information précités.

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Droit applicableSi les parties au contrat parviennent à

se mettre d’accord sur le choix d’un droit national, ce dernier s’applique (cf. art. 116 LDIP).

Le choix du droit applicable est restreint, voir exclu, pour les contrats internationaux conclus avec des consommateurs (cf. art. 120 LDIP).

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Si aucun droit applicable n’a été choisi, ce droit doit être déterminé conformément au DIP. En règle générale, s’appliquera le droit avec lequel le contrat entretient le lien le plus étroit (cf. art. 117 al. 1 LDIP). On présume que le lien le plus étroit existe avec celui des états dans lequel est domicilié la partie tenue de fournir la prestation typique du contrat (cf. art. 117 al. 2 LDIP).

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Pour les contrats conclus avec des consommateurs, c’est en général le droit où le consommateur séjourne habituellement qui s’applique (cf. art. 120 LDIP).

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Art. 120 LDIPNe s’applique que lorsqu’on se trouve dans une

des 3 alternatives prévues par l’al. 1er : le fournisseur a reçu la commande dans l’Etat de résidence habituelle du consommateur (lit. a), la conclusion du contrat a été précédée dans cet Etat d’une offre ou d’une publicité et le consommateur y a accompli les actes nécessaires à la conclusion du contrat (lit. b) ou le consommateur a été incité par son fournisseur à se rendre dans un Etat étranger aux fins d’y passer la commande (lit. c).

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Les exigences posées par les lettres a et c ne sont pratiquement jamais remplies, au contraire de la lettre b.

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Art. 120 al. 1er lit. b LDIPPour admettre l’application de cette lettre, 2

conditions doivent être remplies :

1) le commerçant a un comportement actif. L’initiative du contrat, par le biais d’une offre ou d’une simple publicité, doit venir du commerçant. En revanche, lorsque le consommateur surfe sur Internet et contracte avec un commerçant étranger, on doit considérer qu’il se déplace vers le site du commerçant, comme une personne qui se rend à l’étranger pour contracter. Le consommateur est actif. L’art. 120 LDIP n’est pas applicable.

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2) Le consommateur doit accomplir dans l’Etat de sa résidence habituelle les actes nécessaires à la conclusion du contrat. Cette condition est en principe remplie, puisque le consommateur se connecte généralement à Internet depuis son domicile ou depuis son lieu de travail.

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Tribunal compétent en cas de contrats internationaux

La Convention de Lugano est déterminante pour les contrats conclus entre l’UE et la Suisse (art 5 CL).

Par exemple, la CL prévoit que les consommateurs doivent en principe être recherchés à leur lieu de domicile et que les consommateurs ne peuvent à l’avance renoncer à ce droit (p.ex. dans le cadre de conditions générales) (cf. art. 14 CL).