LES BÂTIMENTS DE L'H6TEL-DIEU DE MARSEILLE XVIc-XIXc...

25
LES BÂTIMENTS DE L'H6TEL-DIEU DE MARSEILLE XVIc-XIXc siècles L'hôtel-Dieu compte parmi les monuments encore mal documentés de Marseille et notre souci sera ici de commencer à combler cette lacune de la recherche locale. Les brèves notices qui sont consacrées à l'édifice dans les guides marseillais relèvent en général d'une vis ion cumulative dont le Guide bleu offre un exemple accompli: « Fondé au XII" siècle sous le nom d'hôpital du Saint-Esprit, il fut détruit par les Aragonais en 1423. Reconstruit, il a été plusieurs fois agrandi et remanié et n'a pris sa forme actuell e qu 'après les tra- vaux exécutés entre 1753 et 1782 par Mansart, neveu d'Hardouin- Mansart. C'est une des plus belles réalisations hospitalières d'Ancien Régime »1 , Nous proposerions pour notre part la rédaction suivante : « L'hôtel-Dieu est d'origine médiévale, mais tous les bâti- ments antérieurs à la seconde moitié du XVIIIe siècle ont été rasés sous le Second Empire pour faire place au jardin qui précède le bâtiment actuel. Celui-ci est dans son état actuel une réalisation des dernières décennies de l'Ancien Régime et du XIX" siècle }> . Un examen critique de plans et vues de Marseille entre le dernier tiers du XVIII' et le Second Empire permet en effet d'identifier deux ensembles de constructions 2 Au sud, et donc en contrebas de l'hôpital actuel, la partie Provence historique- FascÎculc221 - 2C05

Transcript of LES BÂTIMENTS DE L'H6TEL-DIEU DE MARSEILLE XVIc-XIXc...

LES BÂTIMENTS DE L'H6TEL-DIEU DE MARSEILLE XVIc-XIXc siècles

L'hôtel-Dieu compte parmi les monuments encore mal documentés de Marseille et notre souci sera ici de commencer à combler cette lacune de la recherche locale. Les brèves notices qui sont consacrées à l'édifice dans les guides marseillais relèvent en général d'une vis ion cumulative dont le Guide bleu offre un exemple accompli:

« Fondé au XII" siècle sous le nom d'hôpital du Saint-Esprit, il fut détruit par les Aragonais en 1423. Reconstruit, il a été plusieurs fois agrandi et remanié et n 'a pris sa forme actuelle qu 'après les tra­vaux exécutés entre 1753 et 1782 par Mansart, neveu d'Hardouin­Mansart. C'est une des plus belles réalisations hospitalières d'Ancien Régime »1 ,

Nous proposerions pour notre part la rédaction suivante : « L'hôtel-Dieu est d'origine médiévale, mais tous les bâti­

ments antérieurs à la seconde moitié du XVIIIe siècle ont été rasés sous le Second Empire pour faire place au jardin qui précède le bâtiment actuel. Celui-ci est dans son état actuel une réalisation des dernières décennies de l'Ancien Régime et du XIX" siècle }> .

Un examen critique de plans et vues de Marseille entre le dernier tiers du XVIII' et le Second Empire permet en effet d'identifier deux ensembles de constructions2• Au sud, et donc en contrebas de l'hôpital actuel, la partie

Provence historique- FascÎculc221 - 2C05

244 FRANCINE VALETTE - RÉGIS BERTRAND

HôTEL"n. J~ ?lMtSEILI,t ft,,~.rt..J,,~

__ _ ~,4 &'L~,-...~_,-i -",,~== __

Fig. 1 - Plan des b:î.timcnts de l'hôtel-Dieu en 1860 (rez-de-chaussée) (traits foncés = bâtiments XV III" Cl début XIXC siècle,

clairs = bâtiments xv W siècle et antérieu rs) A.D. BOR - 1 Fi 780

LES BÂTIMENTS DE L'H6TEL-DIEU DE MARSEILLE 245

la plus ancienne, un groupe complexe de bâtiments intégrant l'église - qui est en général le seul d 'entre eux à être nettement identifié sur les p lans. Plusieurs parties sembleraient pouvoir y être distinguées. Un premier ensemble irrégulier de forme trapézoïdale. Puis deux corps de bâtiments en équerre, limitant les côtés d'une CQur. Les mei lleurs plans suggèrent que leur façade était précédée d'une galerie couverte. Un témoin exceptionnel par ses compétences patrimoniales, le baron François-Ferdinand de Guilhermy, qui a visité Marseille en 1846, 185 1 et 1853 a noté, apparemment au sujet de cette partic des constructions : « dans la cour, trois étages de galeries superposées. Les deux premiers étages so nt voûtés en ogives à nervures var iées, XV I" ou XvUC siècle. Le tro isième étage est à colo nnes et cou vert d 'u n plafond ».Î . Le plus long de ces bâtiments était orienté du nord-ouest au sud-est. L'a ile en retour, accolée à l"enscmble trapézoïdal, avait son extrémité méridionale sur la place des t reize escaliers ; c'est entre ce bâtiment et l'église que sc trouvait cet escalier qui donnait accès à la cour de l'hôpital. L'église, qu i fermait la cour au sud, était encastrée dans ses parties méridionales et orientales dans un pâté de maisons dont certaines étaient occupées par l'hôtel-Dieu . Un corps de logis coudé reliait le long de la rue de la Roquette ces dépendances au corps principal ct fermait la cour au sud-est.

Au nord apparaît dans les plans du dernier tiers du XVIII" siècle un long corps de bâtiment rectiligne orienté ouest-est. Sur sa façade sud, t rois ai les perpendiculaires, de longueur inégale, qu i viennent s'accoler au revers des bâtiments plus anciens Ct circonscrivent ai nsi des cours. Une autre aile sc greffe sur la façade nord du grand corps. li s'agit à l'évidence des parties qui furent réalisées du projet de reconstruction entrepris dans la seconde moitié du XV IW siècle sur les plans très ambitieux dressés par Jacques H ardouin­Mansart de Sagonne.

Dans son étape actuelle, notre recherche res te fo rtement tributai re de l'état des archives de l'hôpital, qui sont fo rt bien tenues et très détaillées, sur­tout à partir de la fin du XVII' siècle' . Le dépouill ement des registres de déli ­bérations et de comptes a permis la découverte de prix fa its, de conventio ns e l de paiements de travaux. Pour les temps antérieurs au règne de Louis XlV , en revanche. l'on sc bornera ici à renvoyer aux quelques pièces que renferme ce fo nds. Elles concernent essentiellement la construction de l'église de l'hôpita l. Signalées dès le Second Empire par Augustin Fabre, qui en tant que membre de la commissio n des hospices put précocement en dépoui ll er les

3. Baron de GUILHERMY. " Description des localités de la France ", B. n. F.·Manuscrits, n. a.f.6 103.r.X,(o 185\'°.

4. Arch. dép. Bouchcs·du· Rhône (AD BOR désormais), fonds VI H O. Inv entaire som­mairl:' des aI·chives hospit,dières de Marseille antérieures à 1790, Marsei lle, 1872, p. 45- 164 Ct

supplément dacty lographié pour le X[X~ siècle

246 FRANCINE VALETTE - RÉGIS BERTRAND

archi vcs5, clics o nt été fort bien analysées ct publiées en 1935 par le docteur Henri AlezaÎs{'. Les connaissances sur cette période ne pourront progresser qu e grâce à la découverte de prix faits éventuels dans les registres notariaux. L'on s'est do nc efforcé ici de tirer part i des docu ments iconographiques des XVII" ct XV IW siècles, en dépit des problèmes considérables que pose leur uti ­lisation par l'historien lo rsqu ' il s'efforce de documenter des édifices d ispa­rus' . Il co nvient de rejeter d'emblée nombre d'entre eux qui semblent trop éloignés de tout souci de réalisme ct de retcnir en particu lier, pour un exa­men critique, CC LI X qui signalent expl icitement " hôpital dans leur légende, indice d'une relative attention portée à l'édifice par le dessinateur.

1 - L ES BATIMENTS ANTÉRIEURS À LA FIN DU XVII'" SIÈC LE

L'hôtel-Di eu es t issu de la fusion prononcée par le conseil de vi lle le 8 novembre 1592, des deux hôpitaux préex istants du Saint- Esprit ct de Saint­Jacq ucs-dc-GaliceH• Le premier avait été fo ndé à la fin du X II" siècle, vers 11 88, par la confrérie charitable du même nom9.1l était situé à proximité de j'église des Accoulcs, sur le versant de la butte des Moul ins, scion la recons­titutio n du plan de Marseille en 1423 dressée par Bruno Roberty 'o. Le seco nd, fondé par le marchand Bernard Garnier (tes tament du 30 mars 1344), était réservé aux femmes. Il s'élevait au quartier de Blanqueri e près de la col­légiale Saint-Martin.

La gravure qui illustre les CivÎtates orbis terrarum de G. Braun, pub lii'c à Cologne en 1572, indique à la lett re Q l' hôpital du Saint-Esprit". II yappa­raît sous la forme d ' un ensemble irrégulier de bâtiments qui semble encastré dans un îlot de maisons. 11 est diffici le d ' interpréter cette représentat io n car rien ne prouve qu e les constructions antérieures aux travau x de l'extrême fin du XV I'" siècle ct du début du xvw dont il va êt re question se soicm retrouvées encore au début du X I X~ siècle dans les « anc iens bâtiments » , L'on do it

5. Aubuslin FAHRE. HislOire des bopitaux et éttlblissements dl' bim!aislIlIn- de Marseille, M,trsei lle. 1854- 1855,1. 1 (résumé dans FAURE Augustin, Les rues dl' Marst'i/{c. Marsei ll e. 1867, t. lI,p . II S-I96)

6. Docteur H . A LEZA IS, " L 'Égl ise de l' H ôtel -D ieu au XV III ' siècle ", Mémoires dl' f'Ac. IJ{:mic de Marst,ille, 1935, p. 205-260.

7. Voir sur Ct' point Régis B ERTR AND, "" L' Iconographie des monuments de Marsl·ilk· détru its pend am la Ré volution ". , actes du colloq ue Ld représentation du mot/umm( de III HCltaissat/Cl'ât/osjours, Aix,9-1 0 mai 2003, il paraître.

8. A. D. 61-10 A 1 ct BI. Sur le contexte, Wo lfg:lng K AISEK. Marseille (11/ (cmps de)" frollb/n·, /55') -/ .596. morpbologie socialcc( lut!csdc!a cfiot/, Paris, [991

9. Vic tor-Lou is BOUR RIU.Y. Essai sur J'histoire politiquc de la commul/c de Marseillc des

origit/~.~~ ~~I~~~f~:;~~:;s~;x~~~,f~~~;~o~~~~~.;:';!~i~ii!6R~~NAUIl. NiHoirc dit ("Om1l1('r((' dl. Io""/"5('il/l', r. lI, De 129/ à /480, Paris. 195 1.

11 . Arn.\ud RM lltR I: DE FtlRTA NIER../lIusrratioll du Vieux-MdI"SCille, Avignon, 1978, p l.",

LES BÂTIMENTS DE L'H6TEL-DI EU DE MARSEILLE 247

reconnaître cependant une très relative ressemblance de l'ensemble avec le quadrilatère de bâtiments situé le plus à l'ouest sur les plans postérieurs.

En avril 1593, une souscription est ouverte par les consuls dans le but d 'agrandir la maison du Saint-Esprit. Le 23 juillet 1593, l'acte de réunion des deux hôpitaux prévoit que « serait continuée la fabricatio n du bastirncnt dudict hôpital entrepris pour y loger dans ung mesme enclos et séparément lesdicts pouvres de tout sexe le plus promptement que Fere sc pourrait »12 , Il semble donc que l' hôpital Saint-Jacques-de-Galice ait été transféré à côté de celui du Saint-Esprit, ce qui explique sans doute que le nouvel hôtel-Dieu continuera de po rter jusqu'au XV IW siècle les no ms accolés des deux hôpi­taux . Le 8 septembre 1593, la première pierre des travaux est posée par le viguier Louis d 'A ix et le premier consul Charles de Cazaulx. Il s'agit sans doute d'abord de réparer ct remodeler les bâtiments existants du Saint­Esp rit, car, d 'après Ruffi, « cct hôpital éta(i)t mal logeable et sur le point dc tomber en ruines »lJ, ct aussi d'agrandir l'hôpital. Les travaux auraient été « à peine terminés » cn 1618. L'on sait que les constructions avaient compris une nouvel le chapelle - l'emplacement de J'ancienne ayant été en partie utilisé pour établir une galerie -, ct une « nouvelle salle pour les malades » . L'on peut supposer que l'agrandissement avait consis té en l'élévation des deux grands corps de bâtiments, peut-être partielle pour celui si tué norcl-ouest­sud-est. En l'état de la rechcrche, on ne peut guère que tenter d'établir à par­tir de l'iconographi e quels bâtiments sembl ent exister avant le nouvel agran­dissement de la fin du xvw siècle.

- Le plan cavalier de Maretz et Cundier (entre 1644 ct 1660) indique sous le n° 20 l'hôpitaP". Ce numéro désigne un ensemble de constructions d'interprétation difficile dans la mesure où clics correspondent mal aux plans au sol des siècles suivants. À l'ouest, une vaste maison d'un étage (?) à façade régulièrement percée de six fenêtres et d 'une assez vaste po rte d'entrée cin­trée pourrait très éventuellement correspondre à l'ensemble trapézoïdal; à côté une autre maiso n à cinq hautes et étroites fenêtres; au-devant un bâti ­ment allongé, en partie caché par la chapelle. Cette dernière, partiellement dissimulée par une rangée de maisons, eSt reconnaissab le à son c1ocher­arcade et à l'oculus de sa façadel~. Le bâtiment aux fenêtres étroites (salle commune ou mauvaise interprétation des trois étages de galeries?) et l'autre, allongé, posent évidemment problème: s'agit-i l, en particulier pour le pre­mier, d ' une construction déjà disparue au siècle suivant? L'on peut plutô t

12. F ABRE, op. cil., t.l, p. 136- 137 13. Antoine et Louis- Antoine de RUITI, Histoire de la v ille de Marseille, 2" éd., Marsei lle,

1696,t.2,p.93ctsq. 14. RAMIÈREDE. F O RTAN II-:R, op. cit. , pl. 10. 15. Cet oculus est bien visib le sur le cliché dc Te rris pris peu avant sa destruction cité plus

haUi .

248 FRANC INE VALETIE - RÉGIS BERT RAND

formu ler l' hypot hèse d'u ne mauvaise d isposit io n par le graveur des c roquis des deux corps p ri ncipaux pris par le dessinateur.

- Le dess in « Marseille du côté du midy » att ribué à Israël Sil vestre (M usée Cantini), daté après 1643, pourra it donner u ne image plus p récisc [l, . Sa partic d roi te semble bien montrer l'hôpital vu de son revers. La chape ll e est reconnaissable à son clocher-arcade, qui serait alors situé sur la façade. Le corps en rc(Our fermant la cour principale à " ouest que montrent les p lans postérieurs paraît b ien positio nné. La partie haute de sa façade q u i est visible est précédée d 'une galerie à arcades surmontée d 'une au tre à colo nn es à l'étage su périeu r, ce q ui correspondrait à cc q ue notera Gu il hermy deux siècles plus tard. L 'on aperçoit le to it d'u n long bâtiment q ui semble le grand corps pri ncipal. À l'articu latio n des deux ailes se sÎ tue rait un avant-corps de plan carré, couvert d'u ne toi ture à q uatre pans su rmontée d'u n cloc heton (ouvert d'u ne petite flèche à égout retroussé. Les p lans de la fin du XVIII" ct d u débu r du X [x .. · signalent à cet cm placcment une avancée dc plan carré rC I1 -

fcrmanr Ic grand escali er: les fenêtres du clocheton po uvaient lui apportc r un

Fig. 2 - L'hôtel-Dieu, v u depuis le no rd, déta il d '=tp rès le dess in « Marseille du côté du midy », attri bué ~ Israël Sil vestre, après 1643, Musée C<1 nrin i,

dessin informatiq ue, Frédérique Bertrand, archircnc DPLG

[6. R AM lj' IU' III h lK1'ANII: K, op. cÎl., pl. J4.

LES BÂTIMENTS DE L'H6TEL-DlEU DE MARSEILLE 249

bon éclairage '7, Pose problème, à J'angle oriental, une sorte de tour surmo n­tée d'une flèche à quatre pans, dont on ne sai t si elle appartient à l' hôpital.

- Projet d'agrandissement de l'arsenal des galères, toi le non signée et datée vers 1660 (Musée d'Histoire)". Bien que la vue de la vi lle se trouve à l'arrière-plan, o n distingue assez bien l'église des Accoules. À une relative proximité, un édifice assez important qui pourrait correspondre à l'ensemble occidental, suivi d'un bâtiment allongé. À la jointure des deux, une sorte de tour carrée avec un [Oit à quatre pentes su rmonté d'un clocheton L'on note une certaine correspondance avec le dessin attribué à Silvestre.

- Veue de la ville de Marseille par Randon, 1694-1695". Il semblerait que les bâtiments occidentaux soient indiqués : façade latérale à une fenêtre d'un bâtiment étroit longeant la montée du Saint-Esprit, accolée à une façade de six fenêtres tournée vers le port, puis peut-être façade latérale de l'aile en retour, avec deux fenêtres. Le corps principal de l' hôpital pourrait corres­pondre à un bâtiment allongé à façade ordonnancée percé d'au moi ns huit très larges baies qui sont à J'év idence les galeries de l'étage supérieur. L'on entrevoit la chapelle, reconnaissable à son oculus, parmi les maisons.

L'on croit pouvoir conclure de ce rapide examen que l'hôtel-Dieu est à la fin du XV II \.'" siècle un ensemble « pittoresque» (Guilhermy dixit), encore proche des réalisations françaises de la fin du Moyen Âge ct des débuts du XVIe siècle.

Le seu l de ces bâtiments qui soit relativement connu est l'église qui, à la suite des recherches du docteur H enri Alezais, a fait l'objet d'une tentative de reconstitution graph ique de la part de l'architecte Jean Garnier" . Il s'agis­sait d'un édifice goth ique à nef un ique. Le baron de G uilhermy qui la croit du XV Ie siècle écrit qu'elle « ne manque pas d'élégance ». Il la caractérise en quelques mots : « Trois travées et une abside. Nervures prismatiques à la voûte. Vaisseau simple, avec un oratoire de chaque côté ». Celui du nord appartenait sous l'Ancien Régime au corps des tapissiers, celui du sud était la chapel le funéraire des Gerenton puis à partir de 1739 des Perrache.

250 FRANCIN E VALETIE - RÉGIS BERTRAND

C 'es t de l'église que proviennent les seuls ves ti ges assu rés de cette période qui subsistent: les res tes du cénotaphe qui y fut élevé à la mémoire de G uillaume du Vair (1556- 1621 ), premier président du parl ement d 'Ai x, garde des sceaux de France, évêque de Lisieux puis évêque no mmé de Marseille, lequel avait légué par so n tes tament 36000 It en faveur de l'hôpi ­tal. Monument, statu e ct inscriptio n furent donnés à prix fait le 2S octobre 1621 au sculpteur Jean-Pierre Po rtal" . U n dess in res té inédit de l'album de FaurÎs-Saint-Vincens, datan t de la fin de )' Ancien Régimc21, do nne l' image de cc bel ensembl e, t rès proche des réalisations parisiennes du rcmps2J, qui était accolé au mur méridional du chœur. Guilhermy put encore voir, avant la des truction de l'ég lise, les deux statues latérales de la reli gion ct la justi ce, " de cinq pans d 'auteur» selon le prix fait ainsi que « les deux enfants embo uchant des tro mpettes ~> (<< de deux pans» dit le pri x fait) qui surmon­taient ce grand décor maniériste. Tout cela ne sembl e pas avoir été conservé24 ,

La statue en priant de G . du Vair qui occupait le centre du monument es t aujourd ' hui placée dans une niche au départ de l'escalier de l'aile d roite. L'épitaphe actuell e date du XIX C siècle25• Le blason es t sa ns doute celui qui est conservé au Musée d'Histoire de Marseille.

Il - L 'AG KAND ISS EMENT DE 1692-1699

L'évo lu tio n et la transformat ion des bâtiments de l'hô tel -Dieu, à partir du xv [[" siècle, sont la résultante d 'un compro mis permanent entre tro is grands facteurs: les condi t io ns topographiques, les moyens fin anciers ct les facteurs histo riques.

Dans la deuxième partie du XV II" siècle, le gouvern ement royal incite les vill es à regrouper leurs inst itu tio ns chari tabl es et hospitalières au sein d 'é ta­bli sse ments généraux, no tamment à Marseille, où une cinquantaine d'an nées

LES BÂTIM ENTS DE L'H6TEL-Dl EU DE MARSEILLE 251

après les travaux du premier agrandissement, les bâtiments de l'hôtel Dieu sont déjà devenus insuffisants.

Mais les mentalités ne sont pas prêtes pour cela et le Bureau de l'hôtel­Dieu refu se le 19 novembre 1676. Cependant il envisage, pour des questions d'emplacement (bâtiment existant bâti dans la pente de la butte de la Roquette, tissu urhain déjà assez dense), de construire un autre hôpital ail leu rs, à la périphérie de la ville (Porte de Rome).

Mais l'attachement à l'ancienne institution est fort ct, lors du bureau du 13 octobre 1684, le Conseil de Ville délibère qu ' il n'y a pas lieu de construire un autre hôpital ct qu 'il faut seulement améliorer et agrandir l'existant.

Malgré cela, ni sur le plan et ni sur le devis des travaux, les membres du Conseil n'arrivèrent à se mettre d'accord. Rien ne fut do nc entrepris.

Cet exemple est caractéristique du dilemme permanent qui va bloquer l'action des recteurs ct des commissions municipales chargées de cette ques­tio n: d'une part désir de constructio n d'un nouvel hôpital plus vaste ct plus commode, à la périphérie de la ville, d'autre part maintien de l' hôpital dans les lieux par agrandissement et modernisation mais avec les contraintes y afférant.

Les deux options ayant chacune leurs défenseurs et l'une et l'autre pré­dominant suivant les époques.

Trois grandes étapes vont conduire les bâtiments de l'hôtel-Dieu à leur physionomie actuelle.

Ce n'est qu 'en mars 1689 que les recteurs de l'Hôtel-Dieu reviennent à la charge auprès des échevins et de l'évêque de Marseille pour entreprendre l'agrandissement de l'hôpital.

Ils confient les plans des constructions à César Portal , architecte. L'agrandissement doit se faire vers l'est, dans la partie située vers la rue

de la Roquette. Pour cela, il est nécessaire d'acquéri r un îlo t de maisons dont les terrains

seront récupérés pour construire, et une ruelle qui ne sert pas et que la Ville veut bien céder. L'autorisation en est demandée au Roi qui do nne son accord (lenres patentes de février 1692 sur avis de l'intendant de Provence, Pierre Cardin Lebret du 2 janvier 1692)".

L'incorporatio n de cette ru ell e dans ('agrandissement permettra d'ouvrir une seconde entrée à l'hôpital plus commode que la seule existante en haut des treize marches du côté de la mo ntée du Saint-Esprit.

L'acquisiti on des maisons et dro its y afférents sera financée par la com­munauté de Marseille pour un montant de 15 000 francs27.

26. AD BOR - 6HO E 462 pièce nO 4. 27. AD BOR - 61-1D E 4(l2 pièce n° 2. Délibérat ion du 9 avril 1692.

252 FRANCINE VALETIE - RÉGIS BERTRAND

La démolition des o nze maisons qui const ituent l'îlot de la Roque[tc. ct la construction de la nouvelle bâtisse sont mises aux enchères.

L'adjudicatio n en est donnée à « Hicrosmc Rouviere ct sa co mpagnie »,

qui ont fai t la meilleure offre, le 20 février 1692. Le prix fait est signé chez le notaircl\ le 4 l11ars 1692, entre les recteurs

de l'hôtel-D ieu cr les maîtres maçons associés qui so nt Hi crosmc Rou viere, Pierre Pu get!", C laude Isnard, Jean Baptiste Richard, A ntho ine Aubert ct Jacques Derelllitte (parfois écrit Dherelll itte).

Ils SOnt LOUS maîtres-maçons de Marseille. Une associa tion est nécessaire pour entreprendre un chantier de cette

importa nce car il est nécessaire d'avoir des moyens impo rtants : en hOTllmes, en matériel, en finances.

En effet, le chantier doit être commencé dans les quinze jou rs suivant la signature de " actc ct terminé, en principe, dans les deux ans. Il faur donc di s­poser du personnel suffisant pour lequel il faudra fai re l'avance des salaires. De plus, il fa ut acheter le matériel nécessaire au chantier. Or, le chantier com­mence pa r les démoli tions de maisons. Pour cela les maçons ne sont pas payés c:tr, suivant l'usage du temps, les « débris » ou matériaux récupérés de la démo­lit ion leu r apparriennent ct sont considérés comme un paiement de leur travail.

Ils som donc conduits parfois à faire un emprunt en attendant les verse­ments en argcm co mptant. Ce sera le cas ici.

Les excavatio ns ct déblais du terrain SOnt entrepris très rapidement mai s b cérémo ni e de pose de la première pierre n 'a lieu qu e le 17 septembre.

En quoi co nsiste cet agrandisscment? Les indications à ce sujet sont bien minces, l'acte don nant beau coup

d ' indications tec hniques pour la réalisation des travaux mais peu de rensei ­~l1ell1ents sur leur local isation exacte. De plus, le seul plan de référence dont nous disposons date de 1753, avant le début des constru ctio ns ultérieures ·'o.

Il s':tgit de prolonger vers "est le bâtim ent situ é au nord de la cou r ct au sud , de reconstrui re les logements des prêtresJ ' el de les prolonger à l'est de l'église.

Une quittance du 6 jui llet 1 696J1 nous fournît quelques détails complé­mentaires : les t ravaux réal isés à cc jour ont po n é sur « lc grand cou rs des mallad es, des fi lles, des nourrices, montée, apancmants du costé de b dite Mo ntée, Li eux comu ns, galleries colon nes ct magazi ns dudit hôpital. .. »

28. AD BOR - 356 [ 1 155 f096r à 99v Ct copie dans 6J-1D 1::462 pi èce nO 28 29. Il Il l' .~'ag it pas du célèbre Puget , archi tecte, peintre Ct sc ulpteur, mais de Slln h llllh)

llyl11~' •. lllh.'lIl·,l·nrrl·saurresüuvrabes,dcla Hall e Puget il Marseill e. 30. AD BOR - IFilSL 3 1. Dm:rcul' AI.EZAIS .. L'Eglise de l'Hôtel-Dieu au XV l1l" sièc k' ". Jans MhnoJn' dl'

l'Aü,dàIlÙ· dl' Mancille, 1935, p. 214-2 15. 31. AD BDR - 356 E l t5 8 fO 10 ' , Il ' .

LES BÂTIM ENTS DE L'H6TEL-DIEU DE MARSEILLE 253

Le bâtiment du nord a deux étages (<< cours»). Aux étages se trouvent les salles des malades, des filles, des nourrices ... desservis par des escaliers ( << montées») visib les sur le plan. Les planchers du premier étage sont sou­tenus par des poutres et montés à la fran çaise. Les toitures sont en tuiles.

Les pièces du rez-de-chaussée donnent sur une galerie, voûtée d'ogives, ouverte sur la cour par des arcades. Et peut-être y en avait-i l une également au 1" et 2' étage, comme l'indique le baron de Guillermy, alors qu'au dernier étage sous la toiture en ruile, elle aurait été seu lement couverte d'un plafond plat reposant su r des colonnes en façade.

La partie neuve de la construction doit reprendre le même parti archi­tectural que la partic ancienne avec, cependant, la possibilité pour les recteurs d'apporter des mod ifications si bon leur semble.

Le chantier a duré beaucoup p lus que prévu; en juillet 1696, il reste encore à bâtir les constructions « du costé du presbitere de lesglise » qui devront être achevées dans les six mois.

Mais il sembl e, d'après les mémoires de travaux et comptes du trésorier de l' hôpiraID

, que les travaux de gros œuvre aient été bien avancés vers la fin de 1693, car on voit apparaître des pai ements pour travaux de second œuvre: menuiserie, serrurerie, pl omberie, vitrerie ...

À partir de 1696, apparaissent des dépenses concernant l'aménagement intérieur ct le mobilier. Il est probable qu'à partir de ce moment les nouveaux locaux aient été utilisables, peut-être même avant.

Le chantier s'est prolongé car il y eut command e de travaux supp lé­mentaires sur lesquels nous avons peu de renseignementsJ4 ct, égalcment, à cause d'un financement irrégulierJs .

La dépense s'cst élevée au total à plus de cent mille livres. Le dernier « rapport de visite et toisage » du 5 décembre 1698, effectué

par Jean Méollan, architecte et Gaspard Roux, maître-maçon, montre qu 'à cette date le chantier est tcrminé36•

III - LES NOUVELLES CONSTRUCTI ONS DE L A SECONDE MOITIÉ DU

XVIII ' SIÈCLE

Peu d'années après cet agrandissement, de nouveaux besoins d'exten­sion apparaissent, liés à l'augmentation du nombre de malades et à cel le des enfants abandonnés37•

Les conditions d'hygiène et de confort sont déplorables.

33. AD BDR - 6!-lD E 462 pièce n" 42, 43,45 et 46. 34. AD BOR - 6HO E 462 pièce n" 48. « Ërat des ouvrages particuliers faits pour le nou-

vel a!;randissemcnt par Jean Baptis le Richard » pour l'année 1698, daté du 15 avri l 1699. 35. Su r les prob lèmes de financement, voir F ABRE. Histoire ... , p. 462. 36. AD BDR - 6HD E 462 pièce n° 47 et 50. 37. Voir sur cette question les chiffres ci tés par F ABRE. Histoire ... p. 408·409.

254 FRAN CINE VA LETTE - RÉG IS BERTRAN D

Mais la premi ère moitié du XVIII ~ siècle ne verra aucune décision concrète aboutir, des proj ets opposés se succédant: projet d 'agrandi ssement au no rd de l'hôpital (Chevallier 1713), proj et de nouvel hôpital Porte de Ro me ( 17 15), puis, au mo ment où le Conseil de Ville réexamine la poss ibi­lité de réu nio n des différentes œ uvres hospitalières de la vill e, et où l' hô pita l bénéfi cie du legs important de Jacques de Mat ignon", pro jet d ' un no uvel hô pital Po rte de la Magdelaine (1725)" . Ce pro jet, soutenu par l' intendant de Provence, fu t très près d'ê tre réalisé mais n'aboutit pas.

Cc fut vraiment là J'occasio n manquée po ur Marseill e de sc dorer d 'un hôpital de qu alité, vaste et réunissant toutes les condit ions nécessaires à un bon fo nctio nnement.

Au lieu de cela, il ne fut entrepris dans l'urgence qu e quelques travau x mineurs su r le vieil hôpita l.

1. Le projel d'Hardouin- Mansarl et le parti adoplé

Mais les besoins du service de l' hôpital devenant de plus en plus impor­tants, les recteurs s'employèrent à rallier les autori tés royales ct communales Cl leur pro jet d 'un grand hôpital neuf.

En 1752, ils firent parvenir des Mémoires à toutes les autori tés conœ rnécs, après avoir commencé à consulter des architectes à Marseille ct dans la région.

Il s mirent également à profit la venue à M arseille de Jacqu es H ardo u in­Mansart~') , architecte du Roi, pour lui demander un pro jet. Cc projet devait concili er la co nservati on des anciens bâtiments avec la co nstructio n de corps nouveaux pour que l'hôpital puisse continuer à fonctio nner pendant le chan­rier. C elui -c i remit un projet très vaste, sans doute en rapport avec les besoins d 'une grande ville mais no n avec les finances de l'hôpital.

O n peut s'é to nner de la conception de cc projet qui ne tenait aucun compte du tissu urbain existant. Mais, en fait,jacques Hardou in -Mansart qui avait été consulté, dès 1740, par les échevins de Marseille sur l'agra ndissc­mcnr de l' hôtel de ville et la mani ère d 'amélio rer le quartier alelHou r, avait co nçu à cet effet un véritable projet d 'urbanisme dans lequel l' hôtel -D ieu trouvait sa place ct participait à " embellisse ment du qu a rti e r~ ' .

LES BÂTIMENTS DE L'H6TEL-DIEU DE MARSEILLE 255

7 avril 1753 : un bureau extraordinaire se réunit sous la présidence de Mt:r de Belsunce ct auquel assistent quatre échevins. « L'Assemblée approuva toutes les opérations relatives au projet d'agrandissement des édifices. Elle adopta le plan Mansart, et délibéra de se borner à la construction de la grande ai le indiquée par ce plan au Nord de l'hôpital, et des trois ailes latérales dont deux étaient intérieures et l'autre avait façade au couchant »41,

L'assemblée, manifestement, veut avancer avec prudence en procédant par étapes. La construction de cette première partie su r un terrain libre per­met de conserver les bâtiments existants, provisoirement, pour ne pas inter­rompre le service de J'hôpital, et aussi de progresser en fonction des possibi­lités financières de l'hôpital.

L'architecte d'Ageville fut chargé de modifier les plans, notamment pour établir les jonctions avec les anciens bâtiments, et établir les prescrip­tions d'exécution.

On construisit donc le grand corps central terminé par une paroi cintrée à l'ouest et qui ne put vo ir son pendant réalisé à l'est car le bâtiment était limité par la rue de la Roquette, de même que les ailes en retour, au sud de ce bâtiment, ne furent que partiellement réalisées, venant butter sur le bâtiment existant, et la quatrième ne fut pas non plus construite car il aurait fallu sup­primer une partie de la rue de la Roquette et exproprier des maisons sur la partie est de l'hôpital. (cf. sur le plan de 1860). Cela demandait d'énormes possibilités financières que l'hôtel-Dieu ne possédait pas.

2. Un long chantier au gré des financements (1 75]-1789)

Le financement d'un tel chantier fut effectivement un grave problème pour les recteurs.

Malgré l'appoint de quelques « fermes », loyers et droits dont ils avaient l'exclusivité, les finances de l'hôpital reposaient essentiellement sur les dons, à défaut de quoi ils étaient contraints d'emprunter ou de faire appel à la com­mune, qui n'était pas toujours d'accord.

La première pierre fut posée le 13 septembre 1753. Ce geste symbolique fut-i l su ivi d'un début de travaux immédiat? Peut­

être les travaux de terrassement pour les fondations car ce n'était pas l'entre­preneur qui en était chargé, or la conventio n avec l'entrepreneur, Jean Estienne Raymond, n'est signée que le 25 avril 1757" .

Pendant plus de trente ans, le déroulement des travaux est fait d'arrêts et de reprises au gré des fluctuations des finances de l'hôtel-Dieu.

42. FABRE. Histoire ... , p. 475. 43. AD BOR - 6HD E 462.

256 FRANCINE VALETTE ~ R ÉG IS BERTRAND

Malgré le soutien de la ville - elle avait allo ué 30000 li vres sur troi s ails il com mencer de 1754, les travaux progressent lentement, la ville octroie encore 15 000 li vres sur décision du Conseil d'État, fin 1760, mais cela ne sert qu 'à payer « J'arriéré dû aux ouvriers ct les matériaux employés à la toi­ture »H ,

La partie achevée peut servir à sa destination mais, faute de fin ance, les travau x doivent êt re suspendus.

En 1765, à la suite d'u n do n de 20000 li vres, le chantier peut reprendre. L'entrep reneu r Raymo nd signe une nouvel le conve ntion de travaux le

12 septembre. Il s'agit d e faire les planchers du second étage qui sont d éjà « cnfusrés »

ainsi que ceu x du galetas, ct de les paver de briques, de crépir les murs ct les p réparer à recevoir le b lanchiment, et d 'autres travaux complémentaires.

Lc problème financier est {Oujours grave, aussi le Roi, par lettres patentes d u 2 juillet 1766, a co nfirm é l' interdiction pour les directeurs de l' hô tel-D ieu de contracter des emprunts sans au{Orisatio n du Parlement cl ' Aix car la ville aura à sa charge les dettes de l' hô tel-Di eu.

P OU f pouvoi r co ntinuer les travaux, les directeurs lancent une souscrip­t io n.

D es d o ns et des legs démontrent le succès de cette sousc ripti o n auprès des Marseillais.

D e grandes familles de Marsei lle do nnent des sommes importantcs ct, en remerciement, les recteurs font placer leurs portraits ou armoiries dans le nou vel hô tel -Dieu: po rtraits de Louis Bo rèly, à côté de celui de Jacques de Matignon, de Gabriel Remusat, ancien éc hevin ...

La Chambre de Commerce apporte également sa part icipation . D 'autres veulent garder l'ano nymat45•

Les t ravaux peuvent ainsi sc poursu ivre.

Un « dev is es timat if de la constructio n des voû tes de la nou ve lle bat isse ", du 3 septembre 177 1, signé d'Ageville ct Kapeller architectes ct Jean Estien nc Rey mo nd, maître maçon 41

, . no us perm et de connaître l'état d'avanccment des travaux et les parties utilisables à cette date, soit les pre­micr ct sccond étages du bât iment cent ral, et no us indique les problèmes posés par le non-achèvement des travaux dans les sous-sols et le rez-de­chaussée.

« La nécessité d 'augmenter les salles de la maladre ri e dans l'hô tel -D ieu d e la ville de Marsei ll e, pour y recevoir le nombre considérab le des pau vres

LES BÂTIMENTS DE L'H6TEL-DIEU DE MARSEILLE 257

malades de la vi lle ct des soldats des garnisons qui augmente tous les jours, ayant parû a Mrs Les Directeurs de cette œuvre J'objet le plus pressant de la nouvelle batisse, ces Mrs cc sont principalement attaché a pourvoir a cette partie par preference a tous Les autres, et en effet la nouvelle batÎsse fournit dcja dans le premier et seco nd etage des salles pour les malades de J'un et l'autre sexe et plus vastes et plus considérables que celles des anciens corps de logis, mais en même tems l'étage des bas offices et celuy du rez de chaus­sée qui se trouvent sous partic de ces sales deja si utilement occupées, sont demeurés jusqu'à présent imparfait faute de moyens aplicables a leur per­fection. »

Les experts consul tés, Jacques d'Ageville, Joseph Kapeller et Jean Estienn e Reymond constatent que, sur le grand bâtiment est-ouest (qui mesure enviro n 11 0 m de long), les deux parties de chaq ue côté de la cui­sine n'ont aucu n mur de refend entre les murs de façades nord et sud et qu'en dessous il n'y a pas de voûtes, ni au sous-sol, ni au rez-de-chaussée. De plus, il s constatent que le poids des terres supporté par le mur nord est « considérab le» et que ces terres sont gorgées d'eau par des infiltrations. Leur conclusion est qu'il faut intervenir d'urgence pour terminer ces tra­vaux.

Les travaux sont donc entrepris pour terminer le sous-sol et le rez-de­chaussée et assurer la sécuri té de la construction.

Cette affaire nous montre J'incidence des problèmes financiers sur la constructio n: même sur une constructio n neuve, le maître d'ouvrage prend le risque de mettre en péril la solidité de l'édifice par manque de moyens fi nanciers, pour pouvoir répondre aux nécessités d'hospitalisation.

Début 1775, le chantier est de nouveau arrêté faute de fonds: nouvel appel à la générosité publique. Malgré des dons et legs importants, le Bureau de l'hôtel-Dieu doit encore emprunter 30000 livres, après autorisation du Parlement.

Des conventions signées avec des fournisseurs indiquent que des tra­vaux sont exécutés en 1776 et 1777.

Au printemps 1780, il est question de la construction de grands escaliers à la jonction des deux ai les centrales avec le bâtiment principal pour rempla­cer les autres escaliers étroits et peu commodes.

En effet, par souci d'économie, d'Ageville avait seu lement fait constru ire des escaliers de service dans le prolongement des galeries du grand bâtiment pour desservir les étages et deux salles occupaient l'emplacement qu'il avait initialement prévu pour les escaliers47•

258 FRANCINE VALETTE - RÉGIS BERTRAND

Les plans cc devis des nouveaux escaliers sont demandés à " architecte Esp rit-Joseph Brun4~ qui devra diriger les travaux et les mener à bonne fin.

Les travaux de J'escalier est sont confiés à Pierre Hermine, maÎtrc­maçon enrrepreneur qui a dix-huit mois pour réaliser l'ouvrage. 11 recev ra 24659 livres (prix fait du 1" juillet 1780)" .

L'escalier est effectivement achevé fin 178 1 et la réception définitive des travaux a lieu le 14 mars 1782.

Suite peut-être aux malfaçons qui étaient apparues sur l'escali er est, la construction de J'escalier de J'aile centrale Ouest est confiée aux frères Galinc qui travai.llaient déjà sur l'hôtel-Dieu.

En 1785, il est achevé. Le chantier continua ainsi, alternant arrêts et reprises jusqu 'à la

Révolution.

Les directeurs de l'hôtel-Dieu avaient continué à acquérir plusieurs mai­sons, à la rue des Cartiers, à la rue de la Grande-Horloge ct à cell e des Bclles­Ecuelles, grâce aux dons qu'ils recevaient, mais au moment où débuta la Révolution, la réalisation du projet Mansart se limitait au grand bâtiment central es t -ouest ct à ses trois ailes en retour au sud, incomplètement co nstruites puisqu'elles venaient buter sur les anciens bâtiments, la qua­trième aile de "est n'ayant pu être construite à cause des expropriations coû­teuses. Au nord, il n'y avait que "amorce de l'ai le centrale.

La période révolutionnaire fut néfaste pour les établissements hospita­liers ct l'hôtel-Dieu, comme d'autres hôpitaux, conn ut des années de grande misère,

L'ancienne organisation qui était basée en bonne partie sur la ch,uité publique, n'avait plus cours mais d'autres structures n'avaient pas encore été conçues pour la remplacer.

En novembre 1799, malgré un impôt forcé de 100000 francs levé par la ville, pour donner quelques ressources à l'hôtel-Dieu, « le mois suivant~ des infirmes, sur le point de périr de misère et de faim, furent placés d'autorité chez de riches particuliers pour y être nourris ct entretenus },50 .

Dans cc contexte où l'essentiel manquait, il n'était plus question d'autres travaux.

LES BÂTIMENTS DE L'HÔTEL-DIEU DE MARSEILLE 259

IV - LES TRANSFORMATIONS DU XIX' SIÈCLE

Dans le premier tiers du XIX" siècle, le projet Mansart n'est pas aban­donné, il figure sur les plans d'alignement de la ville mais, dans un mémoire de 1835 accompagnant un projet d'extension de l'aile nord, le nouvel archi­teere des Hospices de Marseille, Félix Blanchet, se livre à une analyse qui démontre le peu de faisabilité de ce qu'il reste à exécuter (coût financier à cause des expropriations, forte dénivellation du terrain).

La seule extension possible au nord, au-dessus d'un grand réservoir construit depuis environ 3 ans, ne peut se réaliser par suite d'un certain nombre de difficultés.

Toutes ces difficultés, jointes au fait que la situation de l'hôpital se dégrade de plus en plus tant en ce qui concerne les bâtiments que du point de vue médical à cause de l'insalubrité des locaux, conduisent le maire à réunir une commission, au début de l'année 1839, pour examiner la situation de l'hôpital et répondre à la proposition d'un des échevins de construction d'un nouvel hôtel-Dieu à la périphérie de la ville.

La conclusion ne pouvait aller que dans le sens d'une nouvelle construc­tion.

Nous n'évoquerons pas les opinions contradictoires qui retardèrent J'exécution de ce projet. Il finit par être réalisé grâce à l'intervention du pré­fet Suleau en juillet 1851 qui permit de concilier les opinions divergentes et d'aboutir à une solution satisfaisante:

-J'hôtel-Dieu serait conservé pour recevoir les malades de la vieille ville; - la construction d'un hôpital au quartier du Petit Camas servirait à

accueillir d'autres malades et surtout se verrait dotée d'une maternité et d'une école d'accouchement. C'est-à-dire qu'on ne bâtirait que la moitié du projet initialement prévu.

Finalement la commission hospitalière donne son accord ainsi que le Conseil municipal lors de la délibération du 3 février 1852 et les travaux commencent peu après.

Malgré des remises en question (car la Commission des Hospices aurait voulu bâtir l'ensemble du projet), les travaux se poursuivent et l'hôpital de l'Immaculée Conception est inauguré en 1858.

L'entrée en service du nouvel hôpital permet également de pouvoir entreprendre les travaux nécessaires sur l'hôtel-Dieu.

La Commission Administrative délibère le 20 août 1861, qu'il faut: - démolir les anciens corps de bâtiments en ruine, - restaurer les constructions plus modernes commencées sur les plans de

Mansart.

260 FRANCINE VALETTE - RÉG IS BERTRAND

Fig. 3 - Projet de restauratio n ct d'agrandissement de "hô tel-Dieu par Félix Blanchet, 18 août 186 1.

(couleur noire = à conserver, jaune = à démo lir, rose = à construire) A. D. BD R - X 1 377

LES BÂTIMENTS DE L'HÔTEL-DIEU DE MARSEILLE 261

Fig. 4 - Projet de restauration et d'agrandissement de l'hôtel-Dieu. Elévation de la façade principale, coté sud, par Félix Blanchet, 18 août 1861.

A.D. BDR - X 1 377

Fig. 5 - Projet de restauration et d'agrandissement de l'hôtel-Dieu, rez-de-chaussée, par Félix Blanchet, 18 août 1861

(couleur noire = à conserver, jaune = à démolir, rose = à construire) A.D. BDR - X 1 377

262 FRA NC INE VALETTE - RÉGIS BERTRAN D

Mais la poursuite du projet Mansart est définitivement abandonnée car il était beauco up tro p o néreux co mme no us l'avons déjà indiqué.

Félix Blanchet, chargé de l'opératio n, conçoit en fait un projet nou ­vcau51 ct opère une véritable recompos ÎrÎo n dans laquelle il réutili se une par­tie des bâtiments du XV IIIe siècle.

So n plan init ial est assez o riginal car il sc dévelo ppe suivant un plan en U du côté sud et du cô té nord, il conserve la même sy métri e des ailes cn retour ct in troduit au centre la chapelle dans un bâtiment moins long, créant de part et d'autre deux espaces aménagés en jardins.

(N otons que cc p lan n'est pas le plan défin itif, il manq ue les avant-co rps du côté sud ).

Le plan de la partie sud de l'édifice rappelle évidemment ceux d 'autres édifices de la même époque comme le palais du Pharo ou le palais Lo ngchamp qui traduisent le goût de l'époque mais l'architec te expl ique son cho ix par deux raisons, la première provient de l'évo lutio n des co nceptio ns hospi ta lières : les cours qui semblaient vastes , il y a un siècle, som consid é­rées insuffisa ntes auj o urd'hui , d'où son cho ix de ne fai re du cô té sud qu'une

Fig 6 - Hôtel-Dieu vers 1864, travaux Je restauration et reconstructio n.

Photo A. Terris - A.D. BDR - XIII Fi 23

SI. AD BDR - XI 377.

LES BÂTIMENTS DE L'H6TEL-DIEU DE MARSEILLE 263

seule grande eour. La seeonde raison se rapporte au problème de la dénivel­lation très importante sur les trois côtés est, nord et SU d 52 .

On pourrait ajouter que la formule choisie lui permettait de conserver l'aile la plus à l'eS! de façon à limiter la dépense.

Il s'agissai t là d 'un projet global qui devait se réaliser par étapes, le plan mentionne bien pour la partie nord « ai le en prolongement projetée » ,

Ce projet, moins ambitieux et plus adapté au tcrrain, eut plus de bon­heur dans sa réalisatio n que celui de Mansart mais seule la première tranche de travaux qui concernait la partie sud fut réalisée.

Que fut-il conservé des bâtiments du XV IW siècle dans cette recomposi­tion?

Le grand bâtiment est-ouest est conservé cn partic (extrémités est et ouest démolies), l'a ile au nord est également conservée.

La façade initialement prévue comme façade intérieure devient une façade principale ouverte sur la ville, l'aile centrale ouest est démolie et les matériaux récupérables de son escalier sont remontés dans un escalier reconstruit à l' identique dans l'aile ouest, ell e- même reconstruite.

Les galeries à arcades sont prolon gées à l'ouest à partir du centre de la façade (visible par la différenee d'appareillage des pierres et de leur qualité" ).

Pour équilibrer l'a llongement de eette façade par rapport à la dimension des ailes en retour, H enry Espérandieu, rapporteur à la commissio n consul­tative des sites5\ propose la création des deux pavi llons à l'extrémité de ehaque aile. Félix Blanehet réalise là « un trava il remarquable d ' harmo nisa­tion d'une architecture nouvelle dans le respect de l'existant. Ils sont com­posés à partir de deux éléments repris sur les façades existantes, l'arcade et les fenêtres courantes »55. Comme on le voit sur le dessin du projet de l'éléva­ti on, les façades des ailes regardant la ville auraient dû être terminées par un fronton .

Enfin, le ehangement le plus notable dans la façade du eorps principal est la transform atio n des mansardes du dernier niveau en un étage dont les ouvertures en plein cintre rappellent celles des galeries des autres niveaux; la corniche qui les souligne participe à « cet effet d'ondulation » de la toiture.

F. Blanchet avait prévu plus de déeoration sur les façades mais la réa li­sation finale fut plus sobre.

52. AO BOR - XI 377, Projet de restaurntion el d 'agrnndissemem, 18 août 1861. 53. Mar;oric Lf.: t\LI. L 'J-/ôtel-Dieu de Marseille. D'I/ne façade sur cour à Ime façade

urbaÎlIe. Mé moire de séminai re Patrimoine, 2002-2003, tcole d 'Architec tu re de Marseille­Lumin y. Travai l d 'analyse réal isé en groupe dans le cadre du séminai re sous la directio n de M ichcl L AMOURDEDIEU et Mire ill e l'ELLEN.

54. AD BDR - XI 377. 55. Marc G ILLET, L'Hôtel-Dieu de Marseilfe. Mémoire de diplôme de l'teolc dc C haillot,

no n publié, Service Départemental de l'A rchitectu re et du Patrimoine des Bouches-du-Rhône, Marscille, J997.

264 FRANCINE VALETrE - RÉGIS BERTRAND

- ._~' .~ .. -~ -"" -''="~~~'''''~-----~''''''---

-.

'1 f

LES BÂTIMENTS DE L'H6TEL-DIEU DE MARSEILLE 265

Schéma de façade

Pavillon Part ie modif iée

bâtiments disparus

bâtiments du XVIIIe siècle conservés

grand réservoir (vers 1832) conservé

__ constructions XIXe (F. Blanchet)

-reconstruction sur le modèle

de la partie conservèe

os 1S 3S

Fig. 7 - H ôtel -Dieu (fond de plan 1860) : état après t ravaux de 1862-65. D essin informatique, F. Bertrand, archi lecte DPLG

266 FRANCINE VALETIE - RÉG IS BERTRAND

Les travaux furent confiés à l'entrepreneur Barbe, le 18 janvier 1862, ct menés ac t ivement.

Lors de la visite de Napoléon Ill, le 30 octobre 1864, ils étaient bien avancés.

La réception des travaux est fa ite le 1 t fév rier 1865 Cl approuvée par la Commi ssion des H ospices le 18 mars suivant.

Quant aux abords immédiats"', cc fut la vi lle qui sc chargea de l'opéra­tion qui représentait un coût su pplémentaire important ca f il fa llait acq uérir 14 maisons pour dégager les abords ct créer une nou velle entrée ct aménager un square. Ces aménagements furent exécutés d'après les plans de l'architecte Nolau qui avait succédé à Félix Blanchet comme architecte des H ospices.

La chapelle de l'hôpital fut sacri fiée dans le dégagement de ces abords en 1865.

La reconstructio n de l'hôtel-Dieu et sa mise en valeur p ar " aménage­ment des abords contribuèrent à la revalorisation du qu arti er.

Il est à note r que les adjonctio ns du xx'" siècle se firent sa ns portcr atteinte à l'éd ifice existant.

Lors dc la derni ère guerre, en 1943. les destruction s des î lo ts s itués deva nt l'hôtel-Dieu. t rès préjudiciabl es pour le patr imoine marseill ais, eurent ell revanche pour conséqu ence de compléter le dégagement de la perspecti ve de l'hôtel-Dieu et d'en faire un des édifices majeurs du pano­rama du port.

L'on soulignera en conclusion la relat ive modestie des bâtiments du grand hôpital généraliste marseillais, en comparaison de nombre d 'autres vi lles de dimensio ns comparables ou même bien plus modestes, Lyon, Avignon ou Aix, sans évoquer Beaune ou Paris. Le projet de Mansart de Sagonne aurait dû y remédier mais ne put être que très parti ellement réalisé. En fait, A ugustin Fabre puis Marcel Cou rdurié ont sa ns doute appo rté une première explicatio n décisive en érudiant les finances de l'hôpiral57• L'h ôtcl­D ieu avait apparemment peu de patrimoine foncier ct il dépendai t des dons ct legs . Son histoire diffici le pou rrait re fl éter la fragi lité d'u ne ville qui ne bénéficiait pas d 'un vaste ct riche arrière-pays agricole, comme Lyon, Rouen o u Bo rdeaux, où les besoins d 'ass istance étaient considérables et l'éli te mar­( hande peu en raci née. Son implan tation au cœur du bâti urbain, en un si re de

56. AD BO R - X I 377, EXfrai! des registre. des délibératÎons dL' "t CUI/1Ini"ùm

AJmÙ~I;~ ~{;~~(~,~~:s~:o;ft~'~':~ ~:V:{:,,~~' :!~I~s~:f~~~~:t:Ct[(~ld:~i~~~;i~~:~lc l'hôlcl -OÎcu ~, p. ~ ~7-539. Mar~d COUKDUIW\ La dette des cofle('riviu!s publiques dt! M{màlh' Lili .\ \ 'lIf sii:c/{', Marsl' îlk,197" .

LES BÂTIMENTS DE L'HÔTEL-DIEU DE MARSEILLE 267

forte dénivellation, a fait aussi problème. L'échec des projets de transfert hors de l'enceinte, en terrain moins accidenté, a vraisemblablement privé la ville du XYIW siècle d'un vaste hôpital réalisé selon un plan fonctionnel.

La présence de la pente semble aussi expliquer l'étonnant parti adopté par Félix Blanchet sous le Second Empire, qui a consisté à transformer un ensemble hospitalier classiquement organisé autour d'un ensemble de cours fermées, encadrées par les bâtiments, en une réalisation à cour largement ouverte sur la vi lle. Ce programme constitué d'un grand corps central et de deux ailes en retour relève plutôt alors de l'architecture des châteaux -d'ailleurs l'édifice le plus proche par son parti de l'hôtel-Dieu est à Marseille le palais du Pharo. D'où l'originalité que constitue une façade principale pré­cédée de galeries superposées qui sont largement exposées à la vue de l'exté­rieur. Il est vrai que les bâtiments anciens avaient déjà présenté cctte particu­larité dans une moindre mesure, à cause de la déclivité du terrain. L'hôtel-Dieu tranche ainsi avec la plupart des autres grands hôpitaux réali­sés dans la vi lle au XIXe siècle en terrain plat qui étaient ou sont à cours fer­mées, les anciennes Timone et Conception, l'hôpital militaire (Michel Lévy), l'hôpital Salvator, la nouvelle Charité (actuel hôpital de Sainte-Marguerite)".

Francine VALETTE et Régis BERTRAND