L'écologie à la croisée des chemins

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L'INSTITUT OCEANOGRAPHIQUE

PAUL RICARD

DL'institut , association régie par la lo i du 1 er juillet 1901 . a été créé à l'initiative de M. Paul Ricard , en 1966, sous le nom Ohservatoire de la mer ®. Il est devenu Fonda­tion océanofvaphiqlle Ricard en 1979 et a pris l' appe llation d' Institut océanof!raphiqlle

Paul Ricard en 1991 , à l'occasion de son XXVe anniversaire . C'est, en France, la se ule asso­ciation qui se consacre à la mer avec une te lle ampleur. Ses activités illustrent sa vocation. Des personnalités te lles que Bernard Clavel, Jean Dorst, Yves La Prairie. Jean-Marie Pérès, Haroun Tazieff appuient son action.

• Etudier la mer, sa vie, sa protection contre la pollution et, plus généralement , procéder à des recherches sc ientifiques sur ces problèmes. Une équipe permanente de sc ienti ­fiques se consacre à la recherche fondamentale et semi-appliquée dans le domaine de la bio­logie, de la microbiologie et de l'écologie marines, de la pollut ion des eaux littorales, ainsi que de l'aquaculture, en liai son avec les autres laborato;res méd ite rranéens. l'O.M.S. , \'Institut fran çai s de recherche pour l'explo itation de la mer (IFR EMER), la soc iété Elf Aquitaine, le Laborato ire central des Ponts et Chaussées, E.D. F.-Sofra tome, la Compagnie des eaux et de l'ozone. le ministère de l'Envi ronnement , l'agence de bass in Rhône- Méditerranée ...

Aux Embiez, l'Institut di spose d'un centre de recherches sur un site ex périmental excep­tionne l : milieu nature l e t bass ins aménagés. C'est là qu 'a été mi s au po int 1"'lnipol" de la soc iété Elf Aquitaine, retenu pour nettoyer les côtes de l'Alaska après l'acc ident de 1"'Exxon Va lde:". en 1989. Sa station d'aquaculture (éc loserie-nurse rie) ass ure l'élevage j e différentes espèces de poissons, princ ipalement de loups ou bars. Les travau x dirigés p'ar Yvan Mart in, sont placés sous l'autorité du Pr Nardo Vicente. responsable sc ienti fique, qui dirige le Centre d'é tude des ressources animales marines (CERAM) à la fac ulté des sc iences de l'uni versité d'A ix- Marseille III.

• Informer les spécialistes et le grand public

Depuis sa naissance, l'Institut s'est toujours préoccupé de communiquer le savoir acqui s, de sensibiliser le public aux grands problèmes de la mer. Organisation de colloques, partic i­pation à des congrès, présentation de conférences. d'ex positions, o uverture des aquariums méditerranéens et du musée océanographique aux visiteurs, vo il à que lques-uns des moyens qu'il met en œuvre.

Des stages permettent également de recevoir des étud iants préparant des thèses, des diplômes d'ingénieur. .. D'autres stages s'adressent aux professeurs de sc iences nature lles, aux aquariophiles. Au titre des expositions, il propose "Vil're al'el' la mer". itinérante, élaborée avec Jacques Rougerie, architecte .

Sa revue scientifique "Marine Life 1 Vie Marine" di spose d'un comité de rédaction et d'un comité de lecture composés de spéc iali stes français et étrangers. "Océanorama" propose à ses adhérents et au grand public des tex tes de qualité access ibles à tous, sur les curiosités et les découvertes du monde marin, de l'infiniment petit aux grandes espèces, sa ge~ tion ration­nelle , sa protection , l'archéolog ie ... Son illustration fait appel aux mei lleurs photographes sous-marins .

• CENTRE DE RECHERCHES, AQUARIUM, MUSEE ILE DES EMBIEZ - 83 140 SIX-FO URS-LES-PLA GES - TEL. 94.34.02 .49

• ADMINISTRATION PUBLICATIONS 4, RUE BERTHELOT - 13014 MARSEILLE - TEL. 91.98. 12.74

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Roger Molinier

L'écologie à la croisée des chemins

INSTITUT OCÉANOGRAPHIQUE PAUL RICARD

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© 1991, Institut océanographique Paul Ricard Tous droits de reproduction,

par tous procédés de traduction et d'adapta tion réservés pour tous pays.

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Lorsque l'on a, tout au lonf? d'une vie, choisi de partaf?er l'intimité des herbes et des bêtes , de courti­ser la vie et ses mystères ...

Lorsqu 'on a , mille fois, tenté de séparer les effluves champêtres, reniflé la terre mouillée, les coussinets de mousse impréf?nés de senteurs, les "chapeaux" odorants des champi­f?nons sauvaf?es, savouré l'éventail envoûtant des pwfums des fleurs ou des feuilles ...

Lorsqu'on a, mille fois , tendu l'oreille au monde pour f?uetter le murmure des sources, le bourdonnement des insectes , le frô lement des herbes sous la brise , la clameur du vent quand il se fâche ou pour décortiquer les composantes de la symphonie des oiseaux ...

Lorsqu'on a f?oûté la saveur des fruits, croqué leurs f?raines, léché les sucs les plus subtils de la nature ...

Lorsqu'on a caressé de ses doif?ts les pétales les plus veloutés, affronté l'écueil des épines, émaillé de gouttes de sang l'approche hasardeuse des feuilles et des branches ...

Lorsqu'on a, en quête de savoir, lentement usé son ref?ard depuis la plus petite spore jusqu'à l'infini des étoiles ...

Lorsqu'on s'est posé d'innombrables questions pour ne glaner, au bout du compte, qu'un bouquet dispersé de réponses hésitantes ... et lorsqu'au crépuscule d'une vie, on veut encore ref?arder la nature en face, lorsque les yeux ne savent plus dis­cerner, dans l'environnement des hommes, ce qui est bien, ce qui est mal ...

Alors .. .

On n'a fait qu'entrouvrir le livre de la vie, effeuillant seulement quelques pages d'un étrange roman: l'aventure écologique. Et voilà le mot clef lâché, ce mot qui, tour à tour inquiète ou rassure, interpelle sans cesse la conscience des hommes: l'Ecologie.

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De quoi s'agit-il ?

De cette discipline scientifique à la fois complexe, rigoureuse, objective, longtemps ignorée des médias et de leurs cibles, trop étroitement confinée dans les enceintes her­métiques d'universités ou de laboratoires de recherche insuffi­samment ouverts à la quête des hommes ?

De l'immense espérance que l'écologie peut apporter à l'humanité tout entière en lui proposant de planifier l'exploita­tion des ressources de tous ordres que nous offre notre planète et de les répartir avec sagesse partout où les hommes s'entas­sent ?

De la récupération avilissante que d'aucuns font de cette branche du savoir, les uns pour se soumettre à l'électora­lisme, d'autres pour accéder à la vie politique ?

Autant de questions qui se posent et qui appellent d'autres réponses que des cris d'alarme stériles, des défilés hérissés de pancartes, des litanies lassantes de slogans pessi­mistes, générateurs de peur et de lassitude.

Tel est l'objet de cette réflexion. En dénonçant certaines attitudes, montrer aux hommes de demain ... le chemin de l'es­pérance.

Certes, après plus d'un demi -siècle de complicité émouvante , de communion viscérale avec la nature qui, tour à tour, sourit ou saigne ... et dès lors que les stigmates inexo­rables du vieillissement m'interdisent désormais l'accès des sentiers les plus escarpés , les plus sauvages ... peut-être un voile d'incertitude ou de tristesse devrait-il assombrir mon regard.

Il n'en est rien.

l'ai vu , c'est vrai , tarir des sources, des fontaines .. .

l'ai vu la nature ternir ses couleurs, ses parfums, ses chansons, sa poésie .. .

l'ai vu les hommes clamer leur désespoir, leur indigna­tion, leur révolte ...

Je voudrais les voir proclamer leur espérance, et agir en conséquence!

Roger Molinier

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L'avènement tardif d'une discipline phare

Voilà quarante ans à peine, dans le courant des années 50, l'écologie était pratiquement ignorée du grand public. Cette discipline scientifique demeurait confinée dans l'atmosphère feutrée des centres de recherche, prati­quée par des spécialistes qui lorgnaient d'un regard jaloux et incisif les mystères de la nature.

Les racines mêmes de l'écologie sont d'origine complexe. Ce terme paraît avoir été utilisé pour la pre­mière fois par Ernest Haeckel en 1866. Le mot était alors bien loin de revêtir sa signification actuelle. Mais il n'en demeure pas moins que l'écologie apparaît comme une discipline scientifique jeune, récemment privilégiée dans l'éventail des préoccupations les plus fondamentales qui mobilisent les hommes de notre temps. Aujourd'hui, telle qu'elle est admise par les scientifiques qui la pratiquent, sa définition réside en une seule phrase: "l'écologie , c 'est l'étude des relations qu'entretiennent les êtres vivants entre eux et avec leur milieu".

De là découlent tous les objectifs que recouvre cette discipline. Car cette formulation toute simple cache, en fait, une foule d'interactions d'une extraordinai­re complexité qui font appel à la convergence d'orienta­tions scientifiques à l'origine très différentes les unes des autres, de nos jours étroitement imbriquées.

Que l'on veuille étudier une forêt, un maquis, une garrigue, une pelouse , un lac , une rivière, un rivage marin ou encore les étendues en apparence désertiques qui coiffent ou cernent les plus hauts toits comme les abysses les plus profonds des océans et des mers de notre planète, l'écologie n'autorise une telle approche qu'en associant, dans un travail d'équipe, un grand nombre de spécialistes.

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Dans chacun de ces cas, il faut que l'on fasse l'in­ventaire de la flore, de la faune, que l'on détermine les composantes essentielles du milieu qu'elles colonisent , c'est-à-dire le climat , le sol, l'eau et l'air, ces deux I~ilieux fluides qui conditionnent le développement de la vIe.

Car il ne faut pas croire que les myriades de germes vivants , issus de centaines de milliers d'espèces différentes répandues sur notre planète, s'éparpillent au hasard .

Au contraire, une claire organisation des peuple­ments se perçoit immédiatement, regroupant des cortèges précis de bêtes et de plantes au sein de communautés vivantes parfaitement déterminées et non fortuites.

L'écologie nous oblige à replacer toute chose dans un contexte très élargi et c'est là l'un des mérites les plus évidents de cette discipline à la fois d'analyse et de syn­thèse.

L'écologie existait bien avant que l'homme ne la découvre. C'est elle qui commandait et qui commande encore l'équilibre de la vie sur notre planète.

De l'homme gaspilleur à l'homme gestionnaire ...

Arracher à ces phénomènes leurs secrets passionne l'homme depuis toujours. Car ici s'inscrit l'homme, une espèce vivante pas tout-à-fait comme les autres en raison de son émergence sociale et de la suprématie qu'elle a acquise sur l'ensemble des deux règnes , animal et végé­taI.

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En découvrant , à travers l'éco log ie, les lo is qui régissent le maintien des équilibres nature ls, l'homme a voulu to ut log iquement en tirer profit. Et l'humanité a beauco up à attendre de cette di sc ipline sc ientifique, à conditi on de la bien connaître et de l'utili ser avec sagesse et inte ll igence.

A ujourd 'hui , confrontée à une poussée démogra­phique galopante, l'espèce humaine a le plus grand inté­rêt à gérer le plus sérieusement du monde les ressources dont e lle peut di sposer. Envisageons tout d'abord le pro­blème du seul point de vue quantitatif

Les règ les essentie ll es qui conditionnent le fonc­tionnement des pyramides alimentaires à travers la nutri ­tion, la re prod uction et la répartiti on des bêtes et des plantes intéressent l'homme au premier chef, ne sera it-ce que pour se nourrir 1 Mai s manger ne lui suffit pas. Encore lui faut-il boi re. Et la gestion quantitative des res­sources en eau pose aux hommes de notre temps des pro­blèmes redoutables.

Il leur faut auss i se loger. Le développement de l'habitat implique une consommati on d'espaces. Où les trouver ? Comment les organiser?

Il leur faut aussi travail/er, c'est-à-dire sélec tion­ner, au-delà de leurs structures familiales, des aires d'ac­tivités collectives, e lles au ss i dévoreuses d'espaces et de resso urces. Ainsi, so mm a ire ment cari caturées en se basant sur troi s nécess ités é lémenta ires, se no urrir, se loger, travailler et en ne prenant en compte que l'aspect qu a ntitatif des pro bl è mes posés, les exige nces de s hommes deviennent exponentielles .

Mais tout ce la ne représente qu'un chapitre dans l'éclecti sme des besoins ex primés par l'espèce humaine. Il lui faut auss i se chauffe r, s'éc la ire r, a lime nte r les machines qu 'e lle invente et qu 'elle tente de domestiquer pour se dépl acer, pour produire. C'est là tout le problème des ressources énergét iques. En termes de préhistoire, on

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parle de l'âge de pierre, de l'âge du fer, de l'âge du hron­ze. En st/rvolant toute l'histoire de l'humanité ne devrait­on pas parler de l'âge du hois , du charhon, du pétrole ou de l'atome?

Dans tous ces domaines, et ne serait-ce que dans l'évaluation quantitative de ce que peut offrir notre pla­nète, l'écologie peut jouer un rôle déterminant.

Du consommateur au gourmet ...

Mais cette discipline scientifïque jeune et dyna ­mique revêt une tout autre dimension dès lors que l'on ahorde les aspects qualitatifs qui touchent au cadre de vie de la communauté humaine à travers tous ses memhres, des plus déshérités jusqu'aux plus riches . Il existe une différence fondamentale entre vivre et savoir vivre . La fulgurante progression de l'espèce humaine en quelques dizaines de siècles lui a fait apprendre un cer­tain art de vivre . Peu à peu , la qualité de la vie s'est insérée comme une donnée prioritaire au sein des préoc­cupations humaines.

A travers le besoin de manger ou de boire, l'hom­me a appris à cuisiner. Nul ne se plaindra de cette amé­lioration qui a distingué sa façon de vivre.

En construisant son habitat, il a conçu des nids de plus en plus douillets pour dormir, pour aimer ...

Dans l'ambiance de sa vie familiale ou de ses acti­vités de travail, il n'a jamais cessé de favoriser le confort de son cadre de vie.

S'exprimant d'abord seul, souvent de manière mal­adroite, parfois avec génie, l'homme a traduit par son

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ENTRE L'ENFER ET LE PARADIS, OÙ SE SITUE LE PURGATOIRE?

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langage, son écriture, son dessin , sa peinture, sa sculptu­re, sa musique ... les choses de son temps.

Soucieux de vivre en collecti vité, il a inventé l'im­primerie, le théâtre, l'opéra, la radiodiffusion, le cinéma, la té lév ision, tout ce qui a rassemblé l'histoire pensée, parlée, éc r ite ou vue , e n un m o t la m émoire des hommes ... et nul ne s'en plaindra. La culture , dans son acception la plus noble, est un mélange de tout cela .

Le coût de l'insouciance des hommes

Mais à quel prix? Au prix d'un gaspillage inconsi­déré, d'une débauche fré nétique de moyens, de res­sources, d'espaces peut-être utilisables à d'autres fin s. Au pri x d'un déferlement de nui sances difficiles à maîtriser.

Vivre, c'est bien. Savoir vivre c'est mieux. Survivre c'est sans doute le problème des hommes de demain .

L'écologie s'élargit ici vers d'autres horizons. Car pour répondre à ce besoin grandi ssant de bien-être et de mi eux vivre, les hommes do ive nt affronter des pro­blèmes redoutables. Le seul maintien de la salubrité de leur cadre de vie impl iq ue la maîtri se de fac teurs qui n'ont été que partie llement pris en compte, j usqu'à pré­sent, dans la gestion de leurs systèmes d'exploitation, de production, de consommation ou de commerciali sation d'espaces et de ressources inégalement répartis.

Les données révélées par J'écologie apportent , là également, leur part de réponse.

A une condition, toutefois. Cette discipline ne doit pas ê tre considérée seuleme nt comme une médec ine

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curative, venant au seco urs de l'h umanité pour tenter d'endiguer ou d'effacer le flot des nuisances qui s'inscri­vent dans son si llage. Pour être efficace, une bonne thé­rapeutique doit ê tre à la fois préventive et curative.

Nous en sommes loin. Les enjeux soc iaux , écono­miques, en définitive politiques qui orientent le travail des hommes ne sont pas toujours compatibles avec les solutions nouvelles, ohjectives mais contraignantes, que suggère l'écologie.

Les princ ipes écologiques qui conditionnent la bonne santé des équilibres nature ls s' inscrivent souvent dans le long terme. Cela veut dire que l'aménagement de l'espace ne doit pas obéir à une politique à courte vue , procédant du "coup par coup", utili sant trop fréquem­ment la méthode de la ru st ine ou du sparadrap qui consiste à boucher les trous ou à panser les plaies sans guérir le mal dans sa causalité profonde.

En fait, toute gestion équilibrée - et celle de l'espa­ce n'échappe pas à la règle - doit respecter la loi de l'offre et de la demande. En matière d'aménagement du terri ­toire, la demande, c'est l'homme et ce sont les besoins qu 'il exprime.

L'offre, ce sont les sites sur lesque ls il s'implan­te, dont la capacité d'accueil est loin d'ê tre infinie.

Autorisant des bilans précis, établis sans idées préconçues, l'écologie s'inscrit à part entière dans ce type de demande. Elle replace l'homme dans un contexte qu 'il a trop souvent tendance à ignorer ou à négliger.

L'organisation, l'aménagement, la mi se en valeur du territoire so nt à confier à de s éq uipes regroupant des architectes, des urbani stes, des écono­mistes , des sociologues, des juristes, des écologistes .. . C'est le triomphe de la pluridisciplinarité, à la condi­tion qu'elle so it une véritable osmose entre des cou-

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rants de pensée complémentaires et non la simple jux­taposition de disciplines qui se sont trop longtemps ignorées.

Cela suppose la recherche permanente de com­promis indispensables, l'acceptation de concessions mutuelles inévitables . L'économiste doit apprendre à mesurer les justes limites de son art. L'écologiste, pour sa part, doit comprendre que sa contribution dépasse largement le cadre trop sectoriel de la protection des milieux naturels.

Certes, l'homme est là qui grouille et piétine. [1 doit se loger, se nourrir, assurer sa promotion écono­mique et sociale, s'insérer dans la biosphère en respec- . tant - autant que faire se peut - les équilibres biolo­giques que la nature a mis des millénaires à établir.

Mais il en est capable, à condition de réfléchir et d'agir avec beaucoup de rigueur et d'objectivité, en rejetant les passions ou les excès de sensibilité, voire de sensiblerie, qui dénaturent trop souvent son com­portement.

Le combat écologique

On peut alors se demander, au-deià des fonde­ments mêmes de la discipline scientifique que représente l'écologie, pourquoi les problèmes qu'elle soulève sont de nature conf] ictuelle.

Il s'agit, en vérité, d'un comhat récent: celui de l'homme contre l'homme!

L'un des phénomènes les plus évidents que l'on retiendra du XXème siècle de notre histoire réside dans

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la prise en compte accélérée, au niveau de la conscience des hommes, des données environnementales et de leur importance prioritaire dans le cadre de vie de l'humanité tout entière.

A-t-il fallu tant de siècles d'enchaînement de civi­lisations prestigieuses pour que la communauté humaine s'aperçoive qu'elle doit lutter, aujourd'hui, contre deux fléaux aberrants: lafaim et l'ordure?

Cette prise de conscience tardive peut s'expliquer de plusieurs manières.

Au premier rang de ce changement d'attitude, il faut placer l'importance grandissante des médias dans leur double mission : informer, sensibiliser.

Le XXème siècle , à travers le perfectionnement explosif des techniques audiovisuelles, a sorti de leurs tanières respectives une foule d'hommes, de femmes et d'enfants qui vivaient, jusqu'alors, isolés. Le paysage tra­ditionnel du monde paysan ou ouvrier dans les pays industrialisés s'en est trouvé radicalement transformé .

Désormais, tout le monde peut savoir et, dès lors , tout le monde peut agir. Agir comment? Seul ou en groupe?

Chacun sait que "l'union fait la force". Cette for­mule lapidaire justifie également le nouveau comporte­ment de l'e spèce humaine au regard de so n environnement: le rôle grandissant des mouvements associatifs en est la démonstration évidente.

Depuis l'aube de l'histoire des hommes, l'individu ou les communautés auxquelles il s'es t intégré, n'ont jamais cessé de réclamer leurs droits. La démocratisation des institutions humaines a favorisé la prise en considé­ration des droits de l'homme comme de ceux des peuples.

Des foules se sont rassemblées pour mieux le s faire valoir. Le syndicali sme en est une preuve irréfu-

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table. Pour des cas de figure plus sectoriel s, des groupes plus restre ints se sont également organisés. Il s ont récla­mé des structures légales. En France, c'est au tout début du XXème siècle, le 1 e r juillet 1901 plus exactement , qu'une loi a été promulguée, signant l'acte de nai ssance des mouvements associatifs.

Dans la prise en compte par l'homme des données envi ronnementales, ces mouvements ont acquis de nos jours une importance primordiale. Et l'on assiste à une prolifération peut-être excessive de mouvements associa­tifs dont les motivations ne sont pas toujours évidentes.

Car si les hommes réclament logiquement leurs droits. ils doivent aussi respecter leurs devoirs. Et force nous est de constater que dans le cheminement parallèle de ces deux démarches de l'esprit, un dangereux déséqui­libre s'est instauré, favorisant les droits aux dépens des devoirs. Il explique, en partie, ce que l'on appelle aujour­d'hui le "combat écologique".

Du réflexe de peur au sentiment de lassitude

Il faut bien reconnaître qu'à travers l'emprise gran­dissante des médias et des mouvements associatifs - dont il faut évi ter, d'ai lleurs de faire l'amalgame -, le foisonne­ment désordonné, parfoi s incontrôlé, trop souvent alar­mi ste des informations proposées a engendré un réflexe de peur.

En fait, dans l'esprit des hommes qui la colonisent, sur ce tte terre prometteuse de tant de richesses et de commodités, une grande inquiétude est née.

y aura-t-il, demain, de quoi manger, de quoi boire

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et même, à la limite , de quoi respirer pour tous? Et, au de là du quantitatif que deviendra, demain , la qualité de la nourriture, de l'eau ou de l'a ir que chac un devra absor­ber ou inhaler ?

Ce demain s'affiche chaque jour davantage dans notre aujourd'hui quotidien. L'avenir de nos enfants ne s' inscrit plus seulement à travers l'insertion qu 'ils auront acqui se dan s un ti ss u soc ial de plus en plus sélec ti f. Il réside dans la sauvegarde d'un cadre de vie sans lequel aucun progrès n'est à espérer.

En d é no nça nt la ra ré facti o n prév is ibl e e t la souillure progress ive des ressources les plus indi spen­sables à la vie quotidienne des hommes, des plus pauvres aux mieux nanti s, les médi as et les mouvements associa­tifs ont privilégié l'affi chage de deux termes jusqu 'alors enfoui s comme tant d 'autres dan s les abysses de leurs dictionnaires : désertification, pollution.

Et comme la pui ssance des médias enjambe allè­grement toutes les frontières, c'est le monde entier qui a pus peur.

Pouva it-il en ê tre autrement ? De nos jours, la communauté humaine s' inquiète et s'émeut. Elle réa li se que les ri sques qu'engendrent l'appauvri ssement progres­sif du potentiel en vivres, la consommation abusive et anarchique des es paces, des sources d'éne rgi e di spo­nibles, l'accumul ati on fantas tique des po llutions, sont sources de peur.

L'Humanité vient de comprendre que c 'est tout le problème de la gestion , de l'organisati on de l'espace qu 'il lui faut repen se r. Que do it faire la Soc ié té devant un capital nature qu'il convient de gérer en tenant compte, demain , du prix de l'eau buvahle ou de l' air respirable?

Comment équilibre r, dans la biosphère , les deux noti ons fondamentales de produ ction et de consomma­tian ? Comment redistribuer, parmi les hommes, le coût

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de la lutte anti-pollution sans bouleverser les bases de leurs systèmes économiques? Autant de questions que se pose aujourd'hui une humanité effarée qui sort de l'in­souciance pour sombrer dans l'anxiété.

Informer, c'est bien. Alarmer, c'est mieux. Pani­quer, cela devient insupportable.

Et c'est là que l'emprise excessive des médias comme celle des mouvements associatifs aboutit à une dérive inquiétante.

Trop savamment utilisé , trop intelligemment culti­vé, le réflexe de peur engendre des réactions d'indifféren­ce, de renoncement, de pess imisme et... de nihilisme ! Plus grave encore, il génère une réaction négative: le réfleXe de lassitude.

L'échec de grandes manifestations médiatiques récentes comme "la journée de la Terre" est une gifle méritée par bon nombre d'associations protectrices de la nature.

Trop aboyer fatigue les oreilles les plus attentives, tout comme la peur du loup réveille des générations de timorés . Pour peu qu'un tel phénomène s'amplifie , les mouvements écologiques ne réuniront bientôt plus que leurs adhérents, c'est-à-dire la foule des convaincus, pas de ceux qu'ils voudraient convaincre.

On voit se réunir dans les églises, les temples, les synagogues, les mosquées comme dans tous les autres lieux de culte de notre planète, quelle que soit la religion dont elles se réclament, des foule s d'hommes et de femmes qui croient en quelque chose et c'est déjà beau­coup. Mais la conversion des âmes, les adhésions nou­velles s'opèrent à l'extérieur. C'est là qu'agissent les mis­sionnaires et ce n'est pas à coup de pancartes et de slo­gans qu'ils affichent leur foi. Car il leur faut prêcher autrement que dans le désert.

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Le démon tentateur de la vie politique

A cela s'ajoute une autre déviation, tout aussi dan­gereuse, dans l'activité des mouvements associatifs à vocation écologique: leur insertion grandissante dans la vie politique et l'usage qui en est fait, dont personne n'est dupe. Il faut avouer qu'ils s'y prêtent parfois complaisam­ment, au point qu'il est souvent difficile de dire si c'est la politique qui récupère l'écologie ou bien, inversement, si c'est le "militantisme écologique" qui se sert de son éti­quette comme d'un tremplin providentiel pour brûler les étapes de la hiérarchique politique. Faut-il en rire ou en pleurer? Le bon peuple de France n'a que l'embarras du choix lors de chaque échéance électorale.

Enfin, un autre danger, tout aussi évident, guette tous ceux que l'on commence à appeler "les verts", terme à mon point de vue beaucoup mieux adapté que le précé­dent si tant est que beaucoup d"'écolos" ignorent tout de l'écologie. Il s'agit de la prolifération d'associations nou­velles qui se réclament de leur doctrine et qui regroupent des mécontents soucieux de défendre leurs intérêts dès lors qu'une option d'aménagement ampute une parcelle de leur territoire privé.

Chacun sait qu'une ligne électrique, une autoroute ou encore les rails d'un TGV, "ça fait mal là où ça passe !". Mais les millions d'usagers qui bénéficient de ces nou­velles commodités ne se plaignent pas de leur modernis­me.

Dans certains cas, l'écologie pourrait efficacement infléchir les tracés proposés et il est regrettable qu'elle ne soit pas suffisamment consultée avant qu'ils ne soient décidés. Mais, dans tous ces cas de figure, les choix opé­rés feront naître des opposants qui, le plus souvent, invo­queront l'écologie pour ju,stifier leur mécontentement.

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D ans l' imme nse m armite o ù mij o te nt tous les rêves des hommes en quête de consommati on et d'amé­nagement d'espaces, l'écologie ne saurait servir de fond , au sens culinaire du terme, c'est-à-dire de bouillon ou de jus destiné à mouill er les sauces, les ragoûts e t autres dé li ces qui n'agrémentent qu 'un vo le t de notre vie de chaque jour.

Les balbutiements d'un pouvoir hésitant

Force es t de reconnaître que la pri se en compte de l'écologie par \es responsables politiques de notre pays -à que lque ni veau qu 'il s s' inscri vent dans la hiérarchie de

leurs in s ignes o u de leurs éc harpes - so uffre de tro is infirmités qui , sans être incurables, ne seront guéries qu 'à long terme. Elle est à la fois mal adaptée, insuffisamment étoffée et imprév isibl e.

Elle est mal adaptée, pourquoi ? Pour s'en rendre compte , il n 'est que de lire "Le Ministère de /'impos­sihle", ouvrage écrit par Robert Poujade, le premier de nos responsables gouvernementaux de la protection de l'environnement , dont il me plaît de souligner ic i qu 'il fut un grand mini stre.

La c réa ti o n du mini stère de l'E n v iro nn e me nt remonte à 1971. Sa na issance a été laborieuse, parfo is même contestée. Car on ne construit pas un nouvel édi fi­ce en se contentant d'emprunter que lques briques à des tours d'ivoire quas i inébranlables, so lidement implantées de longue date .

A tous les niveaux de leurs forteresses respectives, les responsabl es de grands ministères comme ceux de l'Agriculture o u de l'Equipement n'ont pas accepté de

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gaieté de cœur d'être amputés d'une parcelle de leurs res­ponsabilités. Il en est résulté des querelles de clocher qui ont ouvert, à partir de fissures insignifiantes, des brêches difficilement réparables.

Le grand public ne comprend pas ce genre de sec­tarisme . Dans la gestion quotidienne de notre cadre de vie, les choses de la nature , à savoir la montagne, la mer, la forêt tout comme l'eau que nous buvons, l'air que nous respirons, soulèvent des problèmes d'une telle complexi­té qu'ils ne sauraient être l'apanage exclusif ni la chasse gardée de telle ou telle structure administrative par trop jalouse de ses pré rogatives .

Alors, comment pouvait-on raisonnablement faire vivre ce "Ministère de l'impossible" ? Sûrement pas à travers les flottements de nos diri geants politiques qui

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ont fabriqué, à tour de rôle, des ministères ou des secré­tariats d'Etat plus ou moins éphémères - on a même connu un grand ministère doublé d'un secrétariat d'Etat -pour obéir davantage à des préoccupations électoralistes qu'à une réelle volonté politique.

Car, et c'est là le deuxième volet du problème, "qui veut la fin veut les moyens" et j'affirme qu'au niveau de la répartition du budget de l'Etat, les préoccupations gouvernementales n'ont abouti qu'à l'implantation d'un ministère croupion, insuffisamment étoffé, sûrement pas sans hommes de valeur mais assurément sans argent.

Troisième et dernière critique: rares sont les hommes politiques qui se sont concrètement engagés pour prévoir la pérennité d'une prise en compte grandis­sante des données environnementales.

L'imprévisible apparaît, dans ce domaine, comme un défi scandaleux lancé à la face d'un monde dont le cœur bat chaque jour davantage au rythme des ordina­teurs.

Pour remplir efficacement son rôle, une structure

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gouvernementale doit avoir une mission précise à rem­plir, des moyens adaptés pour accomplir sa tâche et sur­tout, elle doit répondre à une volonté politique bien affir­mée . Aucun de nos ministères de l'Environnement n'a connu pareille fortune.

Une affaire d'états ...

L'eau et l'air, ces liens inestimables qui irriguent, dans leurs entrailles les plus intimes, tou s les ê tres vivants de notre planète , franchissent allègrement les frontières les plus hermétiques sans décliner leur identité, sans dévoiler ce qu'il s transportent, le passeport n'étant, en définitive, qu'une contrainte "socio-économico-poli­tique" que se sont infligée les hommes.

Et pourtant, les pluies acides, les marées noires, Tchernobyl , cela existe et cela fait d'autant plus peur que l'on échappe à la lo g ique de s catastrophes dite s naturelles !

Mais les agents et les facteurs qui insufflent aux milieux naturels leur éternel dynamisme, qu'il s so ient abiotiques (de nature cosmique, atmosphérique, hydro­sphérique ou édaphique) ou biotiques (animaux et végé­taux) ignorent tout des frontières des hommes.

Qu'elles soient fâcheuses ou bénéfiques, les inci­dences de l'impact humain sur la biosphère se répercu­tent à des di stances souvent considérables à travers un réseau de vecteurs dont le nombre et la diversité frisent la démesure. La diffusion désordonnée des substances polluantes à l'échelle planétaire démontre à l'év idence l'urgente nécess ité de so lutions internationales. Car, au bout du compte, la gestion de l'espace pour le profit et le bonheur des hommes interpelle tou s les peuples de la terre, éveille leur solidarité, leur impose de rattraper tous ensemble des millénaires d'insouciance.

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Rien n'est facile dans ce domaine. Mai s, au regard de cette tâche d'intérêt prioritaire et universel, les so lu­tion s réce mment ado ptées dans de no mbre ux pays concréti sent avec éc lat une pri se de conscience e ncore trop souvent confuse ma is chaque jour davantage écla i­rée.

Il convient de réaliser que c'est seulement en 1972 qu'a eu li e u à Stockholm la pre mi ère Co nfére nce des Nations Unies sur l'Env ironne men t e t qu 'e n mo ins de v ingt ans plus de 70 pays se sont dotés de mini stères de l'Environnement ou de structures équivalentes.

Quelle que soit l'incohérence apparente qui a pré­sidé à ces initiati ves, e lles ont ouvert la porte à une véri­table coopération internationale, engendré de nombre ux programmes de rec he rch e e t d 'ac ti on sur les données environnementales à l' éc he ll e plané ta ire , évei ll é la conscience des hommes en faisant de le ur so lidarité un fer de lance pour la survie de leur espèce.

Un pôle géographique et historique qui nous es t familier peut nous servir d'exemple: la Méditerranée.

Véritable tra it d'union e ntre plusieurs continents, cette mer a é té la croisée des chemins, le passage obligé de civilisations pres tig ieuses qui se sont côtoyées, succé­dé, parfoi s m ê m e a ffront ées sa ns m e rc i. Carrefour d 'échanges économiques et plateforme de brassage de courants culture ls d'une valeur inestimable, la Méditerra­née a supporté l'énorme po ids d'une hi stoire d'exception, à travers ses g lo ires et ses viciss itudes.

Lente me nt usés , ra botés par les ho mmes, les rivages et l'a rrière-pays du bass in méd iterranéen subi s­sent encore de nos jours des press ions désordonnées et excess iv es qui co mpromette nt l'équilibre des mili e ux naturels.

Agressées par les incendies , menacées par un flot g randi ssant de so urc es po lluantes, les commun a utés

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vivantes terrestres et marines souffrent de dégradations inquiétantes engendrant l'appauvri ssement progress if des ressources qu'elles recè lent.

Tout cela est grave mai s n'est pas désespéré. Rien n'es t encore pe rdu , même s i certaines vo ix trop a lar­mistes et qui ont acquis de nos jours une large audience dans l'esprit du public prédisent une mort lente à la mer MéditelTanée. Elle est malade , certes, mais elle n'est pas moribonde.

En outre, l'écologie no us enseigne que la nature, face aux agress ions qu 'e lle subit , a tendance à reconqué­rir lentement ses droits dès lors que cessent les dépréda­tions dont e lle est l'obje t. Elle peut y parvenir plus rapi­dement si l'homme l'a ide à panser ses pl aies.

Encore faut-il qu 'il le veuille . Aujourd 'hui , pour y parvenir, une vaste levée de boucliers s'impose, nécessi­tant un large con sensus de la part de l'ensembl e des populations riveraines mais auss i des centa ines de mil­liers de vi siteurs qui font de ces territoires chargés d'hi s­toire la cible é lective de leurs vacances.

Certes, les hommes et les femmes des générations à venir ne retrouve ront plus jamai s les paysages gran­dioses que contemplaient leurs lointains ancêtres au soir des journées de chasse. Mais entre cette vi s ion idyllique d'un passé révolu et la vers ion d'épouvante que nous pro­posent les pess imi stes, défaiti stes et autres nihilistes, il y a place pour un compromi s acceptable.

Depui s qu e lques ann ées, de la Turquie ju squ 'à l'Espagne en passant par la Grèce, la Yougos lav ie, l'Italie et la France, les pays des riv ages septentrio naux de la MéditelTanée unissent leurs effort s pour réduire le poids des nuisances. La multipl ication des prog rammes de recherches, des conférences et des rencontres à l'éche lle internationale en sont une preuve év idente.

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Cette politique doit être poursuivie et étendue aux pays du Maghreb, confrontés à des problèmes démogra­phiques redoutables e t soucieux de déve lopper rapide­ment leur potentie l de production appuyé sur de vastes programmes d'équipement et d 'industriali sation.

Les dangers du déviationnisme écologique

Dans ce procès dramatique qu 'intente la nature à l'homme, la sc ience peut, en fait , étayer tous les rôles : bâtir l'acte d'accusation, prononcer le réquisitoire , soute­nir les plaidoiries de la défense, que sa is-je encore ? ... Rendre un verdict de justice et d'équité .

L'écologie s' in scrit ici dans sa vraie dimension , si tant est que la notion d'équilibre demeure la règle d'or de la biosphère.

Encore faudrait-il que la communauté sc ientifique en prenne conscience, qu'elle s'intéresse davantage aux sc iences de la nature. Nous en sommes loin, dans notre pays, où les grands organismes de recherche et les labo­ratoires universitaires mobilisent l'essentie l de leurs res­sources et de leur matière grise vers les recherches dites de pointe en favorisant à l'excès la biolog ie moléculaire ou cellulaire au détriment de la botanique ou de la zoolo­g ie , reléguées au rang de disciplines désuètes.

Certes, au siècle prochain , tout un chacun saura encore disting ue r un platane d'un pi ssenlit. Mai s nou s a urons perdu ce cortège de spécialistes, effeuillant patiemment les flores et les faunes pour dresser l'inven­taire des communautés vivantes végétales et animales révélatrices de l'état de santé des milieux naturel s.

Force est de reconnaître qu'aujourd'hui , dans notre

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pays, l'écologie est loin de recueillir les faveurs des ins­tances dirigeantes de la recherche scientifique.

Son explosion médiatique récente et désordonnée, sa récupération politique excessive l'ont réduite à l'état d'emblème publicitaire habillant l'homme de la cravate jusqu'aux chaussures.

C'est un coup bas porté à une discipline scienti­fique qui doit demeurer rigoureuse et objective sous peine de perdre sa crédibilité.

A travers l'humilité et l'espérance, la recherche du compromis

Au terme de cette réflexion, à travers les multiples facettes de l'écologie, que j'ai pratiquée et enseignée avec passion tout au long de ma vie, je souhaite proposer aux hommes de notre temps une conclusion qui comportera trois volets.

- Le premier, je l'emprunte à mon Père, en citant un extrait d'une lettre qu'il écrivait à l'un de ses amis quelques semaines avant de s'éteindre.

"j'ai souvent pensé que de l'œuvre des hommes, quelle qu'en soit l'importance, la décantation naturelle que le temps opère ne laisse subsister qu'une part d'au­tant plus infime que l'on n'a pas figuré parmi les génies, que l'on a dû se contenter d'apporter à la Connaissance une contribution modeste. De tout ce que j'ai publié ne resteront sans doute que quelques données valables. De celles qui le sont moins ou ne le sont pas du tout, des erreurs que j'ai pu commettre, l'avenir fera rapidement justice . Si donc, prévenant moi-même l'œuvre du temps

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qui passe et des générations qui montent, j'essaie de trier la masse de mes observations pour en sortir celles qui me paraissent les plus viables, ma pêche est des plus modestes ... "

Aujourd'hui, au crépuscule de ma carrière, c'est avec beaucoup d'émotion et un profond respect que je reprends cette pensée de mon Père qui me conduit au même examen de conscience.

- La seconde conclusion qui me vient à l'esprit repose sur une grande espérance. J'ai toujours cru en l'Homme, quelles que soient les erreurs qu'il ait pu com­mettre au sein de l'immense cortège de plantes et de bêtes auquel il est tout naturellement intégré.

Ce qui le distingue des autres espèces vivantes de notre planète, c'est son extraordinaire pouvoir d'adapta­tion . Adaptation à quoi ? au bien comme au mal? encore que ces deux termes soient délicats à cerner en raison de leur double poids : moral, sur le plan de l'éthique , ou matérialiste dès lors que le social, l'économique ou le politique impriment aux activités humaines des orienta­tions souvent bénéfiques mais parfois hasardeuses.

Pour la première fois, dans l'histoire de notre pla­nète , une espèce - qui s'est désignée elle-même sous le nom d'Homo sapiens - découvre, avec une stupeur atter­rée, les conséquences désastreuses d'une gestion anar­chique des terres qu'elle a conquises et asservies.

Mai s à quoi corres po nd , e n français, l'Homo sapiens? Est-ce celui qui sait , ou celui qui est sage?

A l'orig ine, le mot latin sapiens coiffait à la foi s deux concepts devenus aujourd 'hui fondamentalement di stincts: le savoir et la sagesse.

De nos jours , sur notre minuscule planète qui tourne autour d'un petit soleil perdu dans un océan d'étoiles , l 'Homo sa pi e ns, l'homme qui sa it , doit

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L'AN 2000 A BESOIN D'ESPÉRANCE. ..

apprendre à devenir l'homme sage. Il peut le fa ire s' il le veut. Je le crois. C'est là mon espérance.

- Enfin , il me paraît utile de rappeler une pensée d'un des plus grands parmi les sages que l'humanité ait j amai s engendrés. Il s s'appe lait le Mahatma GANDHI Quelques jours à pe ine avant d'être assass iné, il écriva it cette phrase qui dévo il ait la dimension de sa grandeur d'âme: "Tout au long de ma vie, je n'ai jamais cessé de mesurer mieux, jour après jour, la valeur du compro­m is." Qu e l merve i lI e u x m essage à l 'ad resse des hommes!

L'écologie leur apprend que les lo is qui rég issent les équilibres au sein des milieux nature ls reposent sur des compromis permanents: compromi s entre mangeurs et mangés, entre prédateurs et proies, compromi s dans la conquête et le partage des territoires, dans la régulation et la répartition des populations ... Transposés sur le plan social, économique ou politique, tous ces te rmes s'appli-

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quent aux hommes, chacun d'eux devant s' insérer à sa place, dan s le respect de la vie et de la liberté des autres, avec le souci constant de sauvegarder les équilibres natu­rels qui conditionnent la survie d'un environnement de qualité.

A l'aube du troisième millénaire d'une certaine his­toire, les hommes de notre temps doivent comprendre ce me ssage et le mettre en pratique ... en év itant de confondre trop souvent deux termes si proches dans leur consonance, si lointains dans leur résonance, le premier imprégné de noblesse, le second maculé d'opprobre compromis et compromission ! ...

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Table des matières

• Avant-propos: "Lorsque l'on Q ... " • • • . . . •. 3

• L'avènement tardif d'une discipline phare 5

• De l'homme gaspilleur à l'homme gestionnaire ... . .......... ... 6

• Du consommateur au gourmet .......... 9

• Le coût de l'insouciance des hommes ..... Il

• Le combat écologique .................. 13

• Du réflexe de peur au sentiment de lassitude ............... 15

• Le démon tentateur de la vie politique .... 19

• Les balbutiements d'un pouvoir hésitant .. 20

• Une affaire d'états ..................... 23

• Les dangers du déviationnisme écologique 26

• A travers l'humilité et l'espérance, la recherche du compromis ............. 28

• DIRECTEUR DE LA PUBLICATION: Jean-Pierre Peyret

• CONCEPTION ET MISE EN PAGE: Christian Frasson • PHOTO­GRAVURE: S.P.G. (Marse ille) • ASSISTANCE TECHNIQUE: Claude GAN IV ET . PHOTOCOMPOSITION et IMPRESSION : Imprimerie Ri ca rd (Marse ill e) • DEPOT LEGAL: mai 1991 .

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L'ILE DES EMBIEZ Siège de l 'Institut océanographique Paul Ricard, elle est située à 10 minutes

de navigation du port du Brusc, à Six-Fours-les-Plages, entre Sanary et Toulon (/3 km), à 65 km de Marseille. Elle compte 95 hectares, d 'une diversité étonnante.' fo rêt de pins, j àlaises, plages de gravierjin ...

Tous les aménagements ont été réalisés dans le respect de la nature, ainsi que l'a souhaité Paul Ricard, quand il a fait l'acquisition de l'Île, en /958. Le regroupement des infrastructures d'accueil et de loisirs autour du port a permis de conserver à une grande partie de l'île son aspect orig inel , quasi sau vage par endroit .-

DEUX MOTS D'HISTOIRE L'Île a toujours eu une vocation maritime .' de tous temps, des vaisseaux

j i/yant la tempête ont fait relâche dans cet ahri naturel protégé par la chaîne du cap Sicié. Dès l'Antiquité, les Phocéens f ondent à l'emplacement du Brusc actuel, une cité qui devient par la suite possession romaine sous le nom de Tauroentum . En / 376 , le pape Grégoire Xl , qui ramène la papauté d'Avignon à Rome, fait escale aux Embiez pendant trois j ours. L'amiral génois Andrea Doria , qui commandait la flotte de Charles Quint au moment de l'in vasion de la Provence, en 1536, vient se ravitailler au puits Sainte-Cécile dont l'eau possédait de grandes vertus diurétiques.

Exploités dès le XIe siècle par des moines de l'ahhaye de Saint -Victor, à Marseille, Les marais salants. aujourd'hui désaffectés. sont utilisés comme bassins d'expérimentation par les chercheurs de l'Institut océanographique Paul Ricard.

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