LeFigaroHistoireOctobreNovembre2015

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H H LA LÉGION PERDUE DE GERMANIE VIGÉE LE BRUN ITINÉRAIRE D’UNE ENFANT DU SIÈCLE 3’:HIKPPJ=ZU[^U\:?a@k@m@c@a"; M 05595 - 22 - F: 6,90 E - RD OCTOBRE-NOVEMBRE 2015 – BIMESTRIEL – NUMÉRO 22 LE SIÈCLE DES RÉFUGIÉS BEL : 7,60 € - CAN : 14 $C - CH : 12 FS - D : 8 € - DOM : 8 € - GRE : 7,60 € - LUX : 7,60 € - MAR : 78 DH - PORT.CONT : 8 € BEL : 7,60 € - CAN : 14 $C - CH : 12 FS - D : 8 € - DOM : 8 € - GRE : 7,60 € - LUX : 7,60 € - MAR : 78 DH - PORT.CONT : 8 € 1715 1715 LE LE ROI ROI SE SE MEURT MEURT L’automne du Roi-Soleil Versailles secret Le nouveau concert des puissances

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    LA LGIONPERDUE

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    OCTOBRE-NOVEMBRE 2015 BIMESTRIEL NUMRO22

    LE SICLEDES RFUGIS

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  • UN ROI, UNE VILLEEXPOSITION DU 10 OCTOBRE 2015 AU 9 JANVIER 2016GALERIE DES AFFAIRES TRANGRES 5, RUE DE LINDPENDANCE AMRICAINE, VERSAILLES

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  • DE LALLEMAGNE

    D I T O R I A LPar Michel De Jaeghere

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    ANDINETO

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    CONSEIL SCIENTIFIQUE.Prsident : JeanTulard,de lInstitut.Membres : Jean-PierreBabelon,de lInstitut ;Marie-FranoiseBaslez,professeurdhistoire ancienne luniversit de Paris-IV Sorbonne ;SimoneBertire,historienne,matre de confrences honoraire luniversit deBordeaux-IIIet lENSSvres ;Jean-PaulBled,professeur mrite (histoire contemporaine) luniversit deParis-IVSorbonne ;Jacques-OlivierBoudon,professeurdhistoire contemporaine luniversit deParis-IVSorbonne ;MaurizioDeLuca,anciendirecteur duLaboratoirede restaurationdesmusesduVatican ;EricMension-Rigau,professeurdhistoire sociale et culturelle luniversit deParis-IVSorbonne ;ArnoldNesselrath,professeurdhistoire de lart luniversitHumboldt deBerlin, dlgupour les dpartements scientifiques et les laboratoires desmuses duVatican ;DimitriosPandermalis,professeur mrite darchologie luniversitAristote deThessalonique, prsident dumuse de lAcropole dAthnes ;Jean-ChristianPetitfils,historien, docteur dEtat en sciences politiques ;Jean-Robert Pitte,de lInstitut, ancien prsident de luniversitde Paris-IV Sorbonne ;GiandomenicoRomanelli,professeur dhistoire de lart luniversitCa Foscari deVenise, ancien directeur dupalaisdesDoges ;JeanSvillia, journaliste et historien.

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    AngelaMerkel a surpris lopinion autant que les dirigeants euro-pens en adoptant, quelques jours de distance, des positionscontradictoires sur le drame des rfugis qui dferlent sur notrecontinentdepuis lafindelt.Aprs lesavoirclbrscommeunechancepour lAllemagne, laquelle ils donnaient la face dumonde, soixante-dix ans aprs la chute du IIIe Reich, et par laffichage dune gnrositostentatoire, loccasion dune spectaculaire rdemption enmmetempsquils viendraientpayer les retraitesdunepopulationvieillissante,compenser lestrousnoirs laissspar ladnatalitdunpeupleconvertiaumalthusianisme et dsormais anxieux de lavenir de la rente, offrir enfin sonpatronat unemain-duvre docile, instruite et bonmarch, ellea pris la dcision de fermer brutalement ses frontires en dcouvrantquelle avait, par lmme, attis un formidable appel dair, envoy, dansunmonde surmdiatis, unmessage aux dshrits de toute la terre,encouragaugrandet terrible voyage (1015%deceuxqui lentrepren-nent y laisseraient leur vie, selon certaines estimations) des foules illimi-tes, incontrlables. Enquelques jours,pasmoinsde63000demandeursdasile avaient fait irruption en Bavire, les chemins de fer avaient tsaturs, les municipalits saffolaient ; face la perspective de recevoirdici la fin de lanne unmilliondimmigrants, lorganisation lgendairedunpeuple rputpour son srieux avait paru, soudain, dborde.Leparadoxeestque, renonantauprixNobelde lapaixque lonsollici-

    taitdjpourelle, laChancelirenapascrudevoirrabattredesasuperbe.Elle sest faite au contrairemenaante pour promettre de lourdes sanc-tions financires aux nations europennes qui refuseraient daccepterleurquotade rfugis, commesi les27autresEtats souverainsde lUnionntaient, sesyeux,quedesLnder :principautsdunSaintEmpireaux-quelles il lui appartiendrait dimposer sansprcautions sa volont.Lpisode est de ceux qui tmoignent du poids de lhistoire dans les

    dveloppements de la plus brlante actualit.Le nationalisme allemand avait pris, avec Herder et avec Fichte, au

    dbut du XIXe sicle, le visage dune exaltation de la race qui en taitvenue faire fi de luniversalitde lanaturehumaine. Il avait conduit sesthurifraires proclamer le caractre incommensurable des valeurs,des cultures, des appartenances nationales, quil serait vain de songer fairepartagerceuxquine lesavaientpas reues, ennaissant,dans leursgnes. A dnoncer luniversalisme franais comme lemasque de notreprtention sournoise une domination laquelle nous naurions,depuis Louis XIV et Napolon, jamais vritablement renonc. A pro-mouvoir une conception raciale de la nation qui dniait toute lgiti-mit, touteconsistancecellequiprvalaitdepuisAristoteetqui tenait

    la communaut politique, la Cit, pour une famille de familles runiespar lhistoire, les murs, la religion, la recherche du bien commun : larencontre dune terre, dun peuple et dune culture, non le produit dunlevage de lapins. Parce quil avait seul chapp la colonisationromaine, conserv la langue primitive qui exprimait le gnie de ses ori-gines, le peuple allemand, dclarait Fichte en 1807, tait le seul qui et le droit de se proclamer purement et simplement le peuple parmi desnations dgnres (Discours la nation allemande).Cette vision des choses na pas t, quoi quon dise, sans lien avec

    lentreprise criminelle de Hitler. On la trouve au contraire la racine desa volont folle de purification ethnique, de son dsir de rcrire lhis-toire pour la nier en dportant les peuples, rectifiant les frontires,exterminant les populations qui lui paraissaient allognes. De saffran-chir de lhritage du pass pour redessiner, dans sa barbarie originelle,une Germanie dbarrasse de tout ce qui lavait, ses yeux, pollue aufil des sicles. Malgr Bach, malgr Beethoven, malgrGoethe, malgrSchiller, le nazisme nest pas n enAllemagne pour rien.En se ralliant la dmocratie parlementaire dans les dcombres dun

    pays dtruit par une guerre quelle avait appele sur sa tte, lAllemagneasolennellementrenidepuis1945cetteutopiecriminelle,multipli lesrepentancesetcommunidansunehontedespresquinapast, sansdoute, trangre au suicide dmographique auquel elle sest condam-neelle-mme.Lemalheurseraitqueceremords,quiauraitputresalu-taire, la conduise rpudier dans la foule toute vision quilibre de lanationsansdsarmer saprtention la suprmatieeuropenne.AngelaMerkel, qui nen est pas une contradiction prs, avait elle-mmeconstat, en 2010, lchec de la socitmulticulturelle. Or ce que rvleson projet initial douverture des frontires, cest une conception dela communaut nationale o, parce quon a cess de les considrercomme gntiquement dtermins, les hommes seraient dsormaistenus pour indfiniment interchangeables en fonction des ncessitsde la loi dumarch, sans que soient pris en compte leur culture, leurscoutumes, leur religion, leur pass. O lon pourrait, o lon devrait, nouveau, faire fi de lhistoire, en remodelant les peuples, au besoin parde vastes dplacements de populations. Ce que dnote son brutal revi-rement, commelavaitmanifest, avant lui, saduret intraitable lgarddesGrecs,cestuntatdespritquiconsidre lEuropecommeunempireque les Allemands ont par leur sens du travail, leur organisation, leurefficacit, vocation gouverner par diktat pour y imposer lhgmoniedubien commeun impratif kantien. Lune et lautre attitudes rvlent,au regard de lhistoire desmentalits, des continuits singulires.2

  • LHISTOIRE

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  • ACTUALIT DE LHISTOIRE8. Le sicle des rfugisPar Grard-Franois Dumont16. Palmyre, chronique dunemortannonce Par Annie Sartre18. Fentre de tirPar Jean-Louis Thiriot20.Marignan, cette illustre inconnuePar Amable Sablon du Corail23. Commmoration Par Albane Piot24. La deuximemort des roisPar Jean Svillia26. La grandemnageriePar Geoffroy Caillet27. Ct livres33. De prs, de loinPar Franois-Xavier Bellamy34. Expositions Par Pierre de La Tailleet Albane Piot36. Cinma Par Geoffroy Caillet38. TlvisionParMarie-Amlie Brocard39. A la table de lHistoirePar Jean-Robert Pitte, de lInstitut

    EN COUVERTURE42. Les sept dernires paroles du roi Par AlexandreMaral48. Pompes funbres52. Lhomme et le roi Entretien avec Lucien BlyPropos recueillis parMichel De Jaeghere58. Lclipse du Soleil Par Jean-Christian Petitfils68. 1715, le club des cinq Par Thierry Sarmant72. Au service de SaMajest ParMathieu da Vinha80. Lettres persanes Par Jean-Franois Bassinet84.Madame deMaintenant Par AgnsWalch86. Soleil couchant Par Jean-Louis Thiriot, illustrations de SimonAndriveau94. Bibliothque duGrand Sicle98. Lalle du roi99. Louis de Versailles100. Les derniers feux du rgne Par Albane Piot

    LESPRIT DES LIEUX106. La lgion perdue de GermaniePar Jean-Louis Voisin114. Dans le secret du ScriptoriumPar Isabelle Schmitz118. Itinraire dune enfant du siclePar Albane Piot126. Les cinq vies de ClairvauxParMarie-Laure Castelnau130. Avant, Aprs Par Vincent Trmolet de Villers

    Socit duFigaroSige social 14, boulevardHaussmann, 75009Paris.PrsidentSergeDassault. DirecteurGnral, Directeur de la publicationMarcFeuille. Directeur des rdactionsAlexisBrzet.LEFIGAROHISTOIRE. Directeur de la rdactionMichelDeJaeghere. Rdacteur en chefGeoffroyCaillet.EnqutesAlbanePiot. Chef de studioFranoiseGrandclaude. Secrtariat de rdactionCaroline Lcharny-Maratray.Rdacteur photoCaroleBrochart.EditeurSofiaBengana. Editeur adjointRobertMergui. Directeur Industriel :MarcTonkovic.Responsable fabrication :SergeScotte.Responsable pr-presse :Alain Penet. Relations presse et communicationMarieMller.LEFIGAROHISTOIRE. Commission paritaire : 0619K91376. ISSN : 2259-2733.Edit par la Socit duFigaro.Rdaction 14, boulevardHaussmann, 75009Paris. Tl. : 01 57085000. Rgie publicitaireFigaroMdias.Prsident-directeur gnralAuroreDomont. 14, boulevardHaussmann, 75009Paris. Tl. : 01 56522626.ImprimenFrancepar ImayeGraphic, 96, boulevardHenri-Becquerel, 53000Laval. Septembre 2015.ImprimenFrance/Printed in France.Abonnementunan (6 numros) : 29TTC.Etranger, nous consulter au 0170373170, dulundi au vendredi, de 7 heures 17heures, le samedi, de 8 heures 12heures.Le FigaroHistoire est disponible sur iPhone et iPad.

    AuSommaire

    CE NUMRO A T RALIS AVEC LA COLLABORATION DE FRDRICVALLOIRE, JOSPHINE DEVARAX,MARGUERITE DEMONICAULT,MARISA BUENO,PHILIPPEMAXENCE,DOROTHE BELLAMY, SOPHIEHUMANN,YVESCHIRON, PATRICIAMOSS, FABRICATION, BLANDINEHUK, SECRTAIRE DE RDACTION,MARIAVARNIER, ICONOGRAPHE. EN COUVERTURE CHTEAU DE VERSAILLES (DIST-RMN-GRAND PALAIS)/CHRISTOPHE FOUIN. INTERFOTO/LA COLLECTION. 2011HEINERMLLER-ELSNER/AGENTUR FOCUS/COSMOS. FRANCK RAUX/RMN-GP/SP.

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    de lenvironnement.

  • ACTUALITDELHISTOIRE

    PAR SON AMPLEUR COMME PAR SES CONSQUENCES, LA CRISE MIGRATOIREQUE TRAVERSE LEUROPE PRSENTE TOUS LES CARACTRES DUNE SITUATIONNOUVELLE. LHISTOIRE DES SEPT GRANDS EXODES QUI LONT PRCDEAU XXE SICLE CLAIRE CEPENDANT LES CIRCONSTANCES ET LES ENJEUXQUI SOUS-TENDENT LE DPLACEMENT DE MILLIONS DE PERSONNES.

    16PALMYRE,CHRONIQUEDUNE MORTANNONCEAPRS LA DESTRUCTION DES JOYAUX DEMSOPOTAMIE PAR LA FOLIEISLAMISTE DEDAECH, LANTIQUE CIT SYRIENNE DEPALMYRE TAITEN SURSIS. LE DYNAMITAGE DE DEUX TEMPLES ET DE PLUSIEURS TOURSFUNRAIRES VIENT DYMETTRE FIN, SOUS LES YEUX DE LOCCIDENT.

    8LLEE SICLESICLE DESDES RFUGISRFUGIS

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  • MARIGNAN,ON NEN CONNAT SOUVENT QUE LE NOM, MCANIQUEMENT ASSOCI LANNE 1515.AMABLE SABLON DUCORAIL LVE LE VOILE SUR LA VRITABLEHISTOIRE DE LA BATAILLE QUI VIT LA VICTOIRE DE FRANOIS IER.

    ET AUSSIFENTRE DE TIR

    COMMMORATIONLA DEUXIME MORT DES ROIS

    LA GRANDE MNAGERIECT LIVRES

    DE PRS, DE LOINEXPOSITIONS

    CINMATLVISION

    LA TABLE DE LHISTOIRE

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  • ACTUALITDEL'HISTOIRE

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    Le XXe sicle a t en Europe le thtre de sept grandsexodes dont lhistoire est riche denseignements pour tenterde comprendre les enjeux de lactuelle crise des migrants.

    Mme prvisible, la vague de cen-taines de milliers de personnesqui fuient la violence islamiste auProche-Orient et la guerre civile en Syrie,et laquelle se joignent desmigrants venusdesBalkans, duProche-OrientoudAfrique,nen finit pas dtonner par son ampleur.Bien que ses ressorts et que les choix quelleimpose lEurope relvent dune situationindite, elle sinscrit dans la ligne des nom-breux exodes qui ont ponctu le XXe sicle,quils soient lis des guerres internationa-les, des conflits civils, des purifications eth-niques, des dportations de minorits oudes rgimes liberticides.Sans parler des quatre gnocides (arm-

    nien, juif, cambodgien et rwandais), qui sesont galement traduits par le dpart derescaps, ni prtendre lexhaustivit, lammoiredusicleprcdentatmarqueparseptgrandsexodes, soitdesmigrationscontraintes de personnes cherchant assu-rer leur simple survie. Leur histoire est aussiriche denseignements sur les circonstancesde leur dpart que sur les consquences deleur arrive dans les pays daccueil.

    LE DOUBLE EXODE DESGRECSET DESTURCS (1923)Peupl de Grecs depuis le IIe millnaireav. J.-C., le territoirede laTurquieactuelle futsoumis, partir du XIe sicle, la conqutedes Turcs seldjoukides. En 1299, un Empire

    ottoman se constitue et tablit dfinitive-ment sonpouvoir en1453avec laprisede lacapitale byzantine, Constantinople. Il allaitdurer jusqu laube duXXe sicle.Sa dfaite et son effondrement lors de la

    Premire Guerre mondiale sont suivis devictoiresmilitaires turques contre la Grce.La Turquie, au rebours du caractre plu-riethniqueetplurireligieuxde lEmpireotto-man, veut en effet instaurer un Etat pur,

    en prolongeant vis--vis desminorits, sousdes formes certesmoins brutales, les effetsdhomognisation de la population issusdu processus gnocidaire de 1915 vis--visdes Armniens, des Assyriens et des Grecsdu Pont. Or la Turquie compte, dans sesnouvelles frontires, plus de 1,5 millionde Grecs sur la cte occidentale de lAsieMineure, dans le Pont et en Thrace. Privi-lgiant les relations avec le nouvel Etat turc

    VIES EN SURSIS Enfants dans un camp de rfugis pour chrtiens grecs et Armniensde Turquie (Athnes, 1923). Aprs la victoire deMustafa Kemal sur la Grce, le traitde Lausanne, sign le 24 juillet 1923, validait le double exode des Grecs de Turquieet des Turcs de Grce. Page de droite : groupe aux abords de la ville hongroise de Szeged,en provenance de Serbie, le 8 septembre 2015. Prs de 160 000migrants ont pntren Hongrie cette anne, dont 2 706 pour la seule journe du 7 septembre.

    L A F F I C H EPar Grard-Franois Dumont

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  • dirig par Mustafa Kemal Atatrk, lesOccidentaux (Empire britannique, France,Italie, Japon, Grce, Roumanie, Etat serbe-croate-slovne) signrent le 24 juillet 1923le traitde Lausanne.Celui-ci validait lexpulsion de 1 350 000

    Grecs de Turquie en mme temps quecelle des 430 000 Turcs rsidant dans plu-sieurs rgions deGrce (Epire,Macdoine,Thrace, les de la mer Ege, Crte et Thes-salie). Il prvoyait cependant le maintiendeminorits turques enGrce et grecquesen Turquie avec lassurance de leur libertde culte, dducation et dexpression,notamment Istanbul, qui comptait alorsune trs importante minorit grecque.La Turquie stant engage sur ce point,les puissances de lEntente vacurentIstanbul le 2octobre1923. Le6octobre, leskmalistes entraient dans la ville.Le double exode est encadr par une

    commissionmixte,miseenplacepour liqui-der les biens des populations changes. Lamesure vise rompre tout lien avec le paysdorigine : des centaines demilliers deGrecsse retrouvent ainsi dans leur nouvelle patriesans aucune ressource, dans lattentede leurddommagement.Lemanquedestructuresdisponibles pour accueillir une telle vaguemigratoireencontraintgalementungrandnombre habiter sous des tentes, dans deshuttes ou des baraquements, en ville ou lacampagne, jusqu la fin des annes 1920.Surplace, ils seheurtentenfin lindiffrencede lEtat et lhostilitdes autochtones.Depuis 1923, la Grce a respect le trait

    de Lausanne. Elle compte encore uneminoritmusulmane ethniquement tur-quebnficiant dune large autonomie, parexemple en matire de justice, ce qui luidonne le droit dappliquer non les lois grec-ques,mais des rgles dcoulantde la charia.La Turquie, en revanche, sest carte dslorigine de ses engagements concernantles minorits. Consquence de sa volontdpuration, la politique liberticide quelle amene depuis lors a provoqu lexode dedizaines demilliers dautres chrtiens grecs.Malgr lepoidsdmographiqueabsoluet

    relatif toujoursplus faiblede cetteminorit,Ankarapersistedansson intentionde lcar-ter. Ainsi, en 1971, le pouvoir turc a fermle seul sminaire orthodoxe subsistant

  • ACTUALITDEL'HISTOIRE

    sur lle dHalki, proche dIstanbul et ainterdit den crer de nouveaux ; les douzemtropolites qui lisent le patriarche doi-vent tous tre de nationalit turque. LesTurcs de confession orthodoxe ne sontdonc plus aujourdhui quune poigne,environ 2 000, parmi lesquels le patriarchecumnique deConstantinople.

    LEXODE DES RPUBLICAINSESPAGNOLS (1937 ET 1939)Ds quelle clate en 1936, la guerre civileespagnole dclenche des mouvementsmigratoires vers la France. Ceux-ci restentdabord limits pour trois raisons : le Paysbasqueet laCatalognedemeurentalorsauxmains des rpublicains ; la Navarre, qui serallie ds le dbut Franco, ne subit gure leconflit civil ; les capitales de lAragon Sara-gosse et Teruel se trouvent rapidementsous lemprise des franquistes.Le premier exode significatif vers la

    France, qui compte plusieurs dizaines demilliers de personnes, provient du Paysbasque et suit la prise de Bilbao par lesfranquistes en juin 1937. Deux ans plustard, le 26 janvier 1939, la conqute de

    Barcelone dclenche un exode massif, quisoriente essentiellement vers les Pyrnes-Orientales. Il est permis par louverture dela frontire franco-espagnole, dcide lafoispar laFrance le28 janvier etpar les vain-queurs franquistes, qui facilitent ainsi ledpartde leursadversaires.Cetexode,bap-tis la Retirada, passe par Cerbre, Le Per-thus, Prats-de-Mollo ou Bourg-Madame,et concerne environ 475 000 personnes,parmi lesquelles des civils fuyant les der-niers combats et des soldats rpublicains,dsarms leur arrive en France.Dabord dborde face cet afflux, la

    France organise ce que le gouvernementappelle des camps de concentration ,mme sil sagit en ralit plutt de campsdinternement : les rfugis sont regrou-ps et encadrs dans une dizaine de cescampspar larme franaise.CertainsceuxdArgels-sur-Mer, du Barcars et de Saint-Cyprien sont construits mme le sablepar les rfugis, utiliss comme main-duvre par les autorits. Dautres campsinstalls au Vernet dArige, Septfonds, Rieucros, Gurs, Bramou Agde compl-tent le dispositif dinternement.

    Le sort des 475 000 rfugis varie. Nom-bre de civils retournent spontanment enEspagne la fin de la guerre civile, dclarepar Franco le 1er avril 1939. La France, quiencourage ces dparts pour allger lacharge reprsente par les rfugis, sembleavoir aussi organis des rapatriements for-cs.DautresrfugismigrentenAmriquelatine, notamment auMexique, refusantderevenir en Espagne tant que Franco sera aupouvoir. Alors que la SecondeGuerremon-diale est sur le point dclater, le gouverne-ment franais voit dans les rfugis unemain-duvre potentielle pour remplacerles futurs appels au front. Ds avril 1939,des Compagnies de travailleurs trangerssont ainsi organises par un dcret-loi, quiembauchent desmilliers dEspagnols pourdes travauxde fortificationdes frontires etautres travaux publics. En outre, la fin de1939, des rpublicains espagnols deman-dent sengager dans les bataillons tran-gers de larme franaise. Certains rejoin-dront ensuite la Rsistance.Soixante-dix ans aprs la Retirada, les

    anciens rfugis espagnols ou leurs descen-dants,devenusfranais,viventtoujoursprin-cipalement dans le Sud-Ouest. Ilsuvrentpour conserver lammoiredecet exode.

    LES PEUPLES PUNISDUNION SOVITIQUE (1941-1944)Mme si les exodes punitifs des minoritsde lURSS vers lAsie centrale se droulentsurtout la fin de la Seconde Guerremon-diale, Moscou en avait dj dvelopp lapratique avant la guerre. Au cours duconflit, la premire minorit soumise unexode, organis avec violence et clritpar les autorits sovitiques, concerne, en1941, les Allemands de la Volga : les des-cendants des Allemands qui staient ins-tallspartirde1764enRussie linvitation

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    Istanbul

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    Burgas

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    Exodes grec et turc aprs le trait de Lausanne (1923)

    100 km

    Plus de 50 %

    Implantationsdes Grecs horsde Grce avant 1923

    De 26 50 %De 10 25 %Moins de 10 %

    Proportion de rfugisdans les nomes de Grce

    Grecs

    Turcs

    XXX Nombrede personnes

    CHASS-CROIS Les changesde populations prvus par le traitde Lausanne seffecturent dansdes conditions particulirementprouvantes pour les Grecs.A leur arrive dans leur patriedorigine, lemanque de structuresdaccueil en contraignit beaucoup camper sous des abris de fortunependant toutes les annes 1920.

    10h

  • de Catherine II, dsireuse dencouragerlinstallation de colons trangers sur lesterres devenues russes.Aprs la rupture du pacte germano-

    sovitique (22 juin 1941), les offensives delarme allemande font reculer lArmerouge. Prtextant une trahison, Moscoudcide alors, le 28 aot 1941, par undcretdu Prsidium du Soviet suprme, ladportation des Allemands vivant enURSS, dont les plus nombreux habitentdans la rgionde laVolga. Au total, 1,5mil-lion dAllemands sont dports dans deswagons bestiaux vers les rpubliquessovitiques dAsie centrale, en particulierle Kazakhstan, la Kirghizie et lOuzbkis-tan, ou vers la Sibrie. Desmilliers succom-bent pendant le transfert. Ces dportssont installs dans des baraquements oudes maisons de bois, voire sous des tentes.Le gouvernement, qui a dj une exp-rience du goulag, organise rapidement unservice de travail forc de grande ampleur,rquisitionnant les dports pour rempla-cer les ouvriers russes partis au front.Entre novembre 1943 et juin 1944, une

    deuxime vague de dportations est orga-nise vers les mmes destinations pour lespeuples du Caucase nord (609 000 Tch-tchnes, Ingouches, Karatchas, Balkars),de Crime (183 000 Tatars) et du nord-ouest de la mer Caspienne (92 000 Kal-mouks). Ils sont accuss davoir collaboravec lennemi durant la priode, parfoistrs courte, de loccupation allemande,notamment dans les montagnes du Cau-case. Enfin, de juillet dcembre 1944, unetroisime vague de dportations achve lapurification ethniquedes rgions fron-talires de lURSS. Elle concerne diversespopulations de Crime (45 000Grecs, Bul-gares, Armniens, Roumains) et duCau-case (200 000 Turcs Meskhtes, Kurdes,Khemchines, Lazes), leur appartenanceethnique les rendant potentiellementdangereuses pourMoscou.Avec la dstalinisation, la dlivrance aux

    dplacs spciaux dun passeport quileur permet de migrer lintrieur du ter-ritoire sovitique est adopte en 1955, lexclusion desAllemands de la Volga et desTatars de Crime. Certains dports com-mencent alors revenir dans leur rgion

    dorigine, dautant que plusieurs rpubli-ques autonomes, qui avaient t suppri-mes de la carte administrative de lURSS,sont rtablies : rpubliques de Kalmoukie,de Tchtchnie-Ingouchie, de Kabardino-Balkarie, de Karatchie-Tcherkessie. Maisdautres restent sur place, notammentparce que le retour pose de nombreux pro-blmes, comme la restitution des biensimmobiliers. Aprs la chute de lEmpire

    RFUGIS ET DPORTS En haut : des rfugis espagnols arrivant au Perthus (Pyrnes-Orientales) avec quelques vtements, le 27 janvier 1939. La conqute de Barcelonepar larme de Franco le jour prcdent avait dclench cet exode de 475 000 rpublicains,baptis la Retirada et facilit par louverture de la frontire franco-espagnole. En bas :un convoi sovitique traverse un village tatar le 3 dcembre 1941. Prs de 183 000 Tatarsde Crime seront dports par Staline, au premier semestre 1944, vers les rpubliquessovitiques dAsie centrale et en Sibrie.

    sovitique,unenouvellevaguederetourssedploiera chez les Tatars de Crime. Quantaux Allemands, nombre dentre eux rega-gneront alors le pays de leurs anctres.Aujourdhui, en Russie, des mmoriaux

    rappellent ici et l ladate laquelle le retouratpossible.CeluideNaltchik (capitaledela Kabardino-Balkarie, rgion du Caucasefrontalire de la Gorgie) indique ainsi engrosses lettres :28mai 1957.

    ID.EX

    CELSIOR-LE

    QUIPE/RO

    GER

    -VIO

    LLET.

    KEYS

    TONE/GAMMA.

    11h

  • ACTUALITDEL'HISTOIRE

    LESALLEMANDSDEUROPE DE LEST (1945)A la veille de la Seconde Guerremondiale,lEmpire allemand stend lest de lOder-Neisse, en Pomranie, en Silsie et enPrusse-Orientale : des territoires peuplsen trs grande majorit de personnes delangue et de culture allemandes. Sy ajoute,en Tchcoslovaquie, une forte prsencedAllemands, minoritaires dans cet Etatmais largementmajoritairesdanscertainesde ses rgions appeles les Sudtes.En 1945, la dfaite de lAllemagne nazie

    favorise lapptit territorial de lURSS etrecompose la gographie ethnique delEurope centrale et orientale au dtri-ment des populations de langue alle-mande. Dj, nombre dAllemands sontsoumis lexode face aux avances delArme rouge, qui opre, par exempledans la rgion de Knigsberg, en Prusse-Orientale, un nettoyage ethnique de tou-tes les populations (allemande, polonaise,lituanienne, mazurienne), pour dispo-ser dun autre accs la Baltique.Lexode desAllemands de lest de lOder-

    Neisse et des Sudtes est dailleurs act,fin juillet 1945, dans un paragraphe desaccords de Potsdam qui nemploie pas lemot exode : Les trois gouvernements[Etats-Unis, Royaume-Uni et URSS], aprsavoir considr la question sous tous lesaspects, reconnaissent que le transfert verslAllemagne des populations allemandes

    restantes en Pologne, en Tchcoslovaquie etenHongrie doit tre entrepris. Ils saccordentsur le fait que ces transferts devront se fairede manire ordonne et humaine. Cettedernire disposition na t nullementrespecte. Si les vainqueurs nexplicitentgure les raisons de cet exode programm,cinq raisons peuvent tre avances.La premire tient lide que des Etats

    ethniquement homognes seraient unmoyen dviter des conflits. Par ailleurs,lURSS considre que le maintien dAlle-mands dans des territoires conquis parelle compliquerait linstauration du com-munisme. Une troisime raison consiste rendre les Allemands collectivement res-ponsablesdunazisme :de lunexodepuni-tif lesloignantdes terresdEuropecentraleou orientale, o ils habitaient pourtantdepuis plusieurs sicles. En quatrime lieu,Moscou voit un avantage gopolitiqueaux expulsions, susceptibles dexporter ladiscorde entre lEurope de lOuest et la

    Pologne ou la Tchcoslovaquie : pourviter toute revendication territorialefuture de lAllemagne, ces deux Etatsseraient en effet naturellement conduits solliciter la protection de lURSS. Enfin,Moscou voit favorablement lappro-priation des biens abandonns par lesAllemands expulss.Environ 7 millions dAllemands sont

    ainsi chasss des terres prises par la Russie(Knigsberg devenu Kaliningrad) ou don-nes la Pologne. Deux trois autres mil-lions doivent quitter la Tchcoslovaquie.Beaucoupdhommes tant encore prison-niers, leur exode est constitu essentielle-ment de femmes, denfants et de vieillards.Il a lieu dans des conditions atroces, mar-ques par les maladies et les privations,mais aussi par les pillages, les massacres etles viols. Des centaines de milliers de per-sonnes meurent de faim et de froid sur lesroutes. A leur arrive dans une Allemagneravage, personne ne les attend. A la fin de

    Knigsberg

    G

    G

    G

    G

    MerAdriatique

    Merdu Nord

    MerBaltique

    200 km

    MerNoire

    URSS

    MOLDAVIE

    LITUANIE

    POLOGNE

    GRCE

    TURQUIE

    NORVGE

    HONGRIE

    TCHCOSLOVAQUIE

    YOUGOSLAVIE

    ALBANIE

    ROUMANIE

    BULGARIE

    DANEMARK

    BELG.

    PAYS-BAS

    ALLEMAGNEDE LOUEST

    ALLEMAGNEDE LEST

    ESTONIE

    LETTONIE

    BILORUSSIE

    UKRAINE

    FRANCE

    ITALIE

    SUISSE

    AUTRICHE

    SUDE

    FINLANDE

    Etats pro-occidentauxEtats neutresEtat neutre communisteUnion sovitiqueEtats satellites de lURSS

    Dplacements et dportations

    Allemands Tchq. et Slovaques

    PolonaisTurcsHongrois

    Baltes

    Grecs Roumains

    Bulgares Italiens

    SovitiquesSerbes et Croates

    X Milliers de personnes

    Dportationau GoulagDplacements et dportations 1945-1953 G

    Trieste

    Sudtes

    LigneOder-Neisse

    Camps

    Camp

    Camps

    100

    100

    100100

    3 000

    3 000

    1 5001 800

    100

    120

    250

    90150

    140

    100

    75

    84

    118

    518

    400

    200

    400

    200

    50

    5040

    40 70

    150

    4 500

    2 500

    2 000

    2 300

    1 800

    1 750

    640

    1500

    12h

  • 1945, en ajoutant les Allemands chasssdautres territoires europens (Roumanie,Hongrie), lAllemagne de lOuest, pourlessentiel, accueille plus de 10 millions dedplacs et lAutriche un demi-million. Eny ajoutant, les annes suivantes, dautresexodesdAllemands,provoquspar lactionde milices et de gouvernements dEuropede lEstdevenuscommunistes, leplusgrandexode du XXe sicle reprsentera environ14millions de personnes.

    PIEDS-NOIRS ET HARKIS (1962)En 1962, la fin de la guerre dAlgrie estmarque par un double exode. Aprs lasignature, le 18 mars, des accords dEvian,le gouvernement franais prvoit tout auplus 100 000 arrives au cours de lanne.Cest sans compter les violences exercesaprs ces accords et mme aprs lind-pendance proclame le 5 juillet 1962 contre les Europens dAlgrie et les harkis.700 000 pieds-noirs le surnommprisant

    que leurdonnent lesmtropolitainsdepuisle dclenchement de la guerre dAlgrie entament un exode vers lamtropole dansla seule anne 1962, parmi lesquels 450 000dbarquent Marseille. 300 000 autres ontsubi lexode les annes prcdentes ou sui-vantes, dont 110 000 Juifs dAlgrie.Leur accueil est souvent loin dtre cha-

    leureux, comme en tmoigne la dclara-tion du maire de Marseille, Gaston Def-ferre, en juillet 1962, les invitant seradapter ailleurs . Les pouvoirs publicssontdpasss. Ils neparviennent enpren-dre en charge quun cinquime, dans desconditions souvent peu reluisantes. Lesautres doivent se dbrouiller eux-mmesou bnficier de la solidarit dassociationsagissant heureusement rebours desmili-tants communistes et de la CGT, qui faitapposer par ses dockers des banderolesportant des messages de bienvenue commePieds-noirs, rentrez chez vousou Les pieds-noirs lamer

    Leministre des Rapatris prend ensuitedes mesures durgence : logements provi-soires, allocations diverses, scolarisationdes enfants, incitation financire acqurirune formationprofessionnelle et, surtout,quitter leMidi. Surcedernierpoint, le rsul-tat est limit : 20 % des rapatris restentainsi Marseille. Toutefois, assez rapide-ment, lintgrationdes rapatris se ralise, la fois grce leur dynamisme et la bonnesantconomiquede laFrancedesTrenteGlorieuses . Un contentieux demeurepourtant entre les pouvoirs publics et lesorganisations de rapatris : lindemnisationdes biens spolis par lAlgrie.Concernant les harkis, auxiliaires des

    troupes franaises pendant la guerredAlgrie, une note de larme franaise dejanvier 1961 expliquait que ceux desAlgriens qui [combattent] ses cts etleurs familles navaient rien craindre delindpendance. Pourtant, de 1957 1962,plusieurs documents du FLN prvoyaientexplicitement quils ne mritaient que lgorgement . Cette mesure va effecti-vement tre mise enuvre, en violationdes clauses de non-reprsailles contenuesdans les accords avec la France. Les musul-mans profranais ou considrs commetels sont en proie pendant des mois, surla quasi-totalit du territoire algrien, de terribles violences. La seule issue estlexode vers la France. Plus de 100 000 har-kis et membres de leurs familles par-viennent la rejoindre. Dautres plusnombreux se heurtent aux autoritsfranaises, qui ont pris des mesures pourentraver le transfert des anciens suppltifset de leur famille vers lamtropole.Mme si les entreprises sont avides de

    cette main-duvre, les harkis sont pluttmal reus en France. Un demi-sicle plustard, eux et leurs descendants sont pleine-ment franais, mais ils attendent toujoursla reconnaissance solennelle de la respon-sabilitde la Francedans leur abandon lorsde lindpendance de lAlgrie.

    LES BOAT PEOPLE (1975-1979)La seconde phase de la guerre du Vietnam(1965-1973), marque par linterventiondes Etats-Unis pour contenir le commu-nisme, sachve le 27 janvier 1973 avec la

    FUITE ENAVANTAgauche :de tous lesdplacementsde populationsintra-europenslis la SecondeGuerremondiale,les 14millionsdAllemandsexpulssdEurope centraleet orientalereprsententle plus grandexode duXXe sicle.Sous la carte :des Allemandsfuyant loffensivesovitique,en janvier 1945.Ci-contre :des pieds-noirsrapatrisdAlgrieen juin 1962.Ils furent 450 000 dbarquerMarseille, dansdes conditionspouvantables.

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    13h

  • ACTUALITDEL'HISTOIRE

    signature des accords de Paris : la frontireentre les deux Vietnam est reconnue, unprocessus de rconciliation nationale estprvu au Sud-Vietnam avec la tenuedlections. Le 31 mars 1973, les troupesamricaines ont quitt le pays. Mais, trsrapidement, le Nord-Vietnam fait fi desaccords de paix et prpare la conqutemilitaire du Sud-Vietnam. Mise enuvredbut 1975, elle aboutit la chute deSaigon le 30 avril 1975. Pour nombre deVietnamiens du Sud, le risque demassacreest rel. La volont et la logistique desEtats-Unis permettent trs rapidement 200 000 personnes de fuir en Amrique.Violent et liberticide, le rgime commu-

    niste vietnamiendploie aussittunepoli-tique de colonisation du sud du pays et devengeance, qui envoie dans des camps derducation les membres de larme sud-vietnamienne vaincue, mais aussi les intel-lectuels et les jeunes. Ladlationest encou-rage et les espoirs de ceux qui espraientla construction dun nouveau Vietnam loccasion de la runification du pays sontamrement dus.Dans les douze annes qui suivent luni-

    fication du Vietnam sous rgime commu-niste, lexode va ds lors concerner prs de2 des 48 millions de Vietnamiens. Les fili-resdvasionpar lamer semettentenplaceavec lencouragement implicite du gou-vernement, qui les rackette et apprcie unexode qui loigne dventuels opposantstout enpermettant au rgimede senrichirde tous les biens meubles et immeubles

    abandonns. En 1978, le gouvernementorganise une vritable purification ethni-que lgard de la population vietna-mienne dorigine chinoise, les Hoa, et lapousse galement au dpart par centai-nes de milliers, sur fond de rupture diplo-matique avec la Chine.Ces exodes cumuls provoquent la tra-

    gdie des boat people, ces familles fuyant bord dembarcations de fortune vers unedestination inconnue, qui sera souvent lamort en mer. Elles doivent en effet affron-ter les temptes, mais aussi les pirates quiles dpouillent et slectionnent parfois lesfemmes jeunes pour les livrer la prostitu-tion. Par sa dimension inhumaine, la trag-die des boat people choque lopinion occi-dentale. Quant aux camps de rfugisinstalls dans des pays proches du Viet-nam, ils ne dsemplissent pas.A la suite dune confrence Genve les

    20 et 21 juillet 1979, les pays occidentauxpermettent enfin aux rfugis de dposerdes demandes dasile. Sur 754 842 Vietna-miens des camps de premier refuge dontlasile est accept, 424 590 rejoignent alorsles Etats-Unis, 103 053 le Canada et 27 071la France. Pourmesurer limportance de ladiaspora vietnamienne dans le monde, ilfaut ajouter ces chiffres les rfugis par-venus fuir le Vietnam sans passer par descampsHCR, soit plus de 1,2milliondeper-sonnes. Depuis 1979, la libralisation co-nomiquepartielle du rgime communiste,conscutive lchec de la socialisationmarche force, na pas suffi crer les

    conditions dun retour significatif de ladiaspora vietnamienne.

    GUERRES ENYOUGOSLAVIE(1991-1995)Dans la premire moiti des annes 1990,lclatement de la Yougoslavie se trouverythm par trois guerres (Slovnie, Croatieet Bosnie-Herzgovine) qui provoquentle plus fort exode enregistr en Europedepuis la Seconde Guerre mondiale. Dou-bles dactions militaires de purificationethnico-religieuse, elles dbouchent sur ledplacement interne de 4millions de per-sonnes et 700 000 dparts transfrontaliers.La proclamation dindpendance de la

    Slovnie le 25 juin 1991, qui acte lclate-ment de la Rpublique socialiste fd-rative de Yougoslavie, nengendre quunexode trs limit, parce que les combatsnydurentquequelques jours etque lepayscompte peu de Serbes. En revanche, la pro-clamation dindpendance, le mme jour,de la Croatie, avec ses 4,7 millions dhabi-tants, dontenvironundemi-milliondeSer-bes, dclencheuneguerre civile : les provin-ces croates forte population serbe fontscession et se regroupent au sein dunefdration non reconnue par le gouverne-mentcroate.Desaffrontementscaractreethnique clatent, dabord lavantage ter-ritorial des Serbes deCroatie, dans la rgionde laKrajina.Lorsque,enaot1995, laCroa-tie reprend le contrle de la Krajina, ellepousse lexodeenviron30000militaires etparamilitaires serbes et 200 000 civils, quifuient en Bosnie-Herzgovine et en Serbie.En 1992, la guerre stend la Bosnie-

    Herzgovine, une rgion de lex-Yougosla-vie dpourvue de groupe ethnique majo-ritaire (44 % de Bosniaques musulmans,31%deSerbes et 17%deCroates).Aprs laproclamation de son indpendance enavril 1992, des forces paramilitaires serbesinvestissent lest de la Bosnie-Herzgovine,poussant lexode des habitants musul-mans et croates. A la mi-juin 1992, les for-ces serbescontrlent lesdeuxtiersduterri-toire, et la capitale Sarajevoestbombardequotidiennement. Les combats de Bosnie-Herzgovine sont complexes car, selon lespriodes, ils opposent alternativementdes forces croates de Bosnie ou serbes de

    LONGUEMARCHECi-dessus : le Tung-An, navire charg de 2 700 boat people vietnamiens,au large des ctes philippines, le 28 dcembre 1978. Entam avant la chute de Saigon(30 avril 1975), leur exode jusquen 1979 atteignit 2millions de rfugis. A droite :Bosniaques fuyant la ville de Jajce (1992). Les guerres en ex-Yougoslavie entranrentle dplacement de 4millions de personnes et 700 000 dparts transfrontaliers.

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    RICKBA

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    14h

  • Bosnie celles, en majoritmusulmanes,du gouvernement bosniaque, oudesCroa-tes de Bosnie des Serbes de Bosnie.Dans ce contexte belliqueux, lexode

    au-del des frontires de lex-Yougoslavieprend principalement la direction delAllemagne (la moiti des rfugis, soit350 000), de lAutriche et de la Suisse. Unautre exode se dessine partir de la pro-vince septentrionale de la Serbie, la Vovo-dine, qui compte une forte minorit desouche hongroise. Refusant dtre enrlsdans larme serbe faute dadhrer au pro-jet de Grande Serbie caress par le rgimedu prsident yougoslave, Slobodan Milo-sevic, environ80 000 jeunes hommes choi-sissent de fuir vers la Hongrie.En dcembre 1995, la signature des

    accords de Dayton met officiellement finaux trois premires guerres dex-Yougosla-vie (avant celle du Kosovo en 1998-1999)et entrine les effets des combats : la You-goslavie, auparavant pays pluriethnique,se trouvediviseen rpubliques, provincesou entits (en Bosnie-Herzgovine)presque ethniquement pures.Parmi les rfugis dex-Yougoslavie en

    Europe occidentale, certains ont obtenu

    la nationalit de leur pays daccueil. Pourdautres, le retour est difficile, la purifica-tion ethnique ayant cr une homog-nisation de peuplement qui ne favorisegure leur rintgration. Prenant acte dela fin des guerres civiles, des pays commelAllemagne ont cependant mis enuvredes moyens pour encourager les rfugis retourner dans leur pays. A lintrieurde lex-Yougoslavie, des retours ont tobservs, par exemple en Serbie et enCroatie. Incapables de restaurer unvrita-ble Etat de droit, la Bosnie-Herzgovineet le Kosovo demeurent en revanchedimportants pays dmigration.A travers la diversit des situations, ce

    panorama (qui ne serait pas complet sansvoquer les Cubains fuyant en massedepuis 1959 la dictature castriste, princi-palement destination des Etats-Unis)montre combien ces exodes sont condi-tionns par deux facteurs : limportancedu flux migratoire et la capacit des paysdaccueil organiser linstallation, tem-poraire ou durable, des populationscontraintes au dpart. Si lhistoire duXXe sicle a rompu lEurope cet exercice,cet examen souligne aussi que ces exodes

    ont concern, dans leur trs grandemajo-rit, des populations intra-europennes,et que la possibilit dun retour ultrieuren a t facilite dautant chaque foisque la situation politique la permis.A cet gard, lactuel afflux vers lEurope

    de migrants en provenance du Proche-Orient cre une situation radicalementnouvelle, dont les enjeux et les consquen-ces restent difficiles apprcier, tant ilssont suspendus lvolution politique dumonde arabe, au poids de lislam parmi lesdemandeursdasile, auxcapacitsdaccueildune Europe toujours sous le coup de lacrise conomique et financire de 2008, et la diffrence dapproche du phnomneselon les pays. Une approche dtermine la fois par leur propre exprience enmatiredimmigrationetpar les impratifsde la realpolitik, comme la montr, mi-septembre, la volte-face de lAllemagne surle contrle ses frontires.2Professeur luniversit de Paris-IV-Sorbonne, Grard-Franois Dumontest gographe, conomiste et dmographe.Il prside la revue Population &Avenir(www.population-demographie.org).

    15h

  • ACTUALITDEL'HISTOIRE

    Aprs des semaines dangoisse, le pire est finalement arriv Palmyre : deux temples et plusieurs tours funraires, joyauxde lantique cit de Syrie, ont t dynamits par Daech.

    Depuis lannonce que Palmyre taittombe aux mains de Daech le21mai 2015, la communaut inter-nationale sattendait au pire. Les destruc-tions du patrimoine auxquelles le groupestait livren IrakNimrud,NiniveetMos-soul nauguraient rien de bon. La rumeuravaitmmecouruque le siteavaitt truffdexplosifs et que, ds juin, deuxmausolesislamiques avaient t dtruits lexplosif.Pendant quelques semaines, on a nourri

    lespoir que les habitants de loasis, si fiersde leur site class au patrimoine mondialde lUnesco, parviendraient dissuaderceux qui sen prennent systmatiquementauxvestigeshistoriquesdupassdyporteratteinte. Hlas, en quelques jours, tous lesespoirs de voir Palmyre chapper au fana-tisme iconoclaste des fondamentalistes deDaech ont t anantis.Le 18 aot on apprenait la dcapitation

    de lancien directeur des Antiquits dePalmyre, Khaled al-Asaad, coupable avanttout dtre un personnage emblmatiquedu site auquel il avait consacr sa vie.Le 23 aot parvenait la nouvelle que le

    temple de Baalshamin avait tdynamit.Des photos, puis des images satellitesdevaient le confirmer. Une semaine plustard, un autre temple, celui de Bl, subis-sait le mme sort. Le 4 septembre, par-venait la nouvelle que plusieurs toursfunraires avaient t dtruites, dontlune des plus anciennes, celle dAtenatan

    (9 av. J.-C.), et deux des plus belles, cellesde Jamblique et dElahbel, datant respec-tivement de 83 et de 103 de notre re.Les deux temples disparus taient les

    mieux conservs du site. Celui de Baalsha-min dressait sa cella intacte aux admirablesproportions,prcdedesonporchequa-tre colonnes, au nord-est de la ville. La datede constructiondecepetit templenest pasconnue, peut-tre vers 20denotrere,maisen revanche une inscription grave sur laconsoledunecolonneduporchemention-nait quen 130 apr. J.-C., un riche notable dePalmyre, Mal Agrippas, avait entretenu

    lescorte de lempereur Hadrien, en visitedans la cit, et rnov le temple en faisantconstruire ce porche. Le temple prenaitainsi uneallureplusmonumentaledaspectgrco-romain, tout en conservant lint-rieur sa structure ancienne : une absideencadre par des massifs de colonnes oprenait place la statue dudieu.Baalshamin tait lune des divinits du

    panthon de Palmyre emprunte aux Ph-niciens. Dieu du ciel, de la pluie et de la fer-tilit, ce qui dans lemilieu aride de Palmyreen faisait un dieu important, il fut assimilZeus lpoque grco-romaine. Le temple

    FANATISME ICONOCLASTECi-contre : images satellitesdu temple de Bl, Palmyre,prises le 27 aot (en haut)et le 31 aot 2015 (en bas).Ondistingue sur la photodu haut le sanctuairedu temple, la cella, et sonpribole (page de droite,en haut : la cella du templede Bl avant le 31 aot).Ces clichs confirment ladestruction de ldifice par lesfondamentalistes deDaech.Une semaine auparavant,le groupe islamiste avaitpost sur Internet limagedu dynamitage dun autretemple de loasis, celui deBaalshamin ( droite, en bas).

    A R C H O L O G I EPar Annie Sartre

    PalmyrechroniquedunemortannonceAFP.

    16h

  • accueillait aussi dautres divinits : Astart,desse de la fertilit, Shadrafa, dieu guris-seur, ou Reshef, dieu guerrier, mais aussiDurhalun, Rahim lemisricordieux et Gad,dieu de la fortune et du destin, protecteurdes tribus. Sur un bas-relief du Louvre, Baal-shamin en tenuemilitaire romaine et coiffdun bonnet cylindrique bandelettes flot-tantes (polos) est flanqu de deux divinitsvtuescommelui,AglibletMalakbl,par-dres aussi de Bl, et qui avaient galementleur propre temple dans lebois sacr.Bltaitquant lui legranddieude loasis,

    celuidont le templetait leplus impression-nant lextrmitsud-estdelagrandecolon-nade o il occupait prs de 4 hectares.Mal-gr son nom qui voque laMsopotamie,Bl tait lorigine un dieu topique protec-teur de loasis, connu sous le nomde Bl. Cenomsubsistedailleursdans celui de ses aco-lytes, Iarhibl et Aglibl, auxquels le templetait galement ddi dans la ddicace de32apr. J.-C. Le temple sedressait sur le sitedecequi fut lepremiertablissementhumainPalmyre vers le IIIemillnaire av. J.-C., enbor-duredeloasisetduwadi.Peudetempsaprslincorporation de Palmyre dans la provinceromaine de Syrie (17 apr. J.-C.), un nouveldifice futmis enchantierpour remplacer letemple de lpoque hellnistique (IIIe-IIe si-cle av. J.-C.). Plus grand, plus beau, il devaitmanifester ladhsion des Palmyrniens laculture dumoment, tout en conservant descaractristiques syro-msopotamiennes.Nous savons par des inscriptions que

    des dons en argent furent effectus ds19 apr. J.-C. par des marchands palmyr-niens installs dans les comptoirs com-merciaux de Msopotamie (Sleucie duTigre et Babylone). Ce qui fut consacr en32apr. J.-C.Bl, Iarhibl etAglibltaitcertainement seulement la partie nord dela cella, car les travaux et les embellisse-ments se poursuivirent pendant un sicleencore, les inscriptions en tmoignent, etcest seulement en mars 175 apr. J.-C. quelensemble du sanctuaire fut achev par laddicacedessix vantauxdebronzedorqui fermaient laccs lagrandecourenser-rant le sanctuaire le pribole.Le plan du temple navait en apparence

    riendegrco-romainenraisondesonentresur un long ct, de sa cella claire par des

    fentres et des deux grandes niches de culte(les thalamoi) chacune de ses extrmits.Des tours dangle avec des escaliers condui-sant au toit en terrasse et le portique, sur-mont demerlons redents, ne lapparen-taient pas davantage aux traditions grco-romaines. Mais les colonnes canneles lagrecque du pristyle, les bas-reliefs histo-ris selon des techniques grco-romaines,et la cour borde de portiques colonnes,contriburent lui donner laspect duntemple grco-romain.Faute de textes, nous ignorons quels

    taient les rites et les croyances, mais lico-nographie documentedes scnesde sacrifi-ces et des processions ; lpigraphie rvlelexistence de collges de citoyens-prtresdont le plus prestigieux tait le symposiar-que de Bl, charg dorganiser des banquetslors des ftes et de fournir tout ce qui y taitncessaire (vin, huile, encens, nourrituredesdieux et des hommes, etc.). Les amnage-ments de la cour avec un autel monumen-tal, des salles de banquets, des bassins deaulustraledonnentdautres indices, etdiverseschapelles tmoignent que dautres dieuxtaientaccueillisdans lesanctuaire justifiant

    son nom de temple des dieux palmyr-niens. Enfin, nous possdons demultiplesreprsentationsdeprtressurdesbas-reliefs,coiffsdunmortierentourdunecouronnede feuillage et orn dun cabochon figurantla divinit desservie, tenant parfois enmainun rcipient contenantde lencens.La disparition de ces joyaux antiques est

    une perte inestimable pour lhistoire delhumanit. Rares sont les sites qui avaientconserv autantdevestigesmonumentauxde lpoque grco-romaine dans un cadrenaturel aussi bien prserv. Que va-t-il res-ter de Palmyre si les destructions volontai-res se poursuivent ? Non content de pillerles tombes de leurs bas-reliefs pour les ven-dre, Daech les fait aussi disparatre, privantencore un peu plus Palmyre de son patri-moine et de ce qui tait emblmatique desonpaysage les tours funraires.Combiende temps allons-nous rester encore passifsdevant ce carnage, en attendant que le sitene soit plus quun tas de gravats ?2Professeurmritedhistoireancienne luniversitdArtois, Annie Sartre a publi avecMaurice SartreZnobie, de Palmyre Rome (Perrin).

    LU

    CIANO

    PEDICINI/LA

    COLLEC

    TION.

    AFP.

    17h

  • ACTUALITDEL'HISTOIRE

    L C O L E D E L H I S T O I R EPar Jean-Louis Thiriot

    La reductioadHitlerumest ledegrzrodela pense politique. Sur nimporte quelsujet, on fait allusion au comportementde lEurope face la menace du IIIe Reich, eton se rengorge en sassimilant, soi-mme, Churchill ou la Rsistance. Sagissant de la progression apparem-ment irrsistible de lEtat islamique, la rfrence nemanque pour-tant pas de pertinence. Le paralllisme est en effet frappant : desEtats totalitaires qui visent rgenter la vie de chacun, au nom deMein Kampf ou au nom de la charia, des Etats qui perscutent despopulations pour le crime dtre n, juif dans un cas, chrtien ouyazidi dans lautre, des Etats qui sappuient sur unmessianisme, lasuprioritde la racearyenneou la vocationuniversellede lumma,enfin qui constituent des menaces directes pour la France. De cepoint de vue, la veulerie des dmocraties occidentales de 1933 1939 est donc riche denseignements.Labsence de raction la remilitarisation de la Rhnanie le

    7 mars 1936 constitue la faute majeure, celle par laquelle sestnoue la suite de la tragdie. Le trait de Versailles et le trait deLocarno de 1925 interdisaient lAllemagne de disposer de trou-pes et de forteresses non seulement sur la rive gauche du Rhin,mais aussi sur une zone de 50 kilomtres lest du fleuve. Le 7mars1936, tirantprtextede la ratificationdupactedassistance franco-sovitique du 27 fvrier 1936, assimil par lui une coalition anti-allemande, Hitler ordonne ses troupes de pntrer en Rhnanie.Trois bataillons entrent dans le territoire interdit et occupent Aix-la-Chapelle, Trves et Sarrebruck. La France pousse naturellementdes cris dorfraie. Dans unemle dclaration la Chambre, le prsi-dent du Conseil radical Albert Sarraut dclare :Nous ne sommespas disposs laisser placer Strasbourg sous le feu des canons alle-mands. La France pose le problme de la valeur des traits, de lagarantie du pacte de la SDN pour ses adhrents et de la fidlit dessocitaires ses engagements. Les Anglais sillustrent par leursilence. Le ministre britannique des Affaires trangres, AnthonyEden, se contente de dplorer le procd utilis . La SDNest ren-due impuissante par les divisions franco-britanniques, les rglesde fonctionnement exigeant lunanimit des puissances. Quant la France, elle renonce toute action militaire. Les lections quivont mener au succs du Front populaire sont dans moins de sixsemaines. Face la propagande du Front qui promet le pain, lapaix, la libert, le gouvernementnosepasprendre le risquedunemobilisation gnrale. Cest pourtant le moment quil aurait fallu

    choisir pour frapper lAllemagne hitlrienne. Celle-ci na rtabli laconscriptionquedepuis 1935. Elle nepeut aligner que 30divisionsdepremier rangcontre33pour laFrance. Sonarmementestencoreembryonnaire. La France dispose de 1 000 avions contre 650 pourlAllemagne et nest pas en difficult en matire de blinds. Lasupriorit franaise ne fait donc aucun doute. Hitler le reconna-tra plus tard : Si les Franais avaient march en Rhnanie, nousaurions d nous retirer la queue entre les jambes. La force militairedont nous disposions naurait mme pas suffi une rsistance limi-te.La lchetdespolitiqueset ladfaillancede lAngleterrenousont alors privs dune occasion inespre demettre un terme auxagissements du IIIe Reich. Les consquences furent triplementcatastrophiques : la confiance dans la volont des dmocratiesoccidentales disparut, Hitler put en tirer un regain de popularitqui aboutit au triomphe lectoral des lections au Reichstag du29 mars 1936, la Wehrmacht y gagna lancrage qui lui servira depivot lors de loffensive de 1940.Paradoxalement, la reculade de la Rhnanie nest pas celle qui a

    le plus frapp la mmoire collective. On se souvient davantage decelle de Munich en 1938, en raison sans doute des paroles pro-phtiquesdeChurchill laChambredes communes :LaGrande-Bretagne et la France avaient le choix entre le dshonneur et laguerre. Elles ont choisi le dshonneur, elles auront la guerre. Pour-tant, les dcisions prises alors par le gouvernement franais sontmoins videmment contestables que celles prises lors de la criserhnane. La situation militaire et politique est en effet trs diff-rente. Depuis lAnschluss du 12 mars 1938, lAllemagne et lAutri-che sont runies formant un bloc compact de 80 millions dhabi-tants alors que la France nen compte que 42 millions. Le rapportdes forces a totalement chang. La France compte 400 000 hom-mes sous les drapeaux alors que lAllemagne en a 900 000. Enmatire daviation, le rapport est de un trois. Les ailes franaisesalignent environ 560 chasseurs de premire ligne contre 1 200, et800 bombardiers contre plus de 1 500. Elle produit 60 avions parmoisalorsque lesAllemandsenproduisent350. Lorsque legouver-nement Daladier signe, le 30 septembre 1938, laccord deMunich,qui dmantle la Tchcoslovaquie en autorisant le rattachement

    SA

    NDRINERO

    UDEIX.

    Face la remilitarisationde la Rhnanie, les gouvernementsoccidentaux ont laiss passer,en 1936, le moment o ils auraient puexploiter leur supriorit militairesur Hitler. Une leon pour notre temps ?

    FENTRE DE TIR

    18h

  • du territoire des Sudtes,majoritairement peupldAllemands, auReich, il viole manifestement la parole de la France et les alliancespasses avec la Tchcoslovaquie. Mais il a enmme temps en ttele dsquilibre militaire et le plan de rarmement initi par laFrancepour rattraper son retard.Deuxgrandsprogrammesonteneffett lancs.Celuidu7 septembre1936, appelprogrammedes14 milliards et celui du printemps 1938, dun montant de 12 mil-liards. Ils prvoyaient le rtablissementde lquilibredici1940. Ladsorganisation rsultant notamment des nationalisations duFrontpopulaire, de la loi des40heures etdes conflits sociauxayantcontribu en retarder les effets, ils permettraient, de lavis de tousles chefsmilitaires, du gnralissimeGamelin au chef de laviation,le gnral Vuillemin, daffronter le colosse germanique avec lesplus grandes chances de succs partir de 1941. Dans ces condi-tions, les accords deMunich ne constituent peut-tre pas la fauteque lon a dite. La situation militaire permet de comprendre lessentiments de la classe politique rsums par lemot de Blumpar-tag entre un lche soulagement et la honte .Lautre enseignement de cette triste priode est la ncessit de

    choisir au bon moment les bons allis. Dans lEurope des annes1930, la Russie bolchevique fait figure de repoussoir. Les horreursdu stalinisme sont connues des chancelleries. Paris et Londres sedrobent donc lorsque, le 17 avril 1939, lURSS propose un pactedassistance mutuelle la France et la Grande-Bretagne. Il fautune nouvelle demande expresse de Moscou pour que, le 27 mai,des discussions tripartites soient ouvertes. Les ngociateurs narri-verontque le 14 juindans la capitaledes Soviets,mais sansmandatprcis. Cenest que le 24 juillet que laGrande-Bretagne et la Franceaccepteront enfin que soient ouvertes des ngociationsmilitaires.Toujours prompts temporiser, les Occidentaux nenverront desmissions militaires quen aot. Et pour laisser le temps au temps,on prendra soin de les faire arriver par bateau Les consquencessont connues. Conscient des atermoiements occidentaux, dfini-tivementpersuadque laGrande-Bretagne et la Francene veulent

    pas sincrement dune alliance militaire, Staline change de pied.Le 23 aot 1939, Ribbentrop, ministre des Affaires trangres duReich, senvole pour Moscou. Le pacte germano-sovitique estsign dans la foule. Hitler a les mains libres lest. Il naura pas faire la guerre sur deux fronts. Le dpeage de la Pologne nest plusquune question de jours. Paul Reynaud peut parler avec raisondunWaterloo de la diplomatie franaise .Sil est une leon tirer de ces reculs successifs, cest quil

    importe de rpondre, temps, aux menaces. Traiter les symp-tmes est une bonne chose qui ne rsout rien. Face aux crisesgopolitiques majeures, lurgence est toujours de traiter les cau-ses, mme si le prix payer est celui du sang ou dalliances peurecommandables.2

    VA-T-EN-GUERREEn haut : entre destroupes allemandes

    en Rhnanie, en 1936.La remilitarisationde la Rhnanie est

    sans conteste la fautemajeure qui a rendupossible la Seconde

    Guerremondiale. Cestpourtant la signature

    des accords deMunich(en bas, 1938) quisest impose dansles esprits commele symbole de la

    reculade europenneface lAllemagnenazie (de gauche droite :Neville

    Chamberlain, BenitoMussolini, Adolf Hitler,

    EdouardDaladier). LA

    PI/ROGER

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    LLET

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    19h

  • ACTUALITDEL'HISTOIRE

    Marignan,

    A cinq cents ans de distance, la plus fameusebataille de lhistoire de France reste aussi la plusmconnue. Le point sur ce qui sest rellementpass Marignan les 13 et 14 septembre 1515.

    D e la bataille de Marignan, seuls lenom et la date (13-14 septembre1515) ont rsist loutrage desans. Qui connat seulement la nationalitdes adversaires de Franois Ier ou celledes soldats de larme franaise ,compose pour les trois quarts demerce-naires trangers ?

    LES ACTEURSQuelques mois aprs son avnement, lesformalits de la liturgie du sacre preste-ment expdies, Franois Ier prend la ttede la plus grande arme jamais rassem-ble par un roi de France pour reconqu-rir le duch deMilan, perdu trois ans plustt par Louis XII. Rude tche que celle questait assigne le nouveau monarque ! Illui fallait dabord chasser MassimilianoSforza, petit-fils dun condottiere qui avaitusurp la couronne ducale aux Visconti,dont descendait Louis XII par sa grand-mre. Derrire le jeune Massimiliano sedresse toute la puissance de la Confd-ration suisse, qui a tendu son protecto-rat sur le duch deMilan.Depuis la cration de cette Confd-

    ration la fin du XIIIe sicle, ce qui ntaitencore quune modeste ligue de villesminuscules et de communauts de val-les peuples de quelques dizaines demilliers dhabitants tait devenu lunedes plus grandes puissances militaires

    LA CHARGE FANTASTIQUECi-dessus : La Bataille deMarignan, dessin attribuauMatre la Ratire, vers 1515 (Chantilly, muse Cond). Au premier plan, Franois Ier, la tunique fleurdelise, dirige la charge des cavaliers franais. Page de droite : autrefoisallie de la France, la Confdration suisse avait pris le parti de la Ligue catholiqueen 1510 et fait un protectorat du duch deMilan, perdu par Louis XII en 1512.

    L A L O U P EPar Amable Sablon du Corail

    cetteillustreinconnue

    CO

    LLEC

    TIONJEANVIGNE/KH

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    INE-TA

    PABO

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    20h

  • dEurope occidentale. Composes exclu-sivement de fantassins arms de piqueset de hallebardes, les armes helvtiquesavaient balay tous ceux qui staientmisen travers de leur route. Leurs victoiressur le duc de Bourgogne, Charles le Tm-raire, cras trois reprises et finalementtu sous les murs de Nancy en 1477, por-tent au znith leur rputation militaire,et font deux les mercenaires les plus pri-ss du continent.Les rois de France, Louis XI en tte, ont

    t les premiers faire appel eux, car si lesFranais disposent de la meilleure cava-lerie lourde et de la meilleure artillerie ducontinent, leur infanterie fait bien plefigure. Hlas, les cantons suisses ont prisombrage de la puissance excessive prisepar la France en Italie du Nord, et se sontallis au pape, au roi dEspagne et lempe-reurMaximilien pour restaurer Milan lesSforza chasss par Louis XII en avril 1500.Le roi doit alors se tourner vers les

    concurrents des Suisses sur le marcheuropendes soldats de fortune. Les lans-quenets de lallemand Landsknechte,valets ou compagnons du pays se recru-tent alors enAllemagnemridionale et enRhnanie. Arms comme les Suisses, ilsen partagent lesprit offensif et la culturedeviolence. Ladisciplinenevautquepourla bataille. Au cur de la mle, toutedfaillance est punie de mort. En dehors,gare au paysan qui amal cach ses poules,son vin ou sa femme ! Et gare au capitaineou au monarque qui nest pas en mesurede les payer rubis sur longle. Il sexpose dcouvrir le sens dun nouveau mot, quifait alors son entre dans la langue fran-aise : la mutinerie .Larme de Franois Ier compte dans ses

    rangs 23 000 lansquenets, qui reprsen-tent la moiti de leffectif total. Sy ajou-tent encore une dizaine de milliers deGascons, recruts en Pays basque et enNavarre, ainsi que la cavalerie lourde descompagnies dordonnance (2 500 lances,soit environ 10 000 combattants) et lartil-lerie. Les hommes darmes ou gen-darmes des ordonnances, revtus delarmure complte, qui atteint alors sonpoint de perfection technique, arms

    dune longue lance, dlivrent des chargesdvastatricesquepeuvent seuls arrterdespiquiers au moral dacier tremp. Quant lartillerie, forte dune soixantaine de cou-leuvrines, moyennes ou grosses, et dirigepar JacquesGaliotdeGenouillac, ellepassepour la meilleure dEurope. Orgueil desprinces, lartillerie poudrenepeut cepen-dant encore prtendre au titre de reine desbatailles, tant la cadence de tir et la mobi-lit des pices restent faibles.FaceauxFranais, les Suissesont rassem-

    blune armede 35 000 40 000hommes,la plus importante quils aient aligne surun champdebataille. Si piques et hallebar-des lui assurent une force redoutable, elleest cependant dpourvue de cavalerie etdartillerie, hormis quelques pices lgres.

    LA BATAILLEEn ce 13 septembre 1515, un peu plusdun mois aprs le passage des Alpes parFranois Ier, les 40 000 45 000 soldats delarme royale campent au-devant deMarignan, une quinzaine de kilomtresau sud-est deMilan. Le roi sattend unevictoire imminente et sans coup frir.Toutes les villes du duch ont ouvertleurs portes aux Franais, et les Suisses,dpourvus dargent et de vivres, sontmins par les dissensions . Quelquesjours auparavant, les contingents deBerne, Soleure et Fribourg, soit prs duntiers des soldats suisses prsents en Italiedu Nord, ont dcid de rentrer chez eux.Pourtant, le cardinal Matthus Schiner,prince-vque de Sion, dans le Valais,farouche ennemi des Franais, parvient convaincre la majorit des cantons detenter un assaut de la dernire chance.

    Sous un soleil de plomb, en fin daprs-midi, 25 000 Suisses sortent de Milan etse jettent avec fureur sur lavant-gardede larme royale.En dpit de leur infriorit numrique

    et du terrain trs compartiment, coupde fosss et de canaux dirrigation, ilsenfoncent la premire ligne franaise. Leslansquenets plient, et les contre-atta-ques de la cavalerie franaise, dont cer-taines menes par Franois Ier en per-sonne, sont repousses avec de lourdespertes. Le renfort du principal corps delansquenets permet de colmater les br-ches. La nuit tombe sur les combattants,qui peinaient dj se reconnatre tra-vers lpaisse poussire souleve par lamle. Personne ne porte duniforme, etlon sinvective en allemand de part etdautre ! Larrive de la nuit sauve larmefranaise dune dfaite probable. Epui-ss, tremps, affams, les Suisses refusentcependant de se retirer avec leurs tro-phes. Le lendemain matin, la mlereprend, mais les Suisses, pris sous undluge de feu dartillerie et de carreauxdarbalte, doivent finalement savouervaincus, pour la premire fois de leurhistoire. Les pertes ont t effroyables :8 000 morts, soit, lchelle de la popula-tion suisse, lquivalent de ce quont tpour la France de 1916 les batailles deVerdun et de la Somme, en une seulejourne. Larme royale, quant elle,dplore 4 000 5 000 tus.

    LES CONSQUENCESAprs la victoire, Milan se soumet aus-sitt Franois Ier, mais il faut encoreplus dun an dpres ngociations pour

    50 km

    Mer Mditerrane

    Mer Tyrrhnienne

    Mer Adriatique

    Venise

    Ancne

    Trieste

    FerrareMantoue

    Vrone

    Bologne

    ProuseSienne

    Rome

    Lucques

    Marignan

    Trente

    Trvise

    Milan

    Turin

    Saluces

    AvignonAvignon

    Gnes

    Marseille

    Grenoble

    Mulhouse

    Barcelonnette

    Brianon

    Embrun

    Nice

    Lyon Chambry

    Dijon

    Besanon Berne

    Sion

    Zurich

    Lucerne

    Ble

    Genve

    SUISSE

    ROYAUMEDE FRANCE

    ROYAUMEDE NAPLES

    DUCHDE SAVOIE

    DUCHDE

    MILAN

    A

    A

    B C

    DRPUBLIQUEDE GNES

    RPUBLIQUEDE GNES

    RP. DESIENNE

    RP. DEFLORENCE

    TATSPONTIFICAUX

    RPUBLIQUEDE VENISE

    LItalie politique en 1515

    Royaume de France et allis

    Itinraire de Franois Ier(11 aot - 10 septembre)

    Ligue catholique et allis

    Territoires annexs par le pape

    Districts du duch de Milanannexs par les Suisses en 1512

    Etats incertains

    ABCD

    Marquisat de MontferratComt dAstiPallaviciniMarquisat de Saluces

    21h

  • ACTUALITDEL'HISTOIRE

    quune paix perptuelle soit enfinsigne avec les cantons suisses, Fri-bourg, le 29 novembre 1516. Ce trait vaarrimer le destin de la Confdration celui de la France pour trois sicles. Desvolontaires suisses serviront les rois deFrance jusqu la chute de la monarchielg i t ime , en 1830 , e t s en r l e rontensuite en masse dans la toute nouvelle

    Lgion trangre, institue en 1831, quiperptue jusqu nos jours la traditiondu service tranger.Quant Franois Ier, il gotera peu les

    fruits de sa victoire Le duch de Milansera perdu quelques annes plus tard, en1521, avant que la dfaite de Pavie, en1525, ne livre toute lItalie lhgmonieespagnole jusquau XVIIIe sicle.2

    1515, cestMarignan.Cest aussi lanne de laccessionau trne du jeuneFranois Ier,qui trouve l loccasion demontrersa valeur.Dans le contextedes guerres dItalie, la France,immense, riche et puissante,affronte lesSuisses, guerriersredoutables et invaincusdepuis deux sicles. Par le biaisde la bataille deMarignan,lauteur dresse un tableaudtaill de la situation desnations europennes au coursde la cinquimeguerre dItalie.En dcrivant prcismentles protagonistes, soldatsfranais et guerriers suisses,et la faondont ils combattent,il nous plonge au cur de laralit de la guerre auXVIe sicle.Le rcit de la campagnemeten lumire les lments cls de lavictoire : relations diplomatiques,stratgiemilitaire et, surtout,largent, vritable nerf de laguerre .Onsuit avec passionlvolution de la bataille, dcriteavec un entrain contagieux. Cestcommesi on y tait, et on aimea.Marguerite deMonicaultTallandier, 512 pages, 24,90 .

    1515 MARIGNANAMABLE SABLONDU CORAIL

    ROI CHEVALIERCarte ci-dessus :

    le 13 septembre 1515,entre 40 000 et 45 000

    Franais firent face 25 000 Suisses qui, endpit de leur infrioritnumrique,menrent

    un combat acharncontre les troupes deFranois Ier. Ci-contre :Tombeau de Franois Ier

    (dtail), par PierreBontemps, XVIe sicle

    (Basilique de Saint-Denis). Si la figure

    de Franois Ier resteindissociable de sonexploit Marignan,

    la porte de sa victoirefut de courte durepuisque ds 1525,la dfaite de Pavie

    provoquera lvictiondes Franais dItalie.

    ID.JEAN-PAULDUMONTIER

    /LACO

    LLEC

    TION.

    500 m

    Milan 16 km

    LodiMarignan

    San Giuliano

    San Donato

    Santa Brigida

    Zivido

    Vettabia

    Lambro

    Addetta

    1re ligne franaise(Bourbon)

    2e ligne franaise(Franois Ier)

    3e ligne franaise(Alenon)

    Roggia Spazzola

    Rede Fossi

    ITALIE

    Marignan

    Marignan (13-14 septembre 1515)

    Troupesfranaises

    Infanterieconfdre

    ViaEmilia

    Villages

    22h

  • C O M M M O R A T I O NPar Albane Piot

    500 ans aprs la bataille de Marignan,plusieurs expositions dessinent un portraitnuanc de Franois Ier et de son temps.

    Roi-chevalier, Franois Ier inaugure son rgnepar la guerre, et la victoire deMarignan(1515) contre les Suisses. Dix ans plus tard, il essuie lchec cuisant de Pavie, etlhumiliationdtre gardprisonnier parCharlesQuint Madrid.Malheureux la guerre,Franois Ier sauve son rgne en investissant lemondedes lettres et des arts son retourde captivit, transformant unedfaite politique en victoire culturelle. Pour cela, il dbauchedItalie des artistes de toutes disciplines et suscite des vocations franaises. A limagedunLaurent deMdicis, Franois Ier (ci-dessous, enCsar, par le Primatice, 1541-1545, Chantilly,muse Cond)devientmcne et collectionneur, et fonde la relation franaise entre pouvoiret culture qui saccomplira avec tant dclat deux sicles plus tard, sous le rgnede Louis XIV.Cest ce que raconte lexpositiondu chteaudeChantilly, autrefois demeure dAnnedeMontmorency, et dont les collections rassembles auXIXe sicle par le ducdAumaleillustrentmagnifiquement la politique culturelle ambitieuse de ceprince de la Renaissance.Une scnographie lgante sert dcrin auxsomptueuxportraits deClouet, auxprcieuxdessins prparatoiresduPrimatice pour les dcors de Fontainebleau, et aux quelquesobjets de curiosit rassembls par le roi enunprcoce avatardes grands cabinets de curiosits des sicles suivants.Mais laccentestmis enparticulier sur le domainedu livre, ouvrages et reliuresprovenant de la Bibliothquenationale de France ouduCabinetdes livres deChantilly, dont la collectiondouvrages ayant appartenuau roi est la seconde en importance aprs celle de la BnF.Unedmonstration loquente qui sduira enparticulier les bibliophiles.Le Sicle de Franois Ier, du roi guerrier au roimcne, au domainedeChantilly, salle du Jeu de paume, jusquau 7 dcembre 2015. Tous les joursde 10 h 18 h jusquau 1ernovembre ; puis, partir du 2 novembre, tousles jours, sauf lemardi, de 10 h 30 17 h. Tarifs : 10 ; 6 . Rens. : 03 44 27 31 80

    etwww.domainedechantilly.com ; catalogue sous la directiondOlivier Bosc etMaxenceHermant, Editions Cercle dArt, 245 pages, 35 .

    Un

    Elleest lamrede lundesplusclbresdesrois de France, et pourtant nombreuxsont ceuxqui ne connaissentpasmme sonnom. Fianc sa cousine Claude de France,filleduroi,alorsqueLouisXIIdemeurait sanshritiermle, Franois dAngoulme accdeau trne en 1515. Louise de Savoie (ci-des-sous, vers 1515, Paris, Louvre) assure alors largence durant les campagnes de son fils,en 1515-1516 puis en 1525-1526, ngocie la paix des Dames en 1529, place ses fid-les auprs du roi, et influence de ses gotslesartset les lettres. LexpositiondEcouen, lapremire qui lui soit consacre, vient redon-nertoutesonpaisseurcellequintaitplusgure quuneombrede lhistoire de France.Une reine sans couronne ? Louisede Savoie,mre de Franois Ier,Chteau dEcouen, du 14 octobre2015 au 1er fvrier 2016. Tous lesjours sauf lemardi, de 9 h 30 12 h 45et de 14 h 17 h 15. Tarifs : 7 ;5,50 . Rens. : 01 34 38 38 50,www.museerenaissance.fr ;catalogue, ditionsRMN-Grand-Palais,160 pages, 35 .

    De labatailledAzincourt, le25octobre1415,qui voit, enpleineguerredeCentAns, la chevalerie franaisedcimepar lesarchers du roi dAngleterre, celle deMarignan les 13 et 14 septembre 1515, au rythmedes bouleversements politiquesqui agitent la France, les armes, les tactiques, institutions et quipementsmilitaires changent totalement de visage. Alorsqu lissuede laguerredeCentAns, laFrance seconstituepeupeuenunpuissant royaume,elle sedotedunearmeperma-nenteetrgulire,etsonartilleriesedveloppe.Mlantchronologie, rcitsdebatailles,picesdarmement,etreprsentationsenlumines oupeintes, lexpositiondumusede lArme vient brosser un sicle dhistoire et dvolutionde lartmilitaire.

    Chevaliers et bombardes. 1415-1515, dAzincourt Marignan, Paris,muse de lArme, Htel des Invalides, du 7 octobre 2015au 24 janvier 2016. Tous les jours de 10 h 18 h jusquau 31 octobre et de 10 h 17 h partir du 1ernovembre. Tarifs : 8,50 ; 12 le billet

    coupl avec lemuse. Rens. : 01 44 42 38 77 etwww.musee-armee.fr ; catalogue, ditionsGallimard, 272 pages, 35 .

    Le sicle deFranois Ier

    princeensonroyaume

    Une reinesans couronne?

    Chevaliers et bombardes

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    23h

  • ACTUALITDEL'HISTOIRE

    H I S T O R I Q U E M E N T I N C O R R E C TPar Jean Svillia

    LADEUXIMEMORT DES ROISLe sac de la basilique de Saint-Denispar les rvolutionnaires en 1793 est clairpar la psychanalyse, qui voque unepulsion de haine visant tuer lemort .

    I l y a deux cents ans, le 21 janvier 1815, Louis XVIII faisait inhu-mer Saint-Denis les restes de son frre Louis XVI et deMarie-Antoinette, enterrs aprs leur excution dans le cimetire delaMadeleine. Deux ans plus tard, le 21 janvier 1817, lemonarqueprsidait au mme endroit une crmonie analogue : les restesde tous ses prdcesseurs depuis lesMrovingiens, exhums parles rvolutionnaires en 1793, retrouvaient, placs dans unedizaine de coffres et rassembls dans un ossuaire, lanciennebasilique des rois de France.La destruction des spultures royales et la profanation de leurs

    dpouilles, au dbut de la Terreur, ont fourni de belles pages Chateaubriand dans leGnie du christianisme. Lcrivain y voqueces spoliateursde tombeaux, ceshommesabominablesqui eurentlide de violer lasile des morts et de disperser leurs cendres poureffacer le souvenir du pass . Jusqunos jours, ce lugubre pisodede notre histoire meut plutt les Franais de sensibilitmonar-chiste : le sac des tombeaux de Saint-Denis revient par exempledansdeux romansde JeanRaspail, Sire et LeRoi au-del de lamer. Ilfait pourtant lobjet, aujourdhui, dune tude dautant plus int-ressantequelle manedune inspiration tout autre. Psychanalysteet philosophe, professeur luniversit Diderot Paris-VII, Paul-Laurent Assoun est auteur dune quarantaine douvrages, pres-que tous consacrs la psychanalyse. Cest en spcialiste de Freudque, dans Tuer le mort, il analyse, dans tous les sens du terme, lasignification de la profanation des spultures royales. Il faut sesouvenir, en effet, que le viol de ces tombes sest droul alors quela monarchie avait t abattue et que le roi Louis XVI avait tguillotin. Pourquoi, demande Paul-Laurent Assoun, a-t-il falluprocder un second rgicide, collectif et post mortem ? Commentet pourquoi la haine collective a-t-elle poursuivi lennemi, la figureroyale dmultiplie, sans faire de quartier, par-del le trpas et des-sous terre, une fois les monarques vivants rays de la face et de lasurface de la terre de France ?Que dit cette fureur hors norme, affectdrgl, accs de colre intense et dmesur ? Fonde vers 625, labbaye de Saint-Denis avait depuis lorigine la

    garde des tombeaux des rois, rois des Francs puis rois de France.Dagobert, le fondateur de labbaye, fut le premier roi qui y futinhum. Jusqu la Rvolution, le destin du sanctuaire sera troi-tement ml lhistoire royale. Cest ici que seront rdiges les

    chroniques relatant les grandes heures du royaume. Cest Suger,abb de Saint-Denis, ami de Louis VI et conseiller de Louis VII, quidevient le rgent quand ce dernier part pour la croisade. Cest icique, jusquMarie de Mdicis, les reines de France sont couron-nes ; cest ici que Jeanne dArc vient prier les saints patrons de laFrance ; cest ici quHenri IV abjure le protestantisme ; cest ici queBossuet, en prsence de Louis XIV, prononce les oraisons funbresdHenriette dAngleterre et deMarie-Thrse dAutriche.Ds la chute de lamonarchie, pendant lt 1792, labbaye, dou-

    ble symbole religieux et politique honni, est prise pour cible. Enseptembre 1792, les moines mauristes sont disperss. Aprs quela Rpublique a t proclame et que le gouvernement ordonnedeffacer partout les insignes royaux, les spultures de Saint-Denissont dsignes la vindicte populaire. Ainsi cette exclamation deSylvainMarchal dans le journalRvolutionsdeParis : Tandis quenous sommes en train deffacer tous les vestiges de la royaut, com-ment se fait-il que la cendre impure denos rois repose encore intactedans la ci-devant abbaye de Saint-Denis ? Le 31 juillet 1793, laConvention coute un rapport de Barre qui prconise la dmo-lition des tombeaux royaux afin de fter le premier anniversairede la prise des Tuileries, le 10 aot 1792 : Lamain puissante de laRpublique doit effacer impitoyablement ces pitaphes superbes etdmolir ces mausoles qui rappelleraient des rois leffrayant souve-nir. Appel entendu : le 1er aot suivant, undcret prescrit la des-truction des spultures royales.A Saint-Denis, toutefois, le saccage avait dj commenc. En

    vertu dundcret du 14 aot 1792ordonnant lenlvement dans lepays des sculptures en mtal afin den faire des balles pour lesarmes, la charpente de la basilique avait tdnude, et le plombde la toiture arrach et stock dans la nef. Si Alexandre Lenoir, aunom de la Commission des arts de la Convention, avait rquisi-tionn au profit du muse des Monuments franais et doncsauv laplupartdes statuesdemarbreetdepierredes tombeauxroyaux, les spultures demtal avaient t sacrifies.Mais les tombeaux taient une chose, leur contenu autre chose :

    la destructiondes spulturesprludait auviol des cercueils. Entre le6 et le 8 aot 1793, quelques monuments funraires mdivauxsontviols, permettant lexhumationdes restesdePhilippe leHardiet dIsabelle dAragon, de Ppin le Bref, de Constance de Castille,

    BA

    LTEL/SIPA.

    24h

  • la femme de Louis VII, et de Louis VI. Mais le plus important est venir. Nous savons exactement ce quil en fut grce un tmoinoculaire, Germain Poirier, larchiviste de labbaye de Saint-Denis.Ralli la Rvolution et retourn la vie civile, cet ex-mauriste,nommcommissairechargdassister lexhumationdesci-devantrois , rdigera plusieurs rapports cette fin.Le 12octobre 1793, les ouvriers requis commencent par dtruire

    le monument de Turenne. Puis ils sattaquent au caveau des Bour-bons, fracassant unmur pour y pntrer. A la lumire de lanterneset de torches, ils trouvent cinquante-quatre cercueils de chneposs sur des trteaux rongs par la rouille. Celui dHenri IV, bris coups demarteau, dcouvre un cercueil de plomb qui est ouvert sontour.Bienconserv, les traitsduvisage reconnaissables, le corpsdu roi restera expos deux jours, dress debout, non sans quunassistant ait, par jeu, coup unemche de barbe.Le 13 octobre, le conseil municipal de Franciade le nouveau

    nom rvolutionnaire de Saint-Denis dcide dinterdire la basili-que aux personnes trangres aux travaux, tant la foule attire parle spectacle devient dense. Cette directive, cependant, ne sera pasrespecte. Le 14 octobre sont exhums les corps de Louis XIII et deLouis XIV, ce dernier en bon tatmaisnoir commede lencre . Ladpouille dAnne dAutriche, putrfie, baigne dans un pais tissude couleur rousse, la tenue du tiers ordre franciscain. Le 16 octo-bre, jour de lexcution deMarie-Antoinette, vingt et un cercueilssont ventrs, dont celui de Louis XV qui dgage une pouvan-table odeur. Jusquau 24 octobre, Charles VI, Charles VII et Char-les VIII, Henri II, Catherine de Mdicis, Franois II, Charles IX etHenri III, Philippe IV le Bel et Franois Ier, Philippe V et Philippe VIde Valois, les souverains ressurgissent dans un ordre alatoire aufur et mesure que les ouvriers creusent et ouvrent de nouveauxcaveaux dans les entrailles de la basilique.

    Cette extraction des rois de la terre mre, commente Paul-Laurent Assoun, les aura fait rapparatre, sinon renatre, en unlaps de temps clair. Comme sils avaient t extraits de ce lieu clos

    maternel, enunaccouchementau forceps, par lamainpuissantedela Rvolution et son expditif art obsttrical, juste avant de retourner ltat inorganique. Dans le cimetire des moines attenant labasilique,deux fossesonttcreuses. LapremireestdestineauxValois et aux rois despremires races , la seconde aux Bourbons.Au total, les restes de plus de cent soixante-dix personnes y serontjets, puis recouverts de chaux vive et de terre : quarante-six rois,trente-deux reines, soixante-trois princes du sang, dix grands servi-teurs du royaume et deux douzaines dabbs de Saint-Denis.Il restera, ce qui se fera plus tard, brler les curs desmembres

    de la famille royale, prlevs leurmort et conservs, depuis AnnedAutriche, au Val-de-Grce, Paris. Ainsi disparurent les envelop-pes charnelles des reprsentants des dynasties qui staient suc-cd la tte de la France.

    Lchafaud pour les rois vivants ne suffit pas, il sagit bien de tuerle mort , observe Paul-Laurent Assoun. Racontant cette histoireen termes psychanalytiques, lauteur souligne que cette violencesymbolique traduit la pulsion de haine exprime par la Terreur.Ainsi le dsir de mort nest-il pas une dviation de la Rvolution,mais son accomplissement, lentre dans la modernit supposantde tuer le pass.2

    LIRE

    Tuer lemort.Le dsirrvolutionnairePaul-LaurentAssounPUF268pages22

    DANS LES ENTRAILLESDE LA BASILIQUEViolation des caveauxdes rois dans la basiliquede Saint-Denis, en octobre1793, par Hubert Robert,XVIIIe sicle (Paris, museCarnavalet). Entre le12 et le 24 octobre 1793,les rvolutionnairessacharnrent dtruireles spultures royalesde la basilique de Saint-Denis. Les cercueils furentviols, les dpouillesexhumes et jetes dansdes fosses communes,puis recouvertes de chauxvive et de terre.

    JOSSE/LEEM

    AGE.

    25h

  • ACTUALITDEL'HISTOIRE

    Lagrande

    Jean-Paul Bled recompose dans un ouvragepassionnant la galerie des dignitaires et collaborateursnazis sur lesquels Hitler sappuya, et dont il fitet dfit les carrires au gr de ses vises politiques.

    Renouveler lhistoire du IIIe Reich nest pas la porte du pre-

    mier venu, et il fallait bien Jean-Paul Bled, spcialiste incon-test de lhistoire allemande, pour ressaisir frais nouveaux

    ltude de lappareil de pouvoir sur lequel Hitler rgna en matre.Car cest bien cette thse, taye avec une tonnante efficacit,que lauteurdveloppe ici, enpassant en revue la saisissantemna-gerie des grands fauves (et des plus petits) patiemment domesti-qus par le Fhrer. A lencontre des historiens adeptes dun Hitlerperptuellement isol dans sa folie, lauteur montre combien ledictateur sut aucontraire simposereux, enne leur abandonnantquune autorit contrle et en exploitant son profit les rivalitsqui, on le sait, ne cessrent jamais de les diviser.Faut-il sen tonner ? Comme le rappelle Jean-Paul Bled dans

    son introduction, lAllemagne nazie tant un Fhrerstaat ( Etatdu Fhrer ), Hitler est au centre de tout et tout se fait en sonnom . Cette conscration nest pas le fruit dun hasard institu-tionnel, mais lpilogue dun drame politique en trois actes : avecla Nuit des longs couteaux (30 juin 1934), le rcent chanceliertouffe toute opposition dans le parti ; la mort du marchalHindenburg (2 aot 1934), il devient le chef de lEtat allemand ;laffaire Blomberg-Fritsch (fvrier 1938), enfin, lui assure la hautemain sur larme. Pour autant, cette omnipotence naurait sansdoute jamais tpossible sans le concours de collaborateurs zls :ce sontceshommesdHitler, prsents icidans leur sinistrecar-rire, mais avant tout dans leur rapport au chef suprme, celui-cidterminant essentiellement celle-l.Divis en six parties ( Les idiots utiles , Le premier cercle ,

    Les civils, Lesmilitaires, Les artistesLes limins), LesHommes dHitler droule ainsi vingt-trois chapitres correspondant autant de portraits de dignitaires ou collaborateurs du rgimenazi, dont les pithtes choisis par lauteur caractrisent dunmotce rapport aumatre : Papen est larroseur arros,Goebbels, lematre de la propagande , Ribbentrop, la voix de son matre ,Keitel, le laquaisdHitler,etc.Tousmontrentque leFhrer futenpermanence la sourceuniquede leur faveuroude leurdisgrce, fai-sant et dfaisant les carrires au gr de ses calculs, dont le premier

    a consist suivre la lettre lantique adage politique : Diviserpourmieux rgner .A ce jeu stratgique, il ny a que des perdants.Ainsi, par exemple, dAlbert Speer, larchitecte de la chancellerie duReich, quHitler singnie ne jamais laisser en situation demono-pole, confiant dlibrment un autre (Hermann Giesler) sesprojets pourMunich et Linz.Pour tous, prendre ses distances avec la volont du

    Fhrer, cest se condamner la dfaveur brve oumoyennechance (ainsi de Gring partir de 1942, pour streopposenvain laguerrecontre la France et lAngle-terre). Et si la servilit est en prin-cipe un gage de survie, elle est soi-gneusement exploite par Hitlerpour placer sous sa coupe troite lesplus mdiocres et les plus vaniteux, telRibbentrop. Ceux-l restrent jusquaubout les admirateurs honts de celui quiils devaient tout. Les autres les moinsnombreuxconfessrent tardivement leuraveuglement sur le matre. Jai cru enHitler , crivit en 1967 Baldur von Schi-rach, le seul, avec Speer et Frank, avoirreconnu Nuremberg la culpabilit durgime nazi. Un titre qui pourrait trelpitaphecollectivegraver sur la tombedes hommes dHitler.2Les Hommes dHitler, de Jean-Paul Bled,Perrin, 510 pages, 24,90 .

    GRAND FAUVELe Reichsmarschall Hermann

    Gring (1893-1946