Les Barons - Ces Elus Locaux Qui Osent Tout!

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Les Barons - Ces Elus Locaux Qui Osent Tout!

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  • Les Barons: Ces lus qui osent tout !Jean-Baptiste ForrayFlammarion (2014)

    Etiquettes: Essai investigation

    Parmi les 550 000 lus locaux qui, dans lombre, retissent le liensocial, une poigne dirrductibles dfraie la chronique. Presseaux ordres, majorit le doigt sur la couture du pantalon et droitsde lopposition rduits peau de chagrin : chez ces barons,dcentralisation rime rarement avec dmocratisation. Issus dedynasties dlus ou accros au cumul des mandats, ces nouveauxfodaux exercent un pouvoir sans partage. Ce livre brosse leportrait des plus emblmatiques dentre eux, tels Jean-MichelBaylet et Christian Poncelet ; des plus sulfureux aussi, linstarde Jean-Nol Gurini ; des plus rocambolesques, enfin, comme lefondateur de la principaut virtuelle de Stalheim , feu JeanKiffer. Tract auto-diffamatoire ou aveux incontrls sur lexistencedun compte ltranger : certains de ces olibrius collectionnentles sorties de route. La comdie du pouvoir en version locale, telest le fil rouge de cette enqute enleve, riche en rvlationstonnantes.

  • Prsentation de l'diteur :

    Parmi les 550 000 lus locaux qui, dans lombre, retissent le lien social, une poigne dirrductiblesdfraie la chronique. Presse aux ordres, majorit le doigt sur la couture du pantalon et droits delopposition rduits peau de chagrin : chez ces barons, dcentralisation rime rarement avecdmocratisation. Issus de dynasties dlus ou accros au cumul des mandats, ces nouveaux fodauxexercent un pouvoir sans partage. Ce livre brosse le portrait des plus emblmatiques dentre eux,tels Jean- Michel Baylet et Christian Poncelet ; des plus sulfureux aussi, linstar de Jean-NolGurini ; des plus rocambolesques, enfin, comme le fondateur de la principaut virtuelle deStalheim , feu Jean Kiffer. Tract auto-diffamatoire ou aveux incontrls sur lexistence duncompte ltranger : certains de ces olibrius collectionnent les sorties de route.La comdie du pouvoir en version locale, tel est le fil rouge de cette enqute enleve, riche enrvlations tonnantes.

    Adepte du petit thtre politique et fin connaisseur du monde des lus locaux, Jean-Baptiste Forrayest journaliste depuis 2001. Il crit pour la presse spcialise.

  • Ccile, Tristan et Aurlien, Daniel Carton, sans qui

  • Prologue

    Ils sont une poigne dirrductibles parmi les immenses bataillons dlus. Loin des quelque550 000 fantassins de la Rpublique qui, dans lombre, retissent le lien social, ils dfraient lachronique.

    Au contraire des innombrables maires qui passeront la main en 2014, ils saccrochent leurfauteuil. Certains dentre eux mourront sur scne. Comme Molire.

    Ces personnages dexception font, le plus souvent, passer les leurs en tte de la file dattente.Quand ils naccordent pas une investiture leur progniture, cest une promotion-clair dont ilsfont bnficier leur dulcine. Leur conception de la gouvernance partage sarrte l.

    Ces super-cumulards refusent de se plier au culte dominant de lthique et de la transparence.Autant de paravents qui, selon eux, masquent mal une nouvelle inquisition. Leurs administrsleur donnent raison. Ces notables, au sens propre, sont souvent abonns aux bureaux desmagistrats. Mais, chez eux, le juge dinstruction ne fait pas llection.

    Tous leur faon sont des cas. Quils sappellent Jean-Michel Baylet ou Christian Poncelet, ilsne doutent de rien. Quand lun, prsident du Tarn-et-Garonne, se sert de son organe de pressepour dgommer ses adversaires, lautre, snateur et patron du conseil gnral des Vosges, alignecent quarante-neuf annes de mandats cumuls.

    Ces lus, dots dune relle surface politique, renouent avec les grands fodaux dantan. lheure o le monde de la finance dicte sa loi, o le vieil tat gaullien craque de toutes parts, ilsgardent prise sur le cours des vnements. Sur leurs terres, ils demeurent incontournables.

    Aussi introduits au Parlement que discrets sur la scne mdiatique, ces grands fodaux peuventcompter sur leurs obligs. Nobliaux, tyranneaux ou petits marquis, ce cher et vieux pays abrite dedrles de zbres.

    Frondeurs et resquilleurs, ces personnages sment la zizanie chez les autres, quand ils fontrgner un ordre implacable dans leur pr carr. Ces lus sont des malins. Des petits qui nont paspeur des gros. Ils ne redoutent en dfinitive quune chose : que le ciel leur tombe sur la tte.

    Comment, au hasard de ces villages gaulois, ne pas songer au matre-historien FernandBraudel ? Oui, la France se nomme diversit . Chaque systme local a ses clients, ses rites etses murs. Les lus du grand Ouest social-dmocrate ne font gure parler deux. On ne peut pasen dire autant de leurs collgues des Outre-Mer, de larc mditerranen, ou mme de Lorraine.

    Dans la cit phocenne, o les affaires succdent aux affaires, Jean-Nol Gurini truste lesunes des gazettes. Harcel par les fins limiers du journalisme dinvestigation, mis en cause parles juges, lch par ses amis, le prsident du conseil gnral parvient se maintenir en poste. Untour de force qui ne doit rien au hasard. Au conseil gnral des Bouches-du-Rhne, le petit Corsea, tout simplement, su sapproprier tous les pouvoirs.

    Dans les fiefs de ces minences, les droits de lopposition sont rduits la portion congrue.Les lus majoritaires gardent le doigt sur la couture du pantalon. Leurs suzerains peuventlibrement sadonner leur passion du pouvoir. ct de ces gouvernements locaux, o lepouvoir excutif dtient les principales fonctions dlibratives, la Ve Rpublique passerait pourun ple rgime dassemble.

    La plupart des dcisions sont concoctes dans de secrets conciliabules entre les hyper-

  • prsidents, leur cabinet personnel omnipotent et des cadres suprieurs de la fonction publiqueterritoriale sachant user de toutes les ficelles pour dfendre leur patron , dtaille leconstitutionnaliste Bastien Franois1 dans un petit essai crit avec Agns Michel.

    Quand savance un journaliste, leur tour divoire se transforme parfois en bunker. JolleCeccaldi-Raynaud, Michel Champredon et Christian Poncelet, nont, comme le veut la formuleconsacre, pas souhait rpondre nos questions.

    leur propos, les informateurs ne manquent pas. Les blogs de nos provinces se repaissent deleurs frasques. quelques exceptions prs, les mdias nationaux prfrent regarder ailleurs. Leurddain pour la chose locale est abyssal. Dans ces conditions, ces barons constituent une niche.Mises bout bout, leurs histoires forment une fresque. Mieux, une chanson de geste. Cest toutelide de ces pages.

    Les agits du local sont souvent drles. Parfois mme hilarant. Tract auto-diffamatoire, aveuxincontrls en plein conseil municipal sur lexistence dun compte ltranger, sance degloriole autour dun tte--tte avec Franois Hollande qui se rvle totalement imaginaire :ces olibrius dbloquent svre.

    Tout leur passion du pouvoir, ils commettent bourde sur bourde. Cest ce qui les rendattachants. Rtifs aux diktats des tats-majors, ils nen font qu leur tte. Ces personnages nesont dfinitivement pas interchangeables. Il y en a pour tous les gots.

    Plutt que de les recenser tous, dans un immense catalogue, nous avons pris le parti de nouspencher sur les cas les plus emblmatiques. Les plus rocambolesques aussi. Nous avons rpartiles heureux lus en grandes familles : les familles sans complexe , les tontons flingueurs , les desperados , les dinosaures et les mgalos .

    Pointant les ttes de chapitre, les fcheux dploreront des absents. Les Balkany, au hasard.Cela relve dun choix assum. Plutt que demprunter les routes encombres menant Levalloisou au fief essonnien du propritaire du Figaro, nous avons prfr prendre des chemins detraverse. Quitter la rgion-capitale. Partir sur les traces du pharaon dAmnville ou de la madonedAix.

    Tous ces personnages valent le dtour. des encablures des perroquets de lnarchie et despetits coqs qui squattent les plateaux-tl, ils parlent avec laccent. Ils appellent le portrait quandtant dautres le dcouragent. Ce livre est leur royaume. Bienvenue dans la comdie du pouvoirlocal.

  • Notes

    1. Bastien Franois et Agns Michel, La Dmocratie prs de chez vous, Les Petits Matins, 2012.

  • Premire partie

  • La France, vieille Nation rgicide, adore les dynasties. Ce nest pas le moindre de sesparadoxes. Un peu partout prosprent des lignes dlus. Impossible de les recenser toutes ici,tant elles essaiment le Parlement et les collectivits locales. Seul le cinma, inpuisable rservoirde fils et filles de , fait mieux.

    Du ct de Porto-Vecchio, en Corse-du-Sud, lintroduction du suffrage universel direct nesemble pas avoir eu dinfluence. Les seigneurs du cru, les Rocca Serra, rgnaient en matre bienavant. Depuis, ils dominent toujours les alentours. Lors des lgislatives de 2012, Camille deRocca Serra a vu, une fois encore, ses gens, pardon, ses concitoyens, lui demeurer fidles. droite, le clan reste au centre du jeu.

    Il en est de mme, gauche, pour les Zuccarelli Bastia et les Giacobbi, dsormais matres detoute la Corse. Chez ces radicaux de gauche, les professions de foi rpublicaines se conjuguentavec le culte du pouvoir hrditaire. Le clanisme, sur ces terres, npargne personne. Lesnationalistes, qui ont pourtant fait de sa dnonciation leur fonds de commerce, y succombent leur tour. Gilles Simeoni, fils dEdmond, figure tutlaire de la lutte , exerce deux mandats.

    Principe dynastiqueLes mauvaises langues diront que la Corse, eh bien, cest la Corse. Justement, non. Il suffit de

    dbarquer sur les quais de Marseille pour constater que sur le continent, cest parfois aussi lamme chanson. Dans la cit phocenne, les trs socialistes Masse ne sont pas partageux. Ilssquattent la dputation depuis quatre gnrations.

    Leur camarade Sylvie Andrieux, elle, sest vue offrir en 1997 une circonscription en or massifdans les quartiers nord. Progniture dun snateur qui a fait fortune dans le sillage de GastonDefferre, elle posait dj, fillette, sur les plaquettes lectorales du maire de Marseille. Dans lesbarres dimmeubles qui constituent son fief, la pauvret atteint des pics. Elle nourrit leclientlisme dont le npotisme nest, ici, que le pendant. Quand lascenseur social est en panne,hormis pour une poigne de cads enrichis dans les trafics en tout genre, les hritiers de lapolitique nont gure de mouron se faire.

    Le lgislateur a pourtant pos quelques garde-fous. Dans les communes de plus de 500habitants, le nombre des ascendants et descendants, frres et surs, qui peuvent tresimultanment membres du mme conseil municipal est limit deux , dispose le code lectoraldepuis les annes 1980. La loi du 14 dcembre 1789, jusque-l en vigueur, tait plus svre. Letexte instituant les communes prohibait aux parents et allis de siger simultanment dans le

  • mme conseil municipal.Autant de dispositions qui nont pas empch des couves de prendre racine. Un peu partout,

    des dynasties lectives sont recenses. Dans le pays de Vitr (Ille-et-Vilaine), les Mhaigneriesont maires de pre en fils depuis 1791. Au menu : une gestion en bon pre de famille fonde surla doctrine sociale de lglise.

    Les grandes lignes daristos sont, elles aussi, rompues aux joutes lectorales. Roland duLuart, longtemps maire du Luart dans la Sarthe, est l pour en tmoigner. la tte du groupeUMP auquel appartient ce snateur, le marquis Henri de Raincourt 1 a succd, en 2008, au ducJosselin de Rohan. Au Parlement europen, sige toujours le vicomte Philippe de Villiers. Auconseil gnral de la Vende, en 1987, il a, avec son frre galement lu, repris le flambeau deson pre.

    Au Palais-Bourbon, le comte Charles de Courson (UDI) se montre particulirement tranchant.Une tradition familiale. Son aeul, Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, vota en faveur de lamort de Louis XVI.

    Dans le Gers, les anctres du duc Aymeri de Montesquiou-Fezensac, snateur-maire deMarsan, jouaient dj aussi les premiers rles la Rvolution. Ces fines lames avaient de quitenir. Ils descendaient directement de la famille dArtagnan. Une hrdit que le snateur-mairede Marsan brandit avec fiert. Au point quen 2013, le radical valoisien a chang de nom. Sescollgues, au palais du Luxembourg, peuvent dsormais lappeler Aymeri de Montesquiou-Fezensac dArtagnan !

    Marques clbresDautres noms fameux mritent dtre rappels. Un Giscard dEstaing gouverne toujours

    Chamalires (Puy-de-Dme) : Louis, fils de son pre. Le trs discret Gilbert Mitterrand prside,lui, la communaut dagglomration du Libournais (Gironde). Au conseil gnral des Hauts-de-Seine, le plus remuant Jean Sarkozy figure dans lexcutif, au rang de septime vice-prsident encharge de lconomie sociale et solidaire ainsi que de linsertion par lconomie.

    Une dlgation qui lui va comme un gant. Qui mieux que lui pour parler de solidarit ?Lentraide, dans ces sphres, nest pas un vain mot. Particulirement droite o Michle Alliot-Marie, Roselyne Bachelot-Narquin, Bernard Debr, Franoise de Panafieu ne Missoffe et Jean-Pierre Raffarin en savent quelque chose. Tout comme, un degr bien moindre, Franois Bayrou,dont le pre tait maire de son village.

    Perpignan, aprs des annes dorage, le maire Paul Alduy a fini par accorder sa bndiction son fils, Jean-Paul, qui prside encore la communaut dagglomration. Brillant urbaniste, cepolytechnicien figurait parmi les pres de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines. lvidence, Jean-Paul Alduy possdait les qualits idoines pour gouverner une collectivit. Lesliens familiaux nexcluent ni la comptence, ni le talent.

    Mais tous les coups, ils servent dacclrateur. Au Front national, on appuie fond sur lechampignon. Le nec plus ultra, ces dernires annes ? Marion Marchal-Le Pen, parachute vingt-deux ans dans une circonscription trs favorable au Front. lextrme droite, lesdtracteurs du menhir et de sa descendance parlent de drive mongasque .

    La gauche galitaire succombe aussi la tentation de la promotion familiale. Aubervilliersen 2003, le maire communiste Jack Ralite avait pass la main son gendre Pascal Beaudet. La

  • greffe na pas pris. Ivry-sur-Seine, la citadelle Pierre Gosnat rsiste encore. Membre duclub des derniers mohicans de la ceinture rouge, le maire a t biberonn au bon lait du PC.Dput jusquen 2012 de lancienne circonscription de Maurice Thorez, Pierre Gosnat est le filsdun parlementaire et le petit-fils dun adjoint au maire du cru.

    Une histoire de coupleDu ct dEurope cologie-les Verts, on se serre galement les coudes, en croire Le Canard

    enchan. Le volatile nous a appris, en dbut de mandature, que le dput de Paris Denis Baupinavait pour compagne la vice-prsidente de la rgion le-de-France, Emmanuelle Cosse. Soncollgue de Loire-Atlantique, Franois de Rugy, est, lui, en union libre avec EmmanuelleBouchaud, vice-prsidente de la rgion Pays de la Loire.

    Quant la dpute du Val-de-Marne, Laurence Abeille, elle partage la vie du snateur de Paris,Jean Desessard. Barbara Pompili, co-prsidente lAssemble nationale du groupe colo, a pourcompagnon Christophe Porquier, vice-prsident de la rgion Picardie.

    Au PS, Jean-Yves Le Drian, prsident du conseil rgional de Bretagne, jusqu son entre augouvernement, comptait parmi ses vice-prsidents, son pouse, Maria Vadillo.

    droite aussi, les mandats sexercent en tandem. linstar de Manuel Aeschlimann (UMP) Asnires jusquen 2008, le maire UDI de Drancy, Jean-Christophe Lagarde, a pris son pousecomme adjointe. Nice, Christian Estrosi (UMP) a intgr dans son excutif son ex-femme.Dominique Estrosi-Sassone est la fille dun ancien adjoint au maire de Jacques Mdecin qui, lui-mme, avait succd son pre, la tte de la cit azurenne. Llecteur, en fin de compte, est leseul juge. Vox populi vox dei.

    Dans le Ve arrondissement de Paris, le regroupement familial est plbiscit. Le premiermagistrat corse, Jean Tiberi, compte parmi ses adjoints son fils Dominique.

    Chteaubriand, en Loire-Atlantique, le dput, jusquen 2012, se nommait Michel Hunault(Nouveau Centre) et le maire, toujours en place, Alain Hunault (UDI). Difficile de ne pas lesconfondre, car les deux fils de lancien dput-maire Xavier Hunault sont jumeaux. Tout commeAlain Cazabonne, maire Modem de Talence (Gironde) et son frre Didier, adjoint au maire UDIde Bordeaux.

    Touche pas mon npote !Le npotisme qui, originellement Rome, caractrisait les faveurs accordes par le pape sa

    parent, peut prendre dautres atours. La fonction publique territoriale, bien que protge par labarrire du concours, nchappe pas compltement cette drive2. la mairie de Frjus, lieBrun (UMP) peut compter dans son administration sur sa sur, son fils et, nen jetez plus, sonex-femme. la rgion Nord-Pas-de-Calais, ce nest plus un organigramme des services, cestlarbre gnalogique des barons socialistes du cru.

    Jusqu une loi de mai 2013, lcrtement permettait certains couples de mettre du beurredans les pinards.

    Les revenus des lus, en particulier des 58 % des dputs et des 61 % des snateurs qui

  • exercent un mandat excutif local, taient dj bien plafonns 8 272,02 euros3, soit une fois etdemie lindemnit parlementaire de base fixe 5 514,68 euros4. Cependant, le surplusdindemnit5 pouvait, avant la loi de mai 2013, tre revers un autre lu, membre de la mmeassemble locale.

    Franck Martin, premier magistrat PRG de Louviers (Eure), prsident de sa communautdagglomration et conseiller rgional a eu vite fait en 2010 darrter son choix. Ce fils dunancien maire de la ville a revers 1 425 euros bruts par mois sa compagne Ghislaine Baudet,adjointe lurbanisme.

    Interrog sur ce beau geste, le lointain, trs lointain successeur de Pierre Mends-France6 a eucette rponse dlicieuse : Jai souhait tre totalement transparent, alors quen rgle gnraleles lus prennent des hommes de paille. Jaurais ainsi pu attribuer le surplus un autre lu qui melaurait restitu.

    Patrick et Isabelle Balkany, Levallois-Perret, ne se sont, eux, pas donn la peine de sejustifier. Le dput-maire UMP a vers son excdent de 1 796 euros bruts mensuels sa premireadjointe et pouse. La lgalit a t scrupuleusement respecte. Et si le bas peuple nest pascontent, cest pareil !

    Les Balkany font des petitsEn matire de transgression, Isabelle Balkany et son poux Patrick, condamn pour avoir

    employ des agents municipaux comme personnel de maison dans lappartement familial de500 m2 Levallois et la proprit de quatre hectares Giverny, ont trouv leurs matres dans lesPyrnes-Orientales. Alain et Jolle Ferrand, au Barcars, gagnent tre connus. Les poux,depuis quen 1995, ils se sont empars de la station balnaire, se transmettent le mandat de mairechaque fois que lun deux est condamn une peine dinligibilit7.

    Aprs avoir t sanctionn en 1999 pour abus de biens sociaux et prise illgale dintrts,Alain Ferrand a pass la main sa conjointe qui a men victorieusement la bataille lors dunemunicipale partielle. Condamne son tour en 2011 pour prise illgale dintrts8, lpouse a agide mme.

    Lhistoire nest peut-tre pas finie. En butte au parquet qui lui cherche des poux dans unesombre affaire de faux lecteurs qui reste lucider, Alain Ferrand pourrait de nouveau perdreson fauteuil de maire Pour lheure, il proteste de son innocence.

    Si la roue tourne nouveau, il trouvera quelque occupation. Le maire du Barcars est, commenous lapprend Le Point, chef dentreprise et grant dune vritable galaxie de socits, enFrance et ltranger, qui gravitent dans le monde de la nuit, limmobilier, lhtellerie de luxe enAfrique et le jeu9 .

    La saga Dassault En termes de ressources, rien ne vaudra jamais les Dassault. Le pre, Marcel Dassault, arrosait

    sa circonscription de lOise coups de construction de piscines, de rfections dglises et derepas aux anciens. Le tout tait puis sur sa cassette personnelle. Son hebdomadaire, LOise

  • libre, chantait ses louanges Le capitaine dindustrie ne savait pas o se trouvait son sige lAssemble, mais il tait lu dans un fauteuil chaque scrutin lgislatif.

    Le fils, Serge Dassault (UMP), longtemps condamn aux seconds rles, a voulu faire aussibien. Lhyper-capitaliste, qui a grandi dans les meilleures couveuses du XVIe, sest attaqu unemontagne : la mairie communiste de Corbeil-Essonnes. Lapprentissage a t rude. Par trois fois,le mcne a mordu la poussire. En 1995, Serge Dassault est parvenu ses fins. Il a pu mettre enmusique les prceptes paternels. Il sest pay un hebdo : Le Rpublicain de lEssonne. Lamosque a t difie sur ses deniers et il a contribu renflouer le principal employeur local,Altis.

    Pour les cads de la cit des Tarterts ou de la Nacelle, cela a t aussi un peu Nol tous lesjours. Tout les sparait, pourtant, du papy milliardaire. Si ce nest un lien de nature lectoraleUn fil que SD , comme ils disent, a tout fait pour affermir. Mais dans un arrt du 8 juin 2009,le Conseil dtat a annul le scrutin municipal de 2008 au motif de lexistence de pratiques dedons en argent dune ampleur significative destination des habitants de la commune .

    Le roman noir de lEssonneRendu inligible au conseil municipal, Serge Dassault est bien parvenu, hisser son homme

    lige, Jean-Pierre Bechter, sur le fauteuil de maire lissue de consultations en 2009 et 2010.Cependant, ses mthodes sont sur la sellette.

    La justice enqute, dune part, sur des soupons dachats de voix lors des lections municipalesde 2008, 2009 et 2010, dautre part, sur deux tentatives dhomicide commises dbut 2013 par unancien relais de Serge Dassault dans les quartiers. Deux affaires qui pourraient tre lies, sur fondde chantage et de non-respect de la parole donne.

    En Essonne, lhistoire de la droite tient du roman noir. Familial, de prfrence. Le prsidentRPR du conseil gnral entre 1988 et 1998 est lincarnation de cela. Xavier Dugoin a connu lesgeles de Fleury-Mrogis10. Fin 2002, il a dfinitivement t condamn11 pour avoir faitacheminer son domicile 1 200 bouteilles dalcool et de vins fins issus de la cave du conseilgnral.

    Dot dtonnantes capacits de rebond, il sest fait lire maire de Mennecy ds le scrutinmunicipal qui a suivi, en 2008. Xavier Dugoin a, depuis, pass la main son fils. Le nouveaumaire de cette commune cossue se fait appeler Jean-Philippe Dugoin-Clment. Comme sil taitdes noms difficiles assumer compltement

  • Notes

    1. Pour la petite histoire, Henri de Raincourt, issu dune dynastie de conseillers gnraux, estaussi un lointain descendant du marquis de Sade.

    2. Ces lus qui embauchent leur conjoint, leurs enfants, leurs ex, leurs cousins , LExpress,10 juillet 2013.

    3. Tous les montants sont ici exprims en brut mensuel.4. Tout parlementaire reoit, en plus de lindemnit de base de 5 514,68 euros, une indemnit de

    rsidence correspondant 3 % de lindemnit de base, soit 165,44 euros, ainsi quune indemnitde fonction reprsentant 25 % de lindemnit de base soit 1 420,03 euros. Au total, le salaire brutmensuel dun parlementaire de base slve 7 100,15 euros. Le surplus de 1 585,47 euroscorrespondant lindemnit de base et de fonction nest pas intgr dans le plafond de8 272,02 euros. Cela signifie donc quun parlementaire de base peut, avec ses mandats locaux,gagner jusqu 9 857,49 euros.

    5. Pour un parlementaire de base, le surplus commence courir quand lindemnit totale dlulocal dpasse 2 757,34 euros.

    6. Pierre Mends-France fut maire de Louviers de 1935 1939 et de 1953 1958.7. Ces deux condamnations ont valu Alain Ferrand trois et cinq ans dinligibilit.8. Cette condamnation a valu Jolle Ferrand cinq ans dinligibilit.9. Le Barcars, Dallas la franaise , Le Point, 16 mai 2013.10. Xavier Dugoin a t incarcr Fleury-Mrogis , Le Monde, 3 juillet 2001.11. Justice : le pourvoi de Xavier Dugoin a t rejet , Le Monde, 14 dcembre 2002.

  • Chapitre 1

    Prfrence familiale Orange

    Le petit chapelet de cheveux blancs monte, dans la chaleur frmissante de juin, jusqu lacollgiale. Parvenu au sommet, devant la statue de la vierge qui domine la ville drape dazur, unpetit bout de femme sextrait de la procession. Chemisier bleu clair, lunettes or et collier deperles, Marie-Claude Bompard a de faux airs de dames catchistes.

    Cest pourtant en sa qualit de maire de Bollne quelle est l. Marie-Claude Bompard, commechaque anne depuis son intronisation en 2008 la tte du conseil municipal, consacre ses terresau Sacr-Cur de Jsus. Une poigne dlus laccompagne.

    Son mari, Jacques Bompard, maire de la ville voisine dOrange depuis 1995, se tient sescts, le crne chauve lgrement en avant. Sous laube, labb porte la soutane. On est entregens de bonne compagnie. Juste au-dessus du texte de la premire ptre de saint Jean, trnent lesarmoiries de la municipalit.

    Marie-Claude Bompard peut, les cheveux blonds au carr et la foi cheville au corps,prononcer sa prire : Nous vous consacrons Cur sacr de Jsus, cette partie de la terre deFrance. Nous reconnaissons vos droits souverains sur les citoyens de cette commune, sur leursfamilles, sur tous leurs biens. Vous tes dsormais notre seul matre ; vous inspirerez les actes denotre administration, et rien de contraire Vos saintes lois ne sera dcrt en cette commune.

    Couple fusionnelPour les poux Bompard, fidles de labbaye traditionnaliste de Sainte-Madeleine du Barroux,

    la crmonie tient de lvidence. Et peu leur chaut que grognent les lacards du Vaucluse. Ence 7 juin 2013, lunique dput-maire dextrme droite et son pouse, maire et galementconseillre gnrale, srigent en rempart face un monde sans Dieu.

    Au fil du temps, tous deux ont constitu une principaut aux marches de la Provence. Aprs unlong bail au FN et un bref passage par le Mouvement pour la France de Philippe de Villiers, letandem sest mis son compte, fondant sa propre curie : la Ligue du Sud.

    Le duo constitue, lui seul, une passerelle entre la droite et lextrme droite. Il nexiste pasdemplacement plus porteur dans ce Vaucluse o une UMP trs Droite populaire se met laremorque dun FN dop par sa nouvelle grie blonde, Marion Marchal-Le Pen.

    Marie-Claude Bompard et son mari, dentiste le jour, militant la nuit, ont us jupes-culottes etpantalons dans des collages au long cours. Jai fait ma premire campagne Sorgues, en 1985,enceinte de mon deuxime fils. Jtais prs daccoucher, mais il tait indispensable que le Frontsoit prsent dans ce canton communiste1 , souligne Marie-Claude Bompard.

    Madame le maire de Bollne, raide comme la justice, et son mari, physique passe-partout etsourire avenant de bon pre de famille, apparaissent on ne peut plus complmentaires. Situationpas si commune dans la vie publique, les poux, qui ont connu la terrible preuve de perdre lunde leurs trois enfants2, forment un couple fusionnel. la ville comme la scne. Je prfre

  • notre statut celui de beaucoup dhommes politiques qui prfrent avoir leur ct, non leurfemme mais leur matresse , souffle Marie-Claude Bompard.

    Le mari, soixante-dix ans tout rond, a fait ses armes lOAS, avant de rejoindre Occident,Ordre nouveau et de participer la fondation du Front national en 1972.

    Ce chantre de la nostalgrie , originaire de Montpellier, a, en 1979, convol en secondesnoces avec Marie-Claude Pelletier, ne en octobre 1954 de lautre ct de la Mditerrane. Cettedernire, enfant dune pied-noir pur jus et dun garagiste versaillais, petite-fille du maire deDville-ls-Rouen, a adhr au Front national des rapatris jeunesse avant sa majorit, commedautres entrent en religion.

    Cest la voix vibrante que, un demi-sicle aprs son arrive en mtropole, la pasionaria de laLigue du Sud voque le terrible hiver 1962 : Dans le Pas-de-Calais o nous avions trouvrefuge, la bordure de la mer du Nord avait gel. Nous vivions cinq dans lunique pice dunemaison dlabre.

    Les musulmans dans le viseurPour les Bompard, enfants perdus de lAlgrie franaise, le danger, aujourdhui, sappelle

    France algrienne. Autrement dit, lislamisation. Sous couvert de livrer bataille contre lecommunautarisme, leurs deux collectivits multiplient les petites vexations envers lespopulations honnies.

    Bollne fait des pieds et des mains pour que sa communaut de communes, dont ressort larestauration scolaire, bannisse les plats de substitution au porc. la fte mdivale, on sertexclusivement du cochon. Et quand il sagit de faire de la retape pour le pique-nique desseniors , la mairie illustre son invitation de tranches de saucisson. Autant de signes qui nedoivent rien au hasard.

    Jacques Bompard, les ides claires et le verbe haut, a rimplant dans le cur dOrange lastatue de Raimbaud II, victorieux des Sarrasins Antioche et Jrusalem. Il a aussi invent detoutes pices un projet dimplantation dcole coranique3 , complte lancien leader delopposition Jean Gatel (PS).

    Le maire voit galement dun mauvais il la salle de prire musulmane situe quelquesencablures des deux joyaux classs au patrimoine mondial de lUnesco : lArc de triomphe et leThtre antique. Alors, en 2007, il a voulu faire place nette. Il a appt des responsables delassociation cultuelle avec 4 500 m2 situs loin du centre.

    Le terrain communal tait coinc entre lautoroute et laire des gens du voyage. Intresss, lesmusulmans dOrange ont dcouvert le pot aux roses : le primtre tait soumis un risquedinondation Cela na pas empch des nergumnes situs la droite de lextrme droite degloser sur Sidi Bompard , archtype du bourgmestre th la menthe .

    Services sous influenceLe chef de la Ligue du Sud sen est moqu comme de sa premire croix celtique. Les excits

    qui crient la trahison ntaient pas encore de ce monde que lui faisait le coup de poing

  • Occident.Et sil nest plus au FN depuis 2005, cest par fidlit la cause : Je luttais contre la majorit

    du Front qui souhaitait pour des raisons de ddiabolisation abandonner le combat contrelimmigration. Jai t exclu prcisment parce que je ne voulais pas que le FN devienne unsuccdan de lUMP4.

    La principaut Bompard, habite par un antigaullisme viscral, prend volontiers ses distancesavec la Rpublique, prfrant en 1995, Orange, inscrire sur ses papiers en-tte la devise locale Je maintiendrai , plutt que la mention Libert-galit-fraternit . Elle ouvre aussi grandses portes des personnages loigns des standards de la fonction publique territoriale.

    Au service communication de Bollne, uvre Franck Marest. Ce hirarque de la com du FN,de lpoque du Paquebot de Saint-Cloud, a aussi roul sa bosse chez Publicis. Lami dupetit-djeuner, lami Ricor , cest lui ! Aprs un crochet auprs de Bruno Mgret, Marest aatterri Bollne.

    Andr-Yves Beck, lui, sest pos Orange. Ce vtran de groupuscules nationalistes-rvolutionnaires prne une mtaphysique des lieues des croyances de ses employeurs. Directeurde la communication en mme temps quadjoint au maire de Bollne charg des finances et de lacommunication, ce Provenal dadoption sest, malgr tout, impos comme lminence grise(brune ?) du couple.

    Mme ses adversaires les plus rsolus et Dieu sait quils sont lgion saluent ses talents depropagandiste. Anne-Marie Hautant, leader de lopposition (Parti occitan) au conseil municipaldOrange, parle de sa prcision chirurgicale : Il appuie toujours l o a fait mal5. Andr-Yves Beck a transform lantique journal municipal en un rouleau-compresseur idologique. Sapublication se nomme, tout un programme, Orange vrits.

    Attaques ad hominemHouppette, polo nglig, petites lunettes et barbe fine, le spin doctor des Bompard arbore un

    look singulier. Nationaliste-rvolutionnaire peut-tre ? Dans son petit bureau, digne de laScurit sociale, le dircom dment avoir combattu dans des phalanges croates en 1991 Vousavez trouv a o ? Sur REFLEXes6 ? Ce nest pas vrai. La fiche de police tait mal renseigne7

    Andr-Yves Beck assume, en revanche, pleinement, les attaques ad hominem qui parsment sespublications, particulirement Bollne.

    Nous avons en face de nous des gens effroyablement mauvais (dans tous les sens du terme)qui nont pas le volume dun Jean Gatel Orange , tranche-t-il. Dans Bollne magazine, le chefde file de lUMP en prend pour son grade : Que David Alessi ne matrise pas la languefranaise nest, en soi, pas grave. Quil ne comprenne pas les dossiers est dj plus inquitant.Mais, aprs tout, cette inaptitude est sans effet puisquil ne gre pas la ville.

    Un ton rosse, exceptionnel dans ce type de publication, gnralement leau de rose. Si vousnous comparez des nains anmiques en phase terminale, notre communication est effectivementtrs muscle, dissque Andr-Yves Beck, usant dune logorrhe propre son affiliation. Enralit, elle est parfaitement quilibre et adapte la situation dans laquelle nous voluons. Il nevous a pas chapp que les journaux locaux ne nous sont pas trs favorables, alors mme quedans dautres villes, ils cirent allgrement les pompes de lquipe en place.

  • LEldorado des identitairesDans ces conditions, les Bompard se montrent ouverts toutes les bonnes volonts. Quand, en

    juin 2012, Matthieu Clique, leader de la section toulousaine du Bloc identitaire, a frapp leurporte, il a t intgr comme stagiaire au service communication de Bollne.

    Petit hic : lhomme tait recherch par la police de la ville rose8. Celle-ci le suspecte, dans lanuit du 31 mars 2012 Toulouse, davoir rou de coups et laiss pour presque mort un Chilien detrente-six ans. Bollne, Clique, excellent professionnel aux dires dAndr-Yves Beck, staitmis au vert. Le jeune identitaire, qui nie les faits, a t interpell en juin 2012 avant de passercinq mois en dtention provisoire, en attendant dtre jug. La mairie, selon Beck, ignorait toutde sa situation.

    Des connexions avec la galaxie identitaire nen sont pas moins tablies. Avec la bndiction dela municipalit, le Palais des princes dOrange accueille, chaque automne, la convention du Bloc.Les Bompard, adeptes de la maxime du cardinal de Retz selon laquelle on ne sort de lambigutqu ses dpens, nont pas point le bout de leur nez en 2012. Ils y ont, en revanche, dpch leurmessager Xavier Fruleux, directeur de cabinet de Bollne.

    La Ligue du Nord italienne y tait, a contrario, reprsente en tant que telle. Un parti dont,malgr les dngations de Jacques et Marie-Claude Bompard, sinspire lvidence la Ligue duSud. Sinon, pourquoi avoir pris une dnomination aussi proche ? Lors de la convention du Bloc, Orange en 2012, lorateur de la Ligue du Nord, Mario Borghezio, a t ovationn lorsquil a lancun vibrant : Vive les Blancs de lEurope, vive notre identit, notre ethnie, notre race !

    Les Bompard se gardent de ces outrances. Leurs hommes de lombre en disent cependant longsur leurs accointances. Ils appartiennent lextrme droite pure et dure. linstar de XavierFruleux, la plupart de ces personnages ne sont pas de la rgion. Sur leurs plaquettes lectorales,Jacques et Marie-Claude Bompard assurent, pourtant, dfendre les gens dici Avec desgens dailleurs9 , ironise Anthony Zilio, premier secrtaire de la section PS de Bollne.

    Frontisme municipalLes lecteurs ne voient, eux, que le label Bompard . Le maire dOrange qui, en 1975, a port

    sur les fonts baptismaux la fdration Front national du Vaucluse, fait partie du paysage. Seschangements dtiquette nont en rien entam sa popularit ; bien au contraire.

    Les Bompard ont russi l o les autres couples municipaux du FN dans ces milieux, lapolitique se conoit souvent deux ont mordu la poussire. Le maire de Toulon, Jean-Marie LeChevallier, ainsi que son adjointe et conjointe, Cendrine, sont rests en rade, lors des municipalesde 2001. Leur liste a rcolt un fantomatique 8 % lissue de leur premier et unique mandat. Plusgrave, les poux ont cop dune condamnation pour dtournement de fonds publics. CendrineChreil de La Rivire tel est le nom de jeune de fille de madame sest prsente Paris, lorsdes lgislatives de 2012 comme doublure de lex-narque du Front, Yvan Blot. Bilan : 0,2 %.

    Vitrolles, les Mgret ont carrment disparu des joutes lectorales. Catherine, maire poticheentre 1997 et 2002, et son omniprsent mari, Bruno, numro 2 du Front puis prsident duMouvement national rpublicain, ont d encaisser un rapport sal de la chambre rgionale descomptes de Provence-Alpes-Cte-dAzur. La juridiction financire leur reprochait desrecrutements la tte du client et une chienlit tous les tages.

  • Les conjoints ont galement t sanctionns pour dtournements et complicit dedtournements de fonds publics. Ils avaient confondu les caisses de la commune avec celles deleur parti : les courriers destins obtenir des maires un paraphe pour que Bruno Mgret postule la prsidentielle avaient, lorigine, t financs sur fonds municipaux.

    Surtout, le rgne de Nabolon (tel tait le sobriquet de lambitieux petit polytechnicien duFront) Vitrolles a marqu lchec dune stratgie daffrontement avec ltat.

    Une voie dont les Bompard se sont loigns. Nulle trace visible, Orange ou Bollne, deprfrence nationale, prohibe par les textes. Rien, lhorizon, de ce qui pourrait ressembler une prime la naissance ouverte aux seuls parents franais. On est des opposants politiques eton est dans le cadre de la loi , rsume Andr-Yves Beck.

    Ides enracinesJacques Bompard nest pas un homme de coups, comme pouvait ltre Bruno Mgret. Il a

    prfr jeter les bases dun frontisme municipal durable. Si tous les responsables FN avaientfait la moiti du travail de Bompard depuis dix ans, ce parti aurait sans doute pris des dizaines demairies , garantit Andr-Yves Beck, dans un livre ddi aux nouveaux nationalistes 10.

    Hlas, trop nombreux sont les cadres du FN qui croient que les batailles commencent troismois avant llection. Trop galement ont du ddain pour le travail de terrain. Cest vrai quephilosopher sur la France telle quelle devrait tre dans une revue du parti est plus agrable quede prendre la parole dans une assemble de riverains hostiles lagrandissement delautoroute

    Ce frontisme municipal a toujours agac au plus haut point Jean-Marie Le Pen, centralisateurde temprament et de doctrine. Dans La Face cache de Marine Le Pen11, Romain Rosso relvecette pique du menhir contre le maire dOrange : Parce quil soccupe du ramassage despoubelles, il pense quil pourrait devenir prsident du FN.

    La guguerre Bompard-Le Pen a pris, dans la cit des princes, une tournure savoureuse. Alorsquil tait, en 2005, encore inscrit au Front national, le premier magistrat a verbalis la fdrationlocale, acquise la direction nationale, en raison de plusieurs affichages sauvages .

    Contrairement aux nombreux adeptes, au FN, du tourisme lectoral, les poux Bompardcreusent le mme sillon. lorigine, cest madame qui devait postuler Orange en 1995. LePen me rptait que je ne serai jamais dsign maire ici, se souvient Jacques Bompard. Il voulaitque je me prsente Avignon. Quand jai gagn avec 87 voix davance, il ma dit : Tu vois, jaieu raison de te pousser aller Orange

    Officiers particuleLa cit des princes, qui, depuis la Libration, changeait de maire chaque scrutin, aurait-elle,

    pour la premire fois en 1995, jet son dvolu sur une femme ? Le mari de Marie-ClaudeBompard en doute.

    Orange, sige de la base arienne BA 115, du 1 er REC de la Lgion trangre et de lescadron16-6 de gendarmerie mobile, carbure la testostrone. Dans la localit, dpourvue dindustrie en

  • dehors dune usine Saint-Gobain, larme figure en tte des employeurs. Elle fournit, au total,trois mille emplois directs, selon des chiffres issus dun documentaire consacr aux Bompard12.Le dpart, courant 2014, du 1er REC pour la base de Carpiagne (Bouches-du-Rhne) fragilisera letissu conomique. Il ne remettra cependant pas en cause les quilibres lectoraux.

    Ici, contrairement Cavaillon ou Carpentras, cest moins les rapatris qui font llection, queles militaires la retraite conquis par le soleil orangeois. Dans le couple Bompard, cest donc belet bien Jacques, soixante-dix ans et fils dofficier, qui fait corps avec la sociologie dominante.

    Il rentre comme dans du gruyre dans cette cit de discipline et dhonneur, constate JeanGatel. Il a table ouverte dans toutes les units militaires. Les Bompard retrouvent les officiers particule le dimanche matin, au Barroux.

    Les galonns savent-ils que leur cher maire est divorc et, surtout, quil na pas fait sonservice ? Un article de La Provence de 2006 reprenait les explications, dix ans plus tt, du mairedOrange : Au moment dtre appel pour mon service militaire, jai appris quil y avait desordres trs prcis pour que les personnes ayant des opinions pro-Algrie franaise ne puissentservir dans les units dlite de larme. Or, ctait mon cas. Cest pourquoi jai prfr, cemoment-l, profiter de la possibilit qui tait la mienne de ne pas faire de service du fait de masant13.

    Oprettes gogoAux dernires nouvelles, Jacques Bompard a retrouv toutes ses capacits. Au th dansant, le

    septuagnaire fait guincher les mamies. Bollne, comme Orange, les anciens sont combls.Linfantilisation affleure quand, en change de 8 euros, on offre lanimation, une boisson et unefriandise . Au programme, t comme hiver : des concours de belote et des oprettes.

    Une faon de se constituer une clientle ? Quelle vilenie, rplique Jacques Bompard.Amusez-vous plutt regarder qui sont les bnficiaires des subventions aux associations duconseil gnral, quelles personnes elles permettent de recruter Voyez le rapport qualit-prixdes embauchs dans les grandes mairies Et l vous verrez ce quest le clientlisme.

    Le matre dOrange prfre user dune mthode plus subtile et moins coteuse. Il accorde dessubventions exceptionnelles au compte-gouttes, de 100 euros par-ci, 400 euros par-l Rsultat :les associations se retrouvent sur le qui-vive et lui mangent dans la main.

    Bollne, terre de missionImpossible, pour Marie-Claude Bompard den faire autant. Les associations, Bollne, font de

    la rsistance. La ville, la sociologie ouvrire trs diffrente dOrange, sest longtemps entichedun communiste stalinien.

    Frappe par le chmage de masse, Bollne survit grce la rente nuclaire. La centrale duTricastin est deux pas et, selon Anne-Marie Hautant, conseillre rgionale, affilie Europecologie-les Verts, Areva arrose les associations . De toute faon, jauge lingnieursocialiste Anthony Zilio, Marie-Claude Bompard nassiste pas aux assembles gnrales. Le soir,elle est chez elle, Orange.

  • A contrario, son mari quadrille le terrain. La vie sociale, dans la cit des princes, esttroitement encadre. Les bancs ont presque disparu de lhyper-centre. Pour sasseoir, les plus desoixante-cinq ans se voient accorder des chaises pliantes la mairie. Les plus jeunes sont, de fait,invits rester chez eux.

    Les gens ne peuvent pas se fondre les uns dans les autres, regrette Anne-Marie Hautant.Jacques Bompard micronise la socit. Le communautariste le plus vident, cest lui.

    Gure encline dvelopper les services publics, la municipalit dlgue le gros de ses activits des oprateurs privs : transports urbains, eau, assainissement, exploitation du thtreantique Elle passe des marchs publics pour la restauration scolaire, le traitement des dchets,laire des gens du voyage ou lexploitation du centre de surveillance urbain.

    Des stigmates du no-libralisme reaganien, en vogue au FN, dans les annes 1980 ? JacquesBompard se dfend de tout parti-pris idologique. Il voque, lappui, le cas du nettoyage deslocaux communaux confi une entreprise : Ce nest pas propre ici. Ailleurs, ce secteur faitexception la culture dachat de llectorat. Cest tellement gabegique quon ne peut que leprivatiser. Songez que, dans ce domaine, en 2000, nous avions eu mille journes de congsmaladie.

    Anne-Marie Hautant confirme, sa faon, le pragmatisme du maire : Il na pas envie desemmerder. Et Jean Gatel de tomber dans le spleen : Orange, chatoyante il y a unecinquantaine dannes, sendort lombre des platanes. Elle sous-exploite ses deux monumentsphnomnaux, lArc de triomphe et le Thtre antique.

    Travail, famille, mairieJacques Bompard a les yeux rivs sur les comptes. Pour une mairie, plutt quun Pic de la

    Mirandole de la bourse et des banques, mieux vaut un pre Grandet, un de ces bourgeois duXIXe sicle qui connaissait la valeur dun sou , jauge-t-il dans son rcit-plaidoyer de 199614.

    Les finances sont saines. La commune garde dans sa manche un bas de laine de 10 millionsdeuros. Est-ce sa mission de thsauriser, plutt que dinvestir ou de baisser les impts ? Pas sr.Pour le premier dile, lessentiel est ailleurs.

    Cette cagnotte sduit une population attache une gestion en bon (p)pre de famille. Lesgens se disent : on a un matelas, on peut voir venir pendant des lustres , se dsespre Anne-Marie Hautant. Un bon maire, on le garde , rptent les anciens.

    La recette de Jacques Bompard est simple comme bonjour : du goudron pour les grandesartres, des pavs rutilants en centre-ville et un rond-point orn dun beau jet deau pourcouronner le tout. Une ville jolie et un maire sympa suffisent au bonheur des lecteurs.

    Je donne aux gens ce quils veulent , rpte Jacques Bompard, grand prince. Lt, lesartistes dantan font un crochet par le haut Vaucluse. Au menu : Richard Anthony, Jean Roucasou Pierre Douglas. Je le confesse et je le revendique : ma cible, ce nest pas, comme sous lamunicipalit prcdente, les cinq cents enseignants du nord Vaucluse. Ici, on ne cultive pas lepipi-caca qui plat tant aux intellectuels de gauche comme de droite , lche Jacques Bompard.

    Labomination de la dsolation demeure, aux yeux du chef de la Ligue du Sud, lespaceClodius. Devant la grille qui jouxte lquipement culturel, une pancarte indique, martiale : Cebtiment dune laideur indniable a t conu et difi par la prcdente municipalit socialisteen contradiction avec le plan doccupation des sols mais avec le soutien du ministre socialiste de

  • lpoque.

    Village gauloisLa principaut Bompard ressemble une forteresse dresse contre les initiatives socitales

    du gouvernement. Les poux refusent de marier des couples de mme sexe. contre-emploi, ilsinvoquent lobjection de conscience et la Cour europenne des droits de lHomme.

    Face au risque de poursuites, ils finissent par dlguer la clbration de la noce un autremembre de leur conseil municipal. Marie-Claude Bompard trane particulirement des pieds.

    Le problme de cette ternelle opposante, cest quelle est incapable denfiler les habits demaire, en conclut Anthony Zilio. Son management est brutal. Mais lorsquelle est prive de sagarde rapproche, Marie-Claude Bompard est vite perdue. Elle, qui a t candidate un peu partoutailleurs dans le Vaucluse, est devenue maire de Bollne grce au nom de son mari.

    Jacques Bompard balaie dun revers de main ces accusations : Le npotisme, cest quand onplace sur une liste un parent qui a la garantie dtre lu sans possder les qualits ad hoc. Monpouse a t en premire ligne aux municipales et aux cantonales. Elle a men un combatpolitique quelle a gagn. Elle mrite ses mandats.

    Notes de frais fantaisistesFusionnels un jour, fusionnels toujours, Marie-Claude et Jacques Bompard Y compris

    lorsquil sagit de dpenser lenveloppe des frais de reprsentation du maire dOrange, si lon encroit les conclusions de la chambre rgionale des comptes (CRC) de Provence-Alpes-Cte-dAzur dans son rapport doctobre 201115.

    Ce poste reprsente, entre 2001 et 2010, la somme de 158 194 euros. Il ressort des picesjustificatives fournies par Jacques Bompard quune grande partie des dpenses correspondent une consommation personnelle ou familiale et sont donc sans rapport avec la fonction dereprsentation du maire. Elles sont de ce fait trangres lintrt des affaires de la commune. Le prologue dun inventaire la Prvert particulirement gratin.

    Linstruction a relev des factures rcurrentes de restaurant pour deux ou trois convives ledimanche, des factures dhtel au nom de Marie-Claude Bompard (sjour en Autriche une nuit en2003 et cinq jours dans un htel Spa, en Belgique, en 2007), des soins de vinothrapie,hammam et bain thermal concernant monsieur et madame Bompard, des achats de parfums Dior,Chanel, crmes bronzantes et produits de bains, des achats de cigares et de cigarettes ltranger,des chques emploi-service et des factures rgles mensuellement au centre communal dactionsociale pour de laide mnagre (jusqu 37 heures par semaine), des cotisations dassurancepersonnelle.

    Sur la dfensiveLa chambre rgionale ne sarrte pas en si bon chemin. Dautres dpenses relvent aussi

  • trs clairement dun usage caractre familial, soit au profit de membres de la famille, soitpour les besoins quotidiens du foyer : Ainsi, des achats de billets de train, dinstruments demusique, de literie, le rglement dune facture dlectricit pour un enfant, lachat dun tlphoneNokia effectu au nom de jeune fille de lpouse du maire, un grand nombre de facturesmensuelles de boucherie, de boulangerie, dalimentation en fruits et lgumes, des factures desupermarch ou de magasin de bricolage correspondent une consommation familiale.

    Jacques Bompard plaide la mprise. Il na jamais t question de regarder ces dpensescomme constitutives de frais de reprsentation , indique-t-il dans sa rponse la chambrergionale des comptes. Dans ces conditions, est-il mme de justifier dun emploiprcautionneux de lensemble des fameux 158 194 euros ? Mystre.

    Dans son bureau dOrange, son dircom Andr-Yves Beck en face de lui, son fils Guillaumemasqu un peu plus loin par un ordinateur, Jacques Bompard voque une histoire decornecul : Ces factures ont t slectionnes parmi beaucoup dautres. Jaurais finalementmieux fait de ne pas en prsenter du tout. Jaurais pu aussi porter plainte contre cet abus deconfiance de la chambre rgionale des comptes. Cette partie du rapport est lun des facteurs quime font dire que nous ne vivons plus en dmocratie. Tout est partisan, manipul et fauss.

    Marie-Claude Bompard invoque les lgendes qui durent et perdurent : Jacques a rpondupoint par point en conseil municipal. Sa gestion est une rfrence, salue par tous.

    Tte haute et main dans le sac ? Dans quelle autre organisation, voit-on des forfaits de ce genre ? Je pensais, aprs le rapport

    de la chambre rgionale, que le prfet ou le procureur allait ragir. Il ne sest rien pass.Ahurissant , nen revient toujours pas Jean Gatel.

    Dautres lments du rapport de la chambre rgionale des comptes auraient pu engendrerquelque suite. Lexamen des factures dtailles dautoroute pour 2008 a rvl que les cartes 16avaient t utilises plusieurs fois par mois les samedi, dimanche et jours fris pour des trajetsrcurrents vers des villes parfois loignes du territoire de la commune dOrange , observe lajuridiction.

    En jeu : un montant de 3 111 euros, pour un total de 36 792 km parcourus. Les annes 2005,2006 et 2007 rvlent le mme type de drives , signale la chambre.

    On apprend, au dtour de ces lignes, que Marie-Claude Bompard, dpourvue de mandat oufonction officielle Orange, tait, selon une souscription dassurance, la conductrice principaledune Renault Espace municipale. Une Citron C4 communale tait, par ailleurs, assure au nomde Jacques Bompard.

    La municipalit, dans sa rponse, explique que madame conduisait monsieur. Cela vitait,argue-t-elle, de mobiliser un chauffeur. Ttes de pioche, les magistrats financiers persistent etsignent : La chambre peut dduire que lutilisation combine des deux vhicules lusage dumaire et de son pouse est irrgulire.

    Autant dobservations qui cadrent mal avec limage dun couple lengagement monacal. Odiable sont passes les sacro-saintes valeurs morales ? Pour mmoire, les Bompard avaientbaptis leur club de rflexion LEsprit public . Ces preux chevaliers tapissaient les mursdaffiches du FN dun slogan sans quivoque : Tte haute, mains propres .

    Face lmoi dclench par les conclusions de la chambre rgionale des comptes, Marine Le

  • Pen a dailleurs dprogramm une entrevue avec le maire dOrange17.

    Facilits de paiementMoins remarqu lors de sa publication, le rapport se penche aussi sur les conditions exotiques

    dans lesquelles sest droule la cession de deux biens communaux au gendre et la fille deJacques Bompard. Lun des deux actes de vente prvoyait un paiement en trois fois. Le couple afinalement rgl la note quatorze mois aprs la signature. Une commune ne peut se substituer un organisme bancaire , rappelle, solennelle, la CRC.

    Autant darrangements avec lorthodoxie comptable qui font cho aux accusations portes parlex-bras droit de Jacques Bompard, Pierre Roulph. Ce mordant retrait, honorablement connusur la place dOrange , tenait le magasin de vtements de la rue commerante. Ancien adjoint aumaire dans les annes 1970, Roulph connaissait la terre entire. Aussi a-t-il servi de marchepiedaux Bompard pour accder la mairie.

    lpoque o je le rencontre, dans les annes 1980, Bompard na pas un sou, raconte PierreRoulph. Son cabinet de dentiste, les gens y viennent une fois, rarement deux. Cest parfois moiqui, lhiver, lhabille gratis18.

    Les faveurs de GaudinJacques Bompard prend son envol en 1986. Il devient dput, par la grce de Franois

    Mitterrand et de lintroduction de la proportionnelle. Pour le nouveau parlementaire, 1986 estdcidment faste puisquil intgre galement le conseil rgional de Provence-Alpes-Cte-dAzur.

    Au sein de lassemble prside par Jean-Claude Gaudin (UDF), le patron du groupe FNbnficie dune position en or. En mesure de faire ou dfaire les majorits, il monnaie au prixfort son soutien au futur maire de Marseille. Gaudin lui accorde, rappelle Pierre Roulph, unevoiture, une secrtaire et mme un local Orange. Des conditions optimales pour commencer prparer le grand rendez-vous de 1995.

    Lors de la campagne tant attendue, Roulph apparat comme la caution notabiliaire du dentistechauve. La liste Bompard se prsente dailleurs non sous ltiquette FN mais sous la bannire,plus consensuelle, de lintrt communal. Au lendemain de la victoire, le nouveau mairebombarde son bienfaiteur aux manettes de la dlgation clef de lurbanisme et de la voirie.

    Je connaissais tous les employs municipaux , glisse Pierre Roulph. Cela peut se rvlerutile, entendre le rcit que fait de cette mme priode Marie-Claude Bompard : QuandJacques est arriv, il ny avait plus un stylo, plus un trombone au cabinet du maire. Le personnelavait reu ordre de ne pas lui adresser la parole.

    Orange amrePierre Roulph sattache mettre de lhuile dans les rouages. Aprs des annes passes sur une

    mer dhuile, vient le temps des orages avec Jacques Bompard. Ladjoint lurbanisme largue les

  • amarres la veille du renouvellement de 2008. Avec moi, Bompard tait doucereux comme un garon sait ltre quand il veut capter une

    jeune fille. Cest un malicieux. Des choses pas nettes se passaient dans mon dos. Je neconseillerais pas un cur de le confesser. Et dire que cest moi qui lai install sur le fauteuil demaire. Cest lerreur de ma vie. Je men repens chaque jour , confie lancien adjoint lurbanisme. Pour en savoir davantage, il faut pousser la porte dun autre ancien grognard deJacques Bompard, Bernard Jaume.

    Contrairement Roulph, adhrent au Front national sur le tard, cet ex-sergent de larme delair grenouille, depuis longtemps, lextrme droite. Tenancier dun bar Nice, il accueillaitdans son tablissement les runions publiques du leader local, matre Jacques Peyrat19 .

    Issu, lui aussi, dune famille influente Orange, Bernard Jaume guignait, son retour dans leVaucluse, une place de choix sur la fameuse liste de 1995. Il en a t pour ses frais. Cepropritaire de vignes a simplement reu en apanage la buvette du thtre antique. Amer, il sestjur davoir la peau du pre et de la mre Bompard . Il sattelle la tche.

    En ce samedi matin maussade, Jaume, lesprit embrum par une fte du vin de la veille, reoiten robe de chambre rouge, la chaine en or ostensible. Ses motos, son bateau et son 4 4 peuventdormir tranquille dans la grotte faonne par les Romains qui lui sert de garage. Jaume na pas lecur louvrage.

    Il part dun pas lent la recherche de ses documents ddis aux Bompard : Jen ai toute unepice. Une bonne dizaine de minutes plus tard, il revient les bras encombrs de classeurs leffigie de Mickey et Minnie. lintrieur, darides documents de conservation des hypothqueset des extraits du registre du commerce et des socits.

    Affaires immobiliresAutant dlments qui ont mis le clan Bompard en dlicatesse avec la justice. Pour le maire

    dOrange, 2010 a t une annus horribilis. Annick, lune des trois enfants issus de son premiermariage et son mari, Christophe Lain, directeur du service environnement dOrange se sont vus,les premiers, signifier leur mise en examen pour prise illgale dintrt. La justice les souponne,selon La Provence, davoir ralis une jolie plus-value sur les biens quils avaient achets lacommune20.

    Jacques Bompard lui-mme a t mis en examen fin 2010 pour prise illgale dintrt dans uneautre affaire21. Au cur de lenqute, un terrain appartenant une socit commercialeimmobilire acquise par le premier magistrat et son pouse. Plusieurs dcisions durbanisme,parmi lesquelles un permis de construire, ont t prises au profit de ce terrain par la mairie, justeavant que les parts soient cdes de manire rtroactive aux poux Bompard22 , assure lavocatde Bernard Jaume, Didier Adjedj. Par une ordonnance du 8 octobre 2013, Jacques Bompard a trenvoy devant le tribunal correctionnel en compagnie de sa fille et de son gendre.

    Certains olibrius dextrme droite se sont fait une religion. Selon eux, le premier magistrat est,avant tout, mu par largent. Sa cupidit sexpliquerait par son ascendance . Bompard, n enfvrier 1943, porterait un nom demprunt. Son vrai nom serait son troisime prnom, Ephrem. Enclair : Bompard serait juif.

  • Suicide dun syndicalisteCe climat nausabond sert le maire. Droit dans ses bottes, il continue de voir dans ses malheurs

    judiciaires un rglement de comptes favoris par une frange de lUMP. Il na peut-tre pascompltement tort. Ce qui ne signifie pas forcment quil soit blanc-bleu. La procdure avance pas compts. Jusqu preuve du contraire, Bompard est prsum innocent et ses administrs sentiennent l.

    Le dput-maire peut compter sur son noyau dur, les joueurs de boule, ces petits blancs hants par la dgringolade de la Nation. Laccent chantant, il squatte le crneau de ldile toque-manettes, prompt senqurir du sort du petit dernier ou de la sant de la maman.

    Envol, le Bompard vocifrant, durant son premier mandat, contre lordre du templescolaire ou les journaleux de service . Au rayon du pass, ces inquitants emprunts lapsychiatrie, comme au lendemain du suicide, en mai 1996, du reprsentant FO parmi les agentsmunicipaux. Jacques Bompard avait parl d autolyse , propos de Pierre Nouveau qui, dansson local syndical, stait tir une balle de 22 long rifle en plein cur, laissant un message : Francoeur23, Schmitt24 et le maire mont tuer.

    Opposition annihileLa controverse enflant, Bompard avait convoqu la gent journaleuse. Lors de cette confrence

    de presse narre par Michel Soudais en 199625, le maire et ses fidles y taient alls franchement.On avait appris que, sous la coupe du dfunt, les abus et les passe-droits, bref, le favoritismeprosprait au service ducation. Pierre Nouveau, selon Jacques Bompard, disposait de hautesprotections pour stre maintenu en place malgr ces dysfonctionnements normes .Heureusement, le maire tait en train de mettre bon ordre dans tout a.

    Ce rquisitoire post-mortem avait provoqu des haut-le-cur, au mme titre que la censuresous-jacente la mdiathque. La furia anti-Bompard avait, pourtant, dur peine plus quelespace dune saison thtrale. Les camras staient vite teintes, et avec elles, leur mouche ducoche, lineffable ministre de la Culture Philippe Douste-Blazy. La gauche spontaniste, runieau sein de lassociation Alerte Orange, avait maintenu la flamme avant, peu peu, de dserter laplace.

    Rsultat : Bompard qui, lissue dune triangulaire de second tour, avait glan seulement35,9 % des suffrages en 1995, a t rlu haut la main au premier tour en 2001 (60 %) et 2008(61 %).

    Mariani expuls en RussieUne longvit qui, selon Jean Gatel, doit beaucoup au dput entre 1993 et 2010, Thierry

    Mariani (RPR, puis UMP) : Il a jou un rle extrmement trouble. Mariani ne voulait pas dunmaire de droite Orange qui aurait pu menacer son sige. Il sest donc toujours dbrouill pour yplacer, face Bompard, des candidats qui ne faisaient pas le poids. En 2001, il a mme envoy unmilitant douteux qui a fini la prison du Pontet pour proxntisme. En 2008, son candidat, fort

  • sympathique au demeurant, a fait 12 % des voix au premier tour, l o Nicolas Sarkozy, un anavant, avait recueilli trois fois plus de suffrages.

    Un tour de passe-passe qui sest retourn contre Thierry Mariani. Menac de dfaite en 2012,le ministre des Transports a trouv asile dans la lointaine 11 e circonscription des Franais deltranger englobant notamment lAustralie, la Chine et la Russie. Un dpart qui peut notammentsexpliquer par le changement de cap de Jacques Bompard partir de 2005.

    Pour le premier magistrat de la cit des princes, le dpart du FN offre alors une occasion en ordtendre sa toile. Pour ce faire, il soigne ses relations avec les maires UMP voisins quil ajusque-l peu mnags. La mayonnaise prend. La pousse de fivre de llectorat de droite fait lereste.

    Le pige se referme sur Thierry Mariani. Le sarkozyste de choc a beau fonder la droitepopulaire, rien ny fait. Plusieurs de ses soldats passent dans le camp Bompard. la fin des fins,en 2012, le chef de la Ligue du Sud, qui, contrairement Marine Le Pen, appelle voter pourNicolas Sarkozy au second tour de la prsidentielle, peut aux lgislatives prendre commesupplant le maire UMP de Piolenc, Louis Driey.

    La candidate officielle de lUMP, lancienne attache parlementaire de Thierry Mariani,Bndicte Martin, est limine ds le premier tour. Au second, le renard du Vaucluse mange toutcru la gauche (58,8 %, soit plus de 17 points davance). Droites de tout le pays, unissez-vous : telest dsormais son mot dordre.

    Socialistes au dsespoirLe libre penseur Gatel ne croit pas cette transfiguration : Lorsque Jacques Bompard

    disjoncte sur le mariage pour tous26, il arrache son masque. Il redevient le militant dextrmedroite quil a toujours t. Gatel, que son an Bompard avait qualifi en 1996 de vritableandropaus de la politique , a claqu la porte du conseil municipal au printemps dernier, lassdentendre des discours dune insupportable duret .

    Triste pilogue dune carrire politique pour ce prof aux faux airs de Michel Polac, lu dputdans la grande vague rose de 1981 et nomm par erreur au gouvernement. Car en effet, en 1983,Mitterrand ne retrouvait pas le nom de ce jeune parlementaire en el quil entendaitpromouvoir. Son premier ministre Pierre Mauroy a appel Jean Gatel. Le Prsident sest souvenu,trop tard, du patronyme de lhomme auquel il songeait : Jean-Marie Bockel (PS), promu un anplus tard. Jean Gatel a saisi sa chance et sest maintenu au gouvernement jusquen 1986.

    De retour dans le Vaucluse aprs, notamment, un passage la direction du cabinet du prsidentPS du conseil gnral de lHrault, Andr Vzinhet, il a men, partir de 2008, lopposition Bompard. Lex-parlementaire croyait la force du dbat. Gatel a dchant : Depuis quil a tlu dput, Bompard confond le conseil municipal avec la tribune qui ne lui est pas donne lAssemble nationale. Jai pourtant tout fait pour que ce lieu redevienne un espace de dbat,quitte avaler des couleuvres et avoir des aigreurs destomac. Mais, l, tout dialoguerpublicain devient impossible.

    Guillaume dOrange

  • Bompard na pas coup les ponts avec un FN son znith dans le dpartement (27 % pourMarine Le Pen en 2012). Ds le premier tour des lgislatives, il a obtenu le soutien de celui quitait alors lunique conseiller gnral Front national, Patrick Bassot, implant Carpentras.

    Sa voisine et complice lAssemble, Marion Marchal-Le Pen, sest choisie comme doublureun proche parmi les proches, Herv de Lpinau. Cet avocat dfend les intrts de la familleBompard dans les prtoires. Aux municipales, Lpinau se prsente Carpentras, avec labndiction du Front et de la Ligue du Sud.

    Orange, le renard du Vaucluse na gure sinquiter. Du ct de Bollne, Marie-ClaudeBompard peut se faire davantage de bile. Lors des crmonies patriotiques, ses embardes contre-rvolutionnaires ne sont pas du got de tous. La pasionaria de la Ligue du Sud ressemble auJacques Bompard priode Pierre Nouveau. Pour faire son trou, il lui faudra sans doute arrondirles angles. En est-elle capable ?

    Quoi quil en soit, en 2014, le clan Bompard sera en ordre de marche. Un fils, Yann, mneraune liste Lapalud, petit bourg qui jouxte Bollne. Un autre, Guillaume, pourrait lui aussi briguerun premier mandat. En attendant, ce trentenaire lallure bobo fait office dunique collaborateurpour le mini-groupe Ligue du Sud du conseil gnral, form de deux membres dont sa mre.

    Il a pay trs cher notre engagement, sinsurge Marie-Claude Bompard. Trois fois, il a fini lhpital parce que ses petits camarades staient mis plusieurs pour lui casser le nez.Uniquement parce quil tait le fils Bompard. Guillaume, aujourdhui est trs investi, mais ildevra montrer quil est le meilleur militant, comme ses parents avant lui. Il lui faudra, ensomme, verser du sang, de la sueur et des larmes.

    Pour Marie-Claude Bompard, le bonheur nest dcidment pas de ce monde.

  • Notes

    1. Entretien avec lauteur, le 14 juin 2013.2. Jacques Bompard, Un maire au crneau, ditions Nationales, 2006.3. Entretien avec lauteur, le 21 juin 2013.4. Entretien avec lauteur, le 7 juin 2013.5. Entretien avec lauteur, le 8 juin 2013.6. Site dinformation antifasciste , aliment par des militants dextrme gauche.7. Entretien avec lauteur, le 7 juin 2013.8. Lauteur prsum dune agression raciste tait stagiaire la ville de Bollne , La

    Provence, 18 octobre 2012.9. Entretien avec lauteur, le 19 juin 2013.10. Christian Bouchet, Les Nouveaux Nationalistes, ditions Dterna, 200111. Romain Rosso, La Face cache de Marine Le Pen, Flammarion, 2011.12. Mains brunes sur la ville, documentaire de Jean-Baptiste Malet et Bernard Richard, 2012.13. Jacques Bompard, antimilitariste ? , La Provence, 15 avril 2006.14. Jacques Bompard, Un maire au crneau, ditions Nationales, 1996.15. Chambre rgionale des comptes de Provence-Alpes-Cte dAzur, rapport dobservations de

    2011 sur la gestion de la commune dOrange compter des exercices 2001 et suivants. Lesmontants prcis en euros de certaines factures figurent dans le rapport.

    16. Il sagit, ici, des cartes de page dautoroute de la commune, dont lune tait attribue aucabinet du maire.

    17. Marine Le Pen annule son entretien secret avec Jacques Bompard , LExpress, 18 octobre2011.

    18. Entretien avec lauteur, le 11 juin 2013.19. Entretien avec lauteur, le 8 juin 2013.20. Orange : le gendre et la fille de Jacques Bompard dans le collimateur , La Provence,

    16 dcembre 2010.21. Les intresss contestent les faits et sont prsums innocents.22. Entretien avec lauteur, le 2 juillet 2013.23. Nicole Francoeur tait adjointe au maire dOrange charge de lducation en 1996.24. Franois-Nicolas Schmitt tait secrtaire gnral de la mairie dOrange en 1996.25. Michel Soudais, Le Front national en face, Flammarion, 1996.26. Trs hostile au mariage entre personnes de mme sexe, le dput Bompard a prsent

    lAssemble nationale des amendements provocs autorisant notamment le mariage entre unadulte et un enfant dune mme famille.

  • Chapitre 2

    La revanche du clan Joissains

    Devant les portraits des rois de France et des comtes de Provence, elle a ceint lcharpetricolore. Le cheveu est blond, laccent pagnolesque, mais lil bleu perant trahit la vendetta quilhabite. lue maire dAix-en-Provence une semaine plus tt la surprise de tous, sauf delle-mme, Maryse Joissains-Masini se refuse la joie qui lentoure.

    Son discours, en ce dimanche 25 mars 2001, se clt par une phrase prononce dune voixvibrante : Cette victoire, je lai paye au prix du sang. Juste derrire elle, son mari, droitcomme un I , ordonne de faire vrombir La Marseillaise.

    Dix-huit ans plus tt, cest lui, Alain Joissains, qui tait assis sur le fauteuil de maire. Lorsdune sance tout aussi glaante, le 4 fvrier 1983, ses mots taient de la mme eau : martyr , honneur , calomnie Le premier magistrat se mettait en cong du conseil municipal.

    Le maire dAix-en-Provence avait pris acte de la sentence prononce, une semaine auparavant,par le journal tlvis. Scandale Aix-en-Provence : le maire, impliqu dans un trafic defausses factures, avait annonc Bruno Masure. Alain Joissains aurait fait construire la villa de sonbeau-pre aux frais de la municipalit. Comment ? Il aurait accept de doubler le montant dumarch pass avec une entreprise de travaux publics pour la construction dun lyce. En change,cette mme entreprise aurait financ 60 %, soit pour 930 000 francs1, la construction de lamaison.

    Alain Joissains, gueule de jeune premier et voix de stentor, tait rest interdit devant le poste.Tout comme son pouse la langue dordinaire si bien pendue.

    Deux condamnations et un suicideEn 1983, laugure tlvis rduit nant tous leurs plans. laube de la quarantaine, le plus

    jeune maire dune ville de plus de 100 000 habitants a beau nier en bloc, il doit dire adieu unerlection jusque-l probable. Le hussard de la droite provenale qui se voyait devenir ministreentre dans la lessiveuse mdiatique.

    Trois ans plus tard, en 1986, la machine judiciaire se charge de son cas. Lex-maire dAixrcolte, en appel, deux ans de prison avec sursis et 150 000 francs damende pour abus de bienssociaux2. Au prononc du jugement, il svanouit dans la salle daudience. Il est le premier,parmi les grands lus, subir les foudres des tribunaux.

    Au pre de Maryse Joissains, propritaire de la villa situ au pied de la montagne Sainte-Victoire, sont infligs dix-huit mois demprisonnement avec sursis et 250 000 francs damende.

    Une sanction que sa fille prfre lui cacher. Mais le poste de tlvision, ce maudit poste netarde pas vendre la mche : Roger Charton apprend son sort en regardant une mission deMichel Polac. Le vieux militant communiste ne supporte pas laffront. Quatre jours plus tard, ilse tire une balle dans la tte.

    Cest ta mort quils voulaient et cest mon pre quils ont tu , lance Maryse Joissains son

  • mari3.Le calvaire nen finit pas. Juste aprs le suicide, lpouse du dfunt bascule dans la dmence

    snile, rejoignant son mari quatre ans plus tard. La mre dAlain Joissains a, elle, succomb uninfarctus au tout dbut de laffaire.

    Radi du barreau et ruin, lancien premier magistrat nest plus que lombre de lui-mme. Il nepeut attendre le moindre salut de la vie publique. Son ami , son frre , quil a install sur lefauteuil de maire, a depuis longtemps pris le large. Lors de la sance mlodramatique du conseilmunicipal, Jean-Pierre de Peretti della Rocca avait pourtant jur, la main sur le cur : Tant queje serai vivant, je ne laisserai pas commettre lassassinat politique de Joissains Messieurs dupouvoir, tirez sur moi.

    Durant la campagne de mars 1983, Alain Joissains a tir les ficelles, tablissant la liste de sonbras droit, plaant sa femme en bonne position.

    Judas sur le fauteuil de maireLe soir de la victoire de della Rocca, qui doit tant au couple, une fte est clbre. Alain et

    Maryse Joissains sont instamment invits ne pas venir , selon le rcit quils firent dans unlivre crit quatre mains, Sang & Or4. Lpouse reoit les dlgations promises pour mieux seles voir retirer un an plus tard. Dsormais, le maire en place naura plus droit, dans sa bouche,quau doux qualificatif de Judas

    Jean-Pierre de Peretti della Rocca ne va pas tarder virer Nron. En introduction du conseilmunicipal, il fait rsonner le Coupo Santo. Les lus, y compris ceux de lopposition, sont tenusdcouter lhymne provenal debout. Lancien mdecin militaire rcite la prire du para entredeux dlibrations.

    La vierge lui est apparue dans la nuit. Il faut durgence rinstaller sa statue dans la petite nichede la cour de la mairie. Un autre jour, Jean-Pierre de Peretti della Rocca gratifie lassistancedune lecture de son arbre gnalogique. Il en conclut quil descend de lempereur corse dsignpar Charlemagne. Les bancs du public ne dsemplissent pas.

    Devant lusurpateur , Maryse rumine sa vengeance. Judas-Nron ne perd rien pour attendre.Et en effet, le fada est dbarqu en 1989 par Jean-Franois Picheral, mdecin radiologuesocialiste, form lcole Defferre .

    Implosion du coupleLors de ce scrutin, les Joissains se sont fait porter ples. La plaie de laffaire est encore

    trop vive pour escompter une quelconque revanche. La situation des poux, elle-mme, achang

    Et leur fille unique, Sophie, de lever un coin du voile. Laffaire a conduit limplosion ducouple amoureux. Elle na, en revanche, pas rompu laffection profonde et le lien fraternel5. Lespoux ont fait le choix de ne pas divorcer. Alain qui, par ailleurs, a eu deux enfants, habite untage en-dessous de Maryse.

    Le tandem politique demeure intact. Tous deux partagent un temprament de feu, ml un

  • esprit de clan. Les Joissains sont, selon un article froce de Pierre-Louis Rozyns dans Le Nouvelconomiste, les Borgia de la politique mditerranenne6 . leur menu : ambition ettransgression. Enfants de la plbe, ils sassoient sur les usages et les convenances.

    Alain Joissains se plat raconter quil a vu le jour Toulouse au dernier tage dun immeubleoccup dans sa partie infrieure par une maison de tolrance. Maryse Joissains rappelle, lenvi,quelle a prononc ses premiers mots dans les faubourgs de Toulon.

    Tous deux, ds leur plus jeune ge, voluent aux marges de la vie publique. Leurs pres jouentles gardes du corps pour, respectivement, le socialiste Vincent Auriol et le communiste MauriceThorez. Le futur maire dAix, habit par les rcits de rsistance de son gniteur, sengage quinze ans comme mousse dans larme et se porte volontaire, dix-sept, pour aller combattre enAlgrie. Tlgraphiste ou docker, il exerce plthore de mtiers.

    Maryse Charton doit galement stopper ses tudes trs tt. leve dans le culte de Staline, dontelle a pleur la mort, la future cadre de lUMP fait guichetire la Scu. Le soir, ladhrente dela CGT bche. Elle prpare sa capacit en droit. Sur les bancs de la fac de Toulon, la ptulanteMaryse croise le bel Alain.

    Duo politiqueLes amoureux prennent leurs quartiers dtudiants Aix, o ils prparent leur diplme

    davocats. Le couple vit intensment mai 1968. Un moment inou, quasi dlirant, traverssans arrt par les dcharges lectriques des rumeurs les plus contradictoires qui faisaient vibrerpassionnment la communaut tudiante et affolaient les bourgeois , senflamment-ils, prs detrente ans plus tard dans leur saisissant Sang & Or.

    Le gourou de leurs jeunes annes sappelle Jean-Jacques Servan-Schreiber. Le couple voit danslauteur du Dfi amricain le seul homme capable de librer la socit franaise. Alain et MaryseJoissains frquentent assidment, Paris, les couloirs du parti radical7. Ils y trouvent unprotecteur en la personne dEdgar Faure.

    Aix, le mari, proche de la franc-maonnerie, se cre des rseaux. Dans le mme temps,lancien militaire en Algrie nhsite pas sinviter aux runions publiques de ses adversaires.Lors de ses campagnes, des voitures charrient des baudruches son nom. Sa jeune et jolie femmese tient ses cts. linstar dun prsident amricain, ladepte de JJSS nenvisage la politiquequen couple.

    Cest en 1978 que les Joissains font main basse sur la cit du Roy Ren loccasion dunepartielle. Le lendemain, la bourgeoisie locale se rveille les yeux carquills : elle vient de placerun corps tranger sa tte. Pour les mandarins de luniversit multisculaire et les magistrats dela deuxime cour dappel de France, les Joissains appartiennent la caste des parvenus. Lenouveau maire ne fait rien pour leur complaire.

    Dans cette ville dhistoire et de culture, thtre, lt, dun festival dart lyrique qui attire lacrme de lintelligentsia parisienne, il concentre tous ses efforts sur la propret et la voirie,prnant un traitement pripatticien de laction publique. lombre des vieilles pierres, onergote sur la trivialit de son pouse qui ne jurerait pas chez le voisin marseillais. MaryseJoissains, vice-prsidente du bureau daide sociale, y gagne le sobriquet la poissonnire .Bientt, ce sera la ptroleuse . Dans les htels particuliers grand-sicle, la descente aux enfersdu couple narrache que des larmes de crocodile.

  • Opration rhabilitation la fin des annes 1990, les Joissains sont sortis du jeu. Lancien maire sest bien prsent en

    1995, obtenant un score honnte, mais au-del de son quarteron de fidles, personne ne limaginesrieusement revenir aux affaires. Maryse Joissains semble, quant elle, avoir fait une croix surla politique, prfrant courir les tribunaux pour dfendre les victimes, qui du sang contamin, quide lamiante. Elle plaidait souvent gratuitement, salue le tnor socialiste du barreau marseillais,Michel Pezet. Maryse a bon cur8.

    Maryse a peut-tre bon cur, mais elle garde la rancune tenace. Elle ne peut admettre lechtiment administr son mari. Alain est innocent est la pierre angulaire de sa dialectique.La rhabilitation que les plus hautes juridictions lui refusent, la femme de lancien maire dcidedaller la chercher dans les urnes.

    trangement, elle accole alors le nom de jeune fille de sa mre au sien pour se faire appelerJoissains-Masini. Une sorte de nom demprunt, de nom dartiste9 , ironise le blogueur Lucien-Alexandre Castronovo, ancien adjoint du maire Jean-Franois Picheral. Une manire doblitrerle suicide du pre, la condamnation du mari et de se rallier le vote corse , renchrit, vachard, unautre observateur engag.

    La population, qui a doubl en lespace de quarante ans, na cure de cela. Pour les mdiasnationaux, Le Point en tte10, la conclusion du scrutin de 2001 ne fait pas un pli : Jean-FranoisPicheral, le socialiste qui a mis fin aux errances de Judas-Nron, va tre rlu dans un fauteuil. Piche a fait ses preuves. Une autoroute souvre devant le maire-btisseur. Ctait oublier,fait remarquer Pezet, que Maryse tait, au-del de sa dimension politique, porteuse dunevengeance.

    Durant cette campagne, le pathos de la femme blesse prend toute son ampleur. Elle possdeune capacit dabsorption des gens sans quivalent, salue un opposant notoire. Elle seule estcapable de les faire pleurer sur leur chien. Sous Joissains-Masini, perce Maryse, la mreaimante et dvorante. Dsormais, la candidate sur les affiches ne sera plus quun prnom. Sagouaille ne laisse pas indiffrent. Son amour infini des btes non plus.

    Le retour des BorgiaEn campagne, elle fait au plus simple, promettant notamment le rachat bas prix des

    logements HLM par leurs locataires. Avec son mari, limptrante cume les cages descalier descits populaires, dsertes par une gauche en voie de bobosation.

    Au soir du premier tour, le verdict tombe : llectron libre arrive en tte des listes de droite.Contre toute attente, les Joissains ralisent lunion entre les deux tours. La gauche sincline sur lefil du rasoir. Elle na pas vu venir louragan Joissains, ce concentr de populisme et de clanisme, mi-chemin entre Eva Pern et les Borgia.

    Aprs dix-huit ans de drames et de disgrces, le duo retrouve les ors de lhtel de ville. Promudirecteur de cabinet, le mari occupe le bureau juste ct de celui de son pouse, garde par lapetite chienne Cendrillon.

    Une poigne de mois plus tard, la fille chrie du couple est parachute la communautdagglomration du Pays dAix prside par sa mre. Contrairement son pre, Sophie Joissainsne possde pas la moindre exprience de la gestion locale. La diplme en criminologie uvrait

  • auparavant comme assistante de direction auprs dAnatole Dauman, le producteur de LEmpiredes sens et dHiroshima, mon amour.

    Au Pays dAix, la trentenaire blonde aux airs de beaut de lEst prend, in fine, le poste dedircab. Ces liens familiaux sont frquents dans les cabinets sur lesquels les lus ont besoin desappuyer en toute confiance , se dfend aujourdhui Sophie Joissains, le port de tte altier et lapommette haute. Et la gauche de crier au npotisme.

    Snatrice trente-huit ansLa madone dAix na que faire de ces beaux esprits . Les yeux fards de noirs, le crucifix en

    diamant pos sur le dcollet gnreux, madame le Maire impose son style, digne dune gravurelibertine. Sa religion nest pas celle des archiprtres. En dehors de la basilique phocenne deNotre-Dame-de-la-Garde, les jours dlection, elle frquente peu les glises.

    Mais au milieu des annes 2000, Maryse Joissains prie beaucoup. La tragdie de nouveau rde.Sophie Joissains est atteinte dun cancer. Prisonnier de son malheur, le clan se replie sur lui-mme.

    La reine-maire dAix, qui discerne dans certains adjoints un peu trop indpendants des tratresen puissance, change ses desseins. Il nest plus alors question, pour elle, de transmettre sonmandat de dput en 2007 Bruno Genzana et son fauteuil de prsidente du Pays dAix en 2008 Stphane Salord. Tous ses mandats, elle conservera.

    Exit aussi lide dun transfert la Haute Assemble. Elle restera au Palais-Bourbon et cestSophie qui portera les couleurs du clan au scrutin pour la Chambre haute. Quand on veut fairelire snatrice sa propre fille parlementaire, cela signifie quon a confiance en personne11 , secabre Stphane Salord, entr en dissidence avant les municipales de 2008. Au moment o ellema parl de a, je sortais peine la tte de leau, rtorque Sophie Joissains. Ctait pour mamre un moyen de memmener dans une vie future. Lex dircab a beau se faire lire au conseilmunicipal en mars 2008, sa candidature la Haute Assemble nemporte pas ladhsion dusnateur-maire UMP de Marseille.

    Jean-Claude Gaudin ne voulait pas de Sophie qui, pour lui, ntait que la fille de sa mre, seremmore lancien premier adjoint UMP de la cit phocenne, Renaud Muselier. Mais quandMaryse lui a dit que jtais prt la prendre comme numro deux sur la liste que jenvisageais demonter, il a chang davis12. En septembre 2008, Sophie Joissains, trente-huit ans, dont six moisde mandat local, franchit les portes du palais du Luxembourg.

    Un bonus pour le mari ?Pendant que la fille entre dans le saint des saints, le contrat de travail du pre dfraie la

    chronique. lorigine de cette nouvelle affaire, un conseiller municipal dopposition pluspugnace que les autres. Son nom : Lucien-Alexandre Castronovo.

    Au milieu du premier mandat, cet ancien adjoint de Piche rclame la copie du documentliant Alain Joissains la mairie.

    Aprs avoir saisi la Commission daccs aux documents administratifs, il dcouvre le pot

  • aux roses . Le salaire dAlain Joissains se situe au-dessus du seuil maximal possible pour uncollaborateur de cabinet : 90 % de lindice brut terminal de rmunration du fonctionnaireterritorial titulaire du grade le plus lev au sein de la collectivit. Pour lui, aucun doute, lancienpremier magistrat est en dehors des clous.

    Au lieu, calcule-t-il aujourdhui, de toucher 475 778 euros sur sept ans, Alain Joissains auraitd en recevoir selon lui, au maximum, 307 972. Il lui aurait donc t vers 167 806 euros de trop-peru, soit 35 % de bonus. Le contrat a t fait selon le mme modle que celui de lanciendirecteur de cabinet de lancien maire, qui, contrairement mon pre, disposait en plus dunlogement de fonction juge Sophie Joissains.

    Sur le document, javais la signature de la femme et du mari. Deux maires dun coup ! Jaidcid de me rgaler et de les lier la vie la mort devant les tribunaux , raille Lucien-Alexandre Castronovo, devenu un blogueur couru.

    Des avocats fchs avec le droitAlain Joissains prend sa retraite en 2008. Il devient conseiller politique titre bnvole. Les

    soirs de conseil municipal, lancien maire prend toujours place juste derrire son pouse.Pendant ce temps-l, la procdure lie ses moluments stire linfini. Par un arrt du

    17 octobre 2013 la cour administrative dappel de Marseille annule le contrat dAlain Joissains.Mais la ville se pourvoit en cassation devant le Conseil dtat.

    Sans prjuger du dnouement particulier de ce feuilleton, une premire conclusion simpose :les poux, tous deux avocats de profession, sont souvent fchs avec le droit. Leurs arguments servlent parfois fort peu juridiques, comme dans le mmoire de Maryse Joissains, en rponse lacour administrative dappel, publi en juin 2013 sur son site Internet : Laction de monsieurCastronovo est dicte par la rancur et le dsir dexister politiquement , peut-on y lire.Lopposant a saisi abusivement les instances judiciaires, esprant gagner un procs inique lafaveur de deux circonstances , parmi lesquelles la maladie de Sophie Joissains qui sestdclare en juillet 2005, accablant la famille .

    Des propos calomnieux, typiques de la perptuelle stratgie de victimisation des Joissains ,fulmine Castronovo.

    lections : des annulations foisonDans le mme temps, Joissains-Masini a vu ses comptes des lgislatives de 2012 rejets au

    motif quelle a utilis une partie de son indemnit reprsentative de frais de mandatparlementaire pour financer sa campagne13. Son mandataire financier ntait autre que sonmari Bilan : elle na pas t rembourse de ses frais de campagne et surtout elle a frllinligibilit.

    Le nouvel pisode dun long feuilleton dinfortunes juridiques. En 2009, le Conseil dtat14 aannul llection municipale de 2008, au motif quun entretien au vitriol de la maire en place etun tract litigieux devaient tre regards eu gard au retentissement densemble quils ont eu,comme ayant t de nature fausser les rsultats du scrutin .

  • En cause, ces propos tout en dlicatesse dans Le Nouvel Observateur du 28 fvrier 2008 : Onma dit Maryse, il faut que tu tiennes tes adjoints. Pensez donc Il y a ce monsieur qui estrond en permanence ; vous navez qu demander aux chauffeurs de taxi de la ville dans quel tatils le ramnent chez lui quand il se pinte. Il y a celui qui fait le chippendale pour hommes dansune bote, deux pas dici. Il y a lautre qui travaille au Maroc, en tout cas, cest ce quil dit.Mais pour moi, si ce nest pas un emploi fictif Des propos que Maryse Joissains dmentavoir tenus.

    Le tract, lui, mdisait sur les murs prtendument dissolues dune tte de liste, jadis membrede la majorit. Une littrature aussitt attribue par lopposition Alain Joissains, dcrit enmaire-bis et en me damne de son pouse15.

    Et les Aixois de repasser aux urnes en plein mois de juillet 2009. Un grand classique dans cetteville de robe, o droite et gauche se retrouvent gnralement dans un mouchoir de poche au soirdes lections. la fin des annes 1970, les lecteurs ont d revoter, non une fois, mais deux. Narchivez jamais le contentieux lectoral dAix , disait dj, au milieu des annes 1960, lepatron du cabinet davocats dans lequel Michel Pezet faisait ses classes.

    Un coup de pouce inattenduSous ses dehors aristocratiques, la capitale de la Provence est un nid embrouilles et coups

    fourrs. Si Marseille ressemble Naples, Aix est trs proche de Florence , note SophieJoissains. Derrire les effets de manche, prosprent les coups de billard trois bandes.

    En 2001, les Joissains ont vu leur lection scurise par le lieutenant de Jean-FranoisPicheral : Alexandre Medvedowsky. Lhistoire commence au lendemain du scrutin. Lancienadjoint et conseiller dtat socialiste stait charg de former un recours en annulation du scrutin.Il stait offert les services de Matre Pezet.

    Pas de coup de fil, aucun contact : lavocat marseillais commenait sinquiter. Jai apprispar un fax du tribunal administratif que Medvedowsky avait retir le recours, narre-t-il. Je peuxvous dire que je lai eu un peu mauvaise

    Dans le mme temps, la compagne dAlexandre Medvedowsky, congdie de son poste dedirectrice de Pays dAix Dveloppement, signait un gnreux protocole transactionnel. Lemontant des indemnits slevait 1 million de francs (150 000 euros)16. Une transactiondirectement ngocie sous lgide du vice-prsident du Pays dAix, Stphane Salord, alorsconsidr par Maryse Joissains comme son dauphin.

    Et Michel Pezet de descendre en flammes son camarade Medvedowsky : Rien ne devaitentraver la progression de carrire de cette brillante intelligence. Medv considrait le fauteuilde maire comme un d. Son pre, grand mandarin des hpitaux, lavait programm en cesens, la manire dun Joseph Kennedy aux tats-Unis , voque un observateur engag.

    Lancien collaborateur de Laurent Fabius grimpait une premire marche en 2007-2008,dcrochant linvestiture socialiste. Face aux attaques de la liste dissidente Pezet-Picheral, il sejustifiait de son attitude de 2001. Sil avait retir son recours, ctait parce quil ne voulait pas supporter solitairement le poids dun chec . Quant au montant de lindemnit de sacompagne, devenue depuis son pouse, il tait le prix dun licenciement pour des raisonspolitiques .

    L e golden boy du PS aixois, prsident dESL & Network France, cabinet dintelligence

  • conomique et de lobbying install sur les hauts des Champs-lyses, a, depuis, perdu de sasuperbe. Ses deux courtes dfaites, aux municipales de 2008 et de 2009 ont fait de lui le Poulidorde la gauche. la veille du rendez-vous de 2014, le conseiller gnral et prsident du technoplede lenvironnement Arbois-Mditerrane apparat plom