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1 LES CONFLITS ENTRE ASSOCIES DANS LES SOCIETES A RESPONSABILITE LIMITEE Michel FORGES, avocat au barreau de Bruxelles (associé FABER INTER) spécialiste en droit des saisies et des sûretés chargé d'enseignement à l'Université de Mons et à l’EPHEC juge suppléant au Tribunal de commerce de Bruxelles médiateur civil et commercial agréé

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LES CONFLITS ENTRE ASSOCIES DANS LES SOCIETES A RESPONSABILITE LIMITEE Michel FORGES, avocat au barreau de Bruxelles (associé FABER INTER) spécialiste en droit des saisies et des sûretés chargé d'enseignement à l'Université de Mons et à l’EPHEC juge suppléant au Tribunal de commerce de Bruxelles médiateur civil et commercial agréé

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INTRODUCTION Les conflits entre associés peuvent être abordés d’une manière générale, en-dehors de toute difficulté de la société concernée ; on peut alors examiner notamment : - les mesures préventives, à adopter dès l’élaboration des statuts ; - l’intervention d’un administrateur provisoire ou d’un « mandataire de justice »; - la possibilité de recourir à la médiation et de faire intervenir un « médiateur judiciaire » ou un « médiateur amiable » ; - les solutions dites « alternatives » en cas de conflits dans les organes de gestion (cession forcée de titres, dissolution judiciaire, …). Les conflits entre associés peuvent également être abordés dans les aspects qui les lient aux entreprises en difficulté et, spécialement, dans le cadre de la procédure de réorganisation judiciaire. I. REFLEXIONS INTRODUCTIVES 1. Pour des « systèmes d’alerte » efficaces : rôle du ministère public et des tiers Les difficultés rencontrées par les entreprises, telles qu’elles peuvent donner lieu à des réorganisations judiciaires, à des liquidations ou à des faillites, intéressent la société civile toute entière : 9.515 faillites ont été déclarées en Belgique en 2009 ; au 24 décembre 2009, 594 entreprises avaient entamé une procédure de réorganisation judiciaire, alors que 78 concordats judiciaires seulement avaient été relevés en 2008 (BOMBAERTS J.P., L’Echo, 2 janvier 2010). En 2010, 9.953 faillites ont été enregistrées, ce qui représente une augmentation de 4,6% ; selon les chiffres publiés par L’Echo, 1 entreprise sur 101 aurait fait faillite en Flandre, en 2010, en Wallonie, 1 sur 88, et à Bruxelles, 1 sur 65... Ceci représenterait 24.122 licenciements. Dans le même temps, il faut relever que le nombre de sociétés actives dépasse le million (1.000.931 selon l’Echo, qui cite GRAYDON, soit 17.421 entités

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supplémentaires par rapport à 2009, le nombre de sociétés créées en 2009 étant supérieur à 70.000). 2. Pour un nécessaire rapprochement des professions du droit et du chiffre, dans le cadre de l’assistance aux entreprises en difficulté L’avocat et le juge sont souvent mal outillés pour établir un diagnostic correct quant à la santé d’une entreprise et quant aux mesures à prendre. Les professionnels du chiffre sont mieux outillés pour percevoir l’enjeu d’une opposition entre associés. L’article 58 de la loi du 17 juillet 1997, qui a mis sur pied le mécanisme du « commissaire délateur » a pris en considération le rôle d’impulsion que les professionnels du chiffre devaient adopter au sein de l’entreprise. Cette disposition a été reprise par les articles 137 et 138 CDS : Art. 137 § 1er Les commissaires peuvent, à tout moment, prendre connaissance, sans déplacement, des livres, de la correspondance, des procès-verbaux et généralement de tous les documents et de toutes les écritures de la société. Ils peuvent requérir de l'organe de gestion, des agents et des préposés de la société toutes les explications ou informations et procéder à toutes les vérifications qui leur paraissent nécessaires. Ils peuvent requérir de l'organe de gestion d'être mis en possession, au siège de la société, d'informations relatives aux sociétés liées ou aux autres sociétés avec lesquelles il existe un lien de participation, dans la mesure où ces informations leur paraissent nécessaires pour contrôler la situation financière de la société. Ils peuvent requérir de l'organe de gestion qu'il demande à des tiers la confirmation du montant de leurs créances, dettes et autres relations avec la société contrôlée. § 2 Les pouvoirs visés au § 1er peuvent être exercés par les commissaires conjointement ou individuellement. Si plusieurs commissaires ont été nommés, ils forment un collège. Ils peuvent se répartir entre eux les charges du contrôle de la société. Il leur est remis chaque semestre au moins par l'organe de gestion un état comptable établi selon le schéma du bilan et du compte de résultats.

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Art. 138 Les commissaires qui constatent, au cours de leurs contrôles, des faits graves et concordants susceptibles de compromettre la continuité de l'entreprise, en informent l'organe de gestion par écrit et de manière circonstanciée. Dans ce cas, l'organe de gestion doit délibérer sur les mesures qui devraient être prises pour assurer la continuité de l'entreprise pendant un délai raisonnable. Les commissaires peuvent renoncer à l'information visée au premier alinéa, lorsqu'ils constatent que l'organe de gestion a déjà délibéré sur les mesures qui devraient être prises. Si dans un délai d'un mois à dater de la communication de l'information visée au premier alinéa, les commissaires n'ont pas été informés de la délibération de l'organe de gestion sur les mesures prises ou envisagées pour assurer la continuité de l'entreprise pendant un délai raisonnable, ou s'ils estiment que ces mesures ne sont pas susceptibles d'assurer la continuité de l'entreprise pendant un délai raisonnable, ils peuvent communiquer leurs constatations au président du tribunal de commerce. Dans ce cas, l'article 458 du Code pénal n'est pas applicable. Au cas où il n'est pas nommé de commissaire, lorsque des faits graves et concordants sont susceptibles de compromettre la continuité de l'entreprise, l'organe de gestion est également tenu de délibérer sur les mesures qui devraient être prises pour assurer la continuité de l'entreprise pendant un délai raisonnable. 3. Les mécanismes d’assistance aux entreprises en difficulté : quid des conflits entre associés ? Une forte demande semble exister pour la mise sur pied ou l’amélioration de centres d’assistance aux entreprises en difficulté, qui combinent la connaissance du droit de l’entreprise et celle des particuliers non-commerçants (on songe à la problématique des cautions, et à la difficile articulation du droit des entreprises en difficulté et de mécanismes propres aux non-commerçants, comme le règlement collectif de dettes). Il serait souhaitable que ces centres d’assistance puissent également intervenir en cas de conflits entre associés. 4. Le rôle du législateur dans le « malaise de la Justice » : une loi qui promet, mais qui prend en réalité le citoyen en otage Le « malaise de la Justice » et l’absence de « légitime confiance » dans le rôle des avocats tiennent pour une part non négligeable au développement non contrôlé de

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législations de circonstance, purement politiques ou « électoralistes » : cela fait trop longtemps que le législateur crée des lois sans encourir de responsabilité particulière, lorsqu’il apparaît que leur mise en œuvre est impossible ou non souhaitée, au point que les espoirs qu’elles génèrent chez les citoyens ne peuvent qu’être déçus. Nous citerons notamment, non sans nuancer le propos : la loi sur la réorganisation judiciaire ou la loi sur la SPRL « STARTER ». II. LES TECHNIQUES PREVENTIVES QUI PERMETTENT D’EVITER LES CONFLITS DANS LES ORGANES DE GESTION OU ENTRE ASSOCIES : REFLEXION PREALABLE SUR LES VALEURS A PRESERVER ET SUR LES MESURES SUSCEPTIBLES D’ETRE PRISES Les conflits qui peuvent opposer les organes de gestion ou les associés ne naissent pas que dans les entreprises en difficulté. Inversement, une entreprise peut voir sa continuité menacée en raison de l’existence de conflits internes. Nous recommandons la lecture de l’ouvrage suivant, qui est paru en 2010 et qui met en lumière cette problématique, en insistant sur la prévention : CAPRASSE O. et AYDOGDU R., Les conflits entre actionnaires, prévention et résolution, Larcier, 2010. 1. Nécessité de déterminer une clé de lecture des conflits au sein des sociétés Selon CAPRASSE et AYDOGDU, trois principes dominent la problématique des conflits au sein des sociétés : - le respect de l’intérêt social ; - l’autonomie de la société et de ses associés ; - la nécessaire proportionnalité de la solution au conflit.

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Le respect de l’intérêt social, l’autonomie de la société et de ses associés et la proportionnalité de la solution apportée au conflit commandent une hiérarchisation des modes de prévention et de résolution des conflits. 2. La prévention des blocages CAPRASSE et AYDOGDU renseignent notamment les techniques suivantes (op. cit., p. 29 et suiv. et réf. cit.) : - la collégialité de l’organe de décision ; - la composition impaire ; - la technique de la voix prépondérante ; - le renvoi entre organes ; - le mandat irrévocable ; - l’ « action charnière » (wipaandeel) ; - la tierce décision obligatoire. Adde : recommandations du Code Buysse en matière de prévention des conflits d’actionnaires 3. La prévention des abus On peut songer aux techniques suivantes : - la limitation du pouvoir votal dans les SPRL et les SA ; - les aménagements statutaires du droit de vote dans les SCRL. - le renforcement des majorités spéciales ; - la représentation des minoritaires dans les organes de gestion ; - les aménagements du mode de délibération.

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III. L’INTERVENTION D’UN ADMINISTRATEUR PROVISOIRE OU D’UN MANDATAIRE DE JUSTICE 1. Généralités – notion d’administrateur provisoire 1.1. Notion En droit des sociétés, on entend généralement par « administrateur provisoire » « le mandataire qui est appelé à intervenir dans la gestion d’une société, soit pour se substituer purement et simplement aux organes de gestion, soit pour exercer une mission spécifique » (POTTIER E. et DE ROECK M., L'administration provisoire : bilan et perspectives, RDC, 1997, p. 205). L’expression est parfois abusivement utilisée pour désigner un mandataire qui est désigné par le tribunal et dont la mission n’implique aucune gestion véritable (assister à une réunion du conseil d’administration, présider une assemblée générale, tenter de concilier les parties, …) : dans ce cas, il est plus adéquat de parler de « mandataire de justice » ou de « mandataire ad hoc ». Les études suivantes peuvent notamment être consultées sur le sujet : - CAPRASSE O. et AYDOGDU R., Les conflits entre actionnaires, prévention et résolution, Larcier, 2010, p. 239 et suiv. ; - DE CORDT Y. et de POTTER C., L’intervention du juge des référés dans les sociétés commerciales, in Le tribunal de commerce, procédures particulières et recherche d’efficacité, Jeune Barreau de Bruxelles, 2006, p. 311 et suiv. et spéc. p. 368 et suiv. - RENARD J.P. et WATILLON S., L’administration provisoire de sociétés, la désignation de mandataires ad hoc, in Les conflits au sein des sociétés commerciales ou à forme commerciale, Jeune Barreau de Bruxelles, 2004, p. 255 et suiv. - ZENNER A. et ALTER C., La responsabilité des mandataires de justice d’entreprise, in Les responsabilités d’entreprise, Jeune Barreau, Bruylant, 2007 - POTTIER E. et DE ROECK M., L'administration provisoire : bilan et perspectives, RDC, 1997, p. 205.

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On peut également consulter : - HORSMANS G., Le juge des référés, RPS, 1963, n°5470, p. 54 et suiv. - COLLE Ph., De voorlopige bewindvoerder in de onderneming in moeilijkheden : recente ontwikkelingen, in schuldeisers en ondernemingen in moeilijkheden, Vlaamspleitgenootschap, 1994, p. 211 - FORIERS P.A., Les situations de blocage dans les sociétés anonymes, RDC, 1992, p. 466 - STRANART A.M., Les référés commerciaux et le rôle préventif du tribunal de commerce, in L’évolution du droit judiciaire au travers des contentieux économiques, sociaux et familiaux, Bruylant, 1984, p. 561 - VEROUGSTRAETE I., Le référé commercial : le retour aux sources, Recyclage en droit, Fac. Univ. St Louis, session 1992 1.2. Historique Le mécanisme est essentiellement d’origine prétorienne. Cependant, les articles 12 et 25 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales visaient indirectement la désignation d’un administrateur provisoire : - article 12 : la disposition imposait le dépôt auprès du greffe du Tribunal de commerce et la publication de l’extrait des actes relatifs à la nomination et à la cessation des fonctions des administrateurs provisoires ; - article 25 : la disposition prévoyait la désignation d’un administrateur provisoire dans les sociétés en commandite simple en cas de décès du gérant ainsi que dans le cas d’incapacité légale ou d’empêchement de celui-ci. 1.3. Exigences de base : l’indépendance et l'impartialité On s’entend pour considérer que la personne qui accepte un mandat judiciaire d’administrateur provisoire doit présenter des garanties d'indépendance et d'impartialité, spécialement à l'égard des parties en cause.

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L’administrateur provisoire doit en outre veiller au respect de ses règles déontologiques, spécialement en matière de conflit d’intérêts. 2. L’administrateur provisoire « de droit commun » L’administrateur provisoire « de droit commun » celui qui est investi d’un pouvoir, en lieu et place de l’organe de gestion, sur désignation du tribunal sans référence à une loi particulière (comme la loi sur la continuité des entreprises). Il agit à la fois comme « mandataire de justice » et comme « mandataire de la société ». 2.1. Les normes applicables Les normes applicables sont : - l’article 12 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales, qui est devenu l’article 74,2° du code des sociétés ; - l’article 584 C. jud., qui prévoit la compétence du président du tribunal de commerce pour statuer en référé ou sur requête unilatérale. Plusieurs dispositions du code des sociétés visent en outre des hypothèses particulières, dans lesquelles un mandataire de justice peut être désigné : - art. 168 CDS : l’expert vérificateur - art. 208 CDS : l’administrateur provisoire dans les SNC et SCS) - art. 660 CDS : l’administrateur provisoire dans les SCA. Pour le surplus, le mécanisme est essentiellement prétorien, et il convient de se référer aux exposés doctrinaux. 2.2. Le mode de désignation et les conditions générales On s’accorde pour considérer que la désignation d'un administrateur provisoire est une mesure exceptionnelle (Bruxelles, 26 septembre 2000, JLMB, 2001, 820).

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C’est également une mesure d’urgence, de telle sorte que la désignation interviendra le plus souvent à l’intervention du président du tribunal de commerce, saisi en référé ou, plus rarement, sur requête unilatérale. Les conditions du référé devront être réunies (urgence et provisoire). Tout intéressé peut solliciter la désignation d’un administrateur provisoire : - associés ; - actionnaires (y compris les minoritaires) ; - administrateurs et gérants. Sous certaines réserves: les créanciers, mais pour autant qu’ils agissent dans l’intérêt social. La jurisprudence rappelle que le fonctionnement d'une société demeure essentiellement réglé par le principe majoritaire et que l'intervention du juge ne peut se concevoir que dans des circonstances exceptionnelles pour corriger des dysfonctionnements dans les organes sociaux ou pour sanctionner la méconnaissance manifeste de l'intérêt social (civ. Bruxelles, réf., 31 décembre 2007, JLMB, 2008, 252 ; POTTIER E. et DE ROECK M., L'administration provisoire : bilan et perspectives, RDC, 1997, p. 205). Les effets pervers de la désignation d’un administrateur provisoire ne sont pas négligeables (la mesure est publique) : la réputation commerciale est susceptible d’être affectée, de même que les contrats en cours et la relation avec les banques ; la jurisprudence décide dès lors parfois que l’on ne peut avoir recours à une telle mesure que si tout a déjà été essayé (Bruxelles, 10 février 1998, RPS, 1998, p. 402 ; Jeune Barreau, p. 266, n°24 et réf. cit.). 2.3. L’étendue des pouvoirs On distingue : a) les mesures d’anticipation : désignation d’un administrateur provisoire en vue de convoquer et de présider la réunion d’un organe social, … b) les mesures d’instruction : établir la consistance exacte des actifs de la société, retracer l’évolution de la société depuis une date déterminée au niveau de la gestion et de l’actionnariat, vérifier la présence d’anomalies, s’informer sur la situation

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financière de la société, son administration et sa gestion journalière, etc. Ces missions peuvent être combinées avec des missions d’intervention dans la gestion ; c) les mesures conservatoires : désignation visant à aménager la situation des parties de manière à sauvegarder leurs intérêts en conflit : mission de manière limitée ou complète, d’intervenir dans la gestion de la société, dans l’attente de la solution du conflit de fond qui oppose les parties (par exemple, une action en dissolution judiciaire, en exclusion ou en retrait) ou de disparition de la situation non conflictuelle nécessitant l’administration provisoire. La mission peut être très limitée, et correspondre davantage à celle d’un « mandataire de justice » ou d’un « mandataire ad hoc » : - assister à une réunion du conseil d’administration avec un droit de veto; - tenter de concilier les parties en conflit Mais la mission peut également être générale et procéder d’une demande libellée comme suit : « nommer un administrateur judiciaire provisoire de la société x, dont le siège est établi ..., celui-ci étant chargé d'assurer toutes les fonctions de gestion journalière de la société et/ou de prendre toutes les mesures qu'il jugera utiles afin de permettre à la société de poursuivre ses activités, conformément aux règles légales, statutaires et contractuelles telles qu'elles ont été adoptées au préalable par les associés, ces pouvoirs ne pouvant toutefois s'exercer que dans les domaines suivants : - contrôle de la comptabilité et présentation des comptes, - signature des ordres de paiement, - affectation des dossiers en fonction des règles de répartition interne ..., - approbation des demandes de remboursement des frais, - approbation et contrôle des frais et investissements destinés à développer la clientèle, - organisation interne et recrutement de personnel - vérification de la régularité de la facturation et de l'émission de notes de crédit de toute nature, - pouvoir de convoquer les assemblées générales et de décider des points à porter à l'agenda ; - suspendre provisoirement tous les pouvoirs accordés aux administrateurs.

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- « donner son accord et sa signature préalablement à tout acte généralement quelconque à intervenir à dater du prononcé de l'ordonnance et engageant la société sans limitation de sommes, et notamment préalablement à toute acquisition, ventes et échanges de meubles ou immeubles, emprunts, constitution de clauses d’exécution forcée ou nantissement, renonciation à tous privilèges, hypothèques et actions résolutoires, transactions sur toutes contestations, … » (RENARD J.P., et WATILLON S., op. cit., Jeune barreau, 2004, page 278 n°47 et réf. cit.). Il peut être utile de prévoir, en cas de mission générale, que « l’administrateur provisoire pourra se faire assister de toute personne de son choix pour la bonne fin de sa mission ». Même lorsque la mission est étendue, il n’est pas certain que l’administrateur provisoire ait le pouvoir de faire aveu de faillite. On peut également restreindre la mission, en précisant que celle-ci sera limitée à la gestion journalière ou en excluant les actes de disposition relatifs aux actifs (ou aux actifs immobiliers) de la société. Dans le cas des entreprises en difficulté, on a songé à la désignation d’administrateurs provisoires dans des cas où les organes de gestion, tout en fonctionnant normalement, n’étaient pas à même de surmonter une situation difficile (il s’agit alors de « managers de crise »). La demande de désignation d’un administrateur provisoire peut s’imposer dans d’autres situations, telle que celle résultant du décès du gérant unique d’une SPRL. 2.4. Qui peut être désigné ? Ce sont généralement des avocats qui sont désignés (on suggère souvent des avocats qui exercent les fonctions de curateur ou de liquidateur) ; il est possible de leur adjoindre un expert-comptable ou un réviseur d’entreprises. 2.5. Les honoraires La prudence est de demander d’emblée au juge de préciser qui supportera les frais et honoraires de l’administrateur provisoire ; dans le silence d’une décision de désignation, on enseigne :

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- tantôt que les frais et honoraires devraient provisoirement être mis à charge des deux parties en conflit, sauf contestation de l’état lui-même (Liège, 9 mai 1995, JT, 1996, p. 51) ; - tantôt que les frais et honoraires doivent être mis à charge de la société, « première bénéficiaire de la mesure », ceci valant à tout le moins pour le paiement d’une provision. Lorsqu’il apparaît que la désignation d’un administrateur provisoire ne se justifiait pas, les frais et honoraires peuvent devoir être supportés à titre définitif par celui qui en a demandé la désignation (cas d’une désignation à la demande des membres du personnel, menacés d’un licenciement collectif : v. Liège, 17 décembre 1999, RDC, 2000, 633, RPS, 2000, 253 et JLMB, 2001, p. 812 et note CLESSE J., Les frais et honoraires de l’administrateur provisoire). Rien n’interdit d’appliquer, pour un « administrateur provisoire de droit commun » les principes de l’arrêté royal du 30 septembre 2009 relatif aux honoraires et frais des mandataires de justice intervenant dans le cadre des articles 27, 28 ou 60 de la LCE. 2.6. La fin de la mission – obligation de rendre compte La question de savoir si l’administrateur provisoire doit rendre compte de sa mission au tribunal est discutée et dépend des usages propres à chaque juridiction et du type de mission. Il peut être confortable pour l’administrateur provisoire de « se faire couvrir » par une mise au courant régulière ; en même temps, on ne peut voir dans le juge un gestionnaire, un tuteur ou un arbitre des difficultés de l’entreprise (Jeune Barreau, p. 321, n°185 et réf. cit.). Parfois, la décision judiciaire elle-même précise quand la mission de l'administrateur provisoire prendra fin : « jusqu'à l'issue de la contestation concernant la régularité du mandat de gérant statutaire conféré à X. » ; « jusqu'à telle date », … ; pour éviter une nouvelle saisine du tribunal, le tribunal peut aussi prévoir une date relais lors de laquelle la prorogation de la mission pourra être demandée. 2.7. La responsabilité Lorsque l’administrateur provisoire reçoit une mission identique à celle du conseil d’administration, il encourt la même responsabilité qu’un administrateur classique (ZENNER A. et ALTER C., La responsabilité des mandataires de justice d’entreprise, in Les responsabilités d’entreprise, Jeune Barreau, Bruylant, 2007, p. 169 et suiv.).

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L’administrateur provisoire pourrait engager sa responsabilité en poursuivant une activité déficitaire. 3. L’administrateur provisoire au sens de l’article 8 de la loi du 8 août 1997 L’article 8 de la loi sur les faillites, qui a été légèrement modifié par la LCE, permet au président du tribunal de commerce de désigner un « administrateur au dessaisissement provisoire ». Les conditions sont les suivantes : - l’absolue nécessité est aujourd’hui devenue l’urgence (LCE, art. 76) ; - l’existence d’indices graves, précis et concordants que les conditions de la faillite sont réunies. La suppression de l’ « absolue nécessité » a pour conséquence que la preuve de l’existence d’un risque d’insolvabilité du débiteur ou de mauvaise foi de sa part ne sera plus requise ; selon ZENNER, la nouvelle disposition pourrait rendre une certaine initiative aux tribunaux de commerce, en matière de « faillite d’office ». La désignation peut survenir d’office (par exemple dans le cas d’une entreprise ayant demandé le bénéfice d’une réorganisation judiciaire et dont la procédure serait clôturée « sans suite », alors que des signes de faillite seraient réunis) ou sur requête unilatérale d’un créancier. L’objet de la désignation est le dessaisissement en tout ou en partie de la gestion de tout ou partie des biens du commerçant. Les pouvoirs du mandataire de justice désigné dans cette hypothèse ne se bornent pas à poursuivre la déclaration de la faillite du débiteur dessaisi : lorsque la désignation intervient au stade des enquêtes commerciales, une demande de dépôt d’une requête en réorganisation judiciaire pour le cas où la faillite ne serait pas prononcée (ce qui suppose bien évidemment le concours du débiteur) est possible, comme au contraire une demande de révocation d’une procédure de réorganisation judiciaire pendante si celle-ci paraît sans issue. L’application de l’article 8 ne conduit pas nécessairement à la faillite.

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4. L’administrateur provisoire au sens des lois du 17 juillet 1997 et du 31 janvier 2009 4.1. Rappel de la loi du 17 juillet 1997 v. ZENNER A., Dépistage, faillites et concordats, Larcier, 1998. Le commissaire au sursis était un tiers qui intervenait dans la gestion, même si le débiteur n’était pas dessaisi. 4.2. Le cas de l’art. 14 de la loi du 31 janvier 2009 L’article 14 de la LCE permet à tout intéressé d’obtenir du président du tribunal de commerce, qui statue selon les formes du référé, la désignation d’un ou de plusieurs mandataires de justice. Il s’agit d’un cas de désignation d’administrateur provisoire (ZENNER A., op. cit., p. 60 et 61), qui a été prévu par la LCE sans nier la possibilité de solliciter un tel administrateur selon le droit commun (ZENNER A., op. cit., p. 61 et la référence aux travaux préparatoires). La désignation est soumise aux conditions suivantes : - des manquements graves et caractérisés du débiteur ou de ses organes menacent la continuité de l’entreprise ; - l’entreprise doit être en difficulté ; - la mesure sollicitée doit être de nature à préserver la continuité. En vertu de l’article 14 al. 2 LCE, « l’ordonnance qui désigne le mandataire de justice justifie et détermine de manière précise l’étendue et la durée de la mission de celui-ci ». La mesure n’a donc pas nécessairement pour effet de déposséder le débiteur de la gestion de l’entreprise ; elle peut être plus limitée. Elle revêt par essence un caractère provisoire (ZENNER A., op. cit., p. 89, n°53). Selon ZENNER (op. cit., p. 62 et 63), le juge peut : - confier une mission générale, « les substituant aux dirigeants et les autorisant à prendre toutes les mesures nécessaires pour permettre la poursuite de l’activité de l’entreprise » ;

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- confier une mission spécifique : « recherche d’information, tentative de conciliation, intervention dans une action judiciaire, présidence d’une assemblée ou d’un conseil, enquête ou mission de recherche d’informations dans le cadre d’un conflit social lié à la fermeture ou à une délocalisation d’entreprise ». Dans un cas d’espèce, qui avait donné lieu à une comparution volontaire, la décision suivante a été rendue : « Donnons acte aux parties de leur comparution volontaire; En application de l'article 14 de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises, désigne en qualité d'administrateur provisoire pour la société X: Monsieur X, Réviseur d'entreprise, avec pour mission; - d'assurer provisoirement l'administration et la gestion de la société X, en l'autorisant notamment à recourir aux services d'entreprises spécialisées dans la gestion et la réalisation de projets immobiliers, - de redresser les comptes annuels de la société X pour en donner une image fidèle et établir une situation la plus récente possible, - d'établir pour cette société un rapport de gestion détaillé et, le cas échéant, un plan de continuité compte tenu des risques liés à une dénonciation des crédits et à la poursuite des projets en cours ; - d'en faire rapport au Tribunal et aux actionnaires de la société X, - d'initier si nécessaire toute procédure de réorganisation judiciaire visée par la loi du 31 janvier 2009, - de prendre toute mesure utile et nécessaire au fonctionnement régulier de la société et à la conservation de son patrimoine, et notamment, revoir et, le cas échéant, résilier la collaboration avec certains fournisseurs ou cocontractants dans la mesure où cette collaboration ne servirait pas - ou mal - les intérêts de la société, - instituer un contrôle interne et mettre en place des règles d’évaluation comptable, - examiner et faire rapport sur les opérations anormales qui auraient été entreprises au préjudice de la société X, en évaluant notamment l'ampleur du préjudice subi et

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les fautes de gestion éventuellement commises; le cas échéant, intenter ou poursuivre toute procédure en nullité ou en dommages-intérêts pour les décisions et opérations accomplies en violation des règles de conflit d'intérêts, - de manière générale, faire tout ce qui sera nécessaire on utile pour préserver si possible la continuité de l'entreprise, sous le contrôle du Tribunal et de l'assemblée générale des actionnaires ; Disons que sa mission se terminera à l'expiration d'un délai de 6 mois à dater de l'acceptation de sa mission - sous réserve de prolongation ultérieure au cas où les missions ci-dessus n'auraient pas pu être menées à termes ; Ordonnons que la présente décision soit publiée aux Annexes au Moniteur Belge; Déclarons l'ordonnance exécutoire par provision nonobstant tout recours et sans caution … ». Selon ZENNER, la mesure prévue par l’art. 14 pourrait être également appliquée pendant la procédure de réorganisation, et pas seulement avant celle-ci : ceci serait adéquat dans le cas où il n’y a pas de faute grave et caractérisée au sens de l’art. 28. Les honoraires visés ici ne sont pas visés par le barème adopté en vertu de l’art. 71. Le droit commun s’applique donc et le juge pourra délaisser les frais et honoraires au demandeur, compenser les dépens ou les réserver (ZENNER A., op. cit., p. 62). La prudence est de demander d’emblée au juge de préciser qui supportera les frais et honoraires de l’administrateur provisoire. 4.3. Le cas de l’art. 27 de la loi du 31 janvier 2009 On doit distinguer : - l’art. 27 LCE, qui permet la désignation d’un mandataire de justice pour assister le débiteur dans sa réorganisation ; dans ce cas, le débiteur reste à la tête de ses affaires ; - l’art. 28 LCE (cfr infra).

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Dans le cas de l’art. 27, la demande peut être faite par le débiteur lui-même, mais elle peut aussi être émise par un créancier ou « tout tiers intéressé ». Dans ce dernier cas, la demande est faite par une requête contradictoire ; on peut songer à un souhait d’un donneur de crédit, de voir l’entreprise assistée par un expert. L’article 71 LCE est applicable : § 1er Les mandataires de justice désignés en vertu de la présente loi sont choisis en fonction de leurs qualités et selon les nécessités de l'espèce. Ils doivent offrir des garanties de compétence, d'expérience, d'indépendance et d'impartialité. Ils peuvent être désignés parmi les personnes habilitées par les organismes publics ou privés désignés ou agréés par l'autorité compétente pour assister les entreprises en difficulté. § 2 Les frais et honoraires des mandataires de justice sont déterminés par le tribunal. Le Roi arrête les règles et barèmes applicables aux mandataires de justice désignés par application des articles 27 et 60; Il peut arrêter celles et ceux applicables aux administrateurs provisoires désignés par application de l'article 28. § 3 A la demande de tout intéressé, sur requête du mandataire de justice ou d'office, le tribunal peut à tout moment et pour autant que cela s'avère nécessaire, procéder au remplacement d'un mandataire de justice, en augmenter ou en diminuer le nombre. Toute demande de tiers est dirigée, selon les formes du référé, contre le ou les mandataires et contre le débiteur. Le mandataire de justice et le débiteur sont entendus en chambre du conseil. La décision est rendue en audience publique. Dans le cas de l’art. 27, le tribunal fixe l’étendue de la mission en fonction de la demande. Dans le cas de l’art. 27 al. 2, le demandeur doit indiquer dans sa requête qu’il s’engage à supporter les frais et honoraires du mandataire.

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L’art. 71 s’applique (AR 30 septembre 2009) ; selon l’arrêté royal du 30 septembre 2009 : Art. 1er Dans les huit jours de sa désignation, le mandataire de justice ou l'administrateur provisoire dépose au dossier de réorganisation une proposition d'honoraires relative: 1°à la mission d'assistance visée à l'article 27, §§ 1er et 2, de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises; 2°à l'administration de l'entreprise visée à l'article 28, § 1er, de la même loi; 3°à l'organisation et à la réalisation du transfert visé à l'article 60 de la même loi. La proposition d'honoraires est calculée sur la base d'une estimation du nombre d'heures de travail nécessaires à l'acquitement de sa mission. Il justifie la proposition d'honoraires sur la base de la complexité de la mission et compte tenu notamment du chiffre d'affaires, du nombre de membres du personnel, du secteur d'activité et de l'état comptable du patrimoine du débiteur. Le tarif horaire du mandataire de justice ou de l'administrateur provisoire est déterminé conformément aux tarifs en usage dans la profession dont il relève. A défaut, il sera fixé par comparaison avec d'autres professions, et compte tenu du niveau de spécialisation. La proposition d'honoraires mentionne clairement les indemnités et coûts éventuels qui ne sont pas compris dans le tarif horaire. Si, durant l'exécution des missions faisant l'objet des propositions d'honoraires visées au premier alinéa, le mandataire de justice ou l'administrateur provisoire constate que ses honoraires excèderont le montant repris dans la proposition, il déposé sans délai au dossier de réorganisation une proposition révisée d'honoraires en indiquant les raisons de ce dépassement. Art. 2 Sauf urgence, les frais relatifs à l'assistance de tiers spécialisés requis par le mandataire de justice ou l'administrateur provisoire ne peuvent être admis sans approbation préalable du tribunal de commerce. Les frais liés à l'exercice de la mission du mandataire de justice ou de l'administrateur provisoire qui ne sont pas compris dans le tarif honoraire visé à l'article 1er sont dûment justifiés. L'indemnité de déplacement est fixée à 0,45 euro par kilomètre. Ce montant est adapté annuellement au 1er mars conformément à la formule suivante: 0.45 × ... (indice des prix à la consommation du mois qui précède le 1er mars) (indice des prix à la consommation de mars 2009) Les communications téléphoniques vers l'étranger sont indemnisées séparément et moyennant justification.

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Art. 3 Le mandataire de justice ou l'administrateur provisoire peut exiger du requérant une provision, qui ne peut toutefois être supérieure aux 3/4 du montant total de la proposition d'honoraires à laquelle cette provision se rapporte. Cette provision peut, à la demande du requérant, être divisée en deux montants égaux, dont le paiement ne peut être réclamé par le mandataire de justice ou l'administrateur provisoire qu'au début et à la moitié de la préiode à laquelle ils se rapportent. Toutefois, si le tribunal de commerce a autorisé le transfert de l'entreprise, la provision est acquittée intégralement au début de la période de transfert de l'entreprise. Art. 4 Au terme des missions visées au premier alinéa de l'article 1er, le mandataire de justice ou l'administrateur provisoire communique au tribunal un décompte final des honoraires et frais. Le décompte donne une justification détaillée des heures de travail effectuées, des prestations auxquelles elles se rapportent ainsi que des frais. 4.4. Le cas de l’art. 28 de la loi du 31 janvier 2009 L’art. 28 LCE est rédigé comme suit : « § 1er En cas de faute grave et caractérisée ou de mauvaise foi manifeste du débiteur ou d'un de ses organes, le tribunal peut, à la demande de tout intéressé ou du ministère public et dans le jugement qui ouvre la procédure de réorganisation judiciaire ou dans un jugement ultérieur, le débiteur entendu et le juge délégué entendu dans son rapport, leur substituer pour la durée du sursis un administrateur provisoire chargé d'administrer l'entreprise de la personne physique ou de la personne morale. A tout moment pendant la période de sursis, le tribunal, saisi de la même manière et après avoir entendu le débiteur en ses dires, le juge délégué en son rapport, et l'administrateur provisoire, peut retirer la décision prise par application du premier alinéa ou du présent alinéa, ou modifier les pouvoirs de l'administrateur provisoire. Ces décisions sont publiées conformément à l'article 26, § 1er, et notifiées conformément à l'article 26, § 3. § 2 Les jugements rendus par application du paragraphe 1er ne sont pas susceptibles d'opposition.

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§ 3 L'appel en est formé par requête déposée au greffe de la cour d'appel dans les huit jours de la notification du jugement. Le greffier de la cour d'appel notifie la requête sous pli judiciaire à l'éventuelle partie intimée et, le cas échéant, par pli ordinaire à son avocat, au plus tard le premier jour ouvrable qui suit le dépôt de la requête. Cette disposition permet de remplacer le débiteur ou un de ses organes par un administrateur provisoire chargé de gérer l’entreprise » La désignation peut avoir lieu soit dans le jugement qui ouvre la procédure de réorganisation judiciaire, soit dans un jugement ultérieur, à la demande de tout intéressé ou du ministère public. Dans tous les cas, le juge délégué doit être entendu, et la décision est prise par le tribunal (chambre qui statue sur les réorganisations). Le tribunal peut-il désigner comme administrateur provisoire le mandataire de justice qui avait déjà été désigné par application de l’article 14 ? Une réponse affirmative a été donnée par plusieurs décisions de jurisprudence. Il a déjà été décidé que l’administrateur provisoire désigné en vertu de l’art. 14 LCE pouvait être désigné comme administrateur provisoire sur pied de l’art. 28 LCE. Sauf décision contraire du tribunal, l’administrateur provisoire désigné en vertu de l’art. 28 a les pouvoirs les plus larges : il se substitue au débiteur, qui est dessaisi. L’art. 71 ne s’applique pas, pour ce qui concerne le barème ; le barème n’a pas été prévu pour l’art. 28 en raison de la variété des cas (ZENNER A., op. cit., p. 153, n°100). Selon le commentaire législatif retranscrit par A. ZENNER (ZENNER A., op. cit., p. 89, n°53 et réf. cit.), cette mesure doit pouvoir être prise rapidement et retirée aussi vite, compte tenu de son caractère exceptionnel. L’art. 28§1er al. 2 prévoit que la désignation peut être retirée, que les pouvoirs peuvent être modifiés.

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4.5. Le cas de l’art. 60 de la loi du 31 janvier 2009 L’article 60 LCE prévoit que « le jugement qui ordonne le transfert désigne un mandataire de justice chargé d'organiser et de réaliser le transfert au nom et pour compte du débiteur. Il détermine l'objet du transfert ou le laisse à l'appréciation du mandataire de justice. Le tribunal peut, par le même jugement, ordonner un sursis complémentaire, n'excédant pas six mois à compter de sa décision, avec les effets énoncés aux articles 30 à 37. Le jugement est publié par extrait au Moniteur belge par les soins du mandataire de justice désigné ». L’art. 62 LCE énonce que : « le mandataire désigné organise et réalise le transfert ordonné par le tribunal par la vente ou la cession des actifs mobiliers ou immobiliers nécessaires ou utiles au maintien de tout ou partie de l'activité économique de l'entreprise. Il sollicite des offres en veillant prioritairement au maintien de tout ou partie de l'activité de l'entreprise tout en ayant égard aux droits des créanciers. En cas de pluralité d'offres comparables, la priorité est accordée par le tribunal à celle qui garantit la permanence de l'emploi par un accord social négocié. Dans cette optique, il élabore un ou plusieurs projets de vente concomitants ou successifs, en y exposant ses diligences, les conditions de la vente projetée et la justification de ses projets et en y joignant, pour chaque vente, un projet d'acte. Il communique ses projets au juge délégué et, par requête contradictoire, notifiée au débiteur deux jours au moins avant l'audience, il demande au tribunal l'autorisation de procéder à l'exécution de la vente proposée ». Le tribunal peut-il désigner comme administrateur provisoire le mandataire de justice qui avait déjà été désigné par application de l’article 14 ou de l’art. 27 ou 28? A plusieurs reprises, les tribunaux ont désigné le mandataire de justice qui avait été désigné sur pied de l’article 27, pour intervenir sur pied de l’article 60. Le jugement est publié par extrait au Moniteur aux soins du mandataire de justice désigné. L’article 71 LCE est d’application.

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L’article 67 al. 1er LCE prévoit que « lorsque le mandataire de justice désigné estime que toutes les activités susceptibles d'être transférées l'ont été, et en tout cas avant la fin du sursis, il sollicite du tribunal par requête la clôture de la procédure de réorganisation judiciaire, ou, s'il se justifie qu'elle soit poursuivie pour d'autres objectifs, la décharge de sa mission ». IV. L’INTERVENTION D’UN MEDIATEUR 1. Généralités – les notions de médiation et de médiateur 1.1. La médiation On range la médiation parmi les modes alternatifs de résolution des conflits (ADR – Alternative Dispute Resolution) ou parmi les MARC (modes alternatifs de résolution des litiges). Généralement, on considère que la médiation présente les caractéristiques suivantes : - elle se fait sur base volontaire : nul ne peut être contraint de recourir à la médiation ; - elle se fait sous l’égide d’une personne compétente, qui est indépendante et impartiale ; - elle se fait dans un cadre confidentiel. La loi du 21 février 2005 distingue la « médiation volontaire », qui se déroule en-dehors de toute procédure judiciaire et la « médiation judiciaire » qui a lieu dans le cadre d’une procédure judiciaire. La loi a instauré la Commission fédérale de la médiation ( http://www.mediation-justice.be ). La médiation est un processus, une méthode (CRUYPLANTS J., GONDA M., WAGEMANS M., Droit et pratique de la médiation, Bruylant, Bruxelles, 2008, p. 1, n°2), qui a notamment pour caractéristique que le médiateur ne maîtrise pas l’issue des débats (ibid., n°4) et qu’il ne lui appartient pas de trouver lui-même la solution du conflit.

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La médiation ne se confond pas avec la conciliation (CRUYPLANTS J., GONDA M., WAGEMANS M., Droit et pratique de la médiation, Bruylant, Bruxelles, 2008, p. 32, n°91) : - le ressort de la conciliation est l’appel à la raison ; - le conciliateur n’est pas obligatoirement neutre ; - le conciliateur peut proposer des solutions et être interventionniste ; - l’objectif de la conciliation est la transaction ; - le conciliateur s’efforce de ne pas déborder du conflit et il ne doit pas se préoccuper des frustrations périphériques. On observera que la loi du 21 février 2005 n’a pas visé la conciliation judiciaire (c. jud., art. 731), les tentatives de conciliation par les experts (c. jud., art. 972, la médiation de dettes (c. jud., art. 1675) et les « fausses médiations » (ombudsman, etc ; CRUYPLANTS J., GONDA M., WAGEMANS M., op. cit., p. 52, n°123). L’article 1724 du code judiciaire prévoit que « tout différend susceptible d'être réglé par transaction peut faire l'objet d'une médiation ». L’article 1725 du code judiciaire précise que : « § 1er Tout contrat peut contenir une clause de médiation, par laquelle les parties s'engagent à recourir à la médiation préalablement à tout autre mode de résolution des éventuels différends que la validité, la formation, l'interprétation, l'exécution ou la rupture du contrat pourrait susciter. § 2 Le juge ou l'arbitre saisi d'un différend faisant l'objet d'une clause de médiation suspend l'examen de la cause à la demande d'une partie, à moins qu'en ce qui concerne ce différend, la clause ne soit pas valable ou ait pris fin. L'exception doit être proposée avant tout autre moyen de défense et exception. L'examen de la cause est poursuivi dès que les parties ou l'une d'elles, ont notifié au greffe et aux autres parties que la médiation a pris fin. § 3 La clause de médiation ne fait pas obstacle aux demandes de mesures provisoires et conservatoires. L'introduction de telles demandes n'entraîne pas renonciation à la médiation ».

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1.2. Les médiateurs On ne peut considérer comme « médiateurs » proprement dits (CRUYPLANTS J., GONDA M., WAGEMANS M., p. 18, n°54 et suiv.): - les médiateurs institutionnels (médiateur régional, communautaire, fédéral, …) ; - les ombudsman des sociétés publiques ou privées (absence de neutralité et d’impartialité) ; - les travailleurs sociaux ; - les interlocuteurs de la « médiation pénale » et de la « médiation sur les incidents dans les procédures pénales et sur l’exécution des peines » ; - les médiateurs de dettes ; - dans une certaine mesure, les « médiateurs d’entreprise » au sens de la loi du 31 janvier 2009. Parmi les médiateurs agréés, on distingue : - les médiateurs familiaux ; - les médiateurs sociaux ; - les médiateurs civils et commerciaux. 2. Le médiateur au sens de la loi du 21 février 2005 : le médiateur volontaire et le médiateur judiciaire La loi du 21 février 2005 généralise le recours à la médiation (pour un exposé des travaux préparatoires, v. CRUYPLANTS J., GONDA M., WAGEMANS M., p. 42 et suiv.). Les dispositions pertinentes du code judiciaire sont les articles 1724 et suivants.

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Il convient d’y ajouter les normes relatives à la déontologie du médiateur (BROUWERS S., Tucht en deontologie van de bemiddelaar, Ius & Actores, 2/2008, p. 15 et suiv. ; d’HUART V., Déontologie et discipline du médiateur, Ius & Actores, 3/2008, p. 10 et suiv.) et, notamment, le « code de bonne conduite du médiateur agréé ». 2.1. La médiation volontaire L’article 1730 du code judiciaire est rédigé comme suit : « § 1er Toute partie peut proposer aux autres parties, indépendamment de toute procédure judiciaire ou arbitrale, avant, pendant ou après le déroulement d'une procédure judiciaire, de recourir au processus de médiation. Les parties désignent le médiateur de commun accord ou chargent un tiers de cette désignation. § 2 Si la proposition est adressée par envoi recommandé et qu'elle contient la réclamation d'un droit, elle est assimilée à la mise en demeure visée à l'article 1153 du Code civil. § 3 Dans les mêmes conditions, la proposition suspend le cours de la prescription de l'action attachée à ce droit pendant un mois »] Le texte suivant peut être utilisé : « A toutes fins, je vous signale que ma cliente ne serait pas opposée à une comparution volontaire devant la juridiction compétente; par ailleurs, ma cliente ne serait pas opposée à la tenue préalable d’une médiation et elle m’a chargé de proposer de recourir à ce processus, la présente vous étant dès lors adressée conformément à l’article 1730 du code judiciaire, étant entendu qu’un pli recommandé vous sera adressé si vous en faites la demande ».

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2.2. La médiation judiciaire Selon l’article 1734 du code judiciaire, « § 1er Sauf devant la Cour de cassation et le tribunal d'arrondissement, en tout état de la procédure et ainsi qu'en référé, le juge déjà saisi d'un litige peut, à la demande conjointe des parties ou de sa propre initiative mais avec l'accord de celles-ci, ordonner une médiation, tant que la cause n'a pas été prise en délibéré. Les parties s'accordent sur le nom du médiateur, qui doit être agréé par la commission visée à l'article 1727. Par dérogation à l'alinéa précédent, les parties peuvent, conjointement et de manière motivée, demander au juge qu'il désigne un médiateur non agréé. Sauf si le médiateur proposé par les parties ne répond manifestement pas aux conditions visées à l'article 1726, le juge fait droit à cette demande si les parties démontrent qu'aucun médiateur agréé présentant les compétences requises pour les besoins de la médiation n'est disponible. § 2 La décision qui ordonne une médiation mentionne expressément l'accord des parties, le nom, la qualité et l'adresse du médiateur, fixe la durée initiale de sa mission, sans que celle-ci puisse excéder trois mois, et indique la date à laquelle l'affaire est remise, qui est la première date utile après l'expiration de ce délai. § 3 Au plus tard lors de l'audience visée au § 2, les parties informent le juge de l'issue de la médiation. Si elles ne sont pas parvenues à un accord, elles peuvent solliciter un nouveau délai ou demander que la procédure soit poursuivie. § 4 Les parties peuvent solliciter une médiation soit dans l'acte introductif d'instance, soit à l'audience, soit par simple demande écrite déposée ou adressée au greffe. Dans cette dernière hypothèse, la cause est fixée dans les quinze jours de la demande. Le greffier convoque les parties par pli judiciaire, et, le cas échéant, leur conseil par simple pli. S'il s'agit d'une demande conjointe des parties, celles-ci et, le cas échéant, leur conseil, sont convoqués par simple pli.

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§ 5 Lorsque les parties sollicitent conjointement qu'une médiation soit ordonnée, les délais de procédure qui leur sont impartis sont suspendus à dater du jour où elles formulent cette demande. Le cas échéant, les parties ou l'une d'elles peuvent solliciter de nouveaux délais pour la mise en état de la cause à l'audience visée au § 2 ou à l'article 1735, § 5 ». La question est parfois de savoir comment éviter l’ « écran négatif » que constitue l’avocat … de la partie adverse ! On peut songer : - à l’article 992 du code judiciaire : « le juge peut, même d'office, ordonner la comparution personnelle des parties ou de l'une d'elles » ; - à la formule suivante, insérée dans les conclusions : . dans l’objet des demandes : « Compte tenu des termes de l’article 1734 § 1er du code judiciaire, selon lesquels « sauf devant la Cour de cassation et le tribunal d'arrondissement, en tout état de la procédure et ainsi qu'en référé, le juge déjà saisi d'un litige peut, à la demande conjointe des parties ou de sa propre initiative mais avec l'accord de celles-ci, ordonner une médiation, tant que la cause n'a pas été prise en délibéré », la concluante tient en outre à faire savoir qu’elle est disposée à soumettre le présent litige à une médiation, dans les conditions prévues par les articles 1734 et suivants du code judiciaire ». . dans le dispositif : « Par ces motifs, Les concluants demandent au Tribunal, le cas échéant après qu’il ait été procédé conformément à l’article 1734§1er du code judiciaire : … ». 3. La médiation libre On entend par médiation libre « celle qui se déroule lorsque les parties, en toute liberté, sans l’intervention d’un juge, décident de tenter une médiation sans faire appel à un médiateur agréé ou sans signer de protocole de médiation répondant aux exigences de la loi. C’est le modèle qui préexistait avant la loi et qui repose entièrement sur la volonté des parties » (VAN LEYNSEELE P. et VANDEPUTTE F., cit. par CRUYPLANTS J., GONDA M., WAGEMANS M., p. 73, n°165).

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Sur les différents aspects de ce type de médiation, v. CRUYPLANTS J., GONDA M., WAGEMANS M., p. 73 et suiv. 4. Le médiateur au sens de la loi du 31 janvier 2009 : le « médiateur d’entreprise » En vertu de l’article 13, al. 2 et 4 de la LCE, les chambres d’enquête commerciale peuvent désigner un médiateur d’entreprise si le débiteur qui fait l’objet d’une enquête le demande. Le président du tribunal de commerce a le même pouvoir en l’absence d’enquête pendante (ZENNER A., La nouvelle loi sur la continuité des entreprises, Anthémis, 2009, p. 58, n°31). ZENNER reproduit comme suit le commentaire législatif relatif aux médiateurs d’entreprises : « Le droit a fait, dans la plupart des Etats, la découverte des « médiateurs » … la notion de « médiateur d’entreprise » s’inspire du médiateur de droit commun. La médiation au sens générique se définit comme un « processus de communication éthique reposant sur la responsabilité et l’autonomie des participants dans lequel un tiers – impartial, indépendant, neutre, sans pouvoir décisionnel ou consultatif, avec la seule autorité que lui reconnaissent les « médiés » - favorise par des entretiens confidentiels l’établissement, le rétablissement du lien social, la prévention ou le règlement de la situation en cause » (ZENNER A., op. cit., p. 58, n°31 et réf. cit.). Le médiateur d’entreprise a certes un rôle plus actif dès le départ que celui joué par le médiateur de droit commun, mais restera attentif au fait que son rôle n’est pas celui d’un administrateur provisoire. Il pourra agir comme intermédiaire entre les créanciers et le débiteur et pourra amener le débiteur à réfléchir à sa stratégie d’entreprise ». Dans son premier commentaire de la LCE, paru au JT, J. WINDEY a écrit : « Le débiteur peut demander au président du tribunal de commerce, en dehors de toute procédure d’enquête, qu’il désigne un médiateur d’entreprise « en vue de faciliter la réorganisation de l’entreprise ». La procédure de désignation est entamée à la seule initiative du débiteur (le tribunal ne dispose d’aucun pouvoir d’office). La chambre d’enquête ou le président du tribunal fixe par ordonnance, dans les limites de la demande, l’étendue et la durée de la mission de médiation, sans préjudice de la faculté pour le débiteur ou le médiateur de mettre fin anticipativement à la mission. Cette médiation n’est donc pas organisée selon les règles du Code judiciaire.

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Elle présente l’avantage de la confidentialité ». Le rôle du médiateur ne se confond pas avec celui d’un administrateur provisoire. Il doit être cette « personne neutre et compétente qui (...) fait découvrir aux créanciers importants ainsi qu’aux débiteurs les solutions possibles ». « La notion de médiateur d’entreprise s’inspire du droit commun, en ce que le médiateur est censé agir comme une personne qui rapproche les points de vue en laissant dans une large mesure aux personnes concernées le soin de formuler elles-mêmes une solution au problème ». Le législateur y pense surtout pour les petites entreprises. D’autres cas de désignation avaient été envisagés lors des discussions parlementaires qui, ne furent pas retenus, notamment lorsque le débiteur ne répondait pas à la convocation de la chambre d’enquête. Selon l’article 13 de la LCE, la demande de désignation n’est soumise à aucune règle de forme et peut être formulée oralement (art. 13 al. 3 LCE). La pratique révèle qu’il faut acquitter le droit de mise au rôle ; les greffes font remplir un formulaire ad hoc. Les auteurs de la loi n’ont pas voulu que le « médiateur d’entreprise » se confonde avec le « médiateur judiciaire ». Les auteurs de la loi ont voulu « ménager une grande flexibilité » dans la désignation, avec pour conséquence que la loi n’exige pas d’agréation du médiateur, ou de formation préalable (ZENNER A., op. cit., p. 59, n°31), étant entendu qu’une formation préalable du médiateur en tant que médiateur de droit commun est utile. L’article 71§1er al. 1er de la LCE précise que « les mandataires de justice désignés en vertu de la présente loi sont choisis en fonction de leurs qualités et selon les nécessités de l’espèce ».

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L’article 71§1er al. 3 de la LCE ajoute qu’« ils peuvent être désignés parmi les personnes habilitées par les organismes publics ou privés désignés ou agréés par l’autorité compétente pour assister les entreprises en difficulté ». On doit insister sur la neutralité et l’impartialité. L’article 71§1er al. 2 de la LCE précise qu’ « ils doivent offrir des garanties de compétence, d’expérience, d’indépendance et d’impartialité ». Il en résulte que le médiateur d’entreprise ne peut a priori (ZENNER A., op. cit., p. 60, n°31) : - être l’avocat du débiteur ; - être le mandataire chargé de l’assister dans la réorganisation judiciaire ; - être un juge consulaire de la juridiction de l’arrondissement du débiteur. La désignation et la détermination de la durée et de l’étendue de la mission de médiation se font par ordonnance donnée en chambre du conseil par le président du tribunal ou par la chambre d’enquête commerciale qui accède à la demande du débiteur (art. 13 a. 4). La mission pourrait, à certains égards, être ambiguë : on s’accorde à considérer que l’objectif de la mission est de « faciliter la réorganisation de l’entreprise » et non de sauvegarder les droits des tiers. Certes, comme un médiateur de dettes, il n’est pas l’avocat du débiteur, mais, comme l’a observé Mme HENRION, il sera parfois amené à le devenir ; on peut retenir ceci de l’exposé déjà cité de ZENNER : - il doit pouvoir rapprocher les points de vue tout en laissant aux intervenants la maîtrise des solutions ; - il doit faire preuve de fermeté sans rigidité ; - il ne peut pas être seulement un spécialiste du droit de l’insolvabilité ; - il doit pouvoir assumer un rôle de « coaching » doublé d’une intermédiation entre le débiteur et ses créanciers. Parmi les missions possibles, un lien doit être établi avec l’accord amiable.

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La désignation d’un médiateur d’entreprise ne fait pas l’objet d’une publication au Moniteur belge. L’article 71§2 de la LCE précise que « les frais et honoraires des mandataires de justice sont déterminés par le tribunal ». L’article 71§3 de la LCE prévoit qu’ « à la demande de tout intéressé, sur requête du mandataire de justice ou d’office, le tribunal peut à tout moment et pour autant que cela s’avère nécessaire, procéder au remplacement d’un mandataire de justice, en augmenter ou en diminuer le nombre. Toute demande de tiers est dirigée, selon les formes du référé, contre le ou les mandataires et contre le débiteur. Le mandataire de justice et le débiteur sont entendus en chambre du conseil. La décision est rendue en audience publique ». V. LES SOLUTIONS ALTERNATIVES EN CAS DE CONFLITS DANS LES ORGANES DE GESTION La plupart des conflits susceptibles de naître dans les organes de gestion constituent une menace pour la continuité de l’entreprise. 1. Les autres techniques « classiques » 1.1. La conciliation - PETIT B., Passerelle entre conciliation et procédure judiciaire, Ius & Actores, 1/2008, p. 87 et suiv. 1.2. La transaction PM 1.3. La tierce décision obligatoire PM

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2. L’application des dispositions contractuelles On songe à la mise en œuvre des dispositions statutaires ou conventionnelles (v. notamment CAPRASSE O. et AYDOGDU R., op. cit., p. 90 et suiv., les mécanismes conventionnels d’exclusion et de retrait dans les SPRL et les SA). 3. L’expertise minoritaire L’article 168 CDS prévoit que « s'il existe des indices d'atteinte grave ou de risque d'atteinte grave aux intérêts de la société, le tribunal de commerce peut, à la requête d'un ou de plusieurs associés possédant au moins 1% des voix attachées à l'ensemble des titres existants, ou possédant des titres représentant une fraction du capital égale à 1.250.000 EUR au moins, nommer un ou plusieurs experts ayant pour mission de vérifier les livres et les comptes de la société ainsi que les opérations accomplies par ses organes ». L’article 169 CDS ajoute : « La demande visée à l'article 168 est introduite par citation. Le tribunal entend les parties en chambre du conseil et statue en audience publique. Le jugement précise les questions ou les catégories de questions sur lesquelles porteront les investigations. Il fixe la consignation préalable à fournir le cas échéant par les demandeurs pour le paiement des frais. Ces frais pourront être compris dans ceux de l'instance à laquelle donneraient lieu les faits constatés. Le tribunal détermine si le rapport doit faire l'objet d'une publicité. Il peut notamment en imposer la publication, aux frais de la société, selon les modalités qu'il fixe ». Voici un exemple de dispositif : « … retenir la cause dès l'audience d'introduction, celle-ci n'appelant que des débats succincts au sens de l'article 735 du code judiciaire et, conformément à l’article 168 du code des sociétés, désigner un expert, avec les pouvoirs d’un commissaire réviseur et avec pour mission : . de convoquer les parties et de se rendre au siège social de la citée ; . de se faire remettre toutes les pièces comptables de l’exercice en cours ; . de vérifier les livres et les comptes de la société ainsi que les opérations accomplies par ses organes ; . de rendre compte de la situation active et passive et, spécialement, de tout élément de passif ne correspondant pas à la gestion normale de la société;

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. d’examiner les projets de vente d’actifs de la société et de rendre compte de ceux-ci au regard de l’intérêt social ; . de déposer le rapport de son expertise dans le mois de la réception de la décision à intervenir. - dire que les questions et les catégories de questions sur lesquelles devraient en outre porter les investigations sont les suivantes : . quelles sont les raisons pour lesquelles les comptes annuels ne sont pas déposés et pour lesquelles l’assemblée générale n’a pas été convoquée ? . existe-t-il des opérations en cours qui mettent en péril la citée ? . existe-t-il des comptes courants ou toutes autres opérations d’où il résulterait que les gestionnaires de la citée ou ses associés lui sont redevables de sommes ? - dire pour droit que le requérant ne devra pas procéder à une consignation préalable pour le paiement des frais ; - dire pour droit que ces frais seront à charge de la citée et condamner le cas échéant la citée au paiement d’une consignation préalable ; - dire si le rapport doit faire l'objet d'une publicité et le cas échéant déterminer les modalités de celle-ci ; - pour autant que de besoin, déclarer le jugement à intervenir exécutoire, sans caution ni cantonnement ». 4. Les autres mesures de référé Les mesures susceptibles d’être accordées par le juge des référés ne se limitent pas à la désignation d’un administrateur provisoire : convocation de l’assemblée générale, désignation d’un commissaire investigateur, … Nous renvoyons notamment à l’exposé des mesures provisoires contenu dans l’ouvrage déjà amplement cité de CAPRASSE O. et AYDOGDU R., p. 141 et suiv. Ces auteurs abordent les mesures relatives à l’exercice des droits sociaux attachés aux titres (suspension du droit de vote, attribution du droit de vote à un indivisaire), l’exercice du droit de propriété sur les titres (interdiction de négocier la cession des titres, mise sous séquestre des titres), les mesures relatives au patrimoine de la société (interdiction de céder des actifs sociaux, mesures d’investigation sur la

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gestion des actifs sociaux, …), les mesures relatives à la comptabilité de la société (injonction de respecter le droit de contrôle individuel des associés, mise sous séquestre de la comptabilité, les mesures d’investigation sur la comptabilité, le contrôle de la tenue de la comptabilité par un administrateur provisoire ou un expert-gardien), et les mesures relatives au fonctionnement de la société. 4. L’exclusion et le retrait non judiciaires Le régime de l’exclusion dans les coopératives figure à l’article 370 du Code des sociétés. Nous renvoyons aux analyses de CAPRASSE O. et AYDOGDU R., op. cit., p. 65 et suiv. et de ANDRÉ-DUMONT A.P.,« L’exclusion d’associés dans les sociétés coopératives », in Les conflits au sein des sociétés commerciales ou à forme commerciale, Bruxelles, Jeune Barreau de Bruxelles, 2004, n° 22, p. 212. 5. L’exclusion et le retrait judiciaires Nous renvoyons aux articles 334 à 342 CDS pour les SPRL et aux articles 635 à 644 CDS pour les SA (nos drnières références : DHONT H., De gedwongen verkoop of aankoop van aandelen, UGA, Courtrai, 2010 ; HOOGSTOEL T., JT, 2009, 566 ; cass, 16 mars 2009, RDC, 2009, 956 et note ; RW, 2009-2010, 873 et note). 5.1. La procédure d’exclusion d’un actionnaire (cession forcée) A. Principe Sous réserve de ce qui a été précisé pour les sociétés coopératives, il n'existait pas, en droit belge, de possibilité d'exclure un associé, même lorsqu'une clause discrétionnaire figurait dans les statuts, hormis certaines hypothèses limitées (cas de l'associé qui refuse de libérer sa souscription malgré l'existence d'une clause d'exécution en Bourse). L’article 190 ter de LCSC et les articles de 636 à 641 CDS qui l’a remplacé, organisent une procédure de cession judiciaire de parts ou d'actions, c'est-à-dire concrètement d'exclusion judiciaire d'un actionnaire. L'exclusion de l'actionnaire est obtenue par un mécanisme de cession forcée de ses actions au profit des actionnaires qui en font la demande devant le tribunal, et ce pour de « justes motifs ».

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b) Champ d'application L'article 635 CDS limite l'application du mécanisme d'exclusion aux seules sociétés anonymes n'ayant pas fait ou ne faisant pas publiquement appel à l'épargne. c) Qui peut introduire cette action ? Seuls les actionnaires disposent du droit d'agir en exclusion. Ce droit n'appartient, ni à la société elle-même, ni à l'une de ses filiales (article 636, alinéa 2, CDS). L'action en justice peut être intentée par un ou plusieurs actionnaires possédant, individuellement ou ensemble : - soit les titres représentant 30% des voix attachées à l'ensemble des titres existants, - ou 20% si la société a émis des titres non représentatifs du capital (parts bénéficiaires), - soit des actions dont la valeur nominale ou le pair comptable représente 30% du capital de la société. Les seuils visés par le texte sont formulés non seulement en termes de vote mais également en termes de parts du capital, permettant de viser les détenteurs d'actions sans droit de vote. L'action ne pourrait cependant pas être introduite par des titulaires de parts bénéficiaires sans droit de vote. La question de savoir s'il convient, dans le cadre de l'appréciation du droit de vote, de tenir compte des limitations légales ou statutaires du pouvoir votal (articles 542 et 544 CDS) demeure controversée. Il est unanimement admis, en revanche, que les statuts ne pourraient prévoir des seuils plus bas ou plus élevés que ceux fixés par la loi. Relevons enfin que l'action en exclusion requiert que l'on possède la capacité d'effectuer des actes de disposition sur les actions qui font l'objet de la procédure, ce qui n'est pas sans conséquence au regard, notamment, du droit successoral (l'action doit être introduite par l'ensemble des héritiers, à peine d'irrecevabilité) et du droit patrimonial de la famille (l'action en exclusion revenant au seul époux au nom duquel les actions sont inscrites dans le registre des actionnaires). L'inscription au registre des actionnaires est certes une preuve de la qualité de propriétaire des actions de celui dont le nom y figure. Cette preuve est néanmoins réfragable.

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La présomption pourra être renversée s'il apparaît, eu égard aux éléments particuliers de la cause, que la mention dans le registre ne correspond pas à l'identité du véritable actionnaire. En cas de démembrement de la propriété des titres, il a été considéré par la cour d'appel de Bruxelles que le nu-propriétaire conservait son droit d'introduire l'action et ce, même s'il avait été prévu par les statuts que tous les droits liés aux titres seraient exercés par l'usufruitier. Dans une décision du 16 mars 2001, le Président du tribunal de commerce de Mons a été plus loin en décidant que le nu-propriétaire est seul recevable à agir en exclusion forcée, à l'exclusion de l’usufruitier: « Attendu que l'usufruitier n'est pas propriétaire des titres sur lesquels porte son usufruit ; Attendu que l'usufruitier n'a pas d'autre droit que d'user et de jouir de la chose d'autrui, à charge d'en conserver la substance ; Attendu qu'en actionnant le défendeur sur base de l'article 190ter des lois coordonnées sur les sociétés, les première et seconde parties demanderesses entendent mettre à mal les droits dont le défendeur est resté investi sur les titres qu'il possède en qualité de nu-propriétaire notamment, alors que l'obligation qui incombe à l'usufruitier de jouir en bon père de famille implique, le cas échéant, l'obligation d'administrer les biens et d'agir en vue de sauvegarder les droits du nu-propriétaire lorsqu'ils sont l'objet d'une menace (J. HANSENNE, Les Biens, T. II, 1996, Ed. Collection Scientifique de la Faculté de Droit de Liège, n° 1042, p. 1055) ; Qu'ainsi, en réservant l'action en exclusion (190ter des lois coordonnées sur les sociétés) à un ou plusieurs associés - ... - le législateur de 1995 a implicitement mais certainement écarté l'usufruitier comme titulaire de l'action ». d) Les actionnaires susceptibles d'exclusion A moins de détenir suffisamment de titres privant les autres actionnaires des seuils minimums évoqués ci-dessus, en théorie, tout actionnaire est susceptible d'être exclu. Il peut donc s'agir de l'actionnaire minoritaire comme de l'actionnaire majoritaire. Cette orientation législative est unanimement approuvée par la doctrine.

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La demande ne suppose, ni la démonstration, ni même l'existence d'une faute à charge de l'actionnaire candidat à l'exclusion. Le principe ne va donc pas sans poser problème en cas de demandes d'exclusion croisées lorsqu’aucun des actionnaires n'a commis de faute. Le juge n'aura en effet, en soi, aucun motif pour préférer l'actionnaire majoritaire à l'actionnaire minoritaire et inversement. La qualité d'actionnaire doit exister au moment de l'introduction de la demande. Si cette qualité est contestée par le défendeur (parce qu'il a déjà cédé ses titres par exemple), il ne doit pas impérativement en rapporter la preuve. La demande sera simplement déclarée non fondée à son égard. Lorsque le demandeur estime que la cession a été simulée, c'est à lui qu'il appartiendra d'établir l'existence de la prétendue simulation. S'il échoue dans cette tâche, il conserve son droit d'introduire ultérieurement une nouvelle action à l'encontre du cessionnaire, et ce pour autant que persistent à son encontre les justes motifs exigés pour faire droit à cette action. e) Les titres concernés Les titres susceptibles d'être achetés à l'actionnaire exclu sont tous les titres que ce dernier détient et qui peuvent être convertis ou donner droit à la souscription ou à l'échange en actions de la société. Cette énumération large inclut les parts bénéficiaires, avec ou sans droit de vote, les droits de souscription, les obligations convertibles ou avec warrant, mais ne comprend pas les obligations ordinaires et hypothécaires. Tous les titres de l'exclu devront être achetés, l'exclusion partielle ayant été jugée par le législateur comme contraire à l'esprit de la réglementation. f) Les causes de l'exclusion L'exclusion ne peut être demandée que pour de « justes motifs ». Le législateur a préféré cette notion, mieux connue car constituant, depuis le code civil une cause de dissolution des sociétés (article 1871, désormais 45 C. Soc.), à celle proposée initialement de « comportement qui nuit aux intérêts de la société au point que le maintien de sa qualité ne peut être raisonnablement toléré ». Les travaux préparatoires de la loi du 13 avril 1995 ont expressément précisé qu'il n'y avait pas lieu, en cette matière, d'assimiler les justes motifs à un comportement fautif dans le chef du futur exclu. En effet, la cession forcée apparaît davantage comme le constat d'une situation de fait plutôt que comme une sanction.

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La jurisprudence se plaît d'ailleurs à le rappeler régulièrement tout en soulignant, de façon parfois trop catégorique, que le fondement de l'action contre le défendeur suppose au moins que le juste motif puisse lui être imputé. Jugé que : « Bien que le concept de « justes motifs », dont il est question à l'article 190ter des lois coordonnées sur les sociétés, suppose une attitude qui soit imputable à l'actionnaire défendeur, ceci ne signifie nullement que, pour que l'action soit déclarée fondée, on doive pouvoir reprocher une faute à ce dernier ». Et que : « La cession forcée d'actions (article 190ter L.C.S.C.) est accordée si le juste motif est imputable au défendeur, sans qu'un comportement fautif de celui-ci ne soit nécessaire. La mésentente durable est, en l'espèce, imputable au seul défendeur puisqu'il ressort à suffisance des faits qu'il est à l'origine de l'escalade du conflit ». En cas de demandes de cession forcée croisées (hypothèse où le défendeur à l'action introduit une demande reconventionnelle visant à entendre condamner le demandeur à lui céder ses actions) et devant l'impossibilité d'imputer la situation délétère à l'un ou à l'autre des actionnaires, il conviendra de choisir, celui des deux actionnaires qui, soit témoigne de l'affectio societatis le plus marqué, soit présente le plus de garantie pour assurer la pérennité de l'entreprise sociale. Pour le reste, le législateur n'ayant pas défini la notion de « justes motifs », c'est au juge que revient l'application concrète de ce concept, en fonction de l'ensemble des faits de chaque cause particulière. A cet égard, il est fréquemment fait allusion à l'économie du texte et au caractère extrême de la mesure, pour insister sur le caractère particulièrement grave que doit receler le juste motif et ce, au regard de l'intérêt de la société : « La cession forcée d'actions a été conçue comme un mécanisme de règlement des conflits destiné à protéger la société. C'est donc à la lumière de l'intérêt de la société que les termes « justes motifs » doivent être interprétés ». « La procédure d'exclusion est surtout perçue comme une mesure lourde de conséquence. Elle est de nature subsidiaire, puisqu'elle ne se justifie que lorsque la survie de la société est mise en péril et qu'il faut sortir de l'impasse ».

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L'action, qui trouve toujours son origine dans des dissensions entre actionnaires, sera déclarée comme étant fondée lorsque la mésentente : - est grave et durable, - rend toute collaboration impossible et, - entrave le fonctionnement normal de la société. Retenons, parmi les cas de mésentente retenus par la jurisprudence récente comme constitutifs de justes motifs : - l'impossibilité de travailler fructueusement dans le cadre d'une SPRL de type familial lorsque deux des associés actifs, anciens amants, s'invectivent de déposer chacun plainte contre l'un contre l'autre pour des malversations qu'ils auraient commises dans la gestion de la société; - l'adoption par un associé d'un comportement mettant en péril la survie de la société, notamment en refusant de libérer le capital souscrit et en concluant des conventions contraires à l'intérêt de la société, ou aussi en prenant à son nom un brevet qui eut dû l'être au nom de la société et en utilisant malhonnêtement les fonds de la société; - une dispute privée entre actionnaires notamment émaillée d'une plainte pénale de l'un et ayant entraîné la mise en détention préventive (et temporaire) de l'autre; - l'abus de majorité ou de minorité, ou de façon plus générale, la méconnaissance durable par la majorité ou la minorité de l'intérêt social (par ex., la minorité qui bloque une augmentation de capital vitale pour la société, l'accumulation systématique de réserves sans distribution de dividende, sur la décision de l'associé majoritaire) ; - l'incapacité de droit ou de fait d'un associé d'assumer son rôle, ou le désintéressement total de la part de l'un des actionnaires de la gestion de la société, couplée au refus de ce dernier des propositions de rachat de parts présentées par un autre actionnaire; - la violation d'une convention d'actionnaires ayant pour effet un détournement de clientèle au profit du défendeur ainsi que le refus de ce dernier de consentir à une augmentation de capital, témoignant ainsi une absence d'affectio societatis; - l'inexécution par un associé de ses obligations contractuelles qui porte sérieusement atteinte aux intérêts de la société (refus de faire un apport en nature ou en numéraire).

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En revanche, n'ont pas été retenus comme justes motifs car ne mettant pas nécessairement en péril la pérennité de la société : - le fait de voter à l'assemblée générale en faveur de la dissolution de la société dans le cadre d'une procédure de pertes sociales et d'avoir introduit une demande de désignation d'un administrateur provisoire; - l'existence d'une mésentente sérieuse entre actionnaires mais extérieure aux affaires de la société elle-même et ne mettant pas en péril le fonctionnement normal de la société où le défendeur n'occupait, en tout état de cause, aucune fonction de gestion; - des plaintes vagues et générales dirigées contre l'organe de gestion plutôt que des griefs spécifiques à l'encontre d'un actionnaire; - l'existence d'une procédure de divorce entre époux, associés par ailleurs, mais dont il n'est pas démontré que la mésentente met en péril la continuité de l'entreprise; - le caractère déficitaire des activités de la société dont il n'est, pas plus, démontré que l'origine en incombe au défendeur; - une simple incompatibilité de caractère entre actionnaires, ne se manifestant que lors des assemblées générales par des votes en sens contraire; - l'existence d'un acte de concurrence déloyale commis par le défendeur plus de trois ans avant l'introduction de la procédure. Notons enfin que certains auteurs évoquent des situations indépendantes de toute situation de conflit et qui s'apparentent aux justes motifs applicables en matière de dissolution judiciaire, telles la maladie ou l'infirmité d'un actionnaire. Cette situation paraît toutefois devoir être réservée aux sociétés de petite taille où l'engagement personnel des actionnaires constitue une condition nécessaire de la viabilité de l'entreprise. g) Aspects de la procédure L'action est introduite devant le Président du tribunal de commerce de l'arrondissement judiciaire dans lequel la société a son siège, siégeant comme en référé (article 637, alinéa 1er, CDS).

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En choisissant la procédure comme en référé, le législateur a cherché à éviter les lenteurs rencontrées dans certains pays voisins. La société doit être citée à comparaître. Cette formalité permet à la société d'informer à son tour les porteurs d'actions nominatives qui ne sont pas nécessairement au fait de l'existence de la procédure (article 637, alinéa 2 CDS). Cette information leur permettra, le cas échéant, d'intervenir volontairement à la cause pour soutenir la position d'un des actionnaires en cause, et ce pour autant, bien entendu, que le tiers intervenant ait intérêt à un tel soutien. L'intervention volontaire à la cause n'est pas réservée aux seuls actionnaires résiduaires. La cour d'appel de Bruxelles a déclaré recevable l'intervention volontaire d'un créancier hypothécaire de la société pour soutenir la position de l'associé dont l'exclusion était demandée. Pour éviter que le défendeur ne fasse échec à l'action en cédant ses titres, l'article 638, alinéa 1er, CDS prévoit qu'il ne peut plus, après que la citation lui a été signifiée, aliéner ses actions ou parts ou les grever de droits réels, sauf avec l'accord du juge ou des parties à la cause. La décision du juge sur ce point n'est susceptible d'aucun recours. En cas d'actions au porteur (la situation devient plus rare), l'interdiction portée par la loi pourrait être aisément contournée. Dès lors, la désignation d'un séquestre, chargé de conserver les titres du défendeur, pourra être demandée. Cette mesure ne sera, à l'évidence, efficace que si elle est demandée, sur requête unilatérale, préalablement à l'introduction de la procédure d'exclusion. Le juge peut également ordonner la suspension des droits liés aux actions ou parts à transférer (droit à l'information, à voter, à participer aux assemblées) à l'exception du droit aux dividendes. Cette décision n'est, elle non plus, susceptible d'aucun recours (article 638, alinéa 2, CDS). Pour éviter de laisser la société aux mains des demandeurs pendant toute la durée de la procédure, certains auteurs avancent la possibilité de demander, au juge des référés, de prendre des mesures conservatoires telle la désignation d'un administrateur provisoire. Il est en effet admis que ce pouvoir ne pourrait revenir au Président du tribunal de commerce dans le cadre de la procédure d'exclusion portée devant lui et dont la compétence est, alors, strictement limitée par le contenu des articles 638 et 640 CDS.

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h) Sort des clauses d'incessibilité, d'agrément ou de préemption L'article 639 CDS dispose que : « Lors du dépôt de ses premières conclusions, le défendeur joint une copie des statuts coordonnés et une copie ou un extrait de toutes conventions restreignant la cessibilité de ses actions. Le juge veille à respecter les droits qui résultent de ces dernières lorsqu'il ordonne la cession forcée. Le juge peut toutefois se substituer à toute partie désignée par ces statuts ou conventions pour fixer le prix d'exercice d'un droit de préemption, réduire les délais d'exercice des droits de préemption moyennant un escompte, et écarter l'application des clauses d'agrément applicables aux actionnaires. Pour autant que les bénéficiaires aient été appelés à la cause, le juge peut se prononcer sur la licéité de toute convention restreignant la cessibilité des actions dans le chef du défendeur ou, le cas échéant, ordonner le transfert de ces conventions aux acquéreurs des actions ». Le juge dispose en cette matière, d'un grand pouvoir, admissible s'il s'agit d'écarter l'application d'une clause d'agrément qui viendrait paralyser la procédure d'exclusion, moins justifiée lorsqu'elle autorise le juge à se substituer à un tiers qui aurait été désigné par les parties pour fixer le prix d'exercice d'un droit de préemption. i) Effets de la décision du juge Le juge condamne le défendeur à transférer, dans un délai qu'il fixe à dater de la signification du jugement, ses actions aux demandeurs et, les demandeurs à accepter des actions contre paiement du prix qu'il fixe (article 640, alinéa 1er, CDS). La reprise s'effectue, le cas échéant après l'exercice des éventuels droits de préemption visés par le jugement, au prorata du nombre d'actions et parts détenues par chacun, à moins qu'il en ait été convenu autrement (article 640, alinéa 3, CDS). Les demandeurs sont solidairement tenus au paiement du prix (article 640, alinéa 4 CDS). Notons que le jugement tient lieu de titre pour le transfert des titres nominatifs (article 640, alinéa 2, CDS), tandis que pour les actions au porteur, le juge pourrait assortir sa décision d'une astreinte pour forcer l'associé exclu à délivrer ses titres.

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Enfin, la décision prononcée par le juge est exécutoire par provision, nonobstant tout recours (article 640, alinéa 4, CDS), l'exécution de la décision malgré l'introduction d'un recours entraînant cependant les effets de l'article 638, soit la suspension des droits attachés au titre (article 640, in fine CDS). Le juge d'appel peut restaurer le droit au cantonnement, encore ce droit aurait-il été expressément écarté par le premier juge. j) Le transfert du droit de vote L'article 641 CDS traite le cas de l'élimination des « votants gênants » dans les hypothèses d'une dissociation du droit de vote et du droit de propriété (usufruit, gage, mandat, indivision, etc.). Cette disposition offre la possibilité pour des actionnaires, dans les mêmes conditions, d'intenter une action ayant pour objet de transférer le droit de vote aux autres titulaires des actions. Ces derniers seront appelés à la procédure à peine d'irrecevabilité (article 641, alinéa 2, CDS). L'ensemble des règles décrites ci-dessus à propos des effets du jugement et de la procédure, sont également d'application. 5.2. La procédure de retrait d’un actionnaire (ou rachat forcé) a) Principes Dans la procédure de retrait, le demandeur à l'action pourra quitter l'actionnariat de la société en obtenant la condamnation d'un des autres actionnaires à lui racheter tous ses titres. L’ancien article 190 quater du LCSC prévoyait que : « Tout associé peut, pour de justes motifs, demander en justice que les associés à l'origine de ces justes motifs, reprenne toutes ses actions ou parts, ainsi que les obligations convertibles en actions ou des droits de souscription qu'il détient ». La même disposition a été reprise par le Code des sociétés.

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b) Similitudes avec le mécanisme d'exclusion Les sociétés visées sont les mêmes qu'en matière d'exclusion, les sociétés ayant fait ou faisant appel public à l'épargne n'étant pas concernées par cette procédure. Les titres de la société, objet de la demande de rachat forcé, sont identiques à ceux visés par la procédure d'exclusion et ne comprennent donc pas les obligations ordinaires ou hypothécaires. La référence aux « justes motifs » est elle aussi maintenue, de même que les règles de procédure. L'article 642, alinéa 2, renvoie en effet aux articles 637, 638, alinéa 2 et 639 CDS. Ici aussi, la décision du Président sera exécutoire par provision nonobstant tout recours. Sa compétence est strictement délimitée par la demande de retrait et il ne pourra connaître d'autres questions relatives au fond de l'affaire. c) Différences avec le mécanisme d'exclusion L'esprit de l'action en retrait est, en réalité, totalement différent de celui qui préside à l'action en exclusion : alors qu'il s'agit, en matière d'exclusion, d'évincer un actionnaire dont le maintien de la présence peut paraître préjudiciable pour la continuité de l'entreprise, le demandeur à l'action en retrait entend, pour sa part, se désintéresser totalement et définitivement du sort de cette entreprise. Dans le premier cas, le législateur a entendu protéger les intérêts de la société alors que, dans le second, c'est la protection des intérêts de l'actionnaire sortant qui est poursuivie. Cette différence, qui n'est pas sans effet sur l'appréciation des justes motifs qui doivent exister pour fonder la demande, en entraîne d'autres sur le plan du régime mis en place : - l'action en justice peut être intentée par tout actionnaire, aucun seuil n'étant ici exigé (corollaire de la recherche de protection de l'intérêt individuel du demandeur en retrait) ; - il n'existe pas d'interdiction pour une filiale, ou pour la société elle-même, d'introduire l'action (le cas de figure de l'action en retrait introduite par la société même étant de toute manière inconcevable) ;

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- l'action a pour but de contraindre l'actionnaire qui est à l'origine des « justes motifs », à racheter tous les titres du demandeur ; il conviendra ici de s'interroger expressément sur l'imputabilité des « justes motifs » à l'actionnaire qui est en défense. d) L'appréciation des justes motifs en matière de rachat forcé Il ressort de ce qui précède, que la preuve de l'existence de « justes motifs » présente, par rapport à la procédure d'exclusion, deux particularités fondamentales : - Contrairement aux « justes motifs » de l'article 641 C. Soc. qui vise avant tout la recherche de l'intérêt de la société, c'est l'intérêt personnel de l'actionnaire demandeur qui est ici à l'avant-plan dans le cadre de la procédure de retrait ; - La reprise ne peut être exercée que contre l'actionnaire qui est à l'origine des « justes motifs ». Il faudra donc établir un lien de causalité entre le juste motif invoqué et le comportement de l'actionnaire contre lequel la demande est dirigée. La notion de « justes motifs » comme condition de fondement de l'action est donc plus restreinte qu'en matière d'exclusion ou de dissolution judiciaire puisque toute possibilité d'obtenir gain de cause sur cette base sera exclue si la situation qui justifie la demande ne peut être imputée à un ou plusieurs actionnaires en particulier. Cette restriction est néanmoins largement compensée par le fait que l'on ne tiendra plus prioritairement compte de l'intérêt social dans l'appréciation des « justes motifs », notamment en ce qui concerne la paralysie du fonctionnement de la société. Jugé que : « Dans son appréciation des 'justes motifs', le juge doit peser à la fois l'intérêt des associés demandeurs et l'intérêt social, même si l'accent doit être mis sur l'intérêt desdits associés ». Ou que : « Le retrait constitue une mesure moins subsidiaire que l'exclusion, en raison de l'absence de caractère sanctionnateur qui la caractérise. La faveur s'exprimant au profit du retrait, comme technique de règlement des conflits entre associés, se manifeste surtout au niveau de l'appréciation des justes motifs dans le chef du retrayant.

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Dans le cadre de l'article 190quater des lois coordonnées sur les sociétés, il n'est pas nécessaire que le fonctionnement de la société soit paralysé ou même affecté. Il suffit que la mésentente soit durable et qu'un associé se trouve de facto marginalisé, ravalé au rang d'investisseur passif et se retrouve prisonnier de ses actions ; la volonté de collaborer dès lors s'éteint ». Deux constantes se dégagent : - d'une part, il faut une mésentente grave et durable entre actionnaires, cette mésentente justifiant justement la volonté du demandeur de se retirer de la société ; - d'autre part et quoique devant imputer les « justes motifs » à un ou des actionnaires en particulier, il n'est pas requis que ces « justes motifs » soient constitutifs d'une faute. Les exemples rappellent nettement ceux évoqués en matière d'exclusion. Les actionnaires cités en rachat forcé revêtent souvent la qualité d'administrateur, cette fonction leur ayant justement permis de poser les actes qui font naître la situation de conflit. Parmi les éléments considérés comme étant des justes motifs pour faire droit à la demande de retrait, relevons : - dans une société de comptabilité (SPRL) composée de deux associés actifs, le refus persistant de l'actionnaire majoritaire (suite à la souscription d'une augmentation de capital) de permettre au minoritaire d'acquérir des parts sociales complémentaires afin de rééquilibrer leurs participations respectives; - l'abus de majorité consistant, pour les majoritaires, dans la réunion d'une assemblée générale pendant les vacances du minoritaire en vue de le révoquer de son mandat d'administrateur, dans la non exécution d'un pacte d'actionnaire et dans l'utilisation des actifs de la société à des fins personnelles; - l'absence de réponse à des questions précises concernant les irrégularités dans la gestion de la société, ainsi que la révocation du demandeur de son mandat d'administrateur dès l'introduction de l'instance, rendant impossible toute collaboration future; - l'abus de majorité consistant en la mise en réserves systématique des bénéfices alors que ceux-ci, pendant plusieurs exercices, sont largement supérieurs aux besoins d'investissement ou à la couverture d'un risque de détérioration de la conjoncture, de même que l'attribution de rémunérations somptuaires et injustifiées aux administrateurs représentant le groupe majoritaire;

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- l'abus de majorité consistant dans l'utilisation de l'actif social (patrimoine immobilier transformé préalablement, par mécanisme de ventes, en valeurs exclusivement mobilières) au détriment de l'intérêt général de la société et au profit de leur intérêt personnel ou de sociétés tierces dans lesquelles ils ont eux-mêmes des intérêts; - la remise en cause de la position dirigeante qui avait été conférée au demandeur par une convention de management intuitu personae ainsi que l'impossibilité pour ce dernier de céder sa participation à d'autres actionnaires ou à des tiers; - dans une société comptant trois actionnaires dont chacun est propriétaire d'un tiers des actions, le fait pour deux d'entre eux de conspirer contre le troisième, rompant ainsi l'équilibre dans le rapport des actions. En revanche, n'ont pas été retenus comme constituant des motifs suffisants : - des investissements indispensables réalisés sur un autre site d'exploitation que celui dont l'actionnaire demandeur avait la charge et malgré l'opposition de ce dernier; - les seuls intérêts personnels des demandeurs lorsque ces derniers sont à l'origine de la situation dont ils se plaignent et que le rachat de leurs actions priverait la société d'une partie non négligeable de ses moyens d'actions ; - la mise en œuvre, par les actionnaires majoritaires, d'une stratégie de gestion conforme à l'intérêt social mais qui ne répond pas aux attentes des minoritaires; - de simples erreurs comptables et une mauvaise gestion de la société mais en l'absence de quelconques manquements en qualité d'associé; - la simple obstruction au pouvoir d'investigation individuelle dans la mesure où des procédures moins extrêmes que le retrait permettraient d'y pallier; e) Pluralité d'actionnaires à l'origine des « justes motifs » Lorsqu'ils sont plusieurs, quid de la proportion dans laquelle les actionnaires à l'origine des justes motifs devront racheter les actions du retrayant ? En matière d'exclusion, l'article 640, Alinéa 3, C. Soc prévoit que la reprise s'effectue « au prorata du nombre d'actions détenues par chacun, à moins qu'il en ait été convenu autrement ». Cette précision n'est pas portée par l'article 643, alinéa 3, traitant de la reprise des titres en matière de retrait.

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Doctrine et jurisprudence considèrent toutefois que cette règle de reprise proportionnelle s'applique mutatis mutandis à la procédure de retrait : les associés responsables des justes motifs reconnus par le juge seront tenus de reprendre les actions en proportion de leur participation dans la société. 5.3. La détermination du prix a) Difficultés quant aux critères de l’évaluation La problématique de la détermination du prix auquel la cession des actions sera opérée est commune aux deux procédures de cession ou de rachat forcés. Lorsque l'action en exclusion ou de retrait est accueillie, quel est le prix qui devra être versé à l'actionnaire sortant ? Certains auteurs rappellent la grande incertitude qui règne à ce sujet, tant en doctrine qu'en jurisprudence, et ce en raison du caractère particulièrement succinct des dispositions légales en la matière.

Une chose est certaine : le juge dispose du plus grand pouvoir d'appréciation et la loi ne lui impose aucune méthode particulière d'évaluation. Il peut, soit fixer lui-même le prix s'il s'estime suffisamment informé pour le faire, soit désigner un expert (le plus souvent un réviseur d'entreprises) conformément aux règles du code judiciaire en matière d'expertise. La doctrine considère de façon unanime que dans ce dernier cas, le juge ne sera pas lié par l'évaluation fournie par l'expert. Les formules pour définir les critères de détermination du prix varient. Il a été jugé par exemple que le prix de cession doit résider dans « une moyenne entre la valeur du patrimoine et la valeur de rendement de la société » alors que d'autres décisions retiennent que le prix doit correspondre « à celui qu'un tiers serait disposé à offrir pour acquérir la participation de l'actionnaire exclu ». Dans ce dernier cas, si la société est en pertes, qu'elle n'a jamais dégagé de bénéfices depuis sa constitution et que la valeur des actions devrait donc être considérée comme nulle d'un point de vue strictement comptable, le prix de cession peut être fixé au franc symbolique eu égard au fait que le nouvel actionnaire devra nécessairement participer ultérieurement à un effort de recapitalisation de la société.

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b) A quel moment doit-on se placer pour évaluer la valeur des actions ? Les solutions divergent. Certains juges estiment qu'il convient de se placer au moment de la citation introductive d'instance. Pour d'autres, plus rares, c'est le moment où le jugement est prononcé qui prévaut. Une partie de la jurisprudence enfin, s'oriente vers une solution qui viserait à voir compenser, dans le cadre de la fixation du prix des actions, la moins-value subie en raison du comportement fautif du défendeur. Les décisions s'inscrivant dans ce courant, soutenu par une partie de la doctrine, invitent l'expert désigné à fournir une évaluation des actions, non seulement à la date de la citation, mais également au moment où les faits constitutifs des « justes motifs » ont débuté. Certains auteurs ne partagent pas cette opinion : - d'une part, parce qu'elle s'inscrit en porte-à-faux avec l'interdiction, pour le Président statuant dans le cadre des pouvoirs limités définis par les articles 635 à 643 CDS, d'allouer des dommages et intérêts à l'une ou à l'autre des parties. Une demande d'indemnisation pourra toujours être demandée ultérieurement devant le tribunal de commerce, la procédure en exclusion et en retrait étant exclusivement destinée à gérer - avec rapidité - une situation de conflit entre actionnaires ; - d'autre part, faire remonter l'évaluation au moment du début des justes motifs pourrait conduire les parties à devoir débattre, devant le Président, de l'inaction du demandeur pendant une trop longue période. Ici encore, il nous paraît douteux qu'un tel débat ait à se dérouler dans le cadre d'une procédure devant la juridiction présidentielle. c) Une clause statutaire ou conventionnelle de détermination de prix peut-elle avoir une incidence dans la fixation du prix par le juge ? Dans une affaire soumise au Président du tribunal de commerce de Courtrai, celui-ci estima qu'il serait lié par une clause fixant le prix des actions dans le cadre d'une clause de préemption, uniquement si le droit de préemption était exercé conformément à l'article 640, al. 3, CDS. Il ne serait, en revanche, pas lié par la clause de fixation de prix si le droit de préemption n'était pas exercé.

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Dans le même sens, le Président du tribunal de commerce d'Alost a estimé qu'une cession forcée devait avoir lieu à la valeur réelle des actions, sans tenir compte d'une clause statutaire de fixation de prix. 5.4. Articulation des différents modes d'exclusion ou de retrait L'on peut enfin se poser la question de savoir si les procédures d'exclusion et de retrait sont élusives d'autres modes, statutaires ou conventionnels, d'exclusion ou de rachat forcé. Une réponse négative s'impose. La pratique a vu naître des procédures conventionnelles d'exclusion (clause d'exécution en bourse, clause de « changement de contrôle », clause de « rachat forcé ») dont la légalité n'est pas contestée, moyennant le respect de certaines conditions. L'exclusion et l'offre de retrait au sens des articles 635 à 643 sont des remèdes ultimes constituant une réglementation supplétive pénalisante. Il s'agit d'encourager les parties à établir une procédure conventionnelle de résolution des conflits préalablement à la naissance de ceux-ci, le juge ne se saisissant de l'affaire que si la virulence du conflit s'oppose à ce que ces conventions sortent leurs effets. 6. La mise en liquidation de la société commerciale et la dissolution pour justes motifs (v. not. BUYLE J.P. et PAULUS de CHATELET P., La mise en liquidation de la société commerciale comme mode ultime de résolution des conflits entre actionnaires, in Les conflits au sein des sociétés commerciales ou à forme commerciale, Jeune Barreau de Bruxelles, 2004, p. 285 et suiv.).