Les cahiers - Association Française Communication Interne · 2017-11-10 · Pour les communicants,...

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DOSSIER Comment l'environnement de travail peut-il influer sur l’épanouissement individuel et la performance collective ? Quels sont les moyens d'action du communicant interne ? Le bien-être au travail : un vrai levier de changement dans les organisations Les cahiers de la communication interne ET DANS CE NUMÉRO Baromètre 2012 de la fonction communication interne : des communicants de plus en plus engagés dans l’accompagnement du changement Onema : de quelle façon une démarche scientifique peut aider les communicants dans la mise en œuvre de leur stratégie ? Le fait religieux en entreprise : une affaire à suivre n°30 juin 2012 - 25

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DOSSIER

Comment l'environnement de travail peut-il influer surl’épanouissement individuel et la performance collective? Quels sont les moyens d'action du communicant interne?

Le bien-être au travail :un vrai levier de changementdans les organisations

Les cahiers de lacommunication interne

ET DANS CE NUMÉRO • Baromètre 2012 de la fonction communication interne : des communicants de plus en plus engagés dans l’accompagnement du changement •

Onema: de quelle façon une démarche scientifique peut aider les communicants dans

la mise en œuvre de leur stratégie? • Le fait religieux en entreprise : une affaire à suivre •

n°30juin 2012-25€

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SOMMAIREACTUALITÉSPrix Afci : dialogue interne, culture d’entrepriseet nouvelles technologies au cœur de l’édition 2011 4Catherine Petithomme

Quand la parole donne du pouvoir d’agir aux salariés 7Emmanuel Pasquier

Des communicants de plus en plus mobilisés sur l’accompagnement du changement et la transversalité 11Baromètre Inergie-Afci 2012 de la fonction communication interne

L’histoire, levier de communication 15Pierre Labasse

Quel diagnostic pour une action juste en matière de communication interne? 18Gisèle Parfait, Céline Goupil

Le fait religieux en entreprise : une affaire à suivre 21Sophie Gherardi

DOSSIER

Le bien-être au travail : un vrai levier de changement dans les organisations 25

Bien-être au travail : un levier de la performance et de la productivité? 26Françoise Plet-Servant

Au travail, c’est la vie qui se joue ! 30François Hubault

Prévenir les risques psychosociaux pour développer le bien-être dans l’entreprise 33Philippe Douillet

Le management humain passe d’abord par la chasse aux « irritants » 36Hubert Landier

Bien-être au travail : les bonnes recettes existent-elles? 39Armando Amselem, Paule Arcangeli, Arnaud Garni, Denis Marquet

Points de vue 43Communication : responsable mais pas coupable ! • La Diagonale du Fou

Vues d’ailleurs 44Mouvement Desjardins : une communication interne au service d’un projet coopératif

Lu pour vous 46L’Entreprise du bonheur • Indiscipliné • Liberté & Cie • Les réseaux sociaux d’entreprise • Le livre noir du management • Secrets de managers

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LResponsabilité socialeet environnementale :une chance pour lacommunication interne

ÉDITORIAL

Le décret d'application de l'article 225 de la loi Grenelle 2 a été publié enavril 2012. Il impose aux entreprises de plus de 500 salariés de rendre comptedes informations sociales, environnementales et sociétales au sein de leurrapport de gestion, et ceci dès 2013. Ce décret plus exigeant que la loi NRE- Nouvelles régulations économiques - votée en 2001 représente un grandpas en avant et répond à un changement profond de la société civile.On peut toutefois regretter que les petites et moyennes entreprises ne soientpas concernées par ce texte : bon nombre de salariés échapperont ainsi à ceprogrès en matière de transparence dans les pratiques de gouvernance.

Après des effets d'affichage – avec parfois peu d'éléments de preuve pourcertaines entreprises –, la loi impose désormais la publication de donnéesmesurées, comparables et donc opposables pour démontrer les progrèssociaux, environnementaux et sociétaux. Aux résultats financiers intégrésdans le rapport de gestion soumis aux instances de direction s’adjoindrontdésormais les questions de développement durable et de responsabilitésociale. Le fait de globaliser ces données dans un même document permettrad'avoir une vision transversale des efforts et des investissements de l'entreprise et d’apprécier la cohérence des actions menées. L'autre aspect relève du symbolique mais il est puissant : il montre quedésormais les organisations prennent en considération, dans leur modèlede gouvernance, les défis de la société contemporaine et répondent en celaaux préoccupations de nombre de salariés soucieux d'éthique.

Pour les communicants, ce décret va dans le sens de leurs actions et deleurs efforts à faire correspondre actes et discours. Ces nouveaux indicateursvont renouveler le champ de la communication interne. L'entreprise s'ouvrede plus en plus à la société civile et cette nouvelle posture est en train derefondre le rapport du salarié à son travail, à son entreprise, et in finela valeur « travail » dans la société. Le salarié devient un acteur de pleindroit dans la transformation de la société au travers de ses activités au travail. De beaux sujets en perspective pour la communication internequi pourra valoriser ces démarches.

Françoise Plet-ServantRédactrice en chef des Cahiers de la communication interne

Administratrice de l’Afci

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Dialogue interne, culture d’entrepriseet nouvelles technologies au cœur del’édition 2011

Ce prix a été décerné à Stefana Broadbent, ensei-gnante en anthropologie numérique à l’UniversityCollege de Londres et spécialiste de l’usage des nou-velles technologies. L’auteur s’est appuyée sur quinzeannées de recherches pour son ouvrage « L'intimitéau travail - La vie privée et les communications per-sonnelles dans l'entreprise » (FYP éditions). En lerécompensant, l’Afci a souhaité mettre en avant l’ana-lyse de Stefana Broadbent sur le nouveau rapport dessalariés à leur travail et à leur entreprise. À l’heureoù se développent les réseaux sociaux internes à

l’image des réseaux sociaux externes (Facebook,Twitter…), il paraît indispensable pour les communi-cants de réfléchir à l’effritement de la frontière entreusages privés et usages professionnels, à leur conver-gence, pour mieux comprendre comment ces phéno-mènes affectent aujourd’hui les communications etles relations au travail.

Avec la révolution industrielle s’est imposée l’idée que,pour être productif, lieu de vie et lieu de productiondevaient être séparés. Or, aujourd’hui, les technologies

Le Prix Afci du livre : une réflexion sur l’évolution profonde du rapport entre vie privée et vie professionnelle

Prix Afci

La remise des Prix Afci 2011 s’est déroulée sous la présidence de Patrice Papet, directeurgénéral délégué à l’organisation, aux ressources humaines et à la communicationinterne de France Télévisions. Ces Prix viennent récompenser des livres et mémoiresabordant des problématiques RH et managériales concrètes et montre, une fois encore,combien la pratique des responsables de communication s’inspire des sciences sociales.

De gauche à droite : Patrice Papet, Emmanuel Pasquier, Stefana Broadbent, Marion Bonnet, Guillaume Aper

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mobiles permettent à tous les salariés de communiquerà tout moment avec leurs proches, phénomène queStefana Broadbent qualifie sans hésitation de révolu-tionnaire. Une des implications majeures de ce boule-versement serait l’ébranlement des frontièreshiérarchiques: il n’y a pas si longtemps encore, seul lehaut de la pyramide avait accès à un téléphone!Le vrai changement serait donc d’ordre symbolique ;il touche à la nature de l’échange. L’irruption de la sphèreprivée dans la sphère professionnelle suscite desinquiétudes.Pourtant, l’auteur constate que la pratique des com-munications personnelles ne nuit pas à la productivitéet bat en brèche deux a priori répandus : tout d’abord,le temps passé aux communications personnelles nepèse pas significativement dans la journée de travail(les échanges sont souvent courts et le nombre d’in-terlocuteurs réduit). Le pont entre ces deux universparticipe même au bien-être au travail. Les SMS ouappels téléphoniques privés viennent se substituer àla pause cigarette ou pallier la disparition des lieux de

relaxation comme les coins repas ou café dans lesentreprises. Les individus sont aujourd’hui habitués àcommuniquer avec leurs enfants après l’école ou leurconjoint au cours de la journée. Ces échanges sontimportants pour eux, logistiquement et émotionnelle-ment. En réponse à un espace professionnel souventdur à vivre et peu sécurisant, l’espace familial est « surinvesti » depuis quelques années.Face à ces nouveaux comportements, les réactions desorganisations sont d’ailleurs extrêmement révélatricesde leur style de management et du niveau de confiancequi y règne. Ainsi, plus l’activité est orientée sur des pro-jets, avec une marge d’autonomie importante laissée àchacun dans l’organisation de son travail, moins il y a decontrôle sur les communications privées. Dans ce contexte,les interdictions s’avèrent inutiles car les moyens decontournement apparaissent immédiatement.Jouer la confiance, discuter au cas par cas s’il y a desabus, devraient être les pratiques des organisations.Le problème, là encore, n’est pas tant l’accès à la tech-nologie que les comportements.

Le Prix 2011 a été décerné à Marion Bonnet, diplôméedu Master 2 Communication publique de l'IEP de Lille,pour son travail sur « La culture d’entreprise commelevier de management au cœur de la communicationinterne » (appliqué au cas d’Areva). Le jury a souhaitérécompenser ce mémoire qui offre une double lecturede l’organisation: la culture et les pratiques de l’entre-prise - par ailleurs très bien décrites - et les repèresméthodologiques qui permettent d’en faire l’analyse.La problématique de la culture est au cœur de nospratiques de communicants et nous amène souvent ànous poser la question: la culture est-elle une simplerecette ou un véritable levier de changement?

Dans une première partie, Marion Bonnet se demandesi la culture d’entreprise ne serait pas devenue une« recette miracle » pour améliorer les performancesde l’entreprise au gré de ses stratégies, sur le moyenet le long terme. Sa question trouve des réponsesdans le cas de l’entreprise publique Areva, qui a dû transformer son modèle pour évoluer vers unfonctionnement de type « entreprise privée ». Sonétude est d’autant plus intéressante que plusieurs

grandes entreprises, d’énergie ou de téléphonie, sontaujourd’hui engagées dans cette même démarche.Rappelons qu’Areva est né en 2001 du regroupementde l’ensemble des métiers du nucléaire et de la fusionen son sein de quatre filiales : Cogema, Framatome,CEA, et Technicatome.Puis, Marion Bonnet décrit les différents process detransformation qui ont permis de définir une cultureinterne commune :• une nouvelle organisation matricielle, orientée client,en Business Units, accompagnée d’une terminologieelle aussi business ;• une démarche unificatrice de storytelling, amplifiéepar le charisme de sa Présidente, Anne Lauvergeon,présentée comme héroïne ou star ;• un travail collectif d’écriture des valeurs de la charteAreva.Dans une seconde partie, l’étudiante constate que la culture d’entreprise peut être un véritable levierde management si cette dernière est partagée parl’ensemble des salariés et s’inscrit bien dans le cadred’une communication interne.Elle pose ensuite la question de la diffusion de cette

Le Prix Afci du mémoire : du lien entre culture et management

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6 Les cahiers de la communication interne n°30 - Juin 2012

Héloise Barreau de l’lRCOM « Les enjeux de lacommunication 2.0 pour les entreprises »

Caroline Fauchet de l’Université de Rennes 2 « Web 2.0, réalité ou utopie ? »

Franck Jamet du Celsa « Blog des salariés, un autre discours ? »

Quentin Jehansart de l’UniversitéCatholique de Louvain « Responsabilité Sociétale del’Entreprise et CommunicationInterne »

Edouard Roche de l’UniversitéParis Est Marne-la-Vallée « Communication managériale et bien-être en entreprise, del’éthique dans le management »

Claire Chevalier de l’ISCPA « Les fondations d’entreprises et leur rôle communicationnel »

Tatiana Domingues Aguiarde l’Université Grenoble-Stendhal «La communication engageante»

Justine Daragon de l’IEP de Lille « Le journal interne ou lachronique d’une mort trop viteannoncée »

Prix Afci

culture. Les nouveaux vecteurs sont les outils d’infor-mation descendante pour un discours Groupe unifié,la mise en place d’une communication transverse àtravers la création d’espaces de travail décloisonnés,et encore l’événementiel où le sport prend une placecentrale.Enfin, le département du Marketing RH joue un rôle pri-mordial dans la promotion de cette nouvelle culture.Pour atteindre ses objectifs, le marketing RH identifieles managers comme ses cibles privilégiées car ils sonteux-mêmes des communicants. Les salariés de la fonc-tion RH deviennent, eux, des commerciaux en produitsRH et le salarié un consommateur de ces outils.La culture est unifiée grâce à de nouvelles pratiques RHqui ont comme but de faire de chaque salarié l’acteur desa carrière. Ces pratiques véhiculent une culture issuedu privé qui promeut des mécanismes d’autogestion dusalarié garantissant l’intériorisation et la pérennité deces normes.

Les limites de cette culture sont néanmoins posées :ne risque-t-elle pas de favoriser le politiquement correct, le formatage des embauchés et d’occulter ladimension politique de la gouvernance ?Marion Bonnet conclut en rappelant qu’une culturepréconçue ne peut être un moyen pour l’entreprised’atteindre ses objectifs ; en revanche, sa traductionconcrète dans les processus de travail et les modesd’organisation constituent un levier puissant de mana-gement pour obtenir les résultats escomptés.

Compte-rendu réalisé par Catherine Petithomme,consultante et trésorière de l'Afci

Emmanuel Pasquier de l’Université Paris Dauphine s’est vu remettre le Prix « coup de cœur » du mémoire pour « Parole et pouvoir d’agir : les déterminants d’une régulation sociale effective »qui fait l’objet d’un article dans ce numéro (voir page suivante). Il nous expose combien la parole est importante dans les organisations de travail à condition bien sûr qu’elle s’exprime, soit écoutéeet déclenche l’action. Cette parole, en donnant aux salariés la possibilité d’agir sur leur contexte,est d’ailleurs la meilleure garante de leur santé, de la régulation sociale et, au final, de la performancede l’organisation.

Un prix « coup de cœur »

Les huit autres mémoires retenus dans la présélection du jury

Retrouvez l’interview des lauréates et les mémoires primés sur le site de l’Afci :http://bit.ly/rCrFF5

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Lauréat du mémoire «coup de cœur» du Prix Afci 2011, Emmanuel Pasquier a étudiéle rôle de la parole sur le travail comme élément protecteur de la santé des salariés.Son mémoire, réalisé dans le cadre du Master Management, Travail et DéveloppementSocial à l’Université Paris Dauphine, démontre que la parole sur le travail est un levierde performance des organisations.

Quand la parole donne dupouvoir d’agir aux salariés

Les Cahiers : Quel a été votre point de départ pourdémarrer ce travail sur la parole?Emmanuel Pasquier : C’est grâce à FrançoisDaniellou, ergonome, que j’ai pu mettre en mots uneintuition héritée de mon travail syndical sur lesrisques psychosociaux : « Les conflits psychiquessont des conflits sociaux qui n’ont pas lieu et qui sontintériorisés. Il est nécessaire de remettre sur la tableles contradictions »1. Les ergonomes nous ont montré que le travail tel qu’il se réalise ne suit jamais exac-tement les règles imaginées pour l’encadrer : il aune fâcheuse tendance à déborder la prescriptionet à lui résister. De là naissent des contradictionsentre les règles et le réel et donc des conflits sociaux.Ensuite, la théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud2 m’a fait comprendre qu’une orga-nisation est un espace dynamique de régulationconjointe entre des règles de contrôle édictées parceux qui ont en charge d’organiser le travail et des

règles autonomes produites par ceux qui ont en charge de le réaliser.

Comment avez-vous défini votre problématiquede mémoire?E. P. : La problématique de mon mémoire porte surce qui rend la régulation sociale effective - au sensoù l’entend Jean-Daniel Reynaud - pour en faire uneressource individuelle. Pour répondre à cette ques-tion, j’ai choisi de m’intéresser plus particulièrementà la parole sur le travail au sens où la régulationsociale passe par des lieux de débat où peuvent sediscuter les règles de l’organisation. À la lumière dela théorie de la régulation, il m’est apparu que si sonapplication dans les organisations était parfaite, nousne serions actuellement pas devant une épidémiede troubles psychosociaux puisque les conflitssociaux pourraient être discutés et régulés sansdevenir des « conflits psychiques intériorisés ». Cette

Emmanuel Pasquier Consultant en organisation interne, Groupe Michelin

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intuition se fonde sur le savoir ergonomique. Le travailque chacun doit réaliser au jour le jour dépasse ceque l’organisation du travail avait imaginé. Et doncchacun à son poste « régule » pour réduire l’écartentre la prescription du travail et la réalité aveclaquelle il se présente à nous. Et ce « travail sur letravail » nous le faisons avec toutes nos ressources.Mais ce travail de régulation a un coût. Et c’est quandla perception que les ressources que nous avonspour faire face sont disproportionnées avec la tâcheà accomplir que les troubles psychosociaux fontirruption. Pour le dire autrement, les troubles psy-chosociaux sont des troubles de la régulation du tra-vail quotidien.

Quels sont les freins à la régulation du travail quo-tidien?E. P. : La théorie de la régulation sociale montrequ’une organisation est une construction entre desacteurs qui souhaitent la « contrôler » en produisantdes règles (régulation de contrôle) et d’autres quiappliquent les règles et souhaitent voir reconnueleur autonomie à les modifier (régulation autonome).Pour arrêter des règles communes et permettre àl’organisation d’être opérante, les différents acteursdoivent échanger, soit par le conflit soit par la négo-ciation afin de rendre ces règles légitimes (régulationconjointe).

Pourquoi est-il si difficile de discuter sur son tra-vail ?E. P. : Pour assurer une régulation conjointe qui per-mettra de rendre les règles d’organisation opérantes,le manager devrait être à l’écoute du collectif pourque soient débattues les contradictions.La réalité actuelle du travail montre que la mise enplace de tels espaces de « discussion » n’est pas uneévidence.Deux raisons peuvent être mises en avant : d’une part,la difficile humilité managériale. En effet, en France,l’école n’a pas pour vocation de maximiser le potentielde chacun mais de sélectionner les meilleurs sur descritères qui fluctuent en fonction des époques. Etl’image que le système leur renvoie est que, s’ils sontarrivés là, c’est qu’ils sont « meilleurs » que les autresqui se sont arrêtés à des niveaux inférieurs. Au seindes entreprises, ils deviennent managers et doncprescripteurs de règles. Quand viennent les retoursdes collaborateurs pour pointer les contradictionsde la prescription avec la réalité du travail, ces mêmesmanagers ont, dans l’ensemble, le plus grand mal àremettre en cause leur production. D’autre part, enFrance les directions ont adopté depuis longtemps« un modèle de représentation de l’entreprise et dutravail en lequel la confiance demeure la plus grande » 3:

le modèle de l’ingénieur. « Il s’agit là d’un modèle quirefuse toute confiance à l’opérateur, qui loge toutpouvoir de décider dans les mains […] de ceux quisavent ». Ce modèle repose sur un principe puissantet fiable, « celui de modéliser systématiquement laréalité pour la faire tenir dans des lois rendant […]les actions prévisibles ». Évidemment, il n’en est rien.Quelles que soient les capacités intellectuelles desingénieurs, la réalité du travail échappera toujourspour une partie aux prévisions comme « une partirréductible d’inconnu ».

Pourquoi la coopération est-elle aussi compliquéeà mettre en place?E. P. : Depuis une vingtaine d’années, les entreprisessont prises dans une valse de changement. Ce quifait dire à Norbert Alter, sociologue des organisations,que nous sommes entrés dans l’ère du « mouve-ment ». Par cette dynamique, la capacité des per-sonnes à coopérer est mise en péril. Dans desorganisations de plus en plus complexes pourrépondre aux exigences nouvelles « la compétenceest devenue collective : la réalisation du travail sup-pose l’intégration de connaissances et de savoir-faire qu’aucun opérateur ne détient tout seul. Il fautdonc coopérer avec les autres »4. Mais la coopérationne se décrète pas. Elle trouve ses marques dans untemps long qui assure la réciprocité de l’échange.Réduire la capacité des personnes à coopérer, c’estamenuiser la possibilité de régulation autonome.

Et comment expliquez-vous l’affaiblissement dela régulation conjointe?E. P. : Je relève deux facteurs. Tout d’abord la faiblessede la représentation des salariés. La puissance syn-dicale d’hier a cédé le pas à ce qu’il est convenu d’ap-peler aujourd’hui « le déclin du syndicalisme à lafrançaise » 5. Des nombreuses raisons qui ont conduità ce déclin, nous retiendrons la primauté du vote surl’adhésion pour asseoir la légitimité, l’éloignementdes militants du quotidien des travailleurs, et lemalaise des organisations syndicales vis-à-vis desquestions relatives à la subjectivité. Les représen-tants du personnel ont perdu la capacité d’être desacteurs de la régulation conjointe en assurant, parle conflit et la négociation, que soient discutés lessujets qui touchent au quotidien des travailleurs. Et enfin, l’impossible mission du manager qui doit assu-mer deux rôles: celui de « gestionnaire de proximité »6

au sens où il doit assurer les résultats fixés, et celuid’« organisateur du travail » au sens où il met enplace l’organisation et l’ajuste face aux événements.Le manager devient dans cette tension « l’absorbeurd’écart » qui permet de faire tenir les exigences deperformance avec les perturbations de l’environne-

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ment. Mais ce volet d’organisation du travail est sou-vent dénié au manager dont les marges de manœuvrese réduisent à mesure que le contrôle s’intensifie. Il n’est donc plus en capacité de prendre en comptela réalité des équipes et d’opérer sur son contexteune régulation entre des objectifs vécus commeimpérieux et les difficultés du quotidien. Nous tou-chons là au cœur de la régulation conjointe.

Comment avez-vous mené votre étude?E. P. : Le but de l’étude était de confronter sur le terrainles déterminants d’une régulation sociale effectiveidentifiés à travers la littérature mais aussi des entre-tiens avec des professionnels qui ont mis en placedes lieux de parole sur le travail. L’étude s’est dérouléedans deux centres de personnes handicapés (un ESATet un foyer occupationnel) qui tous deux avaient despratiques de parole sur le travail (par obligationconventionnelle) mais des climats sociaux trèscontrastés. L’intuition a donc été de mener une étudecomparée de ces deux centres avec l’idée de montrer,via les espaces de parole sur le travail, la pertinencedes déterminants (voir tableau page suivante) iden-tifiés de façon déductive. L’idée de cette étude étaitde mettre en évidence les déterminants d’une régu-lation sociale qui la rendrait effective et protectricecontre les risques psychosociaux. Même s’il paraîtdéraisonnable de voir un lien univoque et bijectif entrela capacité de débattre de son travail collectivementet l’état de santé d’un collectif, les entretiens montrentque la capacité donnée aux opérateurs de s’exprimersur leur travail participe de la santé, à condition quecette parole soit un vecteur de transformation. Et cer-tains déterminants sont plus importants en termesde régulation et donc plus protecteurs en termes desanté.

Quelles sont vos conclusions?E. P. : S’il n’y avait qu’un seul déterminant à retenirce serait celui de l’importance de l’intégration orga-nisationnelle de la parole. La comparaison croiséeentre les deux établissements montre bien que parlerne suffit pas pour réguler le travail. Il faut s’assurerque cette parole a une capacité de transformation.C’est ce qui donne aux organisations de l’efficacité et de la réactivité mais participe aussi à la qualité de vie car chacun dispose alors d’un pouvoir d’agirsur son contexte.La culture de dialogue est déterminante pour que larégulation sociale soit effective. Mais que faire dansdes contextes où elle serait absente? Si on ne décrètepas une culture de dialogue, on peut réfléchir à samise en place.Une première approche pourrait être d’assurer uneconfidentialité des propos échangés pour donner

des gages à ceux qui « se livrent » afin que leurparole ne puisse pas être dévoyée. Ce qui doit êtrevrai pour la hiérarchie mais aussi pour les pairs.Cette étude dresse un tableau – non exhaustif – dequalités managériales qui assurent aux espaces deparole une capacité de régulation. Il y a d’abord laqualité de l’écoute que nous avons retenue commedéterminant. Mais aussi la bienveillance qui est liéeà l’humilité et qui permet d’écouter chacun pour cequ’il est et de le prendre là où il en est. Vient ensuitela discrétion qui permet d’assurer la confidentialité.Puis la rigueur pour suivre les points remontés etla pugnacité pour les traiter. Enfin, la capacité à sedégager des marges de manœuvre pour mettre enplace des solutions qui permettent de réguler lesdifficultés vécues.

Quelles sont vos pistes d’action?E. P. : Tout d’abord, il faut ouvrir aux opérateurs desespaces de discussion sur le travail car c’est leurdonner du pouvoir d’agir sur celui-ci et, donc, de letransformer. Mais c’est aussi, pour l’organisation,un gisement de performance. Cette dernière se tra-duisant par sa capacité à réagir rapidement et effi-cacement aux dysfonctionnements et aléas que lesopérateurs rencontrent dans le réel du travail. Encela, la performance est quotidienne et répond à unimpérieux besoin de subsidiarité au sens où JohannPetit, chercheur en ergonomie7, le souligne « veillerà ne pas faire à un niveau hiérarchique donné ce quipeut l’être avec plus d’efficacité à un échelon infé-rieur ». Et les espaces de discussion sur le travailsont les lieux les plus efficaces pour partager,confronter et résoudre les dysfonctionnements. SelonMathieu Detchessahar, chercheur en sciences degestion8, il est indispensable de réfléchir à « l’ingé-nierie des espaces de discussion sur le travail ». Et ce sur trois plans : au sein de l’activité pour par-tager, confronter et résoudre les dysfonctionnementsqui relèvent de l’activité couverte par un collectif detravail ; entre les activités pour que soient discutésles attendus et contraintes d’activités liées entreelles dans une logique processus ; enfin, au sein duprocessus pour faire évoluer les règles transversesqui amènent des dysfonctionnements dans le quo-tidien des opérations.

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Références bibliographiques1 François Daniellou. Reprendre la parole sur le travail .

Revue Santé et Travail. N°69, p. 7. Janv. 2010. 2 Jean-Daniel Reynaud. Les règles du jeu, Armand

Colin, 19933 Pascal Ughetto. Faire face aux exigences du travail,

Lyon, ANACT, p. 105, 20074 Norbert Alter. Régulation sociale et déficit de

régulation, in de Terssac, Gilbert et al., La théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud,La Découverte, p.82, 2003

5 Dominique Andolfato et Dominique Labbe, Toujoursmoins, le déclin du syndicalisme à la française,Galimard, 2009

6 Antoine Masson. Pistes pour pérenniser un mana-gement du travail : redéfinir le rôle du management,www.demarchecompetence.com/uploads///Media/construireunedemarche/Points_cles_demarches/Management_w/Redef_role_management.doc

7 Johan Petit et al, L’intervention ergonomique surles risques psychosociaux dans les organisations :enjeux théoriques et méthodologiques, RevueFacteur Humain, 2011

8 Mathieu Detchessahar et al. Les déterminants orga-nisationnels et managériaux de la santé au travail :l’enjeu de la parole sur le travail, ANR - Étude SORG,septembre 2009

Les déterminantsde la régulation sociale• La culture de dialogue : la possibilité de la discussion sur le travail - au sens de la communication et non de la simpleinformation - repose sur l’existence d’une culture de dialogue au sein de l’organisation.

• L’intégration organisationnelle de laparole : toute formalisation de la parole au sein d’une organisation impose deréfléchir son intégration pour mettre envisibilité ce que deviendra cette parole et en quoi elle s’inscrit dans un processusde transformation.

• Les marges de manœuvres managériales :une parole peut être en capacité detransformation si les managers ont eux-mêmes les marges de manœuvrepour régler les problèmes qui sontremontés par les équipes.

• L’apprentissage organisationnel : une organisation au sein de laquelle lesopérateurs seraient en capacité de faireremonter les erreurs et le managementde les prendre en compte pour lescorriger serait une organisation où la parole sur le travail est autorisée et où les règles de la définition du travailpeuvent être mises en débat.

• La qualité de l’écoute : l’écoute desmanagers est essentielle pour assurerdes lieux de parole qui régulent lequotidien du travail. D’une part, pourcomprendre ce qui s’exprime et le mettreen débat avec le risque de voir remises en cause des décisions managériales et,d’autre part, pour laisser une place àl’expression de l’intelligence que chacunporte sur son travail.

• La coopération : il n’y a pas de régulationconjointe possible sans coopération entreles acteurs. Et particulièrement entre lesmanagers et leurs équipes.

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L’édition 2012 du baromètre Inergie-Afci de la fonction Communication interne faitapparaître des évolutions notables, mais aussi des invariants dans les enjeux et les pratiques de la fonction. Nous avons demandé à trois experts et praticiens dela communication interne – Guillaume Aper, président de l’Afci et directeur-adjoint de la communication de JCDecaux, Catherine Broyez, directrice d’études au sein dupôle Opinion du cabinet Inergie et Vincent Brulois, enseignant-chercheur, directeurde l’UFR Communication de l’Université Paris 13 – de décrypter quelques-unes desdonnées de cette étude.

Des communicants de plus en plus mobilisés sur l’accompagnement du changement et la transversalité

Ce baromètre montre que la fonction Communicationinterne est plus que jamais au cœur des transfor-mations des organisations. Comment analysez-vouscette donnée?

Guillaume Aper : Les évolutions permanentes desorganisations ont placé le communicant interne aucentre de mutations stratégiques qu’il doit désormaisaccompagner : porosité de l’interne et de l’externe,internationalisation, adoption de nouvelles méthodesde travail en mode projet qui exigent une transversalitésans faille au sein des équipes… Dans cet environ-nement de plus en plus complexe, le communicantest plus que jamais au service et à l'intersection desdeux mondes, celui de la direction et celui des salariés.

D’un côté, il doit aider le management à analyser lesattentes et les mutations internes et donc à éclairerles choix. De l’autre côté, il doit garantir la cohérencede la parole de l’entreprise, rendre simple la com-plexité ; en un mot, continuer à construire du sens.C’est pourquoi le communicant est aujourd’hui, etsera sans doute de plus en plus, celui qui pose desmots sur les transformations et donne du temps auxsalariés pour les comprendre et s’y adapter.

Catherine Broyez : Je partage cette analyse. La crisede ces dernières années a conduit les entreprises àrevoir en profondeur l’efficacité de leur organisation :plus de la moitié d’entre elles sont concernées parune réorganisation selon une récente étude menée

Guillaume Aper Catherine Broyez Vincent Brulois

DÉCRYPTAGE BAROMÈTRE INERGIE-AFCI 2012

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auprès des DRH2. Dans ce contexte, il est logique devoir les communicants internes fortement mobiliséssur l’accompagnement de ces changements. Ils doi-vent bien sûr répondre à un besoin accru de péda-gogie, pour expliquer, donner du sens à cestransformations, faire le lien avec ce que vivent lessalariés sur le terrain ; mais surtout favoriser leséchanges humains : donner l’occasion aux salariésd’exprimer leurs doutes, leurs interrogations, aiderles managers à leur apporter, sinon des réponses,du moins la possibilité de confrontation de points devue. Tout changement est vecteur d’incertitudes etde craintes et c’est dans la relation aux autres etl’échange que l’on peut trouver ses sources de réas-surance, de confiance et de mobilisation. La fonctionse retrouve dès lors investie d’une mission qui dépas-se largement celle de l’information (savoir et com-prendre) pour agir sur les facteurs d’adhésion etd’implication : des enjeux qui mobilisent les commu-nicants sur l’humain et la relation, avec l’opportunitéd’ouvrir de « nouvelles voies », grâce notammentaux apports des sciences sociales et à l’émergencedes réseaux sociaux.

Vincent Brulois : J’ajouterais que la demande decohérence envers les entreprises augmente et quel’écart entre le dire et le faire est désormais insou-tenable pour les salariés. Il y a nécessité d’une com-munication interne en rupture avec les pratiquesantérieures, généralement indexées sur l’image. Lacommunication est donc plus que jamais au cœurdu fonctionnement des entreprises mais aussi dutravail : pour parler aux salariés et avoir leur écoute,il s’agit de plonger résolument dans les réalités dessituations qu’ils vivent. Face à un certain désarroi,les communicants doivent se réapproprier les ques-tions liées au travail. Dans ce contexte, cela fait doncsens de parler de communication « interne »… alorsmême que la porosité entre l’entreprise et la sociétés’est accentuée ! Paradoxe apparent car, à l’heuredu Web 2.0, il ne faut pas oublier que la communi-cation est d’abord et fondamentalement humaine,travaillant sur le sens, la relation, la proximité, lelien sans occulter les débats et les conflits.

Cette étude met également en évidence un ancrageplus fort de la communication dans les organisations,à travers une installation de dispositifs de pilotageet d’évaluation, mais aussi une sensibilité plus grande des managers au sujet. Est-ce ce que vousobservez dans les entreprises?

Catherine Broyez : Oui, ces éléments corroborenttout à fait les pratiques observées dans les entre-prises : baromètres de climat social incluant un volet

communication interne, baromètres récurrents decommunication interne, tableaux de bord proposantà la fois des indicateurs de satisfaction des collabo-rateurs et des indicateurs d’activité (taux de lectoratdes newsletters, fréquentation des sites intranet…).La communication interne acquiert ainsi une nouvellevisibilité « chiffrée » dans le pilotage global de l’en-treprise, ce qui contribue probablement à la recon-naissance de sa légitimité dans un univers guidé parla dictature du reporting. Quant aux managers, selonl’enquête ANDRH-Afci-Inergie 2011 sur la commu-nication managériale, 73 % d’entre eux (vs 66 % en2008) se disent impliqués dans leur rôle de commu-nicant. Les efforts des communicants internes entermes de mise à disposition de supports spécifiquesou d’organisation d’événementiels ciblés sur la popu-lation des managers se conjuguent à la « preuve parles faits » : un manager qui a bénéficié d’un conseilou d’une prestation du communicant saura recon-naître en lui un allié précieux.

Guillaume Aper : À l’Afci, nous constatons chaquejour que la fonction communication interne, née il y a un peu plus de vingt ans, s’est considérablementprofessionnalisée. Elle a notamment adopté des dis-positifs de pilotage qui lui permettent d’expliquer sonaction et de se placer dans une démarche de progrès.Notre association a accompagné le développementde ces démarches qui contribuent à asseoir la légi-timité et la lisibilité de la fonction au sein de l’entre-prise. Pourtant, aussi talentueux et performants quesoient les communicants internes, leur activité nepeut se substituer au travail de proximité réalisé parles managers auprès de leur équipe. C’est pourquoinous notons avec satisfaction la prise de consciencedes managers sur ce sujet. Le communicant internepourra ainsi devenir un véritable coach pour les aiderà dépasser la prise de risque que constitue le fait decommuniquer sur des sujets parfois difficiles auprèsd’une équipe.

Vincent Brulois : De façon paradoxale, la crise a pro-duit un double effet sur la communication interne :réduisant les budgets qui lui sont attribués, mais ren-forçant (quelquefois) sa légitimité. Cela est notam-ment le résultat de la mise en place ces dernièresannées d’indicateurs d’évaluation de l’efficacité desactions menées. Mais reste à savoir ce que mesurentvraiment ces dispositifs. Entre temps court et tempslong, le communicant est confronté à une juxtapositionde rythmes différents qui le tirent à hue et à dia ! Letemps de l’action (visible) n’induit pas les mêmes dis-positions professionnelles que le temps de la com-préhension et de la mise à distance. En outre, si cettecapacité à décoder les collectifs ancrés dans une his-

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toire et une culture, les communautés qui se font etse défont au gré des projets, les environnements quise décloisonnent et se recoupent, est importante etutile sur le long terme, c’est un travail bien peu valo-risé, rarement dans les radars des indicateurs etdonc, de ce fait, (presque) invisible…

L’agenda du communicant interne reste toujourstrès orienté vers les missions de production d’in-formation et d’outils, au regret des intéressés quisouhaiteraient consacrer plus de temps à l’écoutedes salariés et au conseil aux managers. Que vousinspire cet écart entre la répartition souhaitée etréelle de leur temps de travail ?

Catherine Broyez:Cet écartèlement entre les dimen-sions production et conseil semble consubstantiel dela fonction ! Inergie l’a constaté à chaque vague dubaromètre depuis plus de dix ans. Une hypothèseserait que les communicants internes investissentleur temps et leurs efforts sur les actions « visibles »et là où on les attend encore avant tout : proposer unintranet à jour, respecter les échéances de diffusiond’une newsletter, organiser la convention annuelledes managers… Pourtant, l’écoute et le conseil auxmanagers ont progressé de façon significative depuis2005. Pas assez probablement aux yeux des commu-nicants pour qui ces dimensions seraient, semble-t-il, vécues comme plus nobles et surtout plus essen-tielles à leur propre efficience. Se déplacer du matérielà l’humain, du « faire » au « penser », en un mot se« désinstrumentaliser » reste une aspiration fortedes communicants en 2012.

Vincent Brulois : Cet écart est un symptôme de lacrise du « logiciel managérial » conçu comme un outilpolyvalent pour raconter le monde de l’entreprise etagir sur lui 3. Si les communicants ont longtemps pri-vilégié – privilégient encore pour certains – une opiniondiffuse (doxa) favorisant une dimension utilitariste ettechnique de la communication, ils s’interrogentaujourd’hui sur les savoirs permettant de comprendreles transformations de l’entreprise et de ses envi-ronnements, permettant de repenser la communi-cation comme un travail de « relation » entre desindividus qui ne seraient plus qualifiés de « res-sources »… La fonction Communication est donc enpremière ligne face à ces transformations qui appel-lent à sortir du monologue adressé à des « cibles »pour entrer en dialogue avec des individus. L’Afci yrépond à sa façon en prenant des initiatives 4 quitémoignent d’un souci de mettre à distance cetteapproche instrumentale (la com’ !) au profit d’unecommunication au cœur du système organisationnelet social.

Guillaume Aper :Bien que fondamentale, la missionde production d’information du communicant internereste extrêmement chronophage, du fait notammentdu cloisonnement des activités dans nombre d’en-treprises et de circuits de validation parfois trèslourds… Les démarches et les outils ouvrant la voieà une coproduction interne de l’information, via notam-ment des intranets collaboratifs, peuvent contribuerà desserrer quelque peu ces contraintes. Pour autant,sans tomber dans un discours corporatiste, il estimportant de rappeler que la communication internenécessite des moyens. Le baromètre 2012 montreque la taille des équipes s’est encore resserrée. Sansun investissement réel dans cette fonction, celle-cise réduira à sa plus stricte expression de productriced’outils au détriment de sa dimension essentielled’écoute des salariés et de conseil au management,alors que ces aspects constituent les véritables sou-tiens de cette fonction au « business ». Le commu-nicant interne doit faire sa communication interne etdéfendre une vision de la fonction au service de laperformance économique (mais aussi sociale). Il doitégalement combattre une confusion très répandueen rappelant au plus haut niveau de son organisationqu’informer n’est pas communiquer, car les acteursd’une organisation peuvent être bien informés maistrès mal communiquer !

53% des répondants estiment que « la communica-tion est un métier global, mis au service de différentescibles et que les frontières entre interne et externedisparaissent peu à peu » alors que 46 % pensent« qu’elle fait appel à des savoir-faire particuliers etqu’il est nécessaire d’en maintenir la spécificité ».Comment vous situez-vous dans ce débat?

Vincent Brulois : Certains praticiens portent encoreaujourd’hui une vision de la communication internequi ne serait que de la communication externe « enplus petit » tandis que le salarié ne serait qu’un « clientinterne » ! Il me semble que cette position est nonseulement démentie par les faits mais aussi dange-reuse. Démentie car, ces dernières années, nombred’entreprises se trouvent interpellées (directementou indirectement) par leurs salariés. Elles tendent àse focaliser sur la valeur de la marque et sur leurvaleur financière alors que les salariés ne voient oune vivent parfois qu’une succession de restructura-tions, de délocalisations et de flexibilité généralisée.Pour eux, le sens fait largement défaut entraînant unproblème de confiance. Dangereuse aussi pour lecommunicant lui-même, car ces tensions le placentdans une situation inconfortable. S’il ne sort pas decette analogie, il risque de se trouver à la peine, conti-nuant à diffuser une information passée au tamis des

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« éléments de langage » tout en constatant le peu decrédit de la parole diffusée… C’est sa légitimité quiest alors en jeu !

Guillaume Aper : À l’Afci, nous avons la convictionque la communication interne a ses spécificités etqu’il existe des différences fondamentales avec lacommunication externe. Nous ne remettons pas encause bien sûr la porosité indéniable entre l’interneet l’externe, ni même la nécessaire cohérence glo-bale des communications de l’entreprise. Pourtant,il nous semble important de réaffirmer que les com-munications interne et externe n’ont ni les mêmestemporalités, ni les mêmes priorités. On ne sauraits’adresser à ses collaborateurs de la même façonqu’à ses parties prenantes externes, car leursattentes et leur relation à l’entreprise sont profon-dément différentes. La place croissante des enjeuxsociaux dans la communication interne vient ren-forcer ce constat. Il serait donc dangereux, commecertains le prônent, de concevoir sa communicationinterne comme une simple déclinaison d’une pla-teforme de marque. Car, comme l’écrivait déjà, en1999, Pierre Labasse, président d’honneur de l’Afci,« une organisation ne peut pas prétendre sérieuse-ment construire et imposer l’image d’elle-mêmequ’elle souhaite à ceux qui font d’elle une expériencedirecte et permanente. Ce sont eux qui se forgentune image d’elle, à partir de ses actes quotidiens et éventuellement du sens que leur confèrent sesdiscours » 5. La communication interne consiste àtravailler sur la relation et pas sur l’image. Là encore,attention aux confusions nuisibles à la performanceéconomique et sociale des organisations. Et là enco-re, le communicant interne doit faire sa communi-cation interne pour défendre cette différenceessentielle avec la communication externe : la placedu salarié.

1 Nicole d’Almeida, L’Omni-présent, Les Cahiers de lacommunication interne, n°25, p.15, décembre 2009

2 Baromètre Andrh Inergie Défis RH 2012 pourEntreprise & Carrières réalisé du 13 au 30 mars2012 auprès des professionnels de la fonction RH,membres de l’ANDRH; échantillon répondant consti-tué de 213 directeurs des ressources humaines

3 Voir le dîner-débat organisé par l’Afci le 25 octobre2011 avec François Dupuy

4 La formation Sciences sociales qui en est à sa 3e édition, la conférence-débat « Changer de regard : quand les entreprises et les sciencessociales se rencontrent », le 28 juin 2012 à SciencesPo Paris

5 Les cahiers de la communication interne, n°4, février1999

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Récits romancés ou livres plus austères, émissions télévisées et radiophoniques,expositions, musées, films, l’histoire rencontre les faveurs du public. Pourtant les entre-prises françaises ne semblent guère voir son intérêt. Certaines s’en méfieraient même,soit qu’elles redoutent de passer pour des institutions poussiéreuses alors qu’elles nerêvent que de modernité, soit qu’elles aient peur de voir le passé ressurgir et susciterdes comparaisons avec le présent. Elles font le choix de pas avoir de mémoire et consi-dèrent que seul le temps présent est digne de retenir l’attention. Pourtant, l’histoire,si elle est bien menée, est un excellent outil pédagogique, une bonne occasion d’expressiondonnée aux salariés et un puissant ressort de légitimité.

L’histoire, levier de communication

L’histoire comme révélateur de la cultureLa culture d’une entreprise – et particulièrement lesvaleurs qui en constituent l’élément le plus dyna-mique – se forme dans le temps. Elle résulte desapprentissages successifs qu’elle a faits pour devenirce qu’elle est, de la capitalisation des savoir-être etdes savoir-faire qu’elle a su mettre en œuvre, brefd’une suite d’expériences partagées. C’est dire com-bien elle est fondamentalement le fruit d’une histoiretoujours unique qui mieux que tout exprime la sin-gularité de l’entreprise. Beaucoup de personnesd’ailleurs, lorsqu’elles présentent la société qui lesemploie, commencent par expliquer comment elle aété créée et s’est développée. « L’ignorance du passéne se borne pas à nuire à la connaissance du présent ;elle compromet, dans le présent, l’action même »,

a écrit le grand historien et résistant Marc Bloch1.En relisant son histoire, l’entreprise peut améliorerla pertinence de ses choix et la justesse de ses poli-tiques. En s’attachant à la mettre en lumière, ellemontre l’intérêt qu’elle porte à son être véritable.« Avoir été, c’est une condition pour être », estimaitFernand Braudel2.Une enquête historique bien conduite peut s’avérerriche d’enseignements sur la culture de l’entreprise,sur les représentations, les normes et les valeurspartagées par le corps social. Invités à s’exprimersur les grands moments, les grands événements, les« grands hommes », les échecs, les facteurs de laréussite, l’évolution des relations humaines et du cli-mat social, les collaborateurs apporteront, sans gêneni retenue, des informations précieuses.

Pierre LabassePrésident d’honneur de l’Afci

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L’histoire comme source de légitimitéElle renforce les liens – les « affinités » – entre l’en-treprise et ses salariés, entre elle et son environ-nement local. Le passé est en lui-même, aux yeuxde pratiquement tous les publics, générateur delégitimité, source de fierté collective. La pérennité,la capacité à durer dénotent la qualité de l’œuvreaccomplie et lui donne du sens. L’ancienneté esttoujours un facteur d'authenticité, un attribut denoblesse, pour les produits comme pour les entre-prises.Le personnel vit cela avec une intensité particulière.Il est généralement très attaché à l'histoire de sonentreprise. Il se représente volontiers le passé commeune aventure dans laquelle des générations de tra-vailleurs, dont il s’estime l'héritier naturel, ont jouéun rôle éminent qui n’est pas toujours suffisammentreconnu, et en tout cas aussi important que celui dedirigeants ou de cadres qui se succèdent à un rythmerapide et ont tendance à ignorer ou à dédaigner cequi a été fait avant leur arrivée. En s'inscrivant danscette histoire, les destins professionnels les plusmodestes prennent de l'éclat. Bref, les salariés, quiont souvent la mémoire longue, s'estiment collecti-vement propriétaires de l'histoire de leur entreprise.En s’y intéressant, la direction va en quelque sorte àleur rencontre, accomplissant une démarche de com-munication au sens le plus plein du mot. C’est unemanière pour elle de reconnaître la contribution detous à la réussite et de manifester l’importance qu’elleattache à la dimension communautaire de l’entreprise,aujourd’hui malmenée par de multiples contrainteset transformations.

L’histoire comme occasionde participation et d’échangesIl n’est donc guère concevable de retracer et de « produire » l’histoire d’une entreprise sans y associerson personnel qui en est le dépositaire. Lui seul està même d’apporter de la vie, par son témoignage, sessouvenirs, les objets, les images ou les documentsqu’il peut prêter, à une trame qui risque de manquerde souffle si elle est alimentée par les seules archives.Lui seul est capable de « raconter » l’entreprise.L'histoire à réaliser doit être non seulement celle del’institution, celle des techniques et des produits, maisaussi celle des hommes et des femmes qui, à tous lesniveaux, ont bâti l’entreprise. Quelle que soit la formefinale que revêtira le projet (brochure, exposition,musée, film, articles dans le journal interne, etc.),l'expérience montre qu’il obtiendra la plupart du tempsdes concours enthousiastes à sa préparation. Il pourraaussi trouver des aides précieuses dans l'environne-ment. Car à l’extérieur de l’entreprise beaucoup degens s’intéressent à son histoire : des spécialistes

(conservateurs de musées, chercheurs, enseignants,étudiants en quête de sujets d'étude, érudits) ou desimples témoins. À travers de multiples échanges,l’histoire de l’entreprise est mêlée à celle de la col-lectivité où elle est née. Mener une telle opérationrelève donc également d'un mécénat intelligent.

L’histoire comme ressort pédagogiqueGrâce au recul et à la simplification qu’elle permet,en ordonnant et en mettant en perspective les évé-nements passés, l’histoire fait apparaître clairementles bases sur lesquelles repose la stratégie: commentpartant de sa vocation initiale l’entreprise a su adapterses métiers, son organisation et ses politiques pourfaire face aux transformations de son environnement,aux mutations technologiques, aux évolutions de sesclients et de ses concurrents. Bref, elle montre quel’entreprise, contrairement aux représentations idéa-lisées qu’on se fait volontiers de son passé et quipèsent parfois négativement sur la perception du pré-sent, a dû changer continuellement pour assurer sonavenir. Elle le montre à travers des faits réels qui ontsouvent été vécus ou sont inscrits dans la mémoirecollective. Pour nombre de salariés, cela rend la lec-ture de la stratégie plus accessible que lorsqu’elleest expliquée avec des scenarii abstraits portant surl’avenir. Plus convaincante aussi, dans la mesure oùle futur paraît aujourd’hui plutôt incertain. Plus cré-dible enfin parce que si elle est produite de manièresérieuse, c’est-à-dire en prenant en compte leséchecs comme les réussites, elle peut offrir à l’en-treprise l’occasion assez rare de tenir un discoursobjectif sur elle-même.

Les conditions de la crédibilité« Voir clair dans les événements passés et dans ceuxqui à l’avenir, en vertu du caractère humain qui estle leur, présenteront des similitudes et des analogies »pour constituer « un trésor pour toujours plutôt qu’uneproduction d’apparat pour l’auditoire du moment » 3.C’est le but que Thucydide, au siècle de Périclès, assi-gnait à son œuvre. Celui qui est considéré comme le père de la science historique, en optant pour « l’absence de merveilleux dans les faits rapportés »,posait la condition à laquelle doit satisfaire toute his-toire pour s’inscrire durablement et porter son fruit :être véridique. Les résultats attendus d’une démarchehistorique ne seront atteints que si sa qualité est suf-fisante : vérité des faits, objectivité des commentaireset des explications, capacité à faire vivre le passé…Il ne s’agit pas de se contenter de rassembler debelles images et quelques anecdotes brillantes, maisil faut s'efforcer de produire des faits vérifiés dont onreconstituera le canevas. Cela passe par l’établisse-ment d’une chronologie solide à partir de l’exploitation

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des sources internes (archives de l’entreprise, mémoi-re orale) et externes (archives publiques, fonds docu-mentaires, etc.). L’objectif est donc d’aboutir à unetrame historique faisant apparaître les quatre grandstypes d’événements de la vie d’une entreprise : lesaspects juridiques et financiers (actionnaires suc-cessifs, fusions), les innovations produits, les inves-tissements, les relations sociales (avancées, conflits).Ces événements seront sélectionnés en fonction dedeux critères : leur importance réelle dans l’histoirede l’entreprise, leur retentissement dans la mémoirecollective. Il faut tendre à une objectivité maximale,c'est-à-dire ne pas privilégier ceux qui vont dans lesens des idées des commanditaires, ni reconstruirele passé pour justifier le présent. C’est la base de lacrédibilité vis-à-vis de ceux auxquels on s’adresseet, en premier lieu, des salariés.

1 Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou le métierd’historien, Armand Colin, 1959

2 Fernand Braudel, La Méditerranée. L’espace etl’histoire, Arts et Métiers, 1977

3 Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponèse (I, 22)

Le choix des moyensUne large palette de moyens s’offre, allant de l’objet souvenir (célébration d’un événement particulier)à la publication d’un livre par un éditeur extérieur. Un média de ce type peut évidemment convenir à plusieurs cibles. Il est souvent intéressant de combiner les moyens utilisés.

Ressort Facteur Potentiel Moyens pédagogique de légitimité participatif Rémanence

Objet souvenir

Livre, brochure

Exposition

Événement festif(anniversaire)

Portes ouvertes

Presse locale, TV

Film

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V

Hypothèses, méthodes, résultats, conclusions... Comment l’approche scientifiquepeut-elle nous aider à tirer les bons enseignements de nos actions et mettre en placeune démarche d’amélioration permanente. Éléments de réponse avec deux spécialistesde la communication pour les organismes de recherche, Gisèle Parfait et Céline Goupil,aujourd’hui à l’Onema (Office national des eaux et des milieux aquatiques).

Quel diagnostic pour uneaction juste en matière de communication interne ?

Voilà une des questions que se posent les communicantsinternes que nous sommes chaque année: quel auditou quelle étude vais-je lancer dont les résultats vontme permettre de mieux exercer ma fonction? Commentmesurer la justesse de mes actions et m’inscrire dansune démarche de progrès? Bien souvent, nous allonschercher la réponse dans la mise en œuvre d’une suc-cession d’enquêtes: les outils d’aujourd’hui permettentd’interroger simplement et rapidement les collabora-teurs, de mettre en place des questionnaires en ligne,de bâtir très facilement des mini-sondages… Ou alors,certains choisissent de contourner la problématique,confient le dossier à un prestataire externe et attendentles retours… Bref, pas simple d’étudier son dispositifinterne et d’en tirer les bons enseignements!

Des points communs avec l’approche scientifiquePour l’ingénieur et docteur qu’est Gisèle Parfait, l’ap-proche scientifique s’est révélée utile parce que prochede celle du communicant. « J’ai toujours été attachéeà une démarche en communication qui soit très prochede la démarche scientifique: travailler à partir d’hy-

pothèses qui émergent en général d’un état des lieuxs’appuyant sur des études ou en conclusion d’actionsdéjà menées. Évaluer ce qui va et ce qui ne va pas,identifier un besoin de communication et poser unequestion, en se fixant une méthode et des moyenspour parvenir à des résultats, des conclusions ». Unefaçon de légitimer également l’action explique-t-elle.

Une réponse à un besoin précisUne démarche de communication doit toujours, selonGisèle Parfait, répondre à un besoin, à une probléma-tique donnée que les études vont préciser. Ainsi en1995, elle encadre au Cemagref une étude en sociologiedes organisations dans un contexte de turnover impor-tant des chargés de communication et de manque depriorités stratégiques. Elle souhaite obtenir une imageclaire et fiable de la représentation collective de l’or-ganisme et mieux comprendre les attentes des per-sonnels à tous les niveaux. Douze ans plus tard, l’étuded’image interne et externe – qu’elle mène avec le cabi-net Inergie – a pour objectif de mesurer le décalageentre l’image identitaire qu’ont les salariés et cellerenvoyée par les outils de communication et les par-

Gisèle Parfait Détachée à l’Onema en tant que déléguée

à l’information et à la communication

Céline GoupilResponsable de la communication

interne de l’Onema

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tenaires externes de l’organisme. En 2010, alors àl’Onema depuis trois ans, l’étude sur les supportsinternes qu’elle lance vise à recueillir des élémentsde perception du dispositif de communication internemais aussi à analyser les attentes des agents dansun organisme en reconstruction.

Faire des hypothèses et anticiper les résultatsL’étude envisagée doit intégrer l’anticipation de sespropres résultats. « Il est inconcevable de se lancerdans une étude sans avoir une idée assez précise desactions qu’impliqueront les résultats de cette étude »,poursuit Gisèle Parfait. Imaginez qu’une enquêteauprès des collaborateurs révèle qu’il vous faut radi-calement transformer vos outils de communicationou remettre en question l’organisation générale: pas-ser votre journal interne en tout numérique, refondretotalement l’Intranet… Il est donc primordial d’envi-sager plusieurs résultats, de s’y préparer afin de pou-voir répondre à ce qu’aura révélé l’étude. « On ne poseque les questions dont on connaît déjà les réponses;sinon comment aurait-on l’idée de la question ? »,disait déjà Platon ! « Lorsque j’ai lancé en 2008 unsondage sur les besoins de communication interne àl’Onema, nous partions de loin : nous nous doutionsqu’une évolution de l’Intranet était nécessaire et queles agents, dans un organisme en construction, avaientun fort besoin de visibilité sur les évolutions. Suite àcette étude, nous avons lancé un bulletin d’informationinterne sur les projets de l’établissement et nous avonsfait évoluer l’Intranet avec les directions métiers pourqu’il devienne un outil de soutien aux directions tech-niques et aux RH. Nous avions déjà la capacité de lan-cer rapidement ces deux actions : l’audit nous aconfortés dans ce choix », explique Céline Goupil.

Savoir gérer les attentes au-delà de la communication interneUn autre point que les communicants sous-estimentsouvent lorsqu’ils réalisent une étude est le fait quecelle-ci risque de générer un nombre important d’at-tentes. Les collaborateurs sont consultés par le biaisd’un questionnaire ou d’une enquête téléphonique et,dans certains cas, travaillent en ateliers lors de sémi-naires… C’est normal qu’ils attendent un retour et espè-rent une mise en œuvre par la suite. « Sans être uncontrat tacite passé avec la personne que vous consultezdu type ”tu me dis ce que tu en penses et je m’engageà changer les choses”, il faut prévoir une réponse pourne pas créer de la frustration », lance Gisèle Parfait.Pas toujours facile, surtout quand on cherche à éclairerla communication interne et que l’on soulève des pro-blèmes autres: management, organisation, métiers…« C’est un des problèmes des grands audits: ils font

entrer en jeu d’autres acteurs. La direction doit êtrealertée, consciente de cela et prendre des engagementsvis-à-vis de ces problématiques qui sortent du champd’intervention de la communication », recommandeGisèle Parfait. « Et au préalable, le communicant doitse demander: qu’est-ce que je risque de faire bougerdans le système, c’est-à-dire essayer d’avoir une visionglobale des impacts au niveau de l’entreprise ».

Nul n’est prophète en son paysUne autre question fondamentale que se pose le com-municant avant de réaliser son étude est celle du choixde mener l’audit en interne ou de faire intervenir unprestataire externe. Les deux approches ont leursavantages et leurs inconvénients. Une étude réaliséeen interne est souvent très approfondie et, menéeauprès d’un nombre restreint de collaborateurs, ellecrée moins d’attentes collectives. À l’opposé, une étudemenée par un prestataire externe est souvent plusdérangeante et enrichissante: « Je l’ai perçu en 2010lorsque nous avons réalisé notre étude sur nos supportsinternes avec Inergie. Il y avait une vraie liberté dansles réponses, sans doute plus que si la communicationavait directement interrogé les personnels. En outre,le fait de confier un audit à l’externe confère une vraiecrédibilité aux résultats: souvent les communicantspensent et disent des choses qui ne sont pas entendues.Alors que si elles sont révélées par un cabinet extérieur,ces éléments prennent beaucoup plus d’ampleur etsont écoutés. Notre étude sur nos supports nous aégalement permis d’apporter un éclairage sur la per-ception de l’établissement par les agents ; notre DG l’a même présentée au Comité de direction et auxsyndicats » indique Céline Goupil.

Une démarche de progrès permanentePour être au plus près de l’action juste, auditer sondispositif interne doit être une démarche permanente,comme en qualité avec la boucle d’amélioration perpétuelle. Toutefois, difficile d’envoyer des ques-tionnaires ou de réaliser des entretiens qualitatifsperpétuellement. L’étude ne doit pas se substituer à l’action. Elle doit précéder et suivre l’action pourpermettre d’améliorer celle-ci. C’est dans cet objectifqu’en 2011, constatant que les organisations syndicalesoccupent le terrain de la communication interne, Gisèle Parfait et Céline Goupil décident de réaliserune analyse du discours syndical. L’objectif était d’iden-tifier les revendications exprimées. « On a fait un travailsimple », explique Céline Goupil. Nous nous sommespenchés sur trois compte-rendus d’une même réunionrédigés par trois syndicats, et rempli un tableau com-paratif des verbatims dans lequel nous avons indiqué,question par question, les points de vue des trois syndicats. On a fait émerger des ressentis communs:

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risque de perte de sens, repères bousculés, et mêmerisques psychosociaux… On en a tiré des choses essen-tielles : par exemple, le fait que les collaborateursétaient en attente de repères clairs et qu’un sentimentde dévalorisation montait en puissance, avec son corol-laire qui est la démotivation. Cela nous a, à nouveau,permis de sensibiliser la direction ».

Tirer des enseignementsà tout momentLe principe de cette démarche d’amélioration perpé-tuelle, c’est également de ne jamais perdre une occasiond’avoir des retours de collaborateurs. « Nous avonsorganisé en 2010 les Journées des nouveaux recrutésqui réunissent les collaborateurs embauchés depuismoins d’un an », explique Céline Goupil. « Nous aurionspu nous contenter d’une plénière avec intervention duDG, du DRH… » poursuit-elle. Pourquoi ne pas mettreà profit cette journée qui regroupe une soixantaine decollaborateurs pour avoir un état des lieux de leur per-ception de l’entreprise? « C’était intéressant de leurdemander comment ils percevaient l’Onema il y a sixmois, de l’extérieur, et comment ils le perçoivent main-tenant ». Avec l’aide d’un cabinet extérieur, Oasys, la communication décide de réunir les nouveaux embau-chés par table de dix et de les faire travailler sur leurperception de l’Onema et leurs motivations. « Nousavons fait émerger un certain nombre de valeurs com-munes. Cela a créé une cohésion entre les collabora-teurs et, au-delà, cela représente une vraie richesse;les directeurs présents ce jour-là l’ont bien noté. À lalumière de cette action, nous avons identifié des élé-ments de cohésion, de culture d’établissement qui nous

permettent de mieux connaître l’Onema et qui consti-tuent autant d’éléments de réflexion pour la commu-nication », indique Gisèle Parfait.L’action juste en matière de communication internerelève donc d’une multitude d’approches. Mais ce doitêtre également un vrai état d’esprit. « Il faut rechercherl’action juste et avoir une réflexion avant, pendant etaprès l’action », conseille Gisèle Parfait. « Ensuite, ilest intéressant de bénéficier d’un regard externe pourprendre du recul et analyser l’action. Mais à un momentou à un autre, cette analyse doit être réappropriée eninterne. Et dans ce cadre, je pense que les entreprisesne possèdent pas véritablement ces compétences ».Aujourd’hui, les entreprises devraient se doter decompétences en sciences humaines et sociales et enméthodologie pour mener des études à un certainniveau et être capables de comprendre les évolutionsdes organisations. Le rapprochement entre chercheursen sciences sociales et agissants dans les entreprisesserait un atout. Selon Gisèle Parfait, les organismesen sont encore loin. Mais mieux appréhender les complexités organisationnelles ne peut qu’aider lescommunicants à ajuster leurs actions.

Propos recueillis par Grégory Métaireau,responsable de la communication interne

de l’APEC, administrateur de l’Afci

Gisèle Parfait: de la science à la communicationIngénieur en agronomie et docteur en science de la vie (1986), Gisèle Parfait a consacré plusieursannées à l’information scientifique et technique puis à la communication dans un établissementpublic de recherche finalisée, le Cemagref devenu aujourd’hui l’Irstea (Institut national de rechercheen sciences et technologies de l’environnement et l’agriculture). Elle s’est impliquée dans la communication interdisciplinaire dans la revue Natures Sciences Sociétés et a conduit unerecherche sur les compétences en communication des managers scientifiques (2003). Elle estdepuis 2008 détachée à l’Onema en tant que déléguée à l’information et à la communication.

Céline Goupil: de la gestion à la communicationDiplômée de l’École supérieure de gestion (ESG, Paris), elle a travaillé pendant quinze ans dans la communication au sein d’établissements publics et privés de recherche en sciences de la vie :Institut Pasteur, Hybrigenics, Inserm, Inra. Détachée de l’Inra, elle est depuis trois ans responsable de la communication interne de l’Onema.

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N

Début septembre2011, à Strasbourg, se tenait un colloque 1sur le management desentreprises et la religion : « Font-ils bon ménage? » s’est-on demandé. La mêmeannée, l’ANDRH rassemblait à Paris deux cents personnes sur le thème « Laïcité et fait religieux, jusqu’où aller? ». Le fait religieux dans les entreprises commenceà faire question parce qu’il est devenu pluriel ! Le point avec Sophie Gherardi du Centred’étude du fait religieux contemporain (Cefrelco).

Le fait religieux en entreprise :une affaire à suivre

Nos entreprises en effet s’étaient bien accoutuméesdu fait religieux chrétien. On se souvient que certainesd’entre elles, il y a 50 ans, donnaient congé le vendredisaint pour que les employés puissent se confesseravant Pâques! Mais depuis la dernière guerre et sur-tout après le Concile Vatican II, les catholiques sesont faits discrets. Dans le même temps, le paysagese transformait. Les frontières s’ouvraient non seu-lement aux capitaux, aux idées et aux gens, mais àleur culture. Et puisque nul n’est obligé de laisser à la frontière son bagage culturel et religieux, en cedomaine aussi les entreprises évoluaient. Un mana-gement de culture hindouiste à la tête d’une grandeentreprise française ? C’est un fait. Des capitaux enprovenance de pays arabes dans le sport et dans lesmédias ? Pourquoi pas ? Des salles de prières pourles musulmans dans les usines? C’est entré dans lesmœurs. Faut-il rappeler les problèmes liés au portdu voile ? Avant nous, les Anglo-saxons ont intégrécette variété culturelle et religieuse. Ainsi, aux États-Unis, dès 2000, L’Oréal nommait un directeur de la

diversité ; cinq ans plus tard, le poste était créé enFrance. À Londres, Khalid Hamdani, ancien membredu Haut conseil à l'intégration, membre du Comitéconsultatif de la Halde 2 et consultant de « Cultes etcultures consulting » cite l’exemple de l’entrepriseIKEA qui a contourné la question de l’autorisation duvoile islamique dans les bureaux, en se demandantcomment faire pour y accrocher le badge de l’entre-prise et en autorisant le voile à condition qu’il soit à ses couleurs.En France, société laïque, la cohabitation de per-sonnes de cultures religieuses différentes, a posé parfois problème surtout en milieu hospitalier, dansles administrations, dans les services à l’enfance.

Comment le fait religieux se manifeste-t-il dans lesentreprises françaises?Sophie Gherardi : Plusieurs sources permettent d’enfaire une photographie succincte. La Halde, parexemple, signale en 2010 que 2 % des plaintes pourdiscrimination au travail concernaient la religion.

Sophie Gherardi Directrice du Centre d’étude du fait religieux contemporain

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Par ailleurs, le Défenseur des droits organisait enjanvier 2012 son quatrième baromètre sur les per-ceptions des discriminations dans les entreprises(enquête CSA), d’où il ressort que 3 % des employésdu public et 5 % du privé disent qu’ils se sentent malà l’aise de cohabiter avec des personnes de convictionsreligieuses différentes.

Le nombre de dysfonctionnements liés au fait religieuxest donc très limité. En outre, le dernier rapport dela Halde (avril 2011) signale que « la loi permet derésoudre 95 à 98% des cas», bien que selon d’autressources, le phénomène s’accélère. Comment se fait-il qu’on s’y intéresse tant aujourd’hui?S. G. : Depuis 1985, la population musulmane a doubléen Europe, du fait des migrations et des naissances.L’islam est concentré géographiquement – autourdes grandes villes et des anciens centres industriels– et représente socialement des catégories populairessouvent paupérisées, et démographiquement jeunes.Plus de quatre millions de personnes vivent dans des« Zones urbaines sensibles », où le tiers de la popu-lation est originaire du Maghreb, d’Afrique subsaha-rienne ou de Turquie. Les entreprises voient arrivercette nouvelle génération. Par rapport à leurs parentsqui se référaient au « bled », au pays d’origine, elleest à la fois française et membre d’une opinionpublique transnationale, attentive aux médias arabescomme Al-Jazira, et active sur les réseaux sociauxoù leur identité musulmane se construit. Cependant,la transformation du paysage ne concerne pas quel’islam. D’autres affirmations religieuses existent : lejudaïsme observant, le christianisme évangélique outraditionaliste, le New Age, les sectes… Or, nous vivonsdans une société qui valorise le droit à la différenceet sacralise l’identité, et cela vaut tant pour les mino-rités régionales que linguistiques ou sexuelles… Dansle cas des religions, la tendance est de réclamer ledroit de cité pour les différences dans la vie quoti-dienne : fêtes et calendriers, mœurs alimentaires etvestimentaires, rites et morales…

Comment réagissent les entreprises?S. G. : En 2004, Claude Bébéar et Yazid Sabeg, com-missaire à la diversité et à l’égalité des chances, ontlancé la Charte de la diversité. Elle exprime la volontéd’agir des entreprises signataires pour mieux reflé-ter, dans leurs effectifs, la diversité de la populationfrançaise, ou du pays où s'installe l'entreprise. Deportée morale plus que juridique, elle rappelle desprincipes importants du droit français, d'applicationobligatoire, dont le principe d’égalité devant la loi,de respect de la dignité humaine et l'interdictiondes discriminations. Les signataires s’engagent àne pas établir de différence entre les personnes

selon leur origine, leur sexe, leur âge, leur apparencephysique (18 critères en tout), qu’il s’agisse du recru-tement, de l'évolution de carrière, de la formation,du licenciement. Les convictions religieuses consti-tuent un de ces critères. Et pourtant, sur les quelque3 500 entreprises qui ont signé la Charte, aucune ne communique sur des actions engagées dans ce domaine.

Pour quelles raisons? Ce thème est-il tabou?S. G. : Je le crois. La passivité des entreprises en lamatière témoigne d’un déni. Dans notre pays impré-gné de laïcité, la religion est considérée comme devantse limiter à la sphère privée. Le Haut Conseil àl’Intégration a d’ailleurs proposé, l’été dernier,d’étendre les critères de la laïcité aux entreprisesprivées. Le ministère de l’Intérieur et des Cultes a repris l’idée à son compte mais n’a rien fait pourlégiférer en ce sens.

Vous voulez dire que le principe de neutralité laïquene s’applique pas aux entreprises en France?S. G. : En effet. Le principe de laïcité ne concerne queles agents publics dans l'exercice de leur fonction etleur impose une stricte neutralité dans la tenue etl’expression. Quant aux entreprises, l'exercice de laliberté religieuse n’y est limité par aucune dispositionlégale. La liberté de religion et de convictions est ins-crite dans le préambule de la Constitution et reconnuepar la Convention européenne des droits de l'homme,qu'il s'agisse de la liberté de conscience ou du droitd'exprimer ses convictions en public ou en privé.

Ce qui entraîne, par exemple, qu’une entreprise quiinterdit le port du voile est juridiquement répréhen-sible?S. G. : C’est un fait. La plupart des managers ignorentces données du droit. Ils ne connaissent pas davantagela jurisprudence selon laquelle le port du voile n’estpas en soi une preuve de prosélytisme, ou encore l’ar-ticle du code du travail selon lequel « nul ne peutapporter aux droits des personnes et aux libertésindividuelles et collectives des restrictions qui neseraient pas justifiées par la nature de la tâche àaccomplir ni proportionnées au but recherché ».

Ceci veut-il dire qu’aucune limite ne restreint la liberté religieuse en entreprise?S. G. : Je n’irais pas jusque là. À ce jour, deux typesde restrictions sont admises : d’une part, les impé-ratifs de sécurité et de santé – ils visent le port devêtements non adaptés, comme un turban sikh empê-chant de mettre un casque de chantier, ce qui accroîtles risques en cas d’accident – et, d’autre part, lanature de la tâche à accomplir, par exemple lorsque

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la tenue d’une vendeuse est incompatible avec l’imagede marque de l’entreprise. Mais la justice veille à ceque les entreprises n’outrepassent pas leurs préro-gatives, ce qui est le cas quand certaines inscriventdans leur règlement intérieur l’interdiction des signesreligieux.

Les RH, les managers et les communicants internessont donc contraints de naviguer en plein flou juri-dique et de faire preuve d’un pragmatique bon sens.S. G. : La Halde et les entreprises soulignent effec-tivement la difficulté de déterminer les limites del'expression religieuse sur le lieu de travail.

Cependant des problèmes concrets se posent :modes vestimentaires, lieux de prière…S. G.: Depuis les années soixante, dans les usines deproduction automobile des solutions ont été trouvéesdans le cadre de discussions entre patrons et repré-sentants du personnel. Des accords en bonne et dueforme ont été signés chez Renault en 1973 et chezPeugeot en 1980. Mais à l’époque, les O.S. musulmansse vivaient comme étant «de passage» et ils acceptaientdes solutions de fortune. Aujourd’hui, leurs enfants etpetits-enfants sont français, ils sont chez eux et veulentêtre reconnus, d’où les revendications d’abord sur desmenus sans porc, puis sur des menus halal.

Qu’en est-il des jours de congé liés aux fêtes reli-gieuses? Les entreprises sont-elles obligées deprendre en compte les souhaits des salariés en cedomaine?S. G. : Pas nécessairement. L’État a précisé les chosespour les agents publics : le ministère de la Fonctionpublique publie chaque année une circulaire qui donneles dates des principales fêtes religieuses des cultesorthodoxe, israélite, musulman et bouddhiste, pourlesquelles les agents peuvent demander une autori-sation d’absence, que leur chef de service peut accor-der ou pas. On se souvient aussi qu’une candidate àl’élection présidentielle, Eva Joly, a proposé que YomKippour et l’Aïd-el-Kebir – les plus grandes fêtes res-pectivement des juifs et des musulmans – deviennentdes jours fériés pour tout le monde.

Que conseillez-vous face aux refus de pratiquerl’entretien individuel avec un manager femme,d’une visite médicale, aux attaques verbales àcaractère religieux, blagues à caractère racistesur le net…?S. G. : Je vous répondrai à partir d’une image : uneforte averse fait d’autant moins de dégât que le soln’est pas sec. Plus les gens seront formés, mieuxils sauront réagir à ces situations effectivementstressantes.

Vous conseillez de « travailler le terrain » en amontdes difficultés prévisibles? Comment concrètement?S. G. : D’abord, en parler. Savoir que le droit protègela liberté de conscience. Ne surtout pas entrer dansune discussion théologique : si un salarié observe lejeûne du ramadan, son employeur n’a pas à essayerde le convaincre qu’il pourrait s’en dispenser parceque le Coran prévoit des exceptions. Le dialogue, aucas par cas, permet en général de trouver des amé-nagements afin d’assurer la bonne marche de l’en-treprise et la sécurité, ce sont les seuls critères àmettre en avant. Quant aux actions globales, ellessont moins indiquées. Il est difficile de soumettreces problèmes à la négociation collective, notammentà cause des réticences syndicales. En traiter dans lerèglement intérieur est contre-indiqué, on l’a vu, saufen matière de sécurité. Enfin, il est utile de resterattentif aux signaux faibles : la montée de revendi-cations religieuses chez les jeunes salariés ou, enco-re, les tentatives de prosélytisme peuvent détériorersérieusement l’atmosphère si elles sont négligées.Dans tous les cas, il s’agit de promouvoir à la fois lebon fonctionnement de l’entreprise et son efficacité,la cohésion sociale et la cohabitation des différences.L’affirmation religieuse ne concerne pas que les sala-riés, mais également la clientèle. Aux États-Unis, lemarketing ne fait pas l’impasse sur les faith groups,ces Américains qui se définissent eux-mêmes parleur foi et modulent leur consommation en consé-quence.

Propos recueillis par Robert De Backer,administrateur de l'Afci

1 Actes du colloque de Strasbourg, 31-08 et 1-09-2011,Quand les religions s’invitent dans l’entreprise.

2 La Halde: Haute autorité de lutte contre les discri-minations et l’égalité des chances. La Halde a étédissoute le 1er mai 2011 et ses missions transféréesau Défenseur des droits. Toutefois, un collège spé-cifique est créé pour prendre en charge la lutte contreles discriminations et la promotion de l’égalité.

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Bibliographie : • Dounia Bouzar et Lylia Bouzar, Allah a-t-il sa

place dans l’entreprise ?, Albin Michel 2009• Dounia BouzarLaïcité, mode d’emploi, cadre

légal et solutions pratiques, Eyrolles 2011• Patrick Banon, Moïse, l’homme qui devint

un héros, Michel Laffon 2011• G. Galindo et J. Surply, Quelles régulations

du fait religieux en entreprise ? RevueInternationale de Psychosociologie 2010

• J. Delumeau (entreprise collective regroupant 16 spécialistes), Le fait religieux, Fayard, 1993

Bonnes pratiques : des entreprises prennent les devants• Randstad, deuxième entreprise mondiale

du service en ressources humaines,sensibilise ses équipes et ses clients à la gestion de la diversité religieuse. Elle a établi une charte et engage des actions de sensibilisation aux dispositions légalesen matière de liberté religieuse, auxpratiques des différentes religions, aux pistes concrètes pour agir en entreprise. • EDF a réalisé un document « Repères sur

le fait religieux » qui présente sept critèrespour aider les managers à répondre auxsituations. L’entreprise a reçu en 2010le trophée du management de la diversité. • Orange a créé un poste de directeur de

la diversité et lancé un audit interne sur la gestion du fait religieux (2010). Elle a édité un document « Q/R managers surl’expression des convictions religieuses chez Orange ». • La Poste a diffusé à ses salariés un guide :

« Fait religieux et vie au travail, quelquesrepères ». Un document semblable existe aussi chez BNP Paribas.

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DOSSIER

Le bien-être au travail dépend de multiples facteurs, tant physiques que psychologiques. La prise de conscience par les entreprises que la « réalisation »de tout individu est indissociable de sa performance professionnelle, a poureffet la mise en place d'initiatives qui impliquent toute l'organisation. La finalité,on le verra au travers des témoignages présents dans ce dossier, est de permettre à tout un chacun de « bien faire son travail », en un mot d'être fier de son travail, d'exister pour soi et pour les autres, dans une logique de performance durable de l'entreprise. Un cercle vertueux en quelque sorte.

Le bien-être au travail :un vrai levier de changement

dans les organisations

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DOSSIER Le bien-être au travail : un vrai levier de changement dans les organisations

Le bien-être au travail peut-il être conciliable avec la performance et la productivitédes organisations? C'est parce que l'Afci a toujours considéré que la qualité des condi-tions de travail est indispensable à l'épanouissement professionnel de tout individuet à la performance collective, que Les Cahiers ont choisi de s'intéresser à cettequestion. Le «bien-être» est-il devenu une priorité stratégique dans les organisationscontemporaines? Et quel est le rôle de la communication interne pour inciter et encou-rager les organisations à se préoccuper des conditions de travail?

Bien-être au travail :un levier de la performanceet de la productivité?

Le bien-être au travail :une notion difficile à cernerParler aujourd'hui de bien-être au travail peut appa-raître accessoire quand le chômage concerne près de10 % de la population française. De surcroît, c'est unenotion malaisée à définir, qui relève du ressenti, doncde l'évaluation subjective personnelle. Selon laConstitution de l'Organisation mondiale de la santé(OMS) – dans son préambule de 1946 – la santé peutêtre entendue comme un état « complet de bien-êtrephysique, mental et social, et ne consiste pas seulementen une absence de maladie ou d'infirmité ».Cette notion de « bien-être » relève de la responsa-bilité des organisations (de plus de vingt salariés) quisont soumises aux obligations réglementaires leurimposant de mettre en œuvre un ensemble d'actionspour assurer de bonnes conditions de travail. Le volet

le plus palpable et mesurable – l’hygiène et la sécurité– est dans une grande majorité respecté et contrôlé.Mais le bien-être mental et social fait trop peu l'objetd'une politique affirmée, assortie d'actions indivi-duelles et collectives. Une des principales raisonsest la subjectivité de cette notion, trop interprétable,finalement trop humaine… La préoccupation du bien-être concerne donc toute l’organisation et c’estce qui en fait un sujet difficile à traiter.

L'état des lieuxLa question du bien-être au travail est devenue unenjeu depuis la mise en œuvre des différentes loissur la modernisation sociale à partir de 2008 et parcequ’il a été démontré, à plusieurs reprises, que la per-formance des entreprises pouvait en être fortementinfluencée. Le rapport « Bien-être et efficacité au

Françoise Plet-ServantDirectrice de la communication, Campus Condorcet

Rédactrice en chef des Cahiers de la communication interneAdministratrice de l'Afci

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travail », commandé par le Gouvernement et remisen février 2010 par Henri Lachmann, président duconseil de surveillance de Schneider Electric,Christian Larose, vice-président du Conseil écono-mique, social et environnemental, et Muriel Pénicaud,directrice générale des ressources humaines deDanone, explicite le lien fort entre ces deux notions.Destiné à l'entreprise privée, le rapport émet dix pro-positions de nature à améliorer les conditions desanté psychologique au travail : implication de la direc-tion générale et de son conseil d'administration, for-mation et rôle des managers, implication despartenaires sociaux, valorisation de la performancecollective, etc. Plus récemment dans une étude 1

publiée le 14 décembre 2011, l'Organisation de coopé-ration et de développement économiques (OCDE)pointait l'accroissement de la dégradation de la santémentale des salariés. L'organisme parlait d'un « nou-veau défi prioritaire pour le marché du travail » carl'ensemble de ces maux – dépression, toxicomanie(alcool, drogue), troubles maniaco-dépressifs… – aun coût de plus en plus élevé pour la société: de l'ordrede 3 à 4 % du produit intérieur brut de l'Union euro-péenne. En France, les consultations pour risque psy-chosocial sont, depuis 2007, la première cause deconsultation pour pathologie professionnelle2. Maisque s’est-il passé ces vingt dernières années ? Letravail, au lieu de libérer l'homme de la pénibilité,accumule aujourd'hui de nouvelles et multiplescontraintes qui génèrent une pression sans pareil surles individus : augmentation des cadences, exigencesde délais toujours plus courts, informatisation accrue,réorganisations multiples, incertitude sur l’avenir,accroissement des interdépendances, procédures deplus en plus nombreuses et sans cesse revues , déve-loppement de nouvelles formes de taylorisme, orga-nisation matricielle, isolement… L'ensemble de cesfacteurs a abouti à un surinvestissement de la sub-jectivité de l'individu, c'est-à-dire de sa capacité àêtre affecté par l'accomplissement de son travail.Lorsqu'un salarié ne peut plus réaliser son travaildans de bonnes conditions, n'a pas obtenu de satis-faction, voire de reconnaissance, et que cette situationse répète et s’additionne à d'autres irritants3, sonidentité entière est dégradée. Ce phénomène, maintenant bien analysé, provoque de lourds dégâts :estime de soi atteinte, découragement, retrait, dépres-sion… Pour établir un lien objectif entre intensificationdu travail et santé, d'autres variables doivent êtreintroduites. C'est ce que s'est proposé de faire le pro-gramme de recherche SORG – Santé, organisation etgestion des ressources humaines – financé parl'Agence nationale de la recherche (ANR). Il a cherchéà décrypter les différents types de régulation du travail

à l'œuvre dans les organisations et leur effet sur lasanté des salariés. À partir d'une quinzaine de travauxde recherche-intervention au sein d’organisations,l'étude a montré que ce dont les salariés souffrentle plus est l'absence de management. MathieuDetchessahar, chercheur, précise dans un articlepour la Revue française de gestion4 que « c'est l'éloi-gnement du manager qui pose problème lorsqu'iln'est plus là pour expliciter les difficultés du travailet soutenir les salariés dans leur résolution ». Eneffet, le salarié doit assurer de multiples activités etprendre des décisions, bien souvent sans l'appui desa ligne hiérarchique de plus en plus occupée à destravaux de gestion administrative. L'individu est doncen position de décider seul et de faire des arbitragessans avoir l'assurance d'être soutenu. Ce cumul dedifficultés entame la subjectivité des salariés et lesmoins préparés sont les plus vulnérables.

Les facteurs qui influent sur le bien-êtreQuels sont les secrets des entreprises qui prennentsoin de leurs employés ? L'Institut Hay établit tousles ans un classement des organisations « où il faitbon travailler », de même que le « Great place to workInstitute » qui place PepsiCo, Microsoft et Leroy Merlindans le Top 5 des entreprises où la satisfaction des

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Le bien-être au travail : un vrai levier de changement dans les organisations DOSSIER

Quelques pistes pour assurer la satisfaction et le bien-être au travail• Placer le bien-être au travail au plus

haut niveau de décision de l’entreprise• Mettre la communication interne

au cœur de l'organisation• Donner la priorité à un management

de proximité à l'écoute des équipes• Favoriser l'autonomie et l'initiative

individuelle des équipes• Accorder la confiance aux équipes• Reconnaître le travail bien fait• Favoriser l'innovation et l'apprentissage

collectif• Accroître la qualité des conditions

de travail, l'ergonomie des postes• Développer et favoriser l'évolution

professionnelle…

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DOSSIER Le bien-être au travail : un vrai levier de changement dans les organisations

salariés est la plus élevée en France5. Ces organisa-tions auraient pour caractéristiques communes d'ac-corder un haut niveau d'autonomie et de considérationà leurs équipes. De plus, l'écoute et le dialogueseraient au cœur des fondamentaux du managementet leur communication donnerait la priorité au sensde l'action générale. En découlerait un attachementimportant des équipes à leur entreprise. En retour,ces organisations réaliseraient des bénéfices jusqu'àdeux fois et demi plus importants que les autres etbénéficieraient d'un haut niveau de satisfaction deleurs clients, qui seraient ensuite des promoteurs dela marque.

« Jamais, probablement, autant d'informations n'ontété disponibles et n'ont circulé dans les organisationset, dans le même temps, jamais l'on a eu moins detemps pour parler du travail. L'hypertrophie de l'in-formation semble chasser la communication » : telest le diagnostic de Mathieu Detchessahar. Cependant,

il fait la démonstration à rebours que « le managementn'est pas le problème mais la solution ». En effet, lesenquêtes de terrain ont confirmé que la « constructionde la santé au travail dépend de la qualité des dyna-miques communicationnelles autour du travail, sousl'angle de ses conditions réelles de réalisation ».Échanger collectivement sur les pratiques concrètesdu travail, arbitrer entre plusieurs solutions pourrésoudre les problèmes… sont autant de préalablesindispensables pour rompre l’isolement, verbaliserles difficultés et apporter des réponses. Ces espacesde discussion doivent être inscrits dans le temps del'entreprise. Leur animation doit respecter des règlesprécises pour aboutir in fine à des solutions concrètes.Ce ne sont pas de simples actions de communication:il s’agit bien, comme le précise Marc Uhalde, socio-logue spécialiste des organisations en crise, « deréinstaurer des espaces de confrontation et desmédiations entre les acteurs ». Pour cela, il est indis-pensable que les entreprises prennent conscience

Quelques exemples d'actions en faveur du bien-être au travail• Aux États-Unis, dans les années 90, des pans entiers d'activités ont fait face à un surcroîtd'accidents du travail et à leur corollaire : la hausse importante des coûts des assurances.De nombreuses entreprises ont alors choisi d'investir fortement dans l'amélioration desconditions de travail. Résultat : le taux des accidents a fortement décru de 1992 à 2001 commel'explique Philippe Askenazy, économiste, qui a étudié ce phénomène6 : - 36 % dans le secteurprivé, - 45 % dans le secteur des mines et du pétrole, ou encore - 40 % dans celui des industriesde biens non durables. Parallèlement, a été relevée une hausse nette de la satisfaction autravail7.• En Angleterre, la coopérative Lewis — 35 grands magasins et 272 supermarchés de l'enseigneWaitrose — a été récemment citée comme modèle conciliant satisfaction au travail et performanceéconomique8. Depuis sa création en 1929, la coopérative appartient encore aux 76500 salariés.Dans la constitution de la société, John Spedan Lewis stipulait que le but ultime de l’entreprise étaitle « bonheur de ses membres ». Chaque salarié est un « partenaire » qui a voix au chapitre dans lefonctionnement de la coopérative. Tous les employés se partagent équitablement le bonus annuel (9 mois de salaires en 2010), le pouvoir, et la gestion. Le journal interne se fait l’écho chaquesemaine des idées des employés et de leur… mécontentement. Le turnover, fréquent dans cesecteur d'activités, est très faible chez Lewis… • En France, deux initiatives concernant le télétravail méritent d’être mises en avant. Axa a expérimenté le télétravail pour une centaine de salariés qui rencontraient des problèmesd'organisation et de temps de transport. Après quelques mois, la productivité a augmenté de 30 % ainsi que la satisfaction des personnels qui conciliaient désormais plus facilement vieprofessionnelle et personnelle. Le groupe Accenture a abandonné les postes de travail nomades queles salariés récupéraient une fois revenus d'une mission, pour développer le télétravail. En 2011,selon le directeur général, Marc Thiollier9, le taux d'engagement aurait progressé de 10 points.

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Le bien-être au travail : un vrai levier de changement dans les organisations DOSSIER

de la nécessité de replacer l’humain au centre de l’or-ganisation en repensant les modes de management,d’organisation et de vie collective. Le temps de l’écouteet de l’échange doit être redonné à la ligne hiérar-chique pour qu'elle puisse réinvestir les champs del'activité concrète, répondre aux sollicitations de seséquipes et arrêter des arbitrages après débats. L’enjeuest bien là : les directions générales doivent recentrerle management sur l'animation des équipes et, paral-lèlement, diminuer le travail de gestion en forte crois-sance ces dernières années.

Le rôle de la communication interneIl est bien évidemment illusoire d’animer une politiquede communication interne dans une entreprise où lemal-être règne. Des salariés ni écoutés ni pris enconsidération n’ont aucune confiance dans les discoursde leur organisation en contradiction flagrante avecla réalité professionnelle. Cependant, un des premiersrôles de la communication interne est de faire prendreconscience à la direction générale des difficultésvécues par les salariés. Par sa connaissance intimede l'organisation et du corps social, elle peut agir dansplusieurs directions.En tout premier lieu, elle est à même d'identifier lessituations de conflits, les difficultés récurrentes – lesfameux « irritants » – et de le faire savoir. Le commu-nicant se situe à un poste d'observation qui lui permetde tenir un rôle éminent d'alerte. Peu de fonctions ontla capacité de passer d'un groupe métier à un autreet d'un niveau hiérarchique à un autre.Dans un second temps, il pourra proposer un certainnombre d'actions, dont certaines de simple bon sens,pour régler des dysfonctionnements. D'autres actionsplus ambitieuses, conçues avec les directions desRessources humaines, permettront par exemple decréer des instances pour libérer la parole et faciliterl'échange professionnel. Il peut ainsi faciliter la « miseen relation » formelle et informelle, inciter aux débats.En outre, le communicant a la capacité d’analyser leszones d'ombres de l'organisation, les non-dits et deproposer de lever les malentendus.Enfin, il est en mesure de convaincre sa direction demettre en cohérence la stratégie avec des actionsconcrètes qui auront valeur de preuve. Autant de situa-tions où le communicant peut utilement apporter desréponses à des zones de frictions fréquentes. Autantde situations liées à l’accompagnement des transfor-mations majeures de l’entreprise où le communicantdoit veiller à anticiper et à prendre en compte l’impacthumain des changements.Pour conclure, on voit combien la communication interneest partie prenante du bien-être au travail.Car la place accordée aux femmes et aux hommes

dans l’entreprise conditionne l’épanouissement desindividus et leur performance. Sans bien-être, la communication interne rencontrera nombre de difficultés pour être crédible et convaincante. C’estpourquoi la fonction doit agir en amont et en aval decet enjeu pour construire une entreprise durable. Le rôle du communicant peut se résumer en quatreprincipales missions : observer et écouter, signaler,agir, accompagner.

1 Mal-être au travail ? Mythes et réalités sur la santémentale au travail, décembre 2011.

2 AFSSET, réseau national de vigilance et de préventiondes pathologies professionnelles.

3 Hubert Landier, Mal-être au travail : une questionde management ou de gouvernance, Le club AEF,novembre 2011.

4 Mathieu Detchessahar, Santé et travail , Revue fran-çaise de gestion p. 89 à 105, Université de Nantes

5 Leroy Merlin est cinquième, voir l'interview croiséedu dossier.

6 Philippe Askenazy, Le désordre du travail, enquêtesur le nouveau productivisme, Seuil, 2004.

7 Études menées par la General social survey.8 Le Monde, 24 janvier 2012.9 Les carnets RH, L'Express, mars 2012.

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DOSSIER Le bien-être au travail : un vrai levier de changement dans les organisations

François Hubault a dirigé en 2010 la publication de Pouvoir d’agir et autorité dansle travail et, en 2011, de Risques psychosociaux : quelle réalité, quels enjeux pourle travail, ouvrages tous deux publiés aux éditions Octares. Il est intervenu en 2011et 2012 dans le cadre de la formation de l’Afci sur l’apport des sciences sociales àla communication. Il répond aujourd’hui à nos questions sur les enjeux du travail.

Au travail, c’est la vie qui se joue !

François Hubault Ergonome, directeur du département Ergonomie

et écologie humaine à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Quel est au fond l’apport de l’ergonomie pour com-prendre le travail ?François Hubault : Pour moi, l’ergonomie est unepratique clinique d’intervention sur le travail qui pro-duit en même temps une transformation-conceptionet un savoir. C’est ainsi qu’est née la distinction,aujourd'hui bien connue, entre travail prescrit et travailréel. L’intervention ergonomique a mis en évidenceque dans le travail ça ne se passe jamais comme onl’avait envisagé. Le réel résiste à la maîtrise, à la toutepuissance. Même à l’époque du taylorisme dominantquand tout était prescrit dans les moindres détails,les gens faisaient autrement que ce qui était prévu.Aujourd’hui, avec un environnement plus instable, laprescription n’est plus de même nature. Les organi-sations détaillent moins qu'avant tout ce qu'il fautfaire, même si elles cherchent à redéfinir un nouvelespace du prescrit par la prolifération de procéduresde toutes sortes. Dans un univers de moindre pres-cription formelle, l'individu doit mettre beaucoup delui-même, de sa subjectivité pour réaliser la tâchedans son intention. Il entre de plus en plus de travail

pour devoir gérer l'incertain. En tout cas, l'interventionde l’ergonome se situe toujours là dans l'écart entreprescrit et réel, dans cet entre-deux singulier où letravail se déploie.

Tous les ergonomes interviennent-ils de la mêmefaçon?F. H. : Les ergonomes se partagent en deux famillesprincipales. Il y a ceux qu’on peut qualifier de « fonc-tionnalistes », dont l’intervention consiste pour l'es-sentiel à réduire l’écart prescrit/réel dans une viséed’efficacité productive. Leur action se situe sur leplan du fonctionnement. Il y a ceux, dont je fais partie,qui travaillent aussi sur cet écart, mais en mettanten avant plus particulièrement la dimension sub-jective du travail. Toute activité contient une projec-tion subjective : ce que je mets de moi dans letravail est souvent un enjeu de vie et de santé à tra-vers le bénéfice subjectif que je peux espérer demon activité. C’est toute la question du lien entre leréel extérieur et le réel intime, avec ses peurs etses attentes.

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Le bien-être au travail : un vrai levier de changement dans les organisations DOSSIER

Justement comment appréhendez-vous la subjec-tivité dans le travail, eu égard notamment aux com-pétences demandées aux salariés?F. H. : La subjectivité, c’est la capacité sensible, la capacité d’être affecté. C’est un mode de relationau monde, aux autres, une manière d’être au monde.Il n’y a pas d’un côté le sujet et de l’autre le monde.La subjectivité se fonde toujours sur une relation.

Il n’y a pas d’activité, pas de travail sans subjectivité.Quelque chose se passe dans le travail qui me pousseà agir. Cette subjectivité est la source de la compétenceaujourd’hui tant recherchée, c’est-à-dire de la capacitéà comprendre comment je suis relié aux autres, com-ment ce qui arrive m’arrive, me concerne, et jusqu’où?C'est même ce qui crée de la valeur. Encore faut-ilcréer les conditions et outiller les personnes pourqu'elles puissent ancrer leur projection subjectivedans la projection stratégique de l'entreprise. D’unecertaine façon, on peut dire que la compétence, c’estl’organisation professionnelle de la subjectivité.

Un exemple de cette « organisation professionnellede la subjectivité »… F. H. : Prenons le cas du monde de l’hôpital. Face àune situation dramatique - un malade en souffranceprès de la mort par exemple -, vous et moi nousserions non seulement affectés, mais sans doute sur-affectés. Pourquoi ? Avant tout parce que nous nepourrions pas faire grand-chose. L’infirmière aussiest affectée, mais la différence, c’est qu’elle peutfaire quelque chose. C’est même le ressort de sacapacité d’agir. C’est très important. Son expériencelui permet de mobiliser sa subjectivité vers l’actionà partir d’une expérience construite. Voilà un exemplede professionnalisation de la subjectivité qui est, àproprement parler, une compétence.

L’actualité récente dans plusieurs entreprises a misle projecteur sur les « risques psychosociaux »(RPS). Quelle est la place du risque dans le travail ?F. H. : Il y a deux manières d’appréhender le risque.Tout d’abord, il n’y a de travail que parce qu’il y a desrisques. Quand tout est réglé, on est dans le domainede l’automate et pas du travail. La machine fonctionne,l’homme travaille. Et ce travail comporte toujours unrisque d’erreur, d’échec. Travailler, c’est affronter le

risque, c'est s'aventurer dans des mondes où on nesait pas tout, sachant qu’on peut réussir ou échouermais qu’on peut aussi apprendre de l’échec. Ça vautdonc le coup d’affronter le risque, notamment poursoi. Avec les risques psychosociaux, mais c'était déjàvrai en partie avec les troubles musculo-squelettiques(TMS), on est dans un autre ordre de risque. Le risque,dans ce cas, est de se retrouver dans l’incapacité deprendre des risques. Avec les risques psychosociaux,le risque ne vient pas tant de l’extérieur, de ce à quoion est exposé, que de l’intérieur de l’activité elle-même. On n'est pas « exposé » aux risques psycho-sociaux. On ne prend pas de doses de RPS. Il y a risquequand on perd la capacité d’agir et quand l’individuretourne contre lui-même sa propre difficulté à agir.Il devient partie prenante au risque et, en fin de comp-te, tombe malade de mal faire.

Quelle prévention face à de tels risques « inté-rieurs »?F. H. :Puisqu'il n'y a pas à proprement parler de sourceextérieure, en tout cas clairement isolable, la meilleureprévention se trouve à la fois dans le développementde la capacité d’agir des personnes et dans l’écoute.Sur ce point, je distingue l’écoute de l’enregistrement.Les entreprises mettent en place un peu partout desnuméros verts. Ce n’est pas de l’écoute, c’est de l’en-registrement. Certes, ce n’est pas négligeable, maisce n’est pas de l’écoute. L’écoute demande une inter-subjectivité. On ne parle vraiment que si on est écouté.Je ne parle à quelqu’un que si celui-ci prend le risquede m’entendre. Et on sait bien aujourd’hui en entre-prise que si ça ne remonte pas c’est parce qu’onn’écoute pas. L’organisation ne met pas le manage-ment en situation d’écoute, c’est-à-dire d’entendrece qui est dit pour en faire quelque chose. Alors, onse réfugie dans la psychologisation, dans le seul trai-tement individuel, là où les questions posées concer-nent tout autant le sujet que l’organisation.

Cela renvoie à la place de la parole dans le travail.Comment envisagez-vous le rôle de la communica-tion dans l’activité?F. H. : Le débat récent à propos des risques psycho-sociaux révèle un double déficit des organisations.Un déficit de la capacité d’agir des salariés et undéficit de parole dans le travail. C’est ce double déficitqui fait problème. Beaucoup de salariés ont le sen-timent d’être jugés sans qu’on entende les problèmesqui se posent et qu’ils posent. Il n’y a pas suffisamment

« La compétence, c’est l’organisationprofessionnelle

de la subjectivité »

« Le travail est une questionde dispute »

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d’espace de délibération sur le travail réel. Or, letravail est une question de dispute. Travailler c’estse colleter avec des choses qui ne sont pas régléesd’avance. Il faut faire face à de l’inconnu, des aléas,des événements. Et ce qui manque le plus, c’est unecommunication organisatrice de la dispute sur lessujets du travail.

Quel sens donnez-vous au mot « dispute »?F. H. :La dispute dans le travail, c’est la confrontationsaine des points de vue. Saine au sens où elle fait dubien. Communiquer, c’est faire s’exprimer les diffé-rentes façons d’envisager l’activité, faire apparaîtreles points d’accord et de désaccord, rendre possiblel’arbitrage. Cette notion de dispute est importantecar elle renvoie à la conflictualité. La réalité en entre-prise, c’est qu’on souffre d’un manque de débat, deconflictualité. Or, elle fait partie intégrante du travail.Les risques psychosociaux montrent qu’il y a un vraimanque de ce côté-là. Et c’est d’autant plus importantque l’on est dans un univers où l’immatériel et lesservices dominent. Dans l’univers industriel ancien,la qualité du travail se mesurait essentiellement àtravers la qualité du produit sur des critères tangibleset mesurables. Dans l’immatériel et les services, ceque produit l’activité n’est le plus souvent pas tangibleet échappe à la mesure. Tout cela rend l’évaluationcompliquée. On sait mesurer des choses substan-tielles, c’est plus difficile d’évaluer des construitssociaux. D’où l’importance d’avoir des modalités deconfrontation sur ce que représente la qualité du tra-vail. Il y a une vraie difficulté à reconnaître l'échangedes points de vue comme élément du managementde la performance. Comme cet univers de l’immatérielest complexe, on a tenté de l’industrialiser, de le stan-dardiser à travers des procédures, des scripts parexemple. Ce faisant, une tension, voire une contra-diction, se manifeste entre le standard et la person-nalisation de la relation, laissant souvent les salariésse débrouiller, là où il faudrait de l’échange, de laconfrontation, de la dispute pour savoir comment« bien faire ». Il revient au management d’organiserces échanges de points de vue. Le problème est qu’iln’est pas investi de ce rôle.

Qu’est-ce que ça veut dire aujourd’hui bien faire sontravail, bien faire son métier?F. H. :Ca devient compliqué de savoir ce que veut dire« bien faire ». Soigner bien, traiter bien un client… Lesentreprises qui savent que la définition du « bien faire »est compliquée et qui organisent des formes de déli-bération sur ce que veut dire concrètement « bienfaire » auront, dans l’avenir, un avantage concurrentielsur les autres. Dans nombre d’entreprises, on voit

aujourd’hui que des salariés attachés à bien faire leurtravail se trouvent, pour différentes raisons oucontraintes de procédures, conduits à « mal faire ». Etils en souffrent. Leur travail est dégradé à leurs propresyeux. Certains chercheurs parlent à ce propos de « qua-lité empêchée ». Ce qui laisse finalement les salariésdésorientés. Une désorientation qui touche à la foisau sens et à la direction. Dans des situations de cetype, trop nombreuses malheureusement, il n’y a pasd’autre solution que de remettre du politique dans letravail. Remettre du politique, c’est revoir les normeset réhabiliter les collectifs de pairs, mais c’est peut-être avant tout remettre du professionnel, du métierlà où il a disparu. La dimension importante, je crois,c’est la professionnalisation, c’est-à-dire l’établisse-ment de ce qui fait référence, un dispositif institutionnelqui dit ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas.Reprofessionnaliser les opérateurs, reprofessionnaliserles managers, c’est redonner aux uns et aux autres lapossibilité de mobiliser des moyens pour « bien faire ».

Le management ne serait pas assez professionnel…F. H. : Je considère, en effet, que le déficit professionnelle plus grave aujourd’hui est du côté du management.Le management ne s’assume pas comme métier. Donc,il n’y a pas de professionnalisation à proprement parler.Il y a sans doute une « ingénieurisation » du manage-ment, mais pas de professionnalisation en termes demétier. Le métier, c’est une pensée, une manière d’ac-céder au monde, d’y mettre la main. C’est un vrai défique de repenser le management dans une approcheplus professionnelle.

Peut-on encore parler de bien-être au travail ?F. H. :Le terme « bien-être » n’est pas très opératoirepour nous les ergonomes. Il y a parfois dans cetteexpression un côté supplément d’âme. Or, dans le tra-vail, c’est la vie qui se joue. La question de la qualitéde la vie au travail renvoie directement à la santé. Lasanté prise à l’échelle de la vie. Si l’on met le travailen rapport avec la vie, se pose la question d’un travaildurable. Comment durer dans l’activité? C’est le pro-blème des âges. Comment le travail fait société, per-met de construire du « vivre ensemble », de la culture?C’est le problème du lien entre des registres d’efficacitédifférents de l’entreprise et de la société. Commentfaire société en entreprise? Nous sommes renvoyéslà à des dimensions fondamentales, mais ce régla-ge-là est précisément au cœur de l’activité des indi-vidus et des collectifs, dans le travail.

Propos recueillis par Jean-Marie Charpentier,responsable de l’Observation sociale à ERDF

et secrétaire général de l’Afci

DOSSIER Le bien-être au travail : un vrai levier de changement dans les organisations

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Prévenir les risques psychosociaux pour développer le bien-être dans l’entreprise

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“Développement de la relation de service, standardisation, re-taylorisation... depuisune quinzaine d’années, les conditions d’exercice du travail se sont profondémenttransformées dans les entreprises françaises, provoquant une dégradation du sentiment de bien-être au travail. Commentaires de Philippe Douillet, expertde l’Anact sur les risques psychosociaux.

Philippe Douillet Spécialiste des risques psychosociaux à l’Agence nationale

pour l’amélioration des conditions de travail (Anact)

Comment abordez-vous la question du bien-être au travail ?Philippe Douillet : Cette notion relève de nombreuxfacteurs, dont une bonne partie dépasse le cadre del’entreprise et la situation de travail elle-même. Àl’Anact, nous nous intéressons aux facteurs de bien-être liés aux situations de travail et, plus particulière-ment, aux conditions à réunir pour permettre à chacunde bien faire son travail. Il nous apparaît, en effet, quelorsque les conditions du « bien faire » sont réunies,le bien-être peut alors se développer. Inversement, lasouffrance commence lorsque l’on considère que l’onn’a plus les moyens de bien faire. Ce raisonnementrepose sur le postulat que toute personne a des exi-gences en termes de qualité de son propre travail. Lessalariés essaient de bien faire leur travail, tout sim-plement parce que c’est une condition de leur bien-être et de leur développement. L’entreprise doit doncs’appliquer à mettre les personnes en situation de bienfaire leur travail, et c’est justement sur ce champ quenous pouvons l’accompagner.

Qu’est-ce qu’un travail bien fait ?P.D. :C’est bien sûr une notion relative. Si l’entreprisea des exigences, le salarié en a également. Le pro-

blème apparaît lorsque ces exigences ne convergentpas. Une autre façon de traiter cette question est dedire que le salarié doit répondre à la contrainte – parexemple ce qui lui est demandé en termes de coûts,de qualité ou de délai – en mobilisant ses ressourcesdisponibles, ses compétences, les relations avec lescollègues, le soutien managérial dont il dispose, etc.Lorsque le salarié peut mobiliser des ressources suf-fisantes pour répondre aux contraintes demandées,alors il est en situation de bien faire.Schématiquement, le phénomène observé depuisquelques années correspond à un accroissement descontraintes demandées en même temps qu’à uneréduction des ressources disponibles.

En quoi les conditions de travail ont-elles principa-lement évolué ces dernières années?P.D. : Les évolutions ont été nombreuses. L’une desplus importantes concerne le développement desmétiers de la relation de service, c’est-à-dire au contactdu client ou de l’usager. Ce sont des métiers dans les-quels l’engagement subjectif – c’est-à-dire la dimensionémotionnelle et affective – sont généralement plusforts. Des métiers dans lesquels la tension naît duparadoxe entre une attente de relation personnalisée

Le bien-être au travail : un vrai levier de changement dans les organisations DOSSIER

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de la part du client, qui contraint à une adaptation per-manente, et des processus standardisés de réponsedéfinis par l’entreprise dans un souci d’efficacité.Attention cependant aux raccourcis: le client n’est pastoujours une contrainte. Il peut aussi être une ressources’il manifeste de la reconnaissance et du soutien àl’égard du salarié (voir encadré ci-dessus).Par exemple, les analyses de terrain dans les entre-prises de télécommunications, un secteur très étudiéces dernières années, montrent que les conseillersclientèle se sentent « pris en tenaille » dans leur travail.C’est au cœur de cette tension que se joue le travailbien fait et que se nichent les compétences indivi-duelles et collectives des conseillers.Au-delà des métiers en contact direct avec le client,le travail s’est profondément transformé depuis unevingtaine d’années. La plupart des emplois exigentaujourd’hui une implication cognitive et relationnelleplus importante qu’autrefois. Cette implication plusgrande doit être assumée dans un contexte d’inten-sification du travail et de standardisation qui concerneaujourd’hui tous les secteurs d’activité, industrielset de services, publics et privés.Paradoxe supplémentaire, alors même que l’impli-cation plus subjective est attendue sur de plus en plusd’emplois, on assiste à une re-taylorisation du travailqui contribue à isoler les gens et à affaiblir les collectifsde travail et la coopération. Ce mouvement a été montré

récemment sur les activités back office d’une banque:la parcellisation des tâches et la spécialisation despersonnes ont dégradé l’entraide au sein des équipes.Les évolutions marquantes de ces dernières annéessont au nombre de cinq : l’intensification du travail,sa standardisation, l’éloignement du managementpris par d’autres tâches, la perte du sens du travailliée à la multiplication des changements et à leuraccélération, enfin l’affaiblissement des collectifs detravail. Les études, de la Dares 2 notamment, montrentune dégradation de l’ensemble de ces facteurs defaçon structurelle ces quinze dernières années.

S’agit-il là des principaux facteurs des risquespsychosociaux?P.D. : Il s’agit de facteurs largement reconnus et quenous étudions pour comprendre l’émergence desrisques psychosociaux. Mais ces risques peuvent semanifester de façons très variées. Par ailleurs, leurappréciation présente une dimension subjectivepuisque la question de la perception du salarié estcentrale. Une situation donnée n’entraînera pas desconséquences certaines. En la matière, il convientdonc, avant tout, d’écarter les approches mécanistes.Par exemple, une charge de travail qui s’accroît aug-mente la probabilité de souffrance. Mais ce n’est passystématique et c’est très difficilement mesurable.Autre exemple, le taux d’absentéisme, trop souvent

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DOSSIER Le bien-être au travail : un vrai levier de changement dans les organisations

Un dimanche matin dans une station-serviceSituation vécue il y a quelques semaine un dimanche matin de grands retours dans une station-servicede la région Rhône-Alpes. Affluence à la pompe, affluence dans le magasin. Pourtant, l’employée deservice est seule pour encaisser, rendre la monnaie, servir les cafés, faire réchauffer les croissants,répondre aux questions des clients asiatiques qui parlent à peine quelques mots d’anglais. Cette employée accomplit des prouesses, court de l’un à l’autre, garde le sourire, fait attendrel’un pendant qu’elle répond à l’autre. Elle entretient ainsi une sorte de mouvement de sympathie et les clients attendent patiemment leur tour. Jusqu’à ce qu’un monsieur pressé, il n’a visiblementpas perçu la situation, manifeste une humeur moins compréhensive. L’employée tente alorsd’accélérer le rythme, de rester souriante, cherchant du regard le soutien des autres clients.Plusieurs lui adressent une parole chaleureuse, un encouragement, un « on n’est pas pressé, vous savez ! » bien sonore, destiné tout autant à la rassurer qu’à calmer le monsieur pressé.On la sent reconnaissante mais également malheureuse de faire son travail de plus en plus vite, de ne plus pouvoir donner à chacun de ses clients ce qu’elle pense lui devoir. On sent qu’elle n’est pas très loin de craquer. On finit par s’en aller, l’essence est payée, le café est bu, espérantque la prochaine fois l’équipe sera plus étoffée les dimanches de grands retours.

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présenté comme un indicateur important d’un malai-se qui monte. Dans certains cas, c’est au contrairele « présentéisme » qui signale le malaise, dû peut-être à la pression ou au risque de perte d’emploi. Jepourrais aussi évoquer les tensions entre collègues,qui peuvent être le reflet de conditions de travaildégradées, mais parfois c’est le repli sur soi de cer-tains salariés qui est le symptôme le plus signifiant.Depuis deux ou trois ans autour de cas d’entreprisestrès médiatisés, la prise de conscience de l’importancedu sujet et la réaction des salariés sont manifestes.La prévention des risques psychosociaux est devenueun levier stratégique pour de nombreuses entreprises,qui ont désormais conscience de la relation étroiteentre le bien-faire et le bien-être des salariés.

Propos recueillis par Philippe Olivier,consultant, administrateur de l’Afci

1 Travail et engagement, revue de la qualité de vie autravail, n°332 juillet-août 2010.

2 Direction de l’animation de la recherche, des étudeset des statistiques du ministère du Travail, de l’Emploiet de la Santé.

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Le bien-être au travail : un vrai levier de changement dans les organisations DOSSIER

Risques psychosociaux, étapes d’une démarche en entrepriseQuelques conseils de Philippe DouilletLa première étape consiste à engager le dialogue entre les dirigeants et les représentants dupersonnel. Le CHSCT est le premier lieu d’échange sur les risques psychosociaux. Ce dialogue peut conduire à la nécessité d’établir un diagnostic. Une étape délicate car elle risque de conduire à des remises en cause, par exemple en matière d’organisation du travail. Le but du diagnostic est d’objectiver le sujet. Ce qui ne veut pas forcément dire le quantifier. Diagnostiquer nécessite, par exemple, de parler avec le médecin du travail, d’observer, de creuser, de faire s’exprimer lessalariés… Le grand questionnaire diffusé à tout le monde n’est pas toujours la bonne solution. Il peut cependant être utile pour identifier les grands sujets, pour confirmer de premières intuitions.Mais il ne fournit pas de qualitatif, qui est le matériau le plus riche. Quoi qu’il en soit, l’un desprincipes essentiels est d’engager un travail très participatif. Même si un accompagnement extérieurest utile, l’expertise est bien interne à l’entreprise. C’est aux acteurs de l’entreprise de produire leurdiagnostic et leurs pistes d’action : changement d’organisation, réduction des irritants, nouvelledéfinition des rôles, notamment ceux des managers en appui des équipes, ou encore modification des espaces de travail. Dans une telle démarche, le rôle de la DRH et des managers est central,l’engagement des dirigeants un préalable indispensable. Quant aux stratégies de communication,elles sont capitales car ces démarches génèrent presque toujours une forme de scepticisme. Diffuser de l’information sur ce qui se fait, donner à voir, expliquer ce qui se passe, présenter les solutions et accompagner ce qui se met en œuvre.

L’AnactL’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail est unétablissement public créé en 1973 placé sous la tutelle du ministère du Travail, de l'Emploiet de la Santé. L’Anact est gérée paritairementpar les représentants des employeurs et dessalariés. Elle a, de ce fait, une forte dimensiond’appui au dialogue social. Sa vocation est,d’une part, d’améliorer la situation des salariéset l’efficacité des entreprises et , d’autre part,de favoriser l’appropriation des méthodescorrespondantes par les acteurs concernés.L’Anact est organisée en trois grandsdépartements : santé au travail, compétences,transformation des organisations; son réseauest composé de l’agence nationale et de 26 associations en région.

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DOSSIER Le bien-être au travail : un vrai levier de changement dans les organisations

“La détérioration du climat social – et donc de la performance de l’entreprise –renvoient souvent aux conditions de travail des salariés. L’accumulation d’« irritants»du quotidien peut créer les conditions du mal-être, du désengagement, voire descrises sociales. Hubert Landier en analyse ici les mécanismes.

Le management humainpasse d’abord par lachasse aux « irritants »

Hubert LandierConseil en relations du travail, vice-président de Synergence

et de l’Institut international de l’audit social

Pourriez-vous nous donner un exemple concretd’irritants en entreprise?Hubert Landier : J’ai été appelé, il y a quelquesannées, pour intervenir sur un site industriel dontles salariés étaient en grève depuis trois jours. Pourla direction de l’usine, la cause était entendue. Il s’agissait d’une revendication salariale soutenuepar la CGT (quand on a quelque chose à reprocheraux syndicats, c’est toujours à la CGT qu’on s’enprend ; cela s’appelle la notoriété). Nous avons alorsenquêté. Ce qui nous est remonté n’avait rien à voiravec les salaires. Nous avons ainsi appris que pendant plusieurs semaines, l’eau chaude avait étéen panne dans les douches sans que la directionn’intervienne. Colère des salariés : « on se fiche denous ». Renseignement pris, la direction n’était pasrestée inactive : les devis avaient été examinés, lestravaux allaient commencer ; simple détail : elle avaitnégligé de le faire savoir.

Quelles sont les conséquences de ces dysfonction-nements sur la performance économique de l’en-treprise ?H. L. :Lors d’une autre intervention en entreprise, unreprésentant de la direction m’informait que la perted’exploitation avait atteint 30 % du chiffre d’affaires !Évidemment, il y avait urgence. J’ai interrogé les chefsde chantier qui m’ont expliqué les raisons de leurcolère : ils n’avaient pas le matériel adéquat, les aug-mentations de salaires n’étaient pas expliquées, onne répondait pas à leurs questions, les chefs n’étaientjamais là (et, d’ailleurs, se moquaient de tout ceci),ils recevaient ordres et contre ordres et n’avaient aucu-ne visibilité sur l’avenir. Dans ces conditions, pourquoise « défoncer »? Chacun se contentait de faire le mini-mum tout en faisant semblant de faire le maximum.Résultat : les compagnons ne travaillaient pas à plusde 50 % de leur potentiel ; les délais n’étaient pas res-pectés ; les indemnités de retard s’accumulaient ; lesdépenses de consommables explosaient. Et les pluscompétents s’en allaient.

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Le bien-être au travail : un vrai levier de changement dans les organisations DOSSIER

Dans un cas comme dans l’autre, les causes sont lesmêmes: une accumulation des irritants sociaux. Quesont-ils ? Ce sont tous les petits problèmes de la viequotidienne, d’apparence mineurs (au moins pourles grands chefs), qui contribuent à rendre insuppor-table la vie des salariés. Dans un premier temps, onfait avec. On espère que les choses vont s’améliorer.Et puis le temps passe. Et non seulement les chosesne s’améliorent pas, mais les raisons de râler se mul-tiplient. On en parle aux copains, qui sont bien d’ac-cord. « On se fiche de nous ». « On », c’est la direction.Dès lors que faire ?

Comment réagissent alors les salariés?H. L. : Première possibilité : ils disent tous ensembleque ça ne peut pas durer, syndicat en tête. Le pro-blème, c’est que des syndicats, il n’y en a pas toujours,et que les délégués ont parfois l’oreille un peu dure.Par ailleurs, ils traduisent à leur manière. À la direc-tion, ils ne vont pas parler des douches ; ça ne faitpas très sérieux; ils vont parler des salaires; au moins,ça met tout le monde d’accord, ceux qui utilisent lesdouches et ceux qui ne les utilisent pas. Une primeest accordée – grande victoire –, mais les douchesrestent comme elles étaient.Deuxième solution : ils « glandent ». « Puisqu’ils sefichent des douches, il n’y a pas de raison que je neme fiche pas de mon travail. Et donc, je traîne despieds ». Sans qu’il n’y paraisse, bien entendu. Maisles résultats sont là : multiplication des erreurs etdes retards, pannes, casse d’outils, détérioration dematériel, malfaçons en tout genre, attitude négli-geante à l’égard du client (ce gêneur), explosion del’absentéisme de courte durée (coupures, mal de dos,entorses...) ; sans compter le départ des meilleursqui sont écœurés devant cette atmosphère de déban-dade générale.Première conséquence : des salariés malheureux,peu fiers d’eux et de leur entreprise, qui non seule-ment baissent les bras, mais qui finissent par êtrevictimes des fameux risques psychosociaux. « Quandje suis devant le client (qui râle), avec mon programmeinformatique qui merdouille et que je ne peux pasjoindre mon chef, je panique ; quand ça m’arrive dixfois par jour, je stresse ; et un beau jour, je finis parcraquer ». Certaines entreprises entretiennent ainsila solitude de leurs salariés : il n’y a personne à quiparler en cas de problème.Deuxième conséquence: une baisse générale d’effi-cacité et des coûts qui explosent. On a vu plus hautune entreprise du BTP où les compagnons ne tra-vaillent pas à plus de 50 % de leur potentiel. Ceci n’arien d’exagéré. Une perte d’efficacité de 20 % semblecourante ; cela ne veut pas dire que les gens sont fai-gnants ; simplement, ils courent après le matériel qui

n’est pas là, le chef qui n’est pas disponible, la signatureindispensable et qui traine, ils n’en finissent pas deremplir leurs bordereaux et de traiter leurs e-mails.Et donc, ils finissent par baisser les bras. Or, 20 % deperte d’efficacité, c’est à peu près l’équivalent de qua-rante journées par an, ceci sans compter le coût desretards, des erreurs et les clients qui claquent la porte.

Quelle est la réaction du management, et notammentde la direction, face à ces phénomènes?H. L. : Le problème, c’est que ça ne se voit pas. Nullepart dans les comptes on ne trouve trace de cet énor-me gâchis. Le plan comptable n’a pas été fait pourça. On parlera donc de « coûts cachés ». Ils sont dif-ficiles à évaluer. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’ilsplombent les entreprises. On pourra toujours mettreen cause le poids des charges sociales, ce ne sontpas elles qui font que rien ne bouge. Si rien ne bouge,c’est parce que tout le monde baisse les bras à com-mencer par les cadres, y compris les cadres supé-rieurs. Problème de management : les grands chefsparlent stratégie, objectifs de rentabilité, plans deredéploiement ; ce qu’ils ne voient pas, parce qu’ilsestiment sans doute que ce n’est pas de leur niveau,c’est que pendant ce temps, les douches sont enpanne et que les gens en ont marre. Ce qu’ils ne com-prennent pas c’est que l’art du management com-mence par le problème des douches qui sont enpanne. Napoléon le savait bien, puisqu’il allait lui-même goûter la soupe de ses grognards. Il leur fautdonc partir d’urgence à la chasse aux irritants.

Pourriez-vous nous donner une typologie de ces« irritants »?H. L. : Ceux-ci sont de différentes natures. Selon unréférentiel mis au point par le cabinet MCS et exploitépar l’Agence Synergence, comme base de ses auditsde climat social. Ils portent notamment sur :• les relations avec les collègues de travail : l’ambianceest-elle satisfaisante, le courant passe-t-il entre lesjeunes et les anciens, y a-t-il de l’entraide au sein del’équipe de travail ?• les relations avec l’encadrement de proximité : leschefs sont-ils disponibles, savent-ils intervenir encas de conflit ou de difficulté, se montrent-ils à l’écoutede leurs collaborateurs ?• la mise en œuvre des méthodes de management :par exemple, les entretiens annuels d’évaluation sont-ils réellement utiles ou ne représentent-ils aux yeuxdes intéressés qu’une perte de temps correspon-dant à une exigence administrative de la direction ?• l’image de la direction générale : se montre-t-ellecapable de formuler un projet réellement mobilisa-teur ? Prend-elle en compte les préoccupations légi-times du personnel ?

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DOSSIER Le bien-être au travail : un vrai levier de changement dans les organisations

• l’action des représentants du personnel : paradoxa-lement, leur image est loin d’être toujours excellente.Jouent-ils correctement leur rôle, dans l’intérêt detous et de chacun, ou bien se contentent-ils de gérerla rente de situation que constitue leur mandat ?Ne parlons pas de l’avenir, sujet d’inquiétude pourbeaucoup : que deviendra mon emploi ? Aura-t-onencore besoin de gens comme moi ? Ne va-t-on pasexiger de moi, sous peine de devoir dégager, de démé-nager à l’autre bout de la France ?Dans cet inventaire, où mettre le problème de ladouche en panne ? Paradoxalement, les conditionsmatérielles de travail peuvent ne pas constituer unsujet majeur d’irritation. Les vieux locaux malcom-modes en centre-ville peuvent être préférés à l’im-meuble flambant neuf, mais éloigné de tout, etnotamment du bistrot du coin où l’on allait tous lesmatins s’informer des derniers ragôts. En revanche,l’indifférence manifestée par les chefs devant ce genrede problème est jugée insupportable. Elle constitueen effet, aux yeux du personnel, une manifestationde mépris, et c’est cela qui n’est pas acceptable. Onfera donc grève pour la douche même si on ne l’utilisepas ; le fond du problème, c’est que l’on veut se faireentendre, être pris en considération, bref, exister.

Quel lien faites-vous avec la communication internedes entreprises?H. L. :Parmi tous ces irritants, les problèmes de com-munication figurent en bonne place, et même en trèsbonne place :• l’information est souvent jugée comme étant tropcentrée sur le quoi faire, non sur le pourquoi faire,sur les tâches à exécuter, non sur les perspectivesde l’action menée en commun ;• l’information orale, par la voie hiérarchique est tropsouvent délaissée au profit de l’information écrite ;« tout est sur l’intranet » ; le problème, c’est qu’onn’a pas le temps d’aller le consulter, qu’il est insipideet que, d’ailleurs, tout le monde n’y a pas accès.Ces carences de communication, dont les managersn’ont pas toujours bien conscience, ont plusieursconséquences. D’abord, elles renvoient les salariésà un statut d’exécutant : « tu fais ça et tu te tais » ; iln’y a pas à s’étonner ensuite que les membres d’unearmée de mercenaires se sentent assez peu concer-nés par la cause qu’on leur demande de défendre.Ensuite, à défaut d’information officielle jugée per-tinente, va se développer l’information officieuse, l’in-formation sauvage. Celle-ci est d’autant plus richeque l’information officielle est plus stratosphérique.L’écart entre certains plans de communication et laréalité sur le terrain a quelque chose de fascinant.On papote autour de la machine à café sans consi-dération aucune pour le journal d’entreprise en qua-

drichromie (généralement intitulé « Entre nous »)avec édito du président, dont les piles s’amoncèlentdans l’indifférence générale jusqu’au jour où la femmede ménage prend l’initiative d’en garnir le fond de sapoubelle. Moyennant quoi, pendant ce temps, tout lemonde « sait » que Jojo va s’en aller parce qu’il atrouvé mieux ailleurs et que rien n’a été fait par ladirection en ce qui concerne l’eau chaude dans lesdouches.

Que peut-on faire pour lutter contre ces irritantset prévenir leurs conséquence sociales?H. L. : La première chose à faire, c’est de s’en préoc-cuper. Ceci ne va pas nécessairement de soi pournombre de managers qui estiment avoir autre choseà faire, de plus urgent, et aussi de plus valorisant,que les histoires de douches en panne. Ce qu’ils n’ontpas compris – sans doute parce que ce n’est pas cequ’on enseigne dans les « grandes écoles » –, c’estque le management commence par la capacité à direbonjour et merci. Le reste vient après.La seconde, c’est de se mettre à l’écoute afin de repé-rer les irritants sur lesquels il conviendra d’agir enpriorité. Se mettre à l’écoute, cela peut consister àprocéder à un audit (un véritable audit, non l’une deces stupides enquêtes d’opinion où l’on demande auxgens s’ils sont fiers de leur entreprise). Les irritantsmajeurs une fois identifiés, il sera possible de mettreen œuvre un plan d’action en vue d’en finir, autantque possible. Résultat attendu : des salariés mieuxdans leur peau et plus efficaces dans leur travail. Etensuite recommencer, parce que la mauvaise herbene cesse de repousser.

À lire Hubert Landier, Dix-huit bonnes raisons de détester votre entreprise,François Bourin éditeur, 2012

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Bien-être au travail : les bonnes recettes existent-elles?

Dans quelles circonstances votre entreprise a-t-elle défini une politique spécifique sur la qualité devie au travail ?

Paule Arcangeli > C’est en 2008 qu’a été mené lerapprochement entre plusieurs entités qui consti-tuent aujourd’hui notre groupe, notamment les socié-tés AG2R et La Mondiale. Tout rapprochementengendre forcément des changements d’outils, depérimètre, de hiérarchie, de métier, de références.Même lorsque cela se passe bien, la direction desressources humaines doit toujours être en état devigilance dans ces périodes. Nous avons bien sûraccompagné le changement mais, au-delà, nousavons voulu montrer que nous étions attentifs à toute

difficulté qui pourrait survenir et nous avons égale-ment sensibilisé les managers à cet aspect.Parallèlement est paru un décret d’application de laloi de modernisation sociale, portant sur l’obligationde négocier avec les partenaires sociaux un accordde prévention du stress au travail, ce que nous avonsfait fin 2009. Puis, nous avons lancé une grande enquê-te sur « la vie au travail », en novembre 2010, auprèsde l’ensemble des salariés. Nous avons restitué àchacune des équipes ses résultats sur les différentsthèmes, avec une comparaison par rapport à l’en-semble de l’entreprise. Des plans d’actions ont ensuiteété construits par les équipes, dans une démarcheparticipative. Tout cela constituera le socle de notreplan d’entreprise pour les trois ans à venir, l’un denos gros chantiers. Mais déjà, de nombreux chantiers

Regards croisés, Armando Amselem, Paule Arcangeli, Arnaud Garni, Denis Marquet

DOSSIERLe bien-être au travail :

un vrai levier dechangement dansles organisations

Depuis la loi de modernisation sociale, la prévention des risques psychosociauxest entrée de plain-pied dans les entreprises. Qualité de vie, bien-être, ces mots seheurtent parfois à la réalité vécue au quotidien par les collaborateurs. Commentpasser des bonnes intentions au concret? Quelle est la politique des entreprisesoù il fait bon travailler ? Témoignages d’Armando Amselem, directeur général de PepsiCo France, Paule Arcangeli, directrice des ressources humaines de AG2R La Mondiale, Arnaud Garni, directeur de la communication de Leroy Merlin et Denis Marquet, directeur de la communication de Crédit Agricole S.A.

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sont en cours, soit sur les conditions de travail et l’en-vironnement du poste, soit sur l’organisation et larépartition des charges, soit sur un métier spécifi-quement (par exemple, l’informatique a son plan deprogrès), soit enfin autour de problématiques trans-verses, telles que la communication sur les possibi-lités d’évolution professionnelle.

Armando Amselem > C’est Indra Nooyi, nomméeprésidente de PepsiCo en 2007, qui a impulsé le projetd’entreprise « Performance With Purpose » (que l’onpeut traduire par « la performance qui a du sens »).Les « talents » ont été placés au cœur de ce projet,l’entreprise considérant qu’il y a une corrélationdirecte entre la performance sociale et la perfor-mance économique. Notre politique RH repose ainsidepuis plusieurs années sur trois axes identifiéscomme prioritaires : la qualité managériale, l’équi-libre entre vie professionnelle et vie privée, la convi-vialité. Par exemple, 35 % du budget de la formationest consacré à former les managers, mais aussi lesmanagés, afin qu’ils sachent quoi attendre de leurhiérarchie. La hiérarchie est évaluée autant sur ses

performances managériales que sur ses résultats« business ». Le télétravail est fortement développé,ainsi que la pratique d’activités culturelles ou spor-tives sur le lieu de travail. Quant à la convivialité, ellese traduit par la mise en valeur des succès individuelset l’organisation d’événements festifs. Les meilleuresidées pour développer le bien-être au travail viennentsans aucun doute de nos collaborateurs : ce sont euxqui suggèrent la mise en place d’actions concrètes,en phase avec nos valeurs et notre culture d’entre-prise. Dernier exemple en date : le lancement de laJournée des Enfants, où 85 enfants de 3 à 13 ans ontpu découvrir de façon ludique les locaux et les métiersde l’entreprise, présentés par des collaborateursvolontaires, puis déjeuner avec leurs parents au res-taurant d’entreprise et participer à des activitésautour d’un goûter géant…Nous menons chaque année deux enquêtes : l’une,interne au groupe Pepsico, porte sur le climat social

et nous donne des éléments de comparaison avecles autres filiales dans le monde; l’autre est l’enquêteGreat Place to Work, qui nous donne des résultatspar rapport à d’autres entreprises françaises. Et, pourla troisième année consécutive, nous arrivons en têtede ce classement en 2012.

Denis Marquet> Le bien-être au service de la per-formance est également un point fort de la politiqueRH de Crédit Agricole S.A. Nous avons particulière-

ment réfléchi à la qualité de vie au travail lorsquenous avons décidé de déménager notre siège de Parisà Montrouge. L’idée est venue de créer un véritable« campus » (baptisé Evergreen), capable d’accueillir2 500 collaborateurs début 2011, et dans un secondtemps environ 10000 personnes. Nous avons imaginéune nouvelle façon de travailler, grâce à une archi-tecture et une organisation spatiale qui favoriseraientles rencontres et les échanges informels. Toutes leséquipes travaillent sur des plateaux en open space,où l’acoustique et l’ergonomie du poste de travail ontété très étudiées. Chaque équipe dispose de sallesde réunions et des lounges (salons) ont été créés,avec distributeurs de café, flipper, billard ou babyfoot… Dans le jardin, des tables sont disposées pourdéjeuner. Autant d’occasions de se rencontrer etd’échanger sur du non-professionnel, l’objectif affichéde l’entreprise étant que les collaborateurs appren-nent à se connaître, afin de développer à la fois leurbien-être et les synergies entre services.L’autre objectif était de favoriser une façon de tra-vailler plus souple, plus adaptée aux contraintes.Dans cet esprit, chacun dispose d’un ordinateur por-table et tout le bâtiment est équipé en wifi. Nousvenons aussi de signer un accord sur le télétravail,un jour par semaine. La performance est enfinencouragée par des services mis à disposition surplace : salle de sport, salles de sommeil, conciergeriequi prend en charge le nettoyage de la voiture, lacordonnerie, le pressing, la livraison de fleurs, l’achatde cadeaux, la recherche d’une baby-sitter ou d’unenounou…

« Les meilleures idées pourdévelopper le bien-être au travail

viennent sans aucun doute de nos collaborateurs »

« Un de nos objectifs était de favoriser une façon de travailler

plus souple, plus adaptée aux contraintes »

DOSSIER Le bien-être au travail : un vrai levier de changement dans les organisations

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Le bien-être au travail : un vrai levier de changement dans les organisations DOSSIER

Arnaud Garni> Je pense que le bien-être au travailrelève d’une alchimie complexe. Il résulte de nom-breux facteurs qui se construisent au fil du temps.Leroy Merlin est une entreprise qui a des convictionshumaines fortes et qui donne du sens à l’activité dechacun. v : partage d’une vision commune de notremétier (aider les Français à rêver leur maison et àla faire), partage du savoir (plus de 5 % de la massesalariale sont consacrés à la formation depuis plusde quinze ans), partage du pouvoir, qui consiste àresponsabiliser les collaborateurs et à leur laisserune large autonomie, et partage de l’avoir, avec inté-ressement, participation aux bénéfices et actionna-riat (98 % de nos 20 000 salariés sont actionnairesde l’entreprise). Ces politiques et cette identité par-ticulière permettent de comprendre pourquoi nousfigurons depuis huit ans au palmarès Great Place

to Work. C’est toute une culture interne qui s’estbâtie depuis trente ans et qui fait que 82 % des sala-riés se déclarent fiers de travailler pour l’enseigne.Par exemple, 100 % des directeurs de magasin ontexercé d’autres fonctions chez Leroy Merlin aupa-ravant. Cette règle n’a jamais été édictée, mais elleexiste et contribue certainement à la diffusion denos valeurs communes, notamment au respect del’autonomie de chacun. Si le directeur a cette vision,l’ensemble de ses collaborateurs peut s’exprimeret travailler collectivement.

Avec le recul, quelle leçon en tirez-vous?

Paule Arcangeli > Le thème de la qualité de vie autravail conduit, pour chaque collaborateur, à sedemander : « comment suis-je concerné par mapropre vie au travail ? ». C’était le sens de notre gran-de enquête interne. Nous souhaitions remettre àl’honneur l’expression des salariés, comme celaavait été le cas il y a trente ans avec les lois Auroux,un peu oubliées aujourd’hui. Cela répond à un besointrès fort de nos collaborateurs. Pour la restitutiondes résultats de l’enquête aux équipes, nous avons

demandé aux managers de ne pas faire de commu-nication descendante mais plutôt de favoriser desréactions. Pour moi, il est essentiel que l’entrepriseoffre des lieux d’expression et nous avons décidé depérenniser cette démarche au travers de groupesde travail.

Denis Marquet> Un an après notre déménagement,nous constatons que le concept de « campus » fonc-tionne bien. Nous avons tout de suite vu que leséchanges se développaient. Cela signifie que l’orga-nisation de l’espace de travail et la réflexion sur l’en-vironnement jouent un rôle déterminant dans lafluidité de la circulation de l’information, donc dansl’évolution des rapports au sein de l’entreprise.

Armando Amselem> Nous avons également vouluaméliorer la communication transversale en orga-nisant notre siège de Colombes non pas par services(finance, logistique…) mais par clients ou par pro-duits. Et le résultat est très probant, les décisionssont beaucoup plus rapides. Je trouve aussi que toutce que nous avons fait pour promouvoir les activitéssportives ou culturelles apporte une atmosphèrefantastique. Cependant, ce n’est pas seulement unequestion d’équipements ou de locaux, il faut aussiun état d’esprit : le manager va-t-il féliciter celuiqui fait du sport ou va-t-il penser qu’il ferait mieuxde travailler ? Je crois aussi qu’il faut regarder ceque font les autres entreprises et échanger avecelles sur ces thématiques. Car nous avons aujour-d’hui un choix stratégique à faire : faut-il continuerà renforcer nos trois axes prioritaires ou faut-il inves-tir sur d’autres points ?

Arnaud Garni> C’est certain que tout est affaire deculture interne. Pour ma part, je retiens de notre expé-rience l’importance d’un travail à long terme. Nousavons la chance d’avoir commencé très tôt à réfléchiraux politiques de partage et d’avoir gardé une lignedirectrice autour de notre vision. Cette constance aété une force. Il en résulte aujourd’hui une cohérenceet notre rôle est d’animer cette cohérence.

« Pour moi, il est essentiel que l’entreprise offre

des lieux d’expression »

« Nous animons en permanence ce que nous appelons les politiques

de partage »

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DOSSIER Le bien-être au travail : un vrai levier de changement dans les organisations

Quel est le rôle de la communication interne dansle maintien ou l’amélioration de la qualité de vie au travail ?

Paule Arcangeli > Si la direction des ressourceshumaines initie la démarche, il est bien évident qu’el-le ne peut pas travailler seule. Nous avons instauréun comité de pilotage, dont la direction de la com-munication est partie prenante. Elle a notammentgéré les différents supports de communication. Parexemple, des supports spécifiques ont été éditéspour la restitution des résultats de l’enquête « Mavie au travail ». Et un espace dédié au projet a étécréé dans l’intranet de l’entreprise, où des pointsréguliers sur les plans d’actions en cours et à venirsont diffusés.

Armando Amselem> Notre département commu-nication compte peu de personnes mais il est trèsperformant. Son credo : « faire ce qu’on dit ». C’estce qui donne beaucoup de crédibilité à ses actions etau management en général. Avec 550 collaborateurs,nous sommes une société presque familiale, où lahiérarchie reste accessible. Cela permet de commu-niquer de façon rapide et réactive. Par exemple, dèsqu’une information importante doit être partagée,nous organisons une conférence téléphonique pourtous. La transparence participe également de la qua-lité de vie au travail. Même si nous n’avons pas tousles éléments sur un sujet donné, nous partageons ceque nous savons.

Denis Marquet> En effet, c’est très important dedonner une information juste et d’expliquer pourquoi,parfois, nous ne pouvons pas apporter davantagede détails. Notre baromètre interne nous indiqueque la première source d’informations des collabo-rateurs, c’est leurs collègues. À nous de diffuseraux « collègues » la bonne information ! Pour cela,il faut comprendre les sujets de préoccupation, inci-ter à la conversation et laisser chacun s’exprimer,afin d’entendre les réponses apportées et, éventuel-lement, corriger ce qui est mal perçu. C’est pourquoinous multiplions les occasions de rencontres, phy-siques ou par l’intermédiaire de chats et de forums,sur divers sujets liés à l’actualité, à l’environnementéconomique, etc. Nous faisons intervenir des socio-logues, des économistes, pour aider au décryptageet faire de la pédagogie.

Arnaud Garni> La communication doit veiller à ceque le sens donné à nos activités et nos métiers au

quotidien soit suffisamment partagé. Les formationssont-elles bien connues ? Le management de proxi-mité est-il « libérant » ? Telles sont les questions quenous nous posons en permanence. J’ai parlé deconstance et de cohérence tout à l’heure, la commu-nication doit être actrice de cette cohérence. Nousmontrons la stratégie et le mouvement de l’entrepriseau travers d’illustrations très concrètes, issues duterrain, pas seulement d’un point de vue théoriquemais aussi, et peut-être surtout, du point de vue ducœur et de l’engagement de chacun.

Propos recueillis par Laurence de Beaufort

Ce qu’on peut en retenir Le bien-être au travail nécessite de nombreux investissements del’entreprise directement consacrés à cette cause : au niveau des locaux, des moyens matériels ou des servicesmis à disposition des collaborateurs,mais aussi au niveau du managementdes ressources humaines (rapport vieprivée/vie professionnelle, promotioninterne, télétravail, intéressement et participation aux bénéfices, etc.). Au-delà, ces quatre dirigeants mettenten avant l’expression des salariés, avec la nécessité de créer les lieuxd’échanges, physiques ou numériques,mais aussi de favoriser la remontée des besoins et des idées au traversd’enquêtes, de groupes de travail, de réunions ou de prise de parole sur les supports de communication.Surtout, ils montrent que la qualité de vie au travail tient principalement à un « état d’esprit » du management et, plus généralement, à la culture internede l’entreprise. Des domaines où lecommunicant a un rôle prépondérant à jouer.

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Patrick Féminier, directeur-associé du cabinetInvescomm, administrateur de l’Afci

Le titrede "responsable de communication"comporte une ambiguïté car le véritable respon-sable de la communication d'une entité en est toujours le dirigeant. C’est lui qui en assume lesconséquences, y compris pénales.

Dans l'entreprise l'emploi du terme « responsable »dégage la responsabilité – non pas du dirigeant, il est assez soucieux de ce qui se dit – mais d'unepartie de l'encadrement.

Un peu comme se moquait Clemenceau, affirmant :« La tolérance, il y a des maisons pour ça ! », cer-tains managers pensent souvent que « La commu-nication, il y a un service pour ça ! ». Oubliant qu’iln’est pas de management sans communication.

Si, par ailleurs, le communicant emploie le titre de« responsable », les managers ne ressentent aucuneculpabilité à ne pas assurer (assumer !) la commu-nication au sein de leur entité.

Alors même que le communicant apporte son exper-tise, sa capacité d’écoute et de mise en œuvre tech-nique, son engagement, comment le qualifier ? Jevous livre quelques pistes en vrac : communicant,animateur communication, conseiller en commu-nication, spécialiste communication, voire directeurde la communication…

À vous de choisir… en toute responsabilité !

Véronique Le Roux, directrice de l'assemblée et dupartage de l'information, Conseil général du Finistère

Au Moyen Âge, la libre parole

était l’apanage d’un seul.Fou, parce que singulier et lucide, jonglant entrecourage et témérité, funambule sur la ligne de crêtequi sépare la prise de risque assumée, de la miseen danger.Aujourd’hui, le communicant, totalement investimais aussi volontairement décentré, porte ce soufflede liberté au cœur de l’entreprise.Décalé, pour mieux embrasser l’action, il s’autorise,sous couvert d’originalité, à ébranler les certitudes.Aiguillon, empêcheur de tourner en rond, le commu-nicant interpelle, grain de sel sur l’évidence profes-sionnelle.Précieux et insupportable, parce que non aligné.Paradoxe d’un métier surexposé, magnifique etdévorant, combat ordinaire contre les vérités éta-blies… dévoreur d’énergie.Comment, dès lors, tenir la distance ? Garder ladiagonale sans prendre la tangente ?Attention, fragile… Fou du roi à conforter.

Communication:responsable maispas coupable!� La Diagonale

du Fou

Points de vue

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44 Les cahiers de la communication interne n°30 - Juin 2012

Premier groupe financier coopératif du Canada, fondé en 1900, le Mouvement Desjardinsemploie plus de 44000 salariés au Canada et compte près de 5400 dirigeants élusbénévoles, au sein des différentes caisses, des secteurs d’affaires et des filiales. Son fonctionnement coopératif influe directement sur les enjeux et l’organisation de sa communication interne. Interview de Marie-Huguette Cormier, vice-présidenteexécutive Communications de ce groupe.

Mouvement Desjardins :une communication interne auservice d’un projet coopératif

> CANADA

Comment est organisée lacommunication interne au seindu Mouvement Desjardins?Marie-Huguette Cormier : Il ya encore quelques années,notre communication étaitdécentralisée au sein de laFédération et des différentesfiliales. En 2009, nous avonschoisi de regrouper les équipes

de communication – soit 150 personnes – au seind’une même entité qui est placée sous ma respon-sabilité. Cependant, dans un souci de proximité avecnos « clients internes », une grande partie de ceséquipes est encore basée géographiquement dansnos secteurs d’affaires et filiales. Au sein de l’entitéfédérale, des directeurs de communication, qui ontchacun la responsabilité de deux ou trois clientsinternes, pilotent et coordonnent l’activité des com-municants. Nous avons donc un positionnement de« conseillers » internes, les communicants apportant

leur support aux gestionnaires des grands secteursd’affaires et des fonctions de soutien (RH, finance,etc.) ou encore lors de la mise en œuvre de projetsd’envergure.

Quels sont vos enjeux actuels de communicationinterne?M-H. C. : Nous étions jusqu’en 2009 structurés defaçon très éclatée. Aujourd’hui, nos activités sontregroupées au sein de quatre grands secteurs d’af-faires, soutenus par des fonctions support. La nouvelleorganisation est bien en place mais le défi aujourd’huiest de créer une cohésion globale entre les différentesentités, de véhiculer des messages corporate. Nossalariés et bénévoles ont le sentiment que l’entreprisea vécu de nombreux changements, mais sans forcé-ment bien percevoir leur finalité. Il faut donc toujoursdonner un sens à cette nouvelle organisation.Par ailleurs, nous travaillons beaucoup sur des pro-blématiques RH et accompagnons notamment desprogrammes de mieux-être au travail. Cette dimen-

Vues d’ailleurs

Marie-Huguette Cormier

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Les cahiers de la communication interne n°30 - Juin 2012 45

sion RH est vraiment ancrée dans nos valeurs etmême dans les missions de notre groupe.Sur quel dispositif d’information interne vousappuyez-vous?M-H. C. :À côté de notre magazine trimestriel qui estdiffusé aux 20 000 salariés de l’entité fédérale, nousavons aujourd’hui trois portails intranet : l’un pources 20 000 employés, un second pour les 24 000employés des caisses et un troisième pour nosquelque 5 400 bénévoles. Nous envisageons de fusion-ner les portails destinés aux employés, en mettanten place un portail plus dynamique et interactif. Pourl’heure, nous sommes à intégrer dans les portailsexistants des outils collaboratifs qui soutiennent letravail de communautés.

Comment se positionnent les managers de votreentreprise par rapport à la communication avecleurs équipes? Comment les aidez-vous dans cettedémarche?M-H. C. : Nous organisons beaucoup de réunionsinternes. C’est pour nous essentiel car dans unestructure coopérative, il n'y pas réellement de pouvoirhiérarchique. Nous attendons de nos employés qu'ilsparticipent activement à la vie et au fonctionnementdu groupe. Pour prendre une image, la communicationorale au sein d’une organisation représente le« gâteau » ; la communication fédérale, elle, le gla-çage. Or, actuellement le glaçage est un peu tropépais, et la communication de proximité, en face àface, est trop mince. Idéalement, on aimerait un gâteauà deux étages avec un fin glaçage… En clair, nousdevons instaurer un véritable dialogue entre managerset salariés. D’ailleurs, c’est une attente forte des plusjeunes d’entre eux.

Pour conclure, voyez-vous des éléments culturels spé-cifiques au Québec, ou au Canada, ayant un impact surla façon d’appréhender la communication interne?M-H. C. : Je vous répondrais par une anecdote. L’andernier, notre service ressources humaines nousavait commandé des formations à la communicationsous forme de vidéos réalisées par un organismefrançais. Très vite, nous nous sommes aperçus quecelles-ci n’étaient pas adaptées à notre fonctionne-

ment. Au Canada, nous avons des modes de mana-gement beaucoup moins directifs, laissant plus deplace à l’autonomie et la prise d’initiative. Ce traitculturel est sans doute renforcé par la structurecoopérative de notre groupe. Par exemple, nosassemblées générales sont très participatives.Chacun peut réagir aux différentes propositions. En fait, nous vivons la démocratie autrement.

Propos recueillis par Aurélie Renard, déléguée générale de l’Afci

Le Mouvement Desjardins en quelques chiffres• 1er groupe financier coopératif au Canada• 18e rang des institutions financières

les plus sûres au monde selon le relevéde mi-année du magazine new-yorkaisGlobal Finance publié en mars 2012

• 190 milliards de dollars canadiens (soit 147 milliards d’euros) d'actifs

• 5,6 millions de membres et de clients au Canada et en Floride / 400000entreprises clientes au Canada

• Plus de 44000 employés dans tout le Canada / 5366 dirigeants élus

• 422 caisses au Québec et en Ontario• Plus de 20 sociétés offrant des services

financiers et d'assurance au Canada• 4 secteurs d’affaires: gestion du

patrimoine et assurance de personnes;assurance de dommages; services auxparticuliers; services aux entreprises

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L’Entreprisedu bonheurTony HsiehLeduc Éditions,2011, 314 pages

Drôle de livre.Qu’en penser? Onoscille à chaquepage entre laénième successstory à l’améri-

caine avec la scénographie habi-tuelle de « Moi, mes débuts dansun garage, ma réussite, mes enseignements » et le témoignagevivant et concret d’un homme passionné… autant par une tablede poker, des raves parties oul’ascension du Kilimandjaro que par sa volonté inoxydabled’entreprendre et d’expérimenter.C’est l’histoire de la création parTony Hsieh de Zappos (vente enligne de chaussures aux États-Unis) jusqu’à son rachat dix ansplus tard par Amazon 1,2 milliardde dollars. Une belle entreprisedans tous les sens du terme. Axée sur trois piliers:• l’obsession du service à la clien-tèle: les illustrations très nom-breuses d’un service client allantau-delà de la satisfaction (laconnexion émotionnelle person-nelle) sont formalisées dans undocument « Dix moyens d’instillerla passion du service à la clientèledans votre entreprise »;• la force de la culture d’entre-prise: si c’est le caractère qui faitla destinée des individus, c’est laculture qui fait celle des entre-prises… Ce qui importe, c’estl’harmonisation que les valeurs de base créent quand elles devien-nent le mode de pensée « par défaut » de toute l’entreprise. Dix valeurs de base traduisent

la compatibilité avec Zappos. Certaines, comme « Être drôle et peu insolite » ou « Créer une équipe constructive animée par un esprit de famille » ne manquent pas d’originalité;• la formation et le perfectionne-ment des employés: « ce que nousvoulons, c’est que les employésappréhendent leur travail noncomme un emploi ou une carrière,mais comme une vocation ».Et les résultats sont là : Zappos estpassée d’une quasi-faillite à unecroissance fulgurante, le chiffred’affaires s’est développé pour at-teindre plus d’un milliard de dol-lars, les salariés ont élu plusieursfois l’entreprise « a great place towork » et les actionnaires ont étéravis de se marier avec Amazon.Des propos sur le bonheur vien-nent conclure cette tranche de vieet justifier le titre du livre en anglais Delivering happiness. Ilssont loin de présenter la consis-tance de ceux d’Alain,le philosophe,mais let’s be positive: pourquoi nepas nous réjouir de cette remar-quable réussiteet pourquoi ne pas nous associer quand une entreprise cherche à prodiguer le bonheur dans le monde?

Philippe Détrie

IndisciplinéDominique WoltonOdile Jacob, 2012, 452 pages

Ambitieuse entreprise que d’éla-borer une anthologie de trente-cinq années de publicationsscientifiques d’un même auteur.Mais, au-delà du risque de dispersion, de contradiction ou derépétition, il y a dans cet Indisci-pliné deux incontestables intérêts:

celui de faire le point sur une pen-sée originale et claire qui trans-cende les effets de mode dontsouffrent souvent les écrits sur lacommunication, et celui de voirs’élaborer cette pensée dans l’atelier du chercheur, au plusprès de la « paillasse » surlaquelle il dépose au fil des ans les sujets à étudier. Le titre, pourcommencer, témoigne tout à la fois de sa posture décalée;illustrée notamment par son inlassable dénonciation du « mytheinternet […] Attila qui détruittout sur son passage » et de laconfiance aveugle dans la tech-nique; et de cette « obligation » de penser la communication au croisement des sciences hu-maines et sociales, de la sociolo-gie à la linguistique, de l’économieaux sciences poli-tiques. DominiqueWolton reprend iciles grands thèmesqui ont jalonné sacarrière de cher-cheur: le couple, lafamille, le syndica-lisme et l’organisationdu travail, les médias,l’espace public et lacommunication poli-tique, l’information et le journa-lisme, l’internet et la société del’information, la connaissance,l’Europe, la mondialisation… Au total, une soixantaine de contri-butions coiffées pour l’occasiond’une introduction qui les remetdans leur contexte et d’un appendice, les enjeux théoriquescontemporains, qui réactualise la réflexion.On y puise régulièrement des réflexions prémonitoires, parexemple celle relevée dans untexte de 1978 à propos de la mise

Lu pour vous

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en place des ré-seaux techniquesde communicationsur le lieu de travail : « La ratio-nalisation de lacommunicationrisque de liquider[…] la trame fragiledes relations interpersonnellespuisque souvent le plus importantse lit dans les interstices desgestes et des mots… Une solitudedans le travail peut donc résulterde la « déprivatisation » et de la professionnalisation deséchanges, de la disparition de la présence physique des autres,avec lesquels on communique à distance. […] La grande rupture […] porte sur la modification durapport au temps et à l’espacedans la situation de communica-tion, pour des outils qui évacuentl’infraverbal, favorisent un seulmode de relation et accentuent finalement la confusion entrecommunication et échange demessages ». Mais probablementest-ce la dernière partie la plusessentielle, dans laquelle il revientsur ses travaux récents concer-nant la distorsion entre informa-tion et communication et met aupremier plan le défi de la cohabi-tation. C’est la question centrale:comment cohabiter pacifiquementdans un monde devenu tout petit,transparent, où les différences,grâce aux techniques, sont plusperceptibles que les ressem-blances. L’enjeu pour la communi-cation n’est plus de transmettre nide partager mais bien de négocieren prenant en compte plus que jamais la question de l’altérité.

Philippe Olivier

Liberté & CieQuand la liberté des salariés fait le bonheurdes entreprisesIsaac Getz, Brian M. CarneyFayard, 2012, 387 pages

Brian M. Carney, directeurdes pages débats du WallStreet Journal, et Isaac

Getz, docteur en psychologieet professeur à l’ESCP, ont choisidans cet ouvrage de s’intéresseraux vertus comparées des « entreprises comment » et des « entreprises pourquoi ».Les premières, qui composent laquasi-totalité du paysage actuel,sont hiérarchiques, bureaucra-tiques et dotées d’un système decontrôle descendant. Dans ces en-treprises, on passe beaucoup detemps à dire aux salariés com-ment faire leur travail, où mettreles machines, quand venir tra-vailler et quand rentrer chez soi.Une « entreprise comment » produit de la procédure et deséchelons hiérarchiques. Ces environnements sont finalement hostiles aux idées des salariés de base ainsi qu’à leur motivation.Ils reposent sur le principe de la division du travail. L’ouvrier,concentré sur une tâche parcelli-sée, ne contrôle plus son travail ni l’objectif de celui-ci. Il ne peutque perdre tout intérêt pour le résultat final. Ce qui génère unesurveillance plus étroite descontremaîtres et la multiplicationdes mécanismes de contrôle provoquant un désengagementencore plus grand des ouvriers.Les « entreprises pourquoi », également appelées « entrepriseslibérées » par les auteurs, fonc-tionnent tout autrement. La my-riade de « comment » est

remplacée par une seule question:pourquoi faites-vous ce que vousfaites? La réponse est toujours lamême: pour que les clients soientcontents. Dans ces entreprises, les salariés jouissent d’un contrôleréel sur leur travail, la hiérarchiene leur dit pas comment faire.L’encadrement disparaît. Les sala-riés sont organisés en équipes quise choisissent un leader et peuventle remettre en question. Mais laliberté au travail, ce n’est « ni lahiérarchie ni l’anarchie », souli-gnent les auteurs. La liberté estordonnée, la discipline assurée parla vision commune de l’entreprise. Le rôle clé du leader libérateur est de communiquer, de faire partager la vision d’entreprise. Lessalariés s’approprient une visiond’entreprise lorsqu’ils sont libresde prendre leurs propres décisionspour la mener à bien. Être libre defaire A ou B les oblige à réfléchiraux critères de choix entre lesdeux options, donc à réfléchir à lavision de l’entreprise. Ce sont desentreprises dans lesquelles onn’essaie pas de motiver les sala-riés mais plutôt dans lesquelles on met en place un environnementqui permet aux salariés de se développer et de s’auto-diriger.Convaincu que la confiance rap-porte plus que le contrôle, le lea-der libérateur part du principe quel’homme est bon. Comme le sou-ligne l’un d’entre eux: « Je préfèreme brûler les ailes de temps entemps que de traiter mes salariéscomme des gens sournois. » Le lea-der libérateur supprime donc toutce qui ressemble à une carotte ouà un bâton. Il supprime égalementles organigrammes, dont la lecturenous dit trop souvent que l’homme,quand on le réduit à une case, est inintelligent, irresponsable et

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paresseux. Autre signe particulier:le leader libérateur renonce auxsymboles matériels du privilège.Les grands bureaux tout en hautde l’immeuble, les limousines avec chauffeur et les places de stationnement nominatives sontquelques-uns des signes d’inéga-lité qu’il évite. « Quand on traite les gens avec considération,résument les auteurs, qu’on leuraccorde le soutien nécessaire à leur développement et à leurauto-direction, ils se motivent eux-mêmes et prennent des initiatives,lesquelles entrainent à leur tourune amélioration des résultats etun accroissement de leur bien-êtrepersonnel. À l’inverse, quand l’en-vironnement exerce un contrôlesur les gens et les empêche desatisfaire leurs besoins universels,la motivation passe sous contrôleextérieur et ils ne font plus que ce pour quoi ils sont récompensésou sanctionnés ». Pour élaborerleur tableau comparatif, empreintd’une belle conviction et d’un optimisme qui flirte parfois avecla candeur, les auteurs se sont appuyés sur une série d’enquêtesmenées pendant plusieurs annéesdans une dizaine « d’entreprisespourquoi »: W. L. Gore et Asso-ciates, La fonderie de cuivre FAVI,Sun Hydraulics, Harley Davidson,Richards Group… Écrit dans un style alerte et structuré autourd’exemples concrets et convain-cants, Liberté & Cie est un ouvragevivifiant qui a pour mérite de rappeler certaines évidences trop souvent oubliées quant à la conduite des entreprises.

Philippe Olivier

1 Stan Richards, The Peacable Kingdom,New York, John Wiley, 2001.

Les réseaux sociauxd’entrepriseAnthony PoncierDiateino, 2012, 250 pages

C’est avec beaucoup de patienceet de clarté qu’Anthony Ponciernous livre des réponses brèvesmais complètes aux 101 questionsque tout professionnel de la communication devrait se posersur l’un des sujets les plus envogue: les réseaux sociaux d’entreprise. Donc, surtout si vousn’appartenez pas à la Génération Y(les digital natives qui sont nésaprès 1977 avec un ordinateurentre les mains, comme nous l’explique l’auteur) et que voussouhaitez combler une certaineignorance sur le sujet, vous allezdécouvrir la vraie significationd’une pléthore de termes et d’expressions utilisés souvent àtort et à travers. Vous connaîtrez le nom de celui qui a inventé leterme « Entreprise 2.0 » (et ce que ça veut dire exactement). Vous n’aurez pas l’air dépourvulorsqu’un consultant voudra vousimpressionner en vous proposantun RSE en SaaS (Software as aService) et que vous lui répondrezque finalement vous préférez un RSE en Open Source. Vous arrêterez de confondre réseau social et communauté etvous aurez probablement uneautre vision de l’intranet. Vous allez découvrir une liste desquestions qu’il est important de se poser avant de se lancer dans un projet de RSE, pourquoi un tel engouement des entreprises… Effet de mode ou nécessité? Est-il vraiment important d’avoirun sponsor? Y a-t-il des avantagesmesurables qu’on pourrait évo-quer à une hiérarchie sceptique?Et puis quelle approche

choisir, quelle architec-ture, quel usage, quelleplateforme? Trois profes-sionnels (Lyonnaise desEaux, MMA et Écoles desMines de Paris) nous racontent leurs expé-riences dans la mise enœuvre d’un RSE et ces témoignages sont précieux. Il est ici impossible de tout listermais j’ai été très rassuré de lire, à la question 46, que lescommunautés et le travail en réseau existaient bien avant le web 2.0 et que la mise en placed’un RSE relève à 80 % de l’humain. Des rôles nouveaux vont s’imposer pour le manager de proximité, dans un univers fait de communautés transversales oùla plupart des processus existantsdevront changer. L’accompagne-ment du changement est donc unequestion clé et c’est avec luciditéqu’Anthony Poncier nous décritl’impact et les transformationsque la mise en place d’un RSEaura sur l’organisation, le leader-ship et la culture de l’entreprise.

Benedikt Benenati

Le livre noir du managementIsabelle BourboulonBayard, 2011, 281 pages

Ce livre sur le management estbien dans l’air du temps et nouspourrions ajouter: malheureuse-ment. Quoique… les périodes decrises ne nous poussent-elles pasà inventer de nouveaux modèles?Après un panorama des évolutionshistoriques des modes de mana-gement de Taylor à nos jours et deses conséquences pour les sala-riés, l’auteur nous engage à croirequ’un autre modèle est possible.

Lu pour vous

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La première partie de cet ouvragedénonce l’imposture managériale,qu’elle s’appelle Ford ou Toyota, le prix étant toujours à payer parles salariés: rythmes accélérés,pressions de tous ordres, injonc-tions paradoxales, harcèlement,stress, TMS, suicides, jusqu’à l’impossibilité aujourd’hui de pouvoir bien faire son travail.Le management, qui se dit depuistoujours reposer sur des mé-thodes scientifiques, mesurepourtant tout, même le subjectif ;l’évaluation individuelle détruit le collectif, la qualité totale est unmythe et le travail reste mesuréuniquement à l’aune de ses résul-tats. La situation n’étant plus tenable, certains se sont engagés à « soigner le travail ». Dans ladeuxième partie nous découvronsla volonté de reconstruire des espaces de débat et d’instaurerune réelle coopération. De l’appelpublic de François Daniellou auxtravaux d’Yves Clot ou ChristopheDejours, à l’apparition de forma-tions alternatives à HEC, aux

réflexions au sein d’associations commele club Entreprise etProgrès ou le CJD, lesinitiatives se multi-plient. Chez Renault,c’est l’opération Recherche-Action quis’interroge sur les représentations et difficultés au travail.

Et pourquoi pas la suppression dela cotation en continu des marchésafin d’échapper à la dictature de la finance? L’économie sociale et solidaire apparaît comme une intéressante alternative avec sesemplois non délocalisables et saforte valeur travail. En conclusion,ce qui s’impose c’est la nécessitéd’un vrai dialogue social avec son

management de proximité et larestauration des capacités collec-tives d’action pour peser sur leschoses. En quelque sorte, retricoter ce que nous avons détri-coté depuis quelques décennies…

Catherine Petithomme

Secrets de managersPhilippe Auriol,Marie-Odile VervischEyrolles, Éditions d’Organisation-Girolles, 2011, 247 pages

Cet ouvrage aborde les questionsrécurrentes que se posent les managers dans une actualité oùles situations se complexifient et où les exigences sont parfoisparadoxales. Il offre une doublelecture, premièrement globale surles façons de faire des managers,deuxièmement pratique, permet-tant au lecteur, après avoir établison profil, de s’exercer à des entraînements appliqués.Au tiercé gagnant des évolutions,l’enquête fait ressortir l’informa-tion multiple et incessante, lapression des objectifs et des résultats, l’exigence detransversalité. Suivent: la néces-sité d’agir au quotidien en pensantstratégie, l’individualisation du management, la confusion entreles temps privés et professionnels,l’encadrement de la jeune généra-tion et, enfin, l’obligation de s’ou-vrir vers l’extérieur. Plus quelquesthèmes annexes à découvrir.Pour chacun des thèmes, le lecteur est invité à analyser sa pra-tique en répondant à 24 questions.Concernant le thème de l’informa-tion, par exemple, il testera ses capacités à s’organiser, à prioriseret à s’appuyer sur les autres. Cestrois qualités étant celles plébisci-

tées par les managers pour faireface à ce flux d’informations encontinu. Ces qualités s’appuient,nous expliquent les auteurs, enpremier lieu sur l’autonomie,c’est-à-dire la capacité à structu-rer et, dans un même temps, à identifier ce qui fait sens dans sa fonction et, en second lieu, surla dimension interrelationnelle, c’est-à-dire l’importance de mettreen œuvre ou de contribuer à unsystème d’échanges.Comment faire le tri?Comment utiliser aumieux son environnementen identifiant les per-sonnes ressources? Autant de méthodes quisont exposées et permet-tent de progresser. Pourchacune des qualités né-cessaires, l’ouvrage trans-met des paroles demanagers (ce qu’ils en disent) etleurs bonnes pratiques (commentils les acquièrent et les dévelop-pent). Sur l’enjeu numéro deux,mieux vivre la pression des objec-tifs et des résultats, les managersplébiscitent les trois qualités sui-vantes: gérer les enjeux, prendrede la distance et gérer ses émo-tions. Quant à l’enjeu très actuelsur la scène médiatique de laconfusion entre les temps privéset professionnels, il faut retenir la capacité à dire NON. Plus facileà dire qu’à faire? Ça tombe bien! À la fois recueil d’expériences desmanagers de tous horizons et carnet d’entraînement, cet ouvrageapporte des solutions concrètes,sans tomber dans des recettestoutes faites, et accompagne lesréflexions et compétences managériales.

Catherine Petithomme

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Publication de l’Association Française de Communication Interne (Afci)Directeur de publication : Pierre Labasse • Rédactrice en chef : Françoise Plet-Servant •Comité de rédaction: Robert De Backer, Jean-Philippe Cathelin, Jean-Marie Charpentier, Florent Deprey, Grégory Métaireau, Philippe Olivier, Aurélie Renard • Secrétariat de rédaction :

A ÉDITORIAL© • Délégation générale de l’Afci : Aurélie Renard, 15 avenue Victor Hugo, 92170 Vanves ; Tél.: 01 41 09 05 25; Email :[email protected] • Crédit photos: DR, Thierry Pinalie, David Millet (4e de couverture) • Éditeur: A ÉDITORIAL©; Tél. : 01 42 40 23 00 • Dépôtlégal : 3e trimestre 2012, Achevé d’imprimer en juillet 2012 • Imprimeur : Siff18 • ISSN: 1286-4072

Les cahiers de lacommunication interne

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