Les Anthèmes de Pierre Boulez - Szuhwa...

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Les Anthèmes de Pierre Boulez Mémoire de Szuhwa Wu

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Introduction

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Pierre Boulez est un personnage incontournable de la vie musicale du XXe et

XXIe siècles dans divers domaines : direction, composition, promotion de la musique

contemporaine, pédagogie. J’ai eu l’occasion de le connaître en tant que chef

d’orchestre et pédagogue pendant trois sessions de Lucerne Festival Academy

Orchestra (2005-2007). En effet, l’idée de ce mémoire provient d’une conversation

que j’ai eue avec lui à bord d’un bateau sur le lac de Lucerne, lors d’une sortie de

l’orchestre. Je lui ai posé trois questions, dont la deuxième concerne la problématique

de la transmission de la musique contemporaine :

« Pour construire un futur public d’auditeurs et musiciens à la musique contemporaine, il est important de les sensibiliser à ce type de musique dès le plus jeune âge, avant que leur écoute, leur corps et leur pensée ne se soient figés. Cependant, la plupart des œuvres contemporaines sont composées pour des musiciens virtuoses. L’accès à cette musique demande alors de nombreuses années d’entrainement. C’est un grand problème pour les professeurs ! »

« Cela peut être au contraire une solution ! » m’a-t-il répondu. « Je ne suis pas activement impliqué dans ce domaine parce que je suis occupé à d’autres tâches. Mais je crois que cela peut être une très bonne solution. »1

Boulez m’a ensuite cité des exemples de possibilités d’adapter la démarche

pédagogique à l’âge des élèves ainsi que les noms d’éditeurs qui publient des recueils

d’œuvres contemporaines destinées à la pédagogie. Cet échange avec Boulez a été un

déclic qui m’a encouragée à développer des idées pédagogiques innovantes pour

enseigner musique contemporaine.

Néanmoins, tenter un mémoire de pédagogie sur ses œuvres pour violon -

Anthème 1 et Anthèmes 2 peut paraître ambitieux, pas seulement en raison de la

grande virtuosité de ces œuvres, mais aussi de l’esthétique de son langage musical qui

demeure très souvent inconnue des jeunes élèves des conservatoires. De plus, même

les remarques de Boulez sur la pédagogie n’ont rien d’enthousiasmant, elles donnent

plutôt une idée rébarbative et peu engageante de l’enseignement musical.

Boulez n’a en effet jamais manifesté de passion pour la pédagogie : face à

l’enseignement, sa position semble être celle d’un sceptique. Sa contestation s’est

portée immédiatement sur l’enseignement qu’il a reçu : les cours de contrepoint au 1 Traduction d’un échange qui a eu lieu en langue anglaise.

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Conservatoire sont qualifiés d’une « stérilité totale »2 ; les séances d’analyse avec

René Leibowitz n’ont « aucune inventivité, aucune créativité »3. Même la découverte

de l’école de Vienne n’est ressentie que comme un point de départ. Sa contestation se

prolonge dans l’enseignement que Boulez dispense, à son tour, à la Musik-Akademie

de Bâle (1960-1963) et à l’université Harvard (1963). De ces expériences de

pédagogue, Boulez a du mal à parler sans être négatif. « Je ne l’ai pas fait avec grand

enthousiasme. » Il questionne la posture même du pédagogue et s’est trouvé « très

embarrassé ». Face aux élèves, il se demande obsessionnellement : « qu’est-ce que je

vais dire, qu’est-ce que je vais dire qui ne le blesse pas, qui lui montre tout de même

ses faiblesses et qui l’encourage à persévérer ? » C’est un rôle « absolument

impossible » conclut-il.4

Néanmoins, il est nécessaire de considérer ces remarques en prenant en

compte la façon dont il conçoit la pédagogie. Par exemple, dans ses descriptions des

cours de contrepoint, il trouve aberrant de transmettre uniquement des modèles bornés

au XVIIIe siècle sans les justifier par leur contexte spécifique.

Boulez a écrit tout de même trois textes qui prennent la pédagogie comme objet5.

Bien que sa pédagogie se centre essentiellement dans le domaine de la composition,

Boulez le chef d’orchestre s’adresse souvent aux interprètes dans ses écrits comme

nous allons le voir. Sa pensée pédagogique peut être résumée sous trois axes

principaux :

1) L’interprétation analytique : Dans l’article qui aurait été son texte de présentation

aux cours de Bâle, Boulez expose « l’exigence fondamentale qui devrait répondre

de toute activité d’interprète. » Dans « Alternatives », il écrit :

« intellectuellement, il faut concevoir l’œuvre : elle-même, son environnement, ses

résonances harmoniques qui changent d’une époque à l’autre, ses constantes, et

le pourquoi de sa pérennité. » Ainsi, Boulez fait appel à la nécessité d’une

analyse qui ne s’attache pas qu’aux rapports des notes entre elles mais qui cherche

2 Boulez, Pierre, « L’instant et l’étendu », Enseigner la composition : de Schönberg au multimédia, 1998, Paris, L’Harmattan, 138. 3 « L’instant et l’étendu » 140. 4 « L’instant et l’étendu » 141. 5 Boulez, Pierre, « Alternatives », Points de repère, Paris, Seuil/Christian Bourgois, 1981, 111-113. Boulez, Pierre, « Discipline et communication », Points de repère, Paris, Seuil/Christian Bourgois, 1981, 114-125. Boulez, Pierre, « L’instant et l’étendu ».

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avant tout les « raisons » de l’écriture et la filiation historique des idées. Nous

retrouvons cette démarche pédagogique dans sa programmation des concerts du

Domaine musical, par exemple, où Boulez essaie de faire ressortir

méthodiquement les références qui constituent une sorte de fil conducteur,

éclairant singulièrement les œuvres récentes. Il s’agit d’une « dialectique du

présent dans le passé et du passé dans le présent, avec l’implication essentielle du

futur. »6 Dans l’analyse effectuée par l’interprète, ce n’est pas la fausseté ou

l’exactitude de l’analyse qui importe, mais la capacité de déduction et de critique

historique.

2) L’invention personnelle : En mettant en garde ses lecteurs contre la « diérèse »

entre le répertoire classique et le répertoire moderne, il soulève une autre cassure,

« plus dangereuse », entre la création et l’exécution.7 Il propose de réconcilier les

deux pôles d’activité musicale et faire impliquer l’interprète dans une Pensée

créatrice8. Pour Boulez, le germe d’invention doit toujours être présent, même

dans un apprentissage élémentaire. Dans son analyse des cours d’harmonie de

Messiaen et des cours de dessin de Paul Klee, Boulez met en avant comment les

deux pédagogues exigent une idée créatrice par des exercices contraignants. Avec

ce genre de contrainte, l’élève apprend à s’approprier les éléments d’un contexte

connu et extérieur pour construire sa propre interprétation.

3) « L’instant et l’étendu » est le titre de sa conférence sur l’enseignement de

composition. Boulez explique que :

« Je pense qu’en effet la pédagogie, pour moi, a représenté un choc. Et je crois qu’elle doit être un choc. … C’est l’instant de cette rencontre, qu’il soit différé ou immédiat, qui est déterminant et qui peut vraiment définir un certain pan de votre vie, un certain nombre d’idées qui se conserveront toujours. Quant à l’étendue, elle ne devrait être que celle de la seule vraie pédagogie : celle que l’on se fait à soi-même, celle que l’on doit découvrir et forger soi-même. Celle-là est incommunicable. »

Ainsi, en travaillant au développement du jugement par une critique historique, en

stimulant le mécanisme de création par l’analyse, une pédagogie Boulézienne possible

consisterait à couvrir un certain territoire pour en tirer des conséquences d’une

manière personnelle.

6 Point de repère, 111. 7 Idem. 8 Titre de l’ouvrage de Paul Klee réunissant ses cours de Bauhaus.

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Ce que ce mémoire est et ce qu’il n’est pas :

Ce mémoire porte sur deux œuvres pour violon de Pierre Boulez, Anthème 19,

pour violon seul, composé en 1992, et Anthèmes 2, pour violon et dispositif

électronique, composée en 1997.

Il a pour objectif d’apporter un éclairage sur deux œuvres qui s’inscrivent de

manière particulière, d’une part, dans l’histoire de la musique et dans le répertoire de

son compositeur, d’autre part, dans l’histoire des compositions avec dispositif

électronique, et enfin, dans le répertoire global pour violon. Ce mémoire ne peut

certes pas rendre compte de toutes les pistes pédagogiques envisageables. Il vise

néanmoins à les rendre possibles en répondant à quelques objectifs primordiaux. Les

deux œuvres, leur histoire, leur construction, leur interprétation et leur potentiel

pédagogique seront présentés. Nous présenterons une synthèse des conseils des

interprètes et des pédagogues que nous avons pu rencontrés. Des exemples des

séances pédagogiques menées par Jeanne-Marie Conquer dans la classe CHAM du

Lycée Brassens à Paris ainsi qu’un stage d’interprétation autour des Anthèmes animé

par moi-même permettront d’illustrer notre propos sur pédagogie.

9 Le titre officiel de cette œuvre pour violon seul, tel qu’il apparaît sur la partition publiée par Universal Edition, n’est pas Anthèmes 1, mais Anthèmes, puisque, au moment de sa conception, la composition d’Anthèmes 2 n’était pas envisagée. Toute fois, afin que la désignation des œuvres concernées ne souffre pas d’ambigüité, nous dénommons dans l’ensemble de ce mémoire l’œuvre écrite pour violon seul par l’appellation Anthèmes 1.