L'école sévit contre les lolitas

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Couleur flashy, vêtements moulants, provocants. Pour les ados et préados, l'heure est venue de se rhabiller. Les écoles révisent leur règlement sur les tenues vestimentaires. Au grand dam des élèves.

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PA R N E W T O N   P H A M D A N G

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Sur Internet, des sites

payants proposent à leurs

membres des photos et

des vidéos de gamines

posant en lolitas.

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Page 2: L'école sévit contre les lolitas

La directrice m’a virée de l’école parce qu’on voyait

mon string ». La réplique ne surprend plus personne.

Depuis quelques semaines, les élèves de l’Ecole secondaire

Le Verseau à Bierges vivent une période de renvois à la

chaîne. L’établissement a pourtant la réputation d’entretenir un

dialogue permanent entre élèves et professeurs. « Ici, les

élèves peuvent tutoyer les enseignants » explique Julie, une

rhétoricienne. « Mais du jour au lendemain, les profs se sont

mis à sévir. J’ai une amie qui a été renvoyée pour un minuscu-

le trou dans son pantalon ».

Cet élan de sévérité est l’aboutissement d’un ras-le-bol

général des professeurs. Tous sont unanime sur le fait que les

élèves prennent de plus en plus de liberté en matière

vestimentaire. « Lorsqu’elles écrivent au tableau, certaines

jeunes filles, qui portent des pantalons taille basse, laissent

entrevoir leur raie des fesses, ce qui met leurs professeurs

masculins très mal à l’aise » déplore Anne Verpaele, la sous-

directrice du Verseau.

Le phénomène ne se limite pas aux seules filles de l’école. Côté

garçon, on porte les pantalons le plus bas possible pour afficher

publiquement la marque de son slip. Ce qui a le don d’attirer la

foudre des professeurs. « Quand je vois passer un élève

arborant fièrement son calebard, je tire sur son pantalon. Et il

comprend le message illico » raconte Gilles Wauthoz, un

éducateur. L’action radicale des professeurs a aussitôt entraîné

un mouvement de riposte chez les élèves de troisième et

quatrième secondaire. Une semaine après les faits, ces

derniers ont débarqué dans l’établissement vêtus d’un costard

cravate. Depuis, la confusion règne entre élèves et professeurs.

Plusieurs étudiants contestent cette semi-liberté vestimentaire,

préférant encore l’imposition définitive de l’uniforme. Idée à

laquelle la sous-directrice s’oppose farouchement : « il est

hors de question d’instaurer l’uniforme. Ce que l’on cherche à

obtenir des élèves, c’est l’autodiscipline ».

De nombreuses écoles connaissent un phénomène similaire.

Mais chacune l’appréhende à sa manière. « Nous

fonctionnons avec une méthode bien à nous » explique Lucien

Ramacciotti, directeur du Collège Saint-Joseph de Chênée.

« Nous disposons d’un pion à l’entrée qui bloque l’accès aux

élèves qui portent une tenue inappropriée au règlement d’ordre

intérieur. Cela limite les renvois mais n’empêche pas les

élèves de manquer les cours ». Dans d’autres établissement, la

méthode prête parfois à rire. « Nous avons un prof qui

commence toujours sa leçon en nous faisant lever les bras. Il

tient à s’assurer que nos T-shirts ne sont pas trop courts »

explique Marie, élève de l’Athénée Charles Rogier à Liège.

« Je connais un proviseur qui a cherché à se procurer un lot

de bretelles pour retenir les pantalons taille basse » ajoute

Mathieu. « S’il croit que ça va changer quelque chose ».

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Vêtements de marque,

couleurs fluos,

provocation : autant

d’atouts vendeurs.

I L   S ’ A P P E L L E   « P H E N O M E N E   L O L I T A   »

La polémique des vêtements trop courts ne date pas d’hier.

Selon Bernard Francq, sociologue à l’UCL, la situation est

devenue irréversible depuis la révolution estudiantine de mai

68. « La libération sexuelle, l’autonomie grandissante des

femmes et l’individualisation croissante des individus

encourage les jeunes à marquer leur indépendance de plus en

plus tôt » explique-t-il. « C’est un geste de rébellion conscient

pour se donner une personnalité au sein du groupe ».

De fait, ce ne sont pas les modèles qui manquent. Entre Lorie,

jeune chanteuse en tenue affriolante ou les clips vidéos dans

lesquels se trémoussent de jeunes filles dénudées, la sexuali-

sation des vêtements est partout.

Indicateur du phénomène, dans la vie quotidienne, l’explosion

du string : sa part de marché a augmenté de 70 % en 2002.

Alors qu’il y a vingt ans, ce sous-vêtement était cantonné à un

secteur comme la pornographie, il est aujourd’hui un

accessoire de mode courant. « Une marque comme Vassarette

vend aujourd’hui plus de strings que de slips » raconte Marie-

Laure, étalagiste. « Et les clientes sont souvent très jeunes.

Parfois, elle n’ont que treize ans ».

Ce phénomène a été baptisé « la mode lolita ». Inspiré du

roman de Vladimir Nabokov publié en 1962, il désigne toutes les

adolescentes en pleine puberté qui font de leur corps un

argument de séduction. Voire de provocation sexuelle. « La

plupart de ces jeunes filles traversent une période extrêmement

agitée pour leur psychisme » explique Martine Wybo,

psychologue et logopède. « Les premières règles, les

poussées hormonales, les premiers contacts avec les garçons

dans les soirées : tout cela constitue autant d’éléments

perturbateurs ». Or, l’école est le terrain social privilégié de la

majorité des adolescentes. Et le laxisme en matière

vestimentaire qui a prévalu pendant de nombreuses années

encourage aujourd’hui une liberté qui peut choquer.PH

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SHOPPING :

TOP 5

Magasins à succès des filles

belges de 12 à 16 ans :

1. Jennyfer

2. Pimkie

3. H&M

4. Zara

5. Apple

ET SI MA MERE ME CHOPPE ?

U N E Q U E S T I O N   D ’ E D U C AT I O N

Pour la plupart des parents, l’autorité de l’école doit, dans un

premier temps, s’appliquer à la maison. « C’est à eux de

contrôler les habits que portent leurs enfants » soutien l’un des

membres du Comité des parents d’élèves de l’école Saint-

Joseph. « C’est une question de savoir-vivre et de respect de

l’autre. De la même manière que l’on punit un enfant qui a

proféré une injure, on doit sanctionner les tenues

exhibitionnistes ». Mais pour d’autres, les sanctions ne

représentent pas de solution. « Il ne faut pas que les enfants

se sentent repoussés » maintient Martine Wybo, la

psychologue. « Une discussion en tête-à-tête entre une mère

et sa fille vaut toutes les punitions du monde ».

Quoi qu’il en soit, des réformes sont en cours. Dans l’Ecole du

Verseau, le règlement scolaire de l’année prochaine a déjà été

modifié. L’un des articles concernera spécifiquement la

décence des tenues dans l’espace scolaire. « Et cela

s’appliquera également aux garçons » souligne la sous-

directrice. Toute infraction au règlement sera sanctionnée par

un avertissement dans le journal de classe et par une

exclusion s’il y a récidive. Ces mesures sont loin d’être

isolées. La plupart des écoles publiques belges les ont

adoptées ou déclinées à leur manière. Le temps des nombrils

à l’air et des caleçons trop voyants semble bel et bien en voie

de disparition. Quant aux élèves, les premiers concernés, ils

prennent pour la plupart la nouvelle avec philosophie. « Ce

sont des frustrés » ironise Bertrand, étudiant au Collège Saint-

Joseph. « Ce n’est pas le fait de voir un string qui provoquera

un viol collectif ». A quand une initiation à la mode dans les

études ? Jeudi, 16 heures 30. Fin des cours à l'Institut Marie José de Liège.

Les élèves sortent à peine qu'un parfum de CK One se répand

déjà dans la rue. Cheveux gominés et jeans G-Star en lévitation

au-dessus des genoux chez les garçons ; mèches décolorées en

blond et ceintures Prada cloutées chez les filles. On pourrait presque

croire à l'uniforme.

Agée de 16 ans, Coralie se distingue des autres filles par son style

plus sobre. Vêtue d'un pantalon beige et d'un polo rose pâle, la jeune

fille est postée devant l'école, scrutant une à une les voitures qui

défilent devant elle. " Ma mère n'est jamais à l'heure quand il s'agit de

faire du shopping. Elle déteste ça ". Une sonnerie de portable

émerge du brouhaha général. C'est la mère de Coralie qui la prévient

de son retard. " Ma mère ne sera là que dans une demi-heure. Elle

m'a dit de ne rien acheter avant qu'elle n'arrive. Elle est très sévère.

La semaine dernière, je me suis acheté un foulard musulman sans lui

demander. Quand elle m'a vu avec ça, elle l'a tout de suite jeté à la

poubelle ".

Malgré cette mise en garde, Coralie tient à profiter de

l'absence de sa mère pour s'acheter un jeans qui sort de

l'ordinaire. Sans perdre de temps, elle se rend chez Ibiza, un

magasin spécialiste en la matière. A peine y a-t-elle mis les pieds

qu'une jeune vendeuse se précipite vers elle : " je peux vous

aider ? ". Coralie lui fait alors part de son envie de se différencier des

autres : " je cherche un jeans original, avec plein de poches et de

tirettes. Mais pas quelque chose que tout le monde porte ". La

vendeuse lui explique que les jeans sont produits en série mais qu'il

y a possibilité de les personnaliser. " Evidemment, tout dépend de

l'effet que tu recherches. Si tu veux des déchirures réussies, tu

prends une paire de ciseau assez longue, tu frappes sur la lame à

coup de marteaux, puis, une fois que la lame est bien entaillée, tu

lacères le jeans ". Intéressée par le sujet, une autre vendeuse, ventre

à l'air et piercing au nombril, vient se joindre à la conversation : " avec

la décoloration, tu peux aller plus loin que l'effet d'usure classique. Tu

prends un coton tige, tu le trempes dans de l'eau de javel et tu

dessines des motifs sur le jeans ". Et pour illustrer son propos, la

jeune femme se retourne, exhibant sur son postérieur deux yeux de

chat décolorés accompagnés de l'inscription " mates, matou ".

Derrière son sourire un peu crispé, Coralie parvient difficilement à

cacher son manque de connaissance en matière de tenues

branchées. La jeune fille n'a pas l'habitude de faire les magasins

seule. On la sent hésitante face aux vendeuses acclimatées au milieu

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Magasins à succès des garçons

belges de 12 à 16 ans :

1. H&M

2. C&A (Clockhouse)

3. Cactus

4. WE

5. Springfield

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de la mode. Cela ne rate pas aux yeux de Jessica, une habituée

des lieux. Les deux filles se connaissent de l'école mais ne se

parlent que lorsqu'elles se croisent dans les magasins. " T'es pas

avec ta mère ? " lance Jessica, le sourire aux lèvres. " J'ai pas

besoin de ma mère pour m'habiller " répond Coralie un peu sur la

défensive. Jessica remarque alors que sa copine tient un sac

plastique en provenance du magasin Jennifer. " Tu t'habilles chez

Jennifer ? " demande-t-elle d'un air intrigué. " C'est le sac de

ma sœur " répond Coralie. " Je ne supporte pas ce magasin. C'est

bruyant, rien n'est rangé par marque. Et puis c'est rempli de

gamines de 12 ans qui crient dans tous les coins ! ". Jessica

acquiesce et renchérit : " En plus, tu dois toujours y aller avec des

copines. Parce que si t'y vas seule, t'as l'air trop conne. C'est pour

cela que je m'y rend uniquement le samedi matin quand il n'y a

personne ".

Après une brève discussion sur les magasins, les deux filles

décident de s'unir pour trouver le fameux pantalon. Tout en

retournant les bacs remplis de jeans, Coralie fait remarquer à sa

copine qu'une majorité d'entre eux sont troués. " Oui, mais quand tu

regardes bien, tu te rends compte qu'ils comportent tous une

seconde épaisseur afin qu'on ne puisse pas voir ta peau. C'est cool.

Avec ça, les profs ne peuvent rien te dire ". Car effectivement,

nombre d'écoles pénalisent encore les élèves venant avec des

jeans déchirés.

Coralie finit donc par opter pour un jeans à trous, décoloré, pourvu

de poches et tirettes multiples. Tandis qu'elle se dirige vers le

comptoir, le pantalon pendu à son avant-bras, sa mère la rappelle

sur le portable. Le point de rendez-vous est fixé à l'entrée du

magasin Mango dans cinq minutes.

En déposant le jeans sur le comptoir du magasin, Coralie hésite.

" Si ma mère me surprend avec ça, elle va m'obliger à le

rapporter ". Sur ces mots, Jessica réagit au quart de tour, critiquant

ouvertement la mère de son amie : " ta mère n'a pas à t'imposer de

style. Sinon, il te suffit d’acheter le pantalon et de me le filer. Moi, je

te prête le training de sport que j'ai dans mon sac. Tu diras à ta mère

que tu as du l'acheter pour le cours de gym. On se retrouve demain

à la récré pour échanger ".

Malgré l'incertitude du deal, Coralie marche dedans. L'échange

prend des allures de marché noir avant de se conclure par une bise

amicale. Une fois Jessica hors de vue, Coralie se met à courir vers

le point de rendez-vous. Elle n'espère plus qu'une chose : que sa

mère ne soit pas en train d'attendre.

E N T R E T I E N

Chris Paulis, vous êtes professeur d'anthropologie sociale à l'ULG.

A partir de quel âge les adolescents commencent-ils à s'acheter des

vêtements provocants ?

Il ne faut pas parler " des " ados mais de " certains " ados. Tout dépend du

système éducationnel et de la conscience de ces jeunes. Quand il n'y a pas

l'institution ou les parents derrière l'adolescent, il est plus exposé aux

déviances. Mais généralement, je pense qu'il n'y a pas d'âge pour cela. On

peut très bien s'acheter des vêtements provocants sans s'en rendre

compte. Prenons l'exemple d'une fillette de sept ans : elle ignore tout de la

provocation. Quand elle demande à sa mère pour porter un bikini avec des

petites bretelles, elle trouve très souvent son soutien car une mère

encourage sa fille à la coquetterie. Alors la fillette parade sans se rendre

compte qu'elle a une attitude provocante.

Selon vous, les magasins ont-ils une responsabilité pédagogique

dans la vente de leurs vêtements ?

Absolument pas. Le magasin n'a pas à jouer de rôle pédagogique.

Imaginons que, dès demain, on demande à chaque commerçant, vendeur,

étalagiste d'interdire l'achat de certains types de vêtements à certains types

de personne. Cela serait tout à fait ingérable. Ce n'est pas au commerçant

de jouer un rôle éthique. Cela se limite à la vente de tabac, d'alcool ou

l'accès aux sex shop. Mais en dehors de cela, on ne peut pas se retourner

contre les magasins.

Faut-il plutôt incriminer les médias ?

Tout particulièrement les médias. Ils jouent un rôle prépondérant dans notre

perception du monde. On a souvent dans l'idée que les clips vidéos comme

ceux qu'on voit sur MTV ou MCM ont une influence importante sur le

comportement des adolescents. Mais la plupart des jeunes qui regardent

les clips de rap ou de R'n'B ont conscience des codes qui les régissent. Le

rappeur plein aux as entouré de jolies filles et qui passe tout son temps dans

le club ou la salle de muscu, pas difficile d'y voir la caricature. Par contre,

ce qui est nettement plus pervers, ce sont les reportages, les téléfilms, la

série télévisée du dimanche après-midi. Car les valeurs qui y sont

véhiculées sont beaucoup moins apparentes. Elles s'immiscent et s'ancrent

dans la pensée de façon inconsciente. De plus, le principe d'une série vous

force à une exposition quotidienne. La série, c'est un peu comme une salle

de musculation : vous y aller de votre plein gré et vous changez petit à petit

sans même vous en rendre compte.

La polémique autour des tenues vestimentaires est-elle une

conséquence de l'évolution des mœurs ?

Cela fait partie d'une évolution artificielle. Cela n'a aucune autre valeur.

C'est parti du commerce, des médias, des stars, des produits dérivés. On

est en train d'avoir des jeunes de plus en plus troublés. Actuellement, une

mode parisienne née d'un mouvement gay amène de jeunes hétéros à

porter des T-shirts rose moulant. Par ailleurs, on constate un renforcement

de l'androgynie chez les jeunes, c'est-à-dire la recherche d'un type de forme

asexuée. Le mec idéal qui est prôné actuellement, c'est le mec ambigu. Des

garçons utilisent du maquillage féminin, se font faire une coupe de cheveux

qui les fait ressembler à des filles. Ils ont un succès fou auprès d'elles. Cette

situation est réversible mais pour cela, il faut que les jeunes aient du

caractère. Cessons de produire des séries qui pervertissent leurs valeurs.

Ces valeurs que vous dites perverties ont-elles une influence néfaste

sur leur sexualité ?

Bien sûr. Cela les amènent à une perturbation complète. On trouve des

gamines de 12 ans qui, par leur tenue sexy, lancent des messages à des

jeunes de 17 ans. Elles le font sans s'en rendre compte. Et l'ado répond à

un déclencheur qui ne lui a pas été lancé. Il n'y a plus de lecture valable. On

se retrouve donc avec des jeunes de 12 ans qui disent : j'ai fait l'amour avec

cette fille, je n'en avais pas envie mais je croyais que c'était ce qu'il fallait

faire. Il y a un problème d'éveil sexuel. Pour être un bon garçon, on devient

un voyou.

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H o l l y w o o d

s’empare du

p h é n o m è n e

lolita. Le film

“Mean Girls” a

été un gros

succès outre-

Atlantique.

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ALLO

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