Leonard Jl TEXTE Colloque ISLRF JLL Mexique Tequio Pedagogico 2-10-2013

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Jean Léo Léonard IUF & UMR 7018, Labex EFL, ANR CGI (axe 7, opératon EM!" #EC$NI%UE 'IMMERI)N EN C)N#E*#E 'E +ILINGUIME IN%UI#A+LE - TEQUIO  PEDAGÓGICO AU ME*I%UE 1. Introd/ton La situation des langues autochtones du Mexique ne cesse de se dégrader sur le plan éducatif, en dépit de la loi de 2003, supposée garantir le droit à l’éducation bilingue. Des dispositions uridiques équitables ont abouti, faute de !olonté politique et de ressources, à une nou!elle for"e de bilinguisme inégalitaire, que l’on peut qualifier de bilinguisme inéquitable, étant donné la défection de l’#tat $e parlerai donc de modèle éducatif défectif %. #n dépit de la lettre de la loi de 2003, les instituteurs indig&nes continuent de ne rece!oir aucune for"ation soutenue sur les "éthodes de didactique applicables à leurs langues "aternelles ou pour enseigner en langues "aternelles aupr&s des él&!es des écoles  pri"aires et secondaires. Les rares tentati!es d’enseigne"ent des langues originaires se li"itent encore auourd’hui, co""e durant la période o' elles étaient considérées co""e des ( dialectes ) et utilisées à des fins d’alphabétisation, au pire "o"ent de la doctrine assi"ilationniste pr*née par l’#tat "exicain, à l’apprentissage de chansons ou à des exercices so""aires à partir de listes de "ots routiniers, sans articulation entre contenus endog&nes et uni!ersels, et dans un esprit de fol+lorisation et de "inorisation, aux antipodes de l’i""ersion et de l’inno!ation pédagogique. ependant, hors du cadre officiel, des organisations de "a-tres des écoles indig&nes, telles que la M/ $oalici1n de Maestros ro"otores /ndgenas de axaca, cf. http455c"pio.blogspot.fr5 % tentent de dé!elopper des for"es d’enseigne"ent par i""ersion, dans les langues autochtones, en !alorisant des sa!oirs locaux tout en les reliant à des contenus plus généraux. /l en !a de "6"e dans le réseau des 7achilleratos /ntegrales o"unitarios $7./..% qui tra!aille le concept e"pirique de communalité, dé!eloppé par 7ena"in Maldonado depuis !ingt ans. Le tequio pedagógico 1 , qui n’est pas le seul fait de la 8  Tequio au Mexique, signifie un tra!ail réalisé gratuite"ent au bénéfice de la co""unauté, en fonction de r&gles de réciprocité en ter"es de ser!ices rendus, entre l’indi!idu et le foer et la société locale 9 qui apporte une co"pensation, sous for"e d’aide aux tra!aux agricoles de la personne ou de la fa"ille pour qui ( c’est le tour de prendre cette responsabilité ). Le tra!ail ad"inistratif des uni!ersitaires enseignants:chercheurs, dans leurs départe"ents et ;<=, rappelle le tequio, d’autant plus que, tout co""e le tequio, ce sst&"e de charges  plus ou "oins béné!oles et peu co"pensées, est tournant. Le tequio pedagógico est aussi le no" d’un sst&"e d’enseigne"ent de la langue et des sa!oir:faire agricoles et sociétaux par i""ersion, en cours d’é"ergence dans un réseau d’écoles des hautes terres "a>at&ques, dans l’#tat de axaca. Les techniques que nous décri!ons ici ne sont pas spécifique"ent celles que ce groupe local a dé!eloppées, "ais plut*t celles que nous leur a!ons proposé dans le cadre d’un tequio, entre linguistes et co""unautés rurales. Le présent article é!oque l’é"ergence de ces techniques d’i""ersion et d’élaboration du corpus de la langue, aussi bien que des situations $au sens de ?u Debord% d’application de cette "éthode, a!ec un souci de recul critique et de distanciation. @ous re"ercions l’/;< $/nstitut ;ni!ersitaire de <rance% pour le finance"ent des no"breuses "issions réalisées à cette fin depuis

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Colloque ISLRF_2013

Jean Lo Lonard

IUF & UMR 7018,

Labex EFL, ANR CGI (axe 7, opration EM2)

Techniques dimmersion en contexte de bilinguisme inquitable:

tequio pedaggico au Mexique

1. Introduction

La situation des langues autochtones du Mexique ne cesse de se dgrader sur le plan ducatif, en dpit de la loi de 2003, suppose garantir le droit lducation bilingue. Des dispositions juridiques quitables ont abouti, faute de volont politique et de ressources, une nouvelle forme de bilinguisme ingalitaire, que lon peut qualifier de bilinguisme inquitable, tant donn la dfection de lEtat (je parlerai donc de modle ducatif dfectif).

En dpit de la lettre de la loi de 2003, les instituteurs indignes continuent de ne recevoir aucune formation soutenue sur les mthodes de didactique applicables leurs langues maternelles ou pour enseigner en langues maternelles auprs des lves des coles primaires et secondaires. Les rares tentatives denseignement des langues originaires se limitent encore aujourdhui, comme durant la priode o elles taient considres comme des dialectes et utilises des fins dalphabtisation, au pire moment de la doctrine assimilationniste prne par lEtat mexicain, lapprentissage de chansons ou des exercices sommaires partir de listes de mots routiniers, sans articulation entre contenus endognes et universels, et dans un esprit de folklorisation et de minorisation, aux antipodes de limmersion et de linnovation pdagogique.

Cependant, hors du cadre officiel, des organisations de matres des coles indignes, telles que la CMPIO (Coalicin de Maestros y Promotores Indgenas de Oaxaca, cf. http://cmpio.blogspot.fr/) tentent de dvelopper des formes denseignement par immersion, dans les langues autochtones, en valorisant des savoirs locaux tout en les reliant des contenus plus gnraux. Il en va de mme dans le rseau des Bachilleratos Integrales Comunitarios (B.I.C.) qui travaille le concept empirique de communalit, dvelopp par Benjamin Maldonado depuis vingt ans. Le tequio pedaggico, qui nest pas le seul fait de la CMPIO, et ne se rclame pas non plus directement de la communalit, est lune des alternatives au modle dfectif de lEtat mexicain. Cest le modle ducatif qui fonctionne le plus par immersion, non seulement dans la langue autochtone, mais aussi au sein de la communaut, en observant les pratiques agraires et sociales.

Le tequio pedaggico est une forme alternative denseignement des connaissances pratiques et des contenus ducatifs gnraux travers limmersion dans la praxis (en observant les techniques agricoles et artisanales des adultes) et dans la langue autochtone, pour lacquisition de contenus aussi bien endognes quuniversels. Le terme tequio dsigne un travail coopratif et bnvole dutilit collective, ralis dans la communaut villageoise ou urbaine. La prsente communication se voudra avant tout empirique et mthodologique: nous rendrons compte des multiples propositions techniques que nous dveloppons en collaboration troite avec des instituteurs autochtones dans lEtat de Oaxaca, en milieu otomangue (mazatec, zapotec, cuicatec) et ikoots (langue huave, ou ombeayits), sous forme de tequios pedaggicos.

Parmi les modules didactiques crs au sein de ces collectifs dinstituteurs et dlves afin dalimenter le tequio pedaggico en ressources et techniques didactiques par immersion, on compte 1) les prosopopes conjugues diffrentes personnes et aspect-temps (descriptions danimaux la premire personne de lhabituel, de laccompli et de linaccompli), 2) les communauts invisibles ou modlisations de lenvironnement naturel et social, 3) les rcits tiologiques et 4) lanalyse des mythes fondateurs (Sol y Luna). Cette palette de mthodes didactiques en langues maternelles forme un corpus mthodologique multidimensionnel, dialectique, alternatif et rflexif, en rupture avec la mthode dalphabtisation et dacculturation le plus souvent en usage dans le systme ducatif officiel, pourtant appele ducation bilingue et interculturelle. Nous traiterons ici surtout de la technique numrote 3 ci-dessus les communauts invisibles.

De multiples piphnomnes mergent de cette pratique de limmersion par les formes et les contenus endognes rlabors: a) les lacunes formelles des instituteurs bilingues, b) la rsistance et linertie des bureaucraties scolaires, mais aussi c) diverses formes de duplicit et dauto-illusion sur les contenus, les objectifs et la praxis mme de la communalit, ou lidologie essentialiste qui sous-tend le discours cosmovisioniste.

Nous prsenterons ici la gamme de nos propositions techniques pour une pdagogie intgrale de limmersion en langues autochtones, tout en tenant compte de ces piphnomnes, dans lobjectif de partager de manire rflexive cette exprience avec les didacticiens et les enseignants de langues minoritaires ou minores travaillant en contexte dimmersion, en Europe et ailleurs. Nous dcrirons ces mthodes travers un itinraire qui retrace lmergence de ces techniques, pas seulement en rgion mazatque: la mthodologie sest ressource dans des rseaux stratgiques, de taille et de niveaux institutionnels trs divers, dans des rgions linguistiques trs varies, comme les valles centrales zapotques, lIsthme de Tehuantepec, aussi bien que cette vaste zone de crtes montagneuses quest la Sierra mazateca, dans ses composantes aussi bien mazatque que nahua.

2. Application dune mthode, implmentation dune praxis

Le tequio pedaggico tel que nous le dcrirons ici, a pour matrice la prparation dun atlas linguistique: lALMaz (Atlas Linguistique mazatec). Cette initiative fait partie dun projet de golinguistique et dempirisme critique mso-amricain en cours dans le cadre de la dlgation lIUF (Institut Universitaire de France) dun chercheur longtemps bnvole dans sa pratique du terrain. Cest dans ce cadre spcifique dun projet de morphonologie et de golinguistique mso-amricaine pour la priode 2009-14 (le MAmP: Mesoamerican Morphophonology), qui donne pleine libert au chercheur la diffrence dautres cadres de soutien la recherche, plus contraignants , quil a t possible dentreprendre ce travail spcifique dinventaire des donnes existantes et de collecte de nouveaux matriaux sur le mazatec une langue qui a eu une importance dcisive pour la linguistique mondiale ds la fin des annes quarante du sicle dernier.

2.1. Education populaire, empirisme exprimental et rflexivit

Nous montrerons ce que la gamme dinitiatives dployes durant la priode denqutes pilotes, qui sest droule sur quatre ans, entre aot 2010 et septembre 2013, a permis de dvelopper: outre des enqutes golinguistiques sur questionnaire dans une vingtaine de localits, des ateliers dcriture, un atelier de dialectologie et de linguistique historique, un atlas lectronique partir dune base de donnes de seconde main (donnes de Kirk 1966), un forum de glottopolitique ducative, des ateliers et runions de collecte de rcits et de documentation de savoirs traditionnels (notamment calendaires) en zone mazatque mais aussi dans lenclave de langue nahuatl de Santa Maria Teopoxco. Cest ce titre que nous dfinirons cette premire tape de lALMaz (2010-11) la fois comme une enqute-pilote et comme une opration de revitalisation et de recherche-action avec les communauts linguistiques de la rgion mazatque, bref comme une praxis de la dialectologie sociale, selon la notion de restitution chre Pierre Bourdieu. Outre le traitement des donnes de premire et de seconde main, nous envisagerons les enjeux dune telle coopration, avec les avances mais aussi les contradictions quune telle dmarche suscite, aussi bien chez le linguiste quau sein des communauts linguistiques. Il est paradoxal quune langue dont la description a jou un rle dcisif dans le progrs de la linguistique gnrale et de la typologie des langues du monde, aujourdhui classe comme vulnrable par lUnesco, soit actuellement dserte, sur le terrain, par les linguistes, en dpit de perspectives de dveloppement comme jamais auparavant, qui sont en partie le produit du travail des linguistes cits prcdemment or, leur travail ntait pas orient vers une praxis de la dialectologie sociale, mais vers le proslytisme religieux. Ce paradoxe de la langue clbre abandonne sur son terrain en dpit de ses atouts pose des problmes de fond la critique pistmologique du paradigme de la documentation des langues en danger. Par ailleurs, la question de ce que les locuteurs ont fait des outils dvelopps par les linguistes missionnaires, indpendamment des intentions de ces derniers, en loccurrence cette rlaboration de la graphie par les matres dcole, les linguistes et les crivains mazatques la graphie, est du plus haut intrt. Ils ont en effet su adapter intelligemment les ressources mises disposition par les linguistes trangers pour se les approprier sous des formes nouvelles et endognes.

Le projet ALMaz (Atlas Lingstico mazateco) est le deuxime projet datlas linguistique dune langue msoamricaine, aprs ALTO (Atlas Lingstico del Tseltal Occidental), en cours de finition au Ciesas Sureste (Mexique), dans le cadre du projet MAmP de la chaire IUF de golinguistique et morphonologie mso-amricaine (2009-14). Dans un premier temps, des enqutes-pilotes ont t ralises par Jean Lo Lonard (t 2010), et les donnes de seconde main existantes sur une dizaine de dialectes (Kirk 1966) ont t cartographies et reformates sous forme de microdictionnaires et de bases de donnes (cf. section 4 infra), grce Vittorio dellAquila et Antonella Gaillard-Corvaglia (dcembre 2010). Des enqutes-pilotes complmentaires ont t effectues par Antonia Colazo-Simon dans de nouvelles localits (fvrier-mars 2011). Cette premire tape a permis dlaborer des questionnaires adapts aux structures de la langue (prs de 2500 questions, rparties entre phonologie, morphologie flexionnelle, syntaxe et lexique, cf. les extraits de relevs denqutes prsents dans la section 3 infra).

Dans un deuxime temps, une enqute systmatique a commenc laide de ces outils de collecte partir de lt 2011. Paralllement, les participants du projet mnent des ateliers dcriture et de formation des matres et instituteurs bilingues, pour le dveloppement de mthodes pdagogiques confrant un rle ducatif la langue mazatque dans toute sa diversit. Les matres-mots de ce volet du projet sont ducation populaire et participation du secteur le plus actif dans la valorisation du statut et llaboration du corpus de la langue. Dans un troisime temps, nous esprons que le projet ALMaz aura insuffl sur le terrain une dynamique de recherche et de mise en valeur ducative et socioculturelle de la langue mazatque suffisante pour que se constitue un rseau de points denqutes fonctionnant selon une logique de partenariat. Cette dynamique est dautant plus souhaitable que non seulement la structure de cette langue savre extrmement complexe sur les plans phonologique et morphologique, mais que sa variation dialectale dpasse de loin tout ce quon a pu pressentir jusqu maintenant. Divers facteurs danthropologie sociale, analyss par Eckart Boege (1984) expliquent cette diversit interne, qui pose un dfi la dialectologie dfi que notre pratique de cette discipline cherche relever en mettant leffort descriptif et notre expertise de la complexit/diversit de cette langue au service de projets ducatifs et de formation des matres.

Cette approche est rendue possible grce une prdisposition du milieu favorable la coopration avec des linguistes extrieurs, au point de conduire poser la question: face aux besoins des langues vulnrables ou en danger, que font les linguistes? Pourquoi sont-ils si peu prsents et si peu impliqus sur de tels terrains? La rponse rside moins dans une rsistance du milieu o ces langues minores sont en usage que par linertie et lhyperspcialisation ou la technocratisation de la linguistique moderne, en dpit des bonnes intentions affiches et de la panique morale qui entoure le discours et laction sur les langues en danger.

Un troisime sjour denqutes effectu du 21 aot au 15 octobre 2012 par Jean Lo Lonard, a abouti la ralisation dun forum sur les langues en danger du Papaloapan. Cest surtout de ce troisime sjour dont il sera question ici, dans la mesure o cest au cours de cette troisime tape que les contradictions mais aussi les points forts de linitiative ALMaz en tant que projet de recherche-action sont apparus le plus nettement. Quatre autres missions ont suivi en 2012 et 2013 (Fabio Pettirino, Karla Janir Avils Gonzlez, et deux missions de lauteur de ces lignes).

2.2. Les ateliers dlaboration de matriaux pdagogiques comme utopies ralisables

Les enqutes dialectologiques dans la rgion mazatque sont construites, en termes de relation avec les populations de langue mazatque mais aussi de langues en contact dans cette mme rgion sur la base dun change de savoirs et de comptences. Le chercheur ne vient pas avec un agenda de municipalits visiter en fonction dun quadrillage pr-tabli, pour enquter directement laide de ses questionnaires: il vient, la manire dun ingnieur agronome bnvole ralisant un travail de volontariat comme le fit en son temps Eckart Boege , raliser un travail de conseil technique. Dans ce cas prcis, il sagit de proposer des ateliers dlaboration de matriaux pdagogiques et des stages de linguistique mazatque pour la formation des instituteurs et des promoteurs culturels. Ces stages, dune dure de deux ou trois jours, sont entirement gratuits. Les chercheurs donnent une copie de lensemble de matriaux enregistrs et films au cours de ces stages de formation participatifs. Ces situations pdagogiques et dchange techniques, suivant la logique des utopies ralisables de Yona Friedman, sont lorigine de la constitution du rseau de collaborateurs locaux du projet. Lchange se veut dsintress. Les informateurs participent bnvolement lenqute de lALMaz, tout comme les chercheurs fournissent des ressources humaines, intellectuelles et technologiques aux participants de ces ateliers, sans aucune obligation de leur part.

Dans un ouvrage dsormais classique Yona Friedman, urbaniste et sociologue, prenait la dfense dune forme dorganisation alternative: les utopies ralisables (Friedman, 1975). Cette famille de projets utopiques diffre des utopies quon serait tents dappeler, a posteriori, irralisables, comme celle de Thomas More, ou des phalanstres de Fourrier, ou encore, du socialisme rel, comme le XXe sicle en a fait cruellement lexprience. Les utopies ralisables sont des projets de petite taille, qui nont pour ambition que de remdier une insatisfaction ou des dysfonctionnement corrigibles, et reprsentent une forme active de rsistance luniformisation et lchec de ces deux utopies gnreuses, la dmocratie et lacommunication globale entre les hommes (Friedman, 1975: 7), qui entrane, selon cet auteur, la formation de ces mafias qui agissent en notre nom et contre nos intrts () qui essaient de nous convaincre que cest nous qui voulons ce quils veulent. Venant dun urbaniste, lavertissement, quoique teint danxit, mrite dtre pris en compte. Lauteur dveloppe ce quil dnomme une thorie axiomatique des utopies, fonde sur les trois axiomes suivants:

( a ) Les utopies naissent dune insatisfaction collective;

( b ) elles ne peuvent natre qu condition quil existe un remde connu (une technique ou un changement de conduite), susceptibles de mettre fin cette insatisfaction;

( c ) Une utopie ne peut devenir ralisable que si elle obtient un consentement collectif (Friedman, op. cit. pp. 21-22).

Dans le cas qui nous intresse, de formes damnagement linguistique (car cest ce quimplique la praxis de la dialectologie sociale), la technique ou techn est, de toute vidence, lapport de la collecte et de la systmatisation de donnes pour la codification, tant pour llaboration du corpus et la revalorisation du statut, que pour lamnagement de formes pluralistes dducation, autant dans les formes linguistiques de transmission des savoirs que dans les contenus analytiques et culturels les langages didactiques et ducatifs, comme la gographie, lhistoire, les sciences, etc.

Friedman ajoute:

Pour quune utopie (ralisable ou non) apparaisse, il faut quune technique, ou un comportement nouveau soient connus et assimils. Lapport de celui qui propose une utopie consiste donc, en gnral, chercher lapplication dune technique dj connue, en remde une situation qui provoque linsatisfaction collective (op. cit., p. 23).

Friedman identifie deux lois de dcalage, qui ralentissent toujours la progression et la ralisation des utopies: dune part le dcalage entre laxiome (a) supra (la naissance dune insatisfaction collective, ici face lindignisme gouvernemental) et laxiome (b) (la technique applicable, ici, les ateliers dcriture pour llaboration de matriaux pdagogiques), dautre part le dcalage entre cette variable technique (b) et la variable (c), celle de la demande, du consentement collectif. Ces deux lois de dcalage font des utopies ralisables des oprations non pas individuelles, mais collectives, mme si des individus, investis dun rle technique, peuvent en tre des facilitateurs, ou des promoteurs (il les dnomme techniciens auteurs du projet). Friedman distingue ensuite deux qualits dutopies ralisables: positive, parce que menant une rvaluation de la situation initiale, ou ngatives, parce que ne reprsentant quun compromis, et donc une forme de rsignation. Ces qualits positives et ngatives sont corrles dautres aspects catgoriels, comme la nature paternaliste ou non paternaliste de lutopie et du projet porteur. Les premires sont intrusives, importes artificiellement de lextrieur par des agents de changement ou de rsignation terme , des individus, ou un groupe bienveillant et extrieur, qui ne sont pas eux-mmes membres de la communaut concerne, et qui nen subiront pas les consquences venir. Les utopies non paternalistes sont celles incorpores par la socit locale, de manire fonctionnelle et galitaire.

Il serait toutefois paternaliste de penser que les choses sont aussi simples que cela: le paternalisme peut se transfrer en boucle, et on peut aisment imaginer des cas dutopies ralisables transformes en relation paternaliste une fois dans les mains des populations-cibles, notamment par des lites reprenant leur compte les rapports de domination.

Yona Friedman fait bien de se montrer exigeant et de clore soigneusement le champ de lintervention paternaliste dfinie comme malgr tout bienveillante et dnue de duplicit, ce qui ne retire rien sa nature paternaliste ou tutlaire exogne en le distinguant nettement du champ des utopies non paternalistes, que sont par dfinition les utopies ralisables.

[Dans les utopies non paternalistes] les mmes connaissances sont dtenues ou diffuses par tous et pour tous (). Les utopies ralisables sont en gnral des utopies non paternalistes, mme si elles nexistent lheure actuelle qu ltat latent et ne sont donc pas trs connues (op. cit., p. 33)

Cet impratif de dtachement implique une distanciation, une rflexivit et un redimensionnement de la dfinition ou de la dlimitation du groupe, sachant que toute intervention du chercheur dans un champ psychosocial est ncessairement paradoxale car tous les membres du groupe ne partagent pas la mme vision de la situation sociolinguistique: certains saccommodent du bilinguisme ingalitaire, dautres le remettent en cause, certains veulent agir, dautres ny voient aucun gain matriel ou symbolique, etc. Une question majeure, qui demande un recul analytique au chercheur-formateur dans sa praxis de lamnagement linguistique coopratif avec les locuteurs et avec l lite constitue par le groupe des pdagogues et des promoteurs culturels autochtones, concerne la notion de communaut linguistique, tant en termes de groupe partageant une mme langue et une mme situation diglossique quen tant que communaut de savoirs, puisquil va sagir de transmettre des savoirs dans les deux sens.

3. Sphrotopes

Aucune dfinition du terme de communaut ne nous satisfait. Quil sagisse de communaut linguistique ou de communaut indigne, le terme mme de communaut reste par trop gnrique. On comprend certes quil sagit de dfinir une totalit, comme dans la sociologie de Marcel Mauss: la socit comme totalit, comme ensemble cohrent, comme dimension sociale partage, commune. Mais le terme nen reste pas moins vague, trop gnrique et rifiant sans compter les connotations essentialistes que lon peut projeter sur cette totalit. Force est donc dclater cette notion en composantes. Quitte rifier, et si la communaut implique ncessairement un territoire ou une territorialit, autant transcender totalit et territoire, afin de prendre en compte la fois le caractre multidimentionnel et tout aussi dterritorialis que territorialis de la communaut.

Le modle sphrotopique de Peter Sloterdijk (2005) nous permettra denvisager une reformulation des composantes des socits indignes, dans un cadre potentiellement universaliste, en territorialisant de manire abstraite la totalit quest la communaut des anthropologues (et la communaut linguistique des sociolinguistes), travers la notion de sphrotope qui se rfre davantage un feuilletage de territoires matriels, symboliques ou smiotiques, imaginaires, cognitifs, perceptifs qu un sol ou un quartier. Ce modle, que nous utilisons afin de transcender le concept de communaut, propose une gamme de topoi dinsulation humaine, ou espaces de construction du fait communautaire. Chacun de ces topoi (chirotope, phonotope, utrotope, thermotope, rotope, althotope, etc.) correspond des communauts potentielles dans les socits humaines. Les communauts indignes du Mexique sont suffisamment denses et complexes pour prsenter toute la gamme de ces modalits, numres ci-dessous, qui caractrisent leur mode dorganisation, bien plus que les notions didentit ethnique ou de frontires territoriales.Lintrt dclater ainsi la notion de communaut en neuf champs de praxis et dexprience au sein dun groupe ouvert, est de transcender la notion par trop troite et dterministe, voire excluante, de communaut. Ainsi, une synergie peut stablir entre diffrents membres et groupes de membres, plus ou moins acculturs ou plus ou moins reconnus ou identifiables sur le plan ethnique ou ethnolinguistique, dune communaut, qui se dfinit comme un sphrotope la notion de sphre impliquant celle de totalit, comme dans la notion de communaut, quoique de manire ouverte, non exclusive, en quelque sorte, dterritorialise par la dmultiplication des domaines de pense et daction.

1) Le chirotope : communauts de manufacture, de travail manuel

2) Le phonotope : communauts psychoacoustiques et de forme sonore (bruits environnementaux, langue, interactions verbales oralises)

3) Lutrotope : communauts daffect et de protection

4) Le thermotope : communauts de privilges ou de gteries (chaleur des foyers dlection)

5) Lrotope : communauts de dsir et de jalousies (envie, convoitise, conflit)

6) Lergotope : communauts deffort et de stress (anxiotope)

7) Lalthotope : communauts de savoirs, darchives, de mmoire des faits et des signes

8) Thanatotope : communauts des anctres (thanatope, par haplologie)

9) Nomotope : communauts de prceptes, de normes, de rituels et de rgles.

Les ateliers dlaboration de matriaux pdagogiques explorent, illustrent ou mobilisent plusieurs de ces topoi, de manire stratgique (viser sans regarder la cible, avec le dtachement de larcher Zen): le phonotope (ou art de jouer avec les sons et les assonances) est constamment prsent par le travail sur la phonologie et la pratique diamsique de la langue maternelle. Il est au centre de lactivit: les ateliers sont consacrs travailler, laborer, transposer par lcriture le phonotope. Le travail sur lergotope devient art de rcapituler les activits agraires. Il passe par les activits de systmatisation graphique et rdactionnelle des calendriers agraires et festifs ou crmoniels. Le nomotope prend la forme de lart de communiquer et de se faire comprendre avec tact, faisant appel aux formes courtes, comme les proverbes et les dialogues danimaux, avec les formes de traitement, ou dadresse, entre sujets dialogiques. Le chirotope est galement sollicit comme art de dessiner, de dpeindre et de fabriquer travers les illustrations, la fabrication de marionnettes ou dartefacts lis la mise en scne de dialogues et de jeux pratiquer avec les enfants.

Cest bien entendu lalthotope (le champ des savoirs) qui est le plus mobilis dans les ateliers dcriture. Dans ses manifestations les plus formelles, il peut prendre la forme de taxinomies, comme la classification de la faune avicole, illustre ci-dessous par la ralisation dun projet pdagogique bilingue et interculturel zapotec de la Sierra Sur/espagnol, prsent ci-dessous (figure 1).

Figure 1. Projet pdagogique zapotec de la Sierra Sur, taxinomie de la faune avicole, atelier MASC, septembre 2010.

Le travail sur la taxinomie endogne (caractristique de lapproche dune ethnoscience ou dun corpus appartenant lethnoscience en vigueur dans un sphrotope) portait sur les oiseaux la faune afin dviter daborder la flore, qui fait actuellement lobjet de convoitises de la part de lindustrie pharmaceutique. Lornithonymie savre tre un terrain plus neutre, de ce point de vue. Lobjectif tait de discuter avec les tudiants la nature de critres endognes servant la classification des entits naturelles: catgorisation du rel, traits smantiques dnotatifs et connotatifs, procds de dnomination, formation lexicale, etc.

4. Relais dans litinraire: passage par la ENBIO

LALMaz senrichit dexpriences ralises dans des relais dlaboration de la mthode et de la praxis. Comme le faisait remarquer Bulmaro Vzquez Romero, ex-directeur de la ENBIO (Escuela Normal de Educacin Bilinge e Intercultural) de Tlacochahuaya lissue de latelier que nous allons dcrire dans ce qui suit un atelier de formation requiert une laboration thorique de haut niveau, sous les apparences de la plus parfaite simplicit. Ce fut le cas de latelier Communauts Invisibles, qui fut men son domicile avec un groupe dune dizaine dtudiants issus de la ENBIO, puis avec un groupe plus important dtudiants normaliens de cette cole, avec latelier ou stage de formation en anthropologie critique, le M.A.S.C. Le projet ALMaz naurait pas la plasticit qui lui permet de sadapter la demande de formation des instituteurs et promoteurs culturels mazatec sil ne diversifiait pas son champ dexprience dans ce domaine dans des institutions comme la ENBIO, principale cole normale de formation dinstituteurs bilingues de lEtat de Oaxaca, et surtout, depuis lautomne 2011, dans les B.I.C. (collgues intgrs communautaires). Lobjectif de ce stage (ou atelier) tait de former les tudiants futurs instituteurs bilingues une approche rflexive et critique de lanthropologie culturelle, afin denrichir leur praxis de lenseignement de contenus pdagogiques endognes. Or, lendogne nest que la face interne de lexogne, dans une relation dialectique entre le spcifique ou le diffrentiel et le gnrique ou luniversel: comment raliser la synthse? Comment construire des grilles danalyse qui mnent des savoirs et des gnralisations compatibles et convertibles base de ce quil est dusage dappeler linterculturalit, qui devait ici quitter les limbes de la phrasologie pour recevoir un contenu et une mthode.

Les documents des figures 1 et 2 sont issus dune des quatre activits ralises durant le stage de Mthodologie en Anthropologie Sociale Critique (M.A.S.C), qui sest tenu durant deux jours en septembre 2010 la ENBIO de Oaxaca, co-organis par Bulmaro Vsquez Romero et Jean Lo Lonard, auprs dtudiants de dernire anne de formation dinstituteurs bilingues.

La premire activit consistait simuler une enqute sociolinguistique sur les usages vernaculaires et dvernaculariss ou vhiculaires de la langue autochtone, en revisitant le questionnaire de lenqute dialectale zapotque dirige par Terrence Kaufman (projet The Zapotec and Chatino linguistic survey, coordonn par Mark Sicoli et Terrence Kaufman [2007-2010]).

La deuxime activit reprenait Erving Goffman la critique sociosmiotique des clichs concernant limage fminine dans la culture occidentale, en appliquant une grille danalyse goffmanienne lanalyse des clichs corrrespondants sur la femme indigne.

Les figures 1 et 2donnent montrent un fragment des ralisations de la troisime session, voque prcdemment : elle consistait, sur la base dune monographie ralise sur lethnoclassification des oiseaux en amuzgo (Surez, 1985), appliquer la mthode danalyse arborescente sur le lexique de la faune avicole dans les diffrentes langues reprsentes par le collectif dtudiants.

La quatrime session fut loccasion de raliser une simulation de dbat pour ou contre le gouvernement local des Us et Coutumes. Lexercice dethnoscience de la troisime session avait ceci de prilleux quil alliait les techniques taxinomiques occidentales lalthotope autochtone(communauts de savoirs, darchives) ; la mise en scne du dbat sur les formes de pouvoir indigne faisait travailler les contradictions de lergotope (communauts deffort et de stress).

Figure 2. Projet pdagogique ikoots, en ombeayits, taxinomie de la faune avicole, atelier MASC, septembre 2010.

5. Modlisation des contenus didactiques endognes

Les ateliers dnomms Communauts Invisibles et la formation du MASC (Mthodes danthropologie Sociale Critique) furent dabord expriments en 2010 hors de la zone mazatque, avec les tudiants de lENBIO (Ecole Normale Bilingue et Interculturelle de Oaxaca). Ces techniques furent ensuite dune grande importance dans les ateliers de didactisation de la langue maternelle en zone mazatque raliss Jalapa de Diaz (2010), puis en 2011 San Antonio Eloxotitln, Huautla et surtout Santa Maria Teopoxco, dans laire nahuatophone en contact avec le monde mazatec.

Un double dfi quaffronte lenseignement bilingue et interculturel en Amrique centrale et dans laire culturelle correspondant la Msoamrique consiste transcender dune part lindignisme et la doctrine de lincorporation nationale (par acculturation et assimilation), dautre part le cosmovisionisme essentialiste (par idalisation et sacralisation de savoirs endognes avrs ou reconstruits). Ces deux tendances, aussi bien dans cette rgion dAmrique quailleurs dans le monde, rduisent la porte mancipatrice de lEducation Bilingue et Interculturelle (EBI) comme alternative ces deux modalits (paternalisme indigniste et identitarisme cosmovisioniste), confortant aussi bien la stigmatisation que la marginalisation des langues et des cultures endognes. Dans les deux cas, on force des contenus linguistiques et culturels et ressentialiss des socits dites originaires pour les adapter une forme occidentalise dans lindignisme, ou conue comme dsoccidentalise et inculture (au sens jsuitique du terme) dans le cosmovisionisme. Au terme dune longue pratique et dune rflexion de coopration avec les milieux dinstituteurs indignes Mayas et Otomangues du Guatemala et du Mexique sud-oriental (1999-2012), nous avons abouti la conclusion quune troisime voie tait possible: travailler les contenus par la forme plutt que linverse. Nous avons donc tent une approche exprimentale de travail sur les contenus endognes, qui consiste inciter les praticiens de lEBI modliser les reprsentations du social dans le cadre dun enseignement intgral, en exacerbant ou en magnifiant, dans des sries de productions et de grilles pdagogiques en langues originaires, les dilemmes que connaissent ces socits (crise environnementale, dsagrgation du tissu social, rpression, criminalit, migration, acculturation et attrition linguistique, marginalisation politique, etc.). En dpit de notre parti-pris pour la forme, les prrequis que nous suivons en anthropologie culturelle scartent de labstraction levy-straussienne (cf. la critique de Geertz 1973: 345-359, Goody 1977) et convergent avec lapproche critique de la construction dutopies indignistes et intgrationistes dEckart Boege (cf. Boege 1998).

Suivant les observations de Howard Becker (2007) sur le caractre heuristique de lesthtique des reprsentations sociales chez les crivains et les artistes, nous avons tent de renouveler le cadre des cours de sciences naturelles, dhistoire et de gographie endognes par le biais dactivits de modlisation, travers des ateliers dcriture pdagogique sur les communauts invisibles, inspir des Villes invisibles dItalo Calvino [1972], et cf. grille danalyse dans Marin 1973: 49). Nombre de malentendus et dapories relevant des cueils de lindignisme et du cosmovisionisme ont alors trouv une solution qui semblait auparavant inaccessible. Seul un travail sur la forme, une recherche de labstraction et de la distanciation travers une modlisation teneur littraire des contenus a permis de rsoudre ce qui semblait jusqualors une impossible quation lquation de Paulo Freire (cf. L'ducation comme pratique de la libert, 1964). Nous montrerons en quoi les ateliers dcriture didactique Les communauts invisibles en 2010 et 2011 ont gnr des supports et des grilles didactiques innovantes pour des formes dducations alternatives, qui rintgrent lcole dans le sphrotope indigne, et qui rigent le milieu endogne comme champ de savoirs et comme espace de praxis formelle de la langue et de la culture.

Des domaines ou dimensions comme le thanatotope font lobjet de cycles crmoniels puissamment ritualiss (cf. la fte de la Toussaint, ou des Huehuetones, Huautla et ailleurs dans le monde mazatec), hors du champ de nos ateliers, quoiquil soit arriv que le thanatope soit impliqu dans des thmatiques pdagogiques, comme lors de la ralisation dune magnifique unit didactique sur le cacao, par un instituteur zapotec de la valle de Oaxaca, dans le rseau EIBI, en juillet 2010 les grains de cacao tant dposs au chevet des dfunts lors des veilles mortuaires, afin que le mort emporte de largent au pays des mes. Les grains de cacao, ancienne monnaie amrindienne, connaissent encore aujourdhui de tels usages rituels, qui condensent leur ancienne fonction symbolique. Que de tels motifs puissent sinsrer dans les activits de didactisation en langue maternelle contribue confirmer le haut degr dinculturation et de plasticit interculturelle des ateliers dcriture. Au-del de la forme, qui subit une crasante superposition sous la pression de lespagnol (devenu depuis lALENA de 1994 lune des langues de la mondialisation), ce sont les contenus didactiques qui revtent la plus forte teneur endogne dans une logique de ralisation et dimplmentation de la langue dans la scolarisation. Deux dimensions qui peuvent sembler marginales sont cependant impliques des degrs divers dans les ralisations qui mergent dans les ateliers dcriture: Lutrotope et lrotope, condition, bien entendu, de ne pas interprter ces termes de manire trop troite ou trop concrte, dans lacception que leur donne avec un zeste de provocation Peter Sloterdijk: les prosopopes, ces miniatures dcrivant des animaux diverses personnes et temps de la conjugaison, relvent de la premire dimension (utrotope), les dialogues danimaux et la forme de certaines modlisations des communauts invisibles illustrent ou analysent la deuxime de ces dimensions (lrotope). Les prosopopes dcrivent en effet des personnages qui ne cessent dvoquer, par leur aspect et leur comportement, ainsi surtout que par leur relation lHomme, les communauts daffect et de protection. Les communauts invisibles font parfois tat des communauts de dsir et de jalousies: ainsi une tudiante chatino de lENBIO, en juillet 2010, dcrivait une communaut idalement consensuelle, dont le pendant ngatif tait une communaut dchire par les rivalits et la violence.

Un matre dcole zapotque de la Sierra Sur de la Red EIBI dcrivait dans sa modlisation une communaut dont le territoire tait morcel linfini par des limites abusives dresses entre terrains vicinaux, dans une socit dsagrge, contrastant avec une communaut au territoire sans frontire. Les modlisations des ateliers de Communauts Invisibles permettent donc dvoquer des dimensions de la smiosphre ou du smiotope de ce quil est convenu dappeler la communaut, mais que nous apprhendons ici comme un sphrotope complexe, modulaire, topos en forme dhologramme constitu de multiples topoi, qui transcendent sa territorialit immdiate. Le fait communautaire est une construction labyrinthique et multiples dimensions, dont rendent compte les sphrotopes de Sloterdijk. Lenseignement traditionnel monoculturel assimilationniste ne prend pas le risque de visiter ces dimensions, ou de les voquer, pas plus que ne le font les manuels en langues indignes, qui dulcorent les ralits, occultent les contradictions et les conflits, calquent limaginaire sur des sries de clichs indignistes restant lextrieur de cette sphre. Les ateliers dcriture que nous menons dans les rseaux dducation populaire ou parallle dans lEtat de Oaxaca sont chaque fois loccasion de visiter ces mondes rendus invisibles par lacculturation. Cest aussi cette praxis critique du travail sur les contenus pdagogiques endognes que nous travaillons en ateliers dcriture avec les matres dcole bilingues mazatecs, dans le cadre de lALMaz, qui savre une matrice damnagement linguistique participatif. Chacun de ces ateliers a donn des rsultats varis, en fonction des situations locales et de lexprience des participants.

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Figure 3. Projet pdagogique Communauts Invisibles, Jalapa de Diaz, aot 2010. Modlisation de lquilibre climatique versus scheresse

Figure 4. Projet pdagogique Communauts Invisibles, Jalapa de Diaz, aot 2010. Textes prsentant deux versions dune situation environnementale

Nous venons de dcrire les oprations de revitalisation et de coopration qui se sont droules avec succs: participation abondante ou suffisante, adhsion intense mais aussi distancie la mthode, exprimentation russie du jeu de cration de mondes didactiques ( travers les Communauts invisibles, inspires dItalo Calvino), innovation partage sur les formes et les contenus, aussi bien du point de vue du travail dlaboration graphique du phonotope (codification) que de lexploration de lalthotope (application des savoirs communautaires et connectivit de ces savoirs avec des dimensions externes, rgionales, nationales et universelles), cadrage par le nomotope (travail sur les valeurs de solidarit et de cohsion communautaire). Tout semble se passer pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ces ateliers ou stages de formation qui atteignent leurs objectifs de formation des agents du changement sociolinguistique, en terme de micro-planification linguistique ou amnagement linguistique de par en bas sont autant dacquis gratifiants pour le projet, mme si les activits et si les ralisations se sont droules ou ont pris pour objets dautres langues, comme le zapotec, lombeayits (ou huave), le tuun savi (ou mixtec), le mixe, le chinantec et surtout, Santa Maria Teopoxco, enclav dans la Sierra Mazateca, le nahuatl.

Or, ces acquis et ces innovations mthodologiques ne sont quune face de lactivit de recherche-action. Il existe une autre dimension, que les linguistes et anthropologues de terrain connaissent bien : les rats du terrain, les phnomnes de rejet, la suspicion tout ce qui fait la srendipit du dpit, du ratage, du malentendu. Cette dimension car cen est une: en tant que dialectique ngative de la recherche-action positive, elle ouvre un monde de questionnements dans lutopie de la revitalisation participative, illusion dans laquelle le chercheur pourrait se complaire ne fait pas que casser le rythme du travail du chercheur. Elle reformule la relation, elle fait rapparatre des effets de contraste que leuphorie des oprations russies pourrait lui faire oublier. Ces expriences ngatives sont, de ce point de vue rflexif, de la plus grande utilit. Elles peuvent tre considres de deux points de vue: en tant que rites de passage, mais aussi en tant qualas routiniers et prvisibles dtermins par des contraintes socio-ergonomiques dordres divers. Il sensuit un paradoxe enchss: alors que, lorsquil ne se passe rien parce quun atelier ou un stage ou une enqute est annule sans autre forme de procs, il se passe quelque chose dimportant ou de grave pour le chercheur, il importe de ne pas oublier que pour la communaut, il ne se passe effectivement rien. Si le chercheur reste dsuvr, aux portes de lcole du village. Et quand bien mme il se passerait quelque chose dans la relation entre la communaut et le chercheur un antagonisme, une relle mfiance , il ne se passe rien de vritablement personnel (sauf faute patente de sa part), dans la mesure o des projections psychosociales interviennent alors dans la relation, pour troubler lordre de linteraction. Cela ne veut pas dire que ces dsistements sont anodins par dfinition, ni quil ne faille pas les analyser de manire critique. Nous voulons simplement dire que, sils doivent tre pris au srieux, ils doivent galement tre pris pour ce quils sont, sans les surinterprter pour autant. Le risque de paternalisme est tapi des deux cts de cette polarit entre il ne se passe rien (par autosatisfaction et prsomption du chercheur) et il se passe quelque chose de grave (par anxit teinte dun soupon dethnocentrisme). Tirant les consquences de la nature paradoxale de ces moments, sur le plan de la ponctuation du droulement du projet, nous analyserons ces dysfonctionnements sous langle des contradictions, avres ou supposes, quils semblent manifester.

6. Travail sur les normes

Les ateliers dcriture pour llaboration de matriaux pdagogiques sont loccasion dun travail constant, en mme temps que subreptice, sur la norme, ou plutt sur les normes, mme si la question nest pas traite de manire formelle dans les sances. Afin de ne laisser aucune place des polmiques sur les questions de codification et dapplication des graphies existantes (au moins trois pour le mazatec: celle du D.IL. ou ILV, celle de lALFALEIM, de Maximino Cerqueda Garca la meilleure, notre avis , celle des anthropologues jadis associs lINI), chacun est libre dcrire sa guise, selon sa propre mthode ou le systme graphique de son choix. Nous corrigeons trs peu, afin dviter toute polmique. Parfois, nous sollicitons des participants quils corrigent ensemble, en assemble, les textes les plus problmatiques de ce point de vue (par exemple, lorsque le texte prsente des incohrences de codification videntes, en mlangeant plusieurs systmes de convention graphique). Ce prrequis est une condition sine qua non de succs de la dynamique de groupe. Tous les ateliers dans lesquels le formateur a commis limprudence de donner des avis tranchs, en tant que linguiste ou que sociolinguiste, a conduit des conflits et une dmotivation des participants. Ces ateliers doivent tre des sortes de niches de travail paisibles, protges des conflits idologiques, que les locuteurs font porter aux graphies (les graphies, quant elles, comme les langues, sont des artefacts et en tant que tels, de simples instruments: elles ny sont pour rien dans les querelles des hommes). Or, de manire toute borgsienne, voire kafkaienne mais aussi goodmanienne, cest prcisment cette stratgie dvitement qui permet de travailler en sous-main, de manire continue, crative et productive, les normes sous-jacentes ou mergentes des langues en questions.

Nous reprendrons Marie-Louise-Moreau la taxinomie des normes selon 5 types (Moreau, 1997):

NF: normes de fonctionnement

ND: normes descriptives

NPr: normes prescriptives

NE: normes valuatives

NF: normes fantasmes

La norme de fonctionnement (NF) nest autre que la langue parle, le registre oral, diversifi en autant de dialectes quil y a de groupes dans le collectif de travail. La norme descriptive (ND) est celle des travaux existants sur ces langues lcrasante majorit provient des missionnaires du SIL, qui ont fait le travail que les linguistes ont nglig de faire assidument. Parfois, la ND existe sous forme dun dictionnaire local, publi par un linguiste locuteur natif, form dans une universit mexicaine ou aux Etats-Unis, plus rarement dune grammaire (par exemple, une esquisse grammaticale publie par lINALI, dont on attend beaucoup dans les prochaines annes, sur ce plan). Elle na gnralement que peu dincidence sur latelier elle est rarement consulte. Parfois, au contraire, cest le document de rfrence, consult assidument par plusieurs groupes de participants, comme ce fut le cas avec lexcellent recueil de contes et glossaire publi localement par Froylan Prez Moreno, Jalapa de Diaz, important centre mazatec des basses terres, en aot 2010. Dans ce cas, une telle ressource sert galement de norme prescriptive (NPr), quoiqu titre optionnel. Les normes valuatives (NE) et les normes fantasmes (NF) jouent un rle variable: on peut en effet considrer que certaines normes fonctionnelles locales, comme celle de Huautla, sont values trs favorablement, voire sont dotes dune certaine hgmonie dans leur primtre de rayonnement. Cest le cas de la NF de Huautla de Jimnez, dans les hautes terres. En revanche, dans le contexte mazatec, de mme quailleurs en domaine otomangue, pour autant que nous ayons pu lobserver, aucune norme fantasme comparable ce que peut tre le nahuatl classique pour les Nahuas ninterfre dans les pratiques dcriture locale. Mais la NF peut prendre dautres formes, comme ce systme didographes dlirant quavait invent une association culturelles, qui souhaitait substituer aux graphies existantes un systme de symboles, comme par exemple un nez dessin pour noter les voyelles nasales ce nest pas un hasard non plus si ce groupe tait constitu dactivistes qui navaient aucune formation en pdagogie, ni dexprience de lenseignement. Le travail principal sur les normes tisse une trame dense, au cours de ces ateliers, entre les normes fonctionnelles locales (variation des normes diatopiques), les normes descriptives/prescriptives le cas chant, et les normes valuatives. Par exemple, dans les Hautes terres, San Lucas Zoquiapam et San Antonio Eloxochitlan, les instituteurs originaires de Huautla imposaient rsolument leur norme, qui tait une NF ad hoc, non adosse une ND ni une NPr. Dans certains cas, une telle attitude peut entrer en conflit, par le poids de ses contradictions, si le groupe local dispose par ailleurs dune ND et dune NPr. Il se trouve que la varit dialectale de San Antonio Elochotitlan est effectivement dote de telles ressources: un linguiste mazatec local y a labor une NPr excellente. Mais lcole o se droulait latelier, plus pauvre que celle o exerait le linguiste local, fonctionnait en circuit ferm, avec ses conditions propres, qui favorisaient la prdominance de la NF sous-quipe de Huautla, quitte ce que celle-ci prvale sur la ND et la NPr locale. L encore, la situation est dlicate et, face ces contradictions, le linguiste parvient davantage assurer le bon droulement de latelier en adoptant une attitude neutre. Sur le plan sociolinguistique, les micro-hgmonies qui apparaissent alors, sont extrmement riches denseignements.

La question de savoir si une standardisation est possible ne peut tre discute raisonnablement sans tenir compte de cette trame des normes, in situ. On peut certes se dsesprer face aux contradictions observables dans les pratiques relles, telles que les rvlent avec une particulire acuit ces ateliers dcriture et de formation, mais on ne change pas le monde en appliquant la mthode de Procuste.

7. Rites de passage et systme de contraintes socio-ergonomiques

Nous avons relev par ailleurs une srie de contradictions travers des observations de faits ou de propos rcurrents provenant de nos partenaires de travail dans nos activits dducation populaire. Ces contradictions touchent au nerf de la guerre - une guerre du linguiste et des communauts linguistiques contre lassimilation, la dpossession, les idologies ingalitaires et la discrimination: la guerre des langues est plutt une guerre des hgmonies entre groupes sociaux et entre idologies et socits civiles : la participation, ou la mobilisation, qui rend ces ateliers possibles. Ces pierres dachoppement sont les suivantes:

1. Absentisme et annulation impromptue dateliers dcriture et de techniques de collecte en anthropologie culturelle: le chercheur fait chou blanc et se retrouve le bec dans leau.

2. Suspicion de vol de culture de la part des chercheurs du projet ALMaz : on souponne ou on accuse le chercheur de venir drober des savoirs, afin den tirer profit, laide de publications futures, qui seront pour lui source denrichissement personnel.

3. Demande de contextualisation thorique des ateliers pdagogiques: on met le chercheur sur la sellette en lui intimant dexpliciter le cadre thorique de sa proposition de travail (de latelier ou du stage).

4. Esquive de dilemmes communautaires ou de plus ample rpercussion: on prsente au chercheur la communaut comme un monde idal, que ne traverse aucun conflit interne et que ne perturbent que des forces externes trs gnriques, voire opaques.

5. Inertie ou blocage en raison de polarisations politiques ou de caciquisme des lites lues ou nommes: on explique au chercheur quaucune des ses propositions de travail collectif ne peut aboutir, parce que les autorits sy opposent manifestement ou par inertie, par volont politique ou par manque dintrt.

Nous allons reprendre chacun des ces cinq observations ci-dessus.

Labsentisme et lannulation impromptue dateliers dcriture et de techniques de collecte en anthropologie culturelle sont des alas triviaux, de prime abord. Ce qui lest moins, cest la trame qui contextualise les ateliers qui marchent et ceux qui ne marchent pas, faute de participants car une fois un atelier lanc, nous navons jamais constat dchec: tous les ateliers sont productifs et suscitent un enthousiasme rel chez les participants. La condition dchec dun atelier rside dans sa non ralisation. Or, ce sont les causes du rejet de toute ralisation qui sont notre avis pertinentes et heuristiques. A chaque fois, le chercheur multiplie les explications et les conjectures, sans ncessairement trouver une explication, il est incit se plonger dans une introspection rflexive. Il ne trouvera jamais LA bonne rponse, car il ny a pas de cause unique, et ses erreurs dapprciation seront autant dacquis par ttonnement.

La suspicion de vol de culture de la part des chercheurs peut tre certes envisage comme un rite de passage, tout comme elle sert de viatique ou de marge de distanciation, pas seulement vis--vis du chercheur, mais aussi quant au degr dimplication vis--vis de sa propre culture, dans un champ socioculturel concurrentiel, entre culture locale, nationale et globale. Elle peut tre interprte comme une opposition manichenne entre le nous endogne (la communaut) et le vous exogne (le collectif des chercheurs visiteurs). Elle est sans doute indicielle de bien dautres dimensions que le simple repli sur soi ou une sincre mfiance, pourrait-on dire avec une pointe dironie la Sacha Guitry.

La demande de contextualisation thorique des ateliers pdagogiques est en soi lgitime, comme dans tout processus de didactisation dune mthode, de tout transfert de savoir-faire. Ce qui la rend paradoxale, cest le manque de ractivit ou de dbat voire dintrt lorsque le chercheur rpond cette demande, exprime de manire pourtant pressante. Il y a l sans doute lindice dune autre dimension. Cette convocation solennelle dclarer le cadre thorique de lactivit revient demander dis-moi o tu veux en venir et pourquoi tu as choisi de travailler cela avec nous? Attitude saine, en somme, rclamant son lot dlucidation.

Lesquive de dilemmes communautaires ou de plus ample rpercussion nous est apparue de manire palpable en 2004 lors dun atelier dans la petite ville quichane de Sipakapa, au Guatemala, lors dun atelier dlaboration de matriaux pdagogiques. Lorsquil avait abord la phase des ralisations pdagogiques dhistoire et de gographie locale et rgionale, Jean Lo Lonard stait tonn de voir le thme de lexploitation minire de mtaux prcieux par une grande compagnie aurifre canadienne dans cette localit systmatiquement lud des ralisations des matres dcole. Non pas que ce thme et t oubli ou jug marginal: nombre de participants lavaient voqu en marge de latelier, dans leurs discussions avec le chercheur. Lhypothse de lautocensure ne vaut pas plus quune autre il se peut aussi que le chercheur ait t implicitement souponn, en tant qutranger, de collusion avec la compagnie minire, selon la logique de son sus paesanos ou su gente. Mais la raison de cet vitement pourrait tout aussi bien tenir dans la dpolitisation de la pratique enseignante, avec son double tranchant doccultation des conflits entre local, national et global. Or, pourquoi nier aux matres bilingues le droit dopter pour un enseignement dpolitis, qui est de rigueur dans lcole rpublicaine?

Linertie ou blocage en raison de polarisations politiques ou de caciquisme des lites lues ou nommes est le facteur le plus souvent voqu par nos collaborateurs autochtones pour expliquer les dysfonctionnements de la programmation dune activit. Cest le syndrome du Chteau de Kafka: les administrateurs du lointain chteau ne seraient pas lcoute de la demande manant de la socit civile et des leaders ou des collectifs souhaitant dvelopper des initiatives. Ces lites privilgies utiliseraient leur mandat pour uvrer leur propre promotion et la seule fin de reconduire leur mandat, mais auraient un comportement foncirement conservateur, et se mfieraient des propositions de la base. On retrouve le fatalisme du mythe du complot et le motif de la trahison des clercs, qui sont certes une explication plausible, mais la plausibilit ne suffit pas pour lucider une situation de blocage institutionnel. Il est dautant plus difficile de vrifier cette hypothse quil nest gure ais de discerner le vrai du faux, le fait avr de la rumeur, lorsquon vous rapporte quun atelier dhistoire orale maztque anim par un Franais a t annonc par le directeur de la Maison de la Culture de Huautla, charg daccueillir dans ses locaux lactivit en question, comme un cours de franais. Le fait est que la personne charge de diffuser linformation dans la principale radio locale est la mme qui vous rapporte cette rumeur, sans pour autant expliquer pourquoi personne ne sest prsent latelier en question, malgr lannonce radio dont il tait responsable.

Lorsquune autorit a promis de se charger personnellement dorganiser un vnement comme un atelier dcriture dans une quinzaine de jours, et qu la date convenue, personne ne se prsente, que la salle initialement prvue pour lactivit sest soudainement convertie en bureau de vote pour des lections locales, le chercheur ne stonnera pas dentendre plus tard un proche parent dune autorit locale expliquer quil y a eu malentendu: ce ntait pas le directeur des Biens Communaux, qui stait engag organiser latelier, mais son bras droit lequel, le jour de cette runion, tait passablement mch. Il sagit alors de garder la face tous prix, et de retourner la faute sur le chercheur, qui a mal compris, ou na pas eu le tact de revenir confirmer sa disponibilit la date prvue, ou na pas convaincu ce jour-l, ou encore, qui ne se rend pas compte de la charge de travail qui incombe aux autorits locales et aux parents dlves. Ce qui est intressant, cest que dans ces moments de justification, les responsabilits sont dilues et distendues, et reviennent avec lample mouvement de la course dun boomerang, en plein dans la face du chercheur de passage. La mise en scne du pouvoir local est la fois rinvestie de tout le srieux de la charge des charges qui font que le temps est compt et quon ne badine pas avec lagenda des autorits, et en mme temps, leste de toute pompe, puisque lautorit tait rpartie entre plusieurs responsables, dont la fonction ntait pas suffisamment dfinie en amont. Le chercheur se trouve alors dans la position de larpenteur dans le roman de Kafka: il a t engag sur un poste qui nexiste pas, et vient en toute bonhommie remplir une tche et sacquitter dun devoir qui nincombe personne. Le Chteau est matrialis par le btiment municipal, au centre de la municipalit. Cependant, quelle que soit la frustration du chercheur, on y est toujours bien reu, et on y trouvera toujours un employ prt transmettre les rclamations ou donner des explications rassurantes et pleines de tact la diffrence de nombre dadministrations europennes. Le chercheur sen tire mme plutt bon compte, et sil parvient garder tout son calme et faire preuve du mme tact et de la mme patience, il sortira grandi de cette micro-preuve, comme de tout rite de passage. Il nempche que latelier pdagogique naura pas t ralis, et quun message de retrait et de distanciation de la part des lites communautaires lui aura t ainsi implicitement signifi. Il devra en tenir compte. Les motifs sont multiples: pas seulement la mfiance, mais aussi la prudence, car les autorits doivent rendre des comptes de multiples interlocuteurs dans le village ou dans le bourg, depuis les parents dlves, les matres dcole appartenant divers syndicats souvent prement rivaux surtout dans lEtat de Oaxaca et aux lves aussi bien quaux anciens, qui observent de prs ou de loin le processus, ou en seront informs des degrs divers.

Seule une vision paternaliste de ces rats de la cooprativit saccommode dexplications comme le manque dintrt ou linertie et le blocage des lites. Cela ne signifie en rien que ces pratiques sont justes: elles ne sont ni justes ni injustes en soi: elles obissent des contraintes ergonomiques, des normes de lergotope, et composent lanxiotope, pour le chercheur comme pour ses pairs ou pour les matres dcole ou les ducateurs indignes des hautes ou des Terres Basses mazatques ou dailleurs.

Une cl dinterprtation nous a dailleurs t donne au dernier moment, au sujet de lannulation de plusieurs ateliers: et si la dmobilisation de lautomne 2011 des matres dcole bilingues sexpliquait tout simplement par lanxit suscite par le rcent projet dvaluation des comptences des instituteurs, annonc par lEtat mexicain? La rforme qui instaure ce processus dvaluation remet en effet en cause lemployabilit des instituteurs, qui se trouvent devant le dilemme de se prparer aux tests et aux inspections portant sur le curriculum national, rendant du mme coup toutes les formations sur les contenus autochtones secondaires. Les instituteurs bilingues mazatecs vivent dans le mme monde que les chercheurs europens, de ce point de vue, et lon ne saurait sans risque dextrapolation, interprter trop vite les ractions fluctuantes du milieu vis--vis du chercheur ou du visiteur. Ils sont eux aussi soumis au processus postmoderne de lacclration, que dnonce et dcrit de manire saisissante Hartmut Rosa (2012), dans son essai sur les nouvelles formes dalination dans le contexte de la globalisation.

8. Conclusion

Une conclusion forte qui dcoule de cette pratique des ateliers dlaboration de matriaux pdagogiques et de formation en langues indignes du Mexique en partenariat avec les organisations de matres dcoles bilingues et, trs souvent, avec les lves des coles primaires et des collges bilingues, est quil est faux de penser que llaboration de matriaux pdagogiques pour des dizaines de langues dans un seul pays est coteuse. La force du travail collectif volontaire, bnvole, participatif, fait de ces ateliers et de ces stages des oprations qui cotent, en termes de frais, des sommes drisoires. Un collectif de 50 instituteurs est capable de gnrer en deux ou trois jours un fascicule trs prsentable de matriaux pdagogiques, comme le suggrent les donnes reproduites en annexes, qui ne sont pourtant que des matriaux bruts.

Bien entendu, cela suppose que chacun joue le jeu du tequio: le travail collectif, participatif et communautaire, o les talents et les connaissances de chacun sont mobilises, aussi bien pour la cration de textes littraires, que pour les graphismes et le conseil pdagogique. Bien entendu, cela suppose aussi un certain soutien institutionnel et financier: le projet MAmP IUF a t, ce titre, une grande opportunit, puisquil a permis de financer les missions des formateurs, et dapporter, pour des oprations de plus grande envergure que les ateliers en zone rurale, comme le Premier Congrs des Langues du Papaloapn Huautla en septembre 2011 et le Foro Interdisciplinario de Tehuacn en octobre 2012, un soutien logistique. Mais ces sommes sont si drisoires, face aux fonds souvent gaspills dans les politiques linguistiques conues de manire verticale, sans relais collectif sur le terrain, que les participants du projet auraient tout aussi bien pu, en se serrant la ceinture, tout payer de leur propre poche ce qui et t passablement injuste, tant donn leur dvouement par ailleurs. Il nest pas inutile de questionner la politique linguistique des linguistes, qui a consist dlguer au S.I.L. (Summer Institute of Linguistics) et autres institutions missionnaires le travail et lengagement en linguistique applique auprs des populations des pays mergents, depuis les annes 1930, pour se consacrer une linguistique davantage thorique quancre dans une praxis. Cette praxis leur aurait pourtant fourni, a posteriori, des donnes bien plus abondantes et diversifies, voire bien plus fiables, que ne le sont les monographies existantes du S.I.L., mme sil est indniable que beaucoup de ces travaux sont de grande qualit cest le cas de la plupart des travaux des linguistes du S.I.L. sur le mazatec (cf. Lonard, 2012). Le fait que la plupart des grandes bases de donnes actuelles en typologie des langues du monde (notamment le WALS) puisent abondamment dans les sources du S.I.L. confirme cette contradiction de fond.

Quoiquil en soit, on ne peut que souhaiter que lengouement actuel pour la documentation des langues en danger aboutisse une vritable prise de conscience des enjeux thoriques, empiriques et thiques de la question des langues en situation de vulnrabilit ou dextinction sur la plante, et de lacclration de ce processus. La mthodologie dimmersion par llaboration de formes et de contenus pdagogiques et de formation mtalinguistique, dans une perspective rflexive et critique, que nous avons prsente ici, a pour modeste ambition dtre une pierre apporte cet difice.

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Surez, Susana Cuevas 1985. Ornitologa amuzga:un anlisis etnosemntico, Mxico, Instituto Nacional de Antropologa e Historia.

Annexe : atelier Communauts Invisibles Mazatln (mazatec)

Fabio Petterino, Escuela de la zona 159, Mazatln Villa de Flores, Avril 28, 2012

(transcription et mtadonnes par Karla Janir Avils Gonzlez, Labex EFL, axe 7 EM2)

Archivo de origen: ALMaz_Mazatln_Taller_Comunidades Invisibles_fp 2012

Facilitador y recopilador: Fabio Petterino

Compiladora: Karla Janir Avils Gonzlez

Video: (sin correlato oral)

Audio: (sin correlato oral)

Unidad didctica: Comunidades Invisibles

Mdulo textual: Borrrador del Texto para las clases: Najndia (Mazatln Villa de Flores).

Autores: Maestros Antonio Aguilar, Juvencio Lpez C., Minerva Ruz C. y Eduardo Prez C.

Fecha: Abril 28, 2012.

Lugar: Escuela de la zona 159, Mazatln Villa de Flores, Oaxaca, Mxico.

Najndia

Naxinanda najndi, kjiajin nindu, kua kjn jkuya chu ku xka tjn. Tjinr yaka kjandie jkn; nda nyn, kui kjandiebi nachun, ngu naxi an tibetjungui nand nyn. Ngu jangu nand an yajjin liii ku tjin patu, ijngu jangu xte kji jku nindujn, tsu mie nga tsjie ngasundie bi majis mitjasienji anda chajasu.

Ngu xaba kjia ngasu nindu yachn, anu nyaa laju xi chokjuand, ku majis niku (Ilegible) (Ilegible) tsinijasun. Kjandieba. Xi ndaji ku (Ilegible) (Ilegible) (Ilegible) fikanguya mie nga paxku, tua (Ilegible) (Ilegible) yajun anda tjnsu xind xi (Ilegible) (cf. papelgrafo para ver el texto completo)

Fig. 1. Borrrador del Texto para las clases: Najndia (Mazatln Villa de Flores).

Video: Ponencia_1

Audio: Ponencia_Comunidad Real_1

Unidad didctica: Comunidades Invisibles

Mdulo textual: Textos para las clases: Najndi (Mazatln Villa de Flores).

Autores: Maestros Antonio Aguilar, Juvencio Lpez C., Minerva Ruz C. y Eduardo Prez C.

Fecha: Abril 28, 2012.

Lugar: Escuela de la zona 159, Mazatln Villa de Flores, Oaxaca, Mxico.

Najndi

Naxinanda najndi, kjiajin nindu, kua kjin jkuya chu ku xka. Tjinr yaka kjandie jkn; nda nyn, kui kjandiebi ndachun, ngunaxi an tibe tjungui nand nyn. Ngu jangu nand an yajjin liji ku tjin patu, ijngu jangu xte kji jku nindujn, tsu mie nga tsjie ngasundiebi majis mitjasenji anda chajanjas.

Ngu xaba kjia ngasun nindu yachn, anu nyaa laju xi chokjuand, ku majis niku ata tsinijasun kjandieba. Xi ndaji ku nda tsi fikanguya mie nga paxku, tua chutsijiensura yajun anda tjnsu xind xi fiun ngajinandajn.

Xi kjuatsjara ki kjuatjchra naxinand najndi si mayu, paxku ku si mikien, send kjin jkuya tsjam xi chinie, ku bejku xinga, ngu kjuatsja bejan, nga xiki n.

Fig. 2. Papelgrafo del texto para las clases: Najndia.

Fig. 3. Mapa de Najndi con respecto a otras poblaciones de la regin.

Video: Ponencia_2

Audio: Ponencia_Comunidad Real_2

Unidad didctica: Comunidades Invisibles

Mdulo textual: Representacin espacial de los productos agrcolas de la regin segn la ubicacin y el clima de cada comunidad: Asienra naxinanda Najndia.

Autores: Maestros Reynalda Cid Castillo, Rosaura Aguilar Garca, Juventino Rayn Chvez, Guadalupe Marn Ortega.

Fecha: Abril 28, 2012.

Lugar: Escuela de la zona 159, Mazatln Villa de Flores, Oaxaca, Mxico.

Fig. 4. Representacin espacial de los productos agrcolas de la regin segn la ubicacin y el clima de cada comunidad: Asienra naxinanda Najndia.

Video: Ponencia_2

Audio: Ponencia_Comunidad Real_2

Unidad didctica: Comunidades Invisibles

Mdulo textual: Versin bilinge mazateco-espaol de los productos de la regin.

Autores: Maestros Reynalda Cid Castillo, Rosaura Aguilar Garca, Juventino Rayn Chvez, Guadalupe Marn Ortega.

Fecha: Abril 28, 2012.

Lugar: Escuela de la zona 159, Mazatln Villa de Flores, Oaxaca, Mxico.

TSAJMI XI MAJCH NANGUI NCHJN (FRO)

TU AXI (frutas)

tu pl=pera

manzana=manzana

chjangui=ciruela

turujnu=durazno

carnata=granadilla

chn=chayote

tuchji=capuln

chjilama=chirimoya

xindiu=zarzamora

nachumie=chilacayota

TSAJMI XI MAJCHA NANGUI NCHANGUI TEMPLADO

alaxa=naranja

kaji=pltano

mangu=mango

ndej=caa

chjindie=zapote negro

nachja=mamey

tusn=limn

tuch=papaya

chjajan=obos

tjsie=guayaba

chuntjie=guajinicuil

ndetujm=quintonil

ndexku=hierba mora

ndejun=epazote

nukj=malangar

xun=hierba santa

nijmi=maz

nijm jm=frjol negro

TSAJMI AXI XI MAJCHA NANGUI TSJIENGUI (CLIDO)

najcha=mamey

kaji=pltano

chjindie=zapote negro

chjangui=ciruela

tuchu ndija=tecomate, bonte

naxantsien=chicozapote

chjiye=anna

chjiy=cozahuico

mangu=mango

ndeji=caa

Tusan=Limn

Fig. 5. Versin bilinge mazateco-espaol de los productos de la regin.

Video: Ponencia_3

Audio: Ponencia_Comunidad Real_3

Unidad didctica: Comunidades Invisibles

Mdulo textual: Texto para las clases: Chubara tsajmi nti (Calendario Temporal).

Autores: Maestros Isabel Bolao Zarate, Sandra Abigail Rayn Reyes, Herminio Vaquero Betanzos.

Fecha: Abril 28, 2012.

Lugar: Escuela de la zona 159, Mazatln Villa de Flores, Oaxaca, Mxico.

Chubara tsajmi nti

Ngu chuba xi kjiara nanjdia nga sie tsajmjtie, ngatsi mie xi jke jke jkandiera bi jchuta chubabi anda kui majchenr ya bi a ngatsi tsajm jti jtin jkandie xi machakuten j jka bi xi ngu n tsie nandaa ku xi ts, yabie miee nijmi bie nijm ku nachu kui xi bate ya ndetsn tsikatu jn kijke kjandie anda tu kui majchonra matsijin nisakui nga jtin nijmi sini, teba ki ind.

Nangui nyan ngu sa kja si xi ngu n betsiyani xi mani jian s ajn s bandeyara nga majch nangui tsiengui jo kja majcha jn kui tsajmibi kui xi kji tijtn niyajan anda kui xi majchen matsijin nisakui ki yaka tsajm xi majcha kje kjandie kui xi tsikantiyani tu menu ku ni s kakun nachu ki xujm ku nisa nim ku njtsi.

Fig. 6. Chubara xi tsajmi jtie (Calendario Temporal de cada comunidad).

Fig. 7. Papelgrafo del texto para las clases: Chubara tsajmi nti (Calendario Temporal).

Video: Ponencia_4

Audio: Ponencia_Comunidad Imaginada_1

Unidad didctica: Comunidades Invisibles

Mdulo textual: Texto para las clases: Ntji (La basura: un pueblo limpio para el futuro).

Autores: Maestros Reynalda Cid Castillo, Rosaura Aguilar Garca, Juventino Rayn Chvez, Guadalupe Marn Ortega.

Fecha: Abril 28, 2012.

Lugar: Escuela de la zona 159, Mazatln Villa de Flores, Oaxaca, Mxico.

NTJI

Xi naxinanda najndi ni ndachun, anda tjn nda xang, jangu, kjandie anu setj nanda, ku kjandie an sitsajm ntje. Tunga kjia ngu kjua ngata tsi xtji, anda mie xi ibi nyamajch, sikuendajin kjandiera, tuxkia bajnd xtjiera yaka, kiyaka xi bejku tunga tuxkiabaka, tsikjeetsjenjn nga nindiba chichnra yajuna ki ngasundie.

Xi mijiennajin nga kite kuatsijiejnjn chin, kueyara kiuabitsjen ngats mie nga xin katiny xtjie xi fendu ki xifendujin.

Fig. 8. Papelgrafo del texto para las clases: Ntji.

Fig. 9. Representacin visual de la propuesta para separar la basura en orgnica e inorgnica.

Video: Ponencia_5

Audio: Ponencia_Comunidad Imaginada_2

Unidad didctica: Comunidades Invisibles

Mdulo textual: Texto para las clases: Mie xi miny kjandiera (La migracin).

Autores: Maestros Reynalda Cid Castillo, Rosaura Aguilar Garca, Juventino Rayn Chvez, Guadalupe Marn Ortega.

Fecha: Abril 28, 2012.

Lugar: Escuela de la zona 159, Mazatln Villa de Flores, Oaxaca, Mxico.

MIE XI MINY KJANDIERA

Tsa kuana sa kite kuejijn mie akjijan. Tua isa sunda mijienra tsikijien kisa nda sa katie tsajmintjie xi majchani kunia nijmi nijm, kaf, ndeji ku kisa. Nisi yaa nga ndachun kjandien nga nda majcha tsajmntji tuani xi nisinjinra s tjn kuinutsjiea anda tu timajchani ama nga tsen na ton jin. Nanguina. Kijkuani inde niyajin makjenr bientjie tsajm kui nga kite biejn kusin machunra bejana sa ngu ya tu axi kuien kuakuenda xinchjara xtundie, ku kuajkira ya nda kuejt kuaja tu.

Fig. 10. Papelgrafo del texto para las clases: Mie xi miny kjandiera.

Fig. 11. La comunidad hoy: la gente que se va de la comunidad vs. La comunidad imaginada: un pueblo en abundancia donde la gente se queda.

TSAMI XI MA CHINIE

(productos que se pueden comer)kulandro=cilantrondetutsie=borregondekafa=chapoquelitenim=aguacatenijma kutu=chicharonuchin nangui=chayacamotenutjsi=camotenutjs=camote amargoja kutu=canarionijm kjie =ayocote

NAXCartucho=AlcatrazNax teba=floripondio

XKA KJI (hierbas medicinales)susi=hierba buenanaxukjo=cempoalzuchilyandji=zauconax tujs=santa maraxijmanchji=estafiate

TSAJM XI M CHINIE

(productos que se pueden comer)ntsie yang=guaje verdentsie an=guaje rojochjii=tempequixtlenima xini=chinenenima kutu=aguacate paguanijmie=maznanda=nopalnachu an=tmalanachu b=chompanachu nd=sandiachjuti=jitomateja an=chiltepec

YA XI UN ND

(madera buena)yakja=caobayaxki=mexquiteyakakun=cedroyafa=nacaxtle

Tequio au Mexique, signifie un travail ralis gratuitement au bnfice de la communaut, en fonction de rgles de rciprocit en termes de services rendus, entre lindividu et le foyer et la socit locale qui apporte une compensation, sous forme daide aux travaux agricoles de la personne ou de la famille pour qui cest le tour de prendre cette responsabilit. Le travail administratif des universitaires enseignants-chercheurs, dans leurs dpartements et UFR, rappelle le tequio, dautant plus que, tout comme le tequio, ce systme de charges plus ou moins bnvoles et peu compenses, est tournant. Le tequio pedaggico est aussi le nom dun systme denseignement de la langue et des savoir-faire agricoles et socitaux par immersion, en cours dmergence dans un rseau dcoles des hautes terres mazatques, dans lEtat de Oaxaca. Les techniques que nous dcrivons ici ne sont pas spcifiquement celles que ce groupe local a dveloppes, mais plutt celles que nous leur avons propos dans le cadre dun tequio, entre linguistes et communauts rurales. Le prsent article voque lmergence de ces techniques dimmersion et dlaboration du corpus de la langue, aussi bien que des situations (au sens de Guy Debord) dapplication de cette mthode, avec un souci de recul critique et de distanciation. Nous remercions lIUF (Institut Universitaire de France) pour le financement des nombreuses missions ralises cette fin depuis 2010, ainsi que le Labex EFL (ANR CGI), Paris, axe 7, opration EM2, qui a fourni les ressources afin que les matriaux de 10 ateliers dlaboration de matriaux pdagogiques et dun atelier de grammaire ralis Huautla puissent tre intgralement transcrits par Karla Avils Janir Gonzalez le corpus reprsente un volume de prs de 300 pages associant transcriptions des textes et clichs en fac-simil des posters raliss par les locuteurs durant les ateliers. Depuis septembre 2013, il est prvu de mettre en ligne de ces transcriptions dateliers dcriture ou de formation: un premier essai de mise en ligne de ces documents a t tent rcemment, visible sur le lien HYPERLINK "http://axe7.labex-efl.org/node/73"http://axe7.labex-efl.org/node/73. Lannexe ci-aprs prsente un chantillon des donnes issues dun atelier Communauts Invisibles ralis Mazatln Villa de Flores (mazatec), par Fabio Petterino, anthropologue indpendant (Biella, Italie), dans une cole de la zone 159, du 28 avril 2012, Etat de Oaxaca, Mexique. Les textes de cette annexe ne sont pas tous traduits, et pour cause: lobjectif nest pas de produire de la documentation linguistique pour les linguistes, mais avant tout des matriaux pdagogiques pour les instituteurs bilingues, qui comprennent ces textes ou, quand ils ne les comprennent pas pour des raisons de codification ou de distance dialectale, seront davantage aids par lcoute de lenregistrement audio que par une traduction en espagnol, car le plus souvent les traductions que donnent les instituteurs sont trop stylises et scartent trop du texte mazatque pour aider la comprhension de la trame et du message du texte.

Depuis 2013 cependant, une quipe runie autour de Mario E. Chvez Pen (Instituto de Investigaciones Antropolgicas, Universidad Nacional Autnoma de Mxico), en partenariat avec lINALI (Instituto Nacional de Lenguas Indigenas, v. HYPERLINK "http://www.inali.gob.mx/"http://www.inali.gob.mx/) a entrepris de dvelopper un projet complmentaire denqutes dialectales dans la rgion mazatque, en partenariat avec le projet ALMaz. Les premires enqutes de ce projet devraient avoir lieu dans le courant de lanne 2013, avec une quipe de trois enquteurs mazatecs, originaires de Santa Mara Chilchotla, Jalapa de Daz et Mazatln Villa de Flores.

Cf. Lonard (2001, 2010a) au sujet de ces ateliers et de la mthodologie les mettant en uvre dans le cadre de lamnagement linguistique endogne.

Moral panic en anglais: concept du sociologue Stanley Cohen, nonc ds 1972, qui dsigne une tendance ragir de manire ostentatoire, disproportionne ou biaise par des intentions plus ou moins visibles en arrire-plan, un problme de socit. Dans ce cas prcis, la panique morale consiste avoir laiss durant dsormais prs de 70 ans voire davantage, car la fondation du SIL remonte 1934 ( Dallas, au Texas) la question des langues minoritaires du Tiers-Monde, aujourdhui souvent classifiables comme langues en danger, dans les mains dinstitutions rsolument orientes vers le proslytisme religieux, pour soudain, au tournant du 21e sicle, riger en question morale la documentation et la revitalisation de ces langues. Depuis cinquante ans, cette ngligence de la linguistique descriptive, cette rsignation devant le fatalisme de lassimilation des langues minoritaires non dfendues ni protges, est patente. En fera-t-on un jour lhistorique avec la distanciation ncessaire? A posteriori, il semble bien que la linguistique mondiale a consacr durant tout ce temps une masse de ressources disproportionne aux grandes langues et aux langues europennes vhiculaires, comparativement linvestissement ralis auprs des langues aujourdhui menaces. Le soudain regain de proccupation pour le sort de ces langues (cf. Hagge, 2000; Crystal, 2000; Nettle & Romaine, 2003), certes tout fait lgitime en soi, a donc quelque chose de dcal, sur le plan thique. Par ailleurs, le fait que des ressources financires importantes sont dsormais engages dans la mission de sauvetage laque de la dernire heure, aprs avoir dlgu cette tche aux missionnaires protestants du S.I.L. ou aux institutions indignistes ou (post)coloniales, doit galement tre pris en compte dans un examen critique de ce dcalage historique entre ncessits relles, de la part des populations intresses, et investissement rellement dsintress de la part des linguistes. De 1945 1989, pourquoi avoir tant investi ailleurs que dans la linguistique descriptive et applique, auprs des populations dont les langues sont aujourdhui en danger? Pourquoi avoir dlaiss ou nglig lamnagement linguistique hors des pays du premier monde? Une fois de plus, rappelons que les langues nexistent pas hors des socits et des individus qui les parlent: les langues en danger sont une des manifestations de lacclration de lchange ingal, qui na pas cess, mme aprs la fin des tutelles coloniales daprs la seconde guerre mondiale. Avec la mondialisation depuis les annes 1990, une vague ultrieure de nocolonisation a recouvert aussi bien les anciennes colonies ou priphries des mtropoles coloniales, mais aussi les pays de longue date indpendants, comme le Mexique.

Yona Friedman et sa thorie des utopies ralisables connaissent apparemment une renaissance sur internet. Entre multiples lments dinformation, dont divers chapitres de son livre les Utopies ralisables en libre accs, on trouvera les informations biographiques suivantes: Yona Friedman est n Budapest en 1923. Il vit et travaille Paris depuis 1948. Il a publi de nombreux livres, parmi lesquels : L'Architecture mobile (Casterman, 1970), Pour une architecture scientifique (Belfond, 1971), L'Univers erratique (PUF, 1994). Ses Utopies ralisables, publies pour la premire fois en 1975, ont t rdites aux ditions de l'clat en 2000, source: HYPERLINK "/tmp/Yon Friedman-Utopies ralisables/Utopies ralisables, Yona Friedman.htm"Yon Friedman-Utopies ralisables\Utopies ralisables, Yona Friedman.htm

Cf. aussi louvrage de Gilles Lapouge (1978) pour une vision largie et davantage pragmatique des utopies que ce quon entend gnralement par ce terme, aujourdhui fortement connot, en dpit de la riche trame historique du concept, laquelle il est toujours bon de revenir. La notion dutopie peut aussi tre entendue comme initiative de ragencement systmatique raisonn: par exemple pour Gilles Lapouge, un projet de classification biologique comme celui de Linn est une forme dutopie. Notre utopiste prfr reste indniablement Jonathan Swift, chez qui le personnage de Gulliver est un chercheur rflexif, pris au jeu de la rflexivit par les dcalages dchelle des socits quil rencontre, sans pour autant chercher les explorer: les informations lui proviennent du dialogue, en confiance avec les habitants du lieu, qui sont autant de figures davantage anamorphiques, sur le plan conceptuel, quallgoriques. A maintes reprises, Gulliver est dailleurs immerg dans le phonotope de ses htes, comme chez les Houyhnhnms huiN-Nm, pour un phonologue, avec N valant pour sonante nasale sourde , dont il apprend patiemment la langue, avec assiduit, afin de saisir par le dialogue luniversalisme de la culture qui soffre lui.

Par extension, on pourrait dire que lamnagement linguistique visant renverser ou contrecarrer la diglossie aboutit une rvaluation de la relation de pouvoir des langues en contact ou en conflit, tandis que lassimilation et lattrition sociolinguistique suivent la pente de la rsignation. Bien que, dans ce domaine comme dans tout autre domaine concernant les affaires humaines, il est toujours hasardeux de gnraliser.

La rfrence au modle sphrotopique de Peter Sloterdijk a t prcdemment esquisse dans Lonard (2009: 249), mais ce nest quici que nous avons pour la premire fois loccasion de larticuler avec une praxis bien dtermine, comme la pratique des ateliers dcriture et dlaboration de matriaux pdagogiques.

Nous reprenons notre compte la critique de la notion dethnie qua mene bien Jean-Loup Amselle(1990), en tant que concept colonial et aussi instrumental quinstrumentalis et instrumentalisable, outre son caractre arbitraire, essentialiste et rducteur. Outre la dynamique de mtissage et de branchements Amselle(2001), nous prfrons transcender les concepts aussi bien dethnie que de communaut par la mise en abyme multidimensionnelle de la socit que permet la notion de sphrotope ou de sphrotopie de Peter Sloterdijk.

Une fois de plus, avec toutes les rserves que lon peut mettre sur le terme ethno- et les connotations ethniques et ethnicisantes de ce compos, que nous nutilisons ici que comme raccourci.

Mthodologie inspir des Villes inivisibles, dItalo Calvino (1972).

Au sujet de cette association (Red EIBI ) et des ateliers qui y ont t organiss, ou auprs de la ENBIO (Escuela Normal bilinge e Intercultural de Oaxaca), v. quelques chantillons de productions sur le site de cette organisation : HYPERLINK "http://redeibi.wordpress.com/category/materiales-didacticos/"http://redeibi.wordpress.com/category/materiales-didacticos/.Voir au sujet de la mthodologie de ces ateliers le lien HYPERLINK "http://redeibi.files.wordpress.com/2010/05/proyecto_taller_cuentos_juliemccabegragnic_paris3_2010_esp.pdf"http://redeibi.files.wordpress.com/2010/05/proyecto_taller_cuentos_juliemccabegragnic_paris3_2010_esp.pdf

Ces concepts, issus de la thorie esthtique de Nelson Goodman (1996) ont dj t voqus rapidement plus haut, mais ce nest que maintenant quils trouvent une illustration concrte: la ralisation dune uvre consiste en sa production en tant quobjet dart, de discours ou de connaissance, tandis que son implmentation tient sa diffusion. Un peintre qui finit un tableau dans son atelier produit bien une ralisation, mais il ne limplmente quen lexposant, de mme un musicien ralise une uvre pour piano en la jouant, mais il limplmente en la produisant sur scne ou devant un public. Les ateliers dlaboration de matriaux pdagogiques en mazatec ou toute autre langue autochtone ralisent des projets pdagogiques, mais natteignent pleinement leur objectif que lorsquils sont implments dans le systme ducatif. Il y a douze ans, quand nous avons commenc organiser des ateliers de ce genre (Lonard, 2001), la ralisation importait plus que limplmentation. Cest maintenant linverse, et nous recherchons toutes les occasions de lier les deux phases, en organisant dsormais des ateliers dans les coles, avec les enfants et les jeunes ce fut le cas notamment en septembre 2011 dans linternat de San Antonio Eloxochitln. Limplmentation conforte ladquation non paternaliste la demande collective: elle montre les limites et les perspectives de la proposition technique.

De ce point de vue, linitiative dcrite dans Lonard (2010b) donne une ide concrte de ce que signifie un projet datlas linguistique participatif et matriciel damnagement linguistique: on y dcrit un atelier de dialectologie et de linguistique historique mazatque qui a dur deux jours, dans la Maison de la Culture Maria Sabina, Huautla, en aot 2010, avec la participation de 25 matres dcoles et promoteurs culturels. Ce stage a permis aux participants de se distancier vis--vis de la variation dialectale, en comparant les volutions phonologiques partir des tymons de Kirk (1966). La conclusion tait quune standardisation souple, tolrante envers la diversit, fonde sur des critres de codification phonmique, comme suggr dans la loi des alphabets de 1987 au Guatemala, tait possible. Il existe des conventions graphiques de grande valeur pour le mazatec, comme celle propose par Gregorio Regino (1993) mais le manque de pratique de lexamen de la variation, laide dune mthode, fait dfaut et dmotive encore trop souvent les usagers de la langue.

Une tudiante de doctorat sous la direction de JLL rencontra souvent cette demande, dans les annes 2009-2010, lors dateliers du mme type raliss avec des institutions dducation bilingue et interculturelle Oaxaca, au Mexique. JLL en revanche prend le parti danticiper systmatiquement sur cette question, et de parsemer lexpos prliminaire de la mthodologie de rfrences thoriques connues des matres dans leur cursus de formation lcole normale, notamment la pense du psychologue russe Lev Vygotsky, du reste compatible avec la dmarche de ces ateliers. Entre autres motifs vygotskiens, la notion de sortir le matre de sa zone de confort rejoint parfaitement lesprit de ces ateliers, qui bousculent les routines pdagogiques des matres bilingues. Limpratif de cadrage thorique de la part des participants trouve dailleurs sans doute l sa vritable motivation, et le seul fait de mentionner cette ide attribue Vygotsky produit un effet compensatoire, comme si parler du dsagrment cach permettait den rsorber les effets inconfortables.

Labsence dimplmentation des contenus et des acquis ou des documents raliss lors dun atelier nest pas pour autant un chec: que la mthode soit applique ou non en classe, que ces productions soient ou non publies sous forme de livre nest pas un drame, mme si ce sont autant doccasions manques de produire des construits didactiques bilingues et interculturels. Nous avons souvent constat que la diffusion des ides et le fait davoir sorti pendant un moment les protagonistes de leur zone de confort tait toujours un acquis sur le plan de lexprience pdagogique et de la relation la langue et la situation diglossique. En revanche, lannulation dun atelier sans motif exprim peut tre ressentie comme un chec, pour le chercheur et ses partenaires co-organisateurs. Dans ces cas-l, le calme est de rigueur: rien ne sert de se dsesprer ni de reprocher quoi que ce soit qui que ce soi