L'engagement dans les soins infirmiers : un enjeu de formation entre ...

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ÉCOLE DOCTORALE Laboratoire CIVIIC – EA 2657 Centre interdisciplinaire de recherche sur les valeurs, les idées, les identités et les compétences en éducation et formation. L’engagement dans les soins infirmiers : un enjeu de formation entre éthique et sens Thèse présentée par Véronique HABEREY-KNUSSI Pour l’obtention du grade de docteur ès Sciences de l’Éducation Thèse dirigée par : Monsieur Jean HOUSSAYE, Professeur des Universités, Rouen, Directeur Madame France JUTRAS, Professeur, Université de Sherbrooke, Co-directrice Soutenue en 2013

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    COLE DOCTORALE

    Laboratoire CIVIIC EA 2657

    Centre interdisciplinaire de recherche sur les valeurs, les ides, les identits et les comptences en ducation et formation.

    Lengagement dans les soins

    infirmiers : un enjeu de formation

    entre thique et sens

    Thse prsente par

    Vronique HABEREY-KNUSSI

    Pour lobtention du grade de docteur s Sciences de lducation

    Thse dirige par :

    Monsieur Jean HOUSSAYE,

    Professeur des Universits, Rouen, Directeur

    Madame France JUTRAS,

    Professeur, Universit de Sherbrooke, Co-directrice

    Soutenue en 2013

  • INTRODUCTION GNRALE

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  • INTRODUCTION GNRALE

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    VIVRE, CEST SENGAGER

    Albert Camus

    Nomie et Samuel,

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  • INTRODUCTION GNRALE

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    REMERCIEMENTS

    Mes premiers remerciements sadressent mon directeur de thse, le Professeur Jean

    HOUSSAYE, pour la confiance et la libert quil ma accordes durant ce long voyage

    de recherche et dcriture. Ses remarques toujours propos, ainsi que ses corrections

    trs prcises mont t dune grande aide.

    Un trs grand merci galement ma co-directrice de thse, Madame France JUTRAS,

    pour ses encouragements bienfaisants, les orientations et les conseils aviss quelle a

    pu me donner des moments cl.

    Mes remerciements vont galement :

    Aux chercheurs du laboratoire CIVIIC pour les multiples changes fructueux qui ont

    contribu toffer cette rflexion.

    lensemble des personnes, tudiants, enseignants et praticiens, qui mont accord

    leur confiance en acceptant de participer un entretien. Je leur suis tout

    particulirement reconnaissante pour leur franchise et leur implication.

    mon collgue et ami, Jean-Luc Heeb, pour sa relecture critique et ses conseils

    toujours trs prcieux, ainsi que pour toutes les discussions que nous avons pu avoir

    et qui ont contribu alimenter bon nombre de penses dveloppes dans ce travail.

    mes collgues de travail qui ont support mes absences et ont su mencourager

    dans les moments plus difficiles.

    Delphine Vantieghem pour sa rigueur et son professionnalisme dans la mise en

    page de ce document.

    Jexprime galement ma gratitude aux diffrentes personnes qui ont accept de faire

    partie de mon jury de thse.

    Un grand merci enfin toute ma famille, en particulier mon mari pour sa patience

    et son investissement dans lombre, ma maman et mes enfants pour leur

    comprhension et leur soutien.

    Cette liste nayant pas de prtention lexhaustivit, je tiens saluer toutes les

    personnes qui ont contribu, de prs ou de loin, la concrtisation de cette entreprise.

    Quils en soient ici trs chaleureusement remercis !

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    SIGLES ET ABRVIATIONS

    HES Haute cole Spcialise

    HEP Haute cole Pdagogique

    HES-SO Hautes coles Spcialises de Suisse Occidentale

    ASSC Assistant en soins et sant communautaire

    PF Praticien formateur

    ASI Association Suisse des Infirmires

    PEC Plan dtudes Bachelor (PEC : Plan dtude cadres), 2012.

    TB Travail de Bachelor (travail de fin dtudes)

    KFH Konferenz der Fachhochschulen

    (confrence des recteurs des Hautes coles Spcialises)

    ICUS Infirmire cheffe dunit de soins

    ICS Infirmire cheffe des soins

    Dans la partie des rsultats dentretiens les lettres sont comprendre comme suit :

    E : tudiant-e

    T : Enseignant-e (teacher)

    P : Praticien-ne formateur-trice

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    SOMMAIRE SIGLES ET ABRVIATIONS .............................................................................................. 6

    INTRODUCTION GNRALE ........................................................................................ 10

    PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE ...................................................... 15

    CHAPITRE 1 LES SOINS INFIRMIERS : DHIER AUJOURDHUI .................. 17

    CHAPITRE 2 - TRE SOIGNANT, UN DFI AU QUOTIDIEN ................................ 43

    CHAPITRE 3 DE LTHIQUE LTHIQUE DES SOINS INFIRMIERS............ 55

    CHAPITRE 4 - IDENTIT DU SOIGNANT ................................................................. 105

    CHAPITRE 5 - LA FORMATION EN SOINS INFIRMIERS .................................... 125

    DEUXIME PARTIE : CADRE DE RFRENCE SPCIFIQUE ............... 153

    CHAPITRE 6 : UN CONCEPT FAONN PAR LVOLUTION SOCITALE .... 157

    CHAPITRE 7 : LTHIQUE DE LENGAGEMENT : ENTRE LES SOINS ET LE

    MANAGEMENT ................................................................................................................ 169

    CHAPITRE 8 : LES CONCEPTS COROLLAIRES DE LENGAGEMENT ............. 179

    CHAPITRE 9 : VERS UN ENGAGEMENT RFLCHI.............................................. 199

    CHAPITRE 10 : DU PROBLME LA THSE ........................................................... 211

    TROISIME PARTIE : MTHODOLOGIE .................................................................. 227

    CHAPITRE 11 : DU MODLE AUX HYPOTHSES ................................................... 229

    CHAPITRE 12 : CADRE DE RFRENCE ET MTHODOLOGIQUE ................... 243

    CHAPITRE 13 : OPRATIONNALISATION ............................................................... 253

    CHAPITRE 14 : INSTRUMENTS UTILISS POUR LE RECUEIL DE DONNES261

    CHAPITRE 15 : TRAITEMENT DES INFORMATIONS ........................................... 269

    CHAPITRE 16 : ANALYSE DU CONTENU ................................................................. 275

    CHAPITRE 17 : VALIDIT DE LA RECHERCHE ...................................................... 289

    QUATRIME PARTIE : RSULTATS ET ANALYSES ................................. 293

    CHAPITRE 18 : RSULTATS DU QUESTIONNAIRE .............................................. 295

    CHAPITRE 19 : RSULTATS ET ANALYSE DU CORPUS DENTRETIENS ...... 305

    CHAPITRE 20 : RSULTATS DE LANALYSE LINAIRE ....................................... 425

    CHAPITRE 21 : SYNTHSE DES RSULTATS .......................................................... 461

    CHAPITRE 22 : DISCUSSION ........................................................................................ 487

    CONCLUSION GNRALE ............................................................................................ 525

    CINQUIME PARTIE : ANNEXES ........................................................................ 553

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    ANNEXE A : LISTE RCAPITULATIVE DES ANNEXES ........................................ 555

    ANNEXE B : BIBLIOGRAPHIE....................................................................................... 781

    ANNEXE B 1 : OUVRAGES GNRAUX ..................................................................... 827

    ANNEXE B 2 : ARTICLES ................................................................................................ 850

    ANNEXE B 3 : RESSOURCES INTERNET ................................................................... 859

    ANNEXE B 4 : TRAVAUX DE FORMATION ET DE RECHERCHES .................... 860

    ANNEXE B 5 : DOCUMENTS DE RFRENCES ....................................................... 861

    ANNEXE B 6 : CONFRENCES ...................................................................................... 862

    ANNEXE B 7 : PROGRAMMES INFORMATIQUES UTILISS ............................. 863

    ANNEXE C : TABLE DES MATIRES ........................................................................... 865

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    INTRODUCTION GNRALE

    L engagement infirmier cest ce don de

    toute notre personne (tudiante).

    Embrasser la profession infirmire, cest dj sengager

    et quand on sengage, on fait don de sa personne (Infirmier) .

    Dans le Rfrentiel europen des comptences infirmires on se contentera

    dvoquer la premire comptence qui sintitule : grer des ressources et

    connaissances professionnelle en vue de sengager dans un dveloppement

    professionnel (Annexe 6, p.7).

    Le nouveau programme dtudes cadres des tudes infirmires en Suisse

    mentionne, quant lui, propos des infirmires : elles/ils dmontrent un

    engagement envers les individus, la socit et l'environnement par une pratique

    respectueuse de lthique (Annexe 4, p.19).

    Quen est-il de la nature de cet engagement qui semble quasi consubstantiel aux

    soins infirmiers, si lon en croit ces citations ? Sagit-il dune rminiscence dune

    longue tradition religieuse dans laquelle la profession soignante est inscrite, ou bien

    cet engagement revt-il de nouvelles formes dexpression, rsultats de multiples

    volutions sociales, politiques et conomiques ?

    Au niveau des formation en soins infirmiers, on attend de ltudiante1, surtout

    en fin de formation, quelle se soit dveloppe selon les critres imposs par le

    rfrentiel de comptences, cest--dire quelle sache se positionner comme

    professionnelle, rflchir et agir comme telle. Ainsi, on sous-entend que ltudiante

    puisse sengager pleinement dans la profession ayant acquis des comptences, des

    capacits et une certaine identit professionnelle. Lexpression de ces acquis se

    manifestant dans le prendre soin du patient.

    Actuellement, de nombreux crits scientifiques retracent les difficults des

    soignants dans lexercice de leur profession. Face la charge de travail croissante,

    1 tant donn la prdominance du sexe fminin dans la profession infirmire, nous parlerons au genre fminin, tout en incluant la gente masculine.

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    aux contraintes administratives grandissantes et aux nouveaux modes de gestion,

    linfirmire doit toujours davantage limiter ce qui fonde en grande partie son identit,

    cest--dire son rle propre. Son engagement se limite de plus en plus lexcution

    dun rle prescrit, ce qui remet parfois en cause son thique personnelle et

    professionnelle, et, par l mme occasion le sens mme de son activit, comme

    fondement de son engagement.

    Lobjet de cette thse se veut dlibrment pluriel. Il sagit dabord de mieux

    cerner les diffrentes facettes de ce phnomne dengagement, en particulier dans sa

    dimension thique, mais galement de comprendre son rle dans la profession

    infirmire et didentifier les conditions favorables un accompagnement des

    tudiants et tudiantes dans la construction de leur engagement professionnel durant

    leur formation.

    Dans le but de rflchir aux diffrentes possibilits permettant le

    dveloppement de lengagement durant la formation en soins infirmiers, il nous a

    paru essentiel dexaminer, dans un premier temps, les diffrentes dimensions du

    contexte gnral dans lequel sincarne cette rflexion, avant daborder plus

    spcifiquement la notion dengagement elle-mme. La premire partie de la thse a

    donc comme objectif de cerner lhistoire et la nature du champ des soins infirmiers,

    les fondements thiques, moraux et dontologiques sur lesquels se fonde

    lengagement infirmier, ainsi que le cadre pdagogique, social et institutionnel dans

    lequel il sinscrit, avec la mise en vidence de son impact au niveau identitaire. La

    seconde partie, de nature conceptuelle, cible plus prcisment la notion

    dengagement cherchant, au travers de son inscription pistmologique, historique et

    sociale, mieux apprhender cette notion pour la mettre en dialogue avec les soins

    infirmiers et la dimension dengagement qui habite cette profession. Le

    dveloppement de ces fondements thoriques et contextuels nous a permis de

    dvelopper une problmatique cohrente, construite autour de la comprhension de

    lengagement professionnel et des modalits daccompagnement pdagogique que ce

    dernier requiert en vue de lexercice de la profession soignante.

    Prenant appui sur ces deux premires parties plus thoriques, nous avons

    labor un modle en vue de laccompagnement la construction de lengagement

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    professionnel en formation, la lumire des lments qui linfluencent. Cela nous a

    conduite poser les objectifs de recherche suivants :

    Mettre en vidence le rle central de lengagement de linfirmire en

    formation et sa dimension thique dans la relation lAutre, tout

    particulirement dans la relation cet Autre vulnrable qui est le

    bnficiaire de soin ;

    Examiner les concepts voisins qui permettent de mieux cerner la notion et

    qui pourraient tre mobiliss dans la construction dun enseignement sur le

    sujet ;

    Mettre en relief le bien-fond dun enseignement spcifique et structur sur

    le sujet de lthique de lengagement dans une perspective de

    dveloppement professionnel et personnel alliant construction de soi,

    rapport autrui et la profession, construction identitaire.

    Dans le but datteindre ces objectifs, nous avons ralis une petite enqute

    quantitative, sous la forme de questionnaires anonymes avec comme objectif

    dobtenir une premire vue densemble du phnomne. Cette phase a t suivie

    dune recherche qualitative constitue, quant elle, de quarante-quatre entretiens

    mens sur le mode semi-directif avec une vise hermneutique. Par cette seconde

    phase nous avions le souhait de pouvoir apprhender le sujet de faon la plus

    exhaustive possible en approfondissant la comprhension du phnomne. Les

    entretiens ont t analyss dans leur globalit de manire transversale selon la

    mthode de lanalyse thmatique, et pour six dentre eux, de manire linaire

    galement. Le dispositif de recherche labor a permis de cerner la pertinence dune

    rflexion et dun accompagnement la construction de lengagement. Les lments

    appropris, de mme que les imperfections et les manques prsents dans le modle

    propos ont ainsi pu tre mis en vidence et la rflexion sur ce schma approfondie.

    Les rsultats obtenus sont la base de nouvelles propositions de

    cheminements pdagogiques possibles, offrant la possibilit daccompagner

    ltudiante vers lapprivoisement de cette notion complexe mais essentielle sa

    future pratique professionnelle.

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  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

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    PREMIRE PARTIE :

    CADRE THORIQUE

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

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  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

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    CHAPITRE 1 LES SOINS INFIRMIERS : DHIER

    AUJOURDHUI

    1.1 La profession infirmire ou le rsultat dune longue

    histoire

    Les soins infirmiers sont reconnus aujourdhui comme profession. Ils ont gagn

    cette reconnaissance sociale au terme dune longue volution, marque par des

    influences importantes de lhistoire.

    Le terme infirmier, dans son origine premire se rfre lenfer, le lieu den bas,

    puis prend la connotation de mauvais, malsain avant de caractriser ceux qui

    soccupent des exclus, des enferms , puis des infirmes (Nadot, 2002).

    Les infirmires sont le point de rencontre entre la charit, la mdecine et lEtat-

    Providence. Jusquau XVIe sicle, les infirmires ne sont pas seulement dvoues aux

    malades mais aussi tous ceux qui sont dans la pauvret et la misre. Cest dans ce

    contexte que Foucault dcrit le grand enfermement (Foucault, 1972). Ce nest

    quaprs la rvolution que la mdecine entre enfin vritablement lhpital, crant

    par le mme coup une vision diffrente : celle de gurir une maladie organique

    prcise alors que les infirmires, prsentes jusque-l dans linstitution, avaient

    davantage comme objectif de soutenir et aider un malade dans sa dchance (Dubet,

    2002).

    Les soins infirmiers sont interdpendants de lvolution de la mdecine dont ils

    commencent seulement smanciper un tant soit peu.

    Pendant trs longtemps, linfirmire a occup un rle dexcutante auprs du

    mdecin. Celui-ci tait charg de diagnostiquer les pathologies, de dicter les soins

    appropris et ceux-ci taient ensuite appliqus par les infirmires.

    Florence Nightingale joua incontestablement un rle essentiel dans le dveloppement

    de la profession telle que nous la connaissons aujourdhui. Grce elle, les soins

    transitent peu peu du paradigme confessionnel vers le paradigme professionnel.

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    18

    Investie aux cts des soldats dans la guerre de Crime, elle reste marque par son

    service au chevet des soldats blesss, elle a pris conscience de la ncessit de

    structurer la profession infirmire. Son haut niveau dducation (avant de se former

    comme infirmire, son pre lui impose une premire formation de mathmaticienne

    et statisticienne), lui confre une reconnaissance et un respect particulier. Convaincue

    que lducation forme le caractre, elle enclenche alors de nombreuses rformes et

    restructurations. Ds le dpart, elle affirme la ncessit pour les soins de se doter

    dun fondement thorique solide. Elle mit un terme la vision trs rductrice de

    linfirmire dvoue corps et me, mais sans relle capacit de rflexion propre et

    concentra au contraire son nergie faire valoir une vision de linfirmire qui soit

    effectivement entrane donner des soins, mais qui soit galement, fait totalement

    nouveau, implique dans les rformes au niveau politique.

    Au mme moment que Nightingale met en place la structure ncessaire pour

    duquer les infirmires en Angleterre, Valrie de Gasparin uvre en Suisse. Elle

    considre le mouvement religieux comme une forme dinfantilisation des soignantes

    et cr, avec son poux, une cole laque le 20 juillet 1859 Lausanne : lcole La

    Source, la premire cole de soins infirmiers laque au monde. De par ses relations

    proches avec Henry Dunant, son cole sera trs inspire du service de sant des

    armes, la Croix-Rouge. (Nadot, 2002).

    Aprs Nightingale et De Gasparin, il faudra encore de nombreuses annes pour

    que linfirmire puisse parler ouvertement des soins. Nanmoins la brche est

    ouverte et son influence a ouvert la porte au dveloppement du concept de sant

    publique tel que nous le connaissons actuellement. Il y eut encore de nombreux

    vnements qui modifirent ce schme de la profession. Notons linfluence des

    diffrentes guerres, puis dans la seconde moiti du XXe sicle, les grandes avances

    mdicales, en termes de possibilits chirurgicales, techniques, mdicamenteuses,

    mais galement limpact des mouvements de libration fministes autant de

    facteurs indpendants mais qui ont chacun contribu modifier les soins dans une

    certaine mesure. Le dbut du XXe sicle a marqu le dbut de la professionnalisation

    mais aussi de lenseignement infirmier. Jusquau dbut du XXe sicle, on avait

    coutume de penser que les comptences ncessaires aux soignants taient plutt

    dordre moral : charitable, bon, dvou, obissant Lonie Chaptal insistait sur la

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    19

    ncessaire instruction technique des infirmires mais surtout sur leur formation

    morale comme le dmontrent les ouvrages de rfrence de cette poque.

    Au lendemain de la premire guerre mondiale, ltat du pays appauvri,

    exsangue, aux prises avec de graves difficults publiques telles que la tuberculose, les

    nombreux blesss, la misre contribue encourager la formation de cette nouvelle

    fonction sociale qui sincarne dans un vritable mtier de soin et daide aux

    ncessiteux : celui de linfirmire. cette poque encore

    le rle de l infirmire hospital ire est de servir le malade en veil lant

    constamment sur tout ce qui l entoure, et principalement en secondant

    assidment et docilement le mdecin Son rle est celui dune mre et

    dune sur (Duboys-Fresney & Perrin, 1996, p.19).

    Jusque-l les infirmires nont pas de reconnaissance statutaire. Le titre

    d Infirmire diplme dtat apparat en 1923. Le chemin vers la

    professionnalisation est entam mais la route est difficile pour se librer du modle

    charitable et religieux, mme si la seconde guerre mondiale aide les infirmires en

    montrant dune part leur capacit prendre des responsabilits et assumer leur

    devoir et dautre part, le caractre profondment utile de la profession (Dubet, 2002).

    Les infirmires deviennent des ambassadrices de lhygine publique et sociale.

    Le 7 juin 1925, lAssociation nationale des infirmires de ltat franais (ANIDEF)

    voit le jour.

    Aprs la seconde guerre mondiale, le processus de professionnalisation se met

    en place petit petit pour aboutir la fin du mme sicle lmergence de la

    discipline des soins infirmiers ainsi que dun corps professionnel. Le 15 juillet 1943

    une loi est promulgue qui rglemente la profession infirmire.

    Le Conseil international des Infirmires propose ds 1953 un Code de

    dontologie international.

    En Angleterre et en Amrique o cet hritage religieux est nettement moins fort,

    des avances dcisives se font par lintermdiaire dinfirmires thoriciennes

    inspires : Henderson, Peplau, Orem On ne comprend plus le soin comme une

    simple rponse la maladie mais comme un ensemble de mesures mettre en uvre

    dans une situation concrte. Il faut soigner le malade en tenant compte, avant tout,

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    20

    de son environnement et non pas seulement de sa maladie. Le concept de relation

    daide commence tre pris au srieux, soutenu par Virginia Henderson qui

    dmontre lintrt de prendre en compte cet aspect pour lquilibre et le processus de

    sant du patient. Hildegarde Peplau mettra un peu plus tard en vidence, le fait que

    la relation thrapeutique constitue un processus qui permet au patient de se

    dvelopper et de gurir sil est men avec comptence. Pour Dorothea Orem, il est

    indispensable au dveloppement de lautonomie du patient, tandis que pour Roy, la

    relation daide permet ladaptation du patient sa situation. Selon Martha Rogers,

    ltre humain est en devenir, il se construit peu peu et linfirmire joue un rle

    essentiel pour laider mobiliser des ressources quil nenvisage peut-tre pas encore

    mais qui vont laider dans ce mouvement dvolution.

    Linfirmire a encore un rle dexcutante mais ces nouvelles conceptions

    thoriques commencent linfluencer et elle gagne en responsabilit. Elle se dote de

    connaissances plus toffes quelle doit pouvoir mobiliser (Magnon, 2006).

    Le rle psychologique et moral des infirmires auprs des malades commence

    tre mieux pris en considration.

    Avec ladoption, en 1978, par lOrganisation Mondiale de la Sant de la

    dfinition dHenderson sur le rle propre, la profession infirmire connat un

    renouveau.

    Ce rle propre fait lobjet de toutes les discussions, recherches et controverses.

    Son unit est relativement difficile dans la mesure o il prend en compte le double

    hritage de la profession (le modle charitable et le modle mdico-technique). Il

    tente de concilier ce double hritage pour en faire un terrain spcifique.

    Lart vocationnel de la compassion et de lamour de lautre doit tre

    transform en activit rationnelle par la dmarche de qualit des soins

    et par la gestion de relations de travail complexes (Dubet, 2002, p.201).

    Les infirmires ne veulent tre ni des surs de charit affubles dune image

    dpinal pesante, ni des expertes scientifiques et encore moins de simples auxiliaires

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    21

    du monde mdical.

    Cette volution met un terme aux soins parcelliss et excuts, jusque-l, plus

    ou moins en srie. Cette nouvelle conception des soins place le patient au cur de

    lacte soignant et justifie la mise en place de la dmarche de soins, mthode

    scientifique de rsolution de problmes qui aide linfirmire analyser,

    comprendre, valuer les problmes du patient et mettre en place les actions

    adquates, en sengageant car pour pouvoir rsoudre efficacement un pr oblme,

    il faut simpliquer et croire ce que l on fait (Benner, 1995, p.189). ce

    moment-l, limportance de lcrit prend aussi une autre dimension et les soignants

    sont appels rdiger des dossiers comportant les indications ncessaires au bon

    suivi thrapeutique du patient.

    LAmrique du nord a t un pas plus loin, en confiant des responsabilits

    importantes aux infirmires, lgitimes par plusieurs tudes menes dans les annes

    1960-1975. Ces tudes dmontraient la capacit des infirmires prendre en charge

    certains domaines de manire autonome et elles obtinrent en consquence certaines

    responsabilits en termes de pose de diagnostics et de certaines autorisations de

    prescription, ce qui reste chez nous lapanage des seules sages-femmes.

    Le mouvement des rformes infirmires donne naissance, en France, deux

    mouvements qui semblent contradictoires. Lun conduit la spcialisation, pouss

    par le progrs dans les techniques mdicales, alors que lautre sintresse davantage

    au processus de sant.

    Les spcialisations en soins infirmiers dans les domaines des soins intensifs, de

    lanesthsie ou de la clinique, ont eu des impacts importants tant sur le versant

    ducatif des soins, que sur le versant de la pratique dans les systmes de sant.

    Laccent mis sur le processus de sant permet de faire valoir une nouvelle

    autonomie de linfirmire.

    En effet, avant les annes 70, les manuels utiliss dans les instituts de soins

    infirmiers, comportent des cours de morale sur les qualits humaines que les

    soignantes doivent possder et lobligation dagir selon ses principes moraux.

    Cependant le mouvement de mai 1968 va avoir des effets bnfiques sur la

    profession qui en profitera pour smanciper de ce carcan de religiosit qui va de pair

    avec la charit et la dvotion.

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    22

    Les infirmires reoivent un rle plus gratifiant de dlgu du mdecin et

    obtiennent laccs la ralisation des soins techniques. En 1972, linfirmire nest plus

    auxiliaire mdicale mais devient ducatrice de sant, restant cependant au service du

    mdecin.

    Cest en 1978 quapparat enfin ce que lon nomme aujourdhui le rle

    propre ou rle autonome de linfirmire et qui constitue le fondement de son

    identit professionnelle propre. Cette zone dautonomie joue en effet un rle crucial

    dans le dveloppement de lidentit professionnelle.

    Les soignants partent la recherche de leur vocation originelle, celle de soigner

    et prendre soin. Ce nest quen 1983 que ladjectif infirmier sera accept dans la

    langue franaise par le grand dictionnaire encyclopdique Larousse (Magnon, 2006,

    p.45).

    Le poids de cette longue histoire est perceptible encore aujourdhui dans la

    manire peu convaincante quont les infirmires de saffirmer.

    1.2 Nature des soins infirmiers

    Depuis plus dun sicle, les infirmires tentent de dfinir qui elles sont, en

    dlimitant leur discipline et en dcrivant leurs activits.

    La discipline infirmire, bien que professionnelle par vocation, dispose aussi

    dune volont de conceptualiser ce qui la caractrise, en laborant les connaissances

    et en explicitant les comptences ncessaires.

    Pour comprendre la nature des soins infirmiers, il est ncessaire de sarrter sur

    quatre concepts de base (Fawcett, 1984) qui prvalent dans la discipline infirmire et

    qui sont : lenvironnement, la sant, la personne et les soins. Ces quatre concepts

    taient dj sous-jacents dans les crits laisss par Florence Nightingale (Krouac et

    al., 2003, p.2).

    Par lenvironnement, on entend tout ce qui gravite autour de nous, lments

    physiques, psychologiques, sociaux ou spirituels qui nous influencent de faon

    directe ou indirecte, dans notre dveloppement, nos relations, nos comportements et

    peuvent, parfois, tre source de dsquilibre.

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    23

    En ce qui concerne la sant, la dfinition pose par lOMS est trs exigeante et se

    veut le reflet de la pense socitale qui la fonde. Dfinie comme un tat de

    complet bien-tre , la sant est donc en opposition totale avec la maladie qui lui

    porte atteinte et la trahit. La maladie reprsente ce flau combattre qui nous

    empche de grandir, de nous dvelopper et de nous panouir. Pour la combattre, il

    faut laide de la personne.

    Au cur du soin, la personne est conue comme un tre bio-psychosocial et

    spirituel en interaction constante avec son environnement, dote dune conscience,

    de certaines facults mais ncessitant laide dautres personnes dans des situations

    prcises.

    Cette aide peut tre apporte par les soins infirmiers, centrs sur la sant et

    visant rtablir lquilibre perdu avec celle-ci. On distinguera les soins de nursing,

    les soins de prvention, les soins dits aigus, cest--dire curatifs, les soins palliatifs et

    les soins de rhabilitation.

    Diffrents modles de soins infirmiers, enseigns aujourdhui encore, ont vu le

    jour dans les annes soixante-dix, proposant des approches trs diverses pour

    aborder les soins. Ce sont des modles trs riches qui ont permis de dvelopper

    grandement le rle propre et de faire merger une conception du soin qui influence

    encore aujourdhui notre comprhension de la profession. Ils restent nanmoins

    relativement complexes et intensifs dans leur utilisation.

    Ces quatre concepts de personne, sant, soins et environnement sont rests

    inchangs dans leur dfinition, mais leur comprhension a volu avec la

    comprhension des phnomnes au niveau socital, et sest modifie au rythme de

    diffrents paradigmes qui ont marqu la profession infirmire durant plus dun

    sicle.

    En effet, des thoriciennes de soins infirmiers, parmi lesquelles Collire,

    Henderson, Orem, Watson, Peplau et Parse pour nen citer que quelques-unes, ont

    mis en vidence diffrentes philosophies, et avec elles aussi diffrents paradigmes

    qui ont eu, et continuent davoir une influence notable sur la pratique infirmire

    (Krouac et al., 2003). Ces paradigmes influencent lactivit soignante sans mme que

    nous en soyons forcment toujours conscients. Ils voluent avec le temps et

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    24

    linteraction dautres disciplines.

    Ainsi les soins infirmiers ont tout dabord t marqus par le paradigme de la

    catgorisation, selon lequel il est possible de diffrencier des lments, de les classer

    et de trouver des causes ( certaines pathologies). La sant publique, avec son

    orientation sur la prvention ainsi que les pratiques mdicales sont largement bases

    sur ce paradigme.

    Dans ce contexte de catgorisation, nous retrouvons les quatre concepts cl avec

    une comprhension qui lui est lie. La personne est alors un ensemble que lon peut

    diviser en entits distinctes. Lenvironnement est extrieur la personne et on lui

    accorde surtout une influence ngative, la sant est extrmement prise et les soins

    sont orients vers la rsolution de problmes. Linfirmire tente de rsoudre les

    particularits qui gnrent la pathologie et le manque dautonomie du patient.

    Le paradigme qui suit est celui de lintgration qui, quant lui, se centre sur la

    personne. Selon cette conception, la personne nest plus considre pour ses parties

    mais comme formant un Tout, gal la somme de ses parties, avec des composantes

    biologiques, psychologiques, sociales et spirituelles. Lenvironnement nest plus

    seulement le contexte familial ou naturel, mais lensemble des vnements qui

    influent sur le patient (contexte politique, historique, culturel) et son impact nest

    plus forcment ngatif ni uniquement orient vers la personne, mais sexprime

    davantage dans la rciprocit. La sant nest plus un absolu mais un but idal vers

    lequel on doit tendre sans pour autant occulter la maladie avec laquelle on doit

    trouver un quilibre. Les soins visent alors maintenir cet quilibre, ils offrent la

    personne ce dont elle a besoin pour tendre vers lidal en exerant un rle de

    prvention, de conseil et accordent galement une attention toute particulire aux

    besoins relationnels et psychologiques.

    Les modles conceptuels sont largement inspirs de cette orientation centre sur

    la personne plutt que sur la pathologie.

    Krouac (2003, p.15), citant Gortner rappelle que dans les annes cinquante, la

    vocation premire des soins infirmiers relve encore de la charit et de

    laccompagnement.

    Aprs 1960, on sloigne de cette pense encore trs empreinte du pass

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    25

    religieux de la profession, pour sengager dans une volution et une amlioration des

    soins, en dveloppant le savoir spcifique aux soins (Gortner, 2000). Les conditions

    de travail voluent dans le mme temps et le personnel des hpitaux est de mieux en

    mieux form, ce qui permet la mise en place dun vritable travail en quipe, qui

    demeure certes encore orient vers la tche plus que vers la personne (Petitat, 1989).

    Il faudra attendre la fin des annes soixante-dix pour que le paradigme dintgration

    influence largement la pratique et que les soins se centrent davantage sur la personne.

    Cependant avec lvolution de la socit, les progrs de la mdecine et le

    vieillissement de la population, les soins voluent galement et ouvrent la porte au

    troisime paradigme, celui de la transformation. Vers la fin des annes soixante-dix

    et le dbut des annes quatre-vingt la configuration mondiale change. Les frontires

    souvrent entranant des changements trs importants dans le domaine socio-culturel.

    Cest alors la thorie des systmes qui prvaut, le monde tant considr comme un

    vaste systme dont les lments sont en interaction constante (Morin, 1990).

    Dans le paradigme de la transformation, le changement est peru

    comme perptuel : l interaction de phnomnes complexes est perue

    comme le point de dpart dune nouvelle dynamique encore plus

    complexe. Il sagit dun proces sus rciproque et simultan

    dinteraction (Krouac et al., 2003, p.20).

    Introduit par Rogers en 1970, ce paradigme inspire les thoriciennes les plus

    rcentes et modifie nouveau la comprhension des quatre concepts cl.

    La personne nest plus un Tout gal la somme de ses parties, mais suprieur

    celle-ci et unique dans sa manire dtre au monde et en relation avec celui-ci. Elle

    devient presque en symbiose avec lenvironnement qui, pour le coup, cesse dtre un

    lment fondamentalement extrieur, mais devient lunivers dans son ensemble avec

    lequel la personne est en constante interaction. La sant englobe prsent la

    personne mais aussi lenvironnement qui linfluence largement. On cherche la

    promotion du bien-tre, tout en essayant, lorsque la maladie survient, dy trouver un

    sens et de grandir au travers delle. Linfirmire cherche promouvoir cet tat

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    26

    dquilibre par le soin, en se centrant sur la personne, son rythme et ses besoins

    propres dans une relation marque par lthique et la sollicitude.

    Or ce dernier paradigme est aussi marqu par la perspective holiste qui veut

    que soient pris en compte, le corps, lme et lesprit. Cest dans cette vision que

    devraient sexercer les soins infirmiers aujourdhui.

    Dans leur pratique, les infirmiers et infirmires sont toujours influencs par lun

    de ces paradigmes. Toutefois les relations entre les diffrents concepts ainsi que la

    comprhension de ceux-ci divergent selon le paradigme retenu. Si nous ne prenons

    pas le temps de nous arrter pour rflchir ce qui nous influence, nous ne pouvons

    pas non plus prtendre exercer des soins rflchis et cohrents (Dallaire, 2008).

    Selon Krouac et al. (2003), il est possible de regrouper les conceptions de la

    discipline infirmire en six coles, en vertu de leurs bases philosophiques,

    scientifiques et leurs concepts cls. Il sagit des six coles suivantes : lcole des

    besoins, de linteraction, des effets souhaits, de la promotion de la sant, des

    patterns et du caring .

    noter que la notion de conception ne rfre pas forcment un modle

    conceptuel mais

    elle est considre ainsi pour la profession infirmire lorsquelle est

    complte et explicite. Une conception est complte et explicite quand la

    thoricienne a formul des noncs pour chacun des lments suivants :

    les postulats et les valeurs la base de la discipline ; le but du service

    infirmier ; le rle de linfirmire professionne lle ; la faon de considrer

    le bnficiaire du service; la source des difficults que peut rencontrer

    le bnficiaire ; la faon dont sont menes les interventions infirmires

    et les effets recherchs (Krouac et al., 2003, p.30).

    Ces modles conceptuels offrent une perspective dans laquelle peuvent se

    dvelopper et sinscrire de nouvelles connaissances utiles la pratique.

    Lcole des besoins a comme vocation de dfendre les besoins de la personne et

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    27

    de dcrire le rle infirmier en fonction de ceux-ci. Le but est lindpendance de la

    personne et pour se faire, linfirmire essaie de donner satisfaction aux besoins que la

    personne ne peut remplir par elle-mme. Lindpendance souhaite par Virginia

    Henderson au travers des besoins fondamentaux se trouve galement en ligne de

    mire avec le principe des auto-soins compenss de Dorothea Orem.

    Selon lcole de linteraction, le soin est un processus interactif entre

    une personne ayant besoin daide et une autre capable de la lui of frir.

    Afin dtre en mesure daider, l infirmire doit clarifier ses propres

    valeurs, simpliquer de faon thrapeutique et sengager dans le soin

    (Krouac et al., 2003, p.37).

    On retiendra lcole des effets souhaits qui recherche combler les besoins des

    patients par des effets cibls des soins infirmiers. Callista Roy a, par exemple,

    conceptualis ces effets autour de la notion dadaptation de la personne en

    interaction avec des impacts extrieurs : les stimuli. Dans cette ligne se dveloppe

    un courant de pense qui met en exergue lide de promotion de la sant.

    Les thoriciennes de lcole de la promotion de la sant mettent

    laccent sur lapprentissage de la sant, qui devient une nouvelle faon

    de vivre, dapprendre, de se dvelopper et dassumer des

    responsabilits (Krouac et al., 2003, p.43).

    Mais, lvolution continue et si la conception holistique du soin a gagn toutes

    ses lettres de noblesse, cest en grande partie grce aux thoriciennes de lcole des

    patterns. Cette cole a vu le jour sous le paradigme de la transformation et linfluence

    de la thorie des systmes est notable.

    Inspire par lide de Martha Rogers (1970) selon laquelle la sant et

    la maladie sont des expressions du processus de vie et ne sont ni

    opposes ni divises, Newman (1992, 1994) propose une thorie de la

    sant qui serait lexpansion de sa conscience. (Krouac et al., 2003, p.47).

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    28

    Selon cette perspective, lhomme se ralise et se dveloppe en sant. La maladie

    nest pas oppose la sant mais constitue un cheminement qui a pour but de

    lamener plus loin. Parse (1998) a repris cette ide du dveloppement humain sur un

    continuum sant-maladie en parlant de lhumain en devenir , en relation

    dialogique avec le monde.

    Une autre cole, proche de nous galement dans le temps, sintitule lcole du

    caring. Cette cole fonde sa pense sur lide que tout tre humain dispose lui-mme

    dun potentiel. Elles mettent laccent sur la spiritualit (Watson, 1997) et la culture

    (Leininger & Mc Farland, 2002).

    Selon la philosophie empreinte dhumanit (Human Caring) de Jean Watson, le

    soin est lexpression de lamour inconditionnel de soi et des autres ncessaire au

    dveloppement de lhumanit. Les soins infirmiers sont dvelopps sur cette base de

    la relation entre les hommes et entre lhomme et Dieu.

    Par des tudes approfondies de ces concepts, certains auteurs ont relev des

    notions trs similaires dans les diffrentes conceptions de soins. De cette lecture

    multiple, Krouac propose dextraire les traits principaux regroups sous ce quelle

    nomme le centre dintrt de la discipline infirmire (Krouac et al., 2003,

    p.75). Le soin ne se limite pas la seule gographie du corps malade mais englobe

    tout lunivers social, psychologique et spirituel du patient. Le soignant est avant tout

    dans une posture daccompagnement, do lintrt des quatre concepts de base :

    personne, sant, soin, environnement. Dj dans le terme de personne, il ne saurait

    tre uniquement fait rfrence lindividu malade mais bien davantage lindividu

    comme part constitutive dun ensemble ; quil sagisse de la famille, du groupe ou

    encore de la communaut. De la mme manire, lenvironnement comprend un

    champ personnel (psychologique, gntique), ainsi quun champ extrieur

    constitu du contexte social, politique, conomique, ducationnel Lexprience de

    sant sinscrit dans ces diffrents univers et part du simple problme pathologique

    pour souvrir de manire beaucoup plus large aux expriences de dveloppement et

    de croissance personnelle (Fawcett, 1995).

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    29

    Lpistmologie du savoir infirmier fait lobjet de nombreuses publications

    durant ces dernires annes. Le savoir, en tant que processus de construction sociale

    de la connaissance dans un domaine particulier, ici celui des soins, ncessite un

    approfondissement pour connatre la vritable nature du soin. Exprim par des

    actions professionnelles, il tente de rpondre la complexit des soins de notre

    socit.

    Carper (1978) considre comme lune des personnes phare des soins infirmiers

    a distingu quatre domaines dans le savoir infirmier : le savoir personnel, cest--dire

    la connaissance de la personne, de soi comme des autres, le savoir esthtique ou lart

    des soins avec la prcision du geste, le savoir thique, cest--dire la dimension de

    jugement dordre moral du savoir ainsi que le savoir empirique avec sa dimension

    scientifique dexploration et dexplication du monde.

    La pratique se centre sur le soin prodigu la personne qui, en

    interaction continue avec son environnement, vit des expriences de

    sant. Les caractrist iques inhrentes au soin, quant elles, dcrivent

    de manire succincte le comment de la pratique infirmire .

    Les caractristiques sont des notions importantes qui dcrivent la

    nature des soins infirmiers et qui sont lies leur caractre

    fondamental (Carper, 1978, p.88).

    Le tableau qui suit prsente ces caractristiques de manire plus dtaille.

    TABLEAU 01 : LES CARACTRISTIQUES DU SOIN (KROUAC ET AL. 2003)

    Caractristique

    du soin Action infirmire

    Place et rle du

    patient

    Caract. 1 linfirmire fait preuve dun engagement personnel et professionnel lgard du patient

    Le caractre profondment humain de la personne soigne est reconnu, quel que soit son tat

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    30

    Caractristique

    du soin Action infirmire

    Place et rle du

    patient

    Caract. 2 Linfirmire rencontre le patient en toute authenticit, en respectant sa dignit et donc ses valeurs

    La personne est reconnue dans son autonomie de pense

    Caract. 3 Linfirmire soutient et valorise les capacits et ressources propres la personne

    Le dveloppement personnel du patient est favoris au travers de son exprience face la maladie

    Caract. 4 Linfirmire dveloppe un savoir et des connaissances spcifiques la discipline infirmire. Elle sappuie sur la vision holistique et humaniste du soin et de la personne

    Caract. 5 Linfirmire a recourt dautres disciplines et dautres savoirs orientent son action qui enrichissent les soins : physique, statistique, psychologie. Les soins infirmiers se trouvent lintersection de trs nombreuses disciplines dont ils sinspirent et se nourrissent

    Caract. 6 Linfirmire dispose dun savoir pratique sur les possibilits daction et dintervention dans des contextes de soins multiples

    Caract. 7 Linfirmire se laisse interpeller par la situation particulire du patient quelle soigne avec authenticit

    la personne se sent soutenue et peut donc mieux simpliquer dans un choix thrapeutique

    Caract. 8 Linfirmire assure le dveloppement de ses comptences en ayant un esprit dinnovation tant dans les techniques de soin que dans la prise en charge en gnral

    Caract. 9 Linfirmire dveloppe la pense sur sa discipline de faon continue car celle-ci va orienter sa manire denvisager le soin au travers des valeurs et des convictions quelle vhicule

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    31

    Les diffrents modles qui ont t proposs par les thoriciennes mettent tous

    laccent sur limportance de considrer la personne soigne comme un tout dans son

    environnement bio-psycho-social et spirituel et cette conception se retrouve bien

    dans les caractristiques de la pratique infirmire prsentes ci-dessus.

    Le recueil de donnes soutient le projet thrapeutique et doit donc pouvoir

    sappuyer sur cette mme conception holiste, en faisant rfrence des modles

    conceptuels, permettant ainsi dapporter des rponses la complexit des situations

    de soins.

    Idalement, le plan de soin est ensuite labor avec le patient lui-mme et

    demande tre constamment revisit, rvalu et rajust pour que les actions

    infirmires qui en dcoule soient adquates.

    Ces actions sont structures partir dune dmarche de soins concrte et

    spcifique, organise partir dun processus rflchi qui soriente la fois sur les

    fondements conceptuels prcits et sur le principe de rsolution de problme

    permettant de proposer les interventions appropries.

    Lactivit infirmire nest pas inne, elle ncessite savoir et rflexion et son

    impact sur la vie des personnes peut tre extrmement grand. Les diffrents modles

    infirmiers qui ont t proposs mettent tous laccent sur la globalit de la prise en

    charge. Cela vient du constat, fait maintes reprises, de la ngation de dimensions

    essentielles qui chappaient aux soignants. lre de la technicit, cest avant tout la

    dimension compassionnelle qui a t nglige.

    Le processus de rflexion et danalyse permet linfirmire de mieux prendre

    conscience de ces dimensions plus discrtes, de se perfectionner et davancer pas

    aprs pas dans lexpertise de sa profession. Lanalyse critique et le jugement clinique

    sont trs fortement lis et font appel la dimension cognitive du soin et aux capacits

    rflexives des infirmires (Marchal & Psiuk, 2002). Engage dans un processus

    rflexif, la dmarche de soins exige du soignant davoir des connaissances diverses

    importantes ; des comptences techniques, relationnelles, de rflexion et danalyse.

    Etre capable daccompagner une personne dans son cheminement suppose une

    facult de jugement et danalyse qui permet de reprer dans quelle phase se situe

    cette personne et didentifier ses besoins. Mettre en uvre une capacit danalyse,

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    32

    cest mettre en uvre un jugement qui permet de faire le chemin entre le

    pourquoi et le comment dune situation. Cette action de jugement que lon

    porte sur une situation et les personnes qui la composent, met en scne notre propre

    rapport au monde et interpelle nos valeurs.

    Lune des tapes importantes dans ce processus a t llaboration du diagnostic

    infirmier, officialis dans la lgislation franaise en 1993 et qui constitue

    () lnonc dun jugement cl inique port sur la rponse dun

    individu, dune famille ou dun groupe face lattention relle ou

    potentielle dun tat de sant ou dune situation de vie. Il sert de base

    aux prescriptions dont linfirmire est responsable (Jouteau-Neves,

    2005, p.34).

    Il sagit dun processus de pense bas sur une approche systmatique

    qui conduit au geste, aux actions infirmires. Cest un rel concept

    organisateur qui influence lensemble de notre pratique infirmire. La

    dmarche de soin devient alors la toile de fond du processus diagnostique

    inscrit au cur mme de notre fonction indpendante (Jouteau-Neves, 2005,

    p.35).

    Pourtant dans le contexte de crise conomique actuel, laction est souvent

    privilgie au dpens de la rflexion (Jouteau-Neves et al. 2005, p.11) et

    limportance est souvent accorde en premier lieu aux interventions infirmires

    visibles et valuables, tant en France quen Suisse. Le risque que lon voit poindre est

    de rejeter ces thories de soin souvent considres comme chronophages ou de se les

    approprier de faon parcellaire et restrictive, sans prendre le temps de comprendre le

    contexte mme de la thorie. Un exemple de cette extraction parcellaire rside dans

    lemploi de la thorie de Virginia Henderson. Alors que cette thorie est pense dans

    une approche holistique et globale de la personne, elle est bien souvent rduite la

    simple expression dune grille selon laquelle sont dclins les quatorze besoins de la

    personne. la frustration des professionnels succde alors parfois le sentiment de

    culpabilit.

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    33

    1.3 Une profession en mutation

    Les caractristiques nommes ci-dessus dmontrent le haut niveau dexigences,

    vastes et diversifies, requises pour lexercice infirmier. Outre ses comptences

    techniques, on attend de linfirmire quelle sache rencontrer le patient avec

    authenticit et compassion. Non pas une compassion de style, mais cette compassion

    qui nat de la pleine considration de lautre personne, digne de cette considration

    par le seul fait quelle est une personne humaine (Lvinas, 1998).

    En le reconnaissant comme sujet de droit, la socit a permis au patient de

    devenir aussi acteur du soin. Le soignant nest plus l pour excuter sa place, mais

    se doit de lintgrer dans une dmarche de prise en charge de sa pathologie. Les rles

    changent et linfirmire devient la personne qui accompagne le patient dans ce

    dveloppement face la maladie. Cest pourquoi elle revendique un rle propre qui

    nest plus sous contrle du mdecin, mais qui lui appartient en vertu de la relation

    quelle peut tablir avec son patient. En faisant ce choix, linfirmire va se trouver

    confronte de nouveaux champs de tension thiques dans lesquels elle va devoir se

    positionner.

    Les soins techniques et de nursing sont le vecteur dune relation entre

    linfirmire et son patient. Ce sont eux qui vont lui confrer une dimension toute

    particulire, teinte dhumanit.

    Linfirmire ne peut se contenter de les excuter la manire dun automate. Ils

    engagent la fois sa responsabilit mais demandent galement la mise en uvre de

    capacits et de comptences complexes, telles la crativit, la capacit de ngociation,

    de dfenseur des droits du patient et autre capacits relationnelles qui sont les

    lments mmes constituant le rle propre.

    La soignante doit tre pertinente dans sa pratique, matriser ses techniques mais

    tre adquate aussi sur le plan relationnel. Tout en faisant preuve dempathie, elle

    nen doit pas moins matriser toutes les connaissances, trs exhaustives, qui gravitent

    autour de sa profession pour pouvoir reprer des symptmes anormaux ou une

    anomalie, donner les explications ncessaires aux patients et prendre des dcisions

    avec rapidit et efficacit. Ce ne sont l que quelques exemples de cette prise en soin

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    34

    globale transmise aux tudiants. Toutes les dimensions de la personne soigne

    doivent tre prises en compte : les dimensions biologiques, psychologiques, sociales

    et culturelles. Lambition est grande mais la pratique rappelle lordre avec ses

    contingences. La profession infirmire se dveloppe, par ailleurs, de manire

    conjointe dautres mtiers du paramdical avec lesquels elle doit apprendre

    composer pour travailler selon ce terme fort prsent dinterdisciplinarit ou, tout du

    moins, de pluridisciplinarit.

    Dans le domaine des soins infirmiers complexit des connaissances en ne peut

    tre apprhende que si lon reconnat un lien intrinsque aux aspects thoriques et

    pratiques, aux aspects techniques et relationnels. tablir une dichotomie entre les

    deux revient enlever une partie de la substance vitale des soins infirmiers.

    Si lon se rjouit des volutions qua connues la profession infirmire au fil du

    temps, on ne peut pour autant nier linfluence de cet hritage du pass quelle porte

    avec elle et qui limprgne encore largement.

    Dans les deux dernires dcennies, le rle infirmier a beaucoup chang. Les

    infirmires bnficient des nouvelles connaissances, notamment en anthropologie,

    sociologie, conomie et tendent devenir des ducatrices de sant, des prestataires

    de service, non plus de patients mais de clients comme les nomme la nouvelle

    terminologie, dans le but daider ces derniers retrouver rapidement, la plus grande

    autonomie possible.

    Le dcret de comptences de 2002 en France est le rsultat de toutes ces

    volutions.

    La finalit des soins est reconnue travers cinq missions essentielles larticle 2

    du Dcret de comptences relatif lexercice des soins infirmiers (Annexe 2).

    protger, maintenir, restaurer et promouvoir la sant physique et

    mentale des personnes ou lautonomie de leurs fonctions vitales

    physiques et psychiques, en vue de favoriser leur maintien, leur insertion

    ou leur rinsertion dans leur cadre de vie familial ou social ;

    concourir la mise en place de mthodes et au recueil des informations

    utiles aux autres professionnels, et notamment aux mdecins pour poser

    leur diagnostic et valuer leffet de leur prescription ;

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    35

    participer lvaluation du degr de dpendance des personnes ;

    contribuer la mise en uvre des traitements en participant la

    surveillance clinique et lapplication des prescriptions mdicales

    contenues, le cas chant, dans des protocoles tablis linitiative du ou

    des mdecins prescripteurs ;

    participer la prvention, lvaluation et au soulagement de la douleur

    et de la dtresse physique et psychique des personnes, particulirement

    en fin de vie et au moyen des soins palliatifs, et daccompagner en tant

    que de besoin, leur entourage.

    Dans une vise damlioration de la pratique soignante, les soins infirmiers

    tentent de se structurer de faon mthodique. La France et la Suisse sorientent

    beaucoup, en la matire, sur les avances des soins infirmiers dOutre-Atlantique qui

    affichent dj un savoir et une pratique des soins beaucoup plus structurs.

    Le dveloppement du rle propre infirmier aide la profession sortir de cet

    hritage passiste en dmontrant limportance et le bien-fond dune action

    strictement infirmire et non plus infode une discipline quelconque et en

    particulier la mdecine. Ainsi, depuis quelques annes les soins infirmiers se

    dveloppent dans diverses dimensions toutes trs exigeantes, tels que lexercice

    dune relation thrapeutique, lenseignement au patient et ses proches, la mdiation

    psychologique et spirituelle, le conseil et linformation cible, ainsi que la dimension

    plus maternelle du care mise en tension avec le professionnalisme (Apesoa-Varano,

    2007). Le care reprsente cette forme de sollicitude qui exprime lacte de prendre

    soin, mais dans le but daider lautre grandir, optimiser son potentiel de russite

    face la maladie dans une forme dempowerment , donner un sens son

    exprience Cela suppose dapprhender lhistoire de la personne qui nous est

    confie, pour la conseiller et laccompagner dans la ralisation de ses objectifs.

    Dallaire souligne que linfirmire doit sengager de manire intense, cet engagement

    tant facteur de croissance la fois pour elle et la personne avec q ui elle

    interagit (Dallaire, 2008, p.89). Il sagit dune attente trs louable qui sappuie sur

    une conception humaniste et holiste de la personne, de lenvironnement et du soin,

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    36

    mais qui fait galement peser une importante responsabilit sur les paules des

    tudiantes, puis des soignantes. Certes, sous certains angles, linfirmire ne

    parviendra satisfaire ces exigences quaprs plusieurs annes dexercice fondant

    son expertise (Benner, 1995), mais ltudiante doit dj tre capable den comprendre

    le sens et de poser les prmisses dune telle prise en charge. La hausse des exigences

    en termes de rflexion et danalyse entrane des rpercussions sur les tudiantes. Elle

    est lie une responsabilit toujours plus importante dans la pratique

    professionnelle. Mais, cette responsabilit son tour ne saurait tre actualise comme

    un programme moral, mme dans la dimension libratrice que dfend Kant. La

    responsabilit doit trouver corps dans lexpression que le sujet fait de ses choix.

    Au niveau de lthique professionnelle, cela signifie que quelles que

    soient ses conceptions et reprsentations professionnelles, l infirmire

    digne de ce nom sera celle et seulement celle dont la posture, laction,

    la qualit relationnelle, les gestes quotidiens corrobore nt ces

    reprsentations et ces conceptions (Schindelholz, 2006, p.59).

    Pourtant, dans la ralit linfirmire est frquemment soumise des tensions

    entre son idal professionnel, ses convictions de ce que devrait tre le soin, et les

    exigences qui lui incombent en termes de charge de travail et de responsabilit.

    Un autre phnomne va engager une plus grande responsabilit des infirmires

    et jouer un rle sur le dveloppement de la profession : il sagit de la modification en

    profondeur de la socit avec toutes ses rpercussions. De mme que les

    professionnels du secteur social reconnaissent quils doivent toujours davantage tre

    dans le registre du soin (Dubreuil, 2009), de mme les infirmires doivent de plus en

    plus frquemment jouer un rle social. Lexclusion sociale et la marginalisation sont

    des phnomnes toujours plus courants. En rappelant que la sant considre par

    rapport la norme est un tat inluctablement prcaire , Canguilhem nous

    rappelle que la maladie est avant tout une preuve existentielle vcue dans une

    vulnrabilit individuelle, qui nest autre que lexpression ontologique de la prcarit

    humaine (Canguilhem, 2005, p.155). Chaque patient doit tre soign et rencontr

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    37

    comme personne humaine bien entendu, mais galement comme individu ayant part

    dans la socit. Il ne suffit pas de sauver les personnes au bord du gouffre. Il faut

    confronter la cause de cet tat. Cela fait partie du traitement avec le reste (Tschudin,

    1999, p.32). Cela sous-entend que le champ dintervention de linfirmire sest

    largement agrandi. Elle nest plus confine aux seuls murs de linstitution

    hospitalire mais il lui est demand de jouer un rle pivot avec les services sociaux,

    avec les aides la prise en charge extra-hospitalire et plus largement tre actrice

    dans des domaines comme la prvention et la protection sociale.

    La dernire dcennie a contribu solidifier le processus de

    professionnalisation dj amorc la fin du sicle prcdent. Les infirmires

    commencent prendre conscience de leurs limites, de leurs droits, du droit

    dexprimer leurs limites, du danger de les outrepasser (agressivit verbale ou

    physique, dpression, burnout), de leur responsabilit, du pouvoir et de lautorit

    quelles exercent sur le patient

    Cependant il y a chez bon nombre de ces infirmires un sentiment dinfriorit

    encore marqu. Elles se dvalorisent facilement au lieu de saffirmer, ce qui contribue

    nourrir leur frustration (Magnon, 2006). De fait, elles ont de la peine se dfaire de

    cette soumission scurisante que procurait le corps mdical et assumer leur

    autonomie, essentielle lexercice de leur rle propre, phnomne renforc encore

    par les politiques de restriction budgtaire accompagnes de nouvelles formes de

    management davantage centres sur lacte. Cest lentier dun dfi qui souvre devant

    elles celui dun engagement soucieux du patient sans pour autant tre

    renoncement de soi.

    Or, comment pouvoir, dans un mme temps, affirmer cette autonomie et ce

    champ dactivit propre, quand la logique des lieux de pratique se veut une logique

    de laction et du rendement ?

    1.4 tat des lieux aujourdhui

    Ce dfi sinscrit aussi dans une volution de la formation qui continue son

    dveloppement et prend de nouvelles tournures. En effet, en Suisse, linstar de nos

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    38

    voisins europens, la formation des infirmires sest vue autorise lentre au degr

    tertiaire universitaire. Les HES (Hautes coles Spcialises) ont pris le relais des

    coles de soins infirmiers traditionnelles.

    La profession sen trouve ainsi valorise. Elle est davantage prsente sur la

    scne politique et dans les dbats socitaux. Nanmoins, corrlativement cette

    nouvelle position, les exigences son endroit ont t revues la hausse. Les attentes

    en termes de responsabilit, dengagement, de qualit des soins rpondant des

    normes prcises, de capacit danalyse et de positionnement sont maintenant plus

    leves que jamais. Ces exigences ne sont pas sans rpercussions sur les tudiantes et

    sur la manire dont leur identit professionnelle va se construire. Selon le rfrentiel

    des comptences HES version 2004 (Annexe 3), les soignants comptents sont ceux

    qui, face des situations complexes, font preuve de rflexivit, dans la conscience de

    leurs intentions et de leur pouvoir sur lAutre. Ici la comptence sancre par

    consquent sur le jugement clinique, lanalyse critique, la rflexion sur ses actes ou

    encore la prise de responsabilit qui sont, comme nous lavons vu, des lments

    fondamentaux de la profession infirmire. Ceux-ci nanmoins ne sauraient se

    soustraire un questionnement et une rflexion thique puisque, nous lavons vu

    plus haut, les valeurs qui fondent notre conception du monde, notre regard sur nos

    semblables et notre comprhension du soin, sont des dterminants majeurs dans la

    manire dont nous allons trouver un sens dans notre activit.

    Si la profession comporte donc des aspects complexes de par sa nature mme, la

    difficult se trouve encore majore par la situation actuelle et le peu de valorisation

    des infirmires. Lactuelle profession soignante est fortement mise lpreuve. La

    situation conomique difficile qui saccompagne, depuis quelques annes, de

    mesures de restrictions budgtaires et de rduction de personnel, rendent lexercice

    de la profession plus ardu que par le pass. Bien souvent, ce sont des lments

    relevant de lhumain et de sa dignit qui sont montrs du doigt comme tant mis

    mal par les contraintes institutionnelles et conomiques. Linfirmire doit faire

    preuve de beaucoup dadaptation pour parvenir exercer sa profession au plus

    proche de ses convictions et des standards de bonnes pratiques, tout en tenant

    compte des contraintes qui lui sont imposes. Le terme de care nest pas arriv par

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    39

    hasard dans la profession, mais reprsente bien la conscience dun manque.

    Les professionnels du caring ou du prendre soin souffrent dun manque de

    reconnaissance en regard de la pnibilit de leurs tches, quelles soient physiques

    et/ou psychologiques. Ces professions sont caractrises par des activits peu

    valorises et un travail peu visible, qui se doivent dtre doubls dempathie, de

    gentillesse et conduisent, trs souvent lusure, limpatience, voire au dgot. Il

    sagit l de manifestations qui peuvent avoir des rpercussions sur lquilibre

    psychologique des personnes actrices. Au dbut des annes soixante-dix,

    Freudenberger puis dautres chercheurs aprs lui, dmontre que les professions fort

    engagement personnel dans la relation et le soin de lautre, sont particulirement

    susceptibles de conduire des tats pathologiques tel que le burnout ou la

    dpression (Freudenberger, 1987; Maslach, 1982).

    Le quotidien du soignant est parfois frustrant. Que ce soit par le dfaut de

    reconnaissance, accentu encore par la frustration dune valorisation sociale quasi

    inexistante dont elle fait lobjet, par le regard des mdecins parfois encore empreint

    dune supriorit toute patriarcale, ou encore par les attitudes des patients eux-

    mmes, frquemment frustrs de devoir se confronter de longues files dattente,

    des soins rapides, des erreurs et autres inconvnients, linfirmire se retrouve

    frquemment dans une position peu enviable.

    Or, en considrant le vieillissement de nos populations et les besoins toujours

    plus importants en personnel soignant, le phnomne ne risque gure daller en

    samenuisant.

    Lexprience montre que les soignants peuvent accomplir une tche importante

    et conserver un quilibre, ds lors quils bnficient despaces dchanges, de lieux o

    ils se rencontrent entre eux et librent leurs motions, leur vcu, leur agressivit sous

    forme de discours cyniques par exemple Le plus souvent, les soignants arrivent,

    par le collectif, retrouver un sens tel ou tel soin et reconstruisent ensemble la

    sympathie parfois vapore envers un patient. Ceux qui ne sont pas autant impliqus

    dans la situation aident les autres prendre du recul. Or ces moments tendent

    disparaitre avec la surcharge de travail, alors que cest justement dans cette situation

    quils seraient le plus ncessaires.

    Le manque de temps freine les lieux dexpression mais il freine galement la

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    40

    prise en charge selon les idaux que lon peut se forger durant la formation en cole.

    En effet, que lon examine de prs lune ou lautre des thories de soins, force est de

    constater bien vite quelles sont trs exhaustives, mais par l-mme aussi exigeantes

    en terme de temps.

    Hesbeen (2002) met en garde contre la tendance, dj prsente dans bien des

    secteurs, de faire du mtier de soignant un mtier de technicien spcialis, au service

    de la technique et dun patient devenu pour un temps objet de soin. Les thories

    de soins ne sauraient se rsumer une forme de modle prt--penser que lon

    rchaufferait en quelques minutes pour une utilisation immdiate. La dynamique

    relationnelle nentre pas dans ce genre de schma. Ltablissement dune relation de

    confiance ne se ralise pas toujours de manire trs rapide ni trs spontane, mais

    demande du temps et un investissement personnel parfois consquent.

    Est-ce bien en cohrence avec la ralit du monde infirmier daujourdhui ?

    Comment permettre ladquation entre les contraintes du terrain et les lments

    ncessaire la prise en charge idale ?

    Comment lengagement des soignants, tel quil est sollicit aujourdhui par des

    thories comme celles de Marchal et Psiuk (2002), est-il rendu possible en regard des

    ressources dont ces professionnels disposent rellement ?

    Si on doit aux thories de soins une reconnaissance particulire pour laccent

    quelles ont su mettre sur la notion de jugement clinique et la mise en valeur du rle

    propre, il faut nanmoins souligner que leur utilisation dans la ralit du quotidien

    ne peut se faire que de faon trs cible. En effet, le diagnostic infirmier manant de

    ce jugement clinique, devrait donner lieu une valuation continue des problmes

    prioritaires, effectifs ou possibles, des patients. Les oprations mentales mises en

    uvre pour raliser cette valuation, sont complexes et chronophages. Depuis

    lobservation, jusqu lorganisation des solutions apporter, en passant par la

    conceptualisation et la mise en uvre, linfirmire doit dmontrer sa capacit de

    dcentration, dorganisation des connaissances et de leur application, ainsi quun bon

    processus de rflexion. Le tout est assum par sa responsabilit (Krouac, 2010).

    Une application uniforme et gnralise de ces modles paratrait dangereuse

    car incompatible avec la ralit soignante. En revanche, la rfrence ces concepts

    dans la dmarche danalyse constante de linfirmire et lutilisation des thories

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    41

    comme socle conceptuel sa rflexion, ne peuvent qutre bnfiques la mise en

    uvre de ses multiples responsabilits.

    Ces responsabilits sont dautant plus grandes et plus lourdes porter quelles

    sexpriment dans un contexte hospitalier lui aussi en pleine mutation. Lhpital doit

    faire face des phnomnes nouveaux tels que le vieillissement de la population, le

    nombre croissant des maladies chroniques, la marginalisation moins cache et plus

    prsente dans les structures sociales, une dfinition de la sant extrmement large,

    lexplosion des cots en lien avec les progrs de la mdecine et des moyens

    diagnostiques et prdictifs La profession soignante est, en outre, caractrise par

    un travail fortement pluridisciplinaire. Cette profession se trouve lintersection de

    plusieurs autres champs disciplinaires. Elle-mme se veut transdisciplinaire, dans le

    sens o elle est aux prises avec des problmes manant tout aussi bien de la socit,

    de lenvironnement que de lconomie, pour nen citer que quelques-uns. Pour

    autant la profession infirmire ne doit pas renoncer son identit professionnelle,

    bien au contraire

    une conception claire de lidentit disciplinaire et professionnelle est

    incontournable pour tracer clairement les limites de son champ de

    comptence, de mme que pour occuper tout lespace professionnel

    possible dans un esprit de collaboration . (Dallaire, 2008, p.12).

    Bouscule par le cours de lhistoire, lidentit infirmire peine saffirmer et le

    contexte professionnel actuel nest pas pour favoriser sa structuration et sa stabilit.

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    42

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    43

    CHAPITRE 2 - TRE SOIGNANT, UN DFI AU QUOTIDIEN

    2.1 La ralit dun contexte difficile

    Le contexte actuel des soins rend difficile la prise en charge holistique telle

    que prne par les diffrents modles infirmiers. Que ce soit dans les centre

    hospitaliers, les institutions pour personnes ges, handicapes, ou encore les centres

    de soins domicile, une dmarche de soins individuelle exhaustive est parfois

    compromise par une dotation en personnel insuffisante (De Bouvet & Sauvaige,

    2005). Pourtant cest la conception humaniste qui est prsente et entrane lcole

    et durant la formation pratique. On comprend ds lors que la frustration puisse

    surgir chez les soignants convaincus de cette approche dont ils ont sans doute pu

    constater lefficacit et quils ne peuvent mettre en uvre en raison des contingences

    institutionnelles.

    Un problme majeur rside dans le manque de personnel pour le nombre de

    patients. Les soignants dplorent de devoir raliser des soins la chane sans avoir

    de temps pour une prise en charge holistique. Les infirmires doivent toujours tre

    dans une dimension de partage : de leurs comptences, de leur savoir Elles

    partagent les moments les plus intimes (naissance et mort). Le mtier dinfirmire

    peut savrer trs prenant sur le plan motionnel et ncessite de trouver des espaces

    pour changer entre pairs : Si lon na pas le temps de ventiler ses motions,

    alors on prfre ne plus sinvestir motionnellement (Dubet, 2002, p.223). Le

    risque de la dmotivation et du dsengagement est grand.

    Par ailleurs, limpossibilit de linfirmire de soccuper du patient de manire

    optimale nest pas seulement lie sa charge de travail, mais galement lvolution

    de la prise en charge hospitalire. Les sjours tant beaucoup plus courts,

    ltablissement de la relation au patient sen trouve considrablement modifi. Le

    caractre hospitalier des hpitaux tend se transformer au profit dune logique

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    44

    conomique, ce qui entretient le systme lorigine dj fort pyramidal de

    linstitution.

    De mme, le travail rendu difficile induit une rotation de personnel importante

    avec des quipes qui comptent de nombreuses personnes temps partiel et se

    connaissent peu. Cela rend non seulement les changes et le partage du vcu ardus,

    mais cela complique galement la dfinition dun idal commun et sa mise en uvre,

    et ce, dautant plus que les exigences de flexibilit favorisent la rotation des quipes

    et nuisent la construction dune identit de secteur.

    Les nouvelles exigences de traabilit, en lien avec les exigences qualit, sont un

    facteur nouvellement trs chronophage que certains soignants acceptent difficilement

    parce quil empite sur le temps pass au chevet du malade. Ces exigences revtent

    nanmoins un intrt vident dans la gestion des risques (Estryn-Bhar, 2008).

    Que ce soit dans une volont de mieux rpartir les moyens accords au secteur

    hospitalier, de mieux matriser les cots en les rationalisant ou encore de rpondre

    aux proccupations individuelles et collectives en matire de qualit des soins

    toujours est-il que lexigence de qualit devient un moteur de concurrence entre les

    tablissements, qui ne laisse pas indemne le personnel soignant. En effet les

    dmarches dvaluation de la qualit se basent sur des indicateurs concrets et

    quantifiables, qui ne permettent pas, le plus souvent, de mettre en valeur laspect

    plus discret mais non moins important du soin : lattention porte, au travers du

    dialogue, la singularit dune personne et de sa situation. Et Hesbeen de

    dclarer que

    laccueil , lcoute, la disponibilit et la crativit des soignants,

    combins leurs connaissances de nature scientifique et habilets

    techniques, apparaissent comme les dterminants essentiels de soins de

    qualit (Hesbeen, 2002).

    Il existe un dcalage entre lidal thique qui voudrait favoriser au maximum la

    dignit du patient ainsi que son autonomie, et les nouvelles conditions daccueil

    lhpital, le contexte actuel de prise en charge avec des dotations rduites, et une

    ralit inapte la ralisation de cet idal.

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    45

    Pour certains auteurs, une raison supplmentaire ce dcalage serait la

    mauvaise comprhension de la prise en charge globale. Si on la comprend de

    manire exhaustive comme tant le devoir de prise en charge dune infirmire envers

    chaque patient, alors force est de constater que la tche est insurmontable, au vu du

    nombre de patients et du contexte dj voqu. Il y aurait une distinction faire,

    savoir que lon ne parlerait plus dune prise en charge globale dun patient, mais de

    prise en charge selon une approche globale . Ainsi les termes de prise en

    charge globale deviennent limage dun idal avoir en arrire-plan et non plus

    un modle appliquer intgralement pour chaque patient (De Bouvet & Sauvaige,

    2005).

    2.2 La souffrance du paradoxe

    Quelle que soit la porte de la prise en charge, il nen reste pas moins une

    souffrance chez les infirmires qui correspond un dcalage entre les soins quelles

    aimeraient apporter leurs patients et les conditions dans lesquels elles doivent

    exercer leur profession. Il y a un

    cart considrable entre lidal thique des soins et la possibilit de le

    mettre en pratique. Il est probablement lune des causes du fameux

    burnout des infirmires (De Bouvet & Sauvaige , introduction).

    Cest un dsarroi que les tudiantes renvoient trs souvent, surtout durant les

    deux dernires annes de leur formation. Lors dun examen oral, une tudiante

    devait prsenter la situation dun patient quelle avait pris en charge avec, pour son

    analyse, lutilisation dune des thories de soins exhaustive enseigne lcole. Cette

    tudiante a prsent la situation dune patiente psychotique hospitalise en

    psychiatrie et chez laquelle elle avait pu mettre en vidence, aprs avoir tudi

    lentier de la situation dans les moindres dtails, des lments qui avaient ensuite

    permis de poser un diagnostic tout fait diffrent du premier. Cela avait permis de

    rorienter la prise en charge et daccompagner la patiente de manire beaucoup plus

    cible avec, au bout du compte, des rsultats et une amlioration considrables.

    Cette tudiante tait trs dcontenance lide que lquipe aurait sans doute

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    46

    persist dans lancien schma et mconnu ce problme, orientant ainsi la prise en

    charge sur de fausses bases, si son travail pour lcole ne lavait oblig lquipe

    rinterroger sa prise en charge. Elle tait bien consciente que le travail trs intensif

    quelle avait investi pour cette patiente ntait possible quen regard de son statut

    dtudiante. Aprs avoir voqu ce malaise auprs de son infirmire de rfrence,

    elle stait retrouve seule face son dsarroi. Linfirmire lui avait rpondu quelle

    ne devait plus rflchir autant mais suivre les ordres mdicaux, sous peine dtre

    rgulirement insatisfaite et en rvolte contre les soins offerts aux patients.

    Demble, cet exemple choque par le fait quil va totalement lencontre du

    mouvement dautonomisation et de construction identitaire de linfirmire tel

    qubauch ci-dessus, mais il choque encore davantage, par la conception sous-

    jacente de la prise en charge qui en merge.

    Il va de soi que si le soin se limite au traitement des symptmes et

    lapplication de protocoles, sans tenir compte de lensemble de cet univers qui fait

    corps avec le malade et donne un sens sa vie, des lments essentiels sont vincs,

    lments qui pourraient orienter la prise en charge dans un sens trs diffrent.

    Ltudiante a d faire face un grand paradoxe : celui de soigner un humain

    atteint dans son corps et dans son esprit, et celui de la confrontation une routine

    protocolaire centre davantage sur les prescriptions que sur la personne.

    La formation confre linfirmire bon nombre de connaissances thoriques.

    Celles-ci lui permettent dtre capable de juger des prescriptions faites par le

    mdecin, capable de ragir lorsquelle remarque une anomalie, lorsque le patient

    prsente certains symptmes De ses observations et de sa manire dapprhender

    le patient, va dpendre en grande partie la poursuite du traitement. Nanmoins il est

    vident que les connaissances mobiliser et mettre en uvre sont diffrentes dans

    toutes les situations et le travail le plus dlicat, mais qui constitue le cur de la

    pratique infirmire, consiste mobiliser les connaissances thoriques dont elle

    dispose pour les contextualiser et les mettre en uvre dans une situation bien

    particulire.

    Cest ce qui justifie dailleurs lemploi des termes : comptences infirmires .

    Pour rpondre une situation de soin, linfirmire utilise chaque fois ses

    comptences et sa crativit dans leur mobilisation (Le Boterf, 1998). Cest sur cette

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    47

    base quelle engage sa responsabilit.

    Cependant ce travail de rflexion cognitive nest pas de tout repos. Il suppose

    au pralable davoir pris du temps avec le patient et sollicite donc la fois la

    motivation et linvestissement personnel. Il savre dautant plus contraignant sil

    nest pas port par le collectif. Dans la ralit, les soignants ont souvent limpression

    de ngliger cette comptence par manque de temps. Comment vivre alors cet

    cart entre lidal et la ralit ? Comment grer les sentiments dinsatisfaction et de

    culpabilit qui dcoulent de navoir pas rpondu idalement toutes les situations ?

    Le malaise nest pas quune impression. Tmoins de diffrentes ralits qui

    dvoilent toujours nouveau des situations dont les consquences dramatiques sont

    dues des ngligences professionnelles, les soignants vivent le malaise comme une

    ralit bien prsente sur les lieux de pratique o, si lon sen rfre Bouvet et

    Sauvaige (2005) :

    Lidentit infirmire est mise en danger par lcart existant entre lidal

    thique des soins infirmiers et la possibilit de le mettre en pratique ;

    Les conditions du contexte hospitalier, les difficults inhrentes toute

    relation et une interprtation errone du devoir de prise en charge

    globale de la personne soigne vont lencontre de lidal thique des

    soins infirmiers qui place le sujet malade et le respect de sa dignit et de son

    autonomie au centre des proccupations infirmires ;

    Le poids institutionnel et les exigences budgtaires interviennent dans les

    difficults relationnelles des infirmires, tant avec les patients quavec les

    quipes de soins

    Il nest point besoin de rallonger la liste des difficults rencontres aujourdhui

    par les infirmires. La lecture des quotidiens suffit nous informer de leurs

    conditions de travail. Un quotidien neuchtelois affichait, en 2010, dans un gros titre,

    quune infirmire doit faire 25 prises de sang en 45 minutes dans un foyer de

    personnes ges. Lorsque lon sait quel point ces personnes ges sont difficiles

    piquer, de par un capital veineux appauvri et vieilli, et que lon est conscient du

    besoin trs fort de ces personnes de parler et dtre cout, comment ne pas ressentir

    la frustration des infirmires devoir excuter une tche la chane , en se

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    48

    contentant, le plus souvent, dun bonjour laconique !

    Selon notre comprhension de la profession, une qualit fondamentale des

    soins devrait permettre de reconnatre, de confirmer et de favoriser la vie

    humaine dans des circonstances o el le l est moins (Goulet & Dallaire, 2002,

    p.82).

    Les soignants reoivent une formation initiale et continue qui les

    sensibilise de plus en plus limportance de la dimension relationnelle

    du soin, en mme temps quils sont l objet de pressions visant

    amliorer la productivit de leur pratique (Sirven, 1999, p.40).

    Les discours des soignants laissent de plus en plus transparatre la frustration

    de ne pas parvenir exercer cette relation de soin dans la profondeur qui lui

    appartient. Cette frustration nest sans doute pas nouvelle, mais sa verbalisation

    nettement plus explicite depuis quelques annes, pousse croire que le phnomne

    saggrave de manire significative.

    Dans le mme ordre dides, des pratiques actuelles consistent trier les

    patients dans les services durgence. Les degrs durgence ainsi identifis, les

    patients sont pris en charge plus ou moins rapidement. Comprhensible sur un plan

    dorganisation et defficacit, ce procd nen est pas moins questionnant sur le plan

    humain. En effet, les personnes se sentent, pour beaucoup, peu entendues dans leur

    souffrance, qui si elle ne prsente effectivement pas forcment de danger vital, nen

    demeure pas moins suffisamment gnante ou douloureuse pour justifier leur

    demande daide. Les soignants ressentent ces mthodes comme une chosification de

    lhumain. En parallle cette frustration, cest galement la responsabilit qui pse

    lourdement sur les infirmires. Responsabilit de prendre les bonnes dcisions, de

    faire le tri adquat dans les personnes qui se prsentent aux urgences (Schachtel,

    2010).

    la charge globale de travail sajoute galement une augmentation de la tche

    administrative. La mise en place des procdures a pour objectif dautomatiser le

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    49

    droulement des soins et den assurer le bon fonctionnement. Mais avec

    ladministration, cest galement la charge de lcrit qui a nettement augment.

    Une grande partie du travail des infirmires est dvolue lorganisation,

    la coordination et la gestion des dossiers (Dubet, 2002, p.208). Ces nouvelles

    tches, relativement chronophages, prennent sur le temps que linfirmire consacrait

    auparavant son patient. Les infirmires dplorent de devoir se dtourner peu peu

    du patient pour accorder leur attention des aspects administratifs secondaires qui

    peuvent absorber leur temps et leur nergie (Sainsaulieu, 2003).

    Les infirmires dpendent plus largement du systme conomique et des

    nouvelles formes de management qui manent, dans tous les secteurs, de la nouvelle

    gouvernance.

    Les contraintes financires externes de contrle des dpenses de sant

    se font de plus en plus pesantes et les acteurs ont tendanc e opposer

    une logique des besoins, centre sur la dfinition des protocoles de soins,

    une logique comptable dautant plus prsente que ltat intervient

    de plus en plus directement (Dubet, 2002, p.209).

    Des mcanismes de march sont introduits dans les dispositifs publics. Cela se

    traduit par un rationnement, une privatisation marginale de certaines activits, et

    dans tous les cas par une dcentralisation des dcisions. Pour comprendre cette

    ralit institutionnelle, il est important de rappeler certaines caractristiques

    particulires ces formes de management ainsi que leurs impacts sur les

    professionnels, en particulier en termes de stress.

    2.3 Soins, management et ncessit thique

    Les diffrents paramtres qui psent sur le travail des soignants (nouvelles

    formes dorganisation du travail, injonction la rapidit et la flexibilit, carts

    grandissants entre travail prescrit et travail rel, encouragement la performance)

    sont autant de rsultats de modifications plus profondes opres sur le systme

  • PREMIRE PARTIE : CADRE THORIQUE

    50

    socital lui-mme. Le stress, trs fr