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a La protection sociale s’adapte Le système classique de retraite est mis à mal dans le contexte démographique et social actuel. p. 18 a Les syndicats opposés au tout-financier Divisées sur la loi Thomas, les centrales aimeraient associer les organismes pa- ritaires à la gestion des nouveaux pro- duits. p. 18 a Les entreprises restent prudentes La loi sur les plans d’épargne-retraite ne suscite pas l’enthousiasme des pa- trons, qui attendent la publication des décrets pour discuter. p. 19 a Une souscription à l’échelle de la famille Là où l’épargne classique ne suffit pas, un « fonds de solidarité familiale » pourrait prendre le relais. p. 19 a Les critiques d’un sociologue « Les parlementaires français n’ont pas tiré les conséquences des expériences étrangères », estime, dans un entre- tien, Emmanuel Reynaud. p. 20 a Les Amériques sont déjà conquises Après le Chili et l’Argentine, le Mexique adoptera l’épargne-retraite en juillet. p. 20 a Une concurrence nouvelle pour l’assurance-vie La forme de placement préférée des Français est menacée par les fonds d’épargne-retraite. p. 21 LE MONDE / SAMEDI 29 MARS 1997 / 17 « Les fonds de pension ne sont pas contraires à la solidarité » R E T R A I T E E T P R É V O Y A N C E Un remède pas la panacée L ’ADOPTION définitive par le Parlement de la loi instaurant des plans d’épargne-retraite constitue un moment-charnière de la longue histoire de la protection sociale française. Mis en place depuis de nombreuses années dans la plupart des pays développés, les fonds de pension ont longtemps fait, en France, figure d’Arlésienne. Il est vrai que le système français de retraite par répartition est loin d’avoir démérité. Depuis le début des années 90, le régime de l’assurance-vieillesse et les deux principaux régimes complé- mentaires – l’Arrco et l’Agirc – ont su s’adapter aux évolutions économiques et démographiques. Il n’en reste pas moins que les difficultés qu’ils rencontrent sont structurelles. En ce sens, un troisième « pilier » au système de retraite est apparu nécessaire à la majorité parlementaire et, si l’on en croit les sondages, utile à une grande partie des Français. Ces fonds de pension constituent-ils pour autant la panacée ? Certainement pas. Si les entreprises se disent intéressées, elles restent, pour le moment, extrêmement prudentes, attendant la publication des décrets et la consultation de leurs syndicats pour ouvrir ce dossier. Certains employeurs et certains syndicats font remarquer que, en favorisant les salariés qui ont une carrière complète et des revenus relativement élevés et non ceux qui vivent dans une situation précaire et dont le nombre risque de s’accroître, ce nouvel outil va élargir la « fracture sociale ». Il ne règle pas non plus l’épineux problème – politique et écono- mique – des régimes spéciaux de retraite, qui versent chaque année 230 milliards de francs de prestations-vieillesse, soit une masse équivalente au tiers du total des allocations servies par les régimes de retraite des salariés. Par ailleurs, la création des fonds de pension ne constitue qu’un volet de la réforme de la protection sociale mise en œuvre depuis 1993. Or la « révolte » des internes des hôpitaux nous rappelle qu’elle est loin de faire l’unanimité. C’est parce que ces sujets sont au cœur de l’évolution de la société française que Le Monde s’est associé au Forum Prévoyance Entreprise organisé par le groupe Altédia les 2, 3 et 4 avril au Carrousel du Louvre, à Paris. Frédéric Lemaître « Il faut maintenant imaginer le partage du risque indépendamment du salariat », même si l’« on ne reviendra pas sur la société assurantielle », car les risques se multiplient et ils changent de forme, voire d’échelle Le plaidoyer de François Ewald, directeur des affaires publiques de la Fédération des sociétés d’assurances LA « SOCIÉTÉ assurantielle » ! C’est sous cette formule que François Ewald, directeur des af- faires publiques de la Fédération française des sociétés d’assu- rances (FFSA), désigne une évo- lution profonde de la société de- puis la fin du XIX e siècle. Philosophe, ancien assistant de Michel Foucault au Collège de France, directeur de recherche au CNRS, il estime que l’adop- tion de la proposition de loi sur les plans d’épargne-retraite (PER) marque « une rupture à plusieurs titres ». Depuis 1945, « tous les risques sociaux liés à la personne relevaient d’institutions sociales publiques ou parapu- bliques, extérieures au marché », alors que « les risques de biens re- levaient de l’assurance ». La loi Thomas, qui porte dé- sormais le nom du député (UDF, Vosges) qui a porté ce projet de PER, « met fin à ce Yalta ». Elle introduit aussi, selon lui, « un principe de réalité dans l’analyse du risque social » : les Français évaluent désormais le problème des retraites à sa juste dimen- sion, y compris les électeurs de gauche, qui sont désormais ma- joritaires (58 %) à juger « souhai- table » un système d’épargne vo- lontaire, selon un récent sondage de la Sofres pour la FFSA. De plus, estime M. Ewald, avec les fonds de pension, la re- traite ne représente plus une charge pour l’économie, mais « un accélérateur ». Enfin – ce n’est pas le moindre de ses en- seignements, selon lui –, cette réforme prouve que « l’on peut réformer la société française sans craindre le grand soir ». Mais un des points les plus im- portants réside, selon lui, dans le caractère facultatif des PER. Contrairement aux autres dispo- sitifs de la protection sociale, les fonds de pension « affran- chissent le salarié du tutorat de la représentation syndicale et pari- taire » : même s’il n’y a pas d’ac- cord patronat-syndicats au sein de l’entreprise, le salarié pourra adhérer à un fonds d’épargne-re- traite. Paradoxalement, « cela va renforcer le paritarisme », assure- t-il, les syndicats associés à la gestion des fonds étant alors contraints de gérer la demande des salariés – et même de l’expri- mer en leur nom. « Cela va re- créer de la demande sociale, af- firme-t-il. Loin de détruire le paritarisme, la réforme peut aider à sa regénération. » « Les fonds de pension sont compatibles avec la doctrine ori- ginaire de la solidarité, qui est de ne pas externaliser ses problèmes sur les autres », ajoute-t-il. Dans une approche très libérale, être solidaire c’est être responsable, c’est-à-dire ne pas être dépen- dant d’autrui. De ce point de vue, l’épargne-retraite permet de ne pas reporter toute la charge à venir du financement des pensions sur les générations à venir. Un basculement est en train de s’opérer. Mais, « depuis la fin du XIX e siècle, le contrat so- cial s’est construit sur le partage du risque, estime M. Ewald. C’est pourquoi l’on a socialisé l’assu- rance. » Quand on avance dans le XX e siècle, « dès qu’il y a un pro- blème, on en fait un risque que l’on socialise » : 1898, avec la loi sur les accidents du travail, est une date capitale. 1910 marque la loi sur les retraites, 1930 la géné- ralisation des assurances so- ciales aux salariés et 1945 les or- donnances sur la Sécurité sociale, qui devient un droit du citoyen. L’évolution de la prise en charge du risque ne fait alors que refléter la construction d’un certaine modèle d’emploi. « Le grand enjeu, c’est de construire un statut du salariat » , explique M. Ewald : le salarié échange alors « une subordination contre une protection ». Ces protections collectives commencent à marquer des signes de faiblesse : le délite- ment de la protection sociale suit celle d’une certaine forme de travail : la montée de la préca- rité submerge le modèle keyné- sien (plein emploi, emploi à vie). « Il faut maintenant imaginer le partage du risque indépendam- ment du salariat », estime Fran- çois Ewald. Même si l’« on ne re- viendra pas sur la société assurantielle », car les risques se multiplient et ils changent de forme, voire d’échelle. Au XIX e et au XX e siècles, « on a été obsédé par les accidents », note-t-il. En cette fin de XX e siècle, c’est la catastrophe, le « risque sériel » que l’on redoute, illustré par le sang contaminé, la maladie de Creutzfeldt-Jakob, et plus ré- cemment par l’amiante. Pendant le XX e siècle, analyse M. Ewald, « il y avait un accord au sein de la société : le risque était acceptable à partir du moment où il était in- demnisable » . Les temps ont changé, et « un rééquilibrage entre indemnisation et préven- tion » va s’opérer au profit de la seconde au cours du siècle pro- chain. Le mouvement est lancé. Il en veut pour preuve le fait qu’on parle moins de l’aléa thé- rapeutique (réparation d’une er- reur médicale lourde indépen- damment de sa cause) que de la création d’un dispositif capable de prévenir les risques en amont, en s’inspirant de la Food and Drug Administration américaine. Le développement de la veille sanitaire, la définition du « juste soin » sous-tendant la réforme du système de santé, aujourd’hui si contestée, la proposition de la Mutualité française en faveur d’une instance scientifique indé- pendante chargée de conseiller et d’alerter les pouvoirs publics de tout danger : nombre d’initia- tives vont dans ce sens. Il reste que de nombreux risques, prévi- sibles, et actuellement peu ou pas couverts, iront croissant dans les décennies à venir : dé- pendance chez les personnes âgées ; fautes lourdes en matière médicale ; certaines formes de chômage ou de sous-emploi. Les uns appellent des réponses col- lectives, d’autres la prévoyance individuelle. Entre ces deux pôles, de nouvelles formes de mutualisation des risques pour- raient apparaître, comme le montre le projet de « fonds de solidarité familiale », qui retient aujourd’hui l’attention du gou- vernement. Jean-Michel Bezat DESSIN JOCELYNE SANTOS

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a La protectionsociale s’adapteLe système classique de retraite est misà mal dans le contexte démographiqueet social actuel. p. 18

a Les syndicatsopposésau tout-financierDivisées sur la loi Thomas, les centralesaimeraient associer les organismes pa-ritaires à la gestion des nouveaux pro-duits. p. 18

a Les entreprisesrestent prudentesLa loi sur les plans d’épargne-retraitene suscite pas l’enthousiasme des pa-trons, qui attendent la publication desdécrets pour discuter. p. 19

a Une souscriptionà l’échellede la familleLà où l’épargne classique ne suffit pas,un « fonds de solidarité familiale »pourrait prendre le relais. p. 19

a Les critiquesd’un sociologue« Les parlementaires français n’ont pastiré les conséquences des expériencesétrangères », estime, dans un entre-tien, Emmanuel Reynaud. p. 20

a Les Amériquessont déjà conquisesAprès le Chil i et l’Argentine, leMexique adoptera l’épargne-retraiteen juillet. p. 20

a Une concurrencenouvellepour l’assurance-vieLa forme de placement préférée desFrançais est menacée par les fondsd’épargne-retraite. p. 21

LE MONDE / SAMEDI 29 MARS 1997 / 17

« Les fonds de pension ne sont pas contraires à la solidarité »

R E T R A I T E E T P R É V O Y A N C E

Un remèdepas la panacée

L’ADOPTION définitive parle Parlement de la loiinstaurant des plansd’épargne-retraite constitue

un moment-charnière de la longuehistoire de la protection socialefrançaise. Mis en place depuis denombreuses années dans la plupartdes pays développés, les fonds depension ont longtemps fait, enFrance, figure d’Arlésienne. Il estvrai que le système français deretraite par répartition est loind’avoir démérité. Depuis le débutdes années 90, le régime del’assurance-vieillesse et les deuxprincipaux régimes complé-mentaires – l’Arrco et l’Agirc – ontsu s’adapter aux évolutionséconomiques et démographiques. Iln’en reste pas moins que lesdifficultés qu’ils rencontrent sontstructurelles. En ce sens, untroisième « pilier » au système deretraite est apparu nécessaire à lamajorité parlementaire et, si l’on encroit les sondages, utile à unegrande partie des Français.

Ces fonds de pensionconstituent-ils pour autant lapanacée ? Certainement pas. Si lesentreprises se disent intéressées,elles restent, pour le moment,extrêmement prudentes, attendantla publication des décrets et laconsultation de leurs syndicatspour ouvrir ce dossier. Certainsemployeurs et certains syndicatsfont remarquer que, en favorisantles salariés qui ont une carrièrecomplète et des revenusrelativement élevés et non ceux quivivent dans une situation précaireet dont le nombre risque des’accroître, ce nouvel outil vaélargir la « fracture sociale ». Il nerègle pas non plus l’épineuxproblème – politique et écono-mique – des régimes spéciaux deretraite, qui versent chaque année230 milliards de francs deprestations-vieillesse, soit unemasse équivalente au tiers du totaldes allocations servies par lesrégimes de retraite des salariés.

Par ailleurs, la création des fondsde pension ne constitue qu’un voletde la réforme de la protectionsociale mise en œuvre depuis 1993.Or la « révolte » des internes deshôpitaux nous rappelle qu’elle estloin de faire l’unanimité. C’estparce que ces sujets sont au cœurde l’évolution de la sociétéfrançaise que Le Monde s’estassocié au Forum PrévoyanceEntreprise organisé par le groupeAltédia les 2, 3 et 4 avril auCarrousel du Louvre, à Paris.

Frédéric Lemaître

« Il faut maintenant imaginer le partagedu risque indépendamment du salariat »,même si l’« on ne reviendra pas sur la sociétéassurantielle », car les risques se multiplientet ils changent de forme, voire d’échelle

Le plaidoyer de François Ewald, directeur des affaires publiques de la Fédération des sociétés d’assurancesLA « SOCIÉTÉ assurantielle » !

C’est sous cette formule queFrançois Ewald, directeur des af-faires publiques de la Fédérationfrançaise des sociétés d’assu-rances (FFSA), désigne une évo-lution profonde de la société de-puis la fin du XIXe s iècle .Philosophe, ancien assistant deMichel Foucault au Collège deFrance, directeur de rechercheau CNRS, il estime que l’adop-tion de la proposition de loi surles plans d’épargne-retraite(PER) marque « une rupture àplusieurs titres ». Depuis 1945,« tous les risques sociaux liés à lapersonne relevaient d’institutionssociales publiques ou parapu-bliques, extérieures au marché »,alors que « les risques de biens re-levaient de l’assurance ».

La loi Thomas, qui porte dé-sormais le nom du député (UDF,Vosges) qui a porté ce projet dePER, « met fin à ce Yalta ». Elleintroduit aussi, selon lui, « unprincipe de réalité dans l’analysedu risque social » : les Françaisévaluent désormais le problèmedes retraites à sa juste dimen-sion, y compris les électeurs degauche, qui sont désormais ma-joritaires (58 %) à juger « souhai-table » un système d’épargne vo-

lontaire, selon un récentsondage de la Sofres pour laFFSA. De plus, estime M. Ewald,avec les fonds de pension, la re-traite ne représente plus unecharge pour l’économie, mais« un accélérateur ». Enfin – cen’est pas le moindre de ses en-seignements, selon lui –, cetteréforme prouve que « l’on peut

réformer la société française sanscraindre le grand soir ».

Mais un des points les plus im-portants réside, selon lui, dans lecaractère facultatif des PER.Contrairement aux autres dispo-sitifs de la protection sociale, lesfonds de pension « affran-chissent le salarié du tutorat de lareprésentation syndicale et pari-taire » : même s’il n’y a pas d’ac-cord patronat-syndicats au sein

de l’entreprise, le salarié pourraadhérer à un fonds d’épargne-re-traite. Paradoxalement, « cela varenforcer le paritarisme », assure-t-il, les syndicats associés à lagestion des fonds étant alorscontraints de gérer la demandedes salariés – et même de l’expri-mer en leur nom. « Cela va re-créer de la demande sociale, af-

firme-t-il . Loin de détruire leparitarisme, la réforme peut aiderà sa regénération. »

« Les fonds de pension sontcompatibles avec la doctrine ori-ginaire de la solidarité, qui est dene pas externaliser ses problèmessur les autres », ajoute-t-il. Dansune approche très libérale, êtresolidaire c’est être responsable,c’est-à-dire ne pas être dépen-dant d’autrui. De ce point de

vue, l’épargne-retraite permetde ne pas reporter toute lacharge à venir du financementdes pensions sur les générationsà venir. Un basculement est entrain de s’opérer. Mais, « depuisla fin du XIXe siècle, le contrat so-cial s’est construit sur le partagedu risque, estime M. Ewald. C’estpourquoi l’on a socialisé l’assu-rance. »

Quand on avance dans leXXe siècle, « dès qu’il y a un pro-blème, on en fait un risque quel’on socialise » : 1898, avec la loisur les accidents du travail, estune date capitale. 1910 marque laloi sur les retraites, 1930 la géné-ralisation des assurances so-ciales aux salariés et 1945 les or-donnances sur la Sécuritésociale, qui devient un droit ducitoyen. L’évolution de la priseen charge du risque ne fait alorsque refléter la construction d’uncertaine modèle d’emploi. « Legrand enjeu, c’est de construire unstatut du salariat » , expliqueM. Ewald : le salarié échangealors « une subordination contreune protection ».

Ces protections collectivescommencent à marquer dessignes de faiblesse : le délite-ment de la protection sociale

suit celle d’une certaine formede travail : la montée de la préca-rité submerge le modèle keyné-sien (plein emploi, emploi à vie).« Il faut maintenant imaginer lepartage du risque indépendam-ment du salariat », estime Fran-çois Ewald. Même si l’« on ne re-v iendra pas sur la sociétéassurantielle », car les risques semultiplient et ils changent deforme, voire d’échelle. Au XIXe etau XXe siècles, « on a été obsédépar les accidents », note-t-il. Encette fin de XXe siècle, c’est lacatastrophe, le « risque sériel »que l’on redoute, illustré par lesang contaminé, la maladie deCreutzfeldt-Jakob, et plus ré-cemment par l’amiante. Pendantle XXe siècle, analyse M. Ewald,« il y avait un accord au sein de lasociété : le risque était acceptableà partir du moment où il était in-demnisable » . Les temps ontchangé, et « un rééquilibrageentre indemnisation et préven-tion » va s’opérer au profit de laseconde au cours du siècle pro-chain. Le mouvement est lancé.Il en veut pour preuve le faitqu’on parle moins de l’aléa thé-rapeutique (réparation d’une er-reur médicale lourde indépen-damment de sa cause) que de la

création d’un dispositif capablede prévenir les risques en amont,en s’inspirant de la Food andDrug Administration américaine.

Le développement de la veillesanitaire, la définition du « justesoin » sous-tendant la réformedu système de santé, aujourd’huisi contestée, la proposition de laMutualité française en faveurd’une instance scientifique indé-pendante chargée de conseilleret d’alerter les pouvoirs publicsde tout danger : nombre d’initia-tives vont dans ce sens. Il resteque de nombreux risques, prévi-sibles, et actuellement peu oupas couverts, iront croissantdans les décennies à venir : dé-pendance chez les personnesâgées ; fautes lourdes en matièremédicale ; certaines formes dechômage ou de sous-emploi. Lesuns appellent des réponses col-lectives, d’autres la prévoyanceindividuel le . Entre ces deuxpôles, de nouvelles formes demutualisation des risques pour-raient apparaître , comme lemontre le projet de « fonds desolidarité familiale », qui retientaujourd’hui l’attention du gou-vernement.

Jean-Michel Bezat

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MARINS

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Salaire brut liquidable moyen hors primes en francs

Pension de retraite moyenne en francs

Les régimes de retraite des salariés en 1993

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18 / LE MONDE / SAMEDI 29 MARS 1997 R E T R A I T E E T P R É V O Y A N C E

Les avantages des régimes spéciaux

LES RÉGIMES SPÉCIAUX de re-traite constituent, en France, un su-jet politiquement explosif et jus-qu’ici économiquement mal connu.D’où l’intérêt de l’ouvrage Le Finan-cement des systèmes de retraite spé-ciaux : une approche internationaleque Stéphane Hamayon et MichelRouquès viennent de publier auxéditions Aspe. Comme le montrentles graphiques, les pensions verséespar les régimes spéciaux sontsouvent supérieures à celles du pri-vé. Ces différences s’expliquent pardivers facteurs. Contrairement auxfonctionnaires, de nombreux retrai-tés du privé ont eu une carrière in-complète, ce qui pèse bien évidem-ment sur leur retraite. Mais à cesdifférences structurelles s’enajoutent d’autres : les conditionsd’attribution des pensions sont plusavantageuses dans le secteur publicen raison d’un âge de départ à la re-traite parfois plus précoce. Enfin,

notent les auteurs, les pensions deréversion versées par les régimesspéciaux sont accordées sans condi-tion d’âge ou de ressources.Conclusion, « au fil du temps, la ré-forme des retraites, qui touche essen-tiellement les salariés du secteur pri-vé, va se traduire par uneamplification des écarts entre lesrentes attribuées par les régimes dedroit commun et les pensions allouéespar le régime des fonctionnaires ».

Alors que la dégradation des rap-ports démographiques va se tra-duire par un alourdissement descharges de retraite des régimes spé-ciaux, la deuxième partie de l’ou-vrage montre que les autres payseuropéens ont résolu le problèmeen mettant en place des régimes dedroit commun pour les nouveauxsalariés. En échange, les Etats ontaccepté de verser une aide substan-tielle pour le maintien des droits ac-quis des anciens cotisants.

Les syndicats veulent éviterune gestion purement financière

L’UNANIMITÉ syndicale auraété de courte durée. Très hostile auprojet de loi Thomas, visant à créerdes fonds de pensions, Louis Vian-net (CGT), Marc Blondel (FO),Alain Deleu (CFTC) et Marc Vilbe-noît (CFE-CGC) ont tenu uneconférence de presse commune, le14 janvier, pour exprimer leurscraintes quant aux menaces quecette réforme faisait planer sur lefinancement des régimes de re-traite. Absente, Nicole Notat(CFDT) partage cependant lesmêmes réserves.

Des critiques de fond de-meurent, notamment sur le carac-tère facultatif de ces nouveauxplans d’épargne-retraite, mais lefront commun syndical a volé enéclats depuis que le projet de loi aété définivement adopté. Si cer-taines confédérations (la CGT etFO) qui plaçaient leur espoir dansla saisine du Conseil constitution-nel restent résolument hostiles à lacréation des PER, d’autres (CFDT,CFTC, CFE-CGC) sont déjà prêtesà tenir leur rôle dans le cadre dunouveau dispositif, quitte à en in-fléchir certaines règles.

Un sondage réalisé en février parla Sofres incite d’ailleurs les syndi-cats à agir en ce sens. En effet, 44 %des salariés font confiance auxcaisses de retraite complémentaire,dont les conseils d’administrationsont tenus par les partenaires so-ciaux, pour gérer le nouveau dis-positif. Elles devancent très nette-ment les banques et lescompagnies d’assurances, qui nerécoltent respectivement que 22 %et 5 % de la confiance des salariés.

À « FINALITÉS MULTIPLES »La CFE-CGC et la CFDT sont

donc décidées à contrecarrer l’of-fensive des banquiers et des assu-reurs sur ce nouveau marché. Si lefonds de pension est bien un pro-duit de retraite, « il faut qu’il soitmis en place éventuellement par desorganismes de retraite avec une vo-cation retraite et non pas avec unevocation purement financière » ,précise Jean-Luc Cazettes, pré-sident (CFE-CGC) de la Caisse na-tionale d’assurance-vieillesse(CNAV).

La revue Social actualité du moisde mars 1997 fait le point sur le po-sitionnement de la CFDT. La cen-trale tient d’abord à rappeler queles fonds de pension créés nerèglent en rien l’avenir des retraiteset qu’ils ne vont pas non plus dy-namiser l’économie. « Les PERn’accroissent pas l’épargne, ils la dé-placent », précise-t-elle. Le pointjugé le plus négatif est le caractèrefacultatif de ces PER. « Dans unsystème facultatif, seuls les salairesles plus élevés y adhéreront », es-time La CFDT.

La CFDT demande « un systèmed’épargne à finalités multiples »(pour l’acquisition d’une habita-tion, un projet de formation, lesétudes des enfants, un congé sab-batique...). Si les salariés disposentd’une capacité d’épargne, la CFDTpropose de « l’organiser au niveaude la branche », afin de ne pas ex-clure les salariés des PME-PMI.

Face à l’assaut des compagniesd’assurances, mutuelles et institu-tions de prévoyance qui vont pro-poser des PER, la CFDT conseille àses administrateurs de ne pas sedétourner de leur vocation pre-mière, qui est d’assurer la pérenni-té des régimes complémentaires derépartition (Arrco, Agirc). Ensuite,estimant qu’il serait grave d’« assis-ter à la multiplication d’institutionsgestionnaires », la CFDT incite « lescaisses [de retraite] à se regrouper,à s’associer pour proposer aux popu-lations qui pourraient être intéres-sées un produit commun, coassuré,pourquoi pas entre elles ? ».

A la CFE-CGC, on réfléchit aussisur « un produit labélisable » quipourrait être distribué par lescaisses de retraite. Dans le cadredes négociations qui doivent s’ou-vrir dans les entreprises, la centraledes cadres compte obtenir, de lapart des entrepreneurs ou des di-rections, « des systèmes collectifsobligatoires », afin d’éliminer lesrisques de discrimination entre sa-lariés.

Alain Beuve-Méry

Le PER, un système « à la française »LA LOI THOMAS sur les plans

d’épargne-retraite (PER), qui crée untroisième étage de retraite par capitali-sation, complète le système par répar-tition. Facultatif, il s’adresse aux qua-torze millions de salariés du privé. CesPER seront créés après accord patro-nat-syndicats dans une entreprise ouune branche professionnelle. Fauted’accord après six mois de négocia-tions, le chef d’entreprise pourra pro-

poser directement aux salariés de coti-ser à un plan. En l’absence deproposition de son employeur un anaprès l’entrée en vigueur de la loi, unsalarié pourra adhérer à un fonds exis-tant.

L’employeur pourra abonder le PERen versant jusqu’à quatre fois lessommes souscrites par le salarié. Il seraexonéré de cotisations sociales sur sesversements jusqu’à 85 % du plafondde la Sécurité sociale (soit140 000 francs par an). Le salarié pour-ra, lui, déduire ses cotisations de sonrevenu imposable dans la limite de 5 %de son revenu brut ou de 20 % du pla-fond de la « Sécu » (soit 33 000 francspar an). Il aura aussi le droit de trans-férer ses droits d’un plan à un autre,une fois au cours de sa vie, et après undélai minimum de dix ans. Ces plans« ne peuvent s’engager à servir des pres-

tations définies », précise la loi (parexemple un certain pourcentage dudernier salaire). A la retraite, le salariétouchera une rente viagère, calculéesur la base de ses versements et desperformances financières du fonds oùil aura cotisé.

La rente sera soumise à l’impôt surle revenu et pourra être reversée aprèsson décès à son conjoint ou bien à sesenfants mineurs ou invalides. Toute-fois, le souscripteur devra prendre unecontre-assurance décès s’il veut qu’undescendant en ligne directe puisseavoir droit à son PER si lui-mêmemeurt avant la retraite. Le retraité aurala possibilité de récupérer jusqu’à 20 %des sommes versées sous forme de ca-pital plafonné à 75 % du plafond de laSécurité sociale (soit 123 000 francs).

J.-M. B.

L’inévitable évolution de la protection socialeLa loi sur les plans d’épargne-retraite marque une étape décisive de l’adaptation du système de retraite,

mis à mal par le vieillissement de la population et la hausse du chômageLes dépenses consacrées à la protection so-ciale n’ont cessé de progresser depuis lacréation du système mis en place en 1945.L’évolution démographique, qui a conduità un vieillissement de la population, et la

progression du chômage ont entraîné undéséquilibre structurel entre cotisants – demoins en moins nombreux – et bénéfi-ciaires des prestations – en nombre crois-sant. Face à cette évolution et aux inquié-

tudes qui en découlent, des systèmes deprévoyance individuelle ont vu le jour, entémoigne le succès de l’assurance-vie. Dansce contexte, la loi sur les plans d’épargne-retraite (PER), adoptée définitivement par

le Parlement le 20 février, marque uneétape importante dans l’évolution du sys-tème de retraite français, même si certainsexperts ne lui prédisent pas un avenir flam-boyant, du moins à court terme.

LE MOT est du président de la Ré-publique : la protection sociale estdevenue une pièce essentielle du« patrimoine » national. Les injuresdu temps ont, certes, mis à mal cesystème fondé sur la solidarité entrejeunes et personnes âgées, maladeset bien-portants, salariés et chô-meurs, célibataires et familles nom-breuses. Il ne s’en est pas moins dé-veloppé régulièrement depuis 1945au point de représenter, fin 1995,avec ses 2 414 milliards de francs,plus d’un tiers en moyenne (36 %)du revenu disponible brut des mé-nages et 31,5 % de la richesse natio-nale créée cette année-là.

Dans un monde où le besoin d’as-surance ressenti par les individusprogresse en même temps que laprécarité et l’incertitude du lende-main, l’effort de la collectivité, finan-cé aux deux tiers (65,6 % en 1995)par des cotisations assises sur les re-venus du travail, ne s’est jamais relâ-ché, comme en témoignent les der-nières statistiques du ministère desaffaires sociales (Les Comptes de laprotection sociale, 1990-1995, La Do-cumentation française).

PROGRESSION DES DÉPENSESEntre 1990 et 1993, les dépenses

ont progressé de plus de 6 % par an,puis de 2,9 % en 1994 et de 4 % en1995, soit beaucoup plus que le pro-duit intérieur brut. Par grands« risques », la progression a étécontrastée, mais, qu’il s’agisse de lasanté (759 milliards en 1995), desaides aux familles (350 milliards), dela politique de l’emploi (163 mil-liards) ou du RMI, le rythme de pro-gression de ces dépenses est restésoutenu. Les recettes n’ont pas suiviles dépenses. Si les mutationséconomiques de ces dernières an-

nées n’ont pas entamé les capacitésd’intervention de l’Etat-providence –amortissant la crise, selon les uns,accentuant le ralentissement écono-mique pour les autres –, cette inter-vention s’est faite en partie à crédit.A partir de 1992, les comptes de laprotection sociale (tous régimesconfondus) se sont dégradés pourafficher, fin 1996, un déficit cumuléde plus de 300 milliards de francs.Cette dérive a obligé le gouverne-ment de M. Juppé à créer, début1996, une Caisse d’amortissement dela dette sociale (Cades), chargée deprendre en charge cet énorme pas-sif.

Mais, dans l’ensemble de ces dé-penses sociales, la part des régimesde retraite obligatoires et des prére-traites (979 milliards de francs en

1995) reste prépondérante. Leurs dé-penses ont augmenté de 5 % enmoyenne depuis 1990, et de 7,3 %pour les seules caisses complémen-taires. Le régime général des salariés

et les deux grands régimes complé-mentaires – l’Arrco pour l’ensembledes salariés et l’Agirc pour les cadres– traversent la période la plus diffi-cile de leur histoire. N’en déplaise àceux qui affirment que ces régimespar répartition n’ont pas su s’adap-ter, les réformes entreprises depuis1993 montrent que les salariés ontconsenti des efforts considérablesqui pèseront lourdement sur le ni-veau des pensions futures : « ré-forme Balladur » d’août 1993 allon-geant la durée de cotisation etmodifiant le mode de calcul des pen-sions dans un sens moins favorable ;renchérissement de l’achat despoints dans les régimes complémen-taires, etc.

De tous les risques – outre le chô-mage, bien sûr –, c’est la retraite quiest perçue avec le plus d’inquiétudepas les Français, pourtant attachésau système par répartition. Neuf sa-lariés sur dix se disent « inquiets », àdes degrés divers, sur le montant despensions dans les dix à quinze ansqui viennent, indique un sondageréalisé en février 1997 par la Sofrespour le compte de la Fédérationfrançaise des sociétés d’assurances.

Il n’est pas étonnant, dans ces condi-tions, que la prévoyance individuellese soit développée, comme en té-moigne l’envolée de l’assurance-vieau cours de ces dix dernières années(2 400 milliards de francs d’encoursactuellement) et le gonflement dutaux d’épargne des ménages ces der-nières années.

L’adhésion de principe au fondsde pension, sous réserve d’inven-taire, traduit la même inquiétude. Siles sympathisants de droite sont trèsmajoritairement favorables à un sys-tème d’épargne volontaire en vue dela retraite (83 %), les salariés plus en-clins à voter à gauche y sont favo-rables à 58 % (contre 39 %), révèle lemême sondage. Adoptée définitive-ment par le Parlement le 20 février,validée par le Conseil constitution-nel le 21 mars, la proposition de loisur les plans d’épargne-retraite(PER) marque donc une étape im-portante dans l’évolution du sys-tème de retraite. Même si certainsexperts ne lui prédisent pas un ave-nir flamboyant, du moins à courtterme.

Jean-Michel Bezat

MALADIE 25,7 %

INVALIDITÉ 5,8 %

DIVERS : 1,6 %CHÔMAGE : 5,5 %

INADAPTATION PROFESSIONNELLE : 1,7 %

FAMILLE 13,9 %

MATERNITÉ 1,4 %

SURVIE 6,3 %

ACCIDENTS DU TRAVAIL 1,7 %

VIEILLESSE

Source : Compte de la protection sociale-SESI

Le poids des retraites

STRUCTURE PAR RISQUE DES DÉPENSES TOTALES EN 1995

Les dépenses en faveur des retraités représentent le premier poste du budget de la protection sociale, loin devant la santé et le chômage. Il est vrai que les caisses de retraite assurent les revenus de 11 millions de personnes.

36,4%

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R E T R A I T E E T P R É V O Y A N C E LE MONDE / SAMEDI 29 MARS 1997 / 19

Le fonds de solidarité familiale, une formule originale de prévoyance

Un projet misant sur les liens parentaux pourrait offrir une solutionde rechange aux mécanismes d’épargne classiques devenus insuffisants

dans un contexte économique difficileQUAND les solidarités collec-

tives manifestent des signes d’es-soufflement, les solidarités deproximité reprennent de la vi-gueur. La famille reste le premierlieu où s’exerce cette solidarité(argent, services), dont des étudesde plus en plus fouilléescommencent à mesurer l’impor-tance. Partant de cette analyse, ungroupe de réflexion soutenu parBanque directe (groupe Paribas),où figure notamment Pierre Guil-len, président d’honneur del’Union des industries métallur-giques et minières (UIMM), vientde rendre public un projet de« fonds de solidarité familiale ».

Les membres d’une même fa-mille, sur la base du volontariat,peuvent affecter des sommesd’argent de façon définitive à unfonds familial, d’une durée de vieillimitée, par une souscription ini-tiale, puis par des versements etdes cotisations annuels. L’objectifde ce fonds, dont l’actif de départdoit être d’au moins 50 000 francs,est de permettre à ses souscrip-teurs de faire face à certains aléasde la vie. Au moment de sa consti-

tution, les adhérents définissentles aléas de la vie qui peuvent don-ner droit, pour l’un d’eux, au ver-sement d’une aide : perte d’em-ploi, invalidité, dépendance despersonnes âgées, complément deretraite, scolarité d’un enfant encas de chômage des parents, etc.

C’est le gérant, désigné par lessouscripteurs et révocable par eux(ou les tribunaux), qui juge dubien-fondé de l’attribution d’uneaide à tel ou tel membre de la fa-mille. Elle ne peut pas, en l’état ac-tuel du projet, dépasser l’équi-valent d’un SMIC pendant douzemois (60 000 francs). Les actifs dufonds sont gérés par des banquesou des compagnies d’assurances,mais « conformément au comporte-ment de “bon père de famille” »,précisent les promoteurs du pro-jet, qui ont demandé aux pouvoirspublics que les sommes versées etles revenus générés par ces fondssoient exonérés d’impôt.

« Le fonds de solidarité familialerépond à une demande implicite etvirtuelle considérable, à la mesuredes réseaux de solidarité que le chô-mage a suscités dans les profon-

deurs de la société française », ana-lyse Armand Braun, président dela Société internationale deconseillers de synthèse, quiconçoit des projets innovants.« Nous avons affaire à une pro-fonde modification des anticipa-tions des Français : beaucoup depersonnes pensent qu’elles ne pour-ront plus, pour faire face à leurs res-ponsabilités familiales, compter surune épargne générée par leur tra-vail et sont donc à la recherche denouveaux dispositifs. »

Ce projet de fonds de solidaritéfamiliale a reçu un accueil très fa-vorable du président de la Répu-blique, le 10 octobre 1996, lors ducongrès des Aînés ruraux. A l’oc-casion de la dernière conférencede la famille, réunie le 17 mars àMatignon, Alain Juppé a annoncéla mise à l’étude de ce projet. Sespromoteurs souhaitent que le Par-lement s’en saisisse prochaine-ment, et le Sénat pourrait élaborerune proposition de loi qui intro-duirait un élément original dans lesystème français de prévoyance.

J.-M. B.

Les versements demeurent modestes

LES PLANS d’épargne-retraitepeuvent-ils espérer drainer uneépargne importante ? Si les mon-tants élevés de l’assurance-vie fontrêver certains, les sommes drainéespar l’épargne salariale invitent à plusde modestie. Fin 1993, près de 9 800entreprises employant 2,5 millionsde salariés étaient couvertes par unaccord d’intéressement. Au total,elles ne représentent que 15,1 % dessalariés concernés. Même si cechiffre peut paraître modeste, l’inté-ressement versé au titre de 1993s’élève à près de 8 milliards defrancs.

A cette même date, 15 000 entre-prises employant 4,5 millions de sa-lariés étaient couvertes par un ac-cord de participation. Elles

représentent 1,7 % des entreprises etoccupent 27,2 % des salariés poten-tiellement concernés par le disposi-tif. Au total, la participation des sala-riés s’est élevée à 16 milliards defrancs.

Largement issus de ces deux dis-positifs, les plans d’épargne-entre-prise concernaient en 1993, plus de5 700 entreprises, employant 2,5 mil-lions de salariés et représentant prèsde 30 % des salariés couverts par unaccord d’intéressement ou par laparticipation. Sur ces 2,5 millions desalariés, près de 1,4 million ont effec-tivement placé de l’argent sur leurPEE. Selon le ministère du travail, leversement moyen par épargnants’est élevé à 6 500 francs, ce qui re-présente 2,6 % de la masse salariale.

Les entreprises restent prudentesface à l’épargne-retraite

La plupart semblent se satisfaire des PEE Réclamée par les entreprises, la loi sur les plansd’épargne-retraite, dite loi Thomas, ne semble pas,pour l’instant, susciter un grand enthousiasme sur le

terrain. La plupart des directions attendent la publica-tion des décrets pour se prononcer et ouvrir d’éven-tuelles négociations.

LES ENTREPRISES vont-elles seprécipiter pour créer un pland’épargne-retraite (PER) ? S’il estévidemment trop tôt pour répondrede manière définitive, cinq se-maines après l’adoption définitivede la loi et plusieurs mois avant lapublication des décrets, la prudencesemble l’emporter sur l’enthou-siasme. « Nous étudions le dossier. Ilest trop tôt pour répondre », ex-pliquent les dirigeants de L’Oréal,de la Générale des eaux, des Ci-ments français.

D’autres sont plus directs : « c’estun produit qui correspond à une de-mande des assureurs », observe, la-coniquement, Robert Pistre, direc-teur général adjoint deSaint-Gobain. Le groupe est ravi deson plan d’épargne-entreprise ins-tauré il y a dix ans. « Nous allonsmettre en place un plan d’épargne-retraite car un certain nombre decadres nous le demandent, mais nouscontinuerons de réserver l’abonde-ment au plan d’épargne-entrepriseplacé en actions Saint-Gobain », pré-cise-t-il.

L’EXEMPLE RHÔNE-POULENCRéflexion similaire à la Lyonnaise

des eaux. Si Jean-Marie Pujo, direc-teur à la direction des ressourceshumaines, juge le PER « intéressantpour les PME », la Lyonnaise deseaux n’entend pas revenir sur lesdeux systèmes existant dans l’entre-prise : le régime par capitalisationmis en place en 1988, qui est ali-menté par des versements de laseule direction et les plansd’épargne-entreprise des diffé-rentes sociétés du groupe dont lesfonds sont versés dans un fondscommun de placement placé en ac-tions de la Lyonnaise des eaux. « LePER est un bon outil, mais il necomporte pas de dispositif tel qu’ilnous incite à remettre en cause ceque l’on a aujourd’hui », estimeJean-Marie Pujo. Ce spécialiste re-marque par ailleurs que « les calculsmontrent que, pour un franc de re-traite par an, il faut avoir cotisé envi-ron 20 francs. Pour avoir une ca-gnotte intéréssante au moment de laretraite, il faut avoir effectué des ver-sements importants durant unelongue période, ce qui est difficile àenvisager dans la conjoncture del’emploi actuelle ».

L’attitude de Rhône-Poulenc estrévélatrice : cette entreprise vient,après neuf mois de négociations, designer un accord important sur l’in-téressement et le plan d’épargne-entreprise qui fait l’impasse sur lesfonds de pension. Actuellement,Rhône-Poulenc dispose d’un inté-

ressement calculé sur les résultatsdu groupe et d’un intéressementpar société défini en fonction de« facteurs de progrès ». Cet argentpeut être placé dans un pland’épargne d’entreprise abondé à145 % (avec un plafond) et investien actions Rhône-Poulenc.

En 1997, au titre de cet intéres-sement groupe, chaque salarié aperçu environ 3 300 francs, unesomme que l’abondement porte à8 000 francs. Or la direction souhai-tait décentraliser l’intéressement,favoriser une épargne long termediversifiée et hiérarchiser l’abonde-ment en fonction du salaire. Auterme de neuf mois de négocia-tions, l’accord prévoit la disparitionde l’intéressement groupe mais éga-lement la garantie que chaque sala-rié ne pourra percevoir, au titre del’accord d’intéressement négociédans sa société, une somme infé-rieure à ce qu’aurait représenté l’in-téressement groupe. Celui-ci resteracalculé durant trois ans. Si le PEEest maintenu, l’entreprise crée unfonds commun de placement qui nesera pas investi qu’en actionsRhône-Poulenc mais qui sera abon-dé à 300 %, dans la limite de1 800 francs versés par le salarié et145 % au-delà, dans la limite du pla-fond de la Sécurité sociale. Lesfonds placés dans ce FCPE serontbloqués durant huit ans (contrecinq ans pour le PEE).

Pourquoi Rhône-Poulenc n’a-t-ilpas pris en compte la loi Thomas ?Si Maurice Gadrey, directeur des re-lations sociales, explique que les né-gociations ont dû démarrer dès 1996parce que l’accord d’intéressementvenait à échéance, il admet qu’« ilfaut être vigilant avec la culture pro-fonde d’une entreprise. Les salariéssont habitués au plan d’épargne-en-treprise et il faut reconnaître que cetoutil présente de nombreux avan-tages », commente-t-il.

Raymond Soubie, président d’Al-tédia, spécialiste de ces questions etorganisateur d’un forum sur cethème début avril, observe que « lesentreprises qui disposent d’un PEE ensont satisfaites car les déductions fis-cales sont conséquentes et peuventêtre placées en actions de la société.Les entreprises vont-elles choisir decréer ou d’abonder un pland’épargne-retraite plutôt que le PEE ?Elles seront d’autant plus portées à lefaire que les salariés le leur deman-deront.

A ce sujet, les syndicats risquent dedevoir gérer une contradiction. D’uncôté, ils n’ont pas porté de jugementstrès positifs sur la loi Thomas.De l’autre, il n’ont pas intérêt à

s’y opposer dans les entreprises. »André Thomas, actuaire et

conseiller du président de la Fédéra-tion nationale du bâtiment, estime« avoir rarement vu une loi aussi im-portante être étudiée avec aussi peude technicité. Ni le calendrier ni lesrelations entre les branches et les en-treprises ne nous paraissent claires.Pourra-t-il y avoir des accords d’en-treprise dérogatoires à un éventuelaccord de branche ? ».

D’autres s’insurgent contre le faitmême d’imposer des négociations.« C’est absurde. Nous sommes tout àfait favorables à l’instauration d’unfonds d’épargne-retraite comme leprévoit la loi, mais nous n’avons pasd’instance de négociation au niveaudu groupe et nous envisageons diffi-cilement de négocier le même PERdans nos dizaines de sociétés. Mêmeun accord de branche ne nous satis-fait pas car nous dépendons de septchamps d’activité différents », re-marque la direction d’un grandgroupe industriel.

Même attendue, la loi aura visi-blement du mal à s’imposer.

Frédéric Lemaître

PARTICIPATION

INTÉRESSEMENT

PARTICIPATION ET INTÉRESSEMENT

Source : MTAS, PIPA94, résultats pondérés

Somme moyenne versée par épargnant : 6 500 francs

9 milliards de francs versés

LES VERSEMENTS SUR LES PLANS D'ÉPARGNE ENTREPRISE

63%20%

17%

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20 / LE MONDE / SAMEDI 29 MARS 1997 R E T R A I T E E T P R É V O Y A N C E

Les retraités sans retraite de TexacoNEW YORK

de notre correspondantePour Richard Lundwall, la vie a été particulière-

ment ingrate ces derniers temps. Ses déboires ontcommencé par un banal downsizing, comme l’indus-trie américaine en connaît tant depuis quelques an-nées. Cette fois, c’était son tour : coordinateur desservices du personnel au département financier deTexaco, au siège social de la compagnie pétrolière,dans l’Etat de New York, on lui annonça, la veille deNoël 1995, sans autre forme de cérémonie, qu’à cin-quante-cinq ans et après trente ans de bons et loyauxservices et de vacances sacrifiées, sa carrière se ter-minerait six mois plus tard. En attendant, on lui trou-verait un bureau au département des relations hu-maines.

Comment une société peut-elle sanctionner des gensqui ne travaillent plus pour elle ?En supprimant la seule forme de revenus ou de prestationsqu’elle continue à leur fournir

Un malheur ne venant jamais seul, une insuffisancerénale le contraint à se faire opérer d’urgence. C’estalors, racontera-t-il plus tard au New York Times,qu’en ruminant son amertume et en rêvant de ven-geance, il se souvint qu’il possédait, quelque partdans un tiroir, l’enregistrement sur cassette audio deréunions de travail auxquelles il avait participé en1994. Selon lui, la cassette pourrait intéresser la jus-tice. L’affaire devait coûter, des mois plus tard,

176 millions de dollars à Texaco. Mais, d’une certainemanière, elle coûta encore plus cher à Richard Lund-wall, qui la paya de sa retraite.

Texaco était alors poursuivie pour discriminationraciale par plusieurs employés noirs. Dans la cassette,plusieurs responsables de la société évoquaient ceproblème, et deux d’entre eux se laissaient aller à despropos racistes. Deux autres, dont M. Lundwall, pro-posaient de détruire des documents potentiellementembarrassants pour la compagnie s’ils étaient saisispar la justice. Après de longues hésitations, RichardLundwall remit la cassette aux avocats des plaignantsen octobre 1996.

Transmise aux médias par les avocats, la cassette fitl’effet d’une bombe et poussa Texaco à négocier unrèglement à l’amiable avec ses employés noirs. Sousla pression, Texaco suspendit l’un des participants àla réunion et en licencia un autre. Les deux cadresrestants, Richard Lundwall et Robert Ulrich, étaient,depuis, partis à la retraite. Comment une sociétépeut-elle sanctionner des gens qui ne travaillent pluspour elle ? En supprimant la seule forme de revenusou de prestations qu’elle continue à leur fournir : leurpension et leur assurance-maladie.

Aux Etats-Unis, c’est possible puisque, dans le casde MM. Lundwall et Ulrich, c’était Texaco qui finan-çait leur retraite et leur assurance- maladie : RichardLundwall se retrouva donc non seulement poursuivi,lui aussi, pour obstruction de la justice (pour avoirproposé de détruire des documents) mais définitive-ment privé de la majeure partie de sa retraite – lemaximum que Texaco pouvait légalement lui retirer –et contraint de se reposer sur l’assurance-maladie desa femme. En liberté provisoire, il risque un maxi-mum de dix ans de prison. « Est-ce que je pense quec’est injuste ? Evidemment ! », s’est-il écrié, jeudi20 mars, lors d’une comparution devant le tribunal. Ilplaide non coupable.

Sylvie Kauffmann

Emmanuel Reynaud, sociologue à l’Institut de recherches économiques et sociales

« Les parlementaires français n’ont pas tiré les conséquences des expériences étrangères »

Dans un entretien au Monde, Emmanuel Reynaud,sociologue à l’Institut de recherches économiques etsociales (IRES), critique la loi Thomas, qui vise à créer

les plans d’épargne-retraite. Selon lui, le système desexonérations de cotisation dont vont bénéficier lesentreprises risque de pénaliser le système de retraite

par répartition. Globalement, Emmanuel Reynaudreproche à la loi Thomas de n’avoir pas assez pris encompte les intérêts des bénéficiaires.

« Que pensez-vous de la loicréant les plans d’épargne-re-traite ?

– Elle passe à côté des pro-blèmes que pose la retraite enFrance. Même si le débat a durécinq ou six ans, il a surtout étécentré autour des fournisseurs deproduits de retraite, c’est-à-direbanquiers et assureurs. C’est ainsique la question de la sortie enrente ou en capital n’a jamais étéabordée du point de vue des bé-néficiaires ni de la cohésion del’ensemble du système.

– Néanmoins, personne ne nieplus que les régimes obligatoirespar répartition sont menacés.

– Les régimes par répartitionfont face à une évolution écono-mique et démographique qui lesoblige à s’adapter. Ils ne sont pasmenacés, mais le rendement à ve-nir de ces régimes sera moins fa-vorable qu’il ne l’a été. Quel quesoit le mode de financement, laperspective de verser des retraitesde plus en plus longues alors quela durée de cotisation est de plusen plus courte pose un problèmed’équilibre .

– Quels problèmes pose la loi ?– Premier point : l’exonération

de l’abondement de l’employeurest fondamentale. La logique del’exonération est telle qu’on enarrive à une logique de subven-tion. Comme la protection socialeen France est financée par des co-tisations sociales, exonérer un re-venu salarial de cotisations re-vient à priver les dispositifsfinancés par les cotisations desommes équivalentes. Lesexemples étrangers montrent quela capitalisation s’adresse à despopulations réduites : les plus fa-vorisées par rapport au marché dutravail. Alors que l’on s’acheminevers des carrières flexibles et uneaugmentation de la précarité, lacollectivité va subventionner lessalariés qui ont le moins besoindes pouvoirs publics pour prendreen charge leur retraite. En re-vanche, un des problèmes quevont devoir affronter les salariésentre vingt-cinq et quarante ansest la précarité accrue et le pas-sage de plus en plus fréquentd’une entreprise à l’autre. Or cessalariés, comme ceux qui oc-cupent un emploi dit atypique,sont mieux couverts par le régimegénéral ou par la répartition quepar des fonds de pension, quin’impliquent aucune solidarité.

– Est-il impossible d’associercapitalisation et solidarité ?

– Non, pas du tout. Prenez lesrégimes de la fonction publique

comme le CREF ou la Préfon. Il ya une certaine forme de solidaritéentre les participants puisque lapension n’est pas seulement fonc-tion du rendement des place-ments sur les marchés financiers.Il y a un pot commun entre lesparticipants, quels que soient leurâge, leur revenu ou le type d’em-ploi qu’ils exercent. Quand unsystème instaure une certaine so-lidarité, le fonds est investi sur lesmarchés financiers, mais le niveaude la retraite dépend non seule-ment des rendements des place-ments, mais aussi des caractéris-tiques du régime et des choix desgestionnaires. Par exemple, lorsdu krach financier d’octobre 1987,certains systèmes avaient mis enplace des mécanismes pour lisserces accidents de parcours.

La loi reportele risque sur le salarié,car les régimesmis en placene sont pas à prestations définies

– Quelles leçons tirer desfonds de pension étrangers ?

– Que les parlementaires, à ladifférence des assureurs, nesavent pas ce qui se passe au-delàde nos frontières. Contrairementà ce que l’on croit, les régimes debase sont des régimes par réparti-tion dans tous les pays dévelop-pés. Dans plupart des pays indus-trialisés, même les Etats-Unis, lamajorité des pensions sont payéesen répartition. Deuxième point :historiquement, la plupart des ré-gimes sont à prestations définies.En Grande-Bretagne, les pen-sions, qui sont souvent des ré-gimes d’entreprise, représententun soixantième du dernier salairepar année d’affiliation. C’est cetteformule qui détermine le niveaudes pensions, et non les marchésfinanciers. Comme le complémentest versé par l’employeur, c’est luiqui assume la prise de risque surles marchés. Dans les années 70,les entreprises ont dû verser desmilliards de livres pour équilibrerleur régime. Cela n’a plus été né-cessaire dans les années 80 et 90.Il est intéressant de noter que lessyndicalistes britanniques neconsidèrent pas les régimes àprestations définies comme des

fonds de pension et qu’ils s’op-posent à les transformer en ré-gimes à cotisations définies pourne pas dépendre de la Bourse.

» En France, la loi reporte lerisque sur le salarié, car les ré-gimes mis en place ne sont pas àprestations définies. Il se ferapeut-être « gruger » par le ges-tionnaire du fonds, soit parce qu’ilprendra une commission impor-tante ou soit parce qu’il sera unmauvais gestionnaire, soit surtoutparce que sa pension dépendra durendement des placements en di-rect, alors que ce n’est pas le casau Royaume-Uni. Dans le monde,les régimes à prestations définiessont prépondérants, mais, depuisdix ans, les régimes à cotisationsdéfinies progressent, ce qui in-dique que le risque est reporté surles salariés.

– Y a-t-il d’autres distinctionsentre les fonds de pension que lacotisation ou la prestation défi-nie ?

– Bien entendu. Prenez le casdu Royaume-Uni ou des Pays-Bas.Ces deux pays ont choisi des op-tions différentes. Au Royaume-Uni, la solidarité est réduite auxsalariés stables des entreprises quiont un fonds de pension. Une desraisons de la richesse des fonds depension britanniques vient des li-cenciements massifs opérés parl’industrie dans les années 80. Lessalariés l icenciés avaient desdroits non indexés sur l’inflation.Ainsi, un salarié de trente-cinqans licencié après dix ans d’an-cienneté touchera à soixante-cinqans, un sixième de son dernier sa-laire, quelle que soit l’inflation du-rant les trente années qui se sontécoulées. Le Financial Times es-time que ce système constitue unedes principales « arnaques »commises par les entreprises bri-tanniques !

» Aux Pays-Bas, les fonds depension sont des régimes debranche dont la logique estproche de celle des conventionscollectives étendues à la française.Les régimes couvrent tous les sa-lariés d’une branche et sont gérésparitairement, alors qu’enGrande-Bretagne les syndicatsn’ont jamais obtenu de siégerdans des conseils de surveillance.

– En France, quelle peut être lamotivation d’un employeur àcréer un fonds de pension ?

– Il peut le faire pour stabiliserla main-d’œuvre. C’est donc unelogique de gestion du personnel.Toute la difficulté de pays commela France ou l’Italie vient de cequ’ils sont pris à contre-pied par

la situation peu favorable du mar-ché du travail. D’où la nécessitéde subventionner ces systèmes.Autre raison : le changement desrapports de force entre les action-naires et le management. Depuis1994, les fonds de pension améri-cains sont obligés d’exercer leursdroits de vote à l’étranger. Le pa-tronat français a ressenti cette in-trusion étrangère comme une me-nace à l’égard des participationscroisées et espère pouvoir contre-balancer leur pouvoir grâce auxfonds de pension.

» Le troisième argument, celuides capitaux propres, est un fauxargument, car les entreprisesfrançaises se financent peu sur lesmarchés financiers, contraire-ment à leurs consœurs britan-niques.

– Est-il vrai qu’un placementen actions est, à long terme, plusrentable ?

– Dans les régimes à cotisationsdéfinies, il faut distinguer deuxpériodes : celle de la constitutionde l’épargne et celle de sa restitu-tion. Au cours de la première, onaccumule un stock. Au cours de laseconde, on vend ce stock pourréaliser des actifs. La loi Thomas ainstitué un seuil maximal d’obli-gations qu’un fonds peut détenir.C’est absurde. Si vous avez entrevingt et trente ans, cela vaut lapeine d’avoir 100 % d’actions.Avec l’âge, il faut au contraire voirdes actifs de moins en moins vola-tils. Pour la première période, onne peut pas prendre le cours desactions comme la seule référence,car il faut imaginer un portefeuillediversifié. Au cours de la périodede restitution, il faut acheter unerente viagère pour transformervotre stock en revenu. Or cela estindexé en obligations. On ne peutdonc pas calculer la rentabilitéd’un régime par capitalisationuniquement par le cours des ac-tions.

» J’ajoute qu’en Grande-Bre-tagne certains spécialistes s’in-quiètent, car les portefeuilles desfonds de pension ont une natureéquivalente, quelle que soit la ma-turité du fonds. C’est bien enten-du la compétition entre les per-formances des gestionnaires quiexplique que la répartition des ac-tifs n’est pas corrélée à la maturitédu fonds. En France, le discourslibéral cache une réalité pluscomplexe, puisque les gestion-naires ne pourront être changésqu’au bout de cinq ans. »

Propos recueillis parFrédéric Lemaître

Les fonds de pensionse généralisent

sur le continent américainLe Mexique inaugurera la formule cet été

À PARTIR du 1er juillet, tous lestravailleurs mexicains auront obli-gatoirement un compte d’épargne-retraite particulier et pourrontchoisir le fonds de pension privé deleur choix. Une aubaine pour lesdix-sept compagnies privées mexi-caines ayant reçu l’agrément gou-vernemental, qui se battent pourconquérir une part des 5 milliardsde dollars appartenant aux onzemillions de salariés mexicains àavoir cotisé au système de retraitepublic. Le montant des sommes gé-rées devrait s’envoler à 25 milliardsde dollars d’ici à l’an 2000.

La première année, les compa-gnies de retraite devront investirdans des obligations émises par lesbanques ou l’Etat, garantissant unerémunération supérieure à l’infla-tion. Dans un second temps seule-ment, elles pourront demanderl’autorisation de créer de nouveauxfonds, investis en actions et obliga-tions privées mexicaines, sans ga-rantie de rendement

DÉMARCHAGE À DOMICILEComme il n’existe donc pas de

différence fondamentale entre lesproduits, les compagnies ont un re-cours massif à la publicité ainsiqu’au démarchage à domicile oudans les entreprises. Les compa-gnies, selon l’agence Bloomberg,font du porte-à-porte dans desquartiers où les banques ne se sontjamais établies pour expliquer desconcepts financiers à des travail-leurs qui n’ont jamais possédé decompte-chèque.

Le Mexique suit le modèlechilien, qui a introduit des fonds depension privés gérant actuellement30 milliards de dollars. Les actifssont composés pour 42 % d’obliga-tions d’Etat, 30 % sont investis dansles entreprises chiliennes et 25 %dans des établissements financiers.Les Argentins ont pour leur part5,3 milliards de dollars, dont 48 %en obligations d’Etat, 19 % en ac-tions et 14 % en dépôts à terme.

La part que les fonds de pensiondoivent consacrer aux actions estl’objet d’un débat : d’un côté, lesactions sont les produits les plusrentables à long terme et sont doncà conseiller aux jeunes épargnants.De l’autre, les obligations, notam-ment d’Etat, garantissent un capi-tal, sont moins soumises aux aléasdes marchés financiers. Dans leurréglementation, les Etats sou-haitent protéger les futurs retraitéset veulent aussi favoriser leurpropre économie, en faisant finan-cer par les retraités leurs déficitspublics et les entreprises natio-nales, proscrivant bien souvent les

actions et obligations étrangèressous prétexte qu’elles font courirun risque de change excessif.

Les Américains, de façon évi-dente, choisissent actuellement laperformance. Actuellement, 60 %des fonds sont investis en actions,contre 45 % seulement en 1990. Lessalariés américains ont cependantdroit à deux retraites, une premièreéquivalente à un certain pourcen-tage du dernier salaire, une se-conde qui dépend de la perfor-mance de l’épargne-retraiteconstituée par le salarié. « Les sala-riés ont une retraite de base qui leurpermet de toucher environ 50 % deleur dernier salaire », indique-t-onpar exemple chez Gillette.

L’EXEMPLE GILLETTES’y ajoute un plan d’épargne-

retraite, sur lequel les salariéspeuvent verser jusqu’à 15 % de leursalaire. Ces sommes peuvent êtreplacées librement sur douze fondsgérés par Fidelity, dont un estconstitué exclusivement d’actionsGillette. La firme de Boston abondeles versements des salariés de 50 %,dans certaines limites, mais en ver-sant exclusivement des actions Gil-lette.

« Les ouvriers qui partent à la re-traite actuellement doublent leurdernier salaire. Ils touchent 50 % enretraite, et l’épargne constituée surun plan leur permet de toucher deuxou trois fois leur retraite », précisel’entreprise. Explication : les salariésont, selon la direction, investi 75 %de leur épargne en actions Gillette,lesquelles ont été multipliées pardouze depuis dix ans. « Nous avonsfait trois fois mieux que le DowJones », se réjouit-on dans l’entre-prise.

C’est toutefois un risque du sys-tème. Les salariés ont tendance àinvestir une part de plus en plus im-portante de leur retraite en actionsde leur propre compagnie et nesont pas tenus de respecter la règleprudentielle imposée aux fondsd’investissement traditionnels quin’ont pas le droit d’investir plus de10 % de leurs actifs sur une seulesociété. Selon l’agence Bloombergcitant le département du travailaméricain, des entreprises commeTele-Communications Inc., ArcherDaniels Midland Co. ou Hunting-ton Bancshares Inc. ont plus de96 % de leur fonds de pension in-vestis dans leur propre entreprise.L’épargne accumulée s’envoleraiten fumée si par malheur l’entre-prise venait à faire faillite.

Arnaud Leparmentier(avec l’agence Bloomberg)

Page 5: LeMonde o R E T R A I T E E T P R É V O Y A N C E · masse équivalente au tiers du total des allocations servies par les régimes de retraite des salariés. Par ailleurs, la création

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R E T R A I T E E T P R É V O Y A N C E LE MONDE / SAMEDI 29 MARS 1997 / 21

L’assurance-vie voit poindre la concurrence de l’épargne-retraite Cette forme de placement reste, de loin, la préférée des Français pour le long terme.

Mais son succès est menacé par la baisse des rendements et la création des fonds de pension

Une fiscalité alourdieDepuis septembre 1996, l’assu-

rance-vie, à l’exception descontrats d’épargne handicap etde rente survie, ne bénéficieplus de réduction d’impôts àl’entrée. Elle conserve, en re-vanche, ses autres avantages(exonération fiscale des sommescapitalisées au bout de huit ansde détention et, surtout, exoné-ration des droits de successionpour le bénéficiaire désigné ducontrat en cas de décès du sous-cripteur), mais supporte depuiscette année la nouvelle CSG(contribution sociale générali-sée) portée à 3,4 %, à laquelles’ajoute dorénavant la CRDS de0,5 % instaurée en février 1996.Prélevés chaque année à lasource pour les contrats enfrancs et en une seule fois à lasortie pour les multisupports,ces nouveaux prélèvements so-ciaux obèrent d’autant (3,9 %)les rendements annuels nets (defrais de gestion) annoncés.

Après plus de dix années de croissance eu-phorique, l’assurance-vie se porte tou-jours bien (+ 10 % de croissance globaleen 1996), mais commence à donner quel-ques signes d’essoufflement. L’année der-

nière a, notamment, été marquée par unrecul sensible de l’ouverture de nouveauxcontrats. Si l’assurance-vie reste sansconteste le placement à long terme préfé-ré des Français, son succès est affecté à la

fois par la baisse des rendements obliga-taires, une certaine saturation des épar-gnants, les menaces sur les avantages fis-caux et la création de fonds de pension. Enérosion lente, mais constante (il devrait

s’établir en 1996 autour de 6,6 % net), lerendement de l’assurance-vie demeurelargement supérieur à l’inflation maisperd de sa force d’attraction. Enfin, mêmesi la plupart des assureurs se veulent se-

reins, rien ne permet d’affirmer que lesfonds de pension n’entameront pas unepart non négligeable du marché de la re-traite par capitalisation, jusqu’alors quasi-monopole de l’assurance-vie.

AVEC PLUS de 471 milliards defrancs de chiffre d’affaires en 1996,soit une progression de 10 % parrapport à l’année précédente, l’as-surance-vie semble toujours avoirle vent en poupe. Mais les appa-rences sont parfois trompeuses.Cette croissance globale masqueen réalité une évolution contrastéedu marché qui pousse à s’interro-ger sur l’état de santé réel de ceplacement fétiche des Français,menacé, qu’on le veuille ou non,par la création des fonds de pen-

Les contrats multisupportsgagnent encore du terrain

ENCORE TRÈS MARGINAUX ily a quelques années, les contratsmultisupports, favorisés par le dy-namisme de la Bourse, connaissentdepuis quelque temps un succèsqui ne se dément pas. Avec unecollecte nouvelle de près de 70 mil-liards de francs en 1996, en pro-gression de 60 % par rapport àl’année précédente, ces formulesont représenté, l’an dernier, 20 %des adhésions nouvelles.

Certes, les contrats en francs,plus de 80 % du marché en termesde stock, restent largement majori-taires. Assortis d’un rendement mi-nimum garanti (75 % du TME, tauxmoyen des emprunts d’Etat, pourles contrats de huit ans, et 60 % dece même TME pour les contrats deplus de huit ans) auquel s’ajoute,chaque année, la participation auxbénéfices, ces contrats demeurent,dans l’esprit de la plupart des sous-cripteurs, synonymes de sécurité.Mais leurs rendements baissent.

Les contrats multisupports sontplus risqués car, comme leur noml’indique, ils sont investis sur dif-férents marchés boursiers et évo-luent en fonction de leurs réfé-rents. En pratique, les nouvellesgénérations de multisupportscherchent à jouer sur les deux ta-bleaux, rendements et sécurité. Et,

pour ce faire, elles disposent, dansla plupart des cas, d’un comparti-ment francs souvent majoritaire(55 % des engagements globauxdes multisupports sont en francs,contre 35 % de valeurs mobilièreset 10 % d’immobilier) permettantde se replier en cas de perturbationdes marchés financiers.

PILOTAGE AUTOMATIQUEMieux, la plupart des sociétés

qui commercialisent ces produitsproposent des formules de pilo-tage automatique. Le contractantdétermine, au départ, un profil degestion (« sécurité », « équilibre »,« dynamique »), puis laisse ensuitecarte blanche au gestionnaire, quiest censé assurer les arbitrages né-cessaires afin de limiter le risque.

« Il faut préserver l’assurance-vieen l’actualisant par un toilettage op-portun. En particulier en encoura-geant le déplacement d’une partiedes encours gérés vers la Bourse »,affirmait récemment GérardAthias, président de l’AFER (Asso-ciation française d’épargne et deretraite). L’avenir de l’assurance-vie, en ces temps de baisse du mar-ché obligataire, se trouve sansdoute du côté des multisupports.

L. D.

sion et la baisse des rendementsobligataires.

L’année 1996 a été marquée parune exceptionnelle croissance aupremier semestre (+ 22 %), puispar une décélération sensible aucours des six derniers mois. Le se-cond semestre se traduit globale-ment par une légère progressionde 0,5 %, mais, au quatrième tri-mestre, la baisse de 10 % a été bru-tale, même si elle se compare à unquatrième trimestre 1995 parti-culièrement dynamique, comme lesouligne la Fédération françaisedes sociétés d’assurances (FFSA).

Cette évolution heurtée tient,pour l’essentiel, aux mouvementsmassifs d’épargne enregistrés audébut de l’année dernière sur descontrats déjà existants. L’assu-rance-vie, comme les plansd’épargne-logement d’ailleurs, et,dans une moindre mesure, lesplans d’épargne populaire, a large-ment bénéficié en début d’année

des transferts de fonds consécutifsà la baisse générale des taux – plusparticulièrement à celle du livret A– ainsi qu’au durcissement de lafiscalité des sicav de capitalisation.Mais cet effet conjoncturel s’estrapidement estompé, laissant af-fleurer une réalité beaucoupmoins rose : la baisse réelle de30 %, sur l’ensemble de l’année, dunombre de nouveaux contrats ou-verts.

Certes, cette décrue doit être re-lativisée et apparaît avant toutcomme la conséquence purementmécanique d’un double phéno-mène. D’une part, l’allongementde la durée fiscale des contrats desix à huit ans décidé en 1990 re-pousse l’échéance d’un certainnombre d’entre eux à l’horizon de1998. Ce qui constitue un impor-tant manque à gagner au niveaudes nouvelles souscriptions, dansla mesure où une partie non négli-geable des sommes capitaliséessur des supports arrivant à termesont réinvesties sur de nouveauxcontrats.

Par ailleurs, l’annonce, en 1995,de la suppression de la réductionfiscale à l’entrée pour la plupartdes contrats, exception faite desformules à primes périodiques, aeu pour effet un gonflement sansprécédent de l’achat de ce type decontrats, qui s’est traduit sur l’en-semble de l’année par une récolteaussi exceptionnelle que tempo-raire (6,1 millions de nouvellessouscriptions au total, dont lamoitié de primes périodiques,contre 5,5 millions en 1994).

Cependant, cette baisse reflèteégalement une évolution structu-relle de fond. « Incontestablement,après plusieurs années de rattra-page, l’assurance-vie a atteint unpalier et entre dans une phase dematurité », constate Hélène Mil-liotte, responsable de la stratégie àla CNP (Caisse nationale de pré-voyance), l’un des principaux ac-teurs du marché à travers les ré-seaux des caisses d’épargne, de laPoste et du Trésor. Désormais, laprogression ne sera plus à deuxchiffres, mais devrait plutôt s’éta-blir autour d’une moyenne de 5 %à 6 % par an. Ebranlée par les di-verses menaces fiscales qui ontplané sur elle l’an dernier et par lasuppression progressive de la ré-duction d’impôt à l’entrée (25 %des versements annuels dans la li-mite de 4 000 francs plus1 000 francs par enfant à charge)dont bénéficiaient encore, jus-qu’en septembre 1996, de nom-breux contrats, l’assurance-viejouit toujours auprès des épar-gnants de sa réputation, justifiée,d’eldorado fiscal. « Aucun autre

support à ce jour ne permet à la foisune gestion d’actifs en suspensiond’impôts pendant huit ans, tout ense transformant, au-delà de cettepériode de détention obligatoire, enl’équivalent d’un compte à vue ré-munéré défiscalisé et exonéré dedroits de succession », souligneThierry Chouvelon, gestionnairede patrimoine chez Indosuez.

Avec ses 2 550 milliards defrancs d’encours (près du quart del’épargne financière des Français),l’assurance-vie apparaît surtout,aujourd’hui, comme le produitd’épargne de long terme le mieuxconnu (45 % des ménages dé-tiennent un contrat de ce type) etle mieux diffusé. La part de mar-ché des réseaux bancaires entermes de nouveaux contrats avoi-sine maintenant les 70 %, et l’acti-vité de la bancassurance dans cesecteur a encore progressé l’andernier de 17 % (les caissesd’épargne enregistrant à ellesseules 30 % de croissance, et l’en-semble des réseaux de la CNP,20 %). « Ceux qui parlent de satura-tion du marché vont un peu vite enbesogne, remarque en souriant un

assureur. Mais il est indéniable quela donne change. » Loin de s’effon-drer, la forteresse assurance-vie nes’en fissure pas moins. Trois faillesprincipales méritent tout parti-culièrement l’attention.

Désormais,la progressiondu marché devraits’établir autourd’une moyennede 5 % à 6 % par an

Les rendements, tout d’abord.En érosion lente, mais constante(ils perdent un demi-point par anen moyenne depuis 1994 et de-vraient s’établir, en 1996, autour de6,6 % net), les résultats de l’assu-rance-vie demeurent toujours lar-gement supérieurs à l’inflation (ilsdégagent environ 5 % de plus),mais perdent de leur force d’at-

traction. D’où la tentation, pourcertaines compagnies, de doperleurs résultats et de prendre quel-ques libertés avec les règles en ma-tière de risques. Certains assureursprennent des engagements en ma-tière de performances qu’ils nepourront tenir qu’en se fragilisantfinancièrement et en bafouant lesrègles de prudence de la profes-sion qui les obligent à respecterune marge de solvabilité minimale(calculée à partir des fondspropres rapportés aux engage-ment vis-à-vis de l’assuré) de 4 %pour les contrats en francs (1 %pour les multisupports).

Encore marginal (en 1995, la sol-vabilité moyenne des sociétésd’assurances s’établissait à 9,7 %),ce phénomène mérite d’autantplus l’attention que la concurrencerisque encore de s’accentuer avec– c’est le deuxième facteur de fra-gilisation – l’arrivée des fonds depension. Même si la plupart desassureurs se veulent sereins, esti-mant qu’il n’y aura pas de trans-ferts massifs d’argent vers cesnouveaux plans d’épargne-re-traite, qui constituent, à leurs

yeux, plutôt un complément qu’unsubstitut à l’assurance-vie, rien nepermet d’affirmer que les fonds depension n’entameront pas, àterme, une part non négligeabledu marché de la retraite par capi-talisation jusqu’alors quasi-mono-pole de l’assurance-vie.

Troisième question, enfin : la fis-calité, et plus particulièrementcelle de l’exonération des droits desuccession dont profite, en cas dedécès de l’assuré, le bénéficiairedésigné, quels que soient ses liensde parenté avec le souscripteur ducontrat (articles L. 132-12 et L. 312-13 du code des assurances). « On atendance à faire passer l’avantagefiscal de ce produit avant toutes lesautres règles, notamment civiles »,souligne Jean-Philippe Mabru,avocat du Cabinet Francis Lefeb-vre, spécialiste du droit du patri-moine. Or l’utilisation parfois abu-sive de l’assurance-vie commeoutil de transmission commence àirriter sérieusement notaires et tri-bunaux civils, et cela pourrait bienun jour lui être fatal.

Laurence Delain