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2018

Regards sur la coopération judiciaire internationale

Les cahiers de

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Propos introductifPar Jean Claude MARIN, Président de JCI

Cette première parution de la Revue de JCI intervient alors que Le ministère de la Justice vient de publier sa stratégie de coopération internationale, fournissant ainsi un cadre de référence pour l’ensemble des activités internationales mises en œuvre par les institutions en lien avec le système judiciaire.

Cette initiative est d’autant plus heureuse qu’elle s’accompagne de la création, au double niveau technique et politique, d’instances de coordination qui devraient contribuer à rendre plus cohérentes et plus visibles des activités qui, au sein de notre monde juridique et judiciaire, ont d’ores et déjà une très large place.

• Facilité par le foisonnement des réseaux internationaux unissant des cours d’appel, des procureurs généraux, des Cours suprêmes, les Conseils supérieurs de justice, les Écoles de formation…, ce au niveau régional, national, européen ou international, un tissu serré de relations interpersonnelles s’est constitué, socle de rencontres et d’activités bilatérales multiples.

• De manière très fortement structurée, et pour certaines de fort longue date, nos écoles professionnelles - l’École de la Magistrature, l’École Nationale de l’administration pénitentiaire, l’École des greffes - développent des activités internationales et s’organisent, ou se réorganisent, pour répondre à une demande croissante avec de plus en plus de cohérence et d’efficacité.

• Les professions du droit s’investissent dans tous les pays du monde pour faire connaître leur organisation professionnelle, leur statut, leur déontologie, et en démontrer les vertus au service de la sécurité juridique, des droits de la défense, et du développement économique, sans préjudice de leur appui au rayonnement du droit continental.

Depuis une quinzaine d’années, les bailleurs internationaux, au premier rang desquels l’Union Européenne, financent, dans des proportions de plus en plus importantes, des actions de coopération dans le secteur judiciaire. Qu’il s’agisse d’ actions ponctuelles voire de très courte durée, ou de projets à plus long terme leur mise en œuvre appelle l’enchainement cohérent de phases multiples, suivant un programme prédéfini qu’il convient de piloter sur des périodes allant de 18 mois à 5 ans. Il s’agit de budgets conséquents, dont la gestion dans le temps nécessite un suivi et un contrôle rigoureux.

Pour pouvoir bénéficier de ces financements, le monde juridique et judiciaire s’est doté d’un opérateur, sous la forme d’un groupement d’intérêt public, Justice Coopération Internationale ou JCI, qui a pris la suite d’ACOJURIS, antérieurement créé à l’initiative du ministère de la Justice.

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Interface entre les bailleurs de fonds et les institutions ressources d’expertise, JCI permet à ses membres de prendre part aux programmes de coopération internationale, en mode projets, auprès d’États bénéficiaires, de leurs administrations et de leurs institutions juridiques et judiciaires, en parfaite complémentarité avec les activités de coopération bilatérale conduites en parallèle, avec l’atout essentiel d’apporter les financements, d’en assurer la gestion, ainsi que la conduite du projet lui-même, et d’inscrire l’ensemble des projets dans la durée.

Si des liens bilatéraux préexistaient, ils s’en trouvent renforcés, s’ils n’existaient pas, l’opportunité d’en créer est ainsi donnée.

La mesure de l’efficacité de ces actions de coopération est souvent difficile à quantifier, et elles peuvent générer un certain scepticisme entraînant, parfois, une mise en cause de l’utilité même de la coopération internationale.

Pourtant il s’agit de porter la spécificité de la culture et de l’expérience françaises dans le domaine juridique et judiciaire, et donc leur rayonnement, soit directement, dans des actions bilatérales mettant en lumière une institution, une procédure, un volet de notre droit, soit, indirectement, dans des actions multilatérales portant, via l’expertise française, les valeurs de notre système, qui se conjuguent avec celles de l’état de droit. Cet enjeu ne peut être qualifié de médiocre.

Cependant, il n’est souvent que très mal perçu, et cela doit interroger sur les modalités du retour d’information sur les activités et projets, ainsi que sur leur évaluation.

En l’état, ce retour va rarement au-delà de la connaissance qu’en ont les experts participants, et de la relation qui peut occasionnellement en être faite dans tel ou tel séminaire ou cercle de discussion nécessairement restreint. Cette déperdition est éminemment regrettable.

Mieux faire à cet égard permettrait sans doute de convaincre davantage de professionnels du monde juridique et judiciaire de l’intérêt de participer à des missions de coopération internationale. À défaut d’y parvenir, celle-ci sera abandonnée à des professionnels du « consulting », au détriment de l’expertise spécifique « justice » qui est attendue, et dont tous les bénéficiaires saluent précisément la qualité de la mise en œuvre par des équipes françaises.

Si le rapport annuel de JCI retrace certes bien les activités et projets mis en œuvre par le groupement d’intérêt public, tout comme le font les bilans annuels établis par les directions du ministère, les Écoles et les organes représentatifs des professions, il n’en donne qu’une vision statique, essentiellement quantitative.

Nous avons, à JCI, la volonté de faire mieux.

Un premier pas dans cette direction a été de prévoir, à la faveur du renouvellement du groupement, et à l’initiative de Daniel Lecrubier, la création d’un Conseil d’appui. Mis en place en octobre 2017, composé de onze membres issus ou proches du monde judiciaire sous ses diverses facettes, il a vocation à soutenir JCI et à assurer une information pertinente sur le travail réalisé par le groupement, tant auprès des institutions judiciaires que de la société civile.

Un second pas est aujourd’hui franchi. En effet, il a été décidé de s’atteler à la création d’une revue qui, faisant pendant de notre rapport d’activité dont la parution intervient en avril-mai, viendrait, en fin d’année, présenter, sous divers angles, le contenu, les méthodes et les résultats d’activités et projets de coopération judiciaire internationale conduits par le groupement.

C’est la vocation de ces nouveaux « Cahiers de JCI ».

Plusieurs membres du groupement, du Conseil d’appui, ainsi que certains de nos experts, ont très activement contribué à cette première édition, qu’ils en soient ici vivement remerciés.

Puisse cette nouvelle initiative contribuer à la reconnaissance, par l’ensemble du monde juridique et judiciaire de notre pays, de l’importance que revêt la coopération internationale, enjeu fondamental investi par bon nombre de nos partenaires internationaux, loin de l’activité dilettante, proche de celle d’un club de vacances, encore propagée par de trop nombreux professionnels de la justice.

L’ambition de ces Cahiers est de faire valoir les activités de coopération judiciaire engagées par Justice Coopération internationale dans les projets et sur les thématiques où il est présent dans le contexte multilatéral.

En même temps, multilatéral et bilatéral se nourrissant l’un l’autre, les Cahiers sont aussi l’occasion de mettre en exergue la diversité de l’action internationale de ses membres : leurs activités bilatérales, le plus souvent inscrites dans un contexte inter-institutionnel – réseaux d’Écoles ou autres institutions, jumelages entre juridictions … - sont également valorisées ici, avec l’intention de mettre en lumière la complémentarité des deux approches.

C’est ainsi que pour ce premier numéro, JCI a d’abord choisi de présenter des projets qui ont été l’occasion d’ « exporter » sinon nos professions judiciaires telles quelles, du moins des éléments structurant de leur statut et de leur fonctionnement, vers des pays demandeurs : il en est ainsi du projet bilatéral conduit par le Barreau de Paris avec le barreau russe, dont Me IWEINS, ancien Bâtonnier du barreau de Paris, nous décrit la genèse et le contenu, et du jumelage européen piloté par JCI en Albanie pour le compte de la Chambre nationale des huissiers de justice, qui a bien voulu nous en exposer, de son point de vue et deux ans après son achèvement, le bilan et les suites.

Les deux articles suivants relatent deux expériences d’analyse en profondeur menées dans le cadre de projets européens.

La première intéresse le fonctionnement des juridictions, et elle s’est déroulée en Palestine, dans le contexte général d’un projet dédié au renforcement du système judiciaire de ce pays : dans ce cadre, John Mac KEE, premier président honoraire, a été l’expert envoyé par JCI pour analyser la durée des procédures et les moyens mis en œuvre pour résoudre les retards dans la gestion des flux de dossiers, et formuler des recommandations sur de possibles remèdes complémentaires.

La seconde s’est déroulée dans trois pays des Balkans. Elle a été conduite, en Albanie et en Bosnie-Herzégovine, par Bernard LEGRAS,

procureur général honoraire, et en Serbie par Marc BRISSET-FOUCAUT, avocat général honoraire. Parmi leurs constatations, analyses et propositions, JCI a choisi de retenir plus particulièrement, en une présentation comparative, celles qui concernent le fonctionnement des services des Parquet.

Ces missions se sont déroulées selon une méthode « immersive », les experts s’étant véritablement positionnés à l’intérieur des services concernés, instaurant, avec leurs magistrats et personnels judiciaires, c’est-à-dire entre pairs, un dialogue proche et prolongé, très différent, dans ses effets, des expertises de très courte durée et autres conférences thématiques ponctuelles qui, trop souvent, constituent la seule ossature des activités de coopération internationale.

Merci aux deux intéressés pour les rapports très fouillés qu’ils ont dressés, l’un et l’autre, de leurs missions respectives, qui a permis à JCI d’en extraire les éléments de cette comparaison instructive.

Il est enfin proposé, pour conclure ce premier numéro, un vaste panorama de la coopération bi et multilatérale dans le domaine pénitentiaire. Il est essentiellement le produit de l’investissement de Philippe LEMAIRE, avocat général près la Cour de Cassation, qui, au bénéfice aussi de son mandat de Président du Conseil d’Administration de l’École nationale de l’Administration pénitentiaire, très récemment venu à son terme, s’est livré à un inventaire extrêmement précis auprès de la Direction de l’Administration pénitentiaire et de l’ École, mènent aussi en parallèle, des entretiens avec les chefs de projets et conseillers résidents des projets conduits par JCI, en particulier les jumelages pénitentiaires mis en œuvre dans les trois pays du Maghreb.

C’est grâce à ce travail que JCI peut aujourd’hui proposer un texte qui va au-delà d’un simple catalogue descriptif et qui ouvre, à partir de l’exemple de la pénitentiaire, une réflexion susceptible d’être étendue à l’ensemble de la coopération judiciaire internationale, quant à ses objectifs et aux moyens de les développer et d’en enrichir les résultats.

PrésentationPar Nicole COCHET, Directrice Générale de JCI

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Propos introductifp 3

Présentation et sommaire p 5

COMMENT S’« EXPORTENT » NOS PROFESSIONS JUDICIAIRES ?

p 8

Une coopération judiciaire réussie : Avocats russes et avocats français (Bâtonnier Paul Albert IWEINS)

p 8

Vers l’huissier libéral en Albanie (Chambre Nationale des Huissiers de justice)

p 10

FONCTIONNEMENT DES SYSTÈMES JUDICIAIRES, REGARDS CROISÉS

p 13

Les délais du traitement des dossiers dans les juridictions de Cisjordanie-Palestine (John Mac KEE)

p 13

Fonctionnements et dysfonctionnements des services du Parquet de trois pays des Balkans (Albanie, Serbie, Bosnie-Herzégovine) Bernard LEGRAS (Albanie et Bosnie-Herzégovine), Marc BRISSET FOUCAUT (Serbie)

p 18

PANORAMA DE L’ACTION INTERNATIONALE DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE ET DE SON ÉCOLE DE FORMATION (PHILIPPE LEMAIRE)

p 31

Sommaire

Les cahiers de

Regards sur la coopération judiciaire internationale

2018

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Juillet 2003 : Deuxième chance : sous l’impulsion

de Madame Agnès LALARDRIE, Magistrat de liaison

récemment nommée à Moscou, le Président de la

Chambre Fédérale des Avocats de Russie, Evgeny

SEMENIAKO, rend visite au Barreau de Paris, dont j’ai

alors l’honneur d’être Bâtonnier, avec une délégation

de confrères russes. Le dialogue est immédiatement

chaleureux et nous constatons qu’après des décennies

d’état totalitaire, les avocats russes ont soif d’apprendre

leur nouvelle profession. Nous décidons, par la signature

d’une convention, de la mise en place de sessions de

formation à Paris, Moscou et Saint-Pétersbourg pour

aider nos confrères dans l’élaboration d’un code de

déontologie, pierre angulaire de tout Barreau. Le fait que

le Premier Ministre Jean-Pierre RAFFARIN m’invite dans le

même temps à participer à la délégation officielle lors de

sa visite en Russie rehausse pour nos interlocuteurs l’idée

de la place d’un Barreau dans une société démocratique.

S’ensuivent 4 années de fructueuse collaboration entre

nos institutions, avec des échanges portant d’abord sur

les règles déontologiques et professionnelles, puis sur

les sujets les plus divers et les plus pratiques.

Décembre 2007 : Continuité : Président du Conseil

National des Barreaux, je retrouve mon ami SEMENIAKO

qui a été réélu dans ses fonctions nationales, et la

Chambre Fédérale signe une convention avec le Conseil

National des Barreaux dans la continuité de celle signée

avec le Barreau de Paris. La coopération se poursuit et

s’amplifie. Des avocats russes participent aux Conventions

Nationales du Conseil National des Barreaux à Marseille

puis à Lille, et nous sommes invités à leurs manifestations

où nous intervenons (Forum Légal de Saint Pétersbourg

et colloques internes à la profession). Les sessions de

formation s’élargissent à la gestion des cabinets d’avocats,

puis les Russes s’intéressent à la fusion intervenue en 1991

en France entre les conseils juridiques et les avocats,

puisqu’ils sont alors confrontés à la même problématique.

Ils sollicitent aussi notre expertise sur l’accès au droit des

plus démunis. Nous sommes consultés en cas de crises

et ils nous témoignent de leur amitié et de leur solidarité

lorsque nous manifestons, par exemple, en France, à

propos de la revalorisation de l’aide juridictionnelle…

Mai 2018 : approfondissement : Le Barreau de Paris,

qui a cédé sa place au Conseil National des Barreaux

pour la coopération avec la Chambre Fédérale des

avocats de Russie, signe deux conventions d’assistance

mutuelle, l’une avec le Barreau de Moscou, l’autre avec le

Barreau de Saint-Pétersbourg, dont Evgeny SEMENIAKO

est redevenu Bâtonnier, après avoir quitté la Présidence

nationale. De leur côté, et grâce à la Conférence des

Bâtonniers, différents barreaux de Russie ont signé des

conventions similaires avec des barreaux français.

Quelques points forts ensuite :La relation personnelle est essentielle pour nouer

des relations durables. Il faut savoir partager un repas

(et participer aux toasts successifs) avec les Russes pour

percevoir la profondeur de leur amitié. La volonté d’aboutir

de Madame LALARDRIE, la chaleur de la rencontre et

l’intérêt que certains membres du Conseil de Paris ont

immédiatement manifesté pour assister le Barreau russe

ont joué un rôle essentiel dans les premiers contacts,

mais il fallait aussi s’investir dans la durée. Les Bâtonniers

BURGUBURU et CHARRIERE BOURNAZEL ont compris

l’enjeu et pris le relais, mais une mention particulière

doit être faite du rôle de Madame Marie-Aimée PEYRON,

actuelle Bâtonnier de Paris, russophone, qui s’est investie

dès 2003 et jusqu’à ce jour, dans les différentes fonctions

qu’elle a occupées, dans l’animation concrète de cette

relation privilégiée.

Notre système de droit continental est un excellent

vecteur de coopération avec les nations dont le droit

se construit ou se reconstruit. Droit écrit, partiellement

traduit sur Légifrance, éclairé par une jurisprudence

dont les principes s’exposent en quelques lignes, il est

facilement transposable et nos interlocuteurs le savent.

Nos concurrents et amis anglo-saxons, porteurs d’un droit

complexe et essentiellement jurisprudentiel, ne sont pas

toujours conscients de leur handicap.

Un mot enfin sur ce que nous pouvons apporter comme

« supplément d’âme ». En 2008, à l’occasion de l’une de

ses premières manifestations internationales, le Barreau

russe a bien voulu honorer publiquement le Conseil

National des Barreaux, et lui seul, en lui remettant le prix

de la coopération internationale. En aparté le Président

SEMENIAKO m’expliqua : « depuis cinq ans, nous nous

sommes adressés à tous les grands barreaux du monde

pour solliciter leur coopération. Beaucoup ont répondu

présent et ont voulu nous expliquer comment bien

gagner notre vie. Ce n’est pas de cela dont nous avions

besoin. Vous seuls nous avez dit : il vous faut d’abord

une déontologie solide et c’est sur cette base que nous

avons construit notre Barreau… ».

N’ayons donc pas de timidité ou de complexes : l’image

de la France comme patrie du droit et des libertés est

encore bien présente, et nous pouvons beaucoup apporter

à ceux qui le demandent.

Toute coopération internationale est question

d’opportunités et de relations personnelles qui se

nouent entre les intervenants. À ce titre, les relations

étroites et suivies qui existent entre les barreaux russe

et français depuis plus de quinze années peuvent faire

figure d’exemple.

Quelques dates tout d’abord : Novembre 1991 : Une occasion manquée : la Russie

soviétique s’est effondrée et le Conseil de l’Ordre de Paris

auquel j’appartiens reçoit, à l’initiative de la Chancellerie,

le tout jeune Ministre de la justice du gouvernement formé

par Boris ELTSINE. Dans une intervention émouvante,

il appelle à la coopération des juristes français pour

reconstruire un état de droit. Désignant une horloge au

mur de la salle du Conseil il nous dit : « l’heure

du droit s’est arrêtée dans mon pays en 1917 et

à cette heure-là notre droit était français ! » Las,

l’instabilité du premier gouvernement post-soviétique ne

permit pas la mise en place d’une coopération pérenne. Il

fallut attendre 2001 et l’impulsion donnée par le nouveau

Président Vladimir POUTINE (qui entendait alors doter

son pays de structures modernes et démocratiques) pour

qu’avec l’assistance d’experts du Conseil de l’Europe,

dont notamment Madame le Professeur FRISON-ROCHE

et Maître Mary Daphné FISHELSON, la Russie adopte

de nouvelles Lois et Institutions judiciaires. La Loi du 31

mai 2002 créant le Barreau Fédéral de Russie instituait

ainsi une profession d’avocat très semblable au modèle

français.

Comment s’«exportent » nos professions judiciaires ?

UNE COOPÉRATION RÉUSSIE : LES AVOCATS RUSSES ET FRANÇAIS

par Paul Albert Iweins, avocat, ancien Bâtonnier du barreau de Paris

Comment s’«exportent » nos professions judiciaires ? L’organisation et le fonctionnement de nos professions, et les règles d’éthique qui les

gouvernent, exercent un réelle attractivité pour des États en quête de renforcement

de leurs structures judiciaires, qu’il s’agisse d’améliorer la place des avocats ou le

régime de l’exécution des décisions, tant il est universellement compris que l’état

de droit ne peut se passer ni d’une défense solide garantissant l’équité du procès

tant au civil qu’au pénal, ni d’une exécution effective des décisions, dans un délai

raisonnable, tout en respectant les droits des créanciers comme des débiteurs.

L’expérience du travail bilatéral au long cours entre les barreaux français et russe,

et l’engagement de la Chambre Nationale des huissiers français dans un jumelage

conduit en Albanie, avec pour objectif d’implanter dans ce pays le modèle d’huissier

libéral qui est le nôtre, en donnent ci-après deux illustrations.

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Comment s’«exportent » nos professions judiciaires ?

VERS L’HUISSIER LIBÉRAL EN ALBANIE

Par la Chambre Nationale des Huissiers de justice

Comment s’«exportent » nos professions judiciaires ?

Depuis de nombreuses années, la Chambre nationale

des huissiers de justice (CNHJ) mobilise son expertise à

l’international, la stratégie qu’elle met en œuvre étant

placée sous le signe d’une double exigence : celle de la

modernité, et celle de l’efficacité.

La modernité est marquée par le développement, depuis

2015, d’une stratégie d’influence par le numérique.

Quant à l’efficacité, elle se manifeste par l’approche

multiple adoptée par la CNHJ pour mettre en œuvre

cette stratégie internationale, ce qui accroît ses champs

d’intervention et ses activités en la matière. Ainsi,

• La Chambre mène, bien sûr, des actions bilatérales, sous

la forme de rapprochements inter-institutionnels avec

les organes homologues ou comparables, en Europe

et dans le monde.

• Dans la sphère intra-européenne – celle des actions

co-construites entre des États membres de l’Union

Européenne et dans leur intérêt mutuel -, la Fondation

européenne des huissiers de justice, créée en 2018,

s’est substituée à la Chambre européenne des huissiers

de justice pour conduire des projets innovants financés

par l’Union.

• Enfin, à l’extérieur de l’Europe, la Chambre participe,

quand ils comportent une composante intéressant la

profession et/ou ses missions, aux projets multilatéraux

financés par les bailleurs de fonds internationaux –le

premier d’entre eux étant l’Union Européenne –pilotés

par le groupement d’intérêt public « Justice Coopération

Internationale » - GIP JCI -, dont la profession d’huissier

est membre via la CNHJ.

Le rôle de JCI est d’assurer pour le compte de ses

membres, et plus largement de toute institution judiciaire

intéressée, la préparation et la présentation des offres

répondant aux appels des bailleurs internationaux, puis

la gestion de bout en bout des projets gagnés, ou qui lui

sont confiés, dont il porte la responsabilité administrative

et financière.

Cette intervention de l’opérateur permet aux huissiers

de justice de porter leur expertise dans ces projets de

façon d’autant plus approfondie qu’ils se trouvent ainsi

déchargés de tous les aspects administratifs, financiers

et logistiques inhérents à la mise en œuvre de telles

actions de coopération.

De tels projets, sous des formes juridiques diverses, ont

pour finalité générale la mise en œuvre de projets de

réforme ou de renforcement des systèmes judiciaires, et

de soutien à l’État de droit dans différents pays. Lorsqu’ils

sont financés par l’Union Européenne, il s’agit de pays

candidats ou futurs candidats à l’intégration, ou de pays

de la zone dite « du voisinage ». Il peut également s’agir

de projets relevant de la politique de développement, pour

lesquels les sources de financements sont plus diversifiées

– UE, mais aussi AFD, PNUD, et autres.

Selon les besoins exprimés par les bénéficiaires et les

priorités énoncées par le ministère de la Justice, la nature

de l’expertise à mettre en œuvre varie. Dans les projets qui

intéressent la compétence des huissiers, et les objectifs

de coopération poursuivis la Chambre nationale des

huissiers de justice, en particulier, il peut s’agir

• D’accompagner les bénéficiaires dans la mise en œuvre

de réformes législatives,

• De mettre en place ou d’améliorer le régime de la

formation des professionnels de l’exécution,

• De dispenser directement ces formations elles-mêmes,

ou d’assurer des formations de formateurs,

• D’initier, soutenir ou faciliter le développement d’outils

numériques.

Le jumelage visant à améliorer le système d’exécution des décisions de justice en Albanie a été un exemple particulièrement significatif de l’implication de la Chambre nationale, via

Justice Coopération Internationale, dans ce type d’action

de coopération.

Le jumelage est un programme européen tout à fait

spécifique dans sa conception : il est fondé sur une

collaboration étroite entre une institution du pays

bénéficiaire, cible du programme – celle qui est

compétente pour le domaine visé – et la ou les institutions

homologues d’un ou plusieurs États membres de l’Union

européenne, qui mettront en œuvre le programme, par

l’intermédiaire d’un opérateur mandaté qui, en contractant

avec le bénéficiaire, prend l’engagement de lui fournir

l’expertise attendue.

En l’occurrence, l’Albanie, souhaitant remédier aux

imperfections de son système d’exécution – lent et très

peu efficace – a sollicité, en 2015, un concours de l’Union

Européenne pour aider son ministère de la Justice à le

réformer.

Le projet était à la fois particulier et pertinent :

• Particulier, car il s’agissait d’une première quant au

sujet, aucun jumelage européen n’ayant été jusque-

là spécifiquement dédié à l’exécution des décisions

de justice, qui constitue cependant une problématique

clé au niveau économique et juridique. Elle est, en

outre, déterminante pour l’appréciation du respect des

standards du procès équitable, la durée d’exécution

des décisions étant incluse dans la détermination du

délai raisonnable.

• Pertinent, car il prévoyait dès l’origine l’implication de

l’ensemble des acteurs du secteur de l’exécution des

décisions de justice en Albanie.

C’est ce qui a déterminé l’intérêt, manifesté par la

Chambre nationale des huissiers de justice, à l’appel

d’offre publié par la Commission Européenne, et donc

l’engagement de JCI qui, y ayant concouru, l’a remporté,

en consortium avec son homologue néerlandais CILC -

Center for International Legal Cooperation - : c’est dans

ces circonstances qu’a été mise en œuvre l’expertise des

huissiers, complétée par celle de juges de l’exécution,

pour accompagner le ministère de la Justice albanais

dans la réalisation des réformes souhaitées.

Doté d’un budget de 700 000 euros et courant sur une

durée de 18 mois - du 1er trimestre 2015 à octobre 2016 -,

ce projet avait donc pour objet de simplifier la procédure

d’exécution, d’en raccourcir la durée, de réduire la charge

de travail relative aux cas d’exécution dans les juridictions,

et d’améliorer la performance et le professionnalisme des

instances d’exécution.

Il fallait pour cela renforcer et rationaliser tant les capacités

institutionnelles que la coordination interinstitutionnelle,

et améliorer le niveau de compétences des agents

d’exécution et autres acteurs pertinents, en se préoccupant

en outre de renforcer, vis-à-vis du public, la visibilité du

système d’exécution et des améliorations qui y étaient

apportées.

La caractéristique du système albanais, aujourd’hui, tient

à la coexistence d’huissiers publics et privés de justice,

dont les compétences sont concurrentes. Toutefois,

l’Albanie n’a pas toujours connu ce système hybride.

Doté uniquement, pendant de nombreuses années,

d’huissiers de justice publics - ayant un statut de

fonctionnaires-, cet État de la péninsule balkanique a

créé la profession d’huissiers de justice privés en 2009.

C’est du fait de la faible efficience de cette première

réforme que l’appui du projet était nécessaire.

Une fois le projet gagné, la CNHJ s’est

très fortement impliquée dans sa mise

en œuvre.

Ainsi se sont succédées, pendant

les dix-huit mois du projet, des

missions régulières, suivies, ciblées,

d’huissiers de justice, dont l’expertise

a permis d’améliorer les capacités

institutionnelles et de renforcer la

coopération entre différents acteurs de

ces procédures - juridictions, huissiers

de justice publics, huissiers de justice

privés.

En particulier, le projet a accompagné

l’Albanie dans la création d’une

Chambre nationale des huissiers

de justice privés et d’une charte de

déontologie : Les experts de la CNHJ

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LES DÉLAIS DU TRAITEMENT DES DOSSIERS DANS LES JURIDICTIONS

DE CISJORDANIE-PALESTINE Par John Mac KEE,

Conseiller honoraire à la Cour de Cassation

Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires Les deux missions ou séries de missions qui font l’objet des deux chapitres ci-après

ont été mises en place selon un schéma d’immersion assez peu usité, qui a permis

aux experts de se livrer à une étude de situations en profondeur, comme de lier,

avec les pairs qu’ils ont cotoyés, une véritable relation professionnelle de confiance,

celle de l’analyste qui vient proposer un appui, et non pas donner des leçons, mais

tout au contraire, apprendre lui aussi de ce qu’il découvre : plus souvent que l’on

ne pense, les problèmes rencontrés sont les mêmes que les nôtres, et la manière

de les traiter peut être source d’inspiration pour nos propres pratiques.

Au-delà du bénéfice personnel qu’en retire l’expert, ce type d’expériences ouvre

des perspectives pour le renforcement de la coopération bilatérale, qu’il s’agisse

d’assistance technique ou de coopération opérationnelle.

C’est aussi, en creux, un questionnement sur les méthodes de la coopération mises en

œuvre, et sur le ressenti des supposés bénéficiaires lorsqu’un tel dialogue rapproché,

qui correspond en fait à leur besoin, fait défaut, comme c’est trop souvent le cas.

De 2014 à 2017, à la demande de L’Union Européenne

et sur les fonds qu’elle lui a délégués à cette fin, JCI a

conduit en Palestine un projet visant à apporter un soutien

à l’institution judiciaire, par le renforcement de la structure

organisationnelle et des capacités institutionnelles du Haut

Conseil de Justice (HCJ), avec un accent particulier sur

l’administration des tribunaux et la gestion des juridictions.

L’Union Européenne finançant en Palestine la construction

d’un grand nombre de palais de justice, l’assistance

technique apportée par JCI dans le projet visait à soutenir

le Haut conseil de Justice palestinien dans son objectif de

mettre en place une gestion appropriée et efficace des

juridictions, gestion dont cette institution a, en Palestine,

la charge.

L’appui apporté par le projet s’est décliné en cinq

composantes. Quatre d’entre elles étaient dédiées à des

thèmes institutionnels ou administratifs : organisation du

HJC et organisation générale des tribunaux, évaluation

des unités chargées d’administrer les tribunaux, appui au

HJC pour la gestion des juridictions, appui à la formation

pour renforcer les capacités des unités en charge de

l’administration des tribunaux.

se sont attachés à transmettre à leurs confrères albanais,

de la manière la plus concrète possible, leur expérience

professionnelle de terrain et, sur le plan institutionnel,

le rôle d’une Chambre nationale, son organisation, ses

missions, ses interactions.

Parallèlement à ce travail sur les structures, la formation

initiale et continue des professionnels albanais, dont

la CNHJ avait la responsabilité, était une priorité pour

renforcer leurs compétences et leur expertise de

professionnels de l’exécution. À cet égard, le jumelage a

permis d’analyser l’état de l’art de la formation en Albanie,

d’envisager les améliorations possibles, et de formuler

des recommandations pertinentes.

Ces missions, en même temps qu’elles ont sensibilisé

les agents d’exécution tant publics que privés à la

formation, comme besoin, mais aussi, au-delà, comme

obligation, ont été aussi le lieu de marteler qu’outre les

compétences techniques, l’exercice de telles fonctions ne

peut s’entendre sans conscience et respect des devoirs

déontologiques qu’elles impliquent.

S’il n’a bien sûr ni achevé la tâche, ni épuisé le sujet et les

questions qu’il pose, cet exercice exigeant de coopération

entre des professionnels aux profils et missions distincts

n’en a pas moins permis d’obtenir des résultats très

encourageants, en phase avec des méthodes modernes

de coopération.

Il a fourni une nouvelle illustration de ce que la coopération

multilatérale et la coopération bilatérale se nourrissent

véritablement l’une de l’autre, car il a permis de nouer

des relations de coopération privilégiées entre les

huissiers français et les autorités albanaises en charge

des questions d’exécution.

Ces relations ont été consacrées par un accord entre le

ministère de la Justice albanais et la Chambre nationale

des huissiers de justice, signé le 26 octobre 2017 à

l’occasion d’une conférence organisée, elle aussi dans un

cadre bilatéral, sur le thème de « l’exécution des décisions

de justice, gage d’une économie efficace ».

Lors de cette conférence ouverte par le Président de

la République albanaise, il a été reconnu, en tirant un

bilan provisoire tant de l’introduction des huissiers privés

dans le système albanais que des avancées réalisées

dans le cadre du jumelage, que si les décisions étaient

désormais davantage exécutées, et dans des délais

meilleurs, la perception de l’huissier dans la population

restait mauvaise, celui-ci étant vu, a dit un intervenant,

« comme l’ami du créancier et l’ennemi du débiteur ».

Ce déficit d’image résulte, a-t-il été dit, d’anomalies et

d’accrocs parfois sévères à la déontologie dans le cadre

de la mise en œuvre des procédures d’exécution, qui font

déraper la confiance, et donc plus largement la confiance

dans la justice, clé de l’état de droit.

Et en conclusion de la conférence il a été souligné

qu’établir cette confiance exigeait un exercice

professionnel irréprochable, à la fois techniquement et

déontologiquement, et une discipline professionnelle

stricte, pour veiller à cette irréprochabilité et sanctionner

les éventuels manquements.

C’est dire que le sujet est loin d’être clos, et que la

poursuite des relations tant au niveau du ministère de la

Justice qu’avec les représentants des huissiers de justice

est très bienvenue, surtout si elle trouve des applications

concrètes. Ainsi, le travail pourrait se poursuivre, en

particulier sur les projets communs envisagés dans

le domaine de e-justice et de formation : Aptes à

renforcer à la fois la compétence technique et la rigueur

professionnelle, ils pourraient être menés aussi bien dans

le contexte bilatéral que dans le cadre d’un nouveau

projet multilatéral où les huissiers français s’engageraient

volontiers, en synergie avec leur opérateur JCI.

Comment s’«exportent » nos professions judiciaires ?

12 13

Page 8: Les cahiers - GIP JCI · 2019-03-25 · jumelages pénitentiaires mis en œuvre dans les trois pays du Maghreb. C’est grâce à ce travail que JCI peut aujourd’hui proposer un

La cinquième composante, préoccupée de rationalisation

de l’emploi des ressources, s’intéressait aux délais de

traitement des affaires, civiles comme pénales, et donc,

directement, aux aspects juridictionnels -procéduraux- du

fonctionnement des juridictions.

John McKEE, premier président honoraire de cour d’appel,

chef de cette composante, a séjourné en Palestine de

façon fractionnée mais récurrente pendant toute la durée

du projet.

Il expose ici

• les moyens statistiques, et d’investigation mis en œuvre

sur le terrain, dans le cadre du projet, pour évaluer les

résultats pratiques obtenus par le High Council of Justice

au regard du processus spécifique destiné, en Palestine,

à assurer une meilleure maîtrise des délais de procédure.

• en quoi et pourquoi ces résultats ne sont pas suffisants,

• les recommandations, formulées dans le cadre de sa

mission, qui permettraient de les améliorer.

Brèves informations préliminaires sur l’organisation de la justice palestinienne Le territoire de la Palestine s’étend sur 6.220 km². Les

travaux de la mission conduite par JCI dans le cadre du

projet se sont limités à la Cisjordanie (West Bank), où vivent

2,7 millions d’habitants, excluant la Bande de Gaza, qui

compte 1,8 habitants.

• En Palestine-Cisjordanie, les tribunaux de droit commun

comptent environ 220 juges repartis entre les First

Instance Courts et les Conciliation Courts, la Cour d’appel

de Ramallah et la High Court of justice.

• Le Président de la High Court of Justice est en même

temps de celui du High Judicial Council, qui a la haute

main sur le fonctionnement de la justice : c’est de lui, et

non du ministère de la Justice, que dépend la gestion

de l’appareil judiciaire.

Les huit First instance Courts sont implantées à Bethleem,

Ramallah, Tulkarem, Jericho, Hebron, Nablus, Jenin et

Qualqilya.

Chaque First Instance Court a un président et un Chief of

diwan – directeur de greffe – en charge, le premier des

juges et des questions juridictionnelles, le second des

greffiers et de la gestion administrative du tribunal, ce

de façon autonome l’un par rapport à l’autre.

Dans chaque First instance Court est implanté un Bureau

du Procureur - Public Prosecution Office - relevant, de

façon distincte, de l’Attorney Général central. On recense

en Cisjordanie 125 procureurs.

Ces juridictions de droit commun connaissent de toutes

les affaires civiles, commerciales et pénales. Les dossiers

administratifs en relèvent également, sous le contrôle

d’une formation spécifique de la High Court of Justice.

Côté défense, le barreau palestinien comptait en 2014 -

il n’y a pas de chiffres sûrs disponibles pour les années

suivantes - 3625 avocats, dont 743 avocates, soit un taux

de féminisation de la profession de 20,5 %.

Le régime procédural est à dominante de common

law, avec pour spécificités, notamment, une audience

préliminaire, après la première audition et avant l’audience

de jugement, pour déterminer les preuves sur lesquelles

appuyer la décision, et une procédure orale avec audition

de témoins - excluant le remplacement de l’audition par

des affidavits - au civil comme au pénal.

Quant au cadre légal dans lequel les affaires sont jugées,

il est particulièrement complexe, du fait du cumul de

législations diverses (ottomane, britannique, jordanienne

et palestinienne) qui toutes sont applicables devant les

tribunaux et qui, par conséquent, doivent être connues

par les juges.

Une particularité significative à souligner : les questions

d’état des personnes ne relèvent pas de ces juridictions

de droit commun. Le contentieux en ces matières est en

effet traité, pour les musulmans, par des Sharia Courts,

comportant environ 45 juges, pour les communautés

chrétiennes, par des Christian Family Courts.

Il existe également des Military Courts, qui mobilisent

environ 13 juges.

La Cisjordanie compte, enfin, 7 établissements

pénitentiaires.

La méthode de travail des experts Elle a consisté, dans une première étape, à se familiariser

avec le cadre légal palestinien, par un travail en

profondeur sur le terrain : des visites d’études ont été

réalisées dans les First Instance Courts de Bethléem,

Jéricho, Ramallah et Tulkarem, et les entretiens avec les

acteurs de la vie judiciaire palestinienne ont été multipliés,

notamment : avec le Chief Justice et les membres de

la High Court of Justice de Palestine ; avec des hauts

fonctionnaires de l’administration de la justice dans les

secteurs administratif et informatique ; avec des présidents

de First Instance Courts, des juges, des chiefs of diwans,

des agents des notifications, et des avocats.

En mars 2017, il a été procédé au recrutement d’une

Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires

équipe juridique de quatre juristes palestiniens, composée

d’un legal expert et trois legal assistants. Ces assistants

juridiques ont été délégués dans les deux First Instance

Courts de Ramallah et Bethleem, pour analyser, suivant

une fiche d’analyse préétablie - case file analysis form -,

les délais d’instances en cours ou achevées entre 2013

et 2016, en suivant le processus de mise en état de

procédures civiles et pénales, et en relevant les causes

des retards. C’est ainsi qu’ont été établies et centralisées

226 fiches d’analyse établies de cette manière.

Par ailleurs ont été collectées les statistiques judiciaires

générales sur les performances des huit First Instance

Courts à travers la synthèse de données du programme

MIZAN II, centralisé au département informatique du High

Judicial Council.

L’approche palestinienne en matière de délais raisonnables - optimum timelines - et d’affaires en retard - backlog cases.Pour le High Judicial Council, chaque type de procédure

judiciaire doit être jugé dans un délai moyen optimal

préétabli : si un procès en cours dépasse ce délai, il entre

dans la catégorie des affaires en retard comme étant

affecté d’une durée anormale : ainsi qualifié backlog

case, il doit attirer en priorité l’attention du président de

la juridiction. Il faut cependant noter que le High Judicial

Council fait preuve de réalisme et de souplesse dans

l’appréciation de ces « délais optimisés », en pondérant

ses normes au égard à la complexité de l’instance et de

la charge des tribunaux - volume et nature du contentieux,

nombre de juges et de greffiers - La situation de la First

Instance Court de Ramallah, particulièrement chargé,

n’est pas la même que celle, par exemple, de la F.I.C

de Bethleem.

En 2014, le High Judicial Council a créé un « Comité

d’études sur des délais optimaux », composé de membres

du conseil et de juges de la cour d’appel de Ramallah et de

tribunaux du premier degré. Son objet était d’établir, pour

l’ensemble de la Palestine, des échéanciers théoriques

pour chaque type d’affaires, civiles et pénales. C’est ainsi

que le comité a fixé un nombre maximal des audiences

préliminaires aux procès, le temps entre la saisine et la

première audition etc...

La liste des échéanciers optimisés par procédure a été

dressée en 2015/2016, adoptée en 2016, et portée à la

connaissance des tribunaux de Palestine.

Ces normes idéales ont ensuite été incluses dans le

système informatisé de gestion des instances centralisé

au sein du service informatique du High Judicial Council,

et nourri par chacun des huit First Instances Courts. Il s’agit

du puissant logiciel MIZAN II, qui sert de base commune

au High Judicial Council et aux tribunaux pour toutes les

données judiciaires palestiniennes, et d’outil de contrôle

et de pilotage de la performance des juridictions et des

magistrats concernés.

Les niveaux de respect des normes de durée du High

Judicial Council se répartissent en sept paliers visualisés

sur ce logiciel par des bandes de couleur allant du vert

- dossier respectant les délais théoriques - au rouge,

ce pour les dossiers dépassant gravement les délais

optimums fixés par le High Judicial Council. Il s’agit d’un

outil d’alerte pour les présidents et juges, destiné à aider à

mettre en place des politiques de management judiciaire

permettant d’assurer le respect des orientations de gestion

dynamique du temps procédural.

Si l’on fait le parallèle avec les standards européens en

matière de délais raisonnables, et avec les préconisations

de l’étude menée en 2004 par la Commission pour

l’efficacité de la justice - CEPEJ - du Conseil de l’Europe sur

les « cadres temporels optimaux et prévisibles » - CEPEJ

2004 19 REV 2 E - et le recueil des bonnes pratiques sur

la maîtrise des délais judiciaires qu’elle a publié en 2006

- CEPEJ 2006 13 -, il apparaît que le High Judicial Council

palestinien, par la mise en place d’un tel instrument, s’est

conformé à tout le moins à la première étape de ces

bonnes pratiques, en ce qu’il a fixé des délais réalistes et

mesurables et les moyens statistiques d’en assurer le suivi.

Encore faut-il savoir ce qu’il en est sur le terrain de la mise

en œuvre effective des délais optimisés ainsi posés, et

tel était l’objet du travail des experts.

Les données quantitatives recueillies Les données statistiques fournies par le logiciel

centralisé pour l’ensemble des huit First Instance Courts

palestiniennes montrent, pour les années 2013 à 2016,

• qu’ il y a davantage d’affaires nouvelles au pénal qu’au

civil, le nombre des enrôlements au civil étant passé de

19 250 en 2013 à 22 100 en 2016, tandis que pour le

pénal, ce nombre est stable mais nettement supérieur,

à 35 000 affaires nouvelles par an.

• qu’il y a en revanche davantage d’affaires en attente de

jugement au civil qu’au pénal, les chiffres s’établissant

pour 2016 à 24 816 au civil pour 18 238 au pénal, ce qui

va de pair avec un taux de couverture en augmentation

Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires

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Page 9: Les cahiers - GIP JCI · 2019-03-25 · jumelages pénitentiaires mis en œuvre dans les trois pays du Maghreb. C’est grâce à ce travail que JCI peut aujourd’hui proposer un

dans les deux matières, mais qui reste cependant

insuffisant pour faire baisser les stocks au civil - 84,7 %

en 2013, et 91,7 % en 2016 -, au contraire du pénal où,

de 95,4 % en 2013, il est passé à 103,9 % en 2016.

• qu’en ce qui concerne l’âge moyen des dossiers en

instance, si beaucoup ne dépassent pas six mois, une

partie dépasse la durée de vingt-quatre à trente-cinq

mois considérée comme optimale selon la nature des

cas, tandis qu’une fraction dépasse les trente-cinq mois,

dégradant la performance des juridictions, s’agissant de

dossiers que l’on peut, à ce stade de retard, considérer

comme inactifs.

• qu’au total, par comparaison entre les délais optimaux

déterminés par le High Judicial Council et les délais

réels de traitement des dossiers, 32 % des dossiers,

au civil, et 13 % des dossiers, au pénal, dépassent le

délai de traitement qui leur est normalement imparti,

et entrent de ce fait dans la catégorie des backlog

cases. Il semblerait, selon une étude menée en 2015

par l’Union européenne à Ramallah et Hebron, que les

contentieux les plus retardataires soient : au civil, les

contentieux impayés, les contentieux de droit du travail,

les litiges en matière de propriété et la réparation des

préjudicies liés aux accidents de la route ; au pénal,

les infractions de vol aggravé, celles relatives aux

stupéfiants, les tentatives d’homicide, et les escroqueries

et détournements financiers.

L’analyse des causes de retardsCes chiffres montrant que la mise en œuvre concrète des

objectifs temporels fixés par le High Judicial Council restait

très imparfaite, les experts ont souhaité acquérir une

vision claire des réalités procédurales et des contraintes

des tribunaux, susceptibles d’expliquer le non-respect

des lignes directrices sur des délais optimaux et sur la

réduction des stocks de dossiers anciens.

Il fallait pour cela connaître les diverses étapes

processuelles suivies par les juges et les greffiers, et

c’est à cette fin que les assistants juridiques recrutés par le

projet ont été affectés, à Ramallah et Bethleem, à l’étude

de dossiers d’affaires en cours ou terminées, sélectionnés

de manière aléatoire, en matière civile et pénale. Comme

déjà mentionné supra, une fiche de travail standardisée

et informatisée a été établie, et 226 dossiers ont été

examinés sur la base de cette méthodologie commune,

produisant 226 fiches d’analyse qui ont permis d’identifier

un certain nombre de causes de retard.

Le résultat de ces investigations, au demeurant, est venu

corroborer ce qui se dessinait déjà au vu des nombreux

entretiens menés par les experts internationaux avec les

professionnels de justice, lors de leurs visites dans les

tribunaux de Bethléem, Jéricho, Ramallah et Tulkarem.

Les causes principales de ces retards tiennent

• Aux difficultés de la notification des actes judiciaires

aux parties, spécialement dans les affaires pénales, et

aux retards liés à la non-comparution d’une partie ou

d’un témoin à l’audience.

• Au pénal encore, aux difficultés d’exécution des mandats

d’arrêt ou de comparution auxquelles les juges sont

confrontés.

• En outre, de nombreux reports d’audiences résultent de

l’absence de l’avocat d’une partie.

• Enfin, les présidents et juges, objet d’une rotation

systématique, sont mutés avec une grande fréquence,

ce qui nuit au suivi des dossiers et en allonge le délai

de traitement.

La synthèse des fiches a en outre permis d’identifier, dans

le déroulé de la procédure, des temps morts qui pourraient

avantageusement être raccourcis pour rapprocher la

durée de traitement de l’affaire en cause du délai optimisé

défini par le High Judicial Council.

Si grâce à la maîtrise du nombre des témoins –trois à

cinq en moyenne par dossier- l’obligation de les entendre

au civil comme au pénal ne semble pas un facteur

d’allongement de la procédure, si également les délais

de délibéré, au civil comme au pénal, du moins dans

les cas étudiés, apparaissent tout à fait en accord avec

les standards européens – trente-neuf jours au civil et

trente-quatre jours au pénal à Bethleem en moyenne,

soixante-trois jours au civil et vingt-cinq jours au pénal à

Ramallah – en revanche

• La période entre la date d’enregistrement de l’affaire

et la première audition de l’affaire – soixante-cinq jours

à Ramallah et quarante-quatre jours à Bethleem en

moyenne – pourrait être écourtée ;

• Le nombre des audiences préliminaires est de trente-six

en moyenne dans les affaires civiles, et trente-neuf dans

les affaires pénales, soit un chiffre élevé qui pourrait

être réduit.

Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires

• Le temps qui s’écoule entre l’audience initiale et

l’audience portant sur l’examen contradictoire des

éléments de preuve est excessif – cinq cent quatorze

jours au pénal, et trois cent soixante-quatorze jours au

civil à Ramallah, et deux cent vingt-deux et deux cent

vingt-cinq jours à Bethleem.

Les préconisations La mise en œuvre effective des normes fixées quant aux

délais de traitement des dossiers à atteindre et respecter

n’est pas une fin en soi, mais un outil pour optimiser le

service de la justice : il s’agit donc – et toujours suivant

en cela les préconisations de la CEPEJ sur la maîtrise

des délais judiciaires – de mettre en œuvre des pratiques

procédurales susceptibles d’améliorer la gestion des

délais, et d’introduire des méthodes de management

dynamique au sein des juridictions, dans le but de réussir

cette optimisation.

Se référant à ces préconisations, et en les adaptant à leurs

constats, les experts du projet, en conclusion de leurs deux

années de présence sur place, et de dialogue avec les

parties intéressées, ont émis plusieurs recommandations

qui sont autant de propositions dont la mise en œuvre –

laissée, bien entendu, à la discrétion des bénéficiaires du

projet - pourrait servir cet objectif général d’optimisation

du fonctionnement du système judiciaire :

• Obtenir l’adhésion des juges au concept et à la mise en

œuvre de délais optimisés : Si les orientations du High

Judicial Council ne doivent pas primer sur le respect

des règles de procédure, il n’est pas pour autant justifié

d’opposer les unes et les autres, et il est nécessaire

de convaincre tous les juges de la possibilité, et de la

nécessité, de les conjuguer, et de mettre en œuvre une

gestion proactive des dossiers. En particulier, aucune

règle de procédure ne peut a priori justifier, dans le

suivi d’un dossier, une phase d’inactivité procédurale

prolongée.

• Améliorer la définition, par les présidents des First

Instance Courts, de véritables politiques de juridiction,

et les stabiliser dans une certaine mesure dans leurs

fonctions de chef de juridiction, pour leur laisser un temps

suffisant pour mettre en oeuvre ces politiques - sans

tomber pour autant dans la tentation de la routine.

• Clarifier les relations entre les présidents des tribunaux

et les chefs de diwans, qui actuellement gèrent, l’un, les

juges et les activités juridictionnelles, l’autre, les services

administratifs du tribunal, sans lien institutionnel suffisant

entre eux : or, le Président étant explicitement investi, de

par l’article 6 de la loi 5-2001 sur l’organisation judiciaire,

de la charge de décider des modalités d’organisation

internes du tribunal, le chef de diwan devrait avoir tout

aussi explicitement celle d’assurer la mise en œuvre de

ces décisions, et de gérer le quotidien de la juridiction.

• Augmenter le nombre des agents de notification - qui

sont des fonctionnaires du greffe placés sous l’autorité

des chefs de diwans -, développer leurs moyens

d’investigation, et sécuriser davantage les notifications

elles-mêmes, pour améliorer un système dont les

insuffisances sont une des causes principales de retards

procéduraux.

• Envisager une certaine spécialisation des juges – qui

doivent en l’état pratiquer et combiner entre elles

différentes strates de législations, et ce, s’ils sont

généralistes, dans tous les domaines.

• Favoriser une coopération loyale entre tous les acteurs

de l’institution judiciaire, ce qui exige plus d’engagement

des avocats pour son bon fonctionnement, par exemple

en passant des conventions avec les juridictions sur les

délais et échéances, sur la présentation des preuves, le

nombre de témoins … Mais il faudrait, pour cela, créer

un vecteur de communication entre juges et avocats au

niveau local, qui n’existe pas à l’heure actuelle, dans

un système où le barreau est national et les avocats

répartis entre les cours en fonction des besoins du public,

sans délégués régionaux qui puissent être investis d’une

mission de représentation de la profession au sein des

juridictions.

• Enfin, systématiser les formations : pour tous les juges -

tous dévoués, investis et fiers de leur mission judiciaire,

mais souvent peu expérimentés - pour parfaire leurs

compétences, en particulier sur la gestion active des

contentieux, dont ils doivent acquérir la vision, mais

aussi en faveur des chefs de diwans - chefs de greffe -,

des agents de notification, et des avocats.

On ne peut conclure sans relever à quel point, bien que

dans un système tout différent du nôtre, certaines au

moins de ces recommandations font pleinement écho

à des problématiques connues des professionnels de

justice français, qu’ils soient magistrats, greffiers ou

avocats : rationalisation et dynamisation de la gestion des

procédures, politiques de juridiction, articulation/cohésion

entre présidence et greffe, coopération franche et loyale

de tous les acteurs à la bonne marche du système…

tout cela, malheureusement, sur un même arrière-plan

d’insuffisance de moyens.

Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires

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Page 10: Les cahiers - GIP JCI · 2019-03-25 · jumelages pénitentiaires mis en œuvre dans les trois pays du Maghreb. C’est grâce à ce travail que JCI peut aujourd’hui proposer un

FONCTIONNEMENTS ET DYSFONCTIONNEMENTS DES SERVICES DU PARQUET DE TROIS PAYS

DES BALKANS À partir des rapports d’expertise de Bernard LEGRAS, Procureur général honoraire

et Marc BRISSET-FOUCAUT, avocat général honoraire.

Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires

Dans le contexte de sa participation à un projet IPA « lutte

contre la criminalité organisée » mis en place de juillet

2014 à novembre 2017 en partenariat avec le ministère de

l’Intérieur italien dans la région des Balkans occidentaux,

JCI a été amené à déployer des experts selon une formule

dite « immersive ».

Placés auprès de services des procureurs pour une durée

de trois à quatre semaines, ces experts, par la conduite

d’entretiens multiples avec les professionnels de justice

des pays concernés, ont réalisé un examen approfondi

de l’organisation et du fonctionnement de leurs chaînes

pénales, et ont pris la mesure des difficultés existantes,

de leurs causes, et des possibilités d’y porter remède.

Ce dispositif a été mis en place dans trois pays - la Serbie,

l’Albanie, et la Bosnie-Herzégovine - et l’expérience a

été si appréciée qu’elle a été prolongée dans un cadre

bilatéral en Bosnie-Herzégovine et en Serbie, pour deux

missions complémentaires financées par notre ministère

de la Justice.

En avril 2018 s’est tenue à Sarajevo une conférence de

restitution co-organisée par le ministère et par JCI, au

cours de laquelle les experts français et les représentants

des offices des procureurs des trois pays impactés ont

dressé ensemble un bilan constituant un encouragement

très net à poursuivre les activités de coopération sur ce

mode « immersif ».

Le présent article a été établi sur la base des rapports, très

riches, des deux experts impliqués – Bernard LEGRAS,

procureur général honoraire, pour l’Albanie et la Bosnie-

Herzégovine, et Marc BRISSET- FOUCAUT, avocat général

honoraire, pour la Serbie : Qu’ils soient encore une fois

remerciés pour leur travail. Cet essai comparatif espère

en rendre un compte fidèle, bien qu’il ne soit que partiel,

puisqu’il est volontairement circonscrit à la question

des Parquets, alors que les constats des experts ont

souvent débordé – c’est particulièrement le cas de ceux

Bernard LEGRAS en Albanie – sur d’autres éléments des

réformes réalisées, en cours ou envisagées dans les

pays concernés.

Il faut d’emblée prévenir le lecteur contre l’illusion

qu’appartenant à une zone identifiée comme une entité

en soi sur le plan géographique, les pays des Balkans

auraient évolué et seraient actuellement organisés

d’une manière grosso modo semblable, qui s’illustrerait

notamment dans une quasi équivalence de la situation

de leurs systèmes judiciaires : C’est loin d’être le cas.

L’Albanie, sous occupation ottomane du milieu

du 15ème siècle à 1912, a obtenu sa reconnaissance

internationale en 1912, et fixé définitivement ses frontières

en 1921. Après avoir connu la royauté de 1928 à 1939,

elle a vécu sous protectorat italien à partir de cette

date, avant la proclamation de la République populaire

d’Albanie, intervenue en 1946. Non seulement elle n’a

jamais fait partie de l’ex-Yougoslavie, mais la dictature de

son président Enver Hoxha, de 1946 à 1985, s’est coupée

de toute référence à l’Union Soviétique à partir de 1961

pour s’aligner sur la Chine, et a maintenu le pays dans un

isolationnisme total à partir de 1975. À son décès a débuté

une ouverture progressive à la démocratie, consacrée

par la constitution de 1998, qui a posé les bases d’un

État de droit.

Candidate à l’Union Européenne depuis le 28 avril 2009,

l’Albanie a officiellement le statut de pays candidat

depuis 2014. Elle bénéficie de nombreux programmes

de coopération - pas seulement européens - dont certains

de grande envergure, et parmi ceux-ci, le programme

européen de coopération judiciaire Euralius, dont se

déploie actuellement le 5ème volet : ce programme s’active

à réformer de fond en comble le système judiciaire

albanais, dans la perspective de voir le pays remplir les

prérequis pour l’ouverture officielle des négociations

d’adhésion à l’ Union Européenne, l’un de ces pré-requis

étant de parvenir à éradiquer la corruption endémique

qui touche toutes les sphères de la société albanaise.

La Serbie a elle aussi connu l’occupation ottomane

depuis le milieu du 15ème siècle, mais elle en est sortie

plus tôt, à partir de 1804, par une révolution – 1804-1815

– qui en a fait d’abord une principauté, puis une royauté

à compter de 1882, son indépendance ayant été actée au

congrès de Berlin en 1878. En 1903, la constitution de Pierre

1er de Serbie en a fait une monarchie constitutionnelle, à

l’égal de la monarchie britannique. En 1918, s’est formée la

première Yougoslavie réunissant les Serbes, les Croates

et les Slovènes. De l’invasion allemande de 1941 et des

mouvements de résistance qu’elle a engendrés est sortie

en 1945 la Yougoslavie, dont la Serbie a constitué l’une

des républiques fédérées. À partir de la mort de Tito en

1980, les nationalismes ont commencé à se manifester, y

compris en Serbie qui, cependant, a été le seul des États

de la Fédération où l’unanimité s’est faite pour tenter de

maintenir l’unité de la Fédération. Au prix des guerres

1 Le district est un minuscule territoire de 493 km2, réputé « copropriété » des deux entités, et dont les citoyens peuvent choisir la nationalité de l’une ou l’autre de celles-ci selon leur convenance. Il constitue une sorte de vitrine, « l’enfant » de la communauté internationale, et il est donc à la fois dans une situation très privilégiée et peu significative des problématiques réelles du pays. C’est la raison pour laquelle il a été fait choix de ne pas en faire davantage état dans cet article

inter-ethniques de la première moitié des années 1990,

celle-ci s’est pourtant réduite progressivement à une

peau de chagrin, son dernier avatar étant la Fédération

de Serbie-Monténégro, maintenue jusqu’en 2006, avant

que le Monténégro ne se constitue à son tour en une

république indépendante. En outre, des deux provinces

autonomes que comptait la Serbie en 1945, le territoire

serbe actuel ne comporte plus que la Voïvodine, le Kosovo

ayant proclamé en 2006 une indépendance qui n’est

cependant reconnue ni internationalement, ni bien sûr

par la Serbie elle-même.

La Serbie s’est rapprochée depuis 2008 de l’Union

Européenne, avec la signature, en avril 2008, d’un accord

de stabilisation et d’association entré en vigueur en 2010.

Elle a fait sa demande d’adhésion le 22 décembre 2009,

et sa candidature a été transmise en octobre 2010, sans

qu’elle ait encore à ce jour obtenu le statut de pays

candidat.

Passée historiquement par le même chemin que la

Serbie, la Bosnie-Herzégovine a d’abord vu ses

communautés ethniques se déchirer sur la question de

son indépendance ou de son maintien dans la fédération

yougoslave, avant qu’elles ne se livrent la guerre qui a

consommé son éclatement. Il y a été mis fin par les accords

de Dayton du 14 décembre 1995, qui ont déterminé, pour

le pays, un schéma politique extrêmement complexe : Si

la République de Bosnie-Herzégovine est un pays unique,

Serbes, Croates, Bosniaques et « autres » cohabitent au

sein de deux entités, la Fédération de Bosnie-Herzégovine

– ci- après FBiH, et la République Serbe – ci-après RS -,

plus un district, le district de Brcko1. Tous trois ont leur

propre organisation, chapeautée par celle de l’État, ce

qui touche toutes les institutions, dont, bien sûr, tout le

système judiciaire. S’impose, à tous les niveaux de cette

organisation, la stricte application d’une « clé ethnique »,

qui préside à toutes les nominations aux postes politiques,

administratifs et judiciaires. Elle oblige à garantir, dans

chaque organe ou institution, la participation de 50 % de

Bosniaques, 30 % de Serbes, 15 % de Croates et 5 % d’«

autres ». La présidence de l’État est elle-même tricéphale,

la RS élisant l’un des trois présidents – serbe –, tandis

que la FBiH élit les deux autres -bosniaque et croate-,

les habitants du district de Brcko ayant le choix de voter

en RS ou en FBiH. 

Candidate potentielle à l’accession à l’Union Européenne

depuis 2003, la Bosnie-Herzégovine a signé avec elle,

également en 2008, un accord de stabilisation et

d’association qui n’est toutefois entré en vigueur qu’en

2015. Elle s’est officiellement déclarée candidate à

l’adhésion en février 2016.

Les trois pays, bénéficiaires, depuis une vingtaine

d’années, de l’appui d’une coopération internationale

Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires

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importante, sinon parfois envahissante, ont vécu, ou vivent

aujourd’hui, l’implantation de réformes judiciaires inspirées

ou guidées par cette coopération : tout ce qui tend à

l’application des standards de l’état de droit, en particulier

en termes d’indépendance, mais aussi, sur un plan plus

technique, le changement radical dans l’organisation de

la chaîne pénale qui a découlé de la disparition du juge

d’instruction. 

Chacun les mettant en œuvre et les assimilant en fonction

de sa situation propre, les problématiques d’évolution

des parquets des trois États concernés sont aujourd’hui

sensiblement distinctes, comme on va le voir, et ce, qu’il

s’agisse du statut et de l’organisation du parquet, de la

procédure pénale en vigueur, des dispositions spécifiques

de lutte contre la corruption et le crime organisé, ou des

pratiques en matière de coopération internationale.

LE STATUT ET L’ORGANISATION DES PARQUETS

L’Albanie compte 330 parquetiers pour 2,9 millions

d’habitants- soit 1,13 procureurs pour 10 000 habitants.

La réforme constitutionnelle de 2016, qui a aligné le

statut des juges et des procureurs, a eu un très fort

retentissement sur la procédure pénale.

La loi du 115/2016, qui la décline en matière de

gouvernance du système judiciaire, vise à rapprocher le

système judiciaire albanais des standards de l’état de

droit, en particulier en termes d’indépendance du pouvoir

judiciaire. Elle a ainsi créé un Haut Conseil judiciaire, un

Haut Conseil du parquet, un Haut Inspectorat de la justice,

un Conseil des nominations judiciaires, et une chaine

pénale spécialisée pour la lutte contre la corruption et

le crime organisé1.

Elle a associé à la réforme l’École de la Magistrature –

créée au tout début des années 2000 avec l’appui du

Conseil de l’Europe -, qui devient l’unique voie d’accès à

la profession de juge. La formation initiale, étendue aux

greffiers, conseillers juridiques et avocats d’État, dure deux

ans sauf celle des greffiers, limitée à trois mois, tandis

que l’obligation de formation continue, qui était de cinq

à vingt jours, passe à quarante jours.

La réforme, qui prévoit l’organisation de chaque parquet

en sections ayant des compétences spécifiques par

nature de délits, place ces parquets sous la conduite

du Procureur général d’Albanie, censément maître de la

politique pénale.

Cependant, conçue dans l’optique générale d’assurer

l’indépendance des parquets comme celle des juges,

cette réforme lamine en grande partie les pouvoirs de

ce même Procureur général.

En premier lieu en effet, le pouvoir de nomination et le

pouvoir disciplinaire dont il était jusqu’ici détenteur sont

1 le SPAK, cf infra

désormais transférés au Haut Conseil des procureurs –

ci-après HCP.

Ces pouvoirs du Haut Conseil concernent tous les

parquetiers, donc aussi bien les procureurs de base

que les chefs de parquets -nommés pour trois ans

renouvelables une fois- et le Procureur général lui-même.

Au moment où l’expert a mené sa mission, la désignation

du Haut Conseil étant retardée, alors que le Procureur

général arrivait au terme de ses fonctions, il était envisagé

de confier au Parlement le choix d’un procureur général

par intérim.

C’est également le HCP qui inspectera les parquets, tâche

qui incombait précédemment au ministère de la Justice,

avec l’intervention du Haut Inspecteur, qui gèrera les

questions éthiques et proposera au HCP les mesures

disciplinaires.

En second lieu, le souci d’indépendance a été poussé

jusqu’à la suppression du contrôle hiérarchique des chefs

de parquet, comme de celui du Procureur général, qui

désormais n’interviennent plus dans la procédure.

Le procureur en charge du dossier en est donc, désormais,

seul maître, le contrôle n’étant plus exercé par sa

hiérarchie, mais par le « juge des enquêtes préliminaires » :

le procureur doit soumettre à celui-ci, par requête écrite,

ses décisions de saisine et de classement, ce qui aboutit

à déposséder le procureur, au profit du juge, du pouvoir

de saisir le Tribunal. Dans ce contexte, l’avis du chef de

parquet reste possible, mais il sera purement indicatif.

De même, le droit d’appel appartient désormais à chaque

procureur, le jugement devenant définitif si l’appel du

procureur de première instance n’est pas suivi par le

procureur d’appel.

Dès lors, le rôle du Procureur général se limite à fournir des

directives en matière administrative, et des orientations

générales sans force obligatoire  : toute instruction

individuelle étant désormais prohibée, le procureur de

base, ou le chef de parquet, sera seulement tenu de

s’expliquer par écrit sur les raisons pour lesquelles il aura

choisi de ne pas se conformer à une directive générale.

On peut comprendre que ce nouvel équilibre, bien vécu

à la base, le soit moins bien par la hiérarchie du parquet,

qui s’attache à en souligner les failles.

D’une part, et à juste titre, le Procureur général s’interroge

sur les moyens qui lui restent de diriger effectivement la

politique pénale, alors qu’est laissée à chacun la faculté

de mener la sienne propre. Le souci, louable, d’assurer

l’indépendance du parquet, poussé à cette extrémité,

risque d’être surtout un facteur de grande confusion

et de perte d’efficacité : l’harmonisation des décisions,

assurée jusqu’ici par la vue d’ensemble de la hiérarchie,

sera en effet différée jusqu’à l’obtention des décisions de

principe de la cour suprême, avec le risque évident d’un

engorgement lié à l’accroissement des saisines.

D’autre part, il ne peut être fait abstraction de ce que

la composition du HCP fait la part belle au politique, en

sorte que, tout en cherchant à assurer l’indépendance

sur la hiérarchie, la réforme ouvre également la porte

à d’éventuelles dérives qui pourraient compromettre

cette indépendance, compte tenu du rôle majeur du Haut

Conseil sur les nominations et mesures disciplinaires.

Il y a en Serbie 750 parquetiers pour 8,7 millions

d’habitants, soit 0,86 procureur par habitant.

Une même Académie judiciaire est en charge de la

formation initiale des procureurs et des juges, pendant

une scolarité qui dure deux ans. La condition d’éligibilité

pour l’entrée à l’Académie est de posséder un diplôme

d’avocat. Après nomination, la perméabilité entre les

deux filières –siège et parquet– existe, mais le passage

d’une fonction à l’autre en cours de carrière exige de

repasser par la procédure d’entrée à l’Académie, ce qui,

évidemment, dissuade fortement de tels mouvements.

Le parquet de Serbie – ci-après RPPO, pour Republic Public

Prosecutor Office - est un ministère public indépendant à

compétence nationale.

Le chef du RPPO, – le Procureur de la République de

Serbie – est élu pour six années renouvelables par

l’Assemblée nationale - devant laquelle il est responsable-,

sur proposition du gouvernement dont il est, par ailleurs

et une fois nommé, totalement indépendant. Il est appuyé

par vingt adjoints, deux adjoints délégués, des consultants

juristes, et du personnel administratif.

Le parquet national comporte en outre deux parquets

spécialisés à compétence nationale, l’un pour les crimes

de guerre, l’autre pour le crime organisé, et il héberge un

service spécialisé dédié à la lutte contre le cybercrime,

qui ne traite toutefois que les dossiers dans lesquels le

préjudice est supérieur à l’équivalent de 8500 euros – :

en deçà, le dossier reste entre les mains du parquet de

droit commun compétent.

Les chefs de parquets sont eux aussi élus pour six années

renouvelables par l’Assemblée nationale. De même, les

procureurs adjoints sont élus pour trois ans.

Les nominations sont proposées à l’Assemblée nationale

par le Conseil des procureurs de Serbie – ci-après SPC,

pour State Prosecutorial Council.

Le SPC se compose de onze membres, qui sont le

Procureur national, le Ministre de la Justice, le Président

de la commission parlementaire en charge du judiciaire,

un avocat, un universitaire, et six magistrats élus selon un

système permettant la représentation de tous les niveaux

hiérarchiques. Il est également investi d’attributions

budgétaires.

Dans l’hypothèse où l’Assemblée nationale ne suivrait

pas une proposition de nomination formulée par le SPC

pour un poste de chef de parquet, la personne proposée

est nommée sur un poste de procureur adjoint.

Le Procureur national conduit la politique pénale, mais il

a aussi compétence sur les sujets civils et commerciaux,

dès lors que l’intérêt public est en jeu.

Il a autorité sur les quatre procureurs d’appel du Pays

implantés à Belgrade, Novi Sad, Nis et Kragujevac, ceux-ci

supervisant eux-mêmes vingt-six procureurs supérieurs

et trente-quatre procureurs de base. La répartition des

compétences entre les uns et les autres s’opére sur

la base du quantum des peines encourues pour les

infractions poursuivies – plus, ou moins de dix ans.

Il tient le siège du ministère public de la Cour de Cassation.

Le RPPO produit des instructions à destination des

parquets d’appel, dans une optique d’harmonisation

des poursuites.

Il peut également donner des instructions à un parquet

régional ou local, s’il estime qu’il existe un doute sur la

légitimité et l’efficacité de ses actions. Ces instructions

doivent être écrites et motivées, l’oralité étant admise

en cas d’urgence, sous condition de confirmation écrite

dans les trois jours.

Il est possible, pour un procureur, d’adresser un recours

au procureur national par rapport à des instructions qu’il

aurait reçues, s’il les considère illégitimes ou infondées.

L’obligation de transmettre ce recours par la voie

hiérarchique contribue sans doute à ce que cette faculté

soit d’utilisation rarissime.

La Bosnie-Herzégovine compte 320 parquetiers

pour 3,7 millions d’habitants – la même proportion par

habitant que le parquet de Serbie – répartis entre le

parquet national et les trois entités.

Les juges et les procureurs forment un corps unique,

auquel l’accès est déterminé par un examen spécifique

à la sortie de l’Université.

Il n’y a ni École, ni formation initiale, seule existe une

formation continue, commune aux procureurs et aux

juges, dont le niveau laisse à désirer, et à laquelle il est

en particulier reproché d’être proposée sans la moindre

stratégie d’organisation, et d’être insuffisamment pratique.

Elle est dispensée, à raison de quatre jours obligatoires

par an et par magistrat, au niveau des deux entités,

chacune disposant à cette fin d’un centre de formation.

L’expert a pu constater, au fil de ses divers entretiens, des

postures ambigües sur la formation, dont certains dénient

l’utilité en affirmant que le « bon » procureur serait celui

qui n’en a pas besoin, exprimer une demande à cet égard

s’apparentant finalement à un aveu d’incompétence….

Les mutations importantes en cours poursuivent l’objectif

de rendre le parquet indépendant du politique.

Le Haut Conseil des juges et des procureurs– ci-après

HJPC -, qui compte quinze membres, a la charge de

nommer les magistrats et de contrôler leur activité, et il

détient sur eux le pouvoir disciplinaire.

La nomination des procureurs du parquet d’État donne

lieu à une procédure de sélection au niveau des parquets

Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires

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des entités : cette procédure consiste en un appel à

candidatures, suivi d’un test par voie électronique, d’un

entretien et d’un concours. De cette sélection résulte une

liste d’aptitude sur laquelle le HJPC puise pour procéder

aux nominations, le résultat au mérite, que figure cette

liste, devant nécessairement être conjugué avec la clé

ethnique.

Le HJPC a en outre des attributions budgétaires : c’est

lui qui a la charge de répartir entre les parquets et les

juridictions les moyens alloués à la justice.

Organisation politique oblige, dans le HJPC doivent être

représentés les deux entités, le district et les différents

niveaux juridictionnels… et toujours dans le respect de

la clé ethnique.

Le parquet, d’une manière générale, n’intervient qu’en

matière pénale.

Le Procureur d’État n’a pas d’autorité sur les procureurs

des entités, qui répondent devant le procureur en chef

de chacune d’elles. Il dispose seulement de pouvoirs

spéciaux qui l’autorisent à se saisir d’office de tout fait

d’atteinte à la souveraineté, à l’intégrité territoriale, à

la sécurité nationale, à l’indépendance politique et à la

réputation internationale du pays.

Le parquet d’État compte 59 magistrats et 249 agents,

répartis en trois départements. Il est doté d’un département

analytique, animé par huit analystes, qui fournissent des

analyses opérationnelles permettant le déclenchement

d’enquêtes ou la définition de stratégies de lutte contre la

criminalité. Toutefois, l’autonomie des parquets des entités

à son égard, comme l’absence d’une Cour Suprême d’État,

dont la jurisprudence fixerait des lignes directrices, lui

interdisent de définir une politique pénale, sauf en matière

de crimes de guerre, compte tenu de la sensibilité politique

du sujet.

Il porte les affaires qu’il traite devant la Cour de Bosnie-

Herzégovine, qui statue en premier ressort et en appel,

l’éventuelle contrariété entre les deux premières décisions

déterminant la possibilité de saisir un « conseil de troisième

instance » qui fait office de troisième degré de juridiction.

Quelques simples chiffres donnent la mesure de son

efficacité : en 2016, ce parquet d’État, fort de 59 magistrats,

a obtenu 147 verdicts de condamnation contre 295

personnes, dont 161 ont été condamnées à des peines

d’emprisonnement ferme…

Dans les entités, il existe un niveau central, avec

un procureur en chef, dont le mandat est de six ans

renouvelables, qui a autorité sur les parquets de la base.

Il donne aussi bien des instructions générales que des

instructions individuelles, lesquelles sont souvent des

réponses à des demandes d’avis émanant des procureurs

de la base.

Les procureurs en chef des entités veillent à l’harmonisation

de la réponse pénale, en effectuant un double contrôle

quantitatif et qualitatif.

Les décisions négatives -classements et non lieux- font

l’objet d’une vérification systématique, dans un système

dont le principe reste celui de la légalité des poursuites

–avec une réflexion commençante sur la possibilité d’y

introduire la notion d’opportunité.

Pour les autres, un certain nombre de dossiers choisis

aléatoirement font l’objet, une fois par an, d’un examen

pour évaluation.  En général, deux procureurs de l’entité

sont affectés au contrôle de chaque parquet, ce qui peut

s’analyser comme l’ébauche d’un service d’inspection.

L’organisation des parquets des entités diffère quelque

peu entre FBiH et RS.

En FBiH, il existe des parquets au niveau des 79

municipalités et des 10 cantons, la répartition des

affaires entre ces deux niveaux se faisant en fonction

de la sanction encourue – municipalités sous dix ans,

cantons au-delà.

L’appel des décisions des 53 cours municipales relève

des 10 juridictions cantonales, celui des décisions rendues

en première instance par les juridictions cantonales va

devant la Cour de la Fédération, dont le procureur en chef

est ministère public. Il n’existe pas de troisième degré de

juridiction, seulement une procédure de « recours pour la

protection de la légalité », avec en outre la possibilité de

rouvrir une procédure en cas de corruption ou de faux.

Le territoire de la RS est organisé en six districts

judiciaires, dotés chacun d’un tribunal, d’un parquet, et

d’une juridiction commerciale.

Contrairement à la situation en FBiH, les 19 cours de base

de RS n’ont pas de parquet, et le siège du ministère public

y est donc occupé par les procureurs du district : cela évite

à la RS ce qui est un sujet de récrimination important en

FBiH, où les procureurs municipaux, rémunérés comme

tels, mais physiquement regroupés au niveau des cantons,

sont amenés à côtoyer au quotidien des procureurs et

des juges cantonaux dont la rémunération est supérieure

à la leur.

Les décisions des 19 cours de base, qui sont juridictions

de première instance des 63 municipalités, vont en appel

devant la Cour de district. Au niveau central il y a une

Cour « suprême », un Procureur en chef –« procureur

général »- et une Haute Cour de commerce.

L’une comme l’autre de ces organisations ont, au niveau

des parquets, le défaut commun d’obliger les procureurs

à de constants déplacement depuis leur parquet de

rattachement – cantonal ou de district - pour se rendre

dans les juridictions de base pour tenir le siège du

ministère public. Pour y remédier, l’idée d’un regroupement

de tous les contentieux pénaux de première instance au

niveau du district est actuellement à l’étude en RS.

LA PROCÉDURE PÉNALE ET LES SERVICES D’ENQUÊTE

Alors que la procédure pénale en Albanie procédait

d’un texte de 1995 inspiré du modèle italien, la réforme

de 2017 est d’influence germano-autrichienne.

Elle instaure une procédure purement accusatoire, qui

fait intervenir trois juges, lesquels doivent nécessairement

être trois personnes différentes :

• Le juge de l’enquête préliminaire, qui autorise les

mesures coercitives et les mesures spéciales d’enquête,

• Le juge de l’examen préliminaire, qui décide

d’un classement sans suite ou d’un renvoi devant le

tribunal, et

• Le juge qui jugera l’affaire.

Chacun de ces juges indépendants étant susceptible

d’avoir d’un dossier donné une approche différente, il

existe un risque réel de manque de cohérence dans la

conduite des procédures.

Un système de plaider coupable a été institué, qui est

plutôt bien accueilli, en revanche l’ordonnance pénale

n’existe pas.

Dans ce système, le rôle du parquet n’est ni facilité, ni

valorisé. Les enquêtes de police judiciaire sont en effet

réalisées par des officiers de police judiciaire dont 25 %

sont des juristes affectés dans les parquets, les 75 %

restants étant attachés au ministère de l’Intérieur et placés

sous son contrôle, avec cette conséquence qu’ils ne

répondent pas aux demandes des procureurs.

Les officiers de police judiciaire sont remplaçables à tout

moment, et utilisés tout autant par leur ministère à des

opérations de police administrative.

La question de la qualité de la police – qui fait actuellement

l’objet d’un programme européen de soutien PAMECA

auquel la France participe, aux côtés de l’Italie et de

l’Autriche – appelle une réponse mitigée : Peu satisfaisante

sur le plan des conduites éthiques – les violations du

secret de l’enquête sont constantes et la corruption

endémique -, elle s’améliore sur le plan technique : la

formation en matière financière reste très insuffisante,

mais la police technique et scientifique est maintenant

correctement équipée et formée.

Il reste que les rapports police-parquets sont globalement

mauvais, et une réforme de la police judiciaire serait

assurément nécessaire pour assurer le lien entre enquêtes

policières et procédure pénale, sans lequel le système

répressif ne peut correctement fonctionner. Le projet

préparé dans le cadre du programme Euralius ayant

été rejeté, le sujet reste encore actuellement à l’étude.

Ce handicap se cumule à d’autres pour entraver toute

action efficace des parquets.

En particulier, les procureurs n’ont pas d’accès direct à

l’État civil, ni au casier judiciaire.

Les performances sont, en outre, compromises par les

insuffisances et/ou la mauvaise utilisation des moyens

informatiques.

En effet, les parquets albanais sont dotés d’un système

informatique dit CAMS, placé sous la gestion du parquet

général – et non du ministère de la Justice - qui permet

la communication verticale et horizontale.

Ce système, qui assure la distribution automatique des

dossiers, ne produit que des statistiques rudimentaires,

ventilées sous trois rubriques, établis à partir du registre

des dénonciations et plaintes. Il ne calcule la durée des

procédures que par référence à leur temps de traitement

par le tribunal, sans tenir compte de celui qu’y a passé

en amont le parquet.

En outre, les statistiques établies par la police diffèrent

de celles des parquets, sans qu’intervienne le moindre

ajustement : la statistique police, par exemple, répertorie

une affaire sous la qualification retenue par la plainte

initiale, sans tenir compte d’un éventuel classement

sans suite, ni enregistrer un éventuel changement de

qualification. Au demeurant, les systèmes informatiques

utilisés respectivement par les parquets et par la police

sont non seulement différents, mais non compatibles…

Le système propose des trames procédurales qui ne sont

pas utilisées, soit que les usagers potentiels soutiennent

qu’elles n’existent pas, soit qu’ils indiquent préférer utiliser

leur propre recueil, construit à partir des décisions qu’ils

ont eux-mêmes rendues.

Pour faire bonne mesure, il faut également préciser que

lorsque l’expert s’est intéressé à son fonctionnement,

le système n’avait fait l’objet d’aucune mise à jour par

Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires

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rapport aux réformes, alors que celles-ci nécessiteraient

l’intégration de 85 actes de procédure nouveaux…

On peut déduire de cet ensemble d’éléments que des

marges de progression conséquentes existent à tous les

niveaux – institutionnel, procédural, technique, statistique

et éthique – avant que le parquet albanais ne puisse

atteindre un niveau de qualité et d’efficience satisfaisant.

Le parquet de Serbie est une autorité d’enquête et de

poursuite, dont la place dans la conduite des procédures

est nettement définie, et beaucoup plus effective que

celle du parquet albanais.

En 2013, le système de procédure pénale, qui comportait

l’institution du juge d’instruction, a été du jour au lendemain

remplacé par un système à l’allemande, dans lequel le

parquet seul conduit les investigations, sans préjudice

de la présence d’un juge de l’enquête qui n’est pas un

juge d’instruction, mais plutôt l’équivalent de notre juge

des libertés et de la détention (JLD), ayant vocation à

autoriser et contrôler les actes coercitifs et intrusifs – et

cela plus largement qu’un JLD français : par exemple, la

conduite d’une filature doit faire l’objet d’une autorisation.

Les décisions du procureur instructeur – dont celles de

classement ou de poursuite - peuvent donner lieu à un

recours devant le chef du parquet, et en cas de rejet,

la saisine du juge de l’enquête est possible. En outre,

le justiciable a la possibilité de saisir une formation de

trois juges pour demander l’annulation d’actes dont il

conteste la validité.

Le délai de garde à vue est de 48 heures, et la garde

à vue est sous la supervision du parquet. Les auditions

conduites hors la présence d’un avocat sont inutilisables,

sauf dans les petites affaires.

La police ne dispose d’aucun pouvoir élargi en cas de

flagrance.

Le nombre des parquetiers est insuffisant pour faire face à

l’ensemble des investigations, en raison de quoi certains

actes sont délégués à la police.

Point commun avec la situation albanaise – et il en est de

même en Bosnie-Herzégovine, il existe un grand déficit de

partage d’information entre police et justice, et l’un des

objectifs à atteindre pour améliorer le système serait sans

aucun doute de parvenir à créer entre justice et police

une communauté de travail qui fait à l’heure actuelle

totalement défaut.

Outre la piètre qualité de ces échanges d’information,

policiers et procureurs partagent une autre faiblesse, qui

tient à leur faible niveau de compétence dans le domaine

de la recherche de la preuve scientifique.

Dans les enquêtes, le recueil des témoignages reste

une difficulté.

En Bosnie-Herzégovine, la complexité déjà entrevue

au chapitre du statut et de l’organisation du parquet,

induite par l’architecture politique complexe du pays, se

retrouve dans la procédure pénale et l’organisation des

services d’enquête.

Chaque entité, qui a donc son propre parquet – et

d’ailleurs aussi son propre ministère de la Justice – a en

effet aussi ses propres codes : code pénal, et code de

procédure pénale.

Les différences sont faibles entre les codes de FBiH et

de RS, qui ne comportent que les règles relatives à la

criminalité de droit commun.

Les dispositions concernant la grande criminalité, la

corruption, le terrorisme et les crimes de guerre, sont

l’objet du Code national, utilisé au niveau du parquet et

des juridictions d’État.

Quant à la contrefaçon et au cybercrime, tous deux

relèvent du code – et de la compétence – des entités…

à moins qu’ils ne soient commis en bande organisée,

auquel cas le dossier revient au parquet d’État, les

dispositions pénales prévues par le code national pour

la grande criminalité entrant alors en jeu.

Le parquet d’État dispose de son propre service d’enquête,

composé d’officiers juridiques, soit assistants, soit

investigateurs.

Les investigateurs sont 25 depuis 2013 – auparavant

ils n’étaient que 10 – et sont en charge de l’exécution

de certains actes de procédures – analyse de pièces,

auditions de témoins…- seules leur étant interdites les

mesures requérant l’usage de la force.

Les officiers juridiques assistants sont des juristes, recrutés

par le canal d’un concours d’État, ayant fait quatre années

d’études de droit majorées de trois ans d’expérience dans

le domaine juridique, disposant en outre de compétences

dans le domaine des nouvelles technologies, parlant

anglais, et dotés de qualités reconnues en matière de

rédaction juridique. Ils fournissent leur expertise juridique,

aident à la création de documents juridiques, élaborent

des projets d’actes, et effectuent des recherches, et tous

actes de leur compétence, sur délégation du procureur. En

pratique, ils accomplissent des actes d’enquête à égalité

avec les investigateurs.

Le procureur peut aussi étoffer son service de base en

faisant appel à d’autres administrations, notamment

l’administration fiscale.

C’est le procureur qui dirige l’enquête, le juge d’instruction

étant supprimé depuis 2003, ce qui ne suscite pas de

réel regret du côté du parquet - aussi bien celui de l’État

que celui des entités.

Les services de police sont constitués :

• D’une agence d’État pour les enquêtes et la sécurité, la

SIPA : police du parquet d’État, elle est dotée de quatre

centres régionaux à Banja Luka, Sarajevo, Mostar et

Tuzla, mais manque des ressources utiles pour mener

toutes les enquêtes qui devraient lui être confiées,

• Des MUP, services d’investigations des entités–

auxquelles le recours occasionnel à la SIPA peut

éventuellement être ouvert, ce qui est cependant rare

en pratique,

• D’un certain nombre de services spécialisés,

le point commun étant que tous sont placés sous l’autorité

du parquet. Il n’y a pas d’école de police, et les cadres

accèdent à leurs fonctions à 23 ans, sans réelle formation.

La police effectue des pré-enquêtes, et elle doit en principe

saisir le parquet dès que l’infraction est caractérisée, ou

dans les deux jours si la peine encourue est inférieure à

trois années d’emprisonnement. En cas de crime flagrant,

l’information du procureur doit être immédiate.

Bien qu’il ne soit pas fait état à proprement parler de

mauvais rapports entre la justice et la police, les parquets

des entités soulignent le manque de formation, et donc le

manque d’efficacité des policiers des MUP, et déplorent

l’absence d’investigateurs, réservés au parquet d’État.

Un grief récurrent formulé par les procureurs à l’encontre

de la police tient à ce que, jouant sur le fait que son

obligation de les saisir ne naît que lorsque l’infraction

est caractérisée, elle tend en pratique à exploiter les

renseignements au maximum, et à n’avertir le parquet

qu’au moment où elle souhaite mettre en œuvre des

mesures spéciales, telles des écoutes téléphoniques.

Il n’y a pas de casier judiciaire national, ce sont les

services de police (MUP) qui centralisent les antécédents

d’une personne donnée, et à qui il faut donc s’adresser

pour les obtenir.

S’il existe un équipement satisfaisant pour pratiquer

des analyses ADN – deux laboratoires existent –, cet

équipement est sous-employé : le coût est un obstacle aux

analyses génétiques, qui doivent être autorisées par le

juge, ou en cas d’urgence par le Procureur, à charge pour

lui de saisir le juge dans un second temps. Le cas échéant,

le code de procédure pénale prévoit la conservation des

empreintes ADN dans un registre spécial au ministère

de la sécurité, mais l’expert n’a pu se faire préciser si ce

registre est, ou non, effectivement tenu. À supposer qu’il

existe, un tel dispositif ne constitue pas, en tout cas, un

registre ADN à la disposition des autorités judiciaires.

La chaîne pénale est dotée d’un équipement informatique

qui permet certes de gérer les procédures suivies au

parquet, mais qui n’est pas communiquant, en particulier

avec la police : il n’existe donc aucun moyen de connaître

l’existence d’une affaire, et de générer un dossier dans la

chaine pénale, avant que la police n’ait averti le parquet

de son existence.

Les dossiers des affaires dont un parquet est saisi sont

automatiquement scannés à leur arrivée, et attribués

à un procureur. Toutefois, si le dossier comporte une

mention de confidentialité, il part directement – sans

être scanné – soit chez le procureur désigné, soit, pour

les plus sensibles, chez le procureur en chef, qui va alors

décider de son attribution à un procureur expérimenté. Ces

correctifs semblent cependant ne pas exister partout, dans

certains parquets, la procédure d’attribution automatique

est strictement appliquée.

Le système de dématérialisation apparaît doublement

déficient : Ne sont scannés que les procès verbaux, et

non les éléments qui y sont joints tels que photos, albums,

video…en sorte que le seul dossier véritablement complet

est l’original papier, dont il n’est établi aucune copie, et

en outre, selon les codes, seul l’écrit fait foi : la disparition

des originaux, y compris ceux qui ont pu être scannés,

fait donc capoter les procédures. Or elle est fréquente,

le suivi et la conservation des pièces à conviction étant

aléatoires.

Une fois la copie informatique créée, le système

informatique de case management permet de contrôler

les délais de traitement des procédures, en fonction d’une

durée moyenne évaluée par type de dossier, dont le

dépassement déclenche un système d’alerte.

Toutes ces carences ne facilitent pas vraiment les

investigations, mais la gestion des procédures étant

purement statistique, leur qualité n’est pas une

préoccupation.

Le plea bargain est courant au niveau du parquet d’État –

40 % des cas y seraient résolus par cette voie –, beaucoup

moins dans les entités où il est évalué à 15 %, cette faible

utilisation étant expliquée par l’insuffisance de formation

des procureurs à ce sujet, et par la faiblesse des sanctions

appliquées par les tribunaux, qui lui ferait perdre toute

attractivité.

De même existe, dans les entités, l’acte d’accusation avec

ordonnance pénale, qui conduit à un enregistrement de

l’aveu suivi d’une proposition de peine.

Globalement, les modes alternatifs restent très peu

utilisés.

Pour autant, la voie classique de l’audience est décriée

par les procureurs, qui se plaignent d’une désorganisation

totale, avec une gestion aberrante des audiences, qui

pour une affaire donnée, peuvent s’étaler parfois sur

plusieurs années…

De l’ensemble de ces éléments – manque de

communication police/parquet, manque d’outils tels que

fichier ADN et casier judiciaire pour soutenir les enquêtes,

volatilité des pièces à conviction, déficiences de la phase

de jugement… – découle une distorsion complète entre

le nombre des enquêtes, très important, et les résultats

obtenus en termes de condamnations, démonstrative

d’une inefficacité avérée de la chaîne pénale.

Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires

24 25

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LES DISPOSITIFS SPECIFIQUES DE LUTTE CONTRE LA GRANDE CRIMINALITE ET LA CORRUPTION

En Albanie, un parquet propre au traitement des

procédures pour crimes graves a été mis en place en 2014-

2015. Il comporte trois unités : L’une est spécialisée dans la

lutte contre la corruption et le blanchiment, lutte facilitée

par l’édiction d’une loi antimafia qui renverse la charge

de la preuve – tout bien qui n’est pas en adéquation avec

les revenus déclarés de son propriétaire est supposé mal

acquis, à charge pour ledit propriétaire de rapporter la

preuve inverse – et facilite la saisie des avoirs. Cette unité

ne prend toutefois en charge que les délits commis par des

auteurs d’un niveau significatif, ceux de moindre niveau,

commis à la base, restant traités par le parquet de droit

commun. Les deux autres unités sont en charge, l’une du

crime organisé et des trafics, l’autre des crimes de sang.

La loi de 115/2016 sur la gouvernance du système judiciaire

prévoit, sur ce volet, la création d’une chaine pénale

spécialisée dans le traitement de la corruption et du crime

organisé, avec un parquet dédié, le SPAK, assisté d’un

bureau national d’investigations d’enquêteurs de haut

niveau (NBI), surnommé en Albanie « FBI », les affaires

étant ensuite jugées par un tribunal spécialisé.

Cette disposition générale s’accompagne de dispositifs

spécifiques de lutte contre la corruption, et l’un de ces

mécanismes concerne directement le parquet, puisqu’il

vise la lutte contre la corruption dans le corps judiciaire :

tous les procureurs, comme tous les juges, vont s’y trouver

soumis.

Il faut, avant de présenter ce dispositif, souligner que

la question de cette lutte se pose en Albanie dans un

climat de corruption endémique, celle-ci existant à tous

les échelons de l’organisation économique, administrative

et sociale.

Le besoin d’assainir la situation se fait cependant de

plus en plus prégnant, en particulier par rapport au désir

d’intégration au sein de l’Union Européenne, et aussi

bien le sujet est au cœur de tous les programmes de

coopération développés dans le pays.

Dans ce contexte, le système judiciaire semble premier

visé : le dispositif de vetting1 mis en place à son intention

prévoit de scruter non seulement le patrimoine, mais

l’intégrité et les compétences professionnelles de chaque

juge et procureur, et sortir du vetting dégagé de tout

soupçon sur ces trois plans sera la condition de toute

nomination, en particulier dans un poste de procureur.

1 Le vetting est une procédure de réévaluation de chaque magistrat, en trois phases : Le Haut Inspectorat des patrimoines statue sur les déclarations obligatoires imposées non seulement à tous les magistrats – 800 sont concernés, mais également à leurs proches, soit 4000 autres personnes. Le contrôle de l’intégrité est opéré par la Direction de l’information classifiée, avec un risque d’arbitraire que dénoncent tous les intéressés rencontrés Enfin, le contrôle de la compétence repose sur l’examen de huit dossiers traités par le magistrat concerné, dont trois choisis par lui, et cinq tirés au sort dans la masse de tous les autres : l’échantillon est maigre, et la subjectivité de l’appréciation risque d’être très importante. Les opérations sont placées sous le contrôle d’un groupe d’experts internationaux, chargés d’un rôle consultatif et de surveillance de régularité des opérations. À l’issue du vetting, une éventuelle décision d’exclusion peut être frappée d’appel, mais la cour d’appel statuera en dernier ressort, le

Toutefois, au cas où les anomalies relevées ne tiendraient

qu’à des failles non dirimantes - une insuffisance de

compétences professionnelles par exemple -, le magistrat

concerné pourra être maintenu dans ses fonctions, sous

condition d’effectuer une session de formation de neuf

mois à l’École de la magistrature.

Celle-ci risque donc d’être fortement sollicitée, puisqu’outre

l’organisation de ces « rattrapages », elle devra faire face

aux besoins du remplacement des magistrats limogés…ce

alors que sa capacité de formation actuelle est seulement

de 15 à 25 magistrats par an.

La volonté louable d’assainissement du corps judiciaire

– fortement stimulée par la pression des instances

européennes et internationales – que constitue cette

procédure, suscite d’extrêmes critiques de la part de ceux

qui vont devoir la subir :

• Les procureurs rencontrés par l’expert y voient surtout

l’opportunité, pour les politiques, de se dédouaner

de leurs propres failles en matière de corruption, en

cristallisant sur le système judiciaire l’attention qui

devrait, disent les magistrats, porter au premier chef

sur eux à cet égard ;

• Ils dénoncent en outre le vetting comme un prétexte

pour, sous son couvert, épurer le système judiciaire de

tous ses membres gênants, « hors de la ligne du parti »,

dit le Procureur général ;

• Ils soulignent enfin que le système déclaratif du

patrimoine existant depuis 2003, correctement contrôlé

et exploité, aurait permis d’atteindre le résultat recherché

sans les excès du vetting, qui prétend s’attaquer à

toute majoration de ce patrimoine, alors que tout

enrichissement n’a pas systématiquement son origine

dans des faits de corruption.

Il est instructif de souligner, pour clore ce chapitre du

vetting, que les médias albanais, qui n’apportent pas le

moindre soutien à la lutte contre la corruption, sont tout

aussi indifférents à la défense du corps judiciaire, et ne

relaient en rien leurs récriminations.

En Serbie, tous les interlocuteurs rencontrés par l’expert

s’accordent sur la nécessité de centraliser les enquêtes

en matière de grande criminalité.

Plusieurs organes ou dispositifs ont été créés en ce but,

au sein ou à côté du RPPO.

• Ainsi a été constituée, en matière de trafic d’êtres

humains, une task force contre les réseaux de passeurs,

placée sous l’autorité du parquet national au titre de

ses attributions en matière d’entraide.

• Un conseil pour la lutte contre la corruption a été créé

en 2002, avec un rôle consultatif, et la Serbie s’est dotée

d’une agence dont les attributions regroupent celles de

l’Agence Française contre la corruption et de la Haute

Autorité pour la transparence de la vie publique.

• Le RPPO bénéficie des services d’un organisme

comparable à notre AGRASC, la Direction pour la gestion

des biens saisis et confisqués, qui dépend du ministère

de la Justice.

• A également été créé en 2008 – et mis en œuvre

effectivement en 2009 – un office pour la restitution

des biens des victimes.

• Tout récemment enfin - en mars 2018 – ont été créés

quatre parquets spécialisés pour traiter des affaires

financières dont l’enjeu dépasse 1,6 millions d’euros.

Les dispositions de droit pénal et de procédure,

nécessaires pour que ces divers organes soient en mesure

de réaliser un travail effectif, sont en place. Ainsi

• Il existe une large obligation de déclaration d’intérêt,

qui vise tous les élus, tous les fonctionnaires nommés

par le gouvernement et toute la haute magistrature. La

déclaration doit être renouvelée tous les quatre ans,

ainsi que deux ans après la cessation de fonctions.

• L’action de l’équivalent de notre AGRASC est facilitée par

l’existence d’une disposition attachant une présomption

de fraude à la propriété d’éléments de patrimoine dont

l’origine – et celle de leur financement – ne peut être

justifiée.

• Les qualifications relatives aux infractions d’atteintes à

la probité publique sont identiques à celles que nous

connaissons en France, et la législation serbe en matière

de saisies et confiscations est également très proche

de la nôtre.

Le droit serbe comporte aussi - à l‘image de la convention

judiciaire d’intérêt public pour les personnes morales

introduite en 2016 par la loi Sapin 2, de la comparution

sur reconnaissance préalable de culpabilité, ou encore

de la procédure de clémence de notre Autorité de la

concurrence - un système de transaction judiciaire

pénale, applicable à tout moment de la procédure, qui est

acceptée dans la majorité des cas où elle est proposée.

Il existe également une procédure simplifiée pour les

délits pour lesquels la peine encourue est inférieure

à huit ans. Dans ce cas, le principe d’opportunité des

poursuites s’applique, la décision du procureur de ne

pas poursuivre pouvant s’assortir, éventuellement, de

mesures d’accompagnement.

Ces deux dernières dispositions permettent de limiter

l’engorgement juridictionnel, et les délais de traitement

qui en découlent, dont souffrent tous les États qui

entreprennent de lutter contre une corruption plus ou

moins endémique sans disposer de « couloirs » grâce

seul recours possible étant alors la saisine de la CEDH

auxquels le traitement par voie judiciaire peut se

concentrer sur les cas les plus importants ou les plus

emblématiques.

Sur ce plan également, la Bosnie est dans une position

singulière liée à son histoire récente : À la notion de lutte

contre la grande criminalité font écho en premier lieu non

pas le traitement des trafics d’armes – qui, selon l’agent de

sécurité intérieure français rencontré par l’expert, devrait

être la priorité numéro un – ou celui de la corruption, mais

celui des crimes de guerre, qui est un problème encore à

vif, activateur potentiel des tensions identitaires toujours

bien présentes.

Ainsi, au sein du parquet d’État qui compte soixante

procureurs, trente d’entre eux sont affectés à la question

des crimes de guerre, dix au terrorisme – qui affecte peu

la Bosnie-Herzégovine, et vingt seulement s’occupent

de la lutte contre le crime organisé, qui fait ainsi figure

de parent pauvre, alors qu’il devrait constituer l’enjeu

principal de la lutte contre la criminalité.

Comme les crimes de guerre sont imprescriptibles, le flux

des procédures nouvelles ne se tarit pas. La procédure ne

prévoyant aucun mécanisme d’indemnisation des victimes,

c’est à celles-ci qu’il incombe de saisir la juridiction civile

à cette fin, une fois la condamnation pénale prononcée.

Faute de pouvoir traiter toutes les plaintes, le parquet d’État

a mis en place, pour les affaires « moins importantes »,

une stratégie de dessaisissement au profit des entités,

dans lesquelles les crimes de guerre sont traités au niveau

des parquets cantonaux ou de district. Les districts de la

RS gèreraient ainsi, à l’heure actuelle, 160 procédures

de crimes de guerre.

De la même façon d’ailleurs, la saisine du parquet d’État

dans les affaires de terrorisme n’est théoriquement

pas systématique, puisque les entités ont compétence

pour mener la procédure relative à des attaques qui

menaceraient directement leur territoire propre.

De cet ensemble découle que la structure du parquet

d’État dédiée à la grande criminalité est en difficulté, et

d’autant moins efficace dans la lutte contre la corruption

que l’accès aux informations financières est aléatoire,

et qu’il n’existe aucune politique sérieuse en matière de

saisie des avoirs criminels et de confiscation, ni de contrôle

effectif des signes extérieurs de richesse – les magistrats,

cependant, étant tenus depuis 2003 à l’établissement

d’une déclaration annuelle de patrimoine.

Les propos recueillis au niveau des procureurs en chef

des entités nuancent, mais finalement corroborent, l’idée

de l’insuffisance et de l’inefficacité globale de la lutte

contre la corruption.

Plusieurs des interlocuteurs de l’expert ont déploré une

décision rendue en 2017 par la Cour constitutionnelle,

Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires

26 27

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déclarant inconstitutionnelles plusieurs dispositions de la

réforme, dont en particulier celle qui autorisait le procureur

à accorder une immunité au témoin. Venir dénoncer des

faits de corruption auxquels on a, éventuellement, pu

participer, devient, en l’absence de cette possibilité, une

décision beaucoup plus risquée et difficile à prendre pour

un témoin potentiel…

Au contraire de la FBiH, dans laquelle les tentatives

en ce sens ont échoué, la RS avait mis sur pied en

2006 un parquet spécial contre le crime organisé et

la corruption, qui comptait six procureurs placés sous

l’autorité hiérarchique du procureur en chef de l’entité.

En 2017, ce service est devenu un département spécial

du parquet d’État, et, s’il a conservé son organisation, il

a perdu ses investigateurs.

Le procureur en chef constate le caractère protecteur

de cette réforme pour les membres du département, à

l’encontre desquels les attaques personnelles, dirigées

contre eux en tant que membres de la structure spéciale,

ont beaucoup diminué du fait de ce rattachement.

Cependant, il déplore en même temps la perte d’efficacité

liée au départ des investigateurs, les officiers de police

des services d’enquête auxquels les procureurs doivent

désormais avoir recours – MUP, et éventuellement SIPA

– manquant des compétences spécialisées nécessaires.

Il souligne que des résultats significatifs sont cependant

obtenus au niveau de la corruption à grande échelle, et

des infractions d’abus d’autorité et de fonctions, avec des

sanctions plus significatives en RS qu’elles ne le sont en

FBiH. Reste la corruption au quotidien, qui continue de

fleurir alors même que, selon lui, « elle mine la société ».

LA COOPÉRATION INTERNATIONALE

Bien qu’étant partie au 2ème protocole additionnel de la

Convention Européenne d’entraide judiciaire en matière

pénale du 20 avril 2059, qui ouvre la possibilité d’une

coopération directe, l’Albanie ne la pratique pas,

étant invoqué, en guise de justification, le fait que cet

engagement international n’a reçu aucune traduction dans

le code de procédure pénale albanais. Les procureurs

s’en tiennent donc aux dispositions nationales, et la

coopération ne fonctionne que selon le code, avec des

demandes transmises par voie diplomatique.

Au demeurant, le bureau en charge de l’entraide pénale

ne comporte que des fonctionnaires publics, sans

qu’aucun magistrat ne soit impliqué ; du coup, toutes

les demandes passent par la voie hiérarchique, ce

qui ne fait qu’accentuer les retards déjà conséquents

en raison, notamment, des problèmes de traduction.

Dans ce contexte, l’idée de provoquer la constitution

d’équipes communes d’enquête ne suscite évidemment

pas beaucoup d’écho.

Dans ce domaine, la Serbie apparaît nettement plus

avancée.

Administrativement en charge de l’organisation de

la Procurature, le RPPO est aussi responsable de la

coopération judiciaire internationale. Le niveau de

performance de la justice serbe dans le domaine de

l’entraide est satisfaisant, les magistrats serbes disposant

notamment d’un guide méthodologique qui leur facilite la

mise en œuvre des mécanismes de transmission.

Ayant adhéré au 2ème protocole additionnel de la

convention européenne d’entraide en matière pénale,

les procureurs serbes rencontrés par l’expert ont été

particulièrement attentifs à la présentation des instruments

européens (mandat d’arrêt, décisions d’enquêtes

européennes), ayant parfaitement saisi l’efficacité accrue

qu’ils pourraient attendre de la mise en place de tels

instruments, par rapport au régime intergouvernemental

classique de la commission rogatoire internationale. Un

accord de renseignement et un protocole cadre sur les

équipes communes d’enquête ont d’ailleurs été conclus

en octobre 2016 avec la France.

En Bosnie-Herzégovine, il existe au niveau du

ministère de la Justice d’État un service dédié à la

coopération internationale, qui est également en charge

de la coopération inter-entités – bien que celle-ci soit un

non-sujet, selon plusieurs des interlocuteurs rencontrés

par l’expert dans l’une et l’autre des entités, la circulation

des informations entre FBiH et RS étant, disent-ils,

parfaitement fluide.

Le travail de ce service le conduit à gérer 8000 dossiers

par an, dont un grand nombre concerne des demandes

d’extradition. Les demandes d’entraide passent par

le service dédié, mais certaines d’entre elles seraient

traitées également par voie directe, sur la base du 2ème

protocole d’entraide pénale, également ratifié par la

Bosnie-Herzégovine.

Tel est du moins le discours au niveau du parquet d’État,

car au niveau des entités, il a plutôt été entendu, tant en

FBiH qu’en RS, que tout devait remonter au ministère de

la Justice d’État, les contacts directs existants étant réels,

mais informels, et toujours soumis à une officialisation par

la voie hiérarchique : comme en Albanie, l’explication

avancée est que les codes applicables ne prévoient pas

la communication directe.

Le responsable du service d’État se dit favorable à la mise

en place d’équipes communes d’enquête, cependant

force est de constater que la tardivité des transmissions

des enquêtes de la police vers le parquet fait perdre à

la mise en place de telles procédures une grande part

de son utilité.

La relation entretenue avec Eurojust est bonne, mais elle

reste informelle : la volonté de conclure avec cette entité

un protocole de coopération – qui existe avec Europol

– achoppe en effet sur la question de la protection des

données, point sur lequel les garanties offertes par le

Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires

ministère de la Justice bosnien ne seraient apparemment

pas satisfaisantes en l’état.

CONCLUSIONS ET PRÉCONISATIONS

Comme on le voit, le tableau est finalement assez

contrasté :

En Serbie, un Procureur général élu, répondant devant

l’Assemblée nationale et non subordonné au Ministre

de la Justice, définissant une politique pénale que son

autorité hiérarchique sur les parquets lui donne les

moyens d’appliquer.

L’efficacité du système semble globalement correcte, mais

pourrait certainement être améliorée si étaient mise en

place une meilleure communication et une communauté

de travail effective entre justice et police, si des moyens

suffisants en police scientifique étaient alloués, et leur

mise en œuvre soutenue par des formations adaptées, et

si enfin, au niveau international, des formes de coopération

directe étaient mises en place.

Le parquet de Bosnie-Herzégovine est structuré selon

le même principe, mais la répétition de cette structure au

niveau de trois entités distinctes, autonomes les unes par

rapport aux autres, réduit à néant l’effectivité du principe

hiérarchique à l’échelon de l’État, et donc la possibilité

de définir d’une véritable politique pénale. Celle-ci

pourrait toutefois exister pour la grande criminalité,

traitée au niveau du parquet de la République de Bosnie-

Herzégovine, si la prééminence du traitement des crimes

de guerre ne mettait pas de fait au second plan celui de

la corruption et de la criminalité organisée.

Comme en Serbie, le manque de lien et de rapports

de confiance entre police et parquet est une source de

déperdition dans l’efficacité des enquêtes, majorée en

Bosnie-Herzégovine par la complexité de la répartition

des compétences, des circuits, et du partage des services

d’enquête entre les entités et le parquet d’État.

L’absence d’une Cour suprême qui fixe la jurisprudence, la

dualité des codes employés dans l’ État bosnien et dans

les entités, la procédure accusatoire, conjuguées à des

facteurs plus généraux tels l’existence de la clé ethnique

- qui interdit l’utilisation optimale des compétences - sont

autant d’éléments qui aggravent les dysfonctionnements,

en dépit de conditions matérielles satisfaisantes.

Les nécessités premières pour améliorer la situation,

sans toucher ce qui ne peut l’être, seraient d’améliorer

l’activité du parquet d’État, en y insufflant un véritable

esprit d’équipe aujourd’hui inexistant, en y mettant en

place une politique pénale globale et une politique

d’audiencement cohérente, et en instaurant un contrôle

qualitatif de l’activité effective.

En Albanie, l’ensemble des interlocuteurs de l’expert

se rejoignent pour contester les conditions dans lesquelles

la réforme de la justice a été, et est encore menée. Sans

préjuger de ce que sera l’évolution du fonctionnement

du parquet avec l’organisation mise en place et une

fois conduites les opérations de vetting, force est de

constater qu’aujourd’hui, des deux objectifs assignés à la

réforme, l’un – éradiquer la corruption – paraît loin d’être

atteint, l’autre – renforcer la séparation des pouvoirs en

consacrant l’indépendance des procureurs – conduit à

une confusion extrême dans la conduite de la politique

pénale, et tend à accentuer son inefficience.

Pour l’améliorer, il faudrait a minima rétablir des rapports

de confiance – et d’efficacité – entre police et parquets,

mais aussi doter ceux-ci des moyens de gérer les

procédures de façon cohérente, au moins en les dotant

d’outils informatiques et numériques opérationnels.

28 29

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ÉTAT DES LIEUX, INTÉRÊT ET PERSPECTIVES Par Philippe LEMAIRE, avocat général près la Cour de Cassation

Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire Ce vaste tour d’horizon, tout en présentant une administration souvent mal connue,

souligne sa très riche activité à l’international et en particulier sa forte implication dans

les pays du Maghreb. Il démontre aussi le dynamisme de son École de formation,

mettant en exergue l’utilisation qu’elle fait de l’activité internationale comme levier

pour la diversification de la formation des cadres et personnels pénitentiaires français.

Ce regard d’ensemble sur la coopération de tout un secteur est aussi l’occasion de

préciser l’articulation entre les activités de la coopération bilatérale et les projets

multilatéraux, et de poser, sur la plus-value apportée par leur mise en œuvre et

sur les moyens de la majorer, les questions qui devraient irriguer l’ensemble de la

réflexion actuelle sur la coopération judiciaire.

L’histoire de notre administration pénitentiaire remonte à

l’Ancien régime, ce qui en fait l’une des plus anciennes

administrations régaliennes de France.

Développée surtout depuis le XIXème siècle, elle est

placée depuis 1911 sous l’autorité du garde des Sceaux.

Actuellement l’une des cinq directions du ministère de

la Justice, elle comporte une administration centrale,

mais aussi des services déconcentrés, un service à

compétence nationale dédié à l’emploi pénitentiaire, et

un établissement public administratif, l’École nationale

d’administration pénitentiaire - Énap).

Sa mission est, d’une part, d’assurer le maintien en

détention des personnes qui lui sont confiées par l’autorité

judiciaire, et d’autre part, de prévenir la récidive, tâche qui

incombe à l’ensemble des personnels, dont les personnels

d’insertion : il s’agit de préparer la réinsertion des détenus,

et de suivre les mesures et peines exécutées en milieu

ouvert, en collaboration avec des partenaires publics et

associatifs.

L’histoire de notre administration pénitentiaire remonte à

l’Ancien régime, ce qui en fait l’une des plus anciennes

administrations régaliennes de France.

Développée surtout depuis le XIXème siècle, elle est

placée depuis 1911 sous l’autorité du garde des Sceaux.

Actuellement l’une des cinq directions du ministère de

la Justice, elle comporte une administration centrale,

mais aussi des services déconcentrés, un service à

compétence nationale dédié à l’emploi pénitentiaire, et

un établissement public administratif, l’École nationale

d’administration pénitentiaire - Énap).

Dans une perspective plus globale, il faut restaurer la

confiance des citoyens dans leur système judiciaire, nulle

en l’état du fait de la piètre qualité du service rendu, et de

l’image déplorable des juges comme des procureurs. C’est

l’un des objectifs que poursuit la procédure de vetting,

sans garantie d’y parvenir.

À l’issue de ces missions, s’impose en tout cas l’évidence

que beaucoup reste à faire pour appuyer les systèmes

judiciaires de ces États, qui, aspirant à intégrer tôt ou tard

l’Union Européenne, ne pourront le faire sans satisfaire aux

conditions posées à leur adhésion quant à l’instauration

des standards de l’état de droit.

JCI vient de remporter, en Bosnie-Herzégovine, un

projet portant sur la lutte contre la corruption et le crime

organisé, qui va s’y dérouler sur deux ans à compter de

février 2019. Nul doute que les travaux menés par notre

expert dans ce pays ne soient un appui précieux pour le

conduire, aussi bien par les informations rassemblées

que par les relations tissées avec les acteurs-clés du

parquet d’État bosnien.

Notre effort de coopération dans la zone Balkans va

donc se poursuivre, avec pour objectif premier d’aider

à la progression de pays qui sont de futurs partenaires

politiques et économiques, mais aussi pour nous, en retour,

d’y favoriser, à la fois, une meilleure connaissance du

système judiciaire français, et l’établissement de relations

d’entraide judiciaire pleinement efficaces, particulièrement

dans le domaine pénal, en écho aux priorités du ministère

de la Justice.

Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires

30 31

Page 17: Les cahiers - GIP JCI · 2019-03-25 · jumelages pénitentiaires mis en œuvre dans les trois pays du Maghreb. C’est grâce à ce travail que JCI peut aujourd’hui proposer un

Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire

39 000 PERSONNESdont les surveillants, les agents de SPIP, les personnels administratifs et techniques (3700) les personnels de direction (500), et 2000 autres (contractuels, aumôniers...)

130 SPIP employant 5300 agents, qui suivent 170 000 personnes en milieu ouvert

9 DIRECTIONS INTERRÉGIONALES et

1 MISSION DES SERVICES PÉNITENTIAIRES OUTRE-MER

185 ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES employant

79 000

PERSONNES ÉCROUÉES dont 68 500 détenues

EF

FE

CT

IF

La Pénitentiaire en chiffres

Sa mission est, d’une part, d’assurer le maintien en

détention des personnes qui lui sont confiées par l’autorité

judiciaire, et d’autre part, de prévenir la récidive, tâche qui

incombe à l’ensemble des personnels, dont les personnels

d’insertion : il s’agit de préparer la réinsertion des détenus,

et de suivre les mesures et peines exécutées en milieu

ouvert, en collaboration avec des partenaires publics et

associatifs.

Notre administration pénitentiaire peut ainsi se prévaloir

d’une très large expertise aussi bien sur le milieu carcéral

-construction/gestion d’établissements pénitentiaires- que

sur le milieu ouvert, domaine des services pénitentiaires

d’insertion et de probation.

Le troisième aspect central de sa mission est la formation

des personnels, mise en œuvre par l’École nationale

d’administration pénitentiaire (Enap), établissement public

autonome implanté à Agen, qui assure la formation initiale

de tous les métiers pénitentiaires et une grande partie de

la formation continue.

Son ancienneté, son importance, ses qualités et sa

renommée – plus évidente à l’extérieur qu’en France

même – suscitent des relations fructueuses avec de

nombreux pays étrangers, et l’on est effectivement

frappé de l’ampleur des activités internationales, bi- ou

multilatérales, développées aussi bien avec les directions

d’administration pénitentiaire ou des prisons, qu’avec les

établissements de formation de très nombreux autres

États, en particulier ceux membres de l’Union Européenne.

Ces actions sont menées par la Direction de l’Administration

pénitentiaire et par l’Enap, sans préjudice des contacts

qu’entretiennent les directions régionales avec leurs

homologues des pays frontaliers, cités ici seulement

pour mémoire, mais dont l’intérêt opérationnel n’est pas

moins évident.

S’y ajoute leur participation aux projets de coopération

financés par des bailleurs de fonds internationaux

impliquant des personnels pénitentiaires et/ou des

formateurs qui sont menés sous l’égide du GIP JCI (Justice

Coopération Internationale), opérateur du ministère de la

Justice et de l’Enap.

Dans son ensemble, cette activité internationale est

largement méconnue, alors même qu’elle est la clé de

la valorisation de notre système pénitentiaire, et de notre

système de formation, à l’étranger.

En outre, les rencontres et confrontations rendues

possibles par le déploiement des actions et des projets

internationaux viennent enrichir nos connaissances

d’éléments de droit comparé, et affiner notre réflexion

sur les moyens d’améliorer les systèmes pénitentiaires

– y compris le nôtre –, notamment au regard du respect

de la personne et des droits de l’homme.

Alors que les thématiques pénitentiaires montent

aujourd’hui en puissance parmi celles dont traitent

les projets de coopération judiciaire, il semble utile de

présenter plus précisément les acteurs, les activités et les

perspectives de cette coopération, en sa partie dédiée au

secteur pénitentiaire, dans un état des lieux destiné à en

souligner l’ampleur et à en démontrer l‘intérêt.

27000 SURVEILLANTS

Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire

1. La direction de l’administra-tion pénitentiaire comporte un Pôle Re-

lations internationales, soit une personne directement

rattachée au bureau du directeur, exclusivement dédiée

à développer et coordonner les relations et échanges

avec les administrations pénitentiaires étrangères et les

organismes internationaux, sur des axes bien définis,

dont deux transversaux - l’intensification des échanges et

travaux dans le cadre européen et l’implication dans les

programmes de type jumelages,- les deux autres ciblant

plus spécifiquement, l’une, la sphère ONU – une montée

en puissance des activités dans le cadre de l’Office des

Nations Unies contre la drogue et le crime –, l’autre, la

zone Asie – avec un objectif de meilleure coordination

des actions.

2. L’Énap, avec son département des relations

internationales composé de trois personnes et d’une

chargée de mission, a conduit à ce jour, depuis sa création

en 2000, des actions impliquant 101 pays, toutes en lien

avec son expertise et son savoir-faire reconnus dans le

domaine de la formation pénitentiaire, l’objectif général

étant de participer à l’amélioration et/ou à l’échange des

pratiques professionnelles, et à l’application, au niveau

international, de normes pénitentiaires respectueuses

des droits de l’Homme.

Dans ce contexte, l’Enap dispose de l’atout spécifique

remarquable que constitue son département de la

recherche : Créé en 1999, le Centre Interdisciplinaire de

Recherche Appliquée au Champ Pénitentiaire (CIRAP) est

un laboratoire implanté au sein de l’École, qui, dédié à

l’analyse des problèmes et enjeux contemporains liés aux

mesures et sanctions pénales, contribue à une meilleure

connaissance des institutions pénales, des pratiques

professionnelles, et de la population pénale.

Pluridisciplinaire - ce qu’exige l’analyse du champ

pénitentiaire -, le CIRAP enrichit la formation des

personnels des connaissances scientifiques résultant

de ses analyses : les recherches réalisées dans leurs

disciplines respectives par ses chercheurs - qui sont

également investis d’une mission pédagogique au sein

de l’École - fournissent aux différents acteurs impliqués

dans l’institution pénitentiaire les moyens d’affiner leur

compréhension des dynamiques institutionnelles et des

processus de construction des pratiques professionnelles,

participant ainsi à leur amélioration.

Depuis deux ans, une procédure de recueil d’informations

sur les différents systèmes pénitentiaires étrangers a

été mise en place conjointement entre le département

des relations internationales et le département de la

recherche. L’objectif est triple : Il s’agit de fournir des outils

de référence pour les élèves en formation, de constituer

un index des systèmes pénitentiaires qui soit l’outil de

nouveaux axes de réflexion, et d’offrir un panorama des

systèmes pénitentiaires étrangers qui assure la visibilité

des actions internationales menées et renforce leur

crédibilité.

Ce lien fort entre International et recherche vient d’ailleurs

d’être consacré au sein de l’École, où le département

international et le CIRAP sont désormais placés sous

une même direction.

3. Justice Coopération inter-nationale est l’opérateur public du monde

judiciaire, dont sont membres notamment le ministère

de la Justice - et donc la Direction de l’administration

pénitentiaire - et l’Enap, en tant qu’établissement public

autonome.

Sa mission est de mettre en œuvre des projets de

coopération judiciaire à long terme – de 18 mois à 3 ou

4 ans – financés par des bailleurs de fonds internationaux

– le plus souvent l’Union Européenne ou l’Agence

Française de développement –, qui se déroulent chez

les partenaires étrangers bénéficiaires de ces projets, dont

les thématiques correspondent au champ des intérêts et

compétences de ses membres.

Dans le domaine pénitentiaire, JCI assure, vis-à-vis de la

DAP et de l’Enap, une première mission de veille, pour

identifier les projets pénitentiaires susceptibles de les

intéresser.

Si, les ayant alertés, leur intérêt se confirme, il va présenter

pour leur compte une offre et, si celle-ci est acceptée, il

va mettre en place et gérer le projet, dont il porte, vis-

à-vis du bailleur de fonds, la responsabilité logistique et

financière, et dont il doit compte des résultats.

Si JCI prend en charge, pour le compte de la DAP et de

l’Enap, ce volet technico-financier des projets, la DAP et

l’Enap n’en restent pas moins au cœur de ceux-ci : Elles

sont en effet, ensemble ou séparément selon le thème de

l’activité concernée, parties prenantes à la sélection des

experts, tant à long qu’à court terme, au contenu du projet

– quelles activités mettre en place –, et à l’organisation

I. LES ACTEURS DE LA COOPÉRATION

32 33

Page 18: Les cahiers - GIP JCI · 2019-03-25 · jumelages pénitentiaires mis en œuvre dans les trois pays du Maghreb. C’est grâce à ce travail que JCI peut aujourd’hui proposer un

Elles précisent également le nombre de ressortissants

du pays concerné incarcérés dans un établissement

pénitentiaire français.

Enfin, la dernière partie de chaque fiche fournit des

informations sur l’organisation de l’administration

pénitentiaire étrangère concernée, et des données

chiffrées intéressant les personnes détenues.

Sont ainsi mises à disposition, au sein du ministère,

à l’usage de tout professionnel de justice intéressé,

des informations sur l’état d’un système pénitentiaire

recueillies soit par une recherche ciblée, soit dans le

contexte d’une action de coopération ou de ses suites,

dont la mise à jour pourra être assurée dans le même

contexte.1

2. L’ENAP, en tant qu’institution de formation de la pénitentiaire, développe une intense coopération, soit en mode « échanges de connaissances et de pratiques », soit dans le cadre même de sa mission de formation.

1 77 fiches pays ont été rédigées et transmises au SAEI. (+60 % par rapport à 2015) 2 L’Institut Juridique de Samara du service fédéral pénitentiaire de Russie est l’un des 7 instituts du pays formant des personnels pénitentiaires. Le pays dispose de 1 108 établissements pénitentiaires avec différents régimes de détention. Précisons que cet institut a contacté en février 2016, le département des relations internationales, et ses cadres ont été invités à visiter l’École en voyage d’étude, pour apprécier l’outil de formation pénitentiaire français.

En clôture de cette visite, qui s’est déroulée du 23 au 27 mai 2016, une convention de coopération a été signée, entre Madame Sophie Bleuet, directrice de l’Énap, et le Colonel Alexandre Votinov, chef de l’Institut Juridique de Samara, en vue d’établir un cadre juridique favorable au développement d’actions de coopération entre les deux institutions.

En novembre 2016, en lien avec cet accord de coopération, 2 élèves directeurs des services pénitentiaires de la 45ème promotion ont pu bénéficier d’un stage international en Russie.3 Du 14 au 16 décembre 2016, l’Énap a été l’invitée d’honneur de la 4ème Rencontre nationale des écoles d’administration pénitentiaire du Brésil, organisée à Belém, dans l’état du Para.

Organisée par le ministère de la Justice et de la Citoyenneté et le Département National Pénitentiaire, la rencontre portait sur des discussions autour de l’organisation du réseau des écoles et des acteurs de la formation des services pénitentiaires, afin de dessiner un plan de standardisation des écoles pénitentiaires et de mieux former les agents pénitentiaires du Brésil, tant en formation initiale que continue. Il faut préciser à cet égard que le Brésil est une fédération de 27 états indépendants, dont chacun a son école pénitentiaire, organisée selon un mode qui lui est propre.

À l’issue de cette rencontre, un accord de coopération entre la France et le Brésil visant à permettre le développement des échanges, des études et des recherches scientifiques dans le domaine pénitentiaire, a été signé entre Monsieur Marco Antonio Severo, directeur du Département National Pénitentiaire et représentant du ministère de la Justice et de la Citoyenneté, et la directrice de l’école nationale d’administration pénitentiaire.

En termes d’échanges de connaissances et de pratiques, l’Enap

• Est partie à de nombreux accords de coopération

bilatéraux, dont 9 sont actuellement actifs, permettant

des échanges croisés de personnels en formation, tels

ceux réalisés avec la Russie2 et le Brésil3.

• Est présente dans divers séminaires internationaux,

ainsi notamment

> En 2016, elle a été représentée dans 13 séminaires

ou colloques à l’étranger (en Andorre, en Belgique,

au Brésil, au Canada, en Espagne, en Moldavie,

en Pologne, en Roumanie, en Russie et en Suisse),

développant ainsi son rayonnement international ;

> En 2017, elle a participé à la 22ème conférence du

conseil de l’Europe des directeurs des services

pénitentiaires et de probation (en Suède) sur le

thème : « Recrutement, formation et développement

du personnel au 21ème siècle ».

• Est très active dans les réseaux européens dédiés à

la formation et à la probation, qui donnent lieu à des

rencontres et échanges suivis et réguliers

> Le réseau européen des centres de formation

des personnels pénitentiaires, l’EPTA (European

Penitentiary Training Academies), créé à l’issue

d’un séminaire organisé par l’Énap en novembre

2008 sur les dispositifs de formation des personnels

pénitentiaires en Europe, et doté d’une présidence

tournante qui organise chaque année une conférence

entre ses membres, à laquelle l’Enap assiste

systématiquement.

des visites d’études. Leur participation leur apporte, en

« retour sur investissement », une plus-value d’image,

une meilleure connaissance du système pénitentiaire

du pays bénéficiaire, un renforcement des liens avec ses

administration pénitentiaire et institut de formation, qui

leur permettent en retour de développer la coopération

opérationnelle, pour la DAP, et, pour l’École, les échanges

de stagiaires et de formateurs.

Il y a donc ici partage entre, d’une part, la forme et les

fonds, administrés par JCI, – rédaction et présentation

du projet et de son budget, contractualisation des

experts court et long terme, organisation logistique des

missions d’expertise, et prise en charge de toutes les

opérations liées au contrôle financier en cours de projet

et a posteriori-, et d’autre part le fond et la substance

du projet – définition du contenu et des plans de travail,

sélection des experts, visites d’études – qui sont entre les

mains de la DAP et /ou de l’Enap, avec l’appui du chef de

projet et, le cas échéant, du responsable détaché dans

le pays bénéficiaire pour la durée du projet, qu’elles

choisissent en accord avec JCI, et qu’elles accompagnent

avec JCI tout au long de la mise en œuvre du projet.

Deux conventions conclues entre l’Enap et JCI viennent

préciser leurs obligations respectives en ce qui concerne,

l’une, la mise à disposition des experts par l’Énap, et

l’autre, le cadre de l’accueil de délégations étrangères

ou d’experts étrangers visitant le site de l’École dans le

cadre d’un projet, opérations dont ces conventions règlent

les conditions financières et logistiques.

L’Enap s’est en outre dotée d’une procédure interne

spécifique pour la sélection des personnels qu’elle met

temporairement à la disposition du GIP, soulignant ainsi

l’attention particulière qu’elle attache aux profils des

experts sélectionnés, et sa préoccupation d’améliorer

la qualité de la réponse aux besoins et attentes des

bénéficiaires et, donc, l’efficacité des actions.

En liens réguliers avec leurs homologues étrangers

respectifs - directions d’administrations pénitentiaires

étrangères, directions des écoles pénitentiaires,

opérateurs publics européens -, ces acteurs de la

coopération pénitentiaire ont entre eux une collaboration

étroite, qui se manifeste notamment :

• Entre le Pôle Relations internationales de la Direction et

l’Enap, qui recourent mutuellement à leurs ressources

respectives d’expertise au sein des services de

l’administration centrale, des services déconcentrés

(DISP, Établissements, SPIP), et parmi les formateurs et

chercheurs de l’Enap.

• Entre JCI, la DAP et l’Enap, chaque fois qu’il s’agit de

sélectionner et mettre en place un projet pénitentiaire

sur fonds multilatéraux – lesquels sont le plus souvent

« mixtes », incluant une composante administrative et

une composante formation, avec une dominance plus ou

moins marquée de l’une ou de l’autre selon les projets.

Tous trois sont bien sûr également en relation avec la

DAEI du ministère de la Justice, qui a la charge de la

coordination de l’activité internationale de l’ensemble

du ministère, en particulier pour les actions bilatérales

appelant l’appui des postes diplomatiques.

II. LES ACTIVITÉS DE COOPÉRATION

Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire

1. Le Pôle international de la DAP conduit, en continu, trois types d’actions • L’accueil des délégations, qui, outre leur objectif général

de découverte du système pénitentiaire français,

s’intéressent plus particulièrement, pour nombre d’entre

elles, à la lutte contre la radicalisation, à la prise en

charge des mineurs, au dispositif de placement sous

surveillance électronique, ainsi encore qu’à la prise en

charge sanitaire des personnes détenues.1

• La mobilisation d’experts dans le cadre d’actions

ponctuelles ou de projets à l’étranger  : une part

1 En 2016, 45 délégations ont été accueillies (+ 10% par rapport à 2015) soit 205 personnes parmi lesquelles une majorité de magistrats et de fonctionnaires des ministères de la justice mais également des personnels des ministères de l’intérieur ou d’autres ministères, des représentants d’associations de réinsertion et des professeurs d’université. Ces visites en France de délégations étrangères sont ainsi réparties (chiffres 2016) : 28,9 % proviennent de pays d’Asie (13) 15,6 % d’Afrique du nord (7) 6,7 % du Proche et Moyen- Orient (3), 4,4 % d’Amérique latine (2), 2,2 % d’Amérique du nord (1), 2,2 % d’Australie (1), 24,5 % d’Europe (11) et 15,6 % d’Afrique subsaharienne (7)2 En 2016, 58 missions ont été organisées pour 90 experts -un chiffre stable par rapport à l’année précédente -, dans des cadres très différents : participation à des réunions d’instances européennes ou internationales, à divers séminaires, réponse à des demandes émanant d’États étrangers pour l’intervention d’experts dans le cadre de formations, missions d’expertise à court terme dans le cadre de jumelage de séminaires…

Les déplacements à l’étranger de représentants de l’administration pénitentiaire se sont faits pour 48,4 % en Europe (28), 1,7 % en Asie (1), 29,3 % en Afrique du nord (17),3,4 %en Afrique subsaharienne (2), 3,4 % en Amérique du nord - Canada (2), 3,4 % en Amérique latine (2), 10,4 % au Proche et moyen Orient (6)

importante des déplacements est liée aux projets

multilatéraux gérés par JCI, qu’il s’agisse de projets

intra-européens tel le projet RASMORAD, dédié à la

prise en charge des détenus extrémistes violents, ou

de projets internationaux ( jumelages)2.

• L’élaboration et la mise à jour régulière de fiches pays :

celles-ci apportent un éclairage sur les relations entre

l’administration pénitentiaire française et l’administration

pénitentiaire de l’État concerné, sur l’existence ou non

d’une coopération et d’échanges -existants ou à mettre

en place- entre l’ENAP et les instituts de formations des

personnels.

Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire

34 35

Page 19: Les cahiers - GIP JCI · 2019-03-25 · jumelages pénitentiaires mis en œuvre dans les trois pays du Maghreb. C’est grâce à ce travail que JCI peut aujourd’hui proposer un

Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire

En tant que présidente du réseau pour l’année 2018,

l’Enap a organisé la conférence annuelle à Agen les

13 et 14 juin 2018, sur le thème « Sécurité dynamique

et relations positives entre détenus et personnel

pénitentiaire ».1

> Depuis 2013, l’Enap participe tout aussi activement

à l’organisation européenne de la probation

(Confederation of European Probation CEP),

organisatrice de conférences annuelles sur ce thème.2

> Elle est également membre d’un consortium de six

pays (la France plus la Roumanie, la Pologne, la

Moldavie, l’Italie et la Turquie) qui, en 2014, a initié

un projet du programme européen « Erasmus Plus »

dit « Learning by Doing » qui confronte les bonnes

méthodes pédagogiques pour la formation des

personnels pénitentiaires3.

Dans la mise en œuvre même de ses missions de formation, L’Enap intègre significativement la

composante internationale, en organisant des stages à

l’étranger aussi bien pour ses élèves en formation initiale

que pour des personnels en formation continue, et en

recevant, symétriquement, de très nombreux stagiaires

étrangers.

• Depuis 2007, les élèves-directeurs en formation initiale

sont accueillis en stage auprès d’administrations

étrangères. Ils y partent pour en observer l’organisation

pénitentiaire, sur une thématique bien précise,

l’expérience donnant lieu à restitution auprès des

personnels et élèves de l’École ainsi qu’aux référents

internationaux, avec une compilation de tous les rapports

de stage, diffusée à tous les personnels pénitentiaires.

En 2016, ce sont ainsi 20 élèves de la 45ème promotion

de directeurs des services pénitentiaires qui ont passé

chacun une semaine dans dix pays d’accueil (Allemagne,

Autriche, Belgique, Espagne, Luxembourg, Norvège,

Pologne, Roumanie, Russie et Suisse) sur le thème

des « régimes différenciés ».

1 Le but du réseau est d’échanger sur les bonnes pratiques en matière pédagogique et sur les thématiques d’intérêt pour les administrations et écoles pénitentiaires.

Depuis 2008, l’Énap a toujours activement participé aux conférences annuelles, chacune dans un pays différent. En 2016 la conférence annuelle s’est tenue en Pologne (à Kalisz, dans le principal institut de formation du service pénitentiaire polonais) et était centrée sur les thèmes de la radicalisation dans les prisons et des détenus présentant des troubles psychiatriques.

En 2017, la conférence annuelle s’était tenue en Suisse, sur le thème de la formation au leadership et la formation des personnels de direction des prisons et de probation.2 En 2016, la conférence annuelle a été organisée en Roumanie. L’Énap était représentée par Michel Flauder, chef du département probation et criminologie. En 2017, 2 personnels du département probation et criminologie ont participé aux Pays-Bas à un séminaire portant sur le partenariat entre les autorités locales et les acteurs de la justice dans la prévention et la lutte contre la radicalisation violente.3 « Learning by doing » a mobilisé plus de 15 formateurs de l’Énap et des services déconcentrés en France et à l’étranger.

À l’issue de 12 rencontres internationales, 2 guides pédagogiques intitulés « Best practice guide for training in intervention and emergency rescue » et « Best practice guide for training in professional intervention » ont été rédigés. Ils comparent les bonnes méthodes en matière d’apprentissage et peuvent être utilisés à la formation pratique des personnels pénitentiaires des différents membres participants.4 Ces voyages ont conduit à la mise en place des modules de respect en 2015 au Centre Pénitentiaire de Mont-de- Marsan. Depuis, 30 établissements se sont lancés dans cette expérimentation. En 2016 et 2017, des visites d’étude à Madrid ont été effectuées avec 15 personnels des établissements porteurs du projet.5 Ces demandes portent prioritairement sur la formation aux techniques d’intervention, mais l’Enap peut également s’engager sur des thématiques plus diversifiées, telles que : l’élaboration de procédures de fonctionnement d’un établissement pénitentiaire, le management des personnels, la communication et le dialogue avec la population pénale pour éviter les relations basées sur les rapports de force, le greffe pénitentiaire, le travail pénitentiaire, la justice restaurative, ou encore les relations positives avec la population pénale.

• En formation continue, les demandes provenant de

professionnels qui souhaitent pouvoir bénéficier

de voyages d’études pour découvrir des systèmes

pénitentiaires étrangers, en vue ensuite de pouvoir

transposer certaines bonnes pratiques qui puissent

accompagner ou renforcer des orientations nationales,

sont prises en considération aussi largement que

possible. Ainsi

> Des visites d’études sur les modules de respect en

Espagne ont été portées par le DRI en 2010, 2011,

2014, 2015, 2016 et 20174.

> En mai 2016, un voyage d’étude a été réalisé

par le département probation et criminologie de

l’École sur l’application des techniques cognitivo-

comportementales à la probation au Québec, afin

de créer un module de formation dédié, renforçant

ainsi la formation dispensée aux publics concernés.

• En parallèle, l’Enap s’attache à répondre à la forte

demande de formation5 qui lui vient de l’étranger, en

accueillant de très nombreux stagiaires venus d’autres

pays.

Pour ces stagiaires, le Département des relations

internationales organise un programme spécifique de

formation, fondé sur des objectifs précisément définis

en amont, avec l’appui de formateurs dédiés, ayant une

expertise reconnue, qui sélectionnent les méthodes à

utiliser pour transmettre au mieux les connaissances

théoriques et pratiques et en permettre l’appropriation

individuelle par chaque stagiaire, en tenant compte

des obstacles – notamment linguistiques – à cette

appropriation.

Lorsque cela est possible, et compatible avec les objectifs

pédagogiques, les stagiaires sont associés à d’autres

publics en cours de formation à l’École, pour bénéficier

de formations identiques1.

• L’Enap enfin dispense soit à Agen, soit directement dans

le pays bénéficiaire, des formations de formateurs, à

l’intention de formateurs relais qui seront ensuite en

mesure de délivrer eux-mêmes les mêmes scénarios

pédagogiques dans leur pays d’origine : De telles

formations ont ainsi bénéficié à l’Equateur, la Côte

d’Ivoire, le Sénégal, l’Andorre et l’Algérie.

• Elle assure aussi des missions de formation dans

des pays présentant des enjeux opérationnels ou

économiques spécifiques, ainsi

> En 2017 à Dubaï, sur les techniques d’intervention

visant à la maîtrise des personnes détenues.

> De 2010 à 2014 à Djibouti, plusieurs cadres

pénitentiaires ont été formés aux fonctions d’officier,

de directeur de prison et de juge d’application des

peines.

• Des dispositifs d’e-learning ont enfin été mis au point,

pour permettre la poursuite de la relation de travail avec

les stagiaires étrangers, ou suivre le développement de

méthodes de travail.

Les échanges internationaux, symbolisés par l’accueil

et/ou l’envoi d’élèves, contribuent aussi à la création de

liens qui dynamisent davantage les contacts entre les

différentes parties du monde. En témoigne l’accueil de 3

fonctionnaires sénégalais au sein du cursus de formation

des directeurs de services pénitentiaires, qui a donné

lieu au départ en stage international de deux élèves-

directrices au Sénégal. Les informations recueillies au

cours de ces échanges sont pour l’Enap un moyen efficace

de pouvoir mieux cibler les attentes/besoins des élèves.

1 Dans le cadre d’échanges internationaux, la formation revêt une forme particulière d’activité formative inscrite dans une perspective contractuelle. En effet, les formateurs de l’Énap reconnaissent les stagiaires qui proviennent de tous les continents comme des partenaires professionnels.

Si une dissymétrie des relations demeure entre les formateurs et les stagiaires étrangers, cet écart relatif à la transmission de connaissances s’inscrit dans un engagement contractuel réciproque établi par des objectifs de formation négociés lors de la préparation du programme de formation.

Toutefois, la discussion des objectifs et leur renégociation, la production des programmes et leur évaluation sont des éléments constitutifs de la formation et ont en eux-mêmes une valeur ajoutée pour l’Énap comme pour les responsables des administrations étrangères.

Concernant la transmission de compétences spécifiques, ce n’est pas seulement le « développement personnel » du stagiaire étranger qui est recherché, mais l’objectif de lui faire acquérir des compétences précises, en lien avec des référentiels éprouvés.

Les formateurs de l’Énap ont pour projet la progression maximale de chaque stagiaire étranger. Cet objectif renverse la logique économique. Il considère le stagiaire avec ses savoirs et ses limites, et donc, l’attention la plus vigilante est portée à ceux qui rencontrent les plus grandes difficultés dans le domaine de formation concerné.2 C2D = contrat de désengagement et de développement : il s’agit de remettre une partie de sa dette à un État ayant bénéficié d’aides au développement, en échange de son engagement de s’investir dans une action d’assistance technique visant à réduire ses fragilités et appuyer son évolution dans un sens conforme aux standards internationaux et européens.3 Un jumelage - au sens UE - correspond à un format de projet initialement conçu par la Commission européenne en 1998 pour aider les pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne à acquérir les compétences et l’expérience nécessaires à l’adoption et la mise en œuvre du droit de l’Union. Depuis 2004, le jumelage est également à disposition de certains des nouveaux États indépendants de l’Europe orientale et des pays de la région méditerranéenne. Sont donc concernés les pays dits « de l’élargissement » et certains pays tiers de la zone dite « du voisinage »

Il s’agit d’un instrument de coopération administrative, qui offre au pays bénéficiaire une assistance technique par laquelle il va pouvoir disposer de l’expertise de pays membres de l’UE dans des domaines variés du secteur public, en associant nécessairement deux administrations publiques comparables, l’une étant rattachée à un État membre de l’UE, l’autre à un pays bénéficiaire, cette assistance s’inscrivant dans une perspective de long terme.

3. L’action internationale de la Pénitentiaire dans les projets pilotés par JCI L’objectif général récurrent de ces projets est de

réformer ou consolider des administrations pénitentiaires

défaillantes, par l’amélioration et la sécurisation du

fonctionnement des lieux de détention, par la mise en

œuvre d’équipements modernes, par l’initiation de la

mise en œuvre de régimes de probation, ou encore, par

la mise en place d’une organisation de la formation, voire

d’un institut de formation dédié, avec des curricula, des

outils pédagogiques et/ou des formations de formateurs…

Instruments du rayonnement de la coopération judiciaire

française qui, vis-à-vis des bailleurs internationaux et des

opérateurs des pays membres de l’Union européenne, est

portée par JCI dans des conditions en général appréciées

de façon très positive, de tels projets participent

évidemment aussi à la réputation des institutions qui y

sont associées, puisque la qualité de la mise en œuvre

d’un projet et de ses résultats ne peut découler que de

la conjonction entre une bonne gestion, d’une part, et

la qualité des activités mises en place et des experts

intervenants, d’autre part.

L’Enap et la DAP sont actuellement impliquées dans quatre

de ces projets, un C2D2 financé par l’Agence Française

de développement en Côte d’Ivoire, et trois jumelages3

pénitentiaires, implantés chacun dans l’un des trois pays

du Maghreb.

Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire

36 37

Page 20: Les cahiers - GIP JCI · 2019-03-25 · jumelages pénitentiaires mis en œuvre dans les trois pays du Maghreb. C’est grâce à ce travail que JCI peut aujourd’hui proposer un

Le C2D Côte d’Ivoire En 2012, l’Enap avait mis en œuvre une subvention du

Fonds Européen de Développement en Côte d’Ivoire.

Dans la suite de ce contrat, elle participe aujourd’hui

à un contrat de désendettement et de développement

(C2D) mis en place en 2016 par l’Agence Française de

Développement, qui vise à «  renforcer les capacités des

personnels pénitentiaires ivoiriens en apportant un appui à

l’École des personnels pénitentiaires afin que les pratiques

pénitentiaires ivoiriennes se rapprochent des standards

internationaux et soient plus respectueuses des Droits

de l’Homme ».

Piloté par JCI, ce projet concerne à la fois l’École Nationale

de la Magistrature, l’École Nationale des Greffes, l’École

Nationale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse et

l’École Nationale d’Administration Pénitentiaire, dès lors

que l’Institut National de Formation Judicaire (INFJ) de

Côte d’Ivoire, qui en est le bénéficiaire, est en charge de la

formation des personnels judiciaires dans leur ensemble.

L’objectif étant de parvenir à une réelle appropriation du

projet par le bénéficiaire ivoirien, en vue d’en garantir la

durabilité, l’INFEJ est très étroitement associé au projet

dans lequel sont constitués, pour dispenser les formations,

des binômes franco-ivoiriens.

Depuis janvier 2017, 5 missions ont été conduites, et

plusieurs experts de l’Enap mobilisés, pour former les

bénéficiaires ivoiriens, par exemple, aux méthodes

d’inspection d’un établissement pénitentiaire et à la

gestion du greffe pénitentiaire, en ce inclus la formation

d’inspecteurs à l’élaboration d’un référentiel d’audit des

établissements.

1 L’amélioration du système de gestion de l’administration pénitentiaire prévoit

- le développement d’un outil au service de la planification stratégique (système d’information),

- la formation des cadres à la planification stratégique (définition d’objectifs; création et exploitation d’indicateurs),

- l’optimisation de l’ouverture d’une nouvelle école de formation pour favoriser le développement de la culture de la performance (organigramme de l’école, ingénierie de formation),

- l’évaluation des agents de la DGAPR, en y intégrant la culture de la planification stratégique.

- Le renforcement de la prise en charge en matière de réinsertion vise : la mise en œuvre les plans individuels de réinsertion, le développement du savoir-faire des assistantes sociales (c’est-à-dire la professionnalisation les agents en charge de l’insertion des détenus), l’amélioration de la prise en charge de certaines catégories de détenus (les femmes, les mineurs, les toxicomanes), et enfin, un meilleur développement du travail pénal.

L’amélioration de la sécurité des établissements concerne : le soutien au processus de catégorisation des détenus (évaluation des profils, mise en adéquation avec le régime de détention proposé), le développement des audits de sécurité (en favorisant la création d’un service d’audit), et enfin, la formation à la technique des audits et l’élaboration de référentiels.

Le jumelage Algérie Répondant à la demande d’appui présentée en 2013

à la délégation de l’Union européenne par la direction

générale de l’administration pénitentiaire et de la

réinsertion algérienne (DGAPR), un projet de jumelage au

bénéfice de cette direction, élément d’un programme plus

large d’appui à la mise en œuvre de l’accord d’association

Algérie-Union Européenne, a été lancé fin 2014.

Remporté par un consortium unissant JCI, leader pour le

compte du ministère de la Justice français, et le ministère

de la Justice italien, le contrat a été signé avec les

bénéficiaires algériens - ministère de la Justice et DGAPR

- en avril 2015, et effectivement lancé en mai 2016 avec

l’installation du personnel permanent du projet dans les

locaux mêmes de la DGAPR. Le jumelage poursuit trois

objectifs : améliorer le système de gestion globale de

l’administration pénitentiaire, renforcer la prise en charge

en matière de réinsertion, et améliorer la sécurité des

établissements.1

La philosophie du projet est pragmatique : il repose

sur l’échange de pratiques professionnelles, qui doit

permettre de dégager un corpus de réponses communes

aux questions qui se posent de manière universelle à

l’administration pénitentiaire de tous les pays. Par

exemple, comment prendre en charge un détenu

dangereux ou présentant des troubles du comportement ?

Quels sont les instruments donnant corps à la mission de

prévention de la récidive ? Quels outils pour évaluer les

agents en fonction des objectifs qui sont ceux définis par

le ministre de la justice à l’administration pénitentiaire ?

La mise en place effective de cette démarche pragmatique

a été rendue possible par deux actions majeures

conduites durant la phase préparatoire : les visites de

terrain réalises par le CRJ, - une quinzaine effectuées

à ce jour, facilitées par l’engagement de la DGAPR - et

les missions exploratoires réalisées par les experts-clés,

qui ont constitué autant d’audits rapides sur les activités 

principales : le programme de formation établi en lien

avec les cadres de la DGAPR a pu ainsi coller au plus

près des besoins, et les formations elles-mêmes - qui sont

au centre du projet - ont pu débuter à l’École nationale

des fonctionnaires pénitentiaires (ENAFAP) de Kolea, un

établissement public récemment ouvert, dont l’exploitation

maximale, et les conditions de travail qu’il propose, sont

une des clés de la réussite.

1 Il s’agit par exemple, de la création

- de plateformes de management par objectif,

- de préparation et d’accompagnement à la sortie,

- d’une catégorie de « détenus classés particulièrement dangereux ». 2 À sa clôture, il a été fait état d’une réalisation quasi-totale, le plan de travail ayant même pu être enrichi de quelques actions complémentaires.

L’objectif général est de favoriser l’évolution d’une

administration qui a connu dans les dernières années de

profonds changements : création des services extérieurs

pour assurer la mission de prévention de la récidive,

construction massive d’établissements pénitentiaires

neufs pour assurer une prise en charge digne, mise en

place du bracelet électronique.

Ces changements rapides et profonds, dans une optique

de convergence vers les standards internationaux, exigent

aussi de porter une attention particulière à la cohérence de

tous les dispositifs, ce qui fait de l’activité de « planification

stratégique » - ou management par objectifs, le fil rouge

du jumelage, pour une administration dont la taille est plus

que significative : l’administration pénitentiaire algérienne

compte en effet 142 établissements, 22 services extérieurs

prenant en charge le milieu ouvert, près de 30 000 agents,

et elle gère plus de 66 000 personnes incarcérées.

Le projet doit enfin veiller à la pérennité des actions

engagées : pour cela, le contrat prévoit, activité par

activité, l’élaboration de plans d’action dont le contenu n’a

pas à être précisément défini, mais qui sont conçus comme

des instruments d’évolution du système, notamment sous

l’angle organisationnel, à la fois souples et réalistes, qui

doivent, surtout, ne pas peser sur les finances publiques de

l’État algérien1. D’autre part, sous l’appellation « cycles de

perfectionnement », le projet doit pourvoir à la formation

de formateurs locaux capables de prendre, sur le terrain,

le relais des formations.

À quelques mois de la clôture du projet2, prévue pour

novembre 2018, les objectifs ne sont pas intégralement

atteints, mais

• plus de 800 personnes ont été formées au cours des

160 missions déjà réalisées,

• les formations sur les activités importantes - généralisation

du plan individuel de réinsertion, catégorisation des

établissements et des détenus, l’évaluation des

fonctionnaires - sont d’ores et déjà achevées,

• d’autres sont largement engagées - le management

par objectifs, la professionnalisation des assistantes

sociales, la création d’un service d’audit sécurité.

Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire

CARACTÉRISTIQUESINTITULÉ : « renforcer l’administration pénitentiaire en accord avec les normes internationales en vue de l’amélioration des conditions de détention et de la réinsertion des détenus »

MONTANT : 2 millions d’euros

DURÉE : 30 mois, de mai 2016 à novembre 2018

MISE EN ŒUVRE : par un consortium franco-italien (JCI leader) avec

> Un conseiller résident jumelage français, Bruno Clement-Petremann, directeur de services pénitentiaires en France

> Un CRJ homologue algérien

> Trois chefs de projet – un par pays concerné.

> 89 experts mobilisés pour former 1650 agents à raison de 942 homme/jours d’expertise (236 missions)

38 39

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Le jumelage Tunisie Dans le cadre d’un programme d’appui à la réforme de

la Justice qui a débuté en 2015, JCI a remporté pour le

compte de l’administration pénitentiaire française un

jumelage entre le ministère de la Justice français et le

ministère de la Justice tunisien, qui vise, tout comme le

jumelage algérien, le renforcement des institutions de

l’administration pénitentiaire.

Conduit par JCI en collaboration avec son homologue

allemand IRZ, opérateur dédié du ministère de la Justice

allemand, le projet vise en premier lieu l’amélioration de

l’organisation de la Direction Générale des Prisons et

de la Rééducation, en la dotant d’un cadre juridique et

organique conforme aux dispositions de la constitution

et adapté aux standards internationaux, avec notamment

l’établissement de fiches de poste pour tous les agents.

Son deuxième objectif est l’appui à l’École nationale des

prisons et de la rééducation, et il lui incombe, en troisième

lieu, de favoriser la mise en place graduelle d’un système

national de probation.

Toute l’organisation du projet, et sa réussite, reposent sur

les facultés de mobilisation d’experts court terme (ECT)

dont l’expérience, les compétences et la complémentarité

garantissent la production de rapports équilibrés,

proposant des préconisations concrètes. Pour le choix

de ces experts - des directeurs de services pénitentiaires,

des attachés, des magistrats et des personnels issus

de la filière insertion et probation - fait par le conseiller

résident jumelage conjointement avec le chef de projet,

la DAP et l’Enap sont, évidemment, fortement sollicitées.

Il a été remédié aux difficultés de mobilisation concrète

1 Ces quatre pôles sont : sécurité, gestion budgétaire et financière, ressources humaines, prise en charge des personnes placées sous main de justice.

d’experts allemands, pour des raisons essentiellement

linguistiques, par le recours à des experts espagnols.

Comme en Algérie, la mise en œuvre d’un projet pertinent

a été liée aux nombreuses visites réalisées dans des

établissements pénitentiaires tunisiens : 67 visites au

total dans 27 des 32 structures existant en Tunisie - dont

5 dédiées aux mineurs, avec une attention plus soutenue

portée aux lieux de détention de publics sensibles

-femmes et mineurs.

Outre leur travail de « chefs d’orchestre » vis-à-vis des

experts, et de supervision de la bonne exécution du plan

de travail proprement dit, le conseiller résident jumelage

(CRJ) et le chef de projet ont aussi été amenés à intervenir

à de nombreuses reprises lors de séminaires ou actions

de formation, en lien avec les problématiques de prise

en charge des personnes placées sous main de justice

en Tunisie.

Pas plus que dans tout autre projet d’assistance technique,

l’appui apporté ne peut utilement prétendre vouloir, ni

pouvoir, transposer un modèle. Dès lors, l’efficacité et

la pérennité des propositions d’amélioration formulées

dépendent étroitement de la capacité de l’administration

pénitentiaire tunisienne à s’emparer de ces propositions,

et à intégrer les pistes proposées à sa propre culture

professionnelle.

L’appréciation des résultats effectifs se mesure à cette

aune, et en l’occurrence, l’opération « jumelage Tunisie » a

d’abord fait l’objet de constats mitigés, avant que certaines

avancées réelles ne se dessinent à partir de la mi 2017,

en lien avec des changements positifs intervenus à la

tête de la DGPR.

Ainsi,

L’objectif de renforcement des capacités institutionnelles

de la DGPR a fait l’objet au cours du second semestre

2017 d’une attention particulière de la part du bénéficiaire,

qui a permis : de valider officiellement les 4 pôles autour

desquels sera constitué le nouvel organigramme de la

DGPR1 ; de convenir de travailler à la mise en place d’un

échelon administratif intermédiaire, dans une logique

de déconcentration, d’une part, pour lutter contre

l’engorgement de l’administration centrale, d’autre part

pour rapprocher l’administration de ses administrés en

prenant davantage en compte les spécificités et les

Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire

CARACTÉRISTIQUESINTITULÉ : Renforcement des institutions de l’administration pénitentiaire

MONTANT : 1 million 850 mille euros

DURÉE : 30 mois d’octobre 2015 à avril 2018, mais prorogation de six mois prévue - jusqu’à octobre 2018

MISE EN ŒUVRE : par un consortium franco-allemand (JCI leader) avec :

> Un conseiller résident jumelage français, Nicolas Jauniaux, directeur de services pénitentiaires en France

> Un CRJ homologue tunisien

> Trois chefs de projet –un par pays concerné.

> 27 experts court terme mobilisés, ayant réalisé à décembre 2017 65 missions

> 6 voyages d’études

> 1 stage administratif pour trois sous-directeurs de la DGPR au sein de la DAP.

contraintes locales ; de mieux prendre en compte le besoin

d’amener les unités d’intervention à un niveau élevé de

professionnalisme et de réactivité1.

En ce qui concerne l’appui à l’École Nationale des

Prisons et de la Rééducation, le nombre de missions s’est

considérablement accru au cours du premier semestre

2017, ce qui a permis : de trouver un accord sur un projet

d’organigramme de l’ENPR ; de proposer une modification

de l’organisation des unités administratives ; d’élaborer

des fiches de poste pour les formateurs, et de préfigurer

l’avènement d’un corps professoral permanent, en

définissant, à titre de prérequis, un certain nombre de

critères.

Quant à l’objectif de mise en place graduelle d’un

système national de probation, il a progressé de manière

déterminante grâce à la mobilisation de l’ensemble des

acteurs2: Ainsi, les six sites qui accueilleront les premiers

bureaux de probation ont été identifiés et officialisés3 ; un

séminaire de travail intitulé « La probation : principes et

méthodes » organisé le 25 avril 2017 a rassemblé pour

une journée de travail les 80 magistrats et personnels

pénitentiaires directement impliqués dans le lancement des

premiers bureaux ; des fiches de postes pour les prochains

agents de probation, directement opérationnelles, ont été

réalisées ; trois scenarii ont été proposés pour pourvoir

en personnel les premiers bureaux ; enfin, la DGPR a

sélectionné les douze premières recrues vouées à y

officier.

La prolongation contractuelle de six mois qui a été

proposée et obtenue4 vise à permettre de continuer sur

cette lancée pour réaliser au maximum des objectifs

que les lenteurs des premiers mois semblaient avoir

compromis et qui paraissent, aujourd’hui, pouvoir être

atteints sinon en totalité, du moins dans une proportion

largement plus satisfaisante pour l’évaluation finale du

projet.

Il existe une réelle volonté des autorités tunisiennes de

maintenir et développer les bonnes relations nées du

jumelage, et dans l’attente de la mise en œuvre d’un

nouveau programme qui permettra de développer un

projet qui viendrait prendre le relais, plusieurs sujets

dont certains très actuels – lutte contre la radicalisation

violente en prison, prise en charge sanitaire des détenus,

création d’unités pénitentiaires locales d’intervention –

pourraient donner lieu à des échanges bilatéraux, tout

comme, dans le même contexte, il pourrait être envisagé

de prendre en charge des cadres pénitentiaires tunisiens

dans le cadre de stage à l’Enap.

1 Au-delà du voyage d’étude réalisé sur la base de l’Equipe Régionale d'Intervention et de Sécurité de Lyon, les personnels engagés dans cette réforme ont bénéficié de l'appui d'un groupe de travail dédié afin de valider une nouvelle doctrine d'emploi et des méthodes d'intervention réajustées. Un accroissement de la dotation en H/J de cette activité a par ailleurs été acté afin d'entamer des actions de formation en Tunisie en relation avec les initiatives prises par le bureau de l'International Narcotics and Law enforcement affairs (INL), sis au sein de l’ambassade des États-Unis, dont le crédit auprès de la DGPR est considérable.2 Cette mobilisation n’a pas été seulement le fait de la DGPR et de l’équipe jumelage, elle a également impliqué les magistrats, la Délégation de l’Union Européenne, l’assistante technique et l’unité de gestion du programme d’appui à la réforme de la Justice - UG PARJ -, l’ensemble des experts court terme de la composante, et les organisations de la société civile.3 Il s’agira du tribunal de première instance de La Manouba, et des cours d’appel de Tunis, Bizerte, Kairouan, Monastir et Gabes.4 La clôture du projet est effectivement intervenue en octobre 2018. Grâce à l’accélération de la mise en œuvre dans les derniers mois, l’appréciation globalement positive du programme s’est trouvée confirmée.

Le jumelage MarocLancé en juin 2018, il doit venir au soutien de la forte

dynamique de changement mise en œuvre par les

autorités marocaines dans le domaine pénitentiaire.

La Délégation Générale de l’Administration Pénitentiaire

et à la Réinsertion (DGAPR), mise en place il y a dix ans

- le 29 avril 2008- dans le Royaume, a perdu, depuis, le

lien avec le ministère de la Justice, pour être directement

rattachée à la Primature.

Articulée autour des deux axes stratégiques prioritaires

que sont l’amélioration des conditions de détention et la

contribution à la préparation de la réinsertion sociale des

personnes placées sous main de justice (PPSMJ), l’action

de la DGAPR s’inscrit aujourd’hui dans le « cadre d’action

stratégique 2016-2018 » fixé par le gouvernement, qui

vise à garantir les droits fondamentaux des détenus et

à adopter des procédures de bonne gouvernance, en

conformité avec les standards internationaux.

Sont ainsi en chantier la création d’une inspection,

celle d’une commission interministérielle en charge

des problématiques transversales, la réorganisation

des échelons central et régional de la Direction,

l’informatisation, et le renouvellement des cadres, sur

fond d’un ambitieux plan immobilier, lancé en 2014, de

construction/rénovation, avec fermeture corrélative de

structures obsolètes.

Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire

CARACTÉRISTIQUESINTITULÉ : Renforcement des capacités institutionnelles de la Délégation Générale à l’Administration Pénitentiaire et à la Réinsertion (DGAPR) du Royaume du Maroc

MONTANT : 1 500 000 €

DURÉE : 30 mois

MISE EN ŒUVRE : par un consortium franco-italo-belge :

> Un conseiller résident jumelage français, François Goetz, directeur de services pénitentiaires en France

> Un CRJ homologue marocain

40 41

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Les réformes en cours interviennent dans un environnement

complexe de surpopulation carcérale : 79 000 détenus,

dont 40% en détention provisoire, 85 % des détenus

condamnés purgeant des peines inférieures à 5 ans ; une

population carcérale jeune (57% entre 25 et 35 ans),

avec des problématiques de formation, d’hygiène, de

prise en charge sanitaire, de promiscuité, de gestion de

la radicalisation...

Le personnel pénitentiaire compte 10 400 agents, dont

plus de 200 personnels médicaux.

Dans ce contexte, le jumelage vise à renforcer les

capacités opérationnelles de la DGAPR en appui au

processus de réforme en cours, et comporte, à cette fin,

cinq composantes reflétant les priorités identifiées :

- Le renforcement des capacités d’action de la DGAPR, par l’étude des bonnes pratiques en

vigueur, et transférables, dans 3 institutions étrangères

comparables, assortie de visites d’études portant

sur des problématiques spécifiques identifiées par

les partenaires marocains : méthodologie afférente

à la construction d’un établissement pénitentiaire,

inspection des services pénitentiaires, labellisation des

établissements pénitentiaires.

- L’organisation d’une conférence  de consensus, visant à ouvrir le débat sur les

problématiques de prise en charge de la personne

placée sous main de justice à tous les acteurs concernés

(institutionnels, associatifs, universitaires, médias,

familles...). Il s’agit de procéder à un état des lieux

non seulement de l’existant, mais aussi des avancées

possibles au regard des politiques mises en œuvre

ailleurs, des recherches dans  le domaine, et des

réalités économiques, sociales, culturelles et politiques

locales. In fine, ces travaux devront déboucher sur des

recommandations qui, pour celles qui seront validées à

l’échelon politique, conduiront à l’élaboration de plans

d’action destinés à les mettre en œuvre.

- La formation au management des hauts cadres, avec visites d’étude, actions de formation aux

techniques modernes de management, - évaluation,

GPEC, MPO, communication, management participatif…-

à destination des cadres identifiés, ceux-ci bénéficiant

ensuite d’un accompagnement individualisé.

- La conception de référentiels métiers et compétences indispensables à la mise en œuvre

efficace et concrète des réformes en cours – référentiels

métiers, de compétences, référentiel pédagogique,

des pratiques professionnelles, et les fiches de postes

correspondantes : le jumelage y apportera un appui

méthodologique, et contribuera, de la même manière,

à l’élaboration d’une charte déontologique.

- Le renforcement des compétences  du personnel pénitentiaire, sur la base de l’évaluation

institutionnelle, organisationnelle et pédagogique du

Centre National de Formation des Cadres (CNFC) à

laquelle il sera procédé, avant la mise en œuvre d’un

important volet de formation d’experts en ingénierie de

formation et ingénierie pédagogique.

Par ailleurs les chefs d’établissements et adjoints

recevront une formation d’adaptation à la fonction sur des

thématiques qu’un audit préalable réalisé en concertation

avec les acteurs concernés aura permis d’identifier.

Enfin, des visites d’étude ciblées permettront d’aborder

des sujets plus spécifiques, tels le renseignement

pénitentiaire, le travail pénitentiaire ou la prévention de

la violence en milieu carcéral.

Des agents pénitentiaires seront aussi spécialement

formés aux techniques d’intervention, sur le modèle

français des équipes régionales d’intervention et de

sécurité.

Enfin, il est également prévu de former des personnels

médicaux aux particularités de l’action sanitaire en milieu

carcéral.

Il est notable qu’outre ces activités opérationnelles,

le jumelage comporte également une action visant à

rapprocher la DGAPR du monde universitaire, dont il

est attendu notamment une participation active à la

Conférence de consensus et, plus largement, à la conduite

de recherches appliquées au champ carcéral.

On ne peut mieux affirmer le lien entre ce jumelage et

les institutions françaises qui, sous le pilotage de JCI, ont

la charge de le mettre en œuvre, et en particulier avec

l’Enap. Dans la continuité d’actions bilatérales qu’elle a

déjà conduites au Maroc, celle-ci se trouve aujourd’hui

impliquée à plus long terme pour ses compétences en

matière de formation, mais aussi pour l’expérience de

ses chercheurs.

Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiairePanorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire

42 43

Page 23: Les cahiers - GIP JCI · 2019-03-25 · jumelages pénitentiaires mis en œuvre dans les trois pays du Maghreb. C’est grâce à ce travail que JCI peut aujourd’hui proposer un

Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire

La première vertu de cette présentation est de mettre en évidence une ouverture à l’international sur laquelle notre administration

pénitentiaire communique trop peu, alors que les

comparaisons avec d’autres systèmes pourraient

permettre de relativiser une bonne part des clichés

défavorables dont elle pâtit.

L’inventaire des actions de coopération internationale

du secteur pénitentiaire fait en soi la démonstration de

l’intérêt que présente une telle ouverture, fruit de la triple

intervention de l’administration centrale, de l’ENAP et

de JCI.

• Il s’agit, d’une part du rayonnement à l’étranger de

nos institutions : Le savoir-faire de notre administration

pénitentiaire, son expérience et la qualité de son

action sont internationalement reconnus, beaucoup

plus au demeurant qu’au sein de notre propre pays,

où, nonobstant ce qui effectivement reste à faire, les

évolutions remarquables de ces vingt dernières années

ne sont pas suffisamment mises en exergue.

• Mais, ces institutions gagnent d’autre part, en retour, dans

cette activité internationale, les moyens d’améliorer la

mise en œuvre de leurs missions propres :

La manière dont l’Enap utilise les relations tissées avec

ses homologues étrangers dans le cadre d’échanges

divers pour internationaliser et perfectionner le contenu

de ses activités de formation et les qualités pédagogiques

de ses formateurs fournit à cet égard une illustration

particulièrement démonstrative.

Mais aussi, les rapprochements entre administrations

pénitentiaires nés de ces activités facilitent la

communication entre notre Direction de l’Administration

Pénitentiaire et ses homologues étrangères, qu’il s’agisse

de régler des questions purement opérationnelles ou de

susciter une relation politique.

En fournissant, dans le cadre des projets multilatéraux,

l’expertise pénitentiaire de grande qualité de la DAP et de

l’Enap, JCI, de son côté, consolide à la fois ces relations

et sa propre crédibilité, ce qui lui permet d’accéder à de

nouveaux projets, qui à leur tour constituent un ferment

pour la création de nouveaux liens bilatéraux.

La seconde est non pas de susciter la réflexion sur

ce qu’il conviendrait de faire pour améliorer la qualité

et l’impact de ces activités internationales, car une telle

réflexion existe déjà, mais de permettre de croiser et mettre en commun les points de vue émis à ce

sujet par les acteurs de la coopération à l’occasion de

l’élaboration de cette synthèse.

À cet égard, l’Enap relève en premier lieu que sa politique

d’accueil et de formation de professionnels étrangers,

qui exige en pratique, des stagiaires souhaitant assister

à une formation, qu’ils comprennent ou apprennent le

français, pourrait être ouvertement associée à une action

de promotion et de soutien de la langue française, en

particulier à l’égard des les pays francophones d’Afrique :

Algérie, Maroc, Bénin, Burkina Faso, Congo, Côte d’Ivoire,

Gabon, Guinée, République Centrafricaine, Sénégal,

Tchad, Togo, Tunisie, avec lesquelles l’École travaille

de longue date.

Elle regrette ensuite l’insuffisance de l’information fournie

par le partenaire institutionnel qui sollicite son intervention,

sur la situation des pays dans lesquels une action doit être

menée, ce qui rend difficile d’organiser des programmes

et des modalités d’interventions adaptés à l’hétérogénéité

des objectifs et aux enjeux propres à chaque pays, surtout

lorsque l’administration pénitentiaire requérante est dans

une situation de vulnérabilité. Elle souhaiterait pouvoir

être destinataire d’un dossier complet tenant compte des

priorités de l’administration en demande, qui comporterait

des éléments liés à la géographie, l’histoire, la culture

et la langue.

Elle déplore également l’absence de retour sur la

formation reçue par les stagiaires étrangers qui en ont

bénéficié, qui lui interdit de s’assurer de l’efficacité de

l’aide et de la pertinence des programmes de formation,

cette analyse des résultats étant également indispensable

pour améliorer la pertinence et l’efficacité des programmes

de coopération effectués par des personnels de l’Énap

envoyés dans un pays étranger, notamment dans le cadre

des jumelages européens. À défaut, elle déplore de ne

pouvoir mieux apprécier le contexte et les enjeux du

développement attendu, mieux responsabiliser les acteurs

chargés de leur mise en œuvre, et tirer un meilleur profit

des expériences passées.

Elle propose enfin de tourner la recherche vers l’étranger,

en développant un engagement du CIRAP dans des

actions orientées vers des administrations étrangères,

selon une charte qui pourrait garantir la pertinence de

programmes de formation à long terme, débouchant par

la suite sur des recommandations opérationnelles

- d’une part, en matière de formation, on pourrait ainsi

majorer la pertinence du contenu des programmes de

formation proposés, par exemple en élaborant des

recommandations opérationnelles,

- d’autre part, un volet « recherche » pourrait être intégré

dès l’origine à tout contrat ou programme de coopération,

III. PERSPECTIVES ET CONCLUSIONS

Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire

portant sur une ou des problématiques communes aux

administrations pénitentiaires, identifiables quelle que

soit la singularité du pays : prise en charge de publics

spécifiques, traitement de la surpopulation, difficultés de

management, nouvelles modalités de prise en charge,

à l’évaluation des actions…

Les préoccupations ainsi exposées sont d’autant plus

légitimes que le questionnement qui les sous-tend

– comment donner plus d’effectivité aux actions de

coopération internationale – intéresse en fait, au-delà

du domaine pénitentiaire, l’ensemble de la coopération

judiciaire.

Les principes de solutions préconisés ne peuvent

qu’également recueillir l’adhésion, s’agissant d’améliorer

l’information en amont de manière à mieux cibler les

actions, puis d’améliorer la mise en commun et la

restitution des résultats en aval, pour en rendre la plus-

value à la fois visible et effective.

Pour les mettre en œuvre, les moyens et contraintes de

chacun, différentes selon leur positionnement respectif,

doivent être pris en compte, cela sans préjudice que

chacun s’attache, de son côté, à minorer dans la mesure

du possible ses propres imperfections fonctionnelles.

En tout état de cause, fluidifier la communication pour

assurer meilleures coordination et cohérence des actions,

en s’attachant également à ce que toutes les informations

disponibles circulent effectivement vers qui peut en avoir

l’utilité, serait sans aucun doute un premier pas utile.

Il reste que même en l’état des imperfections relevées, la

coopération internationale dans le domaine pénitentiaire

de la France est en pointe, constituant même la figure

de proue de notre coopération judiciaire dans les trois

pays du Maghreb. La confiance renouvelée de l’Union

européenne, bailleur de fonds des trois jumelages qui

y sont conduits, dit en soi l’implication et les mérites de

l’expertise fournie par la DAP et l’Enap, qui est tout aussi

particulièrement appréciée par les bénéficiaires.

44 45

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Les Cahiers de JCIJustice Coopération Internationale

édition 2018

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