Leilla SEBBAR

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Université Abdelmalek Essaadi Faculté des Lettres et des Sciences humaines de Tétouan Département des Etudes françaises Leila Sebbar Réalisé par : Sous la direction de Mr le professeur : Ihssan El ghalmani Abdelilah El Khalifi

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Université Abdelmalek EssaadiFaculté des Lettres et des Sciences humaines de Tétouan

Département des Etudes françaises

Leila Sebbar

Réalisé par : Sous la direction de Mr le professeur : Ihssan El ghalmani Abdelilah El Khalifi

Année universitaire:2012/2013

Introduction

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La littérature maghrébine féminine de langue française est une littérature qui se trouve dans une situation de vrai bilinguisme, voire de multilinguisme ainsi qu’elle est une littérature de métissage. L’auteur se sent souvent bousculée par des forces opposées.Exploratrices de l’univers féminin, les écrivaines maghrébines affrontent la question de la langue et de l’identité en refusant de s’enfermer dans un discours exclusivement féministe, tel est le cas de l’écrivaine Leila Sebbar. Aux frontières de sa production littéraire, à la confluence de deux cultures, française et algérienne, les romans de Leila Sebbar sont peuplés de personnages immigrés en quête d’eux-mêmes qui revisitent les absences d’une histoire lacunaire, brisée par la colonisation, la guerre et l’exil.

Biographie:Romancière et nouvelliste, Leïla Sebbar est née le 19 novembre 1941 à Aflou (Hauts-plateaux dans le département d'Oran), en Algérie d’un père algérien et d’une mère française, tous les deux instituteurs.

Elle vit en France depuis l’âge de dix-huit ans. Étudiante, puis professeur de Lettres, elle est l’auteure d’essais, de critiques littéraires, de recueils de textes inédits, de nouvelles et de romans.

Leïla Sebbar se définit comme « une écrivaine dans le siècle », siècle lié à une histoire particulière, celle de la France et de ses colonies : guerres de colonisation, de décolonisation, de libération et, liés à cette histoire, tous les effets de déplacement, d’exode, d’exil et donc de rencontres singulières entre ceux qui quittent un pays et ceux du pays d’arrivée.

Elle fonde en 1976, avec des femmes journalistes, photographes, maquettistes, étudiantes, dessinatrices, enseignantes… le journal Histoires d’Elles, journal de femmes, artisanal et indépendant qui cherche à se démarquer de la presse maga-zine féminine traditionnelle. De 1979 à 1981, Leïla SEBBAR collabore au jour-nal « de l’immigration et du Tiers-monde », Sans Frontières, où elle tient une rubrique « Mémoires de l’immigration » sous la forme d’entretiens. Durant plu-sieurs années, elle collabore à des revues littéraires dont La Quinzaine littéraire, Le magazine littéraire, Les moments littéraires, Etoiles d’encre… et à Radio

France (1984-1999), France-Culture.

Avant ses premiers textes de fiction, Leïla SEBBAR publie des essais qui mêlent l’enquête de terrain à la réflexion. En 1986, Les lettres parisiennes, un échange de lettres sur l’exil avec Nancy HUSTON (après la publication au début des années 70 de Géographie de l’exil dans Les Temps Modernes) confirme la place de l’exil dans ses fictions, romans, nouvelles, récits, et sa place d’écrivaine

Dans l’exil.

L’ œuvre de Leila Sebbar

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Une caractéristique majeure de l’œuvre de Sebbar est son éclatement et son ouverture à l'écriture d'autrui et aux rencontres avec d'autres artistes, écrivains et photographes.

Les deux recueils de nouvelles : La jeune fille au balcon (Editions du Seuil, coll. Points Virgule, 2001), alterne les deux lieux de narration que sont l’Algérie et la France et s’attache à montrer les liens qu’entretiennent les enfants d’immigrés avec les autres à travers le prisme des deux cultures ; des rencontres à la fois difficiles et enrichissantes, et Soldats (Edition du Seuil, coll. Fictions, 1999) ; Les sept récits parlent des enfants guerriers projetés dans une situation qu’ils n’ont pas choisi et qu’ils ne maîtrisent pas étant confrontés à tous les malheurs qu’entraîne la guerre : mort, exode, famine, etc.

D’une approche plus historique, La Seine était rouge, Paris, octobre 1961 revient sur le massacre du 17 octobre 1961 à travers le personnage d’une jeune étudiante, Amel, qui ne comprend pas le silence de ses proches qui refusent de lui parler de ce qui s’est passé, alors qu’ils acceptent de se confier à un cinéaste réalisant un documentaire sur le sujet. Nous retrouvons ici la thématique première de l’écriture de Leïla Sebbar qui est la parole, ou plutôt le manque de parole. Tout son travail de mémoire part de ces non-dits, le plus souvent liés à l’exil, à une amnésie aussi bien politique, historique que culturelle.

Le récit documentaire, J’étais enfant en Algérie : juin 1962 où un enfant pris dans la tourmente, à la fin de la guerre, se questionne et s’inquiète sur la déchirure et la séparation qu’entraîne le départ des colons vers la France. Leïla Sebbar s’attache également à suivre le parcours d’une adolescente à travers une série de trois récits d’aventures. Le premier, Shérazade, 17 ans, brune, frisée, les yeux verts (Editions Stock, 1982) retrace, dans un registre à la fois drôle, extravagant et réaliste, les dérives d’une fugueuse de banlieue et ses rencontres dans Paris. Cette jeune fille insoumise erre dans la ville (un de ses squats préférés étant les bibliothèques) et côtoie les univers les plus sombres (drogue, prostitution) à la recherche de son identité et de sa liberté. Ses aventures se poursuivent avec Les carnets de Shérazade (même éditeur, 1985) où elle trace à travers la France sa propre géographie lyrique et amoureuse et invente, au fil de ses cahiers, une terre nouvelle à la croisée de l’Occident et de l’Orient, Le fou de Shérazade (même éditeur, 1991) narre la quête de Julien, qui depuis sa rencontre avec Shérazade à Paris, ne pense plus qu’à la retrouver même si cela implique de parcourir le monde entier. Enfin, les deux recueils de récits qu’elle a dirigés : Une enfance algérienne (Editions Gallimard, coll. Folio, 1997) où seize écrivains nés en Algérie avant l’Indépendance racontent des bribes de leur enfance et les regards qu’ils portaient alors sur leur histoire ; Une enfance d’ailleurs (Editions J’ai lu, 2002) réunit des auteurs nés et élevés dans un pays autre que la France, mais y vivant aujourd’hui, qui relatent un moment singulier ou des fragments de leur enfance étrangère. Encore une fois, ces histoires contribuent à montrer aux jeunes toute

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la richesse de la double culture et l’intérêt d’une dynamique mémorielle afin de mieux se construire et souligne aussi le travail collectif de l’auteure.

La recherche de l’identité dans l’écriture de leila sebbarIl est très difficile pour les écrivaines maghrébines de langue française de se constituer une identité à cause de leur situation extraordinaire entre deux cultures et plusieurs langues. Soit elles vivent hors du Maghreb, tandis que leurs œuvres traitent des sujets maghrébins, soit elles ont la nationalité française, elles sont nées ou ont, en tout cas, grandi en France, tout en restant attachées à la culture arabo-musulmane (cela concerne notamment les romancières de la littérature beure), soit elles habitent dans leur pays natal, mais elles instituent une distance subtile entre elles et leur pays puisqu’elles écrivent en langue française.Chaque langue, l’arabe oral, l’arabe littéraire, le berbère s’il est maîtrisé et le français, ajoute un « nouveau masque » à l’écrivaine .Cette pluralité aussi enrichissante qu’elle soit peut devenir schizophrénique si les diverses identités ne sont pas bien assimilées, si le Moi se perd parmi les différentes langues, parmi les différentes voix. Cette schizophrénie se caractérise par le heurt de deux cultures contradictoires qui sont en conflit. On remarque un mélange parfois subtil entre l’admiration et la haine. Ce heurt de deux cultures peut aller du désir de s’assimiler à l’autre jusqu’au rejet violent de celui-ci. La possibilité la plus positive est certainement une définition de l’identité qui prend en considération toutes les composantes de celle-ci.Leïla Sebbar jouit d’un statut particulier dans la littérature maghrébine de langue française ; elle fait partie du groupe des écrivaines qui sont « des deux » sans être tout à fait des deux, et qui essaient de retrouver la partie perdue de leur identité grâce à l’écriture : « (…) ce que j’ai compris c’est que j’ai écrit –et j’ai besoin d’écrire de la fiction, et donc de faire un travail d’écrivain – parce que je n’ai pas appris la langue de mon père... parce que l’arabe a été une langue absente... et parce que j’ai été séparée de la langue arabe, la langue de l’Algérie, la langue de la civilisation arabo-musulmane. »

Leïla Sebbar est donc confrontée à un éloignement réel qui est dû à son incompréhension de la langue arabe, langue de son père. Cet éloignement éveille en elle le vif besoin d’écrire : ainsi, elle cherche à réconcilier ce qui semble souvent inconciliable, elle cherche à rapprocher ce qui a été séparé par l’Histoire. Elle vit cet «entredeux» pas seulement comme stimulant et enrichissant, mais aussi comme une blessure, donc comme un éloignement symbolique grave.En fait, Leïla Sebbar est marquée par son enfance algérienne, ce qui veut dire que les souvenirs de ce pays la hantent, elle se sent proche de ce peuple, de

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même qu’elle se sent proche des immigrés algériens qui débarquent à Marseille ou arrivent à Paris afin d’améliorer leurs conditions de vie, et des jeunes Beurs et Beurettes qui quêtent leur identité. Néanmoins, elle n’a jamais fait entièrement partie de l’Algérie, ce qui explique pourquoi elle avait, encore au pays, l’impression de vivre dans la« citadelle de la langue française », c’est-à-dire dans un univers à part et hermétiquement fermé sur lui-même.Contrairement aux journalistes et écrivains qui, dans les années 1990, n’ont pas quitté l’Algérie, et qui, chaque fois où ils dénoncent ouvertement la situation, risquent leur vie, Leïla Sebbar a le privilège d’écrire à partir de la France. En même temps, comme elle est la fille d’une Française et d’un Algérien, elle est « des deux », ce qui engendre qu’elle a la bonne distance critique non seulement à l’égard de la France, mais aussi à l’égard de l’Algérie. C’est cette distance critique qui lui permet d’aborder des questions pénibles qui échappent peut-être à ceux qui sont au milieu de l’action parce qu’ils s’y habituent vite, ou qu’ils ne peuvent aborder que sous des risques inouïs.

Une écriture de l’exil

« L’exil peut être une forme d’initiation, d’apprentissage, si l’on possède les armes de la réflexion, si l’on n’est pas démuni matériellement (…) J’ai mis longtemps à apprendre à ne pas trop souffrir, à me situer dans un espace très particulier d’où l’on peut tenir la bonne distance pour observer et comprendre ; ce n’est pas toujours facile, c’est un travail d’équilibriste à partir de la France et de l’Algérie. J’écris parce que je me sens en exil en France, même si je suis établie socialement et citoyenne de ce pays. Quelque chose me manque : la langue de mon père, que j’essaie de retrouver avec des détours interminables. Si je n’écrivais pas, j’aurais besoin d’exprimer une violence plus agressive, à mes dépens sans doute » (Leila Sebbar, Propos recueillis par Taina Tervonen, février 2003.)

Leila Sebbar est d’abord et avant tout un écrivain de l’exil. Cet exil qui la constitue, et lui donne cette acuité dans la lecture qu’elle fait du monde. Un exil qui donne aussi de la gravité à son écriture. C’est en écrivant des lettres sur l’exil Lettres parisiennes, autopsie de l’exil avec Nancy Huston, qu’elle a commencé vraiment à réfléchir à cette notion d’exil, aux exils multiples, qui la constituent, par rapport à cette situation particulière. Car, l’auteur elle-même représente le produit de deux exils.L’exil donc est cet, objet âprement compliqué. Sentiment à la fois diffus et parfaitement précis, il habite entièrement une pensée tout en choisissant un lieu où il se fixe de préférence. La relation avec le père représente toute cette source de l’exil qui réside chez l’écrivaine, aspect mystérieux et énigmatique omniprésent dans la réflexion de l’auteure. C’est le drame de la narratrice, ce père a choisi d’occulter ce monde de l’ombre qui est son autre vie, de l’oblitérer aux yeux des siens, comme pour les protéger. Même exilé en France après l’indépendance, retraité à Nice, il ne dira jamais rien à sa fille Leila. Cette

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relation père/fille représente toutes les douleurs qu’a ressenties l’écrivaine, causées par le silence du père, et qui ont provoqué ces multiples questionnements dispersés à travers sa production littéraire en général, et dans le récit : Je ne parle pas la langue de mon père, en particulier.Leila Sebbar sait qu’elle est en exil du paysage de l’enfance, de cet endroit de L’ouest algérien où elle n’a jamais voulu retourner dans un premier temps.Mais l’exil qui la fonde, qui la constitue, c’est celui de la langue qu’elle n’a jamais parlé, la langue de son père, devenu de ce fait : l’étranger bien aimé. L’arabe, elle en connaît les sons, la musique et la mélodie. La violence aussi, celle des insultes que les garçons des quartiers arabes lançaient aux petites françaises, à elle et à ses sœurs sur le chemin de l’école, qui en ignoraient cependant le sens. L’arabe est en même temps la langue qu’elle n’a jamais connue et qu’elle a perdue ; « Parce que l’on peut perdre quelque chose que l’on a jamais eu mais qui était là » dit-elle.

Une écriture contre l’oubli, contre le silence

« Je veux dire que dans l’Histoire coloniale et dans mon histoire en Algérie, où j’ai vécu jusqu’à l’âge de 18 ans, où j’ai vécu la guerre, il y a tellement de blanc... de blanc, je veux dire, des choses non-dites, que je n’aurai jamais sues et que je ne saurai jamais, que j’ai besoin d’écrire sur ce blanc-là. » Leïla Sebbar dans l’interview avec Roswitha Geyss, Paris, le 16 mai 2005

Leïla Sebbar est surtout intéressée par la dynamique passé/présent. Cela veut dire que l’Algérie qu’elle raconte dans ses textes n’est jamais l’Algérie qui se veut loin de la France, l’Algérie qui a, d’une certaine façon« coupé les amarres » et qui nie qu’elle est pour toujours liée à la France par son passé, mais l’Algérie qui entretient avec la France des relations diverses. À cet égard, il est remarquable qu’elle s’intéresse surtout aux hommes et aux femmes qui ont aidé à écrire cette Histoire commune grâce à leurs œuvres d’art ou leurs migrations entre les deux rives de la Méditerranée. De ce désir de « réécrire » l’Histoire algérienne du point de vue de la dynamique passé/présent témoigne notamment son récent « carnet de voyages » Mes Algéries en France (2004). Dans la deuxième partie de celui-ci Leïla Sebbar s’approche de ses « sœurs étrangères » (c’est, d’ailleurs, aussi le titre du récit avec lequel elle commence cette deuxième partie et qu’elle consacre aux immigrées des blocs de banlieue, aux femmes des cartes postales coloniales et aux conteuses algériennes qui gardent la tradition et qui transmettent la mémoire aux générations futures). Ses « sœurs étrangères » peuplent tous les textes de l’écrivaine sous des apparences différentes : elles sont les odalisques de la peinture orientaliste dont Julien quête les représentations de brocante en brocante et que Shérazade contemple dans les musées, elles sont les Beurettes, fugueuses et traversières qui conquièrent cet espace flou et peu sûr entre les langues et les cultures, les mères qui ne parlent

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plus la langue de leurs enfants comme la mère chaleureuse du bref roman Parle mon fils, parle à ta mère (1984), parfois même des sorcières comme la vieille femme à la recherche de l’olivier déraciné dans Le Fou de Shérazade (1991). Mais quelle que soit leur apparence, elles ont toujours quelque chose en commun : elles sont des femmes très fortes qui conquièrent leur place dans un monde qui n’est pas toujours favorable aux femmes, et qui, pendant cette conquête, transgressent consciemment, parfois inconsciemment, mais inévitablement les limites de l’univers féminin. Elles rompent ainsi avec les tabous qui pèsent sur le corps et encore plus sur la voix de la femme.Dans la troisième partie de son « carnet de voyages » Mes Algéries en France intitulée « Arts et lettres », Leïla Sebbar s’approche de l’Algérie à travers les œuvres de ses savants, de ses intellectuels, de ses vedettes d’aujourd’hui (comme Zidane). Leïla Sebbar essaie d’écrire contre l’oubli (oubli du passé commun, oubli de grands personnages qui ont lutté pour l’indépendance du pays, mais aussi oubli des violences qui ont été commises…).

Leila sebbar et l’écriture autobiographique   : L’écriture est un instrument privilégié pour maîtriser le temps et pour dominer la mémoire. À cet égard, il est intéressant de constater que la majorité des autobiographies ne suivent que très rarement l’ordre chronologique.L’écriture autobiographique est certes vécue comme une nécessité, mais en même temps aussi comme un acte violent.En effet, l’autobiographie représente toujours un acte violent pour l’écrivain de sensibilité maghrébine, puisque dans la culture traditionnelle, tout ce qui touche à l’intimité, à la famille, à la vie des couples, à la relation entre les sexes doit être soigneusement voilé, l’individu doit s’effacer dans l’anonymat. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit d’une femme qui n’a pas le droit de parler publiquement, et encore moins le droit de parler de sa vie à elle ; la femme est celle qui doit voiler son regard en baissant ses paupières, voiler son corps en portant le voile et voiler sa voix en ne prenant pas publiquement la parole. Le récit Je ne parle pas la langue de mon père que Leïla Sebbar a publié en 2003 est nettement autobiographique, elle y utilise son nom et les noms de ses proches (p.ex. celui de sa cousine sourde-muette Aouicha, les noms des deux bonnes qui ont travaillé dans la maison d’école, Aïsha et Fatima…). En plus, les faits racontés dans le texte concordent avec les données biographiques de l’écrivaine.Dans Je ne parle pas la langue de mon père, Leïla Sebbar évoque la guerre d’indépendance en Algérie. Elle montre les conséquences de cette guerre sur la vie familiale, la vie des femmes, sur le monde quotidien ou sur le quartier où elles habitaient avec leur famille, elle parle aussi de sa vie aux côtés de son père qui était instituteur de français et donc menacé pendant la guerre d’indépendance parce qu’il enseignait la langue de l’ennemi à abattre.

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Dans cette œuvre, émerge plus violente que jamais la problématique posée par le dualisme linguistique, entre l’arabe, langue du père qu’elle ignore, et le français, langue maternelle

« Nous portions, mes sœurs et moi, en carapace, la citadelle de la langue de ma mère, la langue unique, la belle langue de la France, avec ses hauts murs opaques qu’aucune meurtrière ne fendait. »

de même que le sentiment personnel de suspension constante dans l’entre-deux:

« Je suis dans une situation un peu particulière, ni beure, ni maghrébine, ni tout à fait française. Je n’échapperai pas à la division biologique d’où je suis née. Rien, je le sais, ne préviendra jamais, n’abolira la rupture première, essentielle: mon père arabe, ma mère française, mon père musulman, ma mère chrétienne, mon père citadin d’une ville maritime, ma mère terrienne à l’intérieur de la France. Je me tiens au croisement, en déséquilibre constant, par peur de la folie et le reniement si je suis de ce côté- ci ou de ce côté-là. Alors je suis au bord de chacun de ses bords »

Ce sentiment de perte irrémédiable qu’elle module sur plusieurs tons et temps est omniprésent dans son dernier récit dans lequel elle tente de reconstruire, grâce à un douloureux travail de mémoire, “son roman familial algérien” dont elle dit ne savoir presque rien.

« Je n’apprendrai pas la langue de mon père.Je veux l’entendre, au hasard de mes pérégrinations. Entendre la voix de l’étranger bien-aimé, la voix de la terre et du corps de mon père que j’écris dans la langue de ma mère… »

Refus de combler ce manque sous peine de trahir sa quête, productrice d’écriture. Leïla Sebbar a laissé entendre dans différents débats que si elle réduisait cette méconnaissance, cela risquait de trahir l’écriture.

ConclusionDans son écriture, Leila Sebbar s’enrichit d’un regard multidimensionnel, son propre rêve étant de réconcilier les deux rives de la Méditerranée, l’Algérie et la France, sa tâche immédiate est de préserver de l’oubli l’histoire de leur rencontre, une rencontre conflictuelle et douloureuse pour les uns, prometteuse et parfois amoureuse pour les autres, elle ne fait que poursuivre le rêve de Mohammed Sebbar et Marie Bordas, le jeune couple franco-algérien qui a attribué l’identité de “croisé” à leurs enfants.

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