Les cahiers - GIP JCI · 2019-03-25 · jumelages pénitentiaires mis en œuvre dans les trois pays...
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2018
Regards sur la coopération judiciaire internationale
Les cahiers de

Propos introductifPar Jean Claude MARIN, Président de JCI
Cette première parution de la Revue de JCI intervient alors que Le ministère de la Justice vient de publier sa stratégie de coopération internationale, fournissant ainsi un cadre de référence pour l’ensemble des activités internationales mises en œuvre par les institutions en lien avec le système judiciaire.
Cette initiative est d’autant plus heureuse qu’elle s’accompagne de la création, au double niveau technique et politique, d’instances de coordination qui devraient contribuer à rendre plus cohérentes et plus visibles des activités qui, au sein de notre monde juridique et judiciaire, ont d’ores et déjà une très large place.
• Facilité par le foisonnement des réseaux internationaux unissant des cours d’appel, des procureurs généraux, des Cours suprêmes, les Conseils supérieurs de justice, les Écoles de formation…, ce au niveau régional, national, européen ou international, un tissu serré de relations interpersonnelles s’est constitué, socle de rencontres et d’activités bilatérales multiples.
• De manière très fortement structurée, et pour certaines de fort longue date, nos écoles professionnelles - l’École de la Magistrature, l’École Nationale de l’administration pénitentiaire, l’École des greffes - développent des activités internationales et s’organisent, ou se réorganisent, pour répondre à une demande croissante avec de plus en plus de cohérence et d’efficacité.
• Les professions du droit s’investissent dans tous les pays du monde pour faire connaître leur organisation professionnelle, leur statut, leur déontologie, et en démontrer les vertus au service de la sécurité juridique, des droits de la défense, et du développement économique, sans préjudice de leur appui au rayonnement du droit continental.
Depuis une quinzaine d’années, les bailleurs internationaux, au premier rang desquels l’Union Européenne, financent, dans des proportions de plus en plus importantes, des actions de coopération dans le secteur judiciaire. Qu’il s’agisse d’ actions ponctuelles voire de très courte durée, ou de projets à plus long terme leur mise en œuvre appelle l’enchainement cohérent de phases multiples, suivant un programme prédéfini qu’il convient de piloter sur des périodes allant de 18 mois à 5 ans. Il s’agit de budgets conséquents, dont la gestion dans le temps nécessite un suivi et un contrôle rigoureux.
Pour pouvoir bénéficier de ces financements, le monde juridique et judiciaire s’est doté d’un opérateur, sous la forme d’un groupement d’intérêt public, Justice Coopération Internationale ou JCI, qui a pris la suite d’ACOJURIS, antérieurement créé à l’initiative du ministère de la Justice.
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Interface entre les bailleurs de fonds et les institutions ressources d’expertise, JCI permet à ses membres de prendre part aux programmes de coopération internationale, en mode projets, auprès d’États bénéficiaires, de leurs administrations et de leurs institutions juridiques et judiciaires, en parfaite complémentarité avec les activités de coopération bilatérale conduites en parallèle, avec l’atout essentiel d’apporter les financements, d’en assurer la gestion, ainsi que la conduite du projet lui-même, et d’inscrire l’ensemble des projets dans la durée.
Si des liens bilatéraux préexistaient, ils s’en trouvent renforcés, s’ils n’existaient pas, l’opportunité d’en créer est ainsi donnée.
La mesure de l’efficacité de ces actions de coopération est souvent difficile à quantifier, et elles peuvent générer un certain scepticisme entraînant, parfois, une mise en cause de l’utilité même de la coopération internationale.
Pourtant il s’agit de porter la spécificité de la culture et de l’expérience françaises dans le domaine juridique et judiciaire, et donc leur rayonnement, soit directement, dans des actions bilatérales mettant en lumière une institution, une procédure, un volet de notre droit, soit, indirectement, dans des actions multilatérales portant, via l’expertise française, les valeurs de notre système, qui se conjuguent avec celles de l’état de droit. Cet enjeu ne peut être qualifié de médiocre.
Cependant, il n’est souvent que très mal perçu, et cela doit interroger sur les modalités du retour d’information sur les activités et projets, ainsi que sur leur évaluation.
En l’état, ce retour va rarement au-delà de la connaissance qu’en ont les experts participants, et de la relation qui peut occasionnellement en être faite dans tel ou tel séminaire ou cercle de discussion nécessairement restreint. Cette déperdition est éminemment regrettable.
Mieux faire à cet égard permettrait sans doute de convaincre davantage de professionnels du monde juridique et judiciaire de l’intérêt de participer à des missions de coopération internationale. À défaut d’y parvenir, celle-ci sera abandonnée à des professionnels du « consulting », au détriment de l’expertise spécifique « justice » qui est attendue, et dont tous les bénéficiaires saluent précisément la qualité de la mise en œuvre par des équipes françaises.
Si le rapport annuel de JCI retrace certes bien les activités et projets mis en œuvre par le groupement d’intérêt public, tout comme le font les bilans annuels établis par les directions du ministère, les Écoles et les organes représentatifs des professions, il n’en donne qu’une vision statique, essentiellement quantitative.
Nous avons, à JCI, la volonté de faire mieux.
Un premier pas dans cette direction a été de prévoir, à la faveur du renouvellement du groupement, et à l’initiative de Daniel Lecrubier, la création d’un Conseil d’appui. Mis en place en octobre 2017, composé de onze membres issus ou proches du monde judiciaire sous ses diverses facettes, il a vocation à soutenir JCI et à assurer une information pertinente sur le travail réalisé par le groupement, tant auprès des institutions judiciaires que de la société civile.
Un second pas est aujourd’hui franchi. En effet, il a été décidé de s’atteler à la création d’une revue qui, faisant pendant de notre rapport d’activité dont la parution intervient en avril-mai, viendrait, en fin d’année, présenter, sous divers angles, le contenu, les méthodes et les résultats d’activités et projets de coopération judiciaire internationale conduits par le groupement.
C’est la vocation de ces nouveaux « Cahiers de JCI ».
Plusieurs membres du groupement, du Conseil d’appui, ainsi que certains de nos experts, ont très activement contribué à cette première édition, qu’ils en soient ici vivement remerciés.
Puisse cette nouvelle initiative contribuer à la reconnaissance, par l’ensemble du monde juridique et judiciaire de notre pays, de l’importance que revêt la coopération internationale, enjeu fondamental investi par bon nombre de nos partenaires internationaux, loin de l’activité dilettante, proche de celle d’un club de vacances, encore propagée par de trop nombreux professionnels de la justice.
L’ambition de ces Cahiers est de faire valoir les activités de coopération judiciaire engagées par Justice Coopération internationale dans les projets et sur les thématiques où il est présent dans le contexte multilatéral.
En même temps, multilatéral et bilatéral se nourrissant l’un l’autre, les Cahiers sont aussi l’occasion de mettre en exergue la diversité de l’action internationale de ses membres : leurs activités bilatérales, le plus souvent inscrites dans un contexte inter-institutionnel – réseaux d’Écoles ou autres institutions, jumelages entre juridictions … - sont également valorisées ici, avec l’intention de mettre en lumière la complémentarité des deux approches.
C’est ainsi que pour ce premier numéro, JCI a d’abord choisi de présenter des projets qui ont été l’occasion d’ « exporter » sinon nos professions judiciaires telles quelles, du moins des éléments structurant de leur statut et de leur fonctionnement, vers des pays demandeurs : il en est ainsi du projet bilatéral conduit par le Barreau de Paris avec le barreau russe, dont Me IWEINS, ancien Bâtonnier du barreau de Paris, nous décrit la genèse et le contenu, et du jumelage européen piloté par JCI en Albanie pour le compte de la Chambre nationale des huissiers de justice, qui a bien voulu nous en exposer, de son point de vue et deux ans après son achèvement, le bilan et les suites.
Les deux articles suivants relatent deux expériences d’analyse en profondeur menées dans le cadre de projets européens.
La première intéresse le fonctionnement des juridictions, et elle s’est déroulée en Palestine, dans le contexte général d’un projet dédié au renforcement du système judiciaire de ce pays : dans ce cadre, John Mac KEE, premier président honoraire, a été l’expert envoyé par JCI pour analyser la durée des procédures et les moyens mis en œuvre pour résoudre les retards dans la gestion des flux de dossiers, et formuler des recommandations sur de possibles remèdes complémentaires.
La seconde s’est déroulée dans trois pays des Balkans. Elle a été conduite, en Albanie et en Bosnie-Herzégovine, par Bernard LEGRAS,
procureur général honoraire, et en Serbie par Marc BRISSET-FOUCAUT, avocat général honoraire. Parmi leurs constatations, analyses et propositions, JCI a choisi de retenir plus particulièrement, en une présentation comparative, celles qui concernent le fonctionnement des services des Parquet.
Ces missions se sont déroulées selon une méthode « immersive », les experts s’étant véritablement positionnés à l’intérieur des services concernés, instaurant, avec leurs magistrats et personnels judiciaires, c’est-à-dire entre pairs, un dialogue proche et prolongé, très différent, dans ses effets, des expertises de très courte durée et autres conférences thématiques ponctuelles qui, trop souvent, constituent la seule ossature des activités de coopération internationale.
Merci aux deux intéressés pour les rapports très fouillés qu’ils ont dressés, l’un et l’autre, de leurs missions respectives, qui a permis à JCI d’en extraire les éléments de cette comparaison instructive.
Il est enfin proposé, pour conclure ce premier numéro, un vaste panorama de la coopération bi et multilatérale dans le domaine pénitentiaire. Il est essentiellement le produit de l’investissement de Philippe LEMAIRE, avocat général près la Cour de Cassation, qui, au bénéfice aussi de son mandat de Président du Conseil d’Administration de l’École nationale de l’Administration pénitentiaire, très récemment venu à son terme, s’est livré à un inventaire extrêmement précis auprès de la Direction de l’Administration pénitentiaire et de l’ École, mènent aussi en parallèle, des entretiens avec les chefs de projets et conseillers résidents des projets conduits par JCI, en particulier les jumelages pénitentiaires mis en œuvre dans les trois pays du Maghreb.
C’est grâce à ce travail que JCI peut aujourd’hui proposer un texte qui va au-delà d’un simple catalogue descriptif et qui ouvre, à partir de l’exemple de la pénitentiaire, une réflexion susceptible d’être étendue à l’ensemble de la coopération judiciaire internationale, quant à ses objectifs et aux moyens de les développer et d’en enrichir les résultats.
PrésentationPar Nicole COCHET, Directrice Générale de JCI
4 5

Propos introductifp 3
Présentation et sommaire p 5
COMMENT S’« EXPORTENT » NOS PROFESSIONS JUDICIAIRES ?
p 8
Une coopération judiciaire réussie : Avocats russes et avocats français (Bâtonnier Paul Albert IWEINS)
p 8
Vers l’huissier libéral en Albanie (Chambre Nationale des Huissiers de justice)
p 10
FONCTIONNEMENT DES SYSTÈMES JUDICIAIRES, REGARDS CROISÉS
p 13
Les délais du traitement des dossiers dans les juridictions de Cisjordanie-Palestine (John Mac KEE)
p 13
Fonctionnements et dysfonctionnements des services du Parquet de trois pays des Balkans (Albanie, Serbie, Bosnie-Herzégovine) Bernard LEGRAS (Albanie et Bosnie-Herzégovine), Marc BRISSET FOUCAUT (Serbie)
p 18
PANORAMA DE L’ACTION INTERNATIONALE DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE ET DE SON ÉCOLE DE FORMATION (PHILIPPE LEMAIRE)
p 31
Sommaire
Les cahiers de
Regards sur la coopération judiciaire internationale
2018
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Juillet 2003 : Deuxième chance : sous l’impulsion
de Madame Agnès LALARDRIE, Magistrat de liaison
récemment nommée à Moscou, le Président de la
Chambre Fédérale des Avocats de Russie, Evgeny
SEMENIAKO, rend visite au Barreau de Paris, dont j’ai
alors l’honneur d’être Bâtonnier, avec une délégation
de confrères russes. Le dialogue est immédiatement
chaleureux et nous constatons qu’après des décennies
d’état totalitaire, les avocats russes ont soif d’apprendre
leur nouvelle profession. Nous décidons, par la signature
d’une convention, de la mise en place de sessions de
formation à Paris, Moscou et Saint-Pétersbourg pour
aider nos confrères dans l’élaboration d’un code de
déontologie, pierre angulaire de tout Barreau. Le fait que
le Premier Ministre Jean-Pierre RAFFARIN m’invite dans le
même temps à participer à la délégation officielle lors de
sa visite en Russie rehausse pour nos interlocuteurs l’idée
de la place d’un Barreau dans une société démocratique.
S’ensuivent 4 années de fructueuse collaboration entre
nos institutions, avec des échanges portant d’abord sur
les règles déontologiques et professionnelles, puis sur
les sujets les plus divers et les plus pratiques.
Décembre 2007 : Continuité : Président du Conseil
National des Barreaux, je retrouve mon ami SEMENIAKO
qui a été réélu dans ses fonctions nationales, et la
Chambre Fédérale signe une convention avec le Conseil
National des Barreaux dans la continuité de celle signée
avec le Barreau de Paris. La coopération se poursuit et
s’amplifie. Des avocats russes participent aux Conventions
Nationales du Conseil National des Barreaux à Marseille
puis à Lille, et nous sommes invités à leurs manifestations
où nous intervenons (Forum Légal de Saint Pétersbourg
et colloques internes à la profession). Les sessions de
formation s’élargissent à la gestion des cabinets d’avocats,
puis les Russes s’intéressent à la fusion intervenue en 1991
en France entre les conseils juridiques et les avocats,
puisqu’ils sont alors confrontés à la même problématique.
Ils sollicitent aussi notre expertise sur l’accès au droit des
plus démunis. Nous sommes consultés en cas de crises
et ils nous témoignent de leur amitié et de leur solidarité
lorsque nous manifestons, par exemple, en France, à
propos de la revalorisation de l’aide juridictionnelle…
Mai 2018 : approfondissement : Le Barreau de Paris,
qui a cédé sa place au Conseil National des Barreaux
pour la coopération avec la Chambre Fédérale des
avocats de Russie, signe deux conventions d’assistance
mutuelle, l’une avec le Barreau de Moscou, l’autre avec le
Barreau de Saint-Pétersbourg, dont Evgeny SEMENIAKO
est redevenu Bâtonnier, après avoir quitté la Présidence
nationale. De leur côté, et grâce à la Conférence des
Bâtonniers, différents barreaux de Russie ont signé des
conventions similaires avec des barreaux français.
Quelques points forts ensuite :La relation personnelle est essentielle pour nouer
des relations durables. Il faut savoir partager un repas
(et participer aux toasts successifs) avec les Russes pour
percevoir la profondeur de leur amitié. La volonté d’aboutir
de Madame LALARDRIE, la chaleur de la rencontre et
l’intérêt que certains membres du Conseil de Paris ont
immédiatement manifesté pour assister le Barreau russe
ont joué un rôle essentiel dans les premiers contacts,
mais il fallait aussi s’investir dans la durée. Les Bâtonniers
BURGUBURU et CHARRIERE BOURNAZEL ont compris
l’enjeu et pris le relais, mais une mention particulière
doit être faite du rôle de Madame Marie-Aimée PEYRON,
actuelle Bâtonnier de Paris, russophone, qui s’est investie
dès 2003 et jusqu’à ce jour, dans les différentes fonctions
qu’elle a occupées, dans l’animation concrète de cette
relation privilégiée.
Notre système de droit continental est un excellent
vecteur de coopération avec les nations dont le droit
se construit ou se reconstruit. Droit écrit, partiellement
traduit sur Légifrance, éclairé par une jurisprudence
dont les principes s’exposent en quelques lignes, il est
facilement transposable et nos interlocuteurs le savent.
Nos concurrents et amis anglo-saxons, porteurs d’un droit
complexe et essentiellement jurisprudentiel, ne sont pas
toujours conscients de leur handicap.
Un mot enfin sur ce que nous pouvons apporter comme
« supplément d’âme ». En 2008, à l’occasion de l’une de
ses premières manifestations internationales, le Barreau
russe a bien voulu honorer publiquement le Conseil
National des Barreaux, et lui seul, en lui remettant le prix
de la coopération internationale. En aparté le Président
SEMENIAKO m’expliqua : « depuis cinq ans, nous nous
sommes adressés à tous les grands barreaux du monde
pour solliciter leur coopération. Beaucoup ont répondu
présent et ont voulu nous expliquer comment bien
gagner notre vie. Ce n’est pas de cela dont nous avions
besoin. Vous seuls nous avez dit : il vous faut d’abord
une déontologie solide et c’est sur cette base que nous
avons construit notre Barreau… ».
N’ayons donc pas de timidité ou de complexes : l’image
de la France comme patrie du droit et des libertés est
encore bien présente, et nous pouvons beaucoup apporter
à ceux qui le demandent.
Toute coopération internationale est question
d’opportunités et de relations personnelles qui se
nouent entre les intervenants. À ce titre, les relations
étroites et suivies qui existent entre les barreaux russe
et français depuis plus de quinze années peuvent faire
figure d’exemple.
Quelques dates tout d’abord : Novembre 1991 : Une occasion manquée : la Russie
soviétique s’est effondrée et le Conseil de l’Ordre de Paris
auquel j’appartiens reçoit, à l’initiative de la Chancellerie,
le tout jeune Ministre de la justice du gouvernement formé
par Boris ELTSINE. Dans une intervention émouvante,
il appelle à la coopération des juristes français pour
reconstruire un état de droit. Désignant une horloge au
mur de la salle du Conseil il nous dit : « l’heure
du droit s’est arrêtée dans mon pays en 1917 et
à cette heure-là notre droit était français ! » Las,
l’instabilité du premier gouvernement post-soviétique ne
permit pas la mise en place d’une coopération pérenne. Il
fallut attendre 2001 et l’impulsion donnée par le nouveau
Président Vladimir POUTINE (qui entendait alors doter
son pays de structures modernes et démocratiques) pour
qu’avec l’assistance d’experts du Conseil de l’Europe,
dont notamment Madame le Professeur FRISON-ROCHE
et Maître Mary Daphné FISHELSON, la Russie adopte
de nouvelles Lois et Institutions judiciaires. La Loi du 31
mai 2002 créant le Barreau Fédéral de Russie instituait
ainsi une profession d’avocat très semblable au modèle
français.
Comment s’«exportent » nos professions judiciaires ?
UNE COOPÉRATION RÉUSSIE : LES AVOCATS RUSSES ET FRANÇAIS
par Paul Albert Iweins, avocat, ancien Bâtonnier du barreau de Paris
Comment s’«exportent » nos professions judiciaires ? L’organisation et le fonctionnement de nos professions, et les règles d’éthique qui les
gouvernent, exercent un réelle attractivité pour des États en quête de renforcement
de leurs structures judiciaires, qu’il s’agisse d’améliorer la place des avocats ou le
régime de l’exécution des décisions, tant il est universellement compris que l’état
de droit ne peut se passer ni d’une défense solide garantissant l’équité du procès
tant au civil qu’au pénal, ni d’une exécution effective des décisions, dans un délai
raisonnable, tout en respectant les droits des créanciers comme des débiteurs.
L’expérience du travail bilatéral au long cours entre les barreaux français et russe,
et l’engagement de la Chambre Nationale des huissiers français dans un jumelage
conduit en Albanie, avec pour objectif d’implanter dans ce pays le modèle d’huissier
libéral qui est le nôtre, en donnent ci-après deux illustrations.
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Comment s’«exportent » nos professions judiciaires ?
VERS L’HUISSIER LIBÉRAL EN ALBANIE
Par la Chambre Nationale des Huissiers de justice
Comment s’«exportent » nos professions judiciaires ?
Depuis de nombreuses années, la Chambre nationale
des huissiers de justice (CNHJ) mobilise son expertise à
l’international, la stratégie qu’elle met en œuvre étant
placée sous le signe d’une double exigence : celle de la
modernité, et celle de l’efficacité.
La modernité est marquée par le développement, depuis
2015, d’une stratégie d’influence par le numérique.
Quant à l’efficacité, elle se manifeste par l’approche
multiple adoptée par la CNHJ pour mettre en œuvre
cette stratégie internationale, ce qui accroît ses champs
d’intervention et ses activités en la matière. Ainsi,
• La Chambre mène, bien sûr, des actions bilatérales, sous
la forme de rapprochements inter-institutionnels avec
les organes homologues ou comparables, en Europe
et dans le monde.
• Dans la sphère intra-européenne – celle des actions
co-construites entre des États membres de l’Union
Européenne et dans leur intérêt mutuel -, la Fondation
européenne des huissiers de justice, créée en 2018,
s’est substituée à la Chambre européenne des huissiers
de justice pour conduire des projets innovants financés
par l’Union.
• Enfin, à l’extérieur de l’Europe, la Chambre participe,
quand ils comportent une composante intéressant la
profession et/ou ses missions, aux projets multilatéraux
financés par les bailleurs de fonds internationaux –le
premier d’entre eux étant l’Union Européenne –pilotés
par le groupement d’intérêt public « Justice Coopération
Internationale » - GIP JCI -, dont la profession d’huissier
est membre via la CNHJ.
Le rôle de JCI est d’assurer pour le compte de ses
membres, et plus largement de toute institution judiciaire
intéressée, la préparation et la présentation des offres
répondant aux appels des bailleurs internationaux, puis
la gestion de bout en bout des projets gagnés, ou qui lui
sont confiés, dont il porte la responsabilité administrative
et financière.
Cette intervention de l’opérateur permet aux huissiers
de justice de porter leur expertise dans ces projets de
façon d’autant plus approfondie qu’ils se trouvent ainsi
déchargés de tous les aspects administratifs, financiers
et logistiques inhérents à la mise en œuvre de telles
actions de coopération.
De tels projets, sous des formes juridiques diverses, ont
pour finalité générale la mise en œuvre de projets de
réforme ou de renforcement des systèmes judiciaires, et
de soutien à l’État de droit dans différents pays. Lorsqu’ils
sont financés par l’Union Européenne, il s’agit de pays
candidats ou futurs candidats à l’intégration, ou de pays
de la zone dite « du voisinage ». Il peut également s’agir
de projets relevant de la politique de développement, pour
lesquels les sources de financements sont plus diversifiées
– UE, mais aussi AFD, PNUD, et autres.
Selon les besoins exprimés par les bénéficiaires et les
priorités énoncées par le ministère de la Justice, la nature
de l’expertise à mettre en œuvre varie. Dans les projets qui
intéressent la compétence des huissiers, et les objectifs
de coopération poursuivis la Chambre nationale des
huissiers de justice, en particulier, il peut s’agir
• D’accompagner les bénéficiaires dans la mise en œuvre
de réformes législatives,
• De mettre en place ou d’améliorer le régime de la
formation des professionnels de l’exécution,
• De dispenser directement ces formations elles-mêmes,
ou d’assurer des formations de formateurs,
• D’initier, soutenir ou faciliter le développement d’outils
numériques.
Le jumelage visant à améliorer le système d’exécution des décisions de justice en Albanie a été un exemple particulièrement significatif de l’implication de la Chambre nationale, via
Justice Coopération Internationale, dans ce type d’action
de coopération.
Le jumelage est un programme européen tout à fait
spécifique dans sa conception : il est fondé sur une
collaboration étroite entre une institution du pays
bénéficiaire, cible du programme – celle qui est
compétente pour le domaine visé – et la ou les institutions
homologues d’un ou plusieurs États membres de l’Union
européenne, qui mettront en œuvre le programme, par
l’intermédiaire d’un opérateur mandaté qui, en contractant
avec le bénéficiaire, prend l’engagement de lui fournir
l’expertise attendue.
En l’occurrence, l’Albanie, souhaitant remédier aux
imperfections de son système d’exécution – lent et très
peu efficace – a sollicité, en 2015, un concours de l’Union
Européenne pour aider son ministère de la Justice à le
réformer.
Le projet était à la fois particulier et pertinent :
• Particulier, car il s’agissait d’une première quant au
sujet, aucun jumelage européen n’ayant été jusque-
là spécifiquement dédié à l’exécution des décisions
de justice, qui constitue cependant une problématique
clé au niveau économique et juridique. Elle est, en
outre, déterminante pour l’appréciation du respect des
standards du procès équitable, la durée d’exécution
des décisions étant incluse dans la détermination du
délai raisonnable.
• Pertinent, car il prévoyait dès l’origine l’implication de
l’ensemble des acteurs du secteur de l’exécution des
décisions de justice en Albanie.
C’est ce qui a déterminé l’intérêt, manifesté par la
Chambre nationale des huissiers de justice, à l’appel
d’offre publié par la Commission Européenne, et donc
l’engagement de JCI qui, y ayant concouru, l’a remporté,
en consortium avec son homologue néerlandais CILC -
Center for International Legal Cooperation - : c’est dans
ces circonstances qu’a été mise en œuvre l’expertise des
huissiers, complétée par celle de juges de l’exécution,
pour accompagner le ministère de la Justice albanais
dans la réalisation des réformes souhaitées.
Doté d’un budget de 700 000 euros et courant sur une
durée de 18 mois - du 1er trimestre 2015 à octobre 2016 -,
ce projet avait donc pour objet de simplifier la procédure
d’exécution, d’en raccourcir la durée, de réduire la charge
de travail relative aux cas d’exécution dans les juridictions,
et d’améliorer la performance et le professionnalisme des
instances d’exécution.
Il fallait pour cela renforcer et rationaliser tant les capacités
institutionnelles que la coordination interinstitutionnelle,
et améliorer le niveau de compétences des agents
d’exécution et autres acteurs pertinents, en se préoccupant
en outre de renforcer, vis-à-vis du public, la visibilité du
système d’exécution et des améliorations qui y étaient
apportées.
La caractéristique du système albanais, aujourd’hui, tient
à la coexistence d’huissiers publics et privés de justice,
dont les compétences sont concurrentes. Toutefois,
l’Albanie n’a pas toujours connu ce système hybride.
Doté uniquement, pendant de nombreuses années,
d’huissiers de justice publics - ayant un statut de
fonctionnaires-, cet État de la péninsule balkanique a
créé la profession d’huissiers de justice privés en 2009.
C’est du fait de la faible efficience de cette première
réforme que l’appui du projet était nécessaire.
Une fois le projet gagné, la CNHJ s’est
très fortement impliquée dans sa mise
en œuvre.
Ainsi se sont succédées, pendant
les dix-huit mois du projet, des
missions régulières, suivies, ciblées,
d’huissiers de justice, dont l’expertise
a permis d’améliorer les capacités
institutionnelles et de renforcer la
coopération entre différents acteurs de
ces procédures - juridictions, huissiers
de justice publics, huissiers de justice
privés.
En particulier, le projet a accompagné
l’Albanie dans la création d’une
Chambre nationale des huissiers
de justice privés et d’une charte de
déontologie : Les experts de la CNHJ
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LES DÉLAIS DU TRAITEMENT DES DOSSIERS DANS LES JURIDICTIONS
DE CISJORDANIE-PALESTINE Par John Mac KEE,
Conseiller honoraire à la Cour de Cassation
Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires Les deux missions ou séries de missions qui font l’objet des deux chapitres ci-après
ont été mises en place selon un schéma d’immersion assez peu usité, qui a permis
aux experts de se livrer à une étude de situations en profondeur, comme de lier,
avec les pairs qu’ils ont cotoyés, une véritable relation professionnelle de confiance,
celle de l’analyste qui vient proposer un appui, et non pas donner des leçons, mais
tout au contraire, apprendre lui aussi de ce qu’il découvre : plus souvent que l’on
ne pense, les problèmes rencontrés sont les mêmes que les nôtres, et la manière
de les traiter peut être source d’inspiration pour nos propres pratiques.
Au-delà du bénéfice personnel qu’en retire l’expert, ce type d’expériences ouvre
des perspectives pour le renforcement de la coopération bilatérale, qu’il s’agisse
d’assistance technique ou de coopération opérationnelle.
C’est aussi, en creux, un questionnement sur les méthodes de la coopération mises en
œuvre, et sur le ressenti des supposés bénéficiaires lorsqu’un tel dialogue rapproché,
qui correspond en fait à leur besoin, fait défaut, comme c’est trop souvent le cas.
De 2014 à 2017, à la demande de L’Union Européenne
et sur les fonds qu’elle lui a délégués à cette fin, JCI a
conduit en Palestine un projet visant à apporter un soutien
à l’institution judiciaire, par le renforcement de la structure
organisationnelle et des capacités institutionnelles du Haut
Conseil de Justice (HCJ), avec un accent particulier sur
l’administration des tribunaux et la gestion des juridictions.
L’Union Européenne finançant en Palestine la construction
d’un grand nombre de palais de justice, l’assistance
technique apportée par JCI dans le projet visait à soutenir
le Haut conseil de Justice palestinien dans son objectif de
mettre en place une gestion appropriée et efficace des
juridictions, gestion dont cette institution a, en Palestine,
la charge.
L’appui apporté par le projet s’est décliné en cinq
composantes. Quatre d’entre elles étaient dédiées à des
thèmes institutionnels ou administratifs : organisation du
HJC et organisation générale des tribunaux, évaluation
des unités chargées d’administrer les tribunaux, appui au
HJC pour la gestion des juridictions, appui à la formation
pour renforcer les capacités des unités en charge de
l’administration des tribunaux.
se sont attachés à transmettre à leurs confrères albanais,
de la manière la plus concrète possible, leur expérience
professionnelle de terrain et, sur le plan institutionnel,
le rôle d’une Chambre nationale, son organisation, ses
missions, ses interactions.
Parallèlement à ce travail sur les structures, la formation
initiale et continue des professionnels albanais, dont
la CNHJ avait la responsabilité, était une priorité pour
renforcer leurs compétences et leur expertise de
professionnels de l’exécution. À cet égard, le jumelage a
permis d’analyser l’état de l’art de la formation en Albanie,
d’envisager les améliorations possibles, et de formuler
des recommandations pertinentes.
Ces missions, en même temps qu’elles ont sensibilisé
les agents d’exécution tant publics que privés à la
formation, comme besoin, mais aussi, au-delà, comme
obligation, ont été aussi le lieu de marteler qu’outre les
compétences techniques, l’exercice de telles fonctions ne
peut s’entendre sans conscience et respect des devoirs
déontologiques qu’elles impliquent.
S’il n’a bien sûr ni achevé la tâche, ni épuisé le sujet et les
questions qu’il pose, cet exercice exigeant de coopération
entre des professionnels aux profils et missions distincts
n’en a pas moins permis d’obtenir des résultats très
encourageants, en phase avec des méthodes modernes
de coopération.
Il a fourni une nouvelle illustration de ce que la coopération
multilatérale et la coopération bilatérale se nourrissent
véritablement l’une de l’autre, car il a permis de nouer
des relations de coopération privilégiées entre les
huissiers français et les autorités albanaises en charge
des questions d’exécution.
Ces relations ont été consacrées par un accord entre le
ministère de la Justice albanais et la Chambre nationale
des huissiers de justice, signé le 26 octobre 2017 à
l’occasion d’une conférence organisée, elle aussi dans un
cadre bilatéral, sur le thème de « l’exécution des décisions
de justice, gage d’une économie efficace ».
Lors de cette conférence ouverte par le Président de
la République albanaise, il a été reconnu, en tirant un
bilan provisoire tant de l’introduction des huissiers privés
dans le système albanais que des avancées réalisées
dans le cadre du jumelage, que si les décisions étaient
désormais davantage exécutées, et dans des délais
meilleurs, la perception de l’huissier dans la population
restait mauvaise, celui-ci étant vu, a dit un intervenant,
« comme l’ami du créancier et l’ennemi du débiteur ».
Ce déficit d’image résulte, a-t-il été dit, d’anomalies et
d’accrocs parfois sévères à la déontologie dans le cadre
de la mise en œuvre des procédures d’exécution, qui font
déraper la confiance, et donc plus largement la confiance
dans la justice, clé de l’état de droit.
Et en conclusion de la conférence il a été souligné
qu’établir cette confiance exigeait un exercice
professionnel irréprochable, à la fois techniquement et
déontologiquement, et une discipline professionnelle
stricte, pour veiller à cette irréprochabilité et sanctionner
les éventuels manquements.
C’est dire que le sujet est loin d’être clos, et que la
poursuite des relations tant au niveau du ministère de la
Justice qu’avec les représentants des huissiers de justice
est très bienvenue, surtout si elle trouve des applications
concrètes. Ainsi, le travail pourrait se poursuivre, en
particulier sur les projets communs envisagés dans
le domaine de e-justice et de formation : Aptes à
renforcer à la fois la compétence technique et la rigueur
professionnelle, ils pourraient être menés aussi bien dans
le contexte bilatéral que dans le cadre d’un nouveau
projet multilatéral où les huissiers français s’engageraient
volontiers, en synergie avec leur opérateur JCI.
Comment s’«exportent » nos professions judiciaires ?
12 13

La cinquième composante, préoccupée de rationalisation
de l’emploi des ressources, s’intéressait aux délais de
traitement des affaires, civiles comme pénales, et donc,
directement, aux aspects juridictionnels -procéduraux- du
fonctionnement des juridictions.
John McKEE, premier président honoraire de cour d’appel,
chef de cette composante, a séjourné en Palestine de
façon fractionnée mais récurrente pendant toute la durée
du projet.
Il expose ici
• les moyens statistiques, et d’investigation mis en œuvre
sur le terrain, dans le cadre du projet, pour évaluer les
résultats pratiques obtenus par le High Council of Justice
au regard du processus spécifique destiné, en Palestine,
à assurer une meilleure maîtrise des délais de procédure.
• en quoi et pourquoi ces résultats ne sont pas suffisants,
• les recommandations, formulées dans le cadre de sa
mission, qui permettraient de les améliorer.
Brèves informations préliminaires sur l’organisation de la justice palestinienne Le territoire de la Palestine s’étend sur 6.220 km². Les
travaux de la mission conduite par JCI dans le cadre du
projet se sont limités à la Cisjordanie (West Bank), où vivent
2,7 millions d’habitants, excluant la Bande de Gaza, qui
compte 1,8 habitants.
• En Palestine-Cisjordanie, les tribunaux de droit commun
comptent environ 220 juges repartis entre les First
Instance Courts et les Conciliation Courts, la Cour d’appel
de Ramallah et la High Court of justice.
• Le Président de la High Court of Justice est en même
temps de celui du High Judicial Council, qui a la haute
main sur le fonctionnement de la justice : c’est de lui, et
non du ministère de la Justice, que dépend la gestion
de l’appareil judiciaire.
Les huit First instance Courts sont implantées à Bethleem,
Ramallah, Tulkarem, Jericho, Hebron, Nablus, Jenin et
Qualqilya.
Chaque First Instance Court a un président et un Chief of
diwan – directeur de greffe – en charge, le premier des
juges et des questions juridictionnelles, le second des
greffiers et de la gestion administrative du tribunal, ce
de façon autonome l’un par rapport à l’autre.
Dans chaque First instance Court est implanté un Bureau
du Procureur - Public Prosecution Office - relevant, de
façon distincte, de l’Attorney Général central. On recense
en Cisjordanie 125 procureurs.
Ces juridictions de droit commun connaissent de toutes
les affaires civiles, commerciales et pénales. Les dossiers
administratifs en relèvent également, sous le contrôle
d’une formation spécifique de la High Court of Justice.
Côté défense, le barreau palestinien comptait en 2014 -
il n’y a pas de chiffres sûrs disponibles pour les années
suivantes - 3625 avocats, dont 743 avocates, soit un taux
de féminisation de la profession de 20,5 %.
Le régime procédural est à dominante de common
law, avec pour spécificités, notamment, une audience
préliminaire, après la première audition et avant l’audience
de jugement, pour déterminer les preuves sur lesquelles
appuyer la décision, et une procédure orale avec audition
de témoins - excluant le remplacement de l’audition par
des affidavits - au civil comme au pénal.
Quant au cadre légal dans lequel les affaires sont jugées,
il est particulièrement complexe, du fait du cumul de
législations diverses (ottomane, britannique, jordanienne
et palestinienne) qui toutes sont applicables devant les
tribunaux et qui, par conséquent, doivent être connues
par les juges.
Une particularité significative à souligner : les questions
d’état des personnes ne relèvent pas de ces juridictions
de droit commun. Le contentieux en ces matières est en
effet traité, pour les musulmans, par des Sharia Courts,
comportant environ 45 juges, pour les communautés
chrétiennes, par des Christian Family Courts.
Il existe également des Military Courts, qui mobilisent
environ 13 juges.
La Cisjordanie compte, enfin, 7 établissements
pénitentiaires.
La méthode de travail des experts Elle a consisté, dans une première étape, à se familiariser
avec le cadre légal palestinien, par un travail en
profondeur sur le terrain : des visites d’études ont été
réalisées dans les First Instance Courts de Bethléem,
Jéricho, Ramallah et Tulkarem, et les entretiens avec les
acteurs de la vie judiciaire palestinienne ont été multipliés,
notamment : avec le Chief Justice et les membres de
la High Court of Justice de Palestine ; avec des hauts
fonctionnaires de l’administration de la justice dans les
secteurs administratif et informatique ; avec des présidents
de First Instance Courts, des juges, des chiefs of diwans,
des agents des notifications, et des avocats.
En mars 2017, il a été procédé au recrutement d’une
Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires
équipe juridique de quatre juristes palestiniens, composée
d’un legal expert et trois legal assistants. Ces assistants
juridiques ont été délégués dans les deux First Instance
Courts de Ramallah et Bethleem, pour analyser, suivant
une fiche d’analyse préétablie - case file analysis form -,
les délais d’instances en cours ou achevées entre 2013
et 2016, en suivant le processus de mise en état de
procédures civiles et pénales, et en relevant les causes
des retards. C’est ainsi qu’ont été établies et centralisées
226 fiches d’analyse établies de cette manière.
Par ailleurs ont été collectées les statistiques judiciaires
générales sur les performances des huit First Instance
Courts à travers la synthèse de données du programme
MIZAN II, centralisé au département informatique du High
Judicial Council.
L’approche palestinienne en matière de délais raisonnables - optimum timelines - et d’affaires en retard - backlog cases.Pour le High Judicial Council, chaque type de procédure
judiciaire doit être jugé dans un délai moyen optimal
préétabli : si un procès en cours dépasse ce délai, il entre
dans la catégorie des affaires en retard comme étant
affecté d’une durée anormale : ainsi qualifié backlog
case, il doit attirer en priorité l’attention du président de
la juridiction. Il faut cependant noter que le High Judicial
Council fait preuve de réalisme et de souplesse dans
l’appréciation de ces « délais optimisés », en pondérant
ses normes au égard à la complexité de l’instance et de
la charge des tribunaux - volume et nature du contentieux,
nombre de juges et de greffiers - La situation de la First
Instance Court de Ramallah, particulièrement chargé,
n’est pas la même que celle, par exemple, de la F.I.C
de Bethleem.
En 2014, le High Judicial Council a créé un « Comité
d’études sur des délais optimaux », composé de membres
du conseil et de juges de la cour d’appel de Ramallah et de
tribunaux du premier degré. Son objet était d’établir, pour
l’ensemble de la Palestine, des échéanciers théoriques
pour chaque type d’affaires, civiles et pénales. C’est ainsi
que le comité a fixé un nombre maximal des audiences
préliminaires aux procès, le temps entre la saisine et la
première audition etc...
La liste des échéanciers optimisés par procédure a été
dressée en 2015/2016, adoptée en 2016, et portée à la
connaissance des tribunaux de Palestine.
Ces normes idéales ont ensuite été incluses dans le
système informatisé de gestion des instances centralisé
au sein du service informatique du High Judicial Council,
et nourri par chacun des huit First Instances Courts. Il s’agit
du puissant logiciel MIZAN II, qui sert de base commune
au High Judicial Council et aux tribunaux pour toutes les
données judiciaires palestiniennes, et d’outil de contrôle
et de pilotage de la performance des juridictions et des
magistrats concernés.
Les niveaux de respect des normes de durée du High
Judicial Council se répartissent en sept paliers visualisés
sur ce logiciel par des bandes de couleur allant du vert
- dossier respectant les délais théoriques - au rouge,
ce pour les dossiers dépassant gravement les délais
optimums fixés par le High Judicial Council. Il s’agit d’un
outil d’alerte pour les présidents et juges, destiné à aider à
mettre en place des politiques de management judiciaire
permettant d’assurer le respect des orientations de gestion
dynamique du temps procédural.
Si l’on fait le parallèle avec les standards européens en
matière de délais raisonnables, et avec les préconisations
de l’étude menée en 2004 par la Commission pour
l’efficacité de la justice - CEPEJ - du Conseil de l’Europe sur
les « cadres temporels optimaux et prévisibles » - CEPEJ
2004 19 REV 2 E - et le recueil des bonnes pratiques sur
la maîtrise des délais judiciaires qu’elle a publié en 2006
- CEPEJ 2006 13 -, il apparaît que le High Judicial Council
palestinien, par la mise en place d’un tel instrument, s’est
conformé à tout le moins à la première étape de ces
bonnes pratiques, en ce qu’il a fixé des délais réalistes et
mesurables et les moyens statistiques d’en assurer le suivi.
Encore faut-il savoir ce qu’il en est sur le terrain de la mise
en œuvre effective des délais optimisés ainsi posés, et
tel était l’objet du travail des experts.
Les données quantitatives recueillies Les données statistiques fournies par le logiciel
centralisé pour l’ensemble des huit First Instance Courts
palestiniennes montrent, pour les années 2013 à 2016,
• qu’ il y a davantage d’affaires nouvelles au pénal qu’au
civil, le nombre des enrôlements au civil étant passé de
19 250 en 2013 à 22 100 en 2016, tandis que pour le
pénal, ce nombre est stable mais nettement supérieur,
à 35 000 affaires nouvelles par an.
• qu’il y a en revanche davantage d’affaires en attente de
jugement au civil qu’au pénal, les chiffres s’établissant
pour 2016 à 24 816 au civil pour 18 238 au pénal, ce qui
va de pair avec un taux de couverture en augmentation
Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires
14 15

dans les deux matières, mais qui reste cependant
insuffisant pour faire baisser les stocks au civil - 84,7 %
en 2013, et 91,7 % en 2016 -, au contraire du pénal où,
de 95,4 % en 2013, il est passé à 103,9 % en 2016.
• qu’en ce qui concerne l’âge moyen des dossiers en
instance, si beaucoup ne dépassent pas six mois, une
partie dépasse la durée de vingt-quatre à trente-cinq
mois considérée comme optimale selon la nature des
cas, tandis qu’une fraction dépasse les trente-cinq mois,
dégradant la performance des juridictions, s’agissant de
dossiers que l’on peut, à ce stade de retard, considérer
comme inactifs.
• qu’au total, par comparaison entre les délais optimaux
déterminés par le High Judicial Council et les délais
réels de traitement des dossiers, 32 % des dossiers,
au civil, et 13 % des dossiers, au pénal, dépassent le
délai de traitement qui leur est normalement imparti,
et entrent de ce fait dans la catégorie des backlog
cases. Il semblerait, selon une étude menée en 2015
par l’Union européenne à Ramallah et Hebron, que les
contentieux les plus retardataires soient : au civil, les
contentieux impayés, les contentieux de droit du travail,
les litiges en matière de propriété et la réparation des
préjudicies liés aux accidents de la route ; au pénal,
les infractions de vol aggravé, celles relatives aux
stupéfiants, les tentatives d’homicide, et les escroqueries
et détournements financiers.
L’analyse des causes de retardsCes chiffres montrant que la mise en œuvre concrète des
objectifs temporels fixés par le High Judicial Council restait
très imparfaite, les experts ont souhaité acquérir une
vision claire des réalités procédurales et des contraintes
des tribunaux, susceptibles d’expliquer le non-respect
des lignes directrices sur des délais optimaux et sur la
réduction des stocks de dossiers anciens.
Il fallait pour cela connaître les diverses étapes
processuelles suivies par les juges et les greffiers, et
c’est à cette fin que les assistants juridiques recrutés par le
projet ont été affectés, à Ramallah et Bethleem, à l’étude
de dossiers d’affaires en cours ou terminées, sélectionnés
de manière aléatoire, en matière civile et pénale. Comme
déjà mentionné supra, une fiche de travail standardisée
et informatisée a été établie, et 226 dossiers ont été
examinés sur la base de cette méthodologie commune,
produisant 226 fiches d’analyse qui ont permis d’identifier
un certain nombre de causes de retard.
Le résultat de ces investigations, au demeurant, est venu
corroborer ce qui se dessinait déjà au vu des nombreux
entretiens menés par les experts internationaux avec les
professionnels de justice, lors de leurs visites dans les
tribunaux de Bethléem, Jéricho, Ramallah et Tulkarem.
Les causes principales de ces retards tiennent
• Aux difficultés de la notification des actes judiciaires
aux parties, spécialement dans les affaires pénales, et
aux retards liés à la non-comparution d’une partie ou
d’un témoin à l’audience.
• Au pénal encore, aux difficultés d’exécution des mandats
d’arrêt ou de comparution auxquelles les juges sont
confrontés.
• En outre, de nombreux reports d’audiences résultent de
l’absence de l’avocat d’une partie.
• Enfin, les présidents et juges, objet d’une rotation
systématique, sont mutés avec une grande fréquence,
ce qui nuit au suivi des dossiers et en allonge le délai
de traitement.
La synthèse des fiches a en outre permis d’identifier, dans
le déroulé de la procédure, des temps morts qui pourraient
avantageusement être raccourcis pour rapprocher la
durée de traitement de l’affaire en cause du délai optimisé
défini par le High Judicial Council.
Si grâce à la maîtrise du nombre des témoins –trois à
cinq en moyenne par dossier- l’obligation de les entendre
au civil comme au pénal ne semble pas un facteur
d’allongement de la procédure, si également les délais
de délibéré, au civil comme au pénal, du moins dans
les cas étudiés, apparaissent tout à fait en accord avec
les standards européens – trente-neuf jours au civil et
trente-quatre jours au pénal à Bethleem en moyenne,
soixante-trois jours au civil et vingt-cinq jours au pénal à
Ramallah – en revanche
• La période entre la date d’enregistrement de l’affaire
et la première audition de l’affaire – soixante-cinq jours
à Ramallah et quarante-quatre jours à Bethleem en
moyenne – pourrait être écourtée ;
• Le nombre des audiences préliminaires est de trente-six
en moyenne dans les affaires civiles, et trente-neuf dans
les affaires pénales, soit un chiffre élevé qui pourrait
être réduit.
Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires
• Le temps qui s’écoule entre l’audience initiale et
l’audience portant sur l’examen contradictoire des
éléments de preuve est excessif – cinq cent quatorze
jours au pénal, et trois cent soixante-quatorze jours au
civil à Ramallah, et deux cent vingt-deux et deux cent
vingt-cinq jours à Bethleem.
Les préconisations La mise en œuvre effective des normes fixées quant aux
délais de traitement des dossiers à atteindre et respecter
n’est pas une fin en soi, mais un outil pour optimiser le
service de la justice : il s’agit donc – et toujours suivant
en cela les préconisations de la CEPEJ sur la maîtrise
des délais judiciaires – de mettre en œuvre des pratiques
procédurales susceptibles d’améliorer la gestion des
délais, et d’introduire des méthodes de management
dynamique au sein des juridictions, dans le but de réussir
cette optimisation.
Se référant à ces préconisations, et en les adaptant à leurs
constats, les experts du projet, en conclusion de leurs deux
années de présence sur place, et de dialogue avec les
parties intéressées, ont émis plusieurs recommandations
qui sont autant de propositions dont la mise en œuvre –
laissée, bien entendu, à la discrétion des bénéficiaires du
projet - pourrait servir cet objectif général d’optimisation
du fonctionnement du système judiciaire :
• Obtenir l’adhésion des juges au concept et à la mise en
œuvre de délais optimisés : Si les orientations du High
Judicial Council ne doivent pas primer sur le respect
des règles de procédure, il n’est pas pour autant justifié
d’opposer les unes et les autres, et il est nécessaire
de convaincre tous les juges de la possibilité, et de la
nécessité, de les conjuguer, et de mettre en œuvre une
gestion proactive des dossiers. En particulier, aucune
règle de procédure ne peut a priori justifier, dans le
suivi d’un dossier, une phase d’inactivité procédurale
prolongée.
• Améliorer la définition, par les présidents des First
Instance Courts, de véritables politiques de juridiction,
et les stabiliser dans une certaine mesure dans leurs
fonctions de chef de juridiction, pour leur laisser un temps
suffisant pour mettre en oeuvre ces politiques - sans
tomber pour autant dans la tentation de la routine.
• Clarifier les relations entre les présidents des tribunaux
et les chefs de diwans, qui actuellement gèrent, l’un, les
juges et les activités juridictionnelles, l’autre, les services
administratifs du tribunal, sans lien institutionnel suffisant
entre eux : or, le Président étant explicitement investi, de
par l’article 6 de la loi 5-2001 sur l’organisation judiciaire,
de la charge de décider des modalités d’organisation
internes du tribunal, le chef de diwan devrait avoir tout
aussi explicitement celle d’assurer la mise en œuvre de
ces décisions, et de gérer le quotidien de la juridiction.
• Augmenter le nombre des agents de notification - qui
sont des fonctionnaires du greffe placés sous l’autorité
des chefs de diwans -, développer leurs moyens
d’investigation, et sécuriser davantage les notifications
elles-mêmes, pour améliorer un système dont les
insuffisances sont une des causes principales de retards
procéduraux.
• Envisager une certaine spécialisation des juges – qui
doivent en l’état pratiquer et combiner entre elles
différentes strates de législations, et ce, s’ils sont
généralistes, dans tous les domaines.
• Favoriser une coopération loyale entre tous les acteurs
de l’institution judiciaire, ce qui exige plus d’engagement
des avocats pour son bon fonctionnement, par exemple
en passant des conventions avec les juridictions sur les
délais et échéances, sur la présentation des preuves, le
nombre de témoins … Mais il faudrait, pour cela, créer
un vecteur de communication entre juges et avocats au
niveau local, qui n’existe pas à l’heure actuelle, dans
un système où le barreau est national et les avocats
répartis entre les cours en fonction des besoins du public,
sans délégués régionaux qui puissent être investis d’une
mission de représentation de la profession au sein des
juridictions.
• Enfin, systématiser les formations : pour tous les juges -
tous dévoués, investis et fiers de leur mission judiciaire,
mais souvent peu expérimentés - pour parfaire leurs
compétences, en particulier sur la gestion active des
contentieux, dont ils doivent acquérir la vision, mais
aussi en faveur des chefs de diwans - chefs de greffe -,
des agents de notification, et des avocats.
On ne peut conclure sans relever à quel point, bien que
dans un système tout différent du nôtre, certaines au
moins de ces recommandations font pleinement écho
à des problématiques connues des professionnels de
justice français, qu’ils soient magistrats, greffiers ou
avocats : rationalisation et dynamisation de la gestion des
procédures, politiques de juridiction, articulation/cohésion
entre présidence et greffe, coopération franche et loyale
de tous les acteurs à la bonne marche du système…
tout cela, malheureusement, sur un même arrière-plan
d’insuffisance de moyens.
Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires
16 17

FONCTIONNEMENTS ET DYSFONCTIONNEMENTS DES SERVICES DU PARQUET DE TROIS PAYS
DES BALKANS À partir des rapports d’expertise de Bernard LEGRAS, Procureur général honoraire
et Marc BRISSET-FOUCAUT, avocat général honoraire.
Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires
Dans le contexte de sa participation à un projet IPA « lutte
contre la criminalité organisée » mis en place de juillet
2014 à novembre 2017 en partenariat avec le ministère de
l’Intérieur italien dans la région des Balkans occidentaux,
JCI a été amené à déployer des experts selon une formule
dite « immersive ».
Placés auprès de services des procureurs pour une durée
de trois à quatre semaines, ces experts, par la conduite
d’entretiens multiples avec les professionnels de justice
des pays concernés, ont réalisé un examen approfondi
de l’organisation et du fonctionnement de leurs chaînes
pénales, et ont pris la mesure des difficultés existantes,
de leurs causes, et des possibilités d’y porter remède.
Ce dispositif a été mis en place dans trois pays - la Serbie,
l’Albanie, et la Bosnie-Herzégovine - et l’expérience a
été si appréciée qu’elle a été prolongée dans un cadre
bilatéral en Bosnie-Herzégovine et en Serbie, pour deux
missions complémentaires financées par notre ministère
de la Justice.
En avril 2018 s’est tenue à Sarajevo une conférence de
restitution co-organisée par le ministère et par JCI, au
cours de laquelle les experts français et les représentants
des offices des procureurs des trois pays impactés ont
dressé ensemble un bilan constituant un encouragement
très net à poursuivre les activités de coopération sur ce
mode « immersif ».
Le présent article a été établi sur la base des rapports, très
riches, des deux experts impliqués – Bernard LEGRAS,
procureur général honoraire, pour l’Albanie et la Bosnie-
Herzégovine, et Marc BRISSET- FOUCAUT, avocat général
honoraire, pour la Serbie : Qu’ils soient encore une fois
remerciés pour leur travail. Cet essai comparatif espère
en rendre un compte fidèle, bien qu’il ne soit que partiel,
puisqu’il est volontairement circonscrit à la question
des Parquets, alors que les constats des experts ont
souvent débordé – c’est particulièrement le cas de ceux
Bernard LEGRAS en Albanie – sur d’autres éléments des
réformes réalisées, en cours ou envisagées dans les
pays concernés.
Il faut d’emblée prévenir le lecteur contre l’illusion
qu’appartenant à une zone identifiée comme une entité
en soi sur le plan géographique, les pays des Balkans
auraient évolué et seraient actuellement organisés
d’une manière grosso modo semblable, qui s’illustrerait
notamment dans une quasi équivalence de la situation
de leurs systèmes judiciaires : C’est loin d’être le cas.
L’Albanie, sous occupation ottomane du milieu
du 15ème siècle à 1912, a obtenu sa reconnaissance
internationale en 1912, et fixé définitivement ses frontières
en 1921. Après avoir connu la royauté de 1928 à 1939,
elle a vécu sous protectorat italien à partir de cette
date, avant la proclamation de la République populaire
d’Albanie, intervenue en 1946. Non seulement elle n’a
jamais fait partie de l’ex-Yougoslavie, mais la dictature de
son président Enver Hoxha, de 1946 à 1985, s’est coupée
de toute référence à l’Union Soviétique à partir de 1961
pour s’aligner sur la Chine, et a maintenu le pays dans un
isolationnisme total à partir de 1975. À son décès a débuté
une ouverture progressive à la démocratie, consacrée
par la constitution de 1998, qui a posé les bases d’un
État de droit.
Candidate à l’Union Européenne depuis le 28 avril 2009,
l’Albanie a officiellement le statut de pays candidat
depuis 2014. Elle bénéficie de nombreux programmes
de coopération - pas seulement européens - dont certains
de grande envergure, et parmi ceux-ci, le programme
européen de coopération judiciaire Euralius, dont se
déploie actuellement le 5ème volet : ce programme s’active
à réformer de fond en comble le système judiciaire
albanais, dans la perspective de voir le pays remplir les
prérequis pour l’ouverture officielle des négociations
d’adhésion à l’ Union Européenne, l’un de ces pré-requis
étant de parvenir à éradiquer la corruption endémique
qui touche toutes les sphères de la société albanaise.
La Serbie a elle aussi connu l’occupation ottomane
depuis le milieu du 15ème siècle, mais elle en est sortie
plus tôt, à partir de 1804, par une révolution – 1804-1815
– qui en a fait d’abord une principauté, puis une royauté
à compter de 1882, son indépendance ayant été actée au
congrès de Berlin en 1878. En 1903, la constitution de Pierre
1er de Serbie en a fait une monarchie constitutionnelle, à
l’égal de la monarchie britannique. En 1918, s’est formée la
première Yougoslavie réunissant les Serbes, les Croates
et les Slovènes. De l’invasion allemande de 1941 et des
mouvements de résistance qu’elle a engendrés est sortie
en 1945 la Yougoslavie, dont la Serbie a constitué l’une
des républiques fédérées. À partir de la mort de Tito en
1980, les nationalismes ont commencé à se manifester, y
compris en Serbie qui, cependant, a été le seul des États
de la Fédération où l’unanimité s’est faite pour tenter de
maintenir l’unité de la Fédération. Au prix des guerres
1 Le district est un minuscule territoire de 493 km2, réputé « copropriété » des deux entités, et dont les citoyens peuvent choisir la nationalité de l’une ou l’autre de celles-ci selon leur convenance. Il constitue une sorte de vitrine, « l’enfant » de la communauté internationale, et il est donc à la fois dans une situation très privilégiée et peu significative des problématiques réelles du pays. C’est la raison pour laquelle il a été fait choix de ne pas en faire davantage état dans cet article
inter-ethniques de la première moitié des années 1990,
celle-ci s’est pourtant réduite progressivement à une
peau de chagrin, son dernier avatar étant la Fédération
de Serbie-Monténégro, maintenue jusqu’en 2006, avant
que le Monténégro ne se constitue à son tour en une
république indépendante. En outre, des deux provinces
autonomes que comptait la Serbie en 1945, le territoire
serbe actuel ne comporte plus que la Voïvodine, le Kosovo
ayant proclamé en 2006 une indépendance qui n’est
cependant reconnue ni internationalement, ni bien sûr
par la Serbie elle-même.
La Serbie s’est rapprochée depuis 2008 de l’Union
Européenne, avec la signature, en avril 2008, d’un accord
de stabilisation et d’association entré en vigueur en 2010.
Elle a fait sa demande d’adhésion le 22 décembre 2009,
et sa candidature a été transmise en octobre 2010, sans
qu’elle ait encore à ce jour obtenu le statut de pays
candidat.
Passée historiquement par le même chemin que la
Serbie, la Bosnie-Herzégovine a d’abord vu ses
communautés ethniques se déchirer sur la question de
son indépendance ou de son maintien dans la fédération
yougoslave, avant qu’elles ne se livrent la guerre qui a
consommé son éclatement. Il y a été mis fin par les accords
de Dayton du 14 décembre 1995, qui ont déterminé, pour
le pays, un schéma politique extrêmement complexe : Si
la République de Bosnie-Herzégovine est un pays unique,
Serbes, Croates, Bosniaques et « autres » cohabitent au
sein de deux entités, la Fédération de Bosnie-Herzégovine
– ci- après FBiH, et la République Serbe – ci-après RS -,
plus un district, le district de Brcko1. Tous trois ont leur
propre organisation, chapeautée par celle de l’État, ce
qui touche toutes les institutions, dont, bien sûr, tout le
système judiciaire. S’impose, à tous les niveaux de cette
organisation, la stricte application d’une « clé ethnique »,
qui préside à toutes les nominations aux postes politiques,
administratifs et judiciaires. Elle oblige à garantir, dans
chaque organe ou institution, la participation de 50 % de
Bosniaques, 30 % de Serbes, 15 % de Croates et 5 % d’«
autres ». La présidence de l’État est elle-même tricéphale,
la RS élisant l’un des trois présidents – serbe –, tandis
que la FBiH élit les deux autres -bosniaque et croate-,
les habitants du district de Brcko ayant le choix de voter
en RS ou en FBiH.
Candidate potentielle à l’accession à l’Union Européenne
depuis 2003, la Bosnie-Herzégovine a signé avec elle,
également en 2008, un accord de stabilisation et
d’association qui n’est toutefois entré en vigueur qu’en
2015. Elle s’est officiellement déclarée candidate à
l’adhésion en février 2016.
Les trois pays, bénéficiaires, depuis une vingtaine
d’années, de l’appui d’une coopération internationale
Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires
18 19

importante, sinon parfois envahissante, ont vécu, ou vivent
aujourd’hui, l’implantation de réformes judiciaires inspirées
ou guidées par cette coopération : tout ce qui tend à
l’application des standards de l’état de droit, en particulier
en termes d’indépendance, mais aussi, sur un plan plus
technique, le changement radical dans l’organisation de
la chaîne pénale qui a découlé de la disparition du juge
d’instruction.
Chacun les mettant en œuvre et les assimilant en fonction
de sa situation propre, les problématiques d’évolution
des parquets des trois États concernés sont aujourd’hui
sensiblement distinctes, comme on va le voir, et ce, qu’il
s’agisse du statut et de l’organisation du parquet, de la
procédure pénale en vigueur, des dispositions spécifiques
de lutte contre la corruption et le crime organisé, ou des
pratiques en matière de coopération internationale.
LE STATUT ET L’ORGANISATION DES PARQUETS
L’Albanie compte 330 parquetiers pour 2,9 millions
d’habitants- soit 1,13 procureurs pour 10 000 habitants.
La réforme constitutionnelle de 2016, qui a aligné le
statut des juges et des procureurs, a eu un très fort
retentissement sur la procédure pénale.
La loi du 115/2016, qui la décline en matière de
gouvernance du système judiciaire, vise à rapprocher le
système judiciaire albanais des standards de l’état de
droit, en particulier en termes d’indépendance du pouvoir
judiciaire. Elle a ainsi créé un Haut Conseil judiciaire, un
Haut Conseil du parquet, un Haut Inspectorat de la justice,
un Conseil des nominations judiciaires, et une chaine
pénale spécialisée pour la lutte contre la corruption et
le crime organisé1.
Elle a associé à la réforme l’École de la Magistrature –
créée au tout début des années 2000 avec l’appui du
Conseil de l’Europe -, qui devient l’unique voie d’accès à
la profession de juge. La formation initiale, étendue aux
greffiers, conseillers juridiques et avocats d’État, dure deux
ans sauf celle des greffiers, limitée à trois mois, tandis
que l’obligation de formation continue, qui était de cinq
à vingt jours, passe à quarante jours.
La réforme, qui prévoit l’organisation de chaque parquet
en sections ayant des compétences spécifiques par
nature de délits, place ces parquets sous la conduite
du Procureur général d’Albanie, censément maître de la
politique pénale.
Cependant, conçue dans l’optique générale d’assurer
l’indépendance des parquets comme celle des juges,
cette réforme lamine en grande partie les pouvoirs de
ce même Procureur général.
En premier lieu en effet, le pouvoir de nomination et le
pouvoir disciplinaire dont il était jusqu’ici détenteur sont
1 le SPAK, cf infra
désormais transférés au Haut Conseil des procureurs –
ci-après HCP.
Ces pouvoirs du Haut Conseil concernent tous les
parquetiers, donc aussi bien les procureurs de base
que les chefs de parquets -nommés pour trois ans
renouvelables une fois- et le Procureur général lui-même.
Au moment où l’expert a mené sa mission, la désignation
du Haut Conseil étant retardée, alors que le Procureur
général arrivait au terme de ses fonctions, il était envisagé
de confier au Parlement le choix d’un procureur général
par intérim.
C’est également le HCP qui inspectera les parquets, tâche
qui incombait précédemment au ministère de la Justice,
avec l’intervention du Haut Inspecteur, qui gèrera les
questions éthiques et proposera au HCP les mesures
disciplinaires.
En second lieu, le souci d’indépendance a été poussé
jusqu’à la suppression du contrôle hiérarchique des chefs
de parquet, comme de celui du Procureur général, qui
désormais n’interviennent plus dans la procédure.
Le procureur en charge du dossier en est donc, désormais,
seul maître, le contrôle n’étant plus exercé par sa
hiérarchie, mais par le « juge des enquêtes préliminaires » :
le procureur doit soumettre à celui-ci, par requête écrite,
ses décisions de saisine et de classement, ce qui aboutit
à déposséder le procureur, au profit du juge, du pouvoir
de saisir le Tribunal. Dans ce contexte, l’avis du chef de
parquet reste possible, mais il sera purement indicatif.
De même, le droit d’appel appartient désormais à chaque
procureur, le jugement devenant définitif si l’appel du
procureur de première instance n’est pas suivi par le
procureur d’appel.
Dès lors, le rôle du Procureur général se limite à fournir des
directives en matière administrative, et des orientations
générales sans force obligatoire : toute instruction
individuelle étant désormais prohibée, le procureur de
base, ou le chef de parquet, sera seulement tenu de
s’expliquer par écrit sur les raisons pour lesquelles il aura
choisi de ne pas se conformer à une directive générale.
On peut comprendre que ce nouvel équilibre, bien vécu
à la base, le soit moins bien par la hiérarchie du parquet,
qui s’attache à en souligner les failles.
D’une part, et à juste titre, le Procureur général s’interroge
sur les moyens qui lui restent de diriger effectivement la
politique pénale, alors qu’est laissée à chacun la faculté
de mener la sienne propre. Le souci, louable, d’assurer
l’indépendance du parquet, poussé à cette extrémité,
risque d’être surtout un facteur de grande confusion
et de perte d’efficacité : l’harmonisation des décisions,
assurée jusqu’ici par la vue d’ensemble de la hiérarchie,
sera en effet différée jusqu’à l’obtention des décisions de
principe de la cour suprême, avec le risque évident d’un
engorgement lié à l’accroissement des saisines.
D’autre part, il ne peut être fait abstraction de ce que
la composition du HCP fait la part belle au politique, en
sorte que, tout en cherchant à assurer l’indépendance
sur la hiérarchie, la réforme ouvre également la porte
à d’éventuelles dérives qui pourraient compromettre
cette indépendance, compte tenu du rôle majeur du Haut
Conseil sur les nominations et mesures disciplinaires.
Il y a en Serbie 750 parquetiers pour 8,7 millions
d’habitants, soit 0,86 procureur par habitant.
Une même Académie judiciaire est en charge de la
formation initiale des procureurs et des juges, pendant
une scolarité qui dure deux ans. La condition d’éligibilité
pour l’entrée à l’Académie est de posséder un diplôme
d’avocat. Après nomination, la perméabilité entre les
deux filières –siège et parquet– existe, mais le passage
d’une fonction à l’autre en cours de carrière exige de
repasser par la procédure d’entrée à l’Académie, ce qui,
évidemment, dissuade fortement de tels mouvements.
Le parquet de Serbie – ci-après RPPO, pour Republic Public
Prosecutor Office - est un ministère public indépendant à
compétence nationale.
Le chef du RPPO, – le Procureur de la République de
Serbie – est élu pour six années renouvelables par
l’Assemblée nationale - devant laquelle il est responsable-,
sur proposition du gouvernement dont il est, par ailleurs
et une fois nommé, totalement indépendant. Il est appuyé
par vingt adjoints, deux adjoints délégués, des consultants
juristes, et du personnel administratif.
Le parquet national comporte en outre deux parquets
spécialisés à compétence nationale, l’un pour les crimes
de guerre, l’autre pour le crime organisé, et il héberge un
service spécialisé dédié à la lutte contre le cybercrime,
qui ne traite toutefois que les dossiers dans lesquels le
préjudice est supérieur à l’équivalent de 8500 euros – :
en deçà, le dossier reste entre les mains du parquet de
droit commun compétent.
Les chefs de parquets sont eux aussi élus pour six années
renouvelables par l’Assemblée nationale. De même, les
procureurs adjoints sont élus pour trois ans.
Les nominations sont proposées à l’Assemblée nationale
par le Conseil des procureurs de Serbie – ci-après SPC,
pour State Prosecutorial Council.
Le SPC se compose de onze membres, qui sont le
Procureur national, le Ministre de la Justice, le Président
de la commission parlementaire en charge du judiciaire,
un avocat, un universitaire, et six magistrats élus selon un
système permettant la représentation de tous les niveaux
hiérarchiques. Il est également investi d’attributions
budgétaires.
Dans l’hypothèse où l’Assemblée nationale ne suivrait
pas une proposition de nomination formulée par le SPC
pour un poste de chef de parquet, la personne proposée
est nommée sur un poste de procureur adjoint.
Le Procureur national conduit la politique pénale, mais il
a aussi compétence sur les sujets civils et commerciaux,
dès lors que l’intérêt public est en jeu.
Il a autorité sur les quatre procureurs d’appel du Pays
implantés à Belgrade, Novi Sad, Nis et Kragujevac, ceux-ci
supervisant eux-mêmes vingt-six procureurs supérieurs
et trente-quatre procureurs de base. La répartition des
compétences entre les uns et les autres s’opére sur
la base du quantum des peines encourues pour les
infractions poursuivies – plus, ou moins de dix ans.
Il tient le siège du ministère public de la Cour de Cassation.
Le RPPO produit des instructions à destination des
parquets d’appel, dans une optique d’harmonisation
des poursuites.
Il peut également donner des instructions à un parquet
régional ou local, s’il estime qu’il existe un doute sur la
légitimité et l’efficacité de ses actions. Ces instructions
doivent être écrites et motivées, l’oralité étant admise
en cas d’urgence, sous condition de confirmation écrite
dans les trois jours.
Il est possible, pour un procureur, d’adresser un recours
au procureur national par rapport à des instructions qu’il
aurait reçues, s’il les considère illégitimes ou infondées.
L’obligation de transmettre ce recours par la voie
hiérarchique contribue sans doute à ce que cette faculté
soit d’utilisation rarissime.
La Bosnie-Herzégovine compte 320 parquetiers
pour 3,7 millions d’habitants – la même proportion par
habitant que le parquet de Serbie – répartis entre le
parquet national et les trois entités.
Les juges et les procureurs forment un corps unique,
auquel l’accès est déterminé par un examen spécifique
à la sortie de l’Université.
Il n’y a ni École, ni formation initiale, seule existe une
formation continue, commune aux procureurs et aux
juges, dont le niveau laisse à désirer, et à laquelle il est
en particulier reproché d’être proposée sans la moindre
stratégie d’organisation, et d’être insuffisamment pratique.
Elle est dispensée, à raison de quatre jours obligatoires
par an et par magistrat, au niveau des deux entités,
chacune disposant à cette fin d’un centre de formation.
L’expert a pu constater, au fil de ses divers entretiens, des
postures ambigües sur la formation, dont certains dénient
l’utilité en affirmant que le « bon » procureur serait celui
qui n’en a pas besoin, exprimer une demande à cet égard
s’apparentant finalement à un aveu d’incompétence….
Les mutations importantes en cours poursuivent l’objectif
de rendre le parquet indépendant du politique.
Le Haut Conseil des juges et des procureurs– ci-après
HJPC -, qui compte quinze membres, a la charge de
nommer les magistrats et de contrôler leur activité, et il
détient sur eux le pouvoir disciplinaire.
La nomination des procureurs du parquet d’État donne
lieu à une procédure de sélection au niveau des parquets
Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires
20 21

des entités : cette procédure consiste en un appel à
candidatures, suivi d’un test par voie électronique, d’un
entretien et d’un concours. De cette sélection résulte une
liste d’aptitude sur laquelle le HJPC puise pour procéder
aux nominations, le résultat au mérite, que figure cette
liste, devant nécessairement être conjugué avec la clé
ethnique.
Le HJPC a en outre des attributions budgétaires : c’est
lui qui a la charge de répartir entre les parquets et les
juridictions les moyens alloués à la justice.
Organisation politique oblige, dans le HJPC doivent être
représentés les deux entités, le district et les différents
niveaux juridictionnels… et toujours dans le respect de
la clé ethnique.
Le parquet, d’une manière générale, n’intervient qu’en
matière pénale.
Le Procureur d’État n’a pas d’autorité sur les procureurs
des entités, qui répondent devant le procureur en chef
de chacune d’elles. Il dispose seulement de pouvoirs
spéciaux qui l’autorisent à se saisir d’office de tout fait
d’atteinte à la souveraineté, à l’intégrité territoriale, à
la sécurité nationale, à l’indépendance politique et à la
réputation internationale du pays.
Le parquet d’État compte 59 magistrats et 249 agents,
répartis en trois départements. Il est doté d’un département
analytique, animé par huit analystes, qui fournissent des
analyses opérationnelles permettant le déclenchement
d’enquêtes ou la définition de stratégies de lutte contre la
criminalité. Toutefois, l’autonomie des parquets des entités
à son égard, comme l’absence d’une Cour Suprême d’État,
dont la jurisprudence fixerait des lignes directrices, lui
interdisent de définir une politique pénale, sauf en matière
de crimes de guerre, compte tenu de la sensibilité politique
du sujet.
Il porte les affaires qu’il traite devant la Cour de Bosnie-
Herzégovine, qui statue en premier ressort et en appel,
l’éventuelle contrariété entre les deux premières décisions
déterminant la possibilité de saisir un « conseil de troisième
instance » qui fait office de troisième degré de juridiction.
Quelques simples chiffres donnent la mesure de son
efficacité : en 2016, ce parquet d’État, fort de 59 magistrats,
a obtenu 147 verdicts de condamnation contre 295
personnes, dont 161 ont été condamnées à des peines
d’emprisonnement ferme…
Dans les entités, il existe un niveau central, avec
un procureur en chef, dont le mandat est de six ans
renouvelables, qui a autorité sur les parquets de la base.
Il donne aussi bien des instructions générales que des
instructions individuelles, lesquelles sont souvent des
réponses à des demandes d’avis émanant des procureurs
de la base.
Les procureurs en chef des entités veillent à l’harmonisation
de la réponse pénale, en effectuant un double contrôle
quantitatif et qualitatif.
Les décisions négatives -classements et non lieux- font
l’objet d’une vérification systématique, dans un système
dont le principe reste celui de la légalité des poursuites
–avec une réflexion commençante sur la possibilité d’y
introduire la notion d’opportunité.
Pour les autres, un certain nombre de dossiers choisis
aléatoirement font l’objet, une fois par an, d’un examen
pour évaluation. En général, deux procureurs de l’entité
sont affectés au contrôle de chaque parquet, ce qui peut
s’analyser comme l’ébauche d’un service d’inspection.
L’organisation des parquets des entités diffère quelque
peu entre FBiH et RS.
En FBiH, il existe des parquets au niveau des 79
municipalités et des 10 cantons, la répartition des
affaires entre ces deux niveaux se faisant en fonction
de la sanction encourue – municipalités sous dix ans,
cantons au-delà.
L’appel des décisions des 53 cours municipales relève
des 10 juridictions cantonales, celui des décisions rendues
en première instance par les juridictions cantonales va
devant la Cour de la Fédération, dont le procureur en chef
est ministère public. Il n’existe pas de troisième degré de
juridiction, seulement une procédure de « recours pour la
protection de la légalité », avec en outre la possibilité de
rouvrir une procédure en cas de corruption ou de faux.
Le territoire de la RS est organisé en six districts
judiciaires, dotés chacun d’un tribunal, d’un parquet, et
d’une juridiction commerciale.
Contrairement à la situation en FBiH, les 19 cours de base
de RS n’ont pas de parquet, et le siège du ministère public
y est donc occupé par les procureurs du district : cela évite
à la RS ce qui est un sujet de récrimination important en
FBiH, où les procureurs municipaux, rémunérés comme
tels, mais physiquement regroupés au niveau des cantons,
sont amenés à côtoyer au quotidien des procureurs et
des juges cantonaux dont la rémunération est supérieure
à la leur.
Les décisions des 19 cours de base, qui sont juridictions
de première instance des 63 municipalités, vont en appel
devant la Cour de district. Au niveau central il y a une
Cour « suprême », un Procureur en chef –« procureur
général »- et une Haute Cour de commerce.
L’une comme l’autre de ces organisations ont, au niveau
des parquets, le défaut commun d’obliger les procureurs
à de constants déplacement depuis leur parquet de
rattachement – cantonal ou de district - pour se rendre
dans les juridictions de base pour tenir le siège du
ministère public. Pour y remédier, l’idée d’un regroupement
de tous les contentieux pénaux de première instance au
niveau du district est actuellement à l’étude en RS.
LA PROCÉDURE PÉNALE ET LES SERVICES D’ENQUÊTE
Alors que la procédure pénale en Albanie procédait
d’un texte de 1995 inspiré du modèle italien, la réforme
de 2017 est d’influence germano-autrichienne.
Elle instaure une procédure purement accusatoire, qui
fait intervenir trois juges, lesquels doivent nécessairement
être trois personnes différentes :
• Le juge de l’enquête préliminaire, qui autorise les
mesures coercitives et les mesures spéciales d’enquête,
• Le juge de l’examen préliminaire, qui décide
d’un classement sans suite ou d’un renvoi devant le
tribunal, et
• Le juge qui jugera l’affaire.
Chacun de ces juges indépendants étant susceptible
d’avoir d’un dossier donné une approche différente, il
existe un risque réel de manque de cohérence dans la
conduite des procédures.
Un système de plaider coupable a été institué, qui est
plutôt bien accueilli, en revanche l’ordonnance pénale
n’existe pas.
Dans ce système, le rôle du parquet n’est ni facilité, ni
valorisé. Les enquêtes de police judiciaire sont en effet
réalisées par des officiers de police judiciaire dont 25 %
sont des juristes affectés dans les parquets, les 75 %
restants étant attachés au ministère de l’Intérieur et placés
sous son contrôle, avec cette conséquence qu’ils ne
répondent pas aux demandes des procureurs.
Les officiers de police judiciaire sont remplaçables à tout
moment, et utilisés tout autant par leur ministère à des
opérations de police administrative.
La question de la qualité de la police – qui fait actuellement
l’objet d’un programme européen de soutien PAMECA
auquel la France participe, aux côtés de l’Italie et de
l’Autriche – appelle une réponse mitigée : Peu satisfaisante
sur le plan des conduites éthiques – les violations du
secret de l’enquête sont constantes et la corruption
endémique -, elle s’améliore sur le plan technique : la
formation en matière financière reste très insuffisante,
mais la police technique et scientifique est maintenant
correctement équipée et formée.
Il reste que les rapports police-parquets sont globalement
mauvais, et une réforme de la police judiciaire serait
assurément nécessaire pour assurer le lien entre enquêtes
policières et procédure pénale, sans lequel le système
répressif ne peut correctement fonctionner. Le projet
préparé dans le cadre du programme Euralius ayant
été rejeté, le sujet reste encore actuellement à l’étude.
Ce handicap se cumule à d’autres pour entraver toute
action efficace des parquets.
En particulier, les procureurs n’ont pas d’accès direct à
l’État civil, ni au casier judiciaire.
Les performances sont, en outre, compromises par les
insuffisances et/ou la mauvaise utilisation des moyens
informatiques.
En effet, les parquets albanais sont dotés d’un système
informatique dit CAMS, placé sous la gestion du parquet
général – et non du ministère de la Justice - qui permet
la communication verticale et horizontale.
Ce système, qui assure la distribution automatique des
dossiers, ne produit que des statistiques rudimentaires,
ventilées sous trois rubriques, établis à partir du registre
des dénonciations et plaintes. Il ne calcule la durée des
procédures que par référence à leur temps de traitement
par le tribunal, sans tenir compte de celui qu’y a passé
en amont le parquet.
En outre, les statistiques établies par la police diffèrent
de celles des parquets, sans qu’intervienne le moindre
ajustement : la statistique police, par exemple, répertorie
une affaire sous la qualification retenue par la plainte
initiale, sans tenir compte d’un éventuel classement
sans suite, ni enregistrer un éventuel changement de
qualification. Au demeurant, les systèmes informatiques
utilisés respectivement par les parquets et par la police
sont non seulement différents, mais non compatibles…
Le système propose des trames procédurales qui ne sont
pas utilisées, soit que les usagers potentiels soutiennent
qu’elles n’existent pas, soit qu’ils indiquent préférer utiliser
leur propre recueil, construit à partir des décisions qu’ils
ont eux-mêmes rendues.
Pour faire bonne mesure, il faut également préciser que
lorsque l’expert s’est intéressé à son fonctionnement,
le système n’avait fait l’objet d’aucune mise à jour par
Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires
22 23

rapport aux réformes, alors que celles-ci nécessiteraient
l’intégration de 85 actes de procédure nouveaux…
On peut déduire de cet ensemble d’éléments que des
marges de progression conséquentes existent à tous les
niveaux – institutionnel, procédural, technique, statistique
et éthique – avant que le parquet albanais ne puisse
atteindre un niveau de qualité et d’efficience satisfaisant.
Le parquet de Serbie est une autorité d’enquête et de
poursuite, dont la place dans la conduite des procédures
est nettement définie, et beaucoup plus effective que
celle du parquet albanais.
En 2013, le système de procédure pénale, qui comportait
l’institution du juge d’instruction, a été du jour au lendemain
remplacé par un système à l’allemande, dans lequel le
parquet seul conduit les investigations, sans préjudice
de la présence d’un juge de l’enquête qui n’est pas un
juge d’instruction, mais plutôt l’équivalent de notre juge
des libertés et de la détention (JLD), ayant vocation à
autoriser et contrôler les actes coercitifs et intrusifs – et
cela plus largement qu’un JLD français : par exemple, la
conduite d’une filature doit faire l’objet d’une autorisation.
Les décisions du procureur instructeur – dont celles de
classement ou de poursuite - peuvent donner lieu à un
recours devant le chef du parquet, et en cas de rejet,
la saisine du juge de l’enquête est possible. En outre,
le justiciable a la possibilité de saisir une formation de
trois juges pour demander l’annulation d’actes dont il
conteste la validité.
Le délai de garde à vue est de 48 heures, et la garde
à vue est sous la supervision du parquet. Les auditions
conduites hors la présence d’un avocat sont inutilisables,
sauf dans les petites affaires.
La police ne dispose d’aucun pouvoir élargi en cas de
flagrance.
Le nombre des parquetiers est insuffisant pour faire face à
l’ensemble des investigations, en raison de quoi certains
actes sont délégués à la police.
Point commun avec la situation albanaise – et il en est de
même en Bosnie-Herzégovine, il existe un grand déficit de
partage d’information entre police et justice, et l’un des
objectifs à atteindre pour améliorer le système serait sans
aucun doute de parvenir à créer entre justice et police
une communauté de travail qui fait à l’heure actuelle
totalement défaut.
Outre la piètre qualité de ces échanges d’information,
policiers et procureurs partagent une autre faiblesse, qui
tient à leur faible niveau de compétence dans le domaine
de la recherche de la preuve scientifique.
Dans les enquêtes, le recueil des témoignages reste
une difficulté.
En Bosnie-Herzégovine, la complexité déjà entrevue
au chapitre du statut et de l’organisation du parquet,
induite par l’architecture politique complexe du pays, se
retrouve dans la procédure pénale et l’organisation des
services d’enquête.
Chaque entité, qui a donc son propre parquet – et
d’ailleurs aussi son propre ministère de la Justice – a en
effet aussi ses propres codes : code pénal, et code de
procédure pénale.
Les différences sont faibles entre les codes de FBiH et
de RS, qui ne comportent que les règles relatives à la
criminalité de droit commun.
Les dispositions concernant la grande criminalité, la
corruption, le terrorisme et les crimes de guerre, sont
l’objet du Code national, utilisé au niveau du parquet et
des juridictions d’État.
Quant à la contrefaçon et au cybercrime, tous deux
relèvent du code – et de la compétence – des entités…
à moins qu’ils ne soient commis en bande organisée,
auquel cas le dossier revient au parquet d’État, les
dispositions pénales prévues par le code national pour
la grande criminalité entrant alors en jeu.
Le parquet d’État dispose de son propre service d’enquête,
composé d’officiers juridiques, soit assistants, soit
investigateurs.
Les investigateurs sont 25 depuis 2013 – auparavant
ils n’étaient que 10 – et sont en charge de l’exécution
de certains actes de procédures – analyse de pièces,
auditions de témoins…- seules leur étant interdites les
mesures requérant l’usage de la force.
Les officiers juridiques assistants sont des juristes, recrutés
par le canal d’un concours d’État, ayant fait quatre années
d’études de droit majorées de trois ans d’expérience dans
le domaine juridique, disposant en outre de compétences
dans le domaine des nouvelles technologies, parlant
anglais, et dotés de qualités reconnues en matière de
rédaction juridique. Ils fournissent leur expertise juridique,
aident à la création de documents juridiques, élaborent
des projets d’actes, et effectuent des recherches, et tous
actes de leur compétence, sur délégation du procureur. En
pratique, ils accomplissent des actes d’enquête à égalité
avec les investigateurs.
Le procureur peut aussi étoffer son service de base en
faisant appel à d’autres administrations, notamment
l’administration fiscale.
C’est le procureur qui dirige l’enquête, le juge d’instruction
étant supprimé depuis 2003, ce qui ne suscite pas de
réel regret du côté du parquet - aussi bien celui de l’État
que celui des entités.
Les services de police sont constitués :
• D’une agence d’État pour les enquêtes et la sécurité, la
SIPA : police du parquet d’État, elle est dotée de quatre
centres régionaux à Banja Luka, Sarajevo, Mostar et
Tuzla, mais manque des ressources utiles pour mener
toutes les enquêtes qui devraient lui être confiées,
• Des MUP, services d’investigations des entités–
auxquelles le recours occasionnel à la SIPA peut
éventuellement être ouvert, ce qui est cependant rare
en pratique,
• D’un certain nombre de services spécialisés,
le point commun étant que tous sont placés sous l’autorité
du parquet. Il n’y a pas d’école de police, et les cadres
accèdent à leurs fonctions à 23 ans, sans réelle formation.
La police effectue des pré-enquêtes, et elle doit en principe
saisir le parquet dès que l’infraction est caractérisée, ou
dans les deux jours si la peine encourue est inférieure à
trois années d’emprisonnement. En cas de crime flagrant,
l’information du procureur doit être immédiate.
Bien qu’il ne soit pas fait état à proprement parler de
mauvais rapports entre la justice et la police, les parquets
des entités soulignent le manque de formation, et donc le
manque d’efficacité des policiers des MUP, et déplorent
l’absence d’investigateurs, réservés au parquet d’État.
Un grief récurrent formulé par les procureurs à l’encontre
de la police tient à ce que, jouant sur le fait que son
obligation de les saisir ne naît que lorsque l’infraction
est caractérisée, elle tend en pratique à exploiter les
renseignements au maximum, et à n’avertir le parquet
qu’au moment où elle souhaite mettre en œuvre des
mesures spéciales, telles des écoutes téléphoniques.
Il n’y a pas de casier judiciaire national, ce sont les
services de police (MUP) qui centralisent les antécédents
d’une personne donnée, et à qui il faut donc s’adresser
pour les obtenir.
S’il existe un équipement satisfaisant pour pratiquer
des analyses ADN – deux laboratoires existent –, cet
équipement est sous-employé : le coût est un obstacle aux
analyses génétiques, qui doivent être autorisées par le
juge, ou en cas d’urgence par le Procureur, à charge pour
lui de saisir le juge dans un second temps. Le cas échéant,
le code de procédure pénale prévoit la conservation des
empreintes ADN dans un registre spécial au ministère
de la sécurité, mais l’expert n’a pu se faire préciser si ce
registre est, ou non, effectivement tenu. À supposer qu’il
existe, un tel dispositif ne constitue pas, en tout cas, un
registre ADN à la disposition des autorités judiciaires.
La chaîne pénale est dotée d’un équipement informatique
qui permet certes de gérer les procédures suivies au
parquet, mais qui n’est pas communiquant, en particulier
avec la police : il n’existe donc aucun moyen de connaître
l’existence d’une affaire, et de générer un dossier dans la
chaine pénale, avant que la police n’ait averti le parquet
de son existence.
Les dossiers des affaires dont un parquet est saisi sont
automatiquement scannés à leur arrivée, et attribués
à un procureur. Toutefois, si le dossier comporte une
mention de confidentialité, il part directement – sans
être scanné – soit chez le procureur désigné, soit, pour
les plus sensibles, chez le procureur en chef, qui va alors
décider de son attribution à un procureur expérimenté. Ces
correctifs semblent cependant ne pas exister partout, dans
certains parquets, la procédure d’attribution automatique
est strictement appliquée.
Le système de dématérialisation apparaît doublement
déficient : Ne sont scannés que les procès verbaux, et
non les éléments qui y sont joints tels que photos, albums,
video…en sorte que le seul dossier véritablement complet
est l’original papier, dont il n’est établi aucune copie, et
en outre, selon les codes, seul l’écrit fait foi : la disparition
des originaux, y compris ceux qui ont pu être scannés,
fait donc capoter les procédures. Or elle est fréquente,
le suivi et la conservation des pièces à conviction étant
aléatoires.
Une fois la copie informatique créée, le système
informatique de case management permet de contrôler
les délais de traitement des procédures, en fonction d’une
durée moyenne évaluée par type de dossier, dont le
dépassement déclenche un système d’alerte.
Toutes ces carences ne facilitent pas vraiment les
investigations, mais la gestion des procédures étant
purement statistique, leur qualité n’est pas une
préoccupation.
Le plea bargain est courant au niveau du parquet d’État –
40 % des cas y seraient résolus par cette voie –, beaucoup
moins dans les entités où il est évalué à 15 %, cette faible
utilisation étant expliquée par l’insuffisance de formation
des procureurs à ce sujet, et par la faiblesse des sanctions
appliquées par les tribunaux, qui lui ferait perdre toute
attractivité.
De même existe, dans les entités, l’acte d’accusation avec
ordonnance pénale, qui conduit à un enregistrement de
l’aveu suivi d’une proposition de peine.
Globalement, les modes alternatifs restent très peu
utilisés.
Pour autant, la voie classique de l’audience est décriée
par les procureurs, qui se plaignent d’une désorganisation
totale, avec une gestion aberrante des audiences, qui
pour une affaire donnée, peuvent s’étaler parfois sur
plusieurs années…
De l’ensemble de ces éléments – manque de
communication police/parquet, manque d’outils tels que
fichier ADN et casier judiciaire pour soutenir les enquêtes,
volatilité des pièces à conviction, déficiences de la phase
de jugement… – découle une distorsion complète entre
le nombre des enquêtes, très important, et les résultats
obtenus en termes de condamnations, démonstrative
d’une inefficacité avérée de la chaîne pénale.
Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires
24 25

LES DISPOSITIFS SPECIFIQUES DE LUTTE CONTRE LA GRANDE CRIMINALITE ET LA CORRUPTION
En Albanie, un parquet propre au traitement des
procédures pour crimes graves a été mis en place en 2014-
2015. Il comporte trois unités : L’une est spécialisée dans la
lutte contre la corruption et le blanchiment, lutte facilitée
par l’édiction d’une loi antimafia qui renverse la charge
de la preuve – tout bien qui n’est pas en adéquation avec
les revenus déclarés de son propriétaire est supposé mal
acquis, à charge pour ledit propriétaire de rapporter la
preuve inverse – et facilite la saisie des avoirs. Cette unité
ne prend toutefois en charge que les délits commis par des
auteurs d’un niveau significatif, ceux de moindre niveau,
commis à la base, restant traités par le parquet de droit
commun. Les deux autres unités sont en charge, l’une du
crime organisé et des trafics, l’autre des crimes de sang.
La loi de 115/2016 sur la gouvernance du système judiciaire
prévoit, sur ce volet, la création d’une chaine pénale
spécialisée dans le traitement de la corruption et du crime
organisé, avec un parquet dédié, le SPAK, assisté d’un
bureau national d’investigations d’enquêteurs de haut
niveau (NBI), surnommé en Albanie « FBI », les affaires
étant ensuite jugées par un tribunal spécialisé.
Cette disposition générale s’accompagne de dispositifs
spécifiques de lutte contre la corruption, et l’un de ces
mécanismes concerne directement le parquet, puisqu’il
vise la lutte contre la corruption dans le corps judiciaire :
tous les procureurs, comme tous les juges, vont s’y trouver
soumis.
Il faut, avant de présenter ce dispositif, souligner que
la question de cette lutte se pose en Albanie dans un
climat de corruption endémique, celle-ci existant à tous
les échelons de l’organisation économique, administrative
et sociale.
Le besoin d’assainir la situation se fait cependant de
plus en plus prégnant, en particulier par rapport au désir
d’intégration au sein de l’Union Européenne, et aussi
bien le sujet est au cœur de tous les programmes de
coopération développés dans le pays.
Dans ce contexte, le système judiciaire semble premier
visé : le dispositif de vetting1 mis en place à son intention
prévoit de scruter non seulement le patrimoine, mais
l’intégrité et les compétences professionnelles de chaque
juge et procureur, et sortir du vetting dégagé de tout
soupçon sur ces trois plans sera la condition de toute
nomination, en particulier dans un poste de procureur.
1 Le vetting est une procédure de réévaluation de chaque magistrat, en trois phases : Le Haut Inspectorat des patrimoines statue sur les déclarations obligatoires imposées non seulement à tous les magistrats – 800 sont concernés, mais également à leurs proches, soit 4000 autres personnes. Le contrôle de l’intégrité est opéré par la Direction de l’information classifiée, avec un risque d’arbitraire que dénoncent tous les intéressés rencontrés Enfin, le contrôle de la compétence repose sur l’examen de huit dossiers traités par le magistrat concerné, dont trois choisis par lui, et cinq tirés au sort dans la masse de tous les autres : l’échantillon est maigre, et la subjectivité de l’appréciation risque d’être très importante. Les opérations sont placées sous le contrôle d’un groupe d’experts internationaux, chargés d’un rôle consultatif et de surveillance de régularité des opérations. À l’issue du vetting, une éventuelle décision d’exclusion peut être frappée d’appel, mais la cour d’appel statuera en dernier ressort, le
Toutefois, au cas où les anomalies relevées ne tiendraient
qu’à des failles non dirimantes - une insuffisance de
compétences professionnelles par exemple -, le magistrat
concerné pourra être maintenu dans ses fonctions, sous
condition d’effectuer une session de formation de neuf
mois à l’École de la magistrature.
Celle-ci risque donc d’être fortement sollicitée, puisqu’outre
l’organisation de ces « rattrapages », elle devra faire face
aux besoins du remplacement des magistrats limogés…ce
alors que sa capacité de formation actuelle est seulement
de 15 à 25 magistrats par an.
La volonté louable d’assainissement du corps judiciaire
– fortement stimulée par la pression des instances
européennes et internationales – que constitue cette
procédure, suscite d’extrêmes critiques de la part de ceux
qui vont devoir la subir :
• Les procureurs rencontrés par l’expert y voient surtout
l’opportunité, pour les politiques, de se dédouaner
de leurs propres failles en matière de corruption, en
cristallisant sur le système judiciaire l’attention qui
devrait, disent les magistrats, porter au premier chef
sur eux à cet égard ;
• Ils dénoncent en outre le vetting comme un prétexte
pour, sous son couvert, épurer le système judiciaire de
tous ses membres gênants, « hors de la ligne du parti »,
dit le Procureur général ;
• Ils soulignent enfin que le système déclaratif du
patrimoine existant depuis 2003, correctement contrôlé
et exploité, aurait permis d’atteindre le résultat recherché
sans les excès du vetting, qui prétend s’attaquer à
toute majoration de ce patrimoine, alors que tout
enrichissement n’a pas systématiquement son origine
dans des faits de corruption.
Il est instructif de souligner, pour clore ce chapitre du
vetting, que les médias albanais, qui n’apportent pas le
moindre soutien à la lutte contre la corruption, sont tout
aussi indifférents à la défense du corps judiciaire, et ne
relaient en rien leurs récriminations.
En Serbie, tous les interlocuteurs rencontrés par l’expert
s’accordent sur la nécessité de centraliser les enquêtes
en matière de grande criminalité.
Plusieurs organes ou dispositifs ont été créés en ce but,
au sein ou à côté du RPPO.
• Ainsi a été constituée, en matière de trafic d’êtres
humains, une task force contre les réseaux de passeurs,
placée sous l’autorité du parquet national au titre de
ses attributions en matière d’entraide.
• Un conseil pour la lutte contre la corruption a été créé
en 2002, avec un rôle consultatif, et la Serbie s’est dotée
d’une agence dont les attributions regroupent celles de
l’Agence Française contre la corruption et de la Haute
Autorité pour la transparence de la vie publique.
• Le RPPO bénéficie des services d’un organisme
comparable à notre AGRASC, la Direction pour la gestion
des biens saisis et confisqués, qui dépend du ministère
de la Justice.
• A également été créé en 2008 – et mis en œuvre
effectivement en 2009 – un office pour la restitution
des biens des victimes.
• Tout récemment enfin - en mars 2018 – ont été créés
quatre parquets spécialisés pour traiter des affaires
financières dont l’enjeu dépasse 1,6 millions d’euros.
Les dispositions de droit pénal et de procédure,
nécessaires pour que ces divers organes soient en mesure
de réaliser un travail effectif, sont en place. Ainsi
• Il existe une large obligation de déclaration d’intérêt,
qui vise tous les élus, tous les fonctionnaires nommés
par le gouvernement et toute la haute magistrature. La
déclaration doit être renouvelée tous les quatre ans,
ainsi que deux ans après la cessation de fonctions.
• L’action de l’équivalent de notre AGRASC est facilitée par
l’existence d’une disposition attachant une présomption
de fraude à la propriété d’éléments de patrimoine dont
l’origine – et celle de leur financement – ne peut être
justifiée.
• Les qualifications relatives aux infractions d’atteintes à
la probité publique sont identiques à celles que nous
connaissons en France, et la législation serbe en matière
de saisies et confiscations est également très proche
de la nôtre.
Le droit serbe comporte aussi - à l‘image de la convention
judiciaire d’intérêt public pour les personnes morales
introduite en 2016 par la loi Sapin 2, de la comparution
sur reconnaissance préalable de culpabilité, ou encore
de la procédure de clémence de notre Autorité de la
concurrence - un système de transaction judiciaire
pénale, applicable à tout moment de la procédure, qui est
acceptée dans la majorité des cas où elle est proposée.
Il existe également une procédure simplifiée pour les
délits pour lesquels la peine encourue est inférieure
à huit ans. Dans ce cas, le principe d’opportunité des
poursuites s’applique, la décision du procureur de ne
pas poursuivre pouvant s’assortir, éventuellement, de
mesures d’accompagnement.
Ces deux dernières dispositions permettent de limiter
l’engorgement juridictionnel, et les délais de traitement
qui en découlent, dont souffrent tous les États qui
entreprennent de lutter contre une corruption plus ou
moins endémique sans disposer de « couloirs » grâce
seul recours possible étant alors la saisine de la CEDH
auxquels le traitement par voie judiciaire peut se
concentrer sur les cas les plus importants ou les plus
emblématiques.
Sur ce plan également, la Bosnie est dans une position
singulière liée à son histoire récente : À la notion de lutte
contre la grande criminalité font écho en premier lieu non
pas le traitement des trafics d’armes – qui, selon l’agent de
sécurité intérieure français rencontré par l’expert, devrait
être la priorité numéro un – ou celui de la corruption, mais
celui des crimes de guerre, qui est un problème encore à
vif, activateur potentiel des tensions identitaires toujours
bien présentes.
Ainsi, au sein du parquet d’État qui compte soixante
procureurs, trente d’entre eux sont affectés à la question
des crimes de guerre, dix au terrorisme – qui affecte peu
la Bosnie-Herzégovine, et vingt seulement s’occupent
de la lutte contre le crime organisé, qui fait ainsi figure
de parent pauvre, alors qu’il devrait constituer l’enjeu
principal de la lutte contre la criminalité.
Comme les crimes de guerre sont imprescriptibles, le flux
des procédures nouvelles ne se tarit pas. La procédure ne
prévoyant aucun mécanisme d’indemnisation des victimes,
c’est à celles-ci qu’il incombe de saisir la juridiction civile
à cette fin, une fois la condamnation pénale prononcée.
Faute de pouvoir traiter toutes les plaintes, le parquet d’État
a mis en place, pour les affaires « moins importantes »,
une stratégie de dessaisissement au profit des entités,
dans lesquelles les crimes de guerre sont traités au niveau
des parquets cantonaux ou de district. Les districts de la
RS gèreraient ainsi, à l’heure actuelle, 160 procédures
de crimes de guerre.
De la même façon d’ailleurs, la saisine du parquet d’État
dans les affaires de terrorisme n’est théoriquement
pas systématique, puisque les entités ont compétence
pour mener la procédure relative à des attaques qui
menaceraient directement leur territoire propre.
De cet ensemble découle que la structure du parquet
d’État dédiée à la grande criminalité est en difficulté, et
d’autant moins efficace dans la lutte contre la corruption
que l’accès aux informations financières est aléatoire,
et qu’il n’existe aucune politique sérieuse en matière de
saisie des avoirs criminels et de confiscation, ni de contrôle
effectif des signes extérieurs de richesse – les magistrats,
cependant, étant tenus depuis 2003 à l’établissement
d’une déclaration annuelle de patrimoine.
Les propos recueillis au niveau des procureurs en chef
des entités nuancent, mais finalement corroborent, l’idée
de l’insuffisance et de l’inefficacité globale de la lutte
contre la corruption.
Plusieurs des interlocuteurs de l’expert ont déploré une
décision rendue en 2017 par la Cour constitutionnelle,
Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires
26 27

déclarant inconstitutionnelles plusieurs dispositions de la
réforme, dont en particulier celle qui autorisait le procureur
à accorder une immunité au témoin. Venir dénoncer des
faits de corruption auxquels on a, éventuellement, pu
participer, devient, en l’absence de cette possibilité, une
décision beaucoup plus risquée et difficile à prendre pour
un témoin potentiel…
Au contraire de la FBiH, dans laquelle les tentatives
en ce sens ont échoué, la RS avait mis sur pied en
2006 un parquet spécial contre le crime organisé et
la corruption, qui comptait six procureurs placés sous
l’autorité hiérarchique du procureur en chef de l’entité.
En 2017, ce service est devenu un département spécial
du parquet d’État, et, s’il a conservé son organisation, il
a perdu ses investigateurs.
Le procureur en chef constate le caractère protecteur
de cette réforme pour les membres du département, à
l’encontre desquels les attaques personnelles, dirigées
contre eux en tant que membres de la structure spéciale,
ont beaucoup diminué du fait de ce rattachement.
Cependant, il déplore en même temps la perte d’efficacité
liée au départ des investigateurs, les officiers de police
des services d’enquête auxquels les procureurs doivent
désormais avoir recours – MUP, et éventuellement SIPA
– manquant des compétences spécialisées nécessaires.
Il souligne que des résultats significatifs sont cependant
obtenus au niveau de la corruption à grande échelle, et
des infractions d’abus d’autorité et de fonctions, avec des
sanctions plus significatives en RS qu’elles ne le sont en
FBiH. Reste la corruption au quotidien, qui continue de
fleurir alors même que, selon lui, « elle mine la société ».
LA COOPÉRATION INTERNATIONALE
Bien qu’étant partie au 2ème protocole additionnel de la
Convention Européenne d’entraide judiciaire en matière
pénale du 20 avril 2059, qui ouvre la possibilité d’une
coopération directe, l’Albanie ne la pratique pas,
étant invoqué, en guise de justification, le fait que cet
engagement international n’a reçu aucune traduction dans
le code de procédure pénale albanais. Les procureurs
s’en tiennent donc aux dispositions nationales, et la
coopération ne fonctionne que selon le code, avec des
demandes transmises par voie diplomatique.
Au demeurant, le bureau en charge de l’entraide pénale
ne comporte que des fonctionnaires publics, sans
qu’aucun magistrat ne soit impliqué ; du coup, toutes
les demandes passent par la voie hiérarchique, ce
qui ne fait qu’accentuer les retards déjà conséquents
en raison, notamment, des problèmes de traduction.
Dans ce contexte, l’idée de provoquer la constitution
d’équipes communes d’enquête ne suscite évidemment
pas beaucoup d’écho.
Dans ce domaine, la Serbie apparaît nettement plus
avancée.
Administrativement en charge de l’organisation de
la Procurature, le RPPO est aussi responsable de la
coopération judiciaire internationale. Le niveau de
performance de la justice serbe dans le domaine de
l’entraide est satisfaisant, les magistrats serbes disposant
notamment d’un guide méthodologique qui leur facilite la
mise en œuvre des mécanismes de transmission.
Ayant adhéré au 2ème protocole additionnel de la
convention européenne d’entraide en matière pénale,
les procureurs serbes rencontrés par l’expert ont été
particulièrement attentifs à la présentation des instruments
européens (mandat d’arrêt, décisions d’enquêtes
européennes), ayant parfaitement saisi l’efficacité accrue
qu’ils pourraient attendre de la mise en place de tels
instruments, par rapport au régime intergouvernemental
classique de la commission rogatoire internationale. Un
accord de renseignement et un protocole cadre sur les
équipes communes d’enquête ont d’ailleurs été conclus
en octobre 2016 avec la France.
En Bosnie-Herzégovine, il existe au niveau du
ministère de la Justice d’État un service dédié à la
coopération internationale, qui est également en charge
de la coopération inter-entités – bien que celle-ci soit un
non-sujet, selon plusieurs des interlocuteurs rencontrés
par l’expert dans l’une et l’autre des entités, la circulation
des informations entre FBiH et RS étant, disent-ils,
parfaitement fluide.
Le travail de ce service le conduit à gérer 8000 dossiers
par an, dont un grand nombre concerne des demandes
d’extradition. Les demandes d’entraide passent par
le service dédié, mais certaines d’entre elles seraient
traitées également par voie directe, sur la base du 2ème
protocole d’entraide pénale, également ratifié par la
Bosnie-Herzégovine.
Tel est du moins le discours au niveau du parquet d’État,
car au niveau des entités, il a plutôt été entendu, tant en
FBiH qu’en RS, que tout devait remonter au ministère de
la Justice d’État, les contacts directs existants étant réels,
mais informels, et toujours soumis à une officialisation par
la voie hiérarchique : comme en Albanie, l’explication
avancée est que les codes applicables ne prévoient pas
la communication directe.
Le responsable du service d’État se dit favorable à la mise
en place d’équipes communes d’enquête, cependant
force est de constater que la tardivité des transmissions
des enquêtes de la police vers le parquet fait perdre à
la mise en place de telles procédures une grande part
de son utilité.
La relation entretenue avec Eurojust est bonne, mais elle
reste informelle : la volonté de conclure avec cette entité
un protocole de coopération – qui existe avec Europol
– achoppe en effet sur la question de la protection des
données, point sur lequel les garanties offertes par le
Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires
ministère de la Justice bosnien ne seraient apparemment
pas satisfaisantes en l’état.
CONCLUSIONS ET PRÉCONISATIONS
Comme on le voit, le tableau est finalement assez
contrasté :
En Serbie, un Procureur général élu, répondant devant
l’Assemblée nationale et non subordonné au Ministre
de la Justice, définissant une politique pénale que son
autorité hiérarchique sur les parquets lui donne les
moyens d’appliquer.
L’efficacité du système semble globalement correcte, mais
pourrait certainement être améliorée si étaient mise en
place une meilleure communication et une communauté
de travail effective entre justice et police, si des moyens
suffisants en police scientifique étaient alloués, et leur
mise en œuvre soutenue par des formations adaptées, et
si enfin, au niveau international, des formes de coopération
directe étaient mises en place.
Le parquet de Bosnie-Herzégovine est structuré selon
le même principe, mais la répétition de cette structure au
niveau de trois entités distinctes, autonomes les unes par
rapport aux autres, réduit à néant l’effectivité du principe
hiérarchique à l’échelon de l’État, et donc la possibilité
de définir d’une véritable politique pénale. Celle-ci
pourrait toutefois exister pour la grande criminalité,
traitée au niveau du parquet de la République de Bosnie-
Herzégovine, si la prééminence du traitement des crimes
de guerre ne mettait pas de fait au second plan celui de
la corruption et de la criminalité organisée.
Comme en Serbie, le manque de lien et de rapports
de confiance entre police et parquet est une source de
déperdition dans l’efficacité des enquêtes, majorée en
Bosnie-Herzégovine par la complexité de la répartition
des compétences, des circuits, et du partage des services
d’enquête entre les entités et le parquet d’État.
L’absence d’une Cour suprême qui fixe la jurisprudence, la
dualité des codes employés dans l’ État bosnien et dans
les entités, la procédure accusatoire, conjuguées à des
facteurs plus généraux tels l’existence de la clé ethnique
- qui interdit l’utilisation optimale des compétences - sont
autant d’éléments qui aggravent les dysfonctionnements,
en dépit de conditions matérielles satisfaisantes.
Les nécessités premières pour améliorer la situation,
sans toucher ce qui ne peut l’être, seraient d’améliorer
l’activité du parquet d’État, en y insufflant un véritable
esprit d’équipe aujourd’hui inexistant, en y mettant en
place une politique pénale globale et une politique
d’audiencement cohérente, et en instaurant un contrôle
qualitatif de l’activité effective.
En Albanie, l’ensemble des interlocuteurs de l’expert
se rejoignent pour contester les conditions dans lesquelles
la réforme de la justice a été, et est encore menée. Sans
préjuger de ce que sera l’évolution du fonctionnement
du parquet avec l’organisation mise en place et une
fois conduites les opérations de vetting, force est de
constater qu’aujourd’hui, des deux objectifs assignés à la
réforme, l’un – éradiquer la corruption – paraît loin d’être
atteint, l’autre – renforcer la séparation des pouvoirs en
consacrant l’indépendance des procureurs – conduit à
une confusion extrême dans la conduite de la politique
pénale, et tend à accentuer son inefficience.
Pour l’améliorer, il faudrait a minima rétablir des rapports
de confiance – et d’efficacité – entre police et parquets,
mais aussi doter ceux-ci des moyens de gérer les
procédures de façon cohérente, au moins en les dotant
d’outils informatiques et numériques opérationnels.
28 29

ÉTAT DES LIEUX, INTÉRÊT ET PERSPECTIVES Par Philippe LEMAIRE, avocat général près la Cour de Cassation
Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire Ce vaste tour d’horizon, tout en présentant une administration souvent mal connue,
souligne sa très riche activité à l’international et en particulier sa forte implication dans
les pays du Maghreb. Il démontre aussi le dynamisme de son École de formation,
mettant en exergue l’utilisation qu’elle fait de l’activité internationale comme levier
pour la diversification de la formation des cadres et personnels pénitentiaires français.
Ce regard d’ensemble sur la coopération de tout un secteur est aussi l’occasion de
préciser l’articulation entre les activités de la coopération bilatérale et les projets
multilatéraux, et de poser, sur la plus-value apportée par leur mise en œuvre et
sur les moyens de la majorer, les questions qui devraient irriguer l’ensemble de la
réflexion actuelle sur la coopération judiciaire.
L’histoire de notre administration pénitentiaire remonte à
l’Ancien régime, ce qui en fait l’une des plus anciennes
administrations régaliennes de France.
Développée surtout depuis le XIXème siècle, elle est
placée depuis 1911 sous l’autorité du garde des Sceaux.
Actuellement l’une des cinq directions du ministère de
la Justice, elle comporte une administration centrale,
mais aussi des services déconcentrés, un service à
compétence nationale dédié à l’emploi pénitentiaire, et
un établissement public administratif, l’École nationale
d’administration pénitentiaire - Énap).
Sa mission est, d’une part, d’assurer le maintien en
détention des personnes qui lui sont confiées par l’autorité
judiciaire, et d’autre part, de prévenir la récidive, tâche qui
incombe à l’ensemble des personnels, dont les personnels
d’insertion : il s’agit de préparer la réinsertion des détenus,
et de suivre les mesures et peines exécutées en milieu
ouvert, en collaboration avec des partenaires publics et
associatifs.
L’histoire de notre administration pénitentiaire remonte à
l’Ancien régime, ce qui en fait l’une des plus anciennes
administrations régaliennes de France.
Développée surtout depuis le XIXème siècle, elle est
placée depuis 1911 sous l’autorité du garde des Sceaux.
Actuellement l’une des cinq directions du ministère de
la Justice, elle comporte une administration centrale,
mais aussi des services déconcentrés, un service à
compétence nationale dédié à l’emploi pénitentiaire, et
un établissement public administratif, l’École nationale
d’administration pénitentiaire - Énap).
Dans une perspective plus globale, il faut restaurer la
confiance des citoyens dans leur système judiciaire, nulle
en l’état du fait de la piètre qualité du service rendu, et de
l’image déplorable des juges comme des procureurs. C’est
l’un des objectifs que poursuit la procédure de vetting,
sans garantie d’y parvenir.
À l’issue de ces missions, s’impose en tout cas l’évidence
que beaucoup reste à faire pour appuyer les systèmes
judiciaires de ces États, qui, aspirant à intégrer tôt ou tard
l’Union Européenne, ne pourront le faire sans satisfaire aux
conditions posées à leur adhésion quant à l’instauration
des standards de l’état de droit.
JCI vient de remporter, en Bosnie-Herzégovine, un
projet portant sur la lutte contre la corruption et le crime
organisé, qui va s’y dérouler sur deux ans à compter de
février 2019. Nul doute que les travaux menés par notre
expert dans ce pays ne soient un appui précieux pour le
conduire, aussi bien par les informations rassemblées
que par les relations tissées avec les acteurs-clés du
parquet d’État bosnien.
Notre effort de coopération dans la zone Balkans va
donc se poursuivre, avec pour objectif premier d’aider
à la progression de pays qui sont de futurs partenaires
politiques et économiques, mais aussi pour nous, en retour,
d’y favoriser, à la fois, une meilleure connaissance du
système judiciaire français, et l’établissement de relations
d’entraide judiciaire pleinement efficaces, particulièrement
dans le domaine pénal, en écho aux priorités du ministère
de la Justice.
Regards croisés sur le fonctionnement des systèmes judiciaires
30 31

Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire
39 000 PERSONNESdont les surveillants, les agents de SPIP, les personnels administratifs et techniques (3700) les personnels de direction (500), et 2000 autres (contractuels, aumôniers...)
130 SPIP employant 5300 agents, qui suivent 170 000 personnes en milieu ouvert
9 DIRECTIONS INTERRÉGIONALES et
1 MISSION DES SERVICES PÉNITENTIAIRES OUTRE-MER
185 ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES employant
79 000
PERSONNES ÉCROUÉES dont 68 500 détenues
EF
FE
CT
IF
La Pénitentiaire en chiffres
Sa mission est, d’une part, d’assurer le maintien en
détention des personnes qui lui sont confiées par l’autorité
judiciaire, et d’autre part, de prévenir la récidive, tâche qui
incombe à l’ensemble des personnels, dont les personnels
d’insertion : il s’agit de préparer la réinsertion des détenus,
et de suivre les mesures et peines exécutées en milieu
ouvert, en collaboration avec des partenaires publics et
associatifs.
Notre administration pénitentiaire peut ainsi se prévaloir
d’une très large expertise aussi bien sur le milieu carcéral
-construction/gestion d’établissements pénitentiaires- que
sur le milieu ouvert, domaine des services pénitentiaires
d’insertion et de probation.
Le troisième aspect central de sa mission est la formation
des personnels, mise en œuvre par l’École nationale
d’administration pénitentiaire (Enap), établissement public
autonome implanté à Agen, qui assure la formation initiale
de tous les métiers pénitentiaires et une grande partie de
la formation continue.
Son ancienneté, son importance, ses qualités et sa
renommée – plus évidente à l’extérieur qu’en France
même – suscitent des relations fructueuses avec de
nombreux pays étrangers, et l’on est effectivement
frappé de l’ampleur des activités internationales, bi- ou
multilatérales, développées aussi bien avec les directions
d’administration pénitentiaire ou des prisons, qu’avec les
établissements de formation de très nombreux autres
États, en particulier ceux membres de l’Union Européenne.
Ces actions sont menées par la Direction de l’Administration
pénitentiaire et par l’Enap, sans préjudice des contacts
qu’entretiennent les directions régionales avec leurs
homologues des pays frontaliers, cités ici seulement
pour mémoire, mais dont l’intérêt opérationnel n’est pas
moins évident.
S’y ajoute leur participation aux projets de coopération
financés par des bailleurs de fonds internationaux
impliquant des personnels pénitentiaires et/ou des
formateurs qui sont menés sous l’égide du GIP JCI (Justice
Coopération Internationale), opérateur du ministère de la
Justice et de l’Enap.
Dans son ensemble, cette activité internationale est
largement méconnue, alors même qu’elle est la clé de
la valorisation de notre système pénitentiaire, et de notre
système de formation, à l’étranger.
En outre, les rencontres et confrontations rendues
possibles par le déploiement des actions et des projets
internationaux viennent enrichir nos connaissances
d’éléments de droit comparé, et affiner notre réflexion
sur les moyens d’améliorer les systèmes pénitentiaires
– y compris le nôtre –, notamment au regard du respect
de la personne et des droits de l’homme.
Alors que les thématiques pénitentiaires montent
aujourd’hui en puissance parmi celles dont traitent
les projets de coopération judiciaire, il semble utile de
présenter plus précisément les acteurs, les activités et les
perspectives de cette coopération, en sa partie dédiée au
secteur pénitentiaire, dans un état des lieux destiné à en
souligner l’ampleur et à en démontrer l‘intérêt.
27000 SURVEILLANTS
Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire
1. La direction de l’administra-tion pénitentiaire comporte un Pôle Re-
lations internationales, soit une personne directement
rattachée au bureau du directeur, exclusivement dédiée
à développer et coordonner les relations et échanges
avec les administrations pénitentiaires étrangères et les
organismes internationaux, sur des axes bien définis,
dont deux transversaux - l’intensification des échanges et
travaux dans le cadre européen et l’implication dans les
programmes de type jumelages,- les deux autres ciblant
plus spécifiquement, l’une, la sphère ONU – une montée
en puissance des activités dans le cadre de l’Office des
Nations Unies contre la drogue et le crime –, l’autre, la
zone Asie – avec un objectif de meilleure coordination
des actions.
2. L’Énap, avec son département des relations
internationales composé de trois personnes et d’une
chargée de mission, a conduit à ce jour, depuis sa création
en 2000, des actions impliquant 101 pays, toutes en lien
avec son expertise et son savoir-faire reconnus dans le
domaine de la formation pénitentiaire, l’objectif général
étant de participer à l’amélioration et/ou à l’échange des
pratiques professionnelles, et à l’application, au niveau
international, de normes pénitentiaires respectueuses
des droits de l’Homme.
Dans ce contexte, l’Enap dispose de l’atout spécifique
remarquable que constitue son département de la
recherche : Créé en 1999, le Centre Interdisciplinaire de
Recherche Appliquée au Champ Pénitentiaire (CIRAP) est
un laboratoire implanté au sein de l’École, qui, dédié à
l’analyse des problèmes et enjeux contemporains liés aux
mesures et sanctions pénales, contribue à une meilleure
connaissance des institutions pénales, des pratiques
professionnelles, et de la population pénale.
Pluridisciplinaire - ce qu’exige l’analyse du champ
pénitentiaire -, le CIRAP enrichit la formation des
personnels des connaissances scientifiques résultant
de ses analyses : les recherches réalisées dans leurs
disciplines respectives par ses chercheurs - qui sont
également investis d’une mission pédagogique au sein
de l’École - fournissent aux différents acteurs impliqués
dans l’institution pénitentiaire les moyens d’affiner leur
compréhension des dynamiques institutionnelles et des
processus de construction des pratiques professionnelles,
participant ainsi à leur amélioration.
Depuis deux ans, une procédure de recueil d’informations
sur les différents systèmes pénitentiaires étrangers a
été mise en place conjointement entre le département
des relations internationales et le département de la
recherche. L’objectif est triple : Il s’agit de fournir des outils
de référence pour les élèves en formation, de constituer
un index des systèmes pénitentiaires qui soit l’outil de
nouveaux axes de réflexion, et d’offrir un panorama des
systèmes pénitentiaires étrangers qui assure la visibilité
des actions internationales menées et renforce leur
crédibilité.
Ce lien fort entre International et recherche vient d’ailleurs
d’être consacré au sein de l’École, où le département
international et le CIRAP sont désormais placés sous
une même direction.
3. Justice Coopération inter-nationale est l’opérateur public du monde
judiciaire, dont sont membres notamment le ministère
de la Justice - et donc la Direction de l’administration
pénitentiaire - et l’Enap, en tant qu’établissement public
autonome.
Sa mission est de mettre en œuvre des projets de
coopération judiciaire à long terme – de 18 mois à 3 ou
4 ans – financés par des bailleurs de fonds internationaux
– le plus souvent l’Union Européenne ou l’Agence
Française de développement –, qui se déroulent chez
les partenaires étrangers bénéficiaires de ces projets, dont
les thématiques correspondent au champ des intérêts et
compétences de ses membres.
Dans le domaine pénitentiaire, JCI assure, vis-à-vis de la
DAP et de l’Enap, une première mission de veille, pour
identifier les projets pénitentiaires susceptibles de les
intéresser.
Si, les ayant alertés, leur intérêt se confirme, il va présenter
pour leur compte une offre et, si celle-ci est acceptée, il
va mettre en place et gérer le projet, dont il porte, vis-
à-vis du bailleur de fonds, la responsabilité logistique et
financière, et dont il doit compte des résultats.
Si JCI prend en charge, pour le compte de la DAP et de
l’Enap, ce volet technico-financier des projets, la DAP et
l’Enap n’en restent pas moins au cœur de ceux-ci : Elles
sont en effet, ensemble ou séparément selon le thème de
l’activité concernée, parties prenantes à la sélection des
experts, tant à long qu’à court terme, au contenu du projet
– quelles activités mettre en place –, et à l’organisation
I. LES ACTEURS DE LA COOPÉRATION
32 33

Elles précisent également le nombre de ressortissants
du pays concerné incarcérés dans un établissement
pénitentiaire français.
Enfin, la dernière partie de chaque fiche fournit des
informations sur l’organisation de l’administration
pénitentiaire étrangère concernée, et des données
chiffrées intéressant les personnes détenues.
Sont ainsi mises à disposition, au sein du ministère,
à l’usage de tout professionnel de justice intéressé,
des informations sur l’état d’un système pénitentiaire
recueillies soit par une recherche ciblée, soit dans le
contexte d’une action de coopération ou de ses suites,
dont la mise à jour pourra être assurée dans le même
contexte.1
2. L’ENAP, en tant qu’institution de formation de la pénitentiaire, développe une intense coopération, soit en mode « échanges de connaissances et de pratiques », soit dans le cadre même de sa mission de formation.
1 77 fiches pays ont été rédigées et transmises au SAEI. (+60 % par rapport à 2015) 2 L’Institut Juridique de Samara du service fédéral pénitentiaire de Russie est l’un des 7 instituts du pays formant des personnels pénitentiaires. Le pays dispose de 1 108 établissements pénitentiaires avec différents régimes de détention. Précisons que cet institut a contacté en février 2016, le département des relations internationales, et ses cadres ont été invités à visiter l’École en voyage d’étude, pour apprécier l’outil de formation pénitentiaire français.
En clôture de cette visite, qui s’est déroulée du 23 au 27 mai 2016, une convention de coopération a été signée, entre Madame Sophie Bleuet, directrice de l’Énap, et le Colonel Alexandre Votinov, chef de l’Institut Juridique de Samara, en vue d’établir un cadre juridique favorable au développement d’actions de coopération entre les deux institutions.
En novembre 2016, en lien avec cet accord de coopération, 2 élèves directeurs des services pénitentiaires de la 45ème promotion ont pu bénéficier d’un stage international en Russie.3 Du 14 au 16 décembre 2016, l’Énap a été l’invitée d’honneur de la 4ème Rencontre nationale des écoles d’administration pénitentiaire du Brésil, organisée à Belém, dans l’état du Para.
Organisée par le ministère de la Justice et de la Citoyenneté et le Département National Pénitentiaire, la rencontre portait sur des discussions autour de l’organisation du réseau des écoles et des acteurs de la formation des services pénitentiaires, afin de dessiner un plan de standardisation des écoles pénitentiaires et de mieux former les agents pénitentiaires du Brésil, tant en formation initiale que continue. Il faut préciser à cet égard que le Brésil est une fédération de 27 états indépendants, dont chacun a son école pénitentiaire, organisée selon un mode qui lui est propre.
À l’issue de cette rencontre, un accord de coopération entre la France et le Brésil visant à permettre le développement des échanges, des études et des recherches scientifiques dans le domaine pénitentiaire, a été signé entre Monsieur Marco Antonio Severo, directeur du Département National Pénitentiaire et représentant du ministère de la Justice et de la Citoyenneté, et la directrice de l’école nationale d’administration pénitentiaire.
En termes d’échanges de connaissances et de pratiques, l’Enap
• Est partie à de nombreux accords de coopération
bilatéraux, dont 9 sont actuellement actifs, permettant
des échanges croisés de personnels en formation, tels
ceux réalisés avec la Russie2 et le Brésil3.
• Est présente dans divers séminaires internationaux,
ainsi notamment
> En 2016, elle a été représentée dans 13 séminaires
ou colloques à l’étranger (en Andorre, en Belgique,
au Brésil, au Canada, en Espagne, en Moldavie,
en Pologne, en Roumanie, en Russie et en Suisse),
développant ainsi son rayonnement international ;
> En 2017, elle a participé à la 22ème conférence du
conseil de l’Europe des directeurs des services
pénitentiaires et de probation (en Suède) sur le
thème : « Recrutement, formation et développement
du personnel au 21ème siècle ».
• Est très active dans les réseaux européens dédiés à
la formation et à la probation, qui donnent lieu à des
rencontres et échanges suivis et réguliers
> Le réseau européen des centres de formation
des personnels pénitentiaires, l’EPTA (European
Penitentiary Training Academies), créé à l’issue
d’un séminaire organisé par l’Énap en novembre
2008 sur les dispositifs de formation des personnels
pénitentiaires en Europe, et doté d’une présidence
tournante qui organise chaque année une conférence
entre ses membres, à laquelle l’Enap assiste
systématiquement.
des visites d’études. Leur participation leur apporte, en
« retour sur investissement », une plus-value d’image,
une meilleure connaissance du système pénitentiaire
du pays bénéficiaire, un renforcement des liens avec ses
administration pénitentiaire et institut de formation, qui
leur permettent en retour de développer la coopération
opérationnelle, pour la DAP, et, pour l’École, les échanges
de stagiaires et de formateurs.
Il y a donc ici partage entre, d’une part, la forme et les
fonds, administrés par JCI, – rédaction et présentation
du projet et de son budget, contractualisation des
experts court et long terme, organisation logistique des
missions d’expertise, et prise en charge de toutes les
opérations liées au contrôle financier en cours de projet
et a posteriori-, et d’autre part le fond et la substance
du projet – définition du contenu et des plans de travail,
sélection des experts, visites d’études – qui sont entre les
mains de la DAP et /ou de l’Enap, avec l’appui du chef de
projet et, le cas échéant, du responsable détaché dans
le pays bénéficiaire pour la durée du projet, qu’elles
choisissent en accord avec JCI, et qu’elles accompagnent
avec JCI tout au long de la mise en œuvre du projet.
Deux conventions conclues entre l’Enap et JCI viennent
préciser leurs obligations respectives en ce qui concerne,
l’une, la mise à disposition des experts par l’Énap, et
l’autre, le cadre de l’accueil de délégations étrangères
ou d’experts étrangers visitant le site de l’École dans le
cadre d’un projet, opérations dont ces conventions règlent
les conditions financières et logistiques.
L’Enap s’est en outre dotée d’une procédure interne
spécifique pour la sélection des personnels qu’elle met
temporairement à la disposition du GIP, soulignant ainsi
l’attention particulière qu’elle attache aux profils des
experts sélectionnés, et sa préoccupation d’améliorer
la qualité de la réponse aux besoins et attentes des
bénéficiaires et, donc, l’efficacité des actions.
En liens réguliers avec leurs homologues étrangers
respectifs - directions d’administrations pénitentiaires
étrangères, directions des écoles pénitentiaires,
opérateurs publics européens -, ces acteurs de la
coopération pénitentiaire ont entre eux une collaboration
étroite, qui se manifeste notamment :
• Entre le Pôle Relations internationales de la Direction et
l’Enap, qui recourent mutuellement à leurs ressources
respectives d’expertise au sein des services de
l’administration centrale, des services déconcentrés
(DISP, Établissements, SPIP), et parmi les formateurs et
chercheurs de l’Enap.
• Entre JCI, la DAP et l’Enap, chaque fois qu’il s’agit de
sélectionner et mettre en place un projet pénitentiaire
sur fonds multilatéraux – lesquels sont le plus souvent
« mixtes », incluant une composante administrative et
une composante formation, avec une dominance plus ou
moins marquée de l’une ou de l’autre selon les projets.
Tous trois sont bien sûr également en relation avec la
DAEI du ministère de la Justice, qui a la charge de la
coordination de l’activité internationale de l’ensemble
du ministère, en particulier pour les actions bilatérales
appelant l’appui des postes diplomatiques.
II. LES ACTIVITÉS DE COOPÉRATION
Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire
1. Le Pôle international de la DAP conduit, en continu, trois types d’actions • L’accueil des délégations, qui, outre leur objectif général
de découverte du système pénitentiaire français,
s’intéressent plus particulièrement, pour nombre d’entre
elles, à la lutte contre la radicalisation, à la prise en
charge des mineurs, au dispositif de placement sous
surveillance électronique, ainsi encore qu’à la prise en
charge sanitaire des personnes détenues.1
• La mobilisation d’experts dans le cadre d’actions
ponctuelles ou de projets à l’étranger : une part
1 En 2016, 45 délégations ont été accueillies (+ 10% par rapport à 2015) soit 205 personnes parmi lesquelles une majorité de magistrats et de fonctionnaires des ministères de la justice mais également des personnels des ministères de l’intérieur ou d’autres ministères, des représentants d’associations de réinsertion et des professeurs d’université. Ces visites en France de délégations étrangères sont ainsi réparties (chiffres 2016) : 28,9 % proviennent de pays d’Asie (13) 15,6 % d’Afrique du nord (7) 6,7 % du Proche et Moyen- Orient (3), 4,4 % d’Amérique latine (2), 2,2 % d’Amérique du nord (1), 2,2 % d’Australie (1), 24,5 % d’Europe (11) et 15,6 % d’Afrique subsaharienne (7)2 En 2016, 58 missions ont été organisées pour 90 experts -un chiffre stable par rapport à l’année précédente -, dans des cadres très différents : participation à des réunions d’instances européennes ou internationales, à divers séminaires, réponse à des demandes émanant d’États étrangers pour l’intervention d’experts dans le cadre de formations, missions d’expertise à court terme dans le cadre de jumelage de séminaires…
Les déplacements à l’étranger de représentants de l’administration pénitentiaire se sont faits pour 48,4 % en Europe (28), 1,7 % en Asie (1), 29,3 % en Afrique du nord (17),3,4 %en Afrique subsaharienne (2), 3,4 % en Amérique du nord - Canada (2), 3,4 % en Amérique latine (2), 10,4 % au Proche et moyen Orient (6)
importante des déplacements est liée aux projets
multilatéraux gérés par JCI, qu’il s’agisse de projets
intra-européens tel le projet RASMORAD, dédié à la
prise en charge des détenus extrémistes violents, ou
de projets internationaux ( jumelages)2.
• L’élaboration et la mise à jour régulière de fiches pays :
celles-ci apportent un éclairage sur les relations entre
l’administration pénitentiaire française et l’administration
pénitentiaire de l’État concerné, sur l’existence ou non
d’une coopération et d’échanges -existants ou à mettre
en place- entre l’ENAP et les instituts de formations des
personnels.
Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire
34 35

Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire
En tant que présidente du réseau pour l’année 2018,
l’Enap a organisé la conférence annuelle à Agen les
13 et 14 juin 2018, sur le thème « Sécurité dynamique
et relations positives entre détenus et personnel
pénitentiaire ».1
> Depuis 2013, l’Enap participe tout aussi activement
à l’organisation européenne de la probation
(Confederation of European Probation CEP),
organisatrice de conférences annuelles sur ce thème.2
> Elle est également membre d’un consortium de six
pays (la France plus la Roumanie, la Pologne, la
Moldavie, l’Italie et la Turquie) qui, en 2014, a initié
un projet du programme européen « Erasmus Plus »
dit « Learning by Doing » qui confronte les bonnes
méthodes pédagogiques pour la formation des
personnels pénitentiaires3.
Dans la mise en œuvre même de ses missions de formation, L’Enap intègre significativement la
composante internationale, en organisant des stages à
l’étranger aussi bien pour ses élèves en formation initiale
que pour des personnels en formation continue, et en
recevant, symétriquement, de très nombreux stagiaires
étrangers.
• Depuis 2007, les élèves-directeurs en formation initiale
sont accueillis en stage auprès d’administrations
étrangères. Ils y partent pour en observer l’organisation
pénitentiaire, sur une thématique bien précise,
l’expérience donnant lieu à restitution auprès des
personnels et élèves de l’École ainsi qu’aux référents
internationaux, avec une compilation de tous les rapports
de stage, diffusée à tous les personnels pénitentiaires.
En 2016, ce sont ainsi 20 élèves de la 45ème promotion
de directeurs des services pénitentiaires qui ont passé
chacun une semaine dans dix pays d’accueil (Allemagne,
Autriche, Belgique, Espagne, Luxembourg, Norvège,
Pologne, Roumanie, Russie et Suisse) sur le thème
des « régimes différenciés ».
1 Le but du réseau est d’échanger sur les bonnes pratiques en matière pédagogique et sur les thématiques d’intérêt pour les administrations et écoles pénitentiaires.
Depuis 2008, l’Énap a toujours activement participé aux conférences annuelles, chacune dans un pays différent. En 2016 la conférence annuelle s’est tenue en Pologne (à Kalisz, dans le principal institut de formation du service pénitentiaire polonais) et était centrée sur les thèmes de la radicalisation dans les prisons et des détenus présentant des troubles psychiatriques.
En 2017, la conférence annuelle s’était tenue en Suisse, sur le thème de la formation au leadership et la formation des personnels de direction des prisons et de probation.2 En 2016, la conférence annuelle a été organisée en Roumanie. L’Énap était représentée par Michel Flauder, chef du département probation et criminologie. En 2017, 2 personnels du département probation et criminologie ont participé aux Pays-Bas à un séminaire portant sur le partenariat entre les autorités locales et les acteurs de la justice dans la prévention et la lutte contre la radicalisation violente.3 « Learning by doing » a mobilisé plus de 15 formateurs de l’Énap et des services déconcentrés en France et à l’étranger.
À l’issue de 12 rencontres internationales, 2 guides pédagogiques intitulés « Best practice guide for training in intervention and emergency rescue » et « Best practice guide for training in professional intervention » ont été rédigés. Ils comparent les bonnes méthodes en matière d’apprentissage et peuvent être utilisés à la formation pratique des personnels pénitentiaires des différents membres participants.4 Ces voyages ont conduit à la mise en place des modules de respect en 2015 au Centre Pénitentiaire de Mont-de- Marsan. Depuis, 30 établissements se sont lancés dans cette expérimentation. En 2016 et 2017, des visites d’étude à Madrid ont été effectuées avec 15 personnels des établissements porteurs du projet.5 Ces demandes portent prioritairement sur la formation aux techniques d’intervention, mais l’Enap peut également s’engager sur des thématiques plus diversifiées, telles que : l’élaboration de procédures de fonctionnement d’un établissement pénitentiaire, le management des personnels, la communication et le dialogue avec la population pénale pour éviter les relations basées sur les rapports de force, le greffe pénitentiaire, le travail pénitentiaire, la justice restaurative, ou encore les relations positives avec la population pénale.
• En formation continue, les demandes provenant de
professionnels qui souhaitent pouvoir bénéficier
de voyages d’études pour découvrir des systèmes
pénitentiaires étrangers, en vue ensuite de pouvoir
transposer certaines bonnes pratiques qui puissent
accompagner ou renforcer des orientations nationales,
sont prises en considération aussi largement que
possible. Ainsi
> Des visites d’études sur les modules de respect en
Espagne ont été portées par le DRI en 2010, 2011,
2014, 2015, 2016 et 20174.
> En mai 2016, un voyage d’étude a été réalisé
par le département probation et criminologie de
l’École sur l’application des techniques cognitivo-
comportementales à la probation au Québec, afin
de créer un module de formation dédié, renforçant
ainsi la formation dispensée aux publics concernés.
• En parallèle, l’Enap s’attache à répondre à la forte
demande de formation5 qui lui vient de l’étranger, en
accueillant de très nombreux stagiaires venus d’autres
pays.
Pour ces stagiaires, le Département des relations
internationales organise un programme spécifique de
formation, fondé sur des objectifs précisément définis
en amont, avec l’appui de formateurs dédiés, ayant une
expertise reconnue, qui sélectionnent les méthodes à
utiliser pour transmettre au mieux les connaissances
théoriques et pratiques et en permettre l’appropriation
individuelle par chaque stagiaire, en tenant compte
des obstacles – notamment linguistiques – à cette
appropriation.
Lorsque cela est possible, et compatible avec les objectifs
pédagogiques, les stagiaires sont associés à d’autres
publics en cours de formation à l’École, pour bénéficier
de formations identiques1.
• L’Enap enfin dispense soit à Agen, soit directement dans
le pays bénéficiaire, des formations de formateurs, à
l’intention de formateurs relais qui seront ensuite en
mesure de délivrer eux-mêmes les mêmes scénarios
pédagogiques dans leur pays d’origine : De telles
formations ont ainsi bénéficié à l’Equateur, la Côte
d’Ivoire, le Sénégal, l’Andorre et l’Algérie.
• Elle assure aussi des missions de formation dans
des pays présentant des enjeux opérationnels ou
économiques spécifiques, ainsi
> En 2017 à Dubaï, sur les techniques d’intervention
visant à la maîtrise des personnes détenues.
> De 2010 à 2014 à Djibouti, plusieurs cadres
pénitentiaires ont été formés aux fonctions d’officier,
de directeur de prison et de juge d’application des
peines.
• Des dispositifs d’e-learning ont enfin été mis au point,
pour permettre la poursuite de la relation de travail avec
les stagiaires étrangers, ou suivre le développement de
méthodes de travail.
Les échanges internationaux, symbolisés par l’accueil
et/ou l’envoi d’élèves, contribuent aussi à la création de
liens qui dynamisent davantage les contacts entre les
différentes parties du monde. En témoigne l’accueil de 3
fonctionnaires sénégalais au sein du cursus de formation
des directeurs de services pénitentiaires, qui a donné
lieu au départ en stage international de deux élèves-
directrices au Sénégal. Les informations recueillies au
cours de ces échanges sont pour l’Enap un moyen efficace
de pouvoir mieux cibler les attentes/besoins des élèves.
1 Dans le cadre d’échanges internationaux, la formation revêt une forme particulière d’activité formative inscrite dans une perspective contractuelle. En effet, les formateurs de l’Énap reconnaissent les stagiaires qui proviennent de tous les continents comme des partenaires professionnels.
Si une dissymétrie des relations demeure entre les formateurs et les stagiaires étrangers, cet écart relatif à la transmission de connaissances s’inscrit dans un engagement contractuel réciproque établi par des objectifs de formation négociés lors de la préparation du programme de formation.
Toutefois, la discussion des objectifs et leur renégociation, la production des programmes et leur évaluation sont des éléments constitutifs de la formation et ont en eux-mêmes une valeur ajoutée pour l’Énap comme pour les responsables des administrations étrangères.
Concernant la transmission de compétences spécifiques, ce n’est pas seulement le « développement personnel » du stagiaire étranger qui est recherché, mais l’objectif de lui faire acquérir des compétences précises, en lien avec des référentiels éprouvés.
Les formateurs de l’Énap ont pour projet la progression maximale de chaque stagiaire étranger. Cet objectif renverse la logique économique. Il considère le stagiaire avec ses savoirs et ses limites, et donc, l’attention la plus vigilante est portée à ceux qui rencontrent les plus grandes difficultés dans le domaine de formation concerné.2 C2D = contrat de désengagement et de développement : il s’agit de remettre une partie de sa dette à un État ayant bénéficié d’aides au développement, en échange de son engagement de s’investir dans une action d’assistance technique visant à réduire ses fragilités et appuyer son évolution dans un sens conforme aux standards internationaux et européens.3 Un jumelage - au sens UE - correspond à un format de projet initialement conçu par la Commission européenne en 1998 pour aider les pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne à acquérir les compétences et l’expérience nécessaires à l’adoption et la mise en œuvre du droit de l’Union. Depuis 2004, le jumelage est également à disposition de certains des nouveaux États indépendants de l’Europe orientale et des pays de la région méditerranéenne. Sont donc concernés les pays dits « de l’élargissement » et certains pays tiers de la zone dite « du voisinage »
Il s’agit d’un instrument de coopération administrative, qui offre au pays bénéficiaire une assistance technique par laquelle il va pouvoir disposer de l’expertise de pays membres de l’UE dans des domaines variés du secteur public, en associant nécessairement deux administrations publiques comparables, l’une étant rattachée à un État membre de l’UE, l’autre à un pays bénéficiaire, cette assistance s’inscrivant dans une perspective de long terme.
3. L’action internationale de la Pénitentiaire dans les projets pilotés par JCI L’objectif général récurrent de ces projets est de
réformer ou consolider des administrations pénitentiaires
défaillantes, par l’amélioration et la sécurisation du
fonctionnement des lieux de détention, par la mise en
œuvre d’équipements modernes, par l’initiation de la
mise en œuvre de régimes de probation, ou encore, par
la mise en place d’une organisation de la formation, voire
d’un institut de formation dédié, avec des curricula, des
outils pédagogiques et/ou des formations de formateurs…
Instruments du rayonnement de la coopération judiciaire
française qui, vis-à-vis des bailleurs internationaux et des
opérateurs des pays membres de l’Union européenne, est
portée par JCI dans des conditions en général appréciées
de façon très positive, de tels projets participent
évidemment aussi à la réputation des institutions qui y
sont associées, puisque la qualité de la mise en œuvre
d’un projet et de ses résultats ne peut découler que de
la conjonction entre une bonne gestion, d’une part, et
la qualité des activités mises en place et des experts
intervenants, d’autre part.
L’Enap et la DAP sont actuellement impliquées dans quatre
de ces projets, un C2D2 financé par l’Agence Française
de développement en Côte d’Ivoire, et trois jumelages3
pénitentiaires, implantés chacun dans l’un des trois pays
du Maghreb.
Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire
36 37

Le C2D Côte d’Ivoire En 2012, l’Enap avait mis en œuvre une subvention du
Fonds Européen de Développement en Côte d’Ivoire.
Dans la suite de ce contrat, elle participe aujourd’hui
à un contrat de désendettement et de développement
(C2D) mis en place en 2016 par l’Agence Française de
Développement, qui vise à « renforcer les capacités des
personnels pénitentiaires ivoiriens en apportant un appui à
l’École des personnels pénitentiaires afin que les pratiques
pénitentiaires ivoiriennes se rapprochent des standards
internationaux et soient plus respectueuses des Droits
de l’Homme ».
Piloté par JCI, ce projet concerne à la fois l’École Nationale
de la Magistrature, l’École Nationale des Greffes, l’École
Nationale de la Protection Judiciaire de la Jeunesse et
l’École Nationale d’Administration Pénitentiaire, dès lors
que l’Institut National de Formation Judicaire (INFJ) de
Côte d’Ivoire, qui en est le bénéficiaire, est en charge de la
formation des personnels judiciaires dans leur ensemble.
L’objectif étant de parvenir à une réelle appropriation du
projet par le bénéficiaire ivoirien, en vue d’en garantir la
durabilité, l’INFEJ est très étroitement associé au projet
dans lequel sont constitués, pour dispenser les formations,
des binômes franco-ivoiriens.
Depuis janvier 2017, 5 missions ont été conduites, et
plusieurs experts de l’Enap mobilisés, pour former les
bénéficiaires ivoiriens, par exemple, aux méthodes
d’inspection d’un établissement pénitentiaire et à la
gestion du greffe pénitentiaire, en ce inclus la formation
d’inspecteurs à l’élaboration d’un référentiel d’audit des
établissements.
1 L’amélioration du système de gestion de l’administration pénitentiaire prévoit
- le développement d’un outil au service de la planification stratégique (système d’information),
- la formation des cadres à la planification stratégique (définition d’objectifs; création et exploitation d’indicateurs),
- l’optimisation de l’ouverture d’une nouvelle école de formation pour favoriser le développement de la culture de la performance (organigramme de l’école, ingénierie de formation),
- l’évaluation des agents de la DGAPR, en y intégrant la culture de la planification stratégique.
- Le renforcement de la prise en charge en matière de réinsertion vise : la mise en œuvre les plans individuels de réinsertion, le développement du savoir-faire des assistantes sociales (c’est-à-dire la professionnalisation les agents en charge de l’insertion des détenus), l’amélioration de la prise en charge de certaines catégories de détenus (les femmes, les mineurs, les toxicomanes), et enfin, un meilleur développement du travail pénal.
L’amélioration de la sécurité des établissements concerne : le soutien au processus de catégorisation des détenus (évaluation des profils, mise en adéquation avec le régime de détention proposé), le développement des audits de sécurité (en favorisant la création d’un service d’audit), et enfin, la formation à la technique des audits et l’élaboration de référentiels.
Le jumelage Algérie Répondant à la demande d’appui présentée en 2013
à la délégation de l’Union européenne par la direction
générale de l’administration pénitentiaire et de la
réinsertion algérienne (DGAPR), un projet de jumelage au
bénéfice de cette direction, élément d’un programme plus
large d’appui à la mise en œuvre de l’accord d’association
Algérie-Union Européenne, a été lancé fin 2014.
Remporté par un consortium unissant JCI, leader pour le
compte du ministère de la Justice français, et le ministère
de la Justice italien, le contrat a été signé avec les
bénéficiaires algériens - ministère de la Justice et DGAPR
- en avril 2015, et effectivement lancé en mai 2016 avec
l’installation du personnel permanent du projet dans les
locaux mêmes de la DGAPR. Le jumelage poursuit trois
objectifs : améliorer le système de gestion globale de
l’administration pénitentiaire, renforcer la prise en charge
en matière de réinsertion, et améliorer la sécurité des
établissements.1
La philosophie du projet est pragmatique : il repose
sur l’échange de pratiques professionnelles, qui doit
permettre de dégager un corpus de réponses communes
aux questions qui se posent de manière universelle à
l’administration pénitentiaire de tous les pays. Par
exemple, comment prendre en charge un détenu
dangereux ou présentant des troubles du comportement ?
Quels sont les instruments donnant corps à la mission de
prévention de la récidive ? Quels outils pour évaluer les
agents en fonction des objectifs qui sont ceux définis par
le ministre de la justice à l’administration pénitentiaire ?
La mise en place effective de cette démarche pragmatique
a été rendue possible par deux actions majeures
conduites durant la phase préparatoire : les visites de
terrain réalises par le CRJ, - une quinzaine effectuées
à ce jour, facilitées par l’engagement de la DGAPR - et
les missions exploratoires réalisées par les experts-clés,
qui ont constitué autant d’audits rapides sur les activités
principales : le programme de formation établi en lien
avec les cadres de la DGAPR a pu ainsi coller au plus
près des besoins, et les formations elles-mêmes - qui sont
au centre du projet - ont pu débuter à l’École nationale
des fonctionnaires pénitentiaires (ENAFAP) de Kolea, un
établissement public récemment ouvert, dont l’exploitation
maximale, et les conditions de travail qu’il propose, sont
une des clés de la réussite.
1 Il s’agit par exemple, de la création
- de plateformes de management par objectif,
- de préparation et d’accompagnement à la sortie,
- d’une catégorie de « détenus classés particulièrement dangereux ». 2 À sa clôture, il a été fait état d’une réalisation quasi-totale, le plan de travail ayant même pu être enrichi de quelques actions complémentaires.
L’objectif général est de favoriser l’évolution d’une
administration qui a connu dans les dernières années de
profonds changements : création des services extérieurs
pour assurer la mission de prévention de la récidive,
construction massive d’établissements pénitentiaires
neufs pour assurer une prise en charge digne, mise en
place du bracelet électronique.
Ces changements rapides et profonds, dans une optique
de convergence vers les standards internationaux, exigent
aussi de porter une attention particulière à la cohérence de
tous les dispositifs, ce qui fait de l’activité de « planification
stratégique » - ou management par objectifs, le fil rouge
du jumelage, pour une administration dont la taille est plus
que significative : l’administration pénitentiaire algérienne
compte en effet 142 établissements, 22 services extérieurs
prenant en charge le milieu ouvert, près de 30 000 agents,
et elle gère plus de 66 000 personnes incarcérées.
Le projet doit enfin veiller à la pérennité des actions
engagées : pour cela, le contrat prévoit, activité par
activité, l’élaboration de plans d’action dont le contenu n’a
pas à être précisément défini, mais qui sont conçus comme
des instruments d’évolution du système, notamment sous
l’angle organisationnel, à la fois souples et réalistes, qui
doivent, surtout, ne pas peser sur les finances publiques de
l’État algérien1. D’autre part, sous l’appellation « cycles de
perfectionnement », le projet doit pourvoir à la formation
de formateurs locaux capables de prendre, sur le terrain,
le relais des formations.
À quelques mois de la clôture du projet2, prévue pour
novembre 2018, les objectifs ne sont pas intégralement
atteints, mais
• plus de 800 personnes ont été formées au cours des
160 missions déjà réalisées,
• les formations sur les activités importantes - généralisation
du plan individuel de réinsertion, catégorisation des
établissements et des détenus, l’évaluation des
fonctionnaires - sont d’ores et déjà achevées,
• d’autres sont largement engagées - le management
par objectifs, la professionnalisation des assistantes
sociales, la création d’un service d’audit sécurité.
Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire
CARACTÉRISTIQUESINTITULÉ : « renforcer l’administration pénitentiaire en accord avec les normes internationales en vue de l’amélioration des conditions de détention et de la réinsertion des détenus »
MONTANT : 2 millions d’euros
DURÉE : 30 mois, de mai 2016 à novembre 2018
MISE EN ŒUVRE : par un consortium franco-italien (JCI leader) avec
> Un conseiller résident jumelage français, Bruno Clement-Petremann, directeur de services pénitentiaires en France
> Un CRJ homologue algérien
> Trois chefs de projet – un par pays concerné.
> 89 experts mobilisés pour former 1650 agents à raison de 942 homme/jours d’expertise (236 missions)
38 39

Le jumelage Tunisie Dans le cadre d’un programme d’appui à la réforme de
la Justice qui a débuté en 2015, JCI a remporté pour le
compte de l’administration pénitentiaire française un
jumelage entre le ministère de la Justice français et le
ministère de la Justice tunisien, qui vise, tout comme le
jumelage algérien, le renforcement des institutions de
l’administration pénitentiaire.
Conduit par JCI en collaboration avec son homologue
allemand IRZ, opérateur dédié du ministère de la Justice
allemand, le projet vise en premier lieu l’amélioration de
l’organisation de la Direction Générale des Prisons et
de la Rééducation, en la dotant d’un cadre juridique et
organique conforme aux dispositions de la constitution
et adapté aux standards internationaux, avec notamment
l’établissement de fiches de poste pour tous les agents.
Son deuxième objectif est l’appui à l’École nationale des
prisons et de la rééducation, et il lui incombe, en troisième
lieu, de favoriser la mise en place graduelle d’un système
national de probation.
Toute l’organisation du projet, et sa réussite, reposent sur
les facultés de mobilisation d’experts court terme (ECT)
dont l’expérience, les compétences et la complémentarité
garantissent la production de rapports équilibrés,
proposant des préconisations concrètes. Pour le choix
de ces experts - des directeurs de services pénitentiaires,
des attachés, des magistrats et des personnels issus
de la filière insertion et probation - fait par le conseiller
résident jumelage conjointement avec le chef de projet,
la DAP et l’Enap sont, évidemment, fortement sollicitées.
Il a été remédié aux difficultés de mobilisation concrète
1 Ces quatre pôles sont : sécurité, gestion budgétaire et financière, ressources humaines, prise en charge des personnes placées sous main de justice.
d’experts allemands, pour des raisons essentiellement
linguistiques, par le recours à des experts espagnols.
Comme en Algérie, la mise en œuvre d’un projet pertinent
a été liée aux nombreuses visites réalisées dans des
établissements pénitentiaires tunisiens : 67 visites au
total dans 27 des 32 structures existant en Tunisie - dont
5 dédiées aux mineurs, avec une attention plus soutenue
portée aux lieux de détention de publics sensibles
-femmes et mineurs.
Outre leur travail de « chefs d’orchestre » vis-à-vis des
experts, et de supervision de la bonne exécution du plan
de travail proprement dit, le conseiller résident jumelage
(CRJ) et le chef de projet ont aussi été amenés à intervenir
à de nombreuses reprises lors de séminaires ou actions
de formation, en lien avec les problématiques de prise
en charge des personnes placées sous main de justice
en Tunisie.
Pas plus que dans tout autre projet d’assistance technique,
l’appui apporté ne peut utilement prétendre vouloir, ni
pouvoir, transposer un modèle. Dès lors, l’efficacité et
la pérennité des propositions d’amélioration formulées
dépendent étroitement de la capacité de l’administration
pénitentiaire tunisienne à s’emparer de ces propositions,
et à intégrer les pistes proposées à sa propre culture
professionnelle.
L’appréciation des résultats effectifs se mesure à cette
aune, et en l’occurrence, l’opération « jumelage Tunisie » a
d’abord fait l’objet de constats mitigés, avant que certaines
avancées réelles ne se dessinent à partir de la mi 2017,
en lien avec des changements positifs intervenus à la
tête de la DGPR.
Ainsi,
L’objectif de renforcement des capacités institutionnelles
de la DGPR a fait l’objet au cours du second semestre
2017 d’une attention particulière de la part du bénéficiaire,
qui a permis : de valider officiellement les 4 pôles autour
desquels sera constitué le nouvel organigramme de la
DGPR1 ; de convenir de travailler à la mise en place d’un
échelon administratif intermédiaire, dans une logique
de déconcentration, d’une part, pour lutter contre
l’engorgement de l’administration centrale, d’autre part
pour rapprocher l’administration de ses administrés en
prenant davantage en compte les spécificités et les
Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire
CARACTÉRISTIQUESINTITULÉ : Renforcement des institutions de l’administration pénitentiaire
MONTANT : 1 million 850 mille euros
DURÉE : 30 mois d’octobre 2015 à avril 2018, mais prorogation de six mois prévue - jusqu’à octobre 2018
MISE EN ŒUVRE : par un consortium franco-allemand (JCI leader) avec :
> Un conseiller résident jumelage français, Nicolas Jauniaux, directeur de services pénitentiaires en France
> Un CRJ homologue tunisien
> Trois chefs de projet –un par pays concerné.
> 27 experts court terme mobilisés, ayant réalisé à décembre 2017 65 missions
> 6 voyages d’études
> 1 stage administratif pour trois sous-directeurs de la DGPR au sein de la DAP.
contraintes locales ; de mieux prendre en compte le besoin
d’amener les unités d’intervention à un niveau élevé de
professionnalisme et de réactivité1.
En ce qui concerne l’appui à l’École Nationale des
Prisons et de la Rééducation, le nombre de missions s’est
considérablement accru au cours du premier semestre
2017, ce qui a permis : de trouver un accord sur un projet
d’organigramme de l’ENPR ; de proposer une modification
de l’organisation des unités administratives ; d’élaborer
des fiches de poste pour les formateurs, et de préfigurer
l’avènement d’un corps professoral permanent, en
définissant, à titre de prérequis, un certain nombre de
critères.
Quant à l’objectif de mise en place graduelle d’un
système national de probation, il a progressé de manière
déterminante grâce à la mobilisation de l’ensemble des
acteurs2: Ainsi, les six sites qui accueilleront les premiers
bureaux de probation ont été identifiés et officialisés3 ; un
séminaire de travail intitulé « La probation : principes et
méthodes » organisé le 25 avril 2017 a rassemblé pour
une journée de travail les 80 magistrats et personnels
pénitentiaires directement impliqués dans le lancement des
premiers bureaux ; des fiches de postes pour les prochains
agents de probation, directement opérationnelles, ont été
réalisées ; trois scenarii ont été proposés pour pourvoir
en personnel les premiers bureaux ; enfin, la DGPR a
sélectionné les douze premières recrues vouées à y
officier.
La prolongation contractuelle de six mois qui a été
proposée et obtenue4 vise à permettre de continuer sur
cette lancée pour réaliser au maximum des objectifs
que les lenteurs des premiers mois semblaient avoir
compromis et qui paraissent, aujourd’hui, pouvoir être
atteints sinon en totalité, du moins dans une proportion
largement plus satisfaisante pour l’évaluation finale du
projet.
Il existe une réelle volonté des autorités tunisiennes de
maintenir et développer les bonnes relations nées du
jumelage, et dans l’attente de la mise en œuvre d’un
nouveau programme qui permettra de développer un
projet qui viendrait prendre le relais, plusieurs sujets
dont certains très actuels – lutte contre la radicalisation
violente en prison, prise en charge sanitaire des détenus,
création d’unités pénitentiaires locales d’intervention –
pourraient donner lieu à des échanges bilatéraux, tout
comme, dans le même contexte, il pourrait être envisagé
de prendre en charge des cadres pénitentiaires tunisiens
dans le cadre de stage à l’Enap.
1 Au-delà du voyage d’étude réalisé sur la base de l’Equipe Régionale d'Intervention et de Sécurité de Lyon, les personnels engagés dans cette réforme ont bénéficié de l'appui d'un groupe de travail dédié afin de valider une nouvelle doctrine d'emploi et des méthodes d'intervention réajustées. Un accroissement de la dotation en H/J de cette activité a par ailleurs été acté afin d'entamer des actions de formation en Tunisie en relation avec les initiatives prises par le bureau de l'International Narcotics and Law enforcement affairs (INL), sis au sein de l’ambassade des États-Unis, dont le crédit auprès de la DGPR est considérable.2 Cette mobilisation n’a pas été seulement le fait de la DGPR et de l’équipe jumelage, elle a également impliqué les magistrats, la Délégation de l’Union Européenne, l’assistante technique et l’unité de gestion du programme d’appui à la réforme de la Justice - UG PARJ -, l’ensemble des experts court terme de la composante, et les organisations de la société civile.3 Il s’agira du tribunal de première instance de La Manouba, et des cours d’appel de Tunis, Bizerte, Kairouan, Monastir et Gabes.4 La clôture du projet est effectivement intervenue en octobre 2018. Grâce à l’accélération de la mise en œuvre dans les derniers mois, l’appréciation globalement positive du programme s’est trouvée confirmée.
Le jumelage MarocLancé en juin 2018, il doit venir au soutien de la forte
dynamique de changement mise en œuvre par les
autorités marocaines dans le domaine pénitentiaire.
La Délégation Générale de l’Administration Pénitentiaire
et à la Réinsertion (DGAPR), mise en place il y a dix ans
- le 29 avril 2008- dans le Royaume, a perdu, depuis, le
lien avec le ministère de la Justice, pour être directement
rattachée à la Primature.
Articulée autour des deux axes stratégiques prioritaires
que sont l’amélioration des conditions de détention et la
contribution à la préparation de la réinsertion sociale des
personnes placées sous main de justice (PPSMJ), l’action
de la DGAPR s’inscrit aujourd’hui dans le « cadre d’action
stratégique 2016-2018 » fixé par le gouvernement, qui
vise à garantir les droits fondamentaux des détenus et
à adopter des procédures de bonne gouvernance, en
conformité avec les standards internationaux.
Sont ainsi en chantier la création d’une inspection,
celle d’une commission interministérielle en charge
des problématiques transversales, la réorganisation
des échelons central et régional de la Direction,
l’informatisation, et le renouvellement des cadres, sur
fond d’un ambitieux plan immobilier, lancé en 2014, de
construction/rénovation, avec fermeture corrélative de
structures obsolètes.
Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire
CARACTÉRISTIQUESINTITULÉ : Renforcement des capacités institutionnelles de la Délégation Générale à l’Administration Pénitentiaire et à la Réinsertion (DGAPR) du Royaume du Maroc
MONTANT : 1 500 000 €
DURÉE : 30 mois
MISE EN ŒUVRE : par un consortium franco-italo-belge :
> Un conseiller résident jumelage français, François Goetz, directeur de services pénitentiaires en France
> Un CRJ homologue marocain
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Les réformes en cours interviennent dans un environnement
complexe de surpopulation carcérale : 79 000 détenus,
dont 40% en détention provisoire, 85 % des détenus
condamnés purgeant des peines inférieures à 5 ans ; une
population carcérale jeune (57% entre 25 et 35 ans),
avec des problématiques de formation, d’hygiène, de
prise en charge sanitaire, de promiscuité, de gestion de
la radicalisation...
Le personnel pénitentiaire compte 10 400 agents, dont
plus de 200 personnels médicaux.
Dans ce contexte, le jumelage vise à renforcer les
capacités opérationnelles de la DGAPR en appui au
processus de réforme en cours, et comporte, à cette fin,
cinq composantes reflétant les priorités identifiées :
- Le renforcement des capacités d’action de la DGAPR, par l’étude des bonnes pratiques en
vigueur, et transférables, dans 3 institutions étrangères
comparables, assortie de visites d’études portant
sur des problématiques spécifiques identifiées par
les partenaires marocains : méthodologie afférente
à la construction d’un établissement pénitentiaire,
inspection des services pénitentiaires, labellisation des
établissements pénitentiaires.
- L’organisation d’une conférence de consensus, visant à ouvrir le débat sur les
problématiques de prise en charge de la personne
placée sous main de justice à tous les acteurs concernés
(institutionnels, associatifs, universitaires, médias,
familles...). Il s’agit de procéder à un état des lieux
non seulement de l’existant, mais aussi des avancées
possibles au regard des politiques mises en œuvre
ailleurs, des recherches dans le domaine, et des
réalités économiques, sociales, culturelles et politiques
locales. In fine, ces travaux devront déboucher sur des
recommandations qui, pour celles qui seront validées à
l’échelon politique, conduiront à l’élaboration de plans
d’action destinés à les mettre en œuvre.
- La formation au management des hauts cadres, avec visites d’étude, actions de formation aux
techniques modernes de management, - évaluation,
GPEC, MPO, communication, management participatif…-
à destination des cadres identifiés, ceux-ci bénéficiant
ensuite d’un accompagnement individualisé.
- La conception de référentiels métiers et compétences indispensables à la mise en œuvre
efficace et concrète des réformes en cours – référentiels
métiers, de compétences, référentiel pédagogique,
des pratiques professionnelles, et les fiches de postes
correspondantes : le jumelage y apportera un appui
méthodologique, et contribuera, de la même manière,
à l’élaboration d’une charte déontologique.
- Le renforcement des compétences du personnel pénitentiaire, sur la base de l’évaluation
institutionnelle, organisationnelle et pédagogique du
Centre National de Formation des Cadres (CNFC) à
laquelle il sera procédé, avant la mise en œuvre d’un
important volet de formation d’experts en ingénierie de
formation et ingénierie pédagogique.
Par ailleurs les chefs d’établissements et adjoints
recevront une formation d’adaptation à la fonction sur des
thématiques qu’un audit préalable réalisé en concertation
avec les acteurs concernés aura permis d’identifier.
Enfin, des visites d’étude ciblées permettront d’aborder
des sujets plus spécifiques, tels le renseignement
pénitentiaire, le travail pénitentiaire ou la prévention de
la violence en milieu carcéral.
Des agents pénitentiaires seront aussi spécialement
formés aux techniques d’intervention, sur le modèle
français des équipes régionales d’intervention et de
sécurité.
Enfin, il est également prévu de former des personnels
médicaux aux particularités de l’action sanitaire en milieu
carcéral.
Il est notable qu’outre ces activités opérationnelles,
le jumelage comporte également une action visant à
rapprocher la DGAPR du monde universitaire, dont il
est attendu notamment une participation active à la
Conférence de consensus et, plus largement, à la conduite
de recherches appliquées au champ carcéral.
On ne peut mieux affirmer le lien entre ce jumelage et
les institutions françaises qui, sous le pilotage de JCI, ont
la charge de le mettre en œuvre, et en particulier avec
l’Enap. Dans la continuité d’actions bilatérales qu’elle a
déjà conduites au Maroc, celle-ci se trouve aujourd’hui
impliquée à plus long terme pour ses compétences en
matière de formation, mais aussi pour l’expérience de
ses chercheurs.
Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiairePanorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire
42 43

Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire
La première vertu de cette présentation est de mettre en évidence une ouverture à l’international sur laquelle notre administration
pénitentiaire communique trop peu, alors que les
comparaisons avec d’autres systèmes pourraient
permettre de relativiser une bonne part des clichés
défavorables dont elle pâtit.
L’inventaire des actions de coopération internationale
du secteur pénitentiaire fait en soi la démonstration de
l’intérêt que présente une telle ouverture, fruit de la triple
intervention de l’administration centrale, de l’ENAP et
de JCI.
• Il s’agit, d’une part du rayonnement à l’étranger de
nos institutions : Le savoir-faire de notre administration
pénitentiaire, son expérience et la qualité de son
action sont internationalement reconnus, beaucoup
plus au demeurant qu’au sein de notre propre pays,
où, nonobstant ce qui effectivement reste à faire, les
évolutions remarquables de ces vingt dernières années
ne sont pas suffisamment mises en exergue.
• Mais, ces institutions gagnent d’autre part, en retour, dans
cette activité internationale, les moyens d’améliorer la
mise en œuvre de leurs missions propres :
La manière dont l’Enap utilise les relations tissées avec
ses homologues étrangers dans le cadre d’échanges
divers pour internationaliser et perfectionner le contenu
de ses activités de formation et les qualités pédagogiques
de ses formateurs fournit à cet égard une illustration
particulièrement démonstrative.
Mais aussi, les rapprochements entre administrations
pénitentiaires nés de ces activités facilitent la
communication entre notre Direction de l’Administration
Pénitentiaire et ses homologues étrangères, qu’il s’agisse
de régler des questions purement opérationnelles ou de
susciter une relation politique.
En fournissant, dans le cadre des projets multilatéraux,
l’expertise pénitentiaire de grande qualité de la DAP et de
l’Enap, JCI, de son côté, consolide à la fois ces relations
et sa propre crédibilité, ce qui lui permet d’accéder à de
nouveaux projets, qui à leur tour constituent un ferment
pour la création de nouveaux liens bilatéraux.
La seconde est non pas de susciter la réflexion sur
ce qu’il conviendrait de faire pour améliorer la qualité
et l’impact de ces activités internationales, car une telle
réflexion existe déjà, mais de permettre de croiser et mettre en commun les points de vue émis à ce
sujet par les acteurs de la coopération à l’occasion de
l’élaboration de cette synthèse.
À cet égard, l’Enap relève en premier lieu que sa politique
d’accueil et de formation de professionnels étrangers,
qui exige en pratique, des stagiaires souhaitant assister
à une formation, qu’ils comprennent ou apprennent le
français, pourrait être ouvertement associée à une action
de promotion et de soutien de la langue française, en
particulier à l’égard des les pays francophones d’Afrique :
Algérie, Maroc, Bénin, Burkina Faso, Congo, Côte d’Ivoire,
Gabon, Guinée, République Centrafricaine, Sénégal,
Tchad, Togo, Tunisie, avec lesquelles l’École travaille
de longue date.
Elle regrette ensuite l’insuffisance de l’information fournie
par le partenaire institutionnel qui sollicite son intervention,
sur la situation des pays dans lesquels une action doit être
menée, ce qui rend difficile d’organiser des programmes
et des modalités d’interventions adaptés à l’hétérogénéité
des objectifs et aux enjeux propres à chaque pays, surtout
lorsque l’administration pénitentiaire requérante est dans
une situation de vulnérabilité. Elle souhaiterait pouvoir
être destinataire d’un dossier complet tenant compte des
priorités de l’administration en demande, qui comporterait
des éléments liés à la géographie, l’histoire, la culture
et la langue.
Elle déplore également l’absence de retour sur la
formation reçue par les stagiaires étrangers qui en ont
bénéficié, qui lui interdit de s’assurer de l’efficacité de
l’aide et de la pertinence des programmes de formation,
cette analyse des résultats étant également indispensable
pour améliorer la pertinence et l’efficacité des programmes
de coopération effectués par des personnels de l’Énap
envoyés dans un pays étranger, notamment dans le cadre
des jumelages européens. À défaut, elle déplore de ne
pouvoir mieux apprécier le contexte et les enjeux du
développement attendu, mieux responsabiliser les acteurs
chargés de leur mise en œuvre, et tirer un meilleur profit
des expériences passées.
Elle propose enfin de tourner la recherche vers l’étranger,
en développant un engagement du CIRAP dans des
actions orientées vers des administrations étrangères,
selon une charte qui pourrait garantir la pertinence de
programmes de formation à long terme, débouchant par
la suite sur des recommandations opérationnelles
- d’une part, en matière de formation, on pourrait ainsi
majorer la pertinence du contenu des programmes de
formation proposés, par exemple en élaborant des
recommandations opérationnelles,
- d’autre part, un volet « recherche » pourrait être intégré
dès l’origine à tout contrat ou programme de coopération,
III. PERSPECTIVES ET CONCLUSIONS
Panorama de la coopération internationale dans le domaine pénitentiaire
portant sur une ou des problématiques communes aux
administrations pénitentiaires, identifiables quelle que
soit la singularité du pays : prise en charge de publics
spécifiques, traitement de la surpopulation, difficultés de
management, nouvelles modalités de prise en charge,
à l’évaluation des actions…
Les préoccupations ainsi exposées sont d’autant plus
légitimes que le questionnement qui les sous-tend
– comment donner plus d’effectivité aux actions de
coopération internationale – intéresse en fait, au-delà
du domaine pénitentiaire, l’ensemble de la coopération
judiciaire.
Les principes de solutions préconisés ne peuvent
qu’également recueillir l’adhésion, s’agissant d’améliorer
l’information en amont de manière à mieux cibler les
actions, puis d’améliorer la mise en commun et la
restitution des résultats en aval, pour en rendre la plus-
value à la fois visible et effective.
Pour les mettre en œuvre, les moyens et contraintes de
chacun, différentes selon leur positionnement respectif,
doivent être pris en compte, cela sans préjudice que
chacun s’attache, de son côté, à minorer dans la mesure
du possible ses propres imperfections fonctionnelles.
En tout état de cause, fluidifier la communication pour
assurer meilleures coordination et cohérence des actions,
en s’attachant également à ce que toutes les informations
disponibles circulent effectivement vers qui peut en avoir
l’utilité, serait sans aucun doute un premier pas utile.
Il reste que même en l’état des imperfections relevées, la
coopération internationale dans le domaine pénitentiaire
de la France est en pointe, constituant même la figure
de proue de notre coopération judiciaire dans les trois
pays du Maghreb. La confiance renouvelée de l’Union
européenne, bailleur de fonds des trois jumelages qui
y sont conduits, dit en soi l’implication et les mérites de
l’expertise fournie par la DAP et l’Enap, qui est tout aussi
particulièrement appréciée par les bénéficiaires.
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Les Cahiers de JCIJustice Coopération Internationale
édition 2018
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Justice Coopération Internationale – JCIGroupement d’Intérêt Public
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